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UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (http://dare.uva.nl) UvA-DARE (Digital Academic Repository) Inégalités sociales en Europe. Le défi de la convergence et de la cohésion Vandenbroucke, F.I.G.; Rinaldi, D. Link to publication Citation for published version (APA): Vandenbroucke, F., & Rinaldi, D. (2015). Inégalités sociales en Europe. Le défi de la convergence et de la cohésion. (Policy paper Notre Europe; No. 147). Paris: Institut Jacques Delors. General rights It is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Disclaimer/Complaints regulations If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. Please Ask the Library: http://uba.uva.nl/en/contact, or a letter to: Library of the University of Amsterdam, Secretariat, Singel 425, 1012 WP Amsterdam, The Netherlands. You will be contacted as soon as possible. Download date: 15 Sep 2018

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UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (http://dare.uva.nl)

UvA-DARE (Digital Academic Repository)

Inégalités sociales en Europe. Le défi de la convergence et de la cohésion

Vandenbroucke, F.I.G.; Rinaldi, D.

Link to publication

Citation for published version (APA):Vandenbroucke, F., & Rinaldi, D. (2015). Inégalités sociales en Europe. Le défi de la convergence et de lacohésion. (Policy paper Notre Europe; No. 147). Paris: Institut Jacques Delors.

General rightsIt is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s),other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons).

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POLICY PAPER 147 DÉCEMBRE 2015

INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPELE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION.Frank Vandenbroucke | professeur à l’université d’Amsterdam et d’Anvers, conseiller Affaires sociales de l’Institut Jacques Delors

David Rinaldi | chercheur à l’Institut Jacques Delors

Dans tous les pays de l’Union européenne, l’État-providence a fait l’objet d’un examen rigoureux à la suite de pressions budgétaires et de grandes évolutions de la société. Cette année, l’initia-tive Vision Europe a décidé de se pencher sur l’avenir de l’État-providence, avec pour objectif de formuler des recommandations stratégiques novatrices en vue de garantir la durabilité à long terme des systèmes nationaux de protection sociale. Ce papier appartient à une série de quatre papiers rédigés dans le cadre du projet Vision Europe pour l’année 2015, et qui ont été présentés à l’occasion du Vision Europe Summit qui a lieu à Berlin les 17 et 18 novembre 2015.

Vision Europe est un consortium de think tanks et de fondations qui se sont regroupés en 2015 pour se pencher sur certains des défis les plus urgents pour les politiques publiques en Europe. Dans le cadre de recherches, de publications et d’un sommet annuel, ce consortium vise à proposer un forum de débat et à formuler des recommandations en vue d’améliorer l’élaboration de poli-tiques fondées sur des données factuelles tant au niveau national qu’européen.

Les organisations qui participent à Vision Europe sont: Bertelsmann Stiftung (Allemagne), Bruegel (Belgique), Calouste Gulbenkian Foundation (Portugal), Chatham House (RU), Compagnia di San Paolo (Italie), Jacques Delors Institute (France), The Finnish Innovation Fund Sitra (Finlande).

RÉSUMÉLes inégalités se creusent en Europe, tant au sein des pays qu’entre eux, sans qu’il y ait d’explication unique à ce phénomène. L’Union européenne (UE) a cessé d’être une « machine de convergence ». Dans l’ensemble, les nouveaux États membres ont connu une forte croissance économique à la suite de leur adhésion à l’UE, mais la crise de la zone euro a déclenché un processus de divergence entre les membres de la zone euro. Au sein des États membres, la situation générale des retraités s’est améliorée, mais pour les moins de 65 ans, deux proces-sus de polarisation se renforçant mutuellement accentuent les inégalités en bas de l’échelle de la répartition des revenus. Premièrement, le nombre de personnes vivant dans des ménages « pauvres en emploi », c.-à-d. des ménages ayant de faibles liens avec le marché du travail a augmenté ; deuxièmement, ces ménages sont confrontés à des risques de pauvreté plus élevés. Cette dernière tendance a déjà commencé avant la crise.

Il n’existe pas de solution miracle pour lutter contre les inégalités croissantes ; il faut un ensemble de straté-gies et d’instruments complémentaires qui puissent améliorer à la fois la protection sociale et les perspectives d’emploi des ménages ayant de faibles liens avec le marché du travail. Le rôle et la qualité des instruments traditionnels de politique sociale, tels que l’assurance-chômage, l’activation et le salaire minimum doivent être repensés tant au sein des États membres qu’au niveau de l’UE. Dans le même temps, des approches novatrices concernant les services et les allocations sociales sont nécessaires pour sortir de l’impasse dans certains domaines, comme la situation sociale des parents isolés.

Les pères fondateurs du projet européen (qui ont préparé le traité de Rome) ont pensé avec optimisme que la cohésion croissante au sein des pays et entre eux pourrait être obtenue grâce à la coopération économique supranationale ; les politiques sociales internes devaient redistribuer les fruits du progrès économique, tout en demeurant une prérogative nationale. Cette division traditionnelle du travail n’est pas adaptée aux enjeux actuels. De fait, l’UE a déjà eu un impact considérable sur les politiques sociales des États membres. Nous devons donc désormais définir ce que nous attendons de l’UE dans le domaine de la politique sociale.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

CRÉER UN CERCLE VERTUEUX AU SEIN DUQUEL LA COHÉSION PANEUROPÉENNE ET LA COHÉSION NATIONALE SE RENFORCENT TOUTES DEUX”

Les mesures européennes en matière de politique sociale doivent être adaptées au contexte régional et national. Par ailleurs, l’Union euro-

péenne a besoin d’un objectif partagé et d’un cadre stratégique commun en soutien des politiques sociales régionales et nationales. Elle devrait avoir

pour objectif de créer un cercle vertueux au sein duquel la cohésion paneuro-péenne et la cohésion nationale se renforcent toutes deux. La cohésion concerne

le revenu et l’emploi, mais également d’autres dimensions du bien-être. L’Union européenne mérite un triple A social si elle soutient activement tant la conver-

gence vers des niveaux plus élevés de bien-être entre les États membres que la convergence vers une plus grande égalité du bien-être des individus au sein des États membres.

