chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas

4

Click here to load reader

Upload: a-loriaux

Post on 21-Oct-2016

271 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

Page 1: Chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas

Journal de Gynecologie Obstetrique et Biologie de la Reproduction (2011) 40, 77—80

CAS CLINIQUE

Chimérisme tétragamétique : à propos d’un casTetragametic chimerism: Case report

A. Loriauxa, S. Bouletb,∗, V. Delormea, M. Althuserb, C. Giroud Lathuilec,S. Gregoc, F. Amblardd, C. Dupuise, J.-P. Schaala, P.-S. Joukb

a Service de gynécologie-obstétrique, CHU de Grenoble, 38000 Grenoble, Franceb Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, Francec Établissement francais du sang, 29, avenue Marquis-du-Grésivaudan, 38700 La Tronche, Franced Service de génétique chromosomique, CHU de Grenoble, 38000 Grenoble, Francee Service d’endocrinologie pédiatrique, CHU de Grenoble, 38000 Grenoble, France

Recu le 30 mars 2010 ; avis du comité de lecture le 16 juin 2010 ; définitivement accepté le 18 juin 2010Disponible sur Internet le 7 aout 2010

MOTS CLÉSGrossessemonochorialedizygote ;Chimèrehématopoïétique ;Fusion zygotique

Résumé Nous rapportons le troisième cas de grossesse monochoriale dizygote spontanée,découverte sur une discordance des sexes fœtaux. Une chimère hématopoïétique à été mise enévidence sur la jumelle. L’hypothèse d’une fusion zygotique au stade préblastocyste pourraitexpliquer la formation de ces grossesses. Ce phénomène semble favorisé par les techniques deprocréation assistée. Les cellules hématopoïétiques des fœtus peuvent alors se mélanger lorsde la placentation et induire un chimérisme confiné aux cellules sanguines dans des conditionssimilaires à la transfusion de cellules souches. L’immaturité immunitaire fœtale permet auxcellules transfusées de proliférer chez le co-jumeau.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSMonochorionic

Summary We report the third case of spontaneous monochorionic dizygous pregnancy, dis-covered on foetal sex discordance. Blood group testing on the female twin revealed ahematopoietic chimera. The mechanism of monochorionic dizygous formation could be the

dizygous pregnancy;Hematopoieticchimera;Zygotic fusion

fusion of two independent zygotes at a late morula stage. A single placental mass with vas-cular anastomosis then develops. Stem cells exchanged during early foetal life can thus leadto chimeras, in similar conditions to stem cell transfusion in adults. Immaturity of the foetalimmune system allows cell graft in the other twin’s marrow. Assisted reproductive proceduresare believed to promote such pr© 2010 Elsevier Masson SAS. All

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Boulet).

I

Nc

0368-2315/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.jgyn.2010.06.011

egnancies.rights reserved.

ntroduction

ous rapportons le cas d’une grossesse spontanée mono-horiale biamniotique, pour laquelle une discordance de

éservés.

Page 2: Chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas

78 A. Loriaux et al.

Figure 1 Raccordement de la membrane de séparation à1Tt

pàggts

C

Mpdrfgelmdaabcd

2vlfmectv1àdtm

F2E

Jmnaudmb

uncdet Kell, avec un mélange de deux populations D+/D-(RH1),C+/C-(RH2), E+/E-(RH3) et K+/K-(KEL1). Il n’y avait pasde double population sur le système ABO ni sur c(RH4)et e(RH5). La recherche d’anticorps irréguliers était néga-

2 semaines d’aménorrhée (SA).hin intertwined membrane with a T-shaped connection to therophoblastic mass at 12 weeks of gestation (WG).

hénotype sexuel a été découverte en cours de grossessel’échographie. Les explorations histologiques et cyto-

énétiques ont confirmé le caractère dizygote de cetterossesse, ainsi que la présence d’un chimérisme tétragamé-ique limité aux lignées hématopoïétiques chez la jumelleurvivante.

