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CAS CLINIQUE 18 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n° 337 - avril-mai-juin 2014 Mots-clés Hémangiome – Enfant – bêtabloquant – Propranolol Keywords Hemangioma – Infant – bêta-blocker – Propranolol Efficacité du propranolol dans le traitement de l’hémangiome de l’enfant Expérience du service ORL du CHU de Treichville Efficacy of propranolol for the treatment of infantile hemangioma: experience of the ENT unit of the CHU of Treichville V. Koffi-Aka*, N. Dosso-Yavo*, R.M. Kprohouri-Akpa*, N.M.A. Mobio* * Service ORL, CHU de Treichville, Abidjan, Côte-d'Ivoire. D epuis sa découverte fortuite par l’équipe de Léauté- Labrèze (1) en 2008, l’efficacité du propranolol dans le traitement de l’angiome de l’enfant est actuel- lement mondialement reconnue (2). Les mécanismes d’action ne semblent pas encore complètement élucidés ; cependant, 3 effets principaux sont démontrés : l’effet hémodynamique local, qui conduit à la réduction de la perfusion de l’héman- giome, les effets antiangiogénique et antiprolifératif, qui entraînent une diminution de l’expression du facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) et un déclenchement de l’apoptose sur les cellules endothéliales capillaires (3). Les doses classiquement recommandées sont de 1 à 4mg/kg/jour pendant une durée moyenne de 6 mois. Nous rapportons notre première expérience concernant un volumineux hémangiome de la région parotidienne chez un nourrisson de 1 mois. Cas clinique Un nourrisson de sexe féminin, âgé de 1 mois, pesant 3 kg, a été adressé le 8 novembre 2012 pour une volumineuse masse pré-auriculaire droite constatée à une semaine de vie. Repré- sentant initialement un nodule sous-lobaire de moins de 1 cm de diamètre, la malformation n’a cessé d’augmenter de volume, sans contexte infectieux, ni inflammatoire. À l’admission dans le service, la masse était ferme, recouverte d’une peau rougeâtre, parcourue par de nombreux lacis vasculaires évoquant une malformation congénitale vasculaire. La masse mesurait 53 x 36 mm ; elle occupait la région temporo-massé- terine droite et comprimait la région prétragienne droite (figure 1). L’examen ORL était normal par ailleurs ; l’otoscopie, peu aisée, montrait au moins que le méat acoustique externe était perméable. L’angioscanner a confirmé la nature vasculaire de la formation, qui s'était développée aux dépens de la région paroti- dienne droite, et a conclu à un angiome parotidien sans extension locorégionale (figure 2). Aucune localisation viscérale n’était mise en évidence à l’échographie abdominale. Dans l’attente des résultats complémentaires, une corticothérapie orale (bétaméthasone 10 gouttes/kg/jour, soit 30 gouttes en une prise) avait été débutée pendant les 2 semaines suivant l’examen initial ; elle a été sans effet. Le diagnostic d’hémangiome retenu, à partir des données de la littérature et en collaboration avec les cardiologues pédiatres et les pédiatres, un traitement à base de propranolol a été décidé. La dose initiale de 1 mg/kg/jour allait être régulièrement augmentée de 1 mg par semaine pendant 3 semaines ; puis une dose de 3 mg/kg/jour a été maintenue pendant 11 mois, soit une durée totale de 12 mois de traitement. En l’absence de forme pédiatrique de la molécule à Abidjan, 1/2 comprimé d’Avlocardyl ® 40 mg était dilué dans 5 ml d’eau minérale ; seul 1 ml était administré oralement à l’aide de la seringue pendant la première semaine. La deuxième semaine, l’enfant recevait 2 ml. À la troisième semaine, comme l’enfant pesait 6 kg, la totalité des 5 ml, contenant 20 mg (1/2 comprimé) d’Avlocardyl ® , lui était délivrée. Le traitement était effectué en ambulatoire. Le suivi était journalier pendant les 3 premières semaines ; puis hebdomadaire pendant 2 mois, et enfin bimensuel jusqu’à la fin du traitement. Les dimensions de la masse, la fréquence cardiaque, le poids de l’enfant étaient contrôlés à chaque consultation. Après l’électrocardiogramme initial qui s’est révélé normal, cet examen a été refait 1 fois par mois pendant 6 mois, puis tous les 3 mois. La tolérance était bonne, sans retentissement cardiaque, ni digestif.