L’UE devrait encourager et soutenir les États membres pour qu’ils conçoivent des trains de mesures pour-suivant ces deux objectifs simultanément. Ces trains de mesures « à double usage » existent : l’éducation en est un exemple éloquent. L’amélioration de la qualité de notre capital humain est une condition essentielle de l’accroissement sur le long terme de la prospérité et du bien-être dans l’UE. Actuellement, l’Union européenne souffre d’un écart trop important en termes de capital humain, tant au sein des États membres qu’entre eux. La Commission européenne a élaboré un agenda global sur l’éducation, la formation et les compétences. Toutefois, ce programme éducatif ne pèse pas suffisamment dans la définition des priorités budgétaires. Les dépenses publiques réelles consacrées à l’éducation étaient inférieures en 2013 à celles d’avant la crise dans dix États membres, notamment ceux qui doivent absolument améliorer leur système éducatif.

Réduire les inégalités sociales entre les familles avec enfants et investir dans l’accueil et l’éducation des jeunes enfants peut contribuer à la cohésion nationale et à la convergence à long terme au niveau de l’UE. Bien sûr, améliorer les chances de succès dans l’éducation de tous les enfants n’est pas juste une question d’argent ; cela nécessite également de réformer le système éducatif de nombreux États membres. En d’autres termes, une stratégie d’investissement social axée sur les enfants qui lutte contre l’inégalité des chances soutient un double objectif. Les gouvernements qui adoptent cette stratégie doivent être encouragés et avoir l’opportunité de tirer des enseignements de l’expérience d’autres gouvernements européens, tout en recevant le soutien concret de l’UE, notamment lorsqu’ils connaissent de graves difficultés budgétaires. Il faut plus de « solidarité dans la réforme ».

De plus en plus de décideurs réalisent qu’il faut promouvoir la solidarité au sein de l’Union européenne, comme en témoignent le récent rapport des cinq présidents sur l’avenir de la zone euro et la crise des réfugiés. La solidarité nécessite une confiance mutuelle; cette confiance est nécessaire en ce qui concerne la qualité du tissu social au sein des États membres. Elle est également en jeu dans le débat sur le dumping social. Pour que l’opinion publique européenne accepte la mobilité de la main d’œuvre et la migration, ces dernières doivent impérativement s’intégrer dans un ordre social régulé, et non pas compromettre cet ordre social. Concilier la mobilité et les quatre libertés, d’une part, avec la cohésion interne des États-providence nationaux et des relations entre les partenaires sociaux de l’autre, est un enjeu complexe mais pas insurmontable. Cet « équili-brage » devrait figurer parmi les priorités de l’UE.

En bref, le rôle de l’UE dans la politique sociale peut être résumé comme suit. L’UE devrait proposer un cadre qui concilie l’ouverture et la mobilité avec la cohésion sociale interne ; elle devrait soutenir les États-providence nationaux au niveau systémique dans certaines de leurs fonctions clés ; elle devrait orienter le développement substantiel des États-providences nationaux en définissant des normes et des objectifs sociaux généraux, mais laisser les États membres choisir les méthodes et les moyens.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

1. Une approche européenne des inégalités sociales : deux perspectives sur la solidarité 5

2. Convergence, bien-être et égalité :

comment définir une Europe du « triple A social » ? 7

3. Revenus médians et pauvreté monétaire relative 9

4. Pauvreté monétaire, retraites et transferts sociaux autres que les retraites 12

5. Les ménages « riches en emploi et pauvres en emploi » dans l’UE et la nature changeante de l’emploi 16

6. L’écart en termes de capital humain 20

7. La santé, les soins de santé et l’environnement 28

8. Des trains de mesures « à double usage » pour

la convergence et la cohésion et le rôle de l’UE 30

9. Solidarité et confiance mutuelle 32

10. Envoi 33

Références 34

Remerciements 35

Sur le même thème 36

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

INTRODUCTION

e rapport porte sur les inégalités au sein des États membres de l’UE et entre eux. Il ne récapitule pas toutes les fonctions de l’État-providence. Les États-providence organisent non seulement la redistribu-

tion des plus riches vers les plus pauvres, mais sont également des « tirelires » qui permettent aux citoyens de se protéger contre les difficultés sociales et de répartir leurs revenus de façon plus sûre tout au long de leur vie. Ils ont également une fonction d’investissement social, l’État investissant dans le capital humain et social du pays.1 Toutefois, comme nous le soulignons dans ce rapport, la réduction des inégalités nécessite un juste équilibre entre la fonction redistributive, la fonction « tirelire » et la fonction d’investissement social.

LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS NÉCESSITE UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE LA FONCTION REDISTRIBUTIVE, LA FONCTION TIRELIRE ET LA FONCTION D’INVESTISSEMENT SOCIAL”

Nous ne reproduirons pas les analyses existantes sur l’ampleur et les causes des inégalités, pour lesquelles nous invitons le lecteur à consulter

la série impressionnante de publications de l’OCDE, de la Commission euro-péenne et d’universitaires. Le rapport annuel de la Fondation Bertelsmann

sur la justice sociale dans l’UE (Social Justice in the EU – Index Report2), qui définit une approche multidimensionnelle de la justice sociale et souligne la

diversité des contextes nationaux, vient également compléter le présent rapport. Nous nous concentrons, par choix, sur les observations et arguments qui nous

semblent particulièrement importants pour adopter une véritable perspective européenne sur les inégalités sociales. Par exemple, la partie analytique de ce rapport souligne la nécessité de prendre en compte deux perspectives : l’une sur les inégalités au sein des États membres et l’autre sur les iné-galités entre eux. Le fait qu’il n’y ait pas d’explication unique à l’accroissement des inégalités dans l’UE a deux conséquences. Premièrement, il n’existe pas de solution miracle pour lutter contre les inégalités croissantes ; il faut un ensemble de stratégies et d’instruments complémentaires. Deuxièmement, les États membres sont confrontés à des enjeux et des risques communs, mais les mesures politiques européennes doivent être adap-tées au contexte régional et national. Par ailleurs, l’Union européenne a besoin d’un sens de l’intérêt et d’un cadre stratégique communs en soutien des politiques sociales régionales et nationales.3 La question straté-gique qui sous-tend ce rapport peut être résumée comme suit : Comment peut-on créer un cercle vertueux au sein duquel la cohésion paneuropéenne et la cohésion nationale se renforcent ?