as clinique

adame B., 30 ans, primigeste, a été référée au centreluridisciplinaire de diagnostic prénatal à 23 semaines’aménorrhée (SA) d’une grossesse gémellaire monocho-iale biamniotique pour une discordance entre les sexesœtaux. La première échographie à 12 + 2 SA avait révélé unerossesse gémellaire monochoriale biamniotique (Fig. 1). Ilxistait une masse trophoblastique unique, sans signe duambda individualisable. À l’échographie du deuxième tri-estre, les phénotypes sexuels des deux jumeaux étaientifférents, de type masculin chez J1 et féminin chez J2,vec des organes génitaux d’aspect habituel (Fig. 2 et 3). Ildonc été considéré que la grossesse était en fait dizygote,ichoriale biamniotique. L’hypothèse d’une grossesse mono-horiale dizygote a toutefois été évoquée. Il n’a pas étéécidé d’investigations supplémentaires avant la naissance.

Une rupture spontanée des membranes est survenue à9 + 5 SA. Un contrôle échographique a montré une bonneitalité et une quantité de liquide amniotique normale poures deux fœtus. Les enregistrements des rythmes cardiaquesœtaux étaient également normaux. La patiente a rapide-ent échappé à toute tentative de tocolyse. À son arrivée

n salle d’accouchement, le décès in utero de J1 a étéonstaté. Devant la suspicion d’une chorioamniotite débu-ante sur le bilan biologique, une extraction de la jumelleivante a été décidée. J1, de sexe masculin, mort-né, pesait200 g et J2, de sexe féminin, pesait 1220 g, avec un Apgar

10 à cinq minutes de vie. Les organes génitaux externes

es deux enfants étaient d’aspect normal. L’examen ana-omopathologique du placenta a confirmé son caractèreonochorial. Le cordon et les villosités placentaires de

FdE(

igure 2 Organes génitaux externes masculins chez J1 à5 semaines d’aménorrhée (SA).xternal genitalia on male twin at 25 weeks of gestation (WG).

1 étaient très œdémateux et congestifs, alors que lesêmes éléments du côté J2 avaient un aspect sensiblement

ormal (Fig. 4 et 5). Un syndrome transfuseur—transfuséigu a été évoqué. Cependant, l’étiologie retenue a éténe exsanguination brutale de la jumelle lors du décèse l’autre. L’autopsie du jumeau a révélé une hémorragieéningée au niveau du cervelet, pouvant expliquer le décèsrutal.

L’évolution de la jumelle a été favorable, marquée parne anémie compatible avec l’hypothèse de son exsangui-ation. Son groupe sanguin a été établi à j0 puis à j1 etomparé à celui de ses parents (Tableau 1). Il existait uneouble population érythrocytaire pour les systèmes Rhésus

igure 3 Organes génitaux féminins chez J2, à 25 semaines’aménorrhée (SA).xternal genitalia on female twin at 25 weeks of gestationWG).

Page 3: Chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas

Chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas 79

Tableau 1 Génotypes et phénotypes probables de la jumelle.Most likely phenotypes and genotypes of the female twin.

Groupage ABO Phénotype Génotype probable

Père A D+C+E-c+e+K+ Dce/dceRH:1,2,-3,4,5 KEL:1

Mère A D+C-E+c+e+K- DcE/dceRH:1,-2,3,4,5 KEL:-1

Jumelle survivante A Double population sur : D+/D-(RH1) C+/C-(RH2) ;E+/E-(RH3) K+/K-(Kel1)

Dce/dce ou DCe/DcE

Pas de double population sur : ABO, c (RH4) et e(RH5)Phénotypes probableou K-

Figure 4 Examen macroscopique du placenta. À gauche, pla-centa de J1 (cotylédons congestifs) ; à droite, placenta de J2(cotylédons pâles).Placenta at birth. On left side, congested cotyledons of themale twin; and on right side, pale cotyledons of the femaletwin.