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Page 1: Hemangioma – Infant – bêta-blocker – Propranolol ... · hemangioma with oral propranolol: an illustrative report and review of the literature. Case Rep Pediatr 2012;2012:353812

CAS CLINIQUE

18 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 337 - avril-mai-juin 2014

Mots-clésHémangiome – Enfant – bêtabloquant – Propranolol

Keywords Hemangioma – Infant – bêta-blocker – Propranolol

Efficacité du propranolol dans le traitement de l’hémangiome de l’enfantExpérience du service ORL du CHU de TreichvilleEff icacy of propranolol for the treatment of infantile hemangioma: experience of the ENT unit of the CHU of Treichville

V. Koffi-Aka*, N. Dosso-Yavo*, R.M. Kprohouri-Akpa*, N.M.A. Mobio*

* Service ORL, CHU de Treichville, Abidjan, Côte-d'Ivoire.

Depuis sa découverte fortuite par l’équipe de Léauté-Labrèze (1) en 2008, l’efficacité du propranolol dans le traitement de l’angiome de l’enfant est actuel-

lement mondialement reconnue (2). Les mécanismes d’action ne semblent pas encore complètement élucidés ; cependant, 3 effets principaux sont démontrés : l’effet hémodynamique local, qui conduit à la réduction de la perfusion de l’héman-giome, les effets antiangiogénique et antiprolifératif, qui entraînent une diminution de l’expression du facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) et un déclenchement de l’apoptose sur les cellules endothéliales capillaires (3). Les doses classiquement recommandées sont de 1 à 4mg/kg/jour pendant une durée moyenne de 6 mois. Nous rapportons notre première expérience concernant un volumineux hémangiome de la région parotidienne chez un nourrisson de 1 mois.

C a s c l i n i q u e

Un nourrisson de sexe féminin, âgé de 1 mois, pesant 3 kg, a été adressé le 8 novembre 2012 pour une volumineuse masse pré-auriculaire droite constatée à une semaine de vie. Repré-sentant initialement un nodule sous-lobaire de moins de 1 cm de diamètre, la malformation n’a cessé d’augmenter de volume, sans contexte infectieux, ni inflammatoire. À l’admission dans le service, la masse était ferme, recouverte d’une peau rougeâtre, parcourue par de nombreux lacis vasculaires évoquant une malformation congénitale vasculaire. La masse mesurait 53 x 36 mm ; elle occupait la région temporo-massé-

terine droite et comprimait la région prétragienne droite (figure 1). L’examen ORL était normal par ailleurs ; l’otoscopie, peu aisée, montrait au moins que le méat acoustique externe était perméable. L’angioscanner a confirmé la nature vasculaire de la formation, qui s'était développée aux dépens de la région paroti-dienne droite, et a conclu à un angiome parotidien sans extension locorégionale (figure 2). Aucune localisation viscérale n’était mise en évidence à l’échographie abdominale. Dans l’attente des résultats complémentaires, une corticothérapie orale (bétaméthasone 10 gouttes/kg/jour, soit 30 gouttes en une prise) avait été débutée pendant les 2 semaines suivant l’examen initial ; elle a été sans effet. Le diagnostic d’hémangiome retenu, à partir des données de la littérature et en collaboration avec les cardiologues pédiatres et les pédiatres, un traitement à base de propranolol a été décidé. La dose initiale de 1 mg/kg/jour allait être régulièrement augmentée de 1 mg par semaine pendant 3 semaines ; puis une dose de 3 mg/ kg/ jour a été maintenue pendant 11 mois, soit une durée totale de 12 mois de traitement. En l’absence de forme pédiatrique de la molécule à Abidjan, 1/2 comprimé d’Avlocardyl® 40 mg était dilué dans 5 ml d’eau minérale ; seul 1 ml était administré oralement à l’aide de la seringue pendant la première semaine. La deuxième semaine, l’enfant recevait 2 ml. À la troisième semaine, comme l’enfant pesait 6 kg, la totalité des 5 ml, contenant 20 mg (1/2 comprimé) d’Avlocardyl®, lui était délivrée. Le traitement était effectué en ambulatoire. Le suivi était journalier pendant les 3 premières semaines ; puis hebdomadaire pendant 2 mois, et enfin bimensuel jusqu’à la fin du traitement. Les dimensions de la masse, la fréquence cardiaque, le poids de l’enfant étaient contrôlés à chaque consultation. Après l’électrocardiogramme initial qui s’est révélé normal, cet examen a été refait 1 fois par mois pendant 6 mois, puis tous les 3 mois. La tolérance était bonne, sans retentissement cardiaque, ni digestif.

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CAS CLINIQUE

Figure 2. Angioscanner cervicofacial (coupe axiale) montrant le point de départ parotidien de l’hémangiome.

Figure 4. Aspect un mois après la fin du traitement.

Figure 1. Volumineux hémangiome parotidien droit chez un nourrisson de 1 mois à l’admission dans le service.

Figure 3. Aspect à 6 mois de traitement.