La structure de ce rapport est la suivante. Dans la prochaine section, nous soulignons que la solidarité doit être envisagée selon deux perspectives : l’une paneuropéenne et l’autre nationale. Dans la troisième section, nous proposons un cadre afin de définir la notion de triple A social lancée par le président de la Commission européenne et ajoutons quelques considérations normatives. Dans la quatrième section, nous illustrons ce cadre par des données sommaires sur les revenus médians et la pauvreté monétaire. Dans les sections cinq et six, nous examinons plus en profondeur les données sur la pauvreté monétaire et les relions au défi des retraites4 et à l’emploi. Dans la section sept, nous ajoutons l’éducation et les compétences à notre cadre. Dans la section huit, nous indiquons des données sur d’autres dimensions du bien-être (la santé et l’environnement) sans nous étendre sur ces dernières. Dans la section neuf, nous soulignons que les trains de mesures doivent et peuvent contribuer à la convergence positive et à la stabilité dans l’UE, ainsi qu’à la cohésion accrue au sein des États membres. Dans la section dix, nous évoquons la solidarité, la confiance et la nécessité de concilier ouverture et cohésion nationale. Dans la section finale, nous proposons une conclusion.

1. Voir Begg, Mushövel et Niblett (2015). 2. Voir Schraad-Tischler (2015). 3. La nécessité d’un cadre stratégique et d’un sens de l’intérêt communs est examinée dans Vandenbroucke et Vanhercke (2014) et Friends of Europe (2015).4. Le défi des retraites est également évoqué dans Hüttl, Wilson et Wolff (2015).

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

1. Une approche européenne des inégalités sociales : deux perspectives sur la solidarité

Ces dernières années, l’inégalité est devenue un sujet brûlant dans les débats publics. Un nombre impression-nant d’analyses ont été publiées par des organisations internationales telles que l’OCDE, par la Commission européenne et par des universitaires.5 Notre objectif n’est pas de reproduire les analyses existantes. Au lieu de simplement récapituler ce qui a été dit ailleurs, nous souhaitons développer une véritable approche euro-péenne du problème des inégalités sociales.

LA POURSUITE SIMULTANÉE DU PROGRÈS ÉCONOMIQUE, DU PROGRÈS SOCIAL ET DE LA COHÉSION, TANT AU SEIN DES PAYS QU’ENTRE EUX”

Une approche européenne implique de dépasser une perspective pure-ment nationale sur l’inégalité, où seules les inégalités entre les citoyens

d’un même pays sont prises en compte. Compte tenu de l’importance crois-sante de la migration et de la mobilité, entretenir une perception purement

« nationale » de la justice sociale est de plus en plus anachronique dans l’Eu-rope d’aujourd’hui. Une telle perspective ignore également les objectifs fonda-

mentaux qui font partie intégrante du projet européen depuis le traité de Rome de 1957 : la poursuite simultanée du progrès économique, d’une part, et du

progrès social et de la cohésion de l’autre, tant au sein des pays (dans le cadre du développement progressif des États-providence) qu’entre eux (dans le cadre de la convergence ascendante dans l’Union). Selon nous, il faut non seulement renouer avec cette vieille ambition, mais également repenser le rôle que les États-providence nationaux et l’UE doivent jouer pour réaliser cette ambition.

Les pères fondateurs du projet européen (qui ont préparé le traité de Rome) ont pensé de façon optimiste que la cohésion croissante au sein des pays et entre eux pourrait être obtenue grâce à la coopération écono-mique supranationale, ainsi que certains instruments spéciaux en vue d’élever le niveau de vie dans les États membres (qui ont été réunis ultérieurement au sein de la politique de cohésion « économique, sociale et territo-riale »). L’intégration économique devait s’organiser au niveau européen, stimuler la croissance économique et créer une convergence ascendante ; les politiques sociales internes devaient redistribuer les fruits du progrès économique, tout en demeurant une prérogative nationale. La dimension sociale spécifique de l’UE se limite-rait, en substance, à la coordination des droits à la sécurité sociale des citoyens mobiles et au développement progressif d’un ensemble (impressionnant) de lois anti-discrimination. Il est vrai qu’après 60 ans d’évolution fragmentée, l’acquis social européen couvre d’autres grands domaines stratégiques qui ont été transposés de l’échelon national à l’échelon européen, tels que les normes de santé et sécurité au travail. Cependant, les politiques redistributives, les politiques éducatives et le développement de la sécurité sociale sont restés (du moins en théorie) solidement ancrés au niveau national.

Avec le recul (et selon une interprétation légèrement bienveillante), on pourrait dire que les pères fondateurs du projet européen ont créé deux perspectives sur la solidarité : l’une paneuropéenne et l’autre nationale. Comment analyser cette double perspective ?

Les pères fondateurs souhaitaient un accroissement de la convergence économique et de la cohésion au niveau européen. Ils souhaitaient également donner à chaque européen le droit d’améliorer sa propre vie en travail-lant dans un État membre autre que celui dont il était ressortissant, sans discrimination liée à la nationalité. Progressivement, les patients ont acquis le droit de recevoir, dans certaines conditions, des soins médicaux dans d’autres États membres que leur pays de résidence. Le terme de « solidarité » n’est peut-être pas une description adéquate de l’objectif des pères fondateurs. Leur approche n’était pas « redistributive » et il ne s’agissait pas non plus d’une assurance mutuelle contre les risques ; historiquement, l’objectif était surtout d’offrir un accès équitable à des opportunités : des opportunités d’investissement et commerciales pour les

5. Voir par exemple OCDE (2008), OCDE (2011), OCDE (2015), Commission européenne (2015) et les rapports de la Commission sur l’emploi et le développement social EDSC (2012), EDSC (2014), EDSC (2015), Conseil de l’Europe (2013), Salverda et al. (2014), Oxfam (2015) et Atkinson (2015).

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

pays adhérant à l’UE et des opportunités personnelles pour tous leurs citoyens souhaitant ou devant être mobiles. On peut également considérer que , en vue d’une plus grande cohésion, leur approche était motivée par l’inclusion à l’échelon paneuropéen. Toutefois, de récents développements (ceux liés à l’unification moné-taire (le besoin de stabilisation) d’une part, et à la migration internationale (la crise des réfugiés) de l’autre obligent l’Union à adopter une notion classique de solidarité pour faire face aux risques communs. Le régime politique qui a été conçu, au départ, comme une « structure des opportunités », motivée par l’objectif de cohé-sion croissante, a besoin d’une assurance mutuelle et d’une véritable solidarité.

La solidarité au sein des États-providence nationaux est bien définie. Elle désigne l’assurance sociale, la redis-tribution des revenus et l’équilibre des droits et obligations sociaux. Comme mentionné précédemment, les pères fondateurs ne pensaient pas, vu sous cet angle, que l’intégration diminuerait le potentiel de solidarité nationale. Au contraire, ils étaient convaincus que les acteurs et institutions de l’État-providence redistribue-raient les fruits de l’intégration économique, c.-à-d. plus de croissance économique, équitablement au sein des États membres, conformément aux préférences sociales de chaque État.

