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LES ROYAUMES

DÉCHUS

LA TRILOGIE DE L’HÉRITAGE **

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Alexandra Maillard

N. K. JEMISIN

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Titre original anglais :THE BROKEN KINGDOM

BOOK SECOND OF THE INHERITANCE TRILOGYBOOK SECOND OF THE INHERITANCE TRILOGY

Première publication : Orbit, New York, 2010

N. K. Jemisin, 2010

Pour la traduction française : Calmann-Lévy, 2011

ISBN 978-2-36051-025-2

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Je me souviens que c’était le milieu de la matinée.Le jardinage était l’activité à laquelle je préférais consacrer

mes journées. Même si je devais me battre pour qu’on me laissefaire, parce que les terrasses de ma mère étaient célèbres àtravers tout le pays, et qu’elle redoutait que je m’en occupe. Diffi-cile de l’en blâmer ; mon père riait toujours lorsqu’il repensait autraitement que j’avais infligé au linge, la seule fois où j’avais tentéde le laver.

« Orie », disait-elle lorsque je cherchais à prouver mon auto-nomie, « ce n’est pas grave d’avoir besoin d’aide. Nous avons tousbesoin les uns des autres par moments pour faire certaineschoses. »

Le jardinage, cependant, ne comptait pas parmi celles-là.C’était le désherbage que ma mère craignait le plus, parce que lesmauvaises herbes qui poussaient en Nimaro avaient la mêmeforme que ses plantes les plus précieuses. La fougère-menteusepossédait des feuilles en forme d’éventail semblables à celles dela douce-colère ; l’aubépine rampante était couverte d’épines etpiquait autant les doigts que l’ocherine. Mais les mauvaisespousses et ses herbes n’avaient absolument pas la même odeur. Jen’ai donc jamais compris pourquoi ma mère s’inquiétait tant. Lesrares fois où leur parfum et leur contact me faisaient douter, ilme suffisait de porter le bout d’une fane à mes lèvres, ou depasser ma main dans le feuillage et d’écouter la façon dont ilrevenait à sa place, pour obtenir ma réponse. Maman dut finale-ment reconnaître que je n’avais pas arraché une seule bonneherbe durant toute la saison. Je comptais bien demander à avoirmes propres terrasses l’année suivante.

Je flânais généralement durant des heures dans les jardins,mais, un matin, il se produisit quelque chose. Je m’en aperçusquasiment au moment où je sortais de la maison : une absencesurprenante de relief dans l’air. Comme la tension d’un souffle

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contenu. Une tempête arrivait. J’oubliai aussitôt le désherbage etm’assis, me tournant instinctivement vers le ciel.

Et je vis.Ce que je vis, et apprendrai plus tard à nommer la distance, se

composait d’immenses taches d’obscurité informes chargéesd’énergie. Tandis que je les observais bouche bée, de grandespointes acérées – si brillantes qu’elles me firent mal aux yeux, cequi ne m’était jamais arrivé jusque-là – surgirent et s’attaquèrentaux taches. Mais certaines parties de ces taches sombres se trans-formèrent, dardant des volutes liquides qui s’enroulèrent autourdes pointes et les engloutirent. La lumière changea, elle aussi.Elle se métamorphosa soudain en disques tournoyants affûtéscomme des rasoirs, qui coupèrent les vrilles. Et ainsi, d’avant enarrière, obscurité contre lumière, chacune l’emportant sur l’autreà tour de rôle. Au milieu de ce tumulte, je perçus des bruits detonnerre alors que ça ne sentait pas la pluie.

Je n’étais pas la seule à observer cette scène ; j’entendais lesgens sortir de leurs maisons et de leurs boutiques en murmurantou en s’exclamant. Mais personne ne semblait véritablementeffrayé, cependant. Cette scène étrange se cantonnait au ciel, siloin au-dessus de nos existences terrestres qu’elle ne nousconcernait pas vraiment.

À tel point que personne à part moi ne remarqua ce que jerepérai, tandis que je m’agenouillai, les doigts encore enfouisdans le sol. Une secousse. Non, pas une secousse ; une tensionque j’avais déjà perçue auparavant et qui retenait une émotion.À aucun moment elle n’avait traversé le ciel.

Je bondis sur mes pieds, attrapai ma canne et me dépêchai derentrer à la maison. Mon père était parti au marché, mais mamère se trouvait chez nous ; si une sorte de tremblement de terreétait sur le point de se produire, je devais absolument la prévenir.Je courus jusqu’aux marches du porche et ouvris la vieille portebranlante en lui criant de me rejoindre et de se presser.

C’est alors que je l’entendis arriver. Il n’était plus emprisonnédans le sol, mais balayait les terres environnantes depuis le nord-ouest – en provenance de Ciel, la cité aramerie. Quelqu’un est entrain de chanter, me dis-je d’abord. Pas une seule personne, maisplusieurs ; une centaine de voix, un million, vibrant et résonnantensemble. Le chant lui-même était pratiquement inintelligible,ses paroles se résumant à un unique mot – mais si puissant,cependant, que le monde trembla à son approche.

Le mot chanté était : « Pousse. »

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Il faut que vous compreniez ceci. J’avais de tout temps perçules manifestations de magie, mais le Nimaro m’était pratique-ment toujours demeuré fermé, jusqu’à cet instant. C’était un paystranquille composé d’une mosaïque de petites villes assoupies etde villages au sein duquel le mien ne faisait pas exception. Lamagie était une chose des cités. Je la voyais de temps à autre, etchaque fois en secret.

Mais là, il y avait de la lumière et des couleurs. Elles jaillis-saient de la terre, de la rue, remontaient le long de chaque feuille,de chaque brin d’herbe, de chaque pavé et de chaque latte de boisdans la cour devant chez moi. Il y en avait tellement ! Je nem’étais jamais rendu compte qu’il y en existait autant. La magieconférait aux murs une texture et un pourtour tellement diffé-rents que j’eus l’impression de contempler la maison danslaquelle j’étais née pour la première fois. Elle cernait le contourdes arbres, de la vieille voiture à cheval rangée dans un coin – jene compris pas ce que j’avais sous les yeux, au début – et lessilhouettes des gens debout dans les rues, bouche bée. Je voyaistout – tout, vraiment, comme les autres, apparemment. Ou plusqu’eux peut-être, je ne saurais le dire. Mais c’est un moment queje garderai pour toujours dans mon cœur : le retour de quelquechose de glorieux. La refondation d’une chose brisée longtempsauparavant. La renaissance de la vie elle-même.

Ce soir-là, j’apprenais que mon père était mort.Un mois après ces événements, je partis pour la cité de Ciel afin

d’y commencer une nouvelle existence.Dix ans ont passé, depuis.