Figure 5 Cordon de J1 court et très œdémateux.

Short and congested umbilical cord on the male twin.

tdhcpvdlpAsrraév

D

UcrsmdfdpmrdlAen[iWlLmEc

s : D-C-E-c+e+ ou D+C+E+c+e+ K+

ive. Un test de Kleihauer négatif chez la mère a permis’éliminer une transfusion maternofœtale. Un chimérismeématopoïétique a donc été évoqué. À 16 jours de vie, unaryotype sur 30 mitoses lymphocytaires a retrouvé deuxopulations cellulaires : l’une majoritaire 46, XY retrou-ée dans 69 % des cellules, la seconde 46, XX présenteans 31 % des cellules examinées. Le bilan hormonal et’échographie pelvienne pratiqués à six semaines de vie,uis à quatre mois et à sept mois, sont revenus normaux.fin de s’assurer que le chimérisme soit limité aux cellulesanguines, deux caryotypes sur fibroblastes cutanés ont étééalisés à huit mois de vie, montrant une formule 46XX. Laecherche par du gène SRY était négative. À l’âge de troisns, la formule chromosomique, ainsi que le groupe sanguintaient toujours identiques à ceux retrouvés à 16 jours deie.

iscussion

ne chimère est définie comme un organisme dont lesellules sont originaires de deux (ou plus) zygotes, contrai-ement à une mosaïque, où les cellules proviennent d’uneeule lignée zygotique (Boklage [1]). Le chimérisme disper-ique ou tétragamétique correspond à la fusion précocee deux zygotes séparés et génétiquement distincts, puisormation d’un seul produit de conception. Ce mécanismee fusion zygotique a été suggéré par Souters et al. [2]our appréhender la formation de grossesses gémellairesonochoriales dizygotes. Au stade préblastocyste, soit envi-

on j4 post-fécondation, les cellules internes sont engagéesans la voie de différenciation embryonnaire, alors quees cellules externes sont dédiées au futur trophoblaste.u cours d’une grossesse gémellaire dizygote, les cellulesxternes des deux embryons peuvent partiellement fusion-er pour former un seul placenta monochorial ([2], Redline3], Ginsberg et al. [4]). Ce phénomène peut être induitn vitro sur des embryons de mammifères (Tarkowski etojewodzka [5]) et permet d’expliquer que la chimère soit

imitée aux tissus extra-embryonnaires (Williams et al. [6]).a procréation médicalement assistée joue très probable-ent un rôle favorisant dans la survenue de ce mécanisme.

n effet, les lésions de la zone pellucide, ainsi que laulture tardive jusqu’au stade blastocyste induisent des

Page 4: Chimérisme tétragamétique : à propos d’un cas

8

m(dàtl[

mdpevala[soifel8m[

dsddccàmg

C

Leftlrm

csm

C

A

R

[

[

0

odifications de la surface cellulaire, favorisant la fusionEkelund et al. [7], Miura et NIiikawa [8]). Le replacement’embryons proches les uns des autres prédispose égalementla fusion [6]. Les grossesses monochoriales dizygotes spon-

anées sont d’ailleurs très rares [8] et ce cas clinique en este troisième cas publié (Hackmon et al. [9], Shalev et al.10]).

La formation d’une chimère hématopoïétique est égale-ent possible très précocement au cours de la placentationes grossesses monochoriales. Le lit microcirculatoirelacentaire se développe à partir du mésoderme extra-mbryonnaire 21 jours après la fécondation. De largesaisseaux venant des deux embryons se connectent ensuitevec ce lit vasculaire à j28 [3]. Des échanges sanguins de cel-ules souches hématopoïétiques entre les deux fœtus via lesnastomoses vasculaires placentaires sont ensuite possibles6,11]. Il peut en résulter un chimérisme confiné aux cellulesanguines dans des conditions similaires au don de moellesseuse ou de transfusion de cellules souches. L’immaturitémmunitaire fœtale permet à ces cellules souches trans-usées de proliférer dans la moelle de l’autre jumeau. Iln résulte une coexistence de deux populations de cel-ules sanguines chez le même individu [10]. Ainsi, près de% des jumeaux et 21 % des triplés présenteraient un chi-érisme limité aux cellules sanguines (Van Dijk BA et al.