Nous proposons de considérer cette double perspective sur la solidarité (nationale et paneuro-péenne), qui est la conséquence logique des évolutions entamées il y a plus de 60 ans, comme une caractéristique normative essentielle du « modèle social européen ». Le modèle social européen n’est pas une simple description sommaire d’un ensemble de modèles sociaux nationaux co-exis-tants ; il décrit également la façon dont ces États-providence nationaux interagissent (ou sont cen-sés interagir) les uns les autres en Europe.

Cette double perspective sur la solidarité est complexe par nature et a plusieurs facettes. Les élargissements consécutifs et l’unification monétaire ont rendu cette notion de solidarité encore plus complexe et exigeante. En effet, ce que certains considèrent comme « la dynamique de la convergence vers le haut » liée à l’élargisse-ment de l’UE est vue par d’autres comme du dumping social. Par ailleurs, l’unification monétaire nécessite des formes de solidarité qui étaient, jusqu’à présent, une zone interdite de la politique européenne, telles qu’un mécanisme européen de stabilisation et des transferts budgétaires.

DANS BEAUCOUP DE NOS PAYS, NOUS OBSERVONS DES INÉGALITÉS SOCIALES CROISSANTES ET UNE MÉFIANCE SOCIALE CONCOMITANTE”

Les développements factuels et la méfiance menacent désormais d’éroder la base même de la solidarité, tant nationale que paneuropéenne. Dans

beaucoup de nos pays, nous observons des inégalités sociales croissantes et une méfiance sociale concomitante. Entre les pays, la zone euro affiche l’exact

opposé de la convergence : une divergence croissante, qui sape la légitimité du projet européen. Nous risquons de nous retrouver piégés : alors que nous avons

absolument besoin de plus de solidarité européenne, nous sommes à une époque où il devient plus difficile de l’assurer. Ainsi, nous pourrions être pris dans un

cercle vicieux et non vertueux. Comment peut-on créer un cercle vertueux au sein duquel la cohésion paneuropéenne et la cohésion nationale se renforcent toutes deux ? C’est la principale question à laquelle tente de répondre cette contribution au Vision Europe Summit.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

2. Convergence, bien-être et égalité : comment définir une Europe du « triple A social » ?

Supposons, pour faire simple, que nous prenions uniquement en compte les revenus pour évaluer les inéga-lités sociales en Europe. L’inspiration des pères fondateurs du projet européen, comme décrite dans la sec-tion 1, pourrait alors être résumée comme suit : notre objectif est la poursuite simultanée de la convergence du revenu médian national vers des niveaux plus élevés entre les États membres, et de la convergence vers moins de pauvreté monétaire relative au sein des États membres.6

Certes, la prospérité et le bien-être vont bien au-delà du revenu, et la pauvreté monétaire relative n’est qu’un indicateur parmi un ensemble varié d’indicateurs d’inégalité bien connus. Il est important d’élargir le champ de notre analyse au-delà des indicateurs de revenu (a fortiori le PIB) si nous souhaitons réviser la notion d’un modèle social européen. Dans les sections 4 à 6, nous commencerons par analyser des données relatives au revenu, mais dans les sections suivantes, nous nous intéresserons à d’autres paramètres tels que l’éducation, les compétences, la santé et l’environnement dans lequel les citoyens vivent. L’indicateur d’évaluation de la réussite du modèle social européen devrait être défini en termes de niveaux globaux de bien-être que les États membres peuvent atteindre (mesurés au niveau des États membres) et des inégalités de bien-être au sein des États membres.7

Le président de la Commission européenne a émis l’idée que l’UE devrait être caractérisée par un triple A social.8 A ce jour, cette notion n’a pas été définie. Nous proposons le cadre suivant : l’Union mérite un triple A social si elle soutient activement la convergence vers le haut dans les dimensions impor-tantes du bien-être entre les États membres et la convergence vers moins d’inégalités dans les mêmes dimensions du bien-être au sein des États membres. Évidemment, il s’agit davantage d’un cadre pour conceptualiser une Europe du triple A social que d’une définition précise. Cela soulève des questions que nous ne pouvons examiner dans ce rapport pour des raisons d’espace, mais qui nécessitent une réflexion approfondie. Nous les évoquons brièvement dans la suite de cette section.

Alors que se tient aujourd’hui un important débat sur la nécessité d’aller « au-delà du PIB » et de mesurer le bien-être9, il existe également un débat de longue date sur la notion d’égalité qui pose la question suivante : sommes-nous en faveur de « l’égalité des chances » ou de « l’égalité des résultats » ? Les partisans de l’égalité des chances considèrent qu’il faut faire la distinction entre des circonstances pour lesquelles les individus ne peuvent être tenus responsables (par exemple leur situation familiale, leurs talents naturels) et des choix pour lesquels nous pouvons les tenir responsables (par exemple les efforts qu’ils font pour valoriser leurs talents). L’argumentaire philosophique en faveur de l’égalité des chances, tel qu’il est avancé par des auteurs comme Roemer et Trannoy (2013), est solide ; il ne s’agit pas d’une approche méritocratique superficielle, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas controversée.

Roemer et Trannoy (2013) soulignent également qu’il existe un écart important entre les pays européens concernant l’égalité des chances, qui n’est pas bien pris en compte par les statistiques habituelles sur les iné-galités des résultats. On observe, par exemple, une grande différence entre l’égalité des chances au Danemark et en Hongrie ; l’impact du niveau de scolarité de la famille sur les revenus ultérieurs d’un individu est bien plus fort en Hongrie qu’au Danemark.10 De plus, il semble plus facile de trouver un large consensus sur l’égalité des

6. Ce rapport ne nous permet pas d’approfondir sur ce « double » indicateur normatif et de le relier à un débat philosophique plus large sur la justice distributive internationale. Une autre approche normative consisterait à partir d’indicateurs paneuropéens qui s’appliquent directement (et pas uniquement) aux citoyens européens ; d’un point de vue philosophique, on pourrait envisager un seul objectif paneuropéen de pauvreté monétaire fondé sur un unique seuil de pauvreté paneuropéen. Le double indicateur que nous présentons ici pourrait alors être interprété comme une approche pragmatique d’un objectif paneuropéen de cette nature plus fondamental.