La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 337 - avril-mai-juin 2014 | 19

La régression progressive de la tumeur a été effective dès la troisième semaine de traitement, encourageant les parents à le poursuivre sans interruption. La disparition complète a été obtenue au bout de 6 mois, laissant en place un résidu fibro-adipeux (figure 3). Deux mois après la fin du traitement, il n’y avait pas de récidive (figure 4).

D i s c u s s i o n

L’hémangiome constitue l’une des plus fréquentes malformations vasculaires de l’enfant. Elle touche préférentiellement l’enfant de sexe féminin (3 cas sur 5). Les sujets de peau blanche et les

prématurés (22 %) semblent également plus concernés (3-5). Habituellement spontanément résolutives, certaines formes peuvent néanmoins exiger un traitement du fait de leur taille ou de la topographie, à cause du risque vital, fonctionnel ou esthétique (3-6). Plusieurs traitements ont été décrits. Les corticostéroïdes oraux ou intralésionnels ont longtemps constitué la première ligne de traitement, ce qui explique notre premier choix thérapeutique. L'échec des corticoïdes a conduit à d’autres options, comme l’utilisation d’interféron ou l'injection de produits sclérosants avec des résultats mitigés. Depuis les découvertes de Léauté-Labrèze sur l’efficacité des bêtabloquants (1), le propranolol possède désormais une place de choix dans l’arsenal thérapeutiques des hémangiomes infan-

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Chers abonnés, chers lecteurs, toute l’équipe Edimarkvous souhaite un magnifi que été et une belle respirationavant de se retrouver dès la rentrée !

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182 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 5 - septembre-octobre 2012

MISE AU POINT

CAS CLINIQUE

20 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 337 - avril-mai-juin 2014

tiles. D’ailleurs, les premières constatations ont été faites au décours de la gestion de complications de la corticothérapie. Les effets secondaires à type de bradycardie, hypotension et hypoglycémie constituaient les principaux freins à l’usage du propranolol (3, 7). La multiplication des succès rapportés sans morbidité significative explique l’adhésion actuelle, même si les séries publiées n’excèdent pas 40 patients (2). Ces complications sont jugées mineures comparées au bénéfice obtenu. Ce cas clinique confirme l’efficacité du propranolol. Cette efficacité relèverait de la triple action vasoconstrictrice, angiogénique et anti-proliférative (3, 6). Les indications semblent étendues à toutes les formes d’angiomes notamment ulcérées, quel que soit le siège (1-7). L’absence de forme galénique adéquate pour l’âge nous a conduit à adapter la forme disponible en prenant le risque d’un sous-dosage ou d’un surdosage. Cette expérience réussie est encourageante.

Nous démontrons également la relative innocuité du traitement, sans minimiser la nécessité d’une surveillance en milieu médical. Certaines équipes ont préconisé une hospitalisation initiale afin de vérifier l’absence de risque éventuel. Nous avons opté pour le mode ambulatoire qui convenait mieux à la famille de la patiente. Malgré la disparition totale de la masse au bout de 6 mois, nous avons poursuivi le traitement par bêtabloquant pour réduire les risques de récidive, comme observé dans le cas rapporté par E. Mantadakis et al. (4).

C o n c l u s i o n

Le propranolol a réellement révolutionné le traitement des héman-giomes infantiles. Son mode d’utilisation est simple, à condition d’une surveillance en milieu médical. ■

1. Léauté-Labrèze C, Dumas de la Roque E, Hubiche T, Boralevi F, Thambo JB, Taïeb A. Propranolol for severe hemangiomas of infancy. N Engl J Med 2008; 358(24):2649-51.2. Fette A. Propranolol in use for treatment of complex infant hemangiomas: literature review regarding current guidelines for preassessment and standards of care before initiation of therapy. ScientificWorldJournal 2013;2013:850193.

3. Corapcioğl F, Büyükkalu-Bay S, Binnetoğlu K, Babaoğlu A, Anik Y, Yugay M. Preliminary results of propranolol treatment for patients with infantile hemangioma. Turk J Pediatr 2011;53(2):137-41.4. Mantadakis E, Tsouvala E, Deftereos S, Danie-lides V, Chatzimichael A. Involution of a large parotid hemangioma with oral propranolol: an illustrative report and review of the literature. Case Rep Pediatr 2012;2012:353812.

5. De Melo JN, Rotter A, Rivitti-Machado MC, de Oliveira ZN. Propanolol for treatment of infantile hemangiomas. An Bras Dermatol 2013;88(6 Suppl 1):220-3.6. Ferreira Rda C, Wolff Fr, Mörschbächer R. Oral propra-nolol as a new treatment for facial infantile hemangioma: case report. Arq Bras Oftalmol 2011;74(3):207-8.7. Chen TS, Eichenfield LF, Friedlander SF. Infantile hemangiomas: an update on pathogenesis and therapy. Pediatrics 2013;131(1):99-108.

Références bibliographiques

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.