12]).Les diagnostics différentiels à évoquer en cas de discor-

ance de phénotype sexuel chez des jumeaux monochoriauxont, soit la perte postzygotique du chromosome Y chez unes jumeaux, soit une délétion SRY responsable d’un défaute virilisation [7]. Il semble important de ne pas remettre enause le diagnostic de chorionicité échographique, lorsqueelui-ci est fiable, en raison des complications inhérentesces grossesses. Il importe également de leur appliquer laême surveillance clinique et échographique étroite que les

rossesses monochoriales monozygotes [11].

onclusion

es grossesses gémellaires monochoriales dizygotes existentt sont sans doute sous-estimées. Leur survenue semble

avorisée par les techniques de procréation médicale assis-ée et notamment, par la fécondation in vitro. À laumière de cette observation, il semble important de ne pasemettre en question un diagnostic échographique fiable deonochorialité au premier trimestre, même en cas de dis-

[

A. Loriaux et al.

ordance sexuelle chez les fœtus. Une étude de zygositéur cellules somatiques est indispensable, afin de ne paséconnaître un chimérisme confiné aux cellules sanguines.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

[1] Boklage C. Embryogenesis of chimeras, twins and anterior mid-line asymmetries. Hum Reprod 2006;21:579—91.

[2] Souter VL, Kapur RP, Nyholt DR, Skogerboe K, Myerson D, TonCC, et al. A report of dizygous monochorionic twins. N Engl JMed 2003;349:154—8.

[3] Redline RW. Non identical twins with a single placenta— Disproving dogma in perinatal pathology. N Eng J Med2003;349:111—4.

[4] Ginsberg NA, Ginsberg S, Rechitsky S, Verlinsky Y. Fusion as theetiology of chimerism in monochorionic dizygotic twins. FetalDiagn Ther 2005;20:20—2.

[5] Tarkowski AK, Wojewodzka M. A method for obtaining chimae-ric mouse blastocysts with two separate onner cell masses: apreliminary report. J Embryol Exp Morphol 1982;71:215—21.

[6] Williams CA, Wallace MR, Drury KC, Kipersztok S, Edwards RK,Williams RS, et al. Blood lymphocyte chimerism associated withIVF and monochorionic dizigous twinning: case report. HumReprod 2004;19:2816—21.

[7] Ekelund CK, Skibsted L, Sogaard K, Main KM, Dziegiel MH,Schwartz M, et al. Dizygotic monochorionic twin pregnancyconceived following intracytoplasmic sperm injection treat-ment and complicated by twin—twin transfusion syndrome andblood chimerism. Ultrasound Obstet Gynecol 2008;32:832—4.

[8] Miura K, NIiikawa N. Do monochorionic dizygotic twins increaseafter pregnancy by assisted reproductive technology? J HumGenet 2005;50:1—6.

[9] Hackmon R, Jormark S, Cheng V, O’Reilly Green C, Divon MY.Monochorionic dizygotic twins in a spontaneous pregnancy: arare case report. J Matern Fetal Neonatal Med 2009;22:708—10.

10] Shalev SA, Shalev E, Pras E, Shneor Y, Gazit E, Yaron Y, etal. Evidence for blood chimerism in dizygotic spontaneoustwin pregnancy discordant for Down syndrome. Prenat Diagn2006;26:782—4.

11] Walker SP, Meagher S, White SM. Confined blood chime-

rism in monochorionic dizygous (MCDZ) twins. Prenat Diagn2007;27:369—72.

12] Van Dijk BA, Boomsma DI, De Man AJ. Blood group chime-rism in human multiple births is not rare. Am J Med Genet1996;61:264—8.