7. Cet énoncé est un point de départ et aurait besoin d’être approfondi. Il ne précise pas comment le bien-être global peut être assuré au niveau des États membres et si les différentes préférences des pays sont prises en compte ou non. Il faut souligner qu’il est possible de tenir compte de la répartition du bien-être dans le bien-être global, en donnant par exemple plus de poids aux plus démunis. Le deuxième volet de l’indicateur suppose également au préalable un consensus sur le poids accordé aux individus (dans l’évaluation des inégalités internes) et sur le traitement des différentes préférences individuelles. Ce rapport n’examinera pas la question de savoir si les deux dimensions de cet indicateur peuvent être réduites ou non à une seule dimension.

8. Discours du président Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen lors de son élection : « Je voudrais que l’Europe ait le «Triple A» social: le «Triple A» social est aussi important que le «Triple A» économique et financier », Strasbourg, 22 octobre 2014.

9. Voir Stiglitz, Sen et Fitoussi (2009), Fleurbaey et Blanchet (2013), l’initiative du « Vivre mieux » de l’OCDE; Hellström et al. (2015), Hämäläinen (2014).10. Voir Roemer et Trannoy (2013) pour plus de détails.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

LE MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN DEVRAIT PORTER SUR UNE VÉRITABLE ÉGALITÉ DES CHANCES ET UNE VÉRITABLE ÉGALITÉ DES RÉSULTATS”

chances (qui signifie que tout le monde devrait avoir les mêmes chances dans la vie, quelle que soit sa situation de départ) que sur l’égalité des

résultats. Par ailleurs, le passage à l’activation et à l’investissement social dans la politique sociale effectué au cours des 20 dernières années est lié à

un recalibrage normatif, qui met l’accent sur les chances dans la vie et non sur les résultats « ici et maintenant » (Hemerijck 2014). Enfin, comme souligné

dans la section 2, historiquement, « l’espace social » paneuropéen a été conçu comme une structure des opportunités pour les personnes mobiles ; il ne s’agis-

sait pas de la redistribution des résultats. Tout cela signifie que que la véritable égalité des chances a beaucoup d’attrait si nous définissons des indicateurs normatifs pour le modèle social européen : l’égalité des chances ne peut pas être facilement reléguée au rang de notion « en retrait » par rap-port à une conception européenne traditionnelle de l’égalité sociale. Cependant, aussi bien l’OCDE (2015) qu’Atkinson (2015) soulignent qu’il n’est pas simple d’opérer une distinction entre les chances et les résultats. « Les grandes inégalités de revenus des parents ont tendance à se traduire par de grandes inégalités affectant les chances dans la vie de leurs enfants. Il sera très difficile de renforcer l’égalité des chances sans réduire les inégalités croissantes du point de vue des résultats ». 11 Par une simple décomposition algébrique, Lefranc, Pistolesi et Trannoy (2007) démontrent que l’évolution de « l’inégalité des possibilités de revenus » peut être considérée comme le produit de l’évolution de l’élasticité intergénérationnelle des revenus (qui représente la transmission des inégalités des parents à leurs enfants) d’une part, et l’évolution de l’inégalité des revenus des parents de l’autre. Cela soulève d’importantes questions normatives auxquelles nous ne pouvons répondre dans le présent rapport, mais la conclusion pratique semble être que le modèle social européen devrait porter sur une véritable égalité des chances, appuyée par une égalité des résultats effective.

La question suivante concerne la tension potentielle entre la diversité légitime des États-providence dans l’UE (légitime car elle correspond aux différentes histoires et préférences nationales) et l’objectif de convergence qui, selon nous, fait partie intégrante du projet européen. La convergence que nous préconisons porte sur les résultats et les opportunités. Elle ne concerne pas (en principe) les méthodes et les moyens d’obtenir ces résul-tats et opportunités : la subsidiarité demeure un principe important. Toutefois, il existe une limite à la diversité institutionnelle qui peut être gérée dans l’UE si notre objectif est la convergence (Vandenbroucke 2015a, b).

Une autre question difficile concerne la responsabilité démocratique. Traditionnellement, les gouvernements nationaux des États-nations pouvaient être considérés comme responsables de la performance de leurs États-providence et du bien-être de leurs citoyens. Aujourd’hui, il est moins simple de déterminer où se situe la responsabilité démocratique : dans de nombreux pays européens, les régions (ou les municipalités locales) assument d’importantes responsabilités et ont un fort impact sur le bien-être des individus et la performance de l’État-providence en général. Dans un pays comme la Belgique, par exemple, la responsabilité de la perfor-mance de l’État-providence ne peut pas être attribuée de manière unilatérale au gouvernement fédéral ou aux gouvernements régionaux : ils partagent tous cette responsabilité. Le rôle de « soutien actif » que nous envisa-geons pour l’UE rend la situation encore plus complexe : d’un côté, on ne peut tenir l’Union responsable de tout ce qui ne va pas dans les États membres au niveau social ; de l’autre, si le triple A social est l’ambition affichée de l’Union, elle ne peut pas se dédouaner de ses responsabilités concernant les résultats finaux. Le partage des responsabilités rend la question de la responsabilité démocratique complexe. Toutefois, il est impossible de revenir au « bon vieux temps » de la souveraineté nationale et de la simple conception de la responsabilité démocratique qui allait avec.

11. OCDE (2015), p.27.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

3. Revenus médians et pauvreté monétaire relativeEst-ce que nous attribuerions un triple A social à l’UE d’aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, nous nous concentrons dans un premier temps sur l’indicateur le plus traditionnel de « résultat » : les revenus moné-taires. Dans la figure 1, nous examinons à la fois l’évolution du revenu médian des États membres et l’évolution de la répartition des revenus au sein des États membres.

FIGURE 1 Variation du revenu médian réel et variation en points de pourcentage de la pauvreté (avec seuil variable), SILC 2008–SILC 2013

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Le revenu médian a diminué La pauvreté relative a augmenté

Le revenu médian a augmenté La pauvreté relative a diminué

Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_di03] et [ilc_li02], calculs des auteurs.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE, NOUS SOMMES LOIN D’UN SCÉNARIO DE TRIPLE A SOCIAL”

Sur l’axe horizontal de la figure 1, nous indiquons le taux de croissance (ou de réduction) du revenu médian réel entre 2007 et 2012 ;12 sur l’axe ver-

tical, nous indiquons la variation en points de pourcentage du taux de risque de pauvreté entre 2007 et 2012. Le taux de pauvreté mesure la part des per-

sonnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté national ; nous appliquons un seuil de pauvreté variable (60 % des revenus médians de 2007 pour mesurer

la pauvreté en 2007 ; 60 % des revenus médians de 2012 pour mesurer la pau-vreté en 2012). Ainsi, le quadrant nord-est du graphique correspond aux pays dont

les revenus médians ont augmenté en termes réels, mais dont la répartition des revenus s’est détériorée dans la moitié inférieure, par ex. la Suède et la Slovaquie. Le quadrant sud-ouest indique les pays dont les revenus médians ont diminué en termes réels, mais dont la répartition des revenus s’est améliorée dans la moitié infé-rieure, comme c’est le cas au Royaume-Uni, en Irlande et en Roumanie. La Grèce, située dans le quadrant nord-ouest, a connu à la fois une baisse considérable des revenus médians et une détérioration de la réparti-tion des revenus. Très peu de pays se trouvent dans le quadrant sud-est, où les revenus médians ont augmenté en termes réels et la pauvreté relative a diminué. La tendance observée à la figure 1 reflète bien évidemment la crise, notamment au sein de la zone euro ; si l’on examinait une période plus longue, par exemple depuis 2004, la situation concernant la progression des revenus médians serait plus favorable dans certains pays. Toutefois, depuis le début de la crise, nous sommes loin d’un scénario de triple A social.

Nous nous concentrons désormais sur un seul indicateur qui illustre à la progression des revenus et la répar-tition des revenus ; ainsi, nous examinons, aussi bien pour 2007 que pour 2012, la proportion des individus vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian des ménages en 2007.13 Pour 2007, il s’agit simplement du taux de risque de pauvreté conventionnel. Appliqué à 2012, cet indicateur est appelé « taux de risque de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps », car le seuil de pauvreté reste à son niveau de 2007, corrigé par le taux d’inflation. Le taux de risque de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps reflète l’impact combiné de la progression des revenus et l’évolution de la répartition des revenus. Si tous les revenus diminuent (augmentent) au même rythme, et que la répartition relative des revenus demeure inchangée, le taux de risque de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps augmente (diminue) : en 2012, plus (moins) de personnes auront un revenu inférieur (supérieur) au seuil de pauvreté de 2007. Si les revenus médians restent inchangés, mais que la répartition des revenus se détériore (s’améliore) en bas de l’échelle, le taux de risque de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps augmente (diminue). Concrètement, nous observons un mix de ces scénarios. La figure 2 compare les taux de risque de pauvreté conventionnels en 2007 aux taux de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps pour 2012. Les pays sont classés de gauche à droite par leurs taux de pauvreté de 2007.

Entre 2007 et 2012, le taux de risque de pauvreté par rapport à un moment donné dans le temps a augmenté dans la plupart des pays européens14, avec des hausses considérables en Grèce (qui est passée d’un taux de pauvreté de 20,1 % en 2007 à un taux de pauvreté par rapport à 2007 de 44,3 % en 2012), en Irlande (hausse de 9,9 points de pourcentage), à Chypre, en Lettonie et en Italie. Il a également augmenté dans des pays que nous considérons comme prospères, tels que l’Allemagne (hausse de 1,6 %). Il a considérablement diminué en Pologne et de façon plus modérée en Slovaquie, en Roumanie, en Bulgarie, en Suède, en Finlande, en Belgique et en Autriche.

La tendance observée à la figure 2 illustre une divergence marquée entre les pays, qui est due essentiellement à ce qui s’est passé dans la zone euro.15 En dépit de quelques exceptions notables (la Pologne, mais également la Slovaquie), la « machine de convergence » européenne tant acclamée par le passé a cessé de fonctionner.

12. Nous utilisons le revenu médian comme version courte du « revenu net disponible équivalent des ménages », tel qu’il est enregistré dans les statistiques communautaires sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC). Cet indicateur concerne les individus et prend en compte les impôts et les transferts sociaux, ainsi que la taille et la composition du ménage dans lequel vit l’individu. Les revenus perçus en 2004 sont enregistrés dans EU-SILC 2005 et les revenus perçus en 2012 sont enregistrés dans EU-SILC 2013 (sauf pour le Royaume-Uni et l’Irlande : pour ces pays, nous comparons les revenus perçus en 2005 aux revenus perçus en 2013). Les hausses des revenus nominaux sont corrigées par le taux d’inflation.

13. Le revenu médian est corrigé par le taux d’inflation entre 2007 et 2012. Nous utilisons les statistiques EU-SILC 2008 et 2013 pour cette comparaison ; pour le Royaume-Uni et l’Irlande, nous comparons 2008 et 2013, pour les autres pays 2007 et 2012.

14. Comme souligné, à l’exception de l’Irlande et du Royaume-Uni, les statistiques EU-SILC 2008 et 2013 correspondent aux revenus en 2007 et 2012. 15. Si nous devions analyser uniquement les pays non membres de la zone euro, nous pourrions observer une très faible tendance à la convergence dans ce petit sous-groupe de pays.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

FIGURE 2 Taux de risque de pauvreté (TRP) ancré dans le temps1, SILC 2008–SILC 2013

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Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_li22b] et [ilc_li02]. 1. Le taux de risque de pauvreté est défini comme la part des personnes vivant dans des ménages ayant un revenu net disponible équivalent inférieur à 60 % du revenu net disponible

équivalent médian. Les taux de risque de pauvreté SILC 2013 (seuil SILC 2008) correspondent aux taux de pauvreté ancré dans le temps. Les données concernent la population totale.

L’une des conséquences des observations faites à la figure 2 est que la privation matérielle sévère,16 une mesure « absolue » standard de la pauvreté, a diminué en Pologne, en Slovaquie et en Suède (elle était déjà très basse dans ce dernier), tandis qu’elle a considérablement augmenté en Irlande et au Royaume-Uni, et de façon dra-matique en Grèce. Dans l’ensemble de l’UE15, la privation matérielle sévère a été plus importante en 2012 qu’en 2007, une régression probablement sans précédent dans l’histoire du projet européen ;17 dans les nou-veaux États membres, la privation matérielle sévère a baissé par rapport à son niveau initialement élevé, la croissance économique (notamment en Pologne) empêchant des effets néfastes sur la répartition relative des revenus dans certains nouveaux États membres. En moyenne, dans l’ensemble de l’UE27, la privation maté-rielle sévère a été légèrement plus élevée en 2012 qu’en 2007. Hüttl, Wilson et Wolff (2015) fournissent des données sur l’écart intergénérationnel concernant l’évolution de la privation matérielle.

La privation matérielle sévère, les taux de pauvreté ancrés dans le temps et les taux de pauvreté aux seuils variables donnent des indications contradictoires sur l’évolution de nos sociétés. Il faut donc tous les prendre en considération. La perspective liée au temps est importante dans ce cas. A court et moyen terme, la priva-tion matérielle et le taux de pauvreté ancré dans le temps fournissent la meilleure indication de la pression sociale subie par les sociétés. Sur le long terme, le taux de pauvreté ancré dans le temps devient un indicateur anachronique dans les économies en croissance, de plus en plus d’individus touchant des revenus au-dessus du seuil de pauvreté ancré dans le temps. Sur le très long terme, la privation matérielle, telle que nous la mesu-rons, devient un indicateur du développement technologique et économique des sociétés, plutôt qu’un indica-teur de la justice sociale dans ces dernières.18

Ainsi, des indicateurs relatifs d’inégalité tels que les taux de pauvreté aux seuils variables, les coefficients de Gini ou la répartition par quintile sont essentiels pour déterminer l’évolution de la justice sociale dans nos sociétés, notamment à moyen et long terme. Dans la section suivante, nous examinons l’évolution de la pau-vreté à l’aide d’un seuil de pauvreté variable, c.-à-d. que nous nous concentrons sur la position relative des individus situés en bas de l’échelle de la répartition des revenus.

16. La privation matérielle sévère désigne une situation de difficulté économique durable définie comme l’incapacité forcée à couvrir au moins quatre des neuf éléments suivants : i) loyer, hypothèque ou factures d’électricité/d’eau/de gaz; ii) le chauffage adapté du logement; iii) des dépenses imprévues; iv) un repas avec viande, volaille ou poisson un jour sur deux; v) une semaine de vacances; vi) un téléviseur; vii) un lave-linge; viii) une voiture; ix) un téléphone.

17. Ce jugement ne peut être qu’intuitif car nous ne disposons pas de statistiques comparables pour les années précédentes ; de plus, l’UE des années 1980 n’était pas l’UE des années 2000. Toutefois, il semble peu probable que de telles hausses simultanées et de grande ampleur de la privation matérielle se soient produites auparavant dans les pays constituant les communautés européennes ou, plus tard, l’UE.

18. Et ce du fait que les indicateurs de la privation matérielle sont restés inchangés.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

4. Pauvreté monétaire, retraites et transferts sociaux autres que les retraites

Les taux de pauvreté des figures 1 et 2 concernent toute la population. Dans la figure 3, en revanche, nous indiquons les taux de risque de pauvreté conventionnels pour les groupes de la population autres que les personnes âgées, c.-à-d. les personnes de moins de 65 ans en 2007 et 2012, en utilisant un seuil de pauvreté variable.

FIGURE 3 Taux de risque de pauvreté (TRP), avec seuil variable, SILC 2008-SILC 20131, personnes de moins de 65 ans

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Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_li02]. 1. Taux de risque de pauvreté avec seuil variable fixé à 60 % du revenu net disponible équivalent médian. Données pour les personnes de moins de 65 ans.

La figure 3 indique que la plupart des pays ont connu une hausse de la pauvreté chez les moins de 65 ans (en moyenne, la tendance est à la hausse), tandis que le bilan concernant la pauvreté dans toute la population est plus mitigé. Pour les moins de 65 ans, le taux de risque de pauvreté a augmenté dans pas moins de 18 États membres, est resté relativement stable dans 7 États membres et n’a diminué de manière significative qu’en Finlande et au Royaume-Uni. Le bilan concernant la pauvreté dans toute la population est plus mitigé car la pauvreté des personnes âgées a considérablement diminué dans plusieurs pays. Entre 2004 et 2006, en moyenne, la pauvreté des personnes âgées dans l’UE15 était supérieure d’environ 4 points de pourcentage à celle des moins de 65 ans ; en 2012, la situation avait complètement changé : la pauvreté des moins de 65 ans était supérieure de 3,3 points de pourcentage à celle des personnes âgées. Dans les nouveaux États membres, la situation initiale était différente : la pauvreté des personnes âgées était inférieure à celle des moins de 65 ans entre 2004 et 2006 ; l’écart entre les taux de pauvreté des moins de 65 ans et des personnes âgées s’est réduit, mais s’est ensuite recreusé après la crise de telle sorte qu’aujourd’hui, il est même plus grand qu’en 2004-2006.19

Ce revirement notable concernant les risques relatifs de pauvreté des personnes âgées et des moins de 65 ans s’explique à la fois par des tendances sociologiques à long terme (comme l’augmentation du nombre de ménages à double revenu et le nombre croissant de femmes retraitées avec des antécédents professionnels considérables, qui ont progressivement réduit la pauvreté des personnes âgées) et par l’impact à court terme de la crise économique. Du point de vue des individus, les retraites constituent un « stabilisateur automa-tique » bien plus solide durant les périodes de crise économique que l’assurance-chômage. Les retraites ont été relativement protégées pendant la crise ; l’assurance-chômage, en revanche, est lacunaire dans plusieurs pays, notamment dans les pays qui ont été durement touchés par la crise, comme l’Italie et l’Espagne. De plus,

19. Dans ce paragraphe, les personnes âgées correspondent aux individus de plus de 65 ans ; les autres groupes de la population sont les personnes de moins de 65 ans. La moyenne au cours de la période 2004-2006 est une moyenne pondérée des données enregistrées dans EU-SILC 2005-2007.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

dans le cadre des politiques d’austérité, certains pays ont dû stopper leurs stabilisateurs automatiques (trop) rapidement et ont été contraints de prendre des mesures qui ont peut-être eu moins d’effets sur les retraites que sur d’autres revenus.20 De fait, dans une perspective keynésienne à court terme, la stabilité relative des retraites n’a pas forcément été une mauvaise chose ; le problème a davantage été lié à l’effet de stabilisation limité des prestations versées à la population en âge de travailler dans plusieurs pays (Dolls et al. 2012). Au niveau économique, les dépenses de retraite ont agi comme un tampon à court terme, bien que peu efficace. Toutefois, du point de vue social, il existe une tension entre le besoin à long terme de réduire le poids structu-rel des retraites dans certains États-providence (comme la Grèce) et l’observation à court terme selon laquelle les enfants sont protégés dans une large mesure contre la pauvreté par les retraites de ces États-providence, compte tenu du modèle familial élargi (Diris et al. 2014). Ainsi, la transition d’un État-providence aux lourds régimes de retraite à un État-providence qui offre une protection adaptée aux familles en âge de travailler et aux enfants nécessite un examen approfondi : dans des pays comme la Grèce, les gouvernements doivent créer un nouvel État-providence, doté de nouveaux systèmes de transferts sociaux adaptés aux familles en âge de travailler et aux enfants, tout en réduisant le poids des retraites de l’ancien État-providence.

LA RÉFORME DES RETRAITES DEVRAIT REPOSER SUR UNE NOTION D’ÉQUITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE”

Sur le long terme, la réforme des retraites devrait reposer sur une notion d’équité intergénérationnelle, conformément à la règle dite

de Musgrave. En version simplifiée,21 cela signifie que le rapport cotisations-prestations (le rapport entre les revenus moyens de

retraite et les revenus moyens de la population active) devrait être stabilisé à un niveau cible. En d’autres termes, les systèmes de retraite

devraient être guidés par22 un principe d’« ambition définie » concernant la répartition des revenus entre les retraités et les non-retraités (par rapport aux

principes de « cotisations définies » ou de « prestations définies », qui placent le poids de l’ajustement, de manière unilatérale, sur les futurs retraités ou la future

population active en période de changements démographiques). Ce principe d’« ambition définie » est absent de la réforme des retraites dans la plupart des États membres de l’UE. Dans certains pays, les rapports coti-sations-prestations devraient diminuer considérablement sur le long terme, ce qui signifie que les jeunes d’au-jourd’hui profiteront de systèmes de retraite moins performants que les retraités d’aujourd’hui ; cela est démontré dans Hüttl, Wilson et Wolff (2015). A partir d’hypothèses réalistes sur de futurs développements, l’« ambition définie » ne peut être réalisée que si les carrières professionnelles deviennent plus longues.23 Nous reviendrons brièvement sur cette question dans la section suivante.

Nous nous intéressons désormais à l’évolution des transferts sociaux autres que les retraites (ou « transferts sociaux » pour faire court). La figure 4 indique l’évolution d’un indicateur souvent appelé « réduction de la pau-vreté par les transferts sociaux », qui équivaut à la différence entre un « taux de pauvreté après transferts sociaux » et un « taux de pauvreté avant transferts sociaux ». Le taux de pauvreté après transferts sociaux cor-respond au taux de risque de pauvreté pouvant être observé dans la réalité ; le taux de pauvreté avant trans-ferts sociaux est un indicateur théorique, fondé sur une manipulation des données dans le cadre de laquelle les transferts sociaux autres que les retraites ne sont pas pris en compte dans les revenus des ménages enregistrés dans l’enquête. Cet indicateur théorique doit être interprété avec prudence (Vandenbroucke et al. 2013) ; au lieu d’indiquer le niveau de pauvreté qui serait obtenu s’il n’y avait pas de transferts sociaux, il indique de façon mécanique le « travail accompli » par les transferts sociaux autres que les retraites pour réduire la pauvreté. Toutefois, il suffit de réunir les valeurs et les changements au fil du temps dans cet indi-cateur, comme nous le faisons à la figure 4, pour illustrer les difficultés auxquelles sont confrontés les États-providence européens.

20. Notre interprétation est également influencée par les statistiques que nous utilisons pour mesurer la pauvreté. Ces indicateurs tiennent uniquement compte du revenu ; ils ne sont pas affectés par les hausses des impôts indirects, des tarifs des services, etc.

21. Traduire la règle de Musgrave en un rapport cotisations-prestations stable est une simplification pour plusieurs raisons. Elle ne tient pas compte des changements (sociodémographiques) structurels au niveau de la population de retraités, qui pourraient nécessiter des ajustements du rapport cotisations-prestations. De même, la règle de Musgrave ne détermine pas, en soi, le choix d’une politique de retraite ; des jugements normatifs sur le compromis optimal entre loisirs et consommation et le degré souhaitable de lissage de la consommation contribuent également à choisir une politique de retraite. La commission belge sur la réforme des pensions 2020-2040 a proposé une profonde réforme des retraites pour la Belgique, fondée sur la règle de Musgrave. L’annexe 1.4 du rapport de la commission présente une formule algébrique et traduit ce principe en un « système de points », voir le site des pensions néerlandais et le site belge.

22. L’expression « guidé par » est délibérément vague. On pourrait envisager des mécanismes d’ajustement qui soient intégrés aux systèmes de retraite pour les maintenir « sur la voie » (de l’ambition définie), quels que soient les changements économiques et démographiques structurels au sein des sociétés.

23. Il s’agit d’une condition nécessaire, mais peut-être pas suffisante. Un financement additionnel qui ne dépende pas des revenus professionnels pourrait être nécessaire, cf. l’annexe 1.4 de la commission belge sur la réforme des pensions.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

FIGURE 4 Réduction de la pauvreté par les transferts sociaux autres que les retraites : SILC 2013 par rapport à la moyenne SILC 2005-2007

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Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_li02] et [ilc_li10], calculs des auteurs. 1. La réduction de la pauvreté correspond à la différence entre le taux de risque de pauvreté et le taux de risque de pauvreté avant transferts sociaux (autres que les

retraites). Pour le début de la période (barres à gauche), nous utilisons la valeur moyenne des données enregistrées dans SILC 2005, SILC 2006 et SILC 2007.

Nous comparons la valeur de la « réduction de la pauvreté par les transferts sociaux » sur la période 2004-2006 à la valeur de la « réduction de la pauvreté par les transferts sociaux » en 2012.24 Durant cette période, la valeur moyenne de la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux dans les États membres de l’UE a été stable ; la tendance observée à la figure 4 est celle d’une convergence qui n’est ni ascendante, ni descendante. Quand la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux était supérieure à la moyenne, elle a diminué (sauf pour l’Irlande, le Royaume-Uni et le Luxembourg) ; quand elle était inférieure à la moyenne, elle a augmenté (sauf pour la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie).

Il faut souligner qu’un niveau élevé de réduction de la pauvreté par les transferts sociaux n’est pas « une bonne chose » en soi : un niveau élevé d’emploi, avec un accès équitable à des emplois décents, et un faible niveau de réduction de la pauvreté par les transferts sociaux peut être préférable (et créer moins de pauvreté après transferts sociaux) à la situation inverse où le chômage élevé entraîne un niveau élevé de pauvreté avant trans-ferts sociaux et des transferts sociaux considérables. Si la pauvreté avant transferts sociaux diminue à mesure que l’emploi augmente, une baisse de la « réduction de la pauvreté par les transferts sociaux » n’indique pas forcément une capacité réduite à lutter contre la pauvreté (Vandenbroucke et Diris 2014). Quand la pauvreté après transferts sociaux et la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux diminuent en même temps, il peut s’agir d’un mécanisme d’ajustement « endogène » normal d’un État-providence performant, où l’emploi augmente et/ou les inégalités de revenus avant transferts sociaux diminuent. Cependant, ce scénario favorable ne correspond pas à ce qui s’est passé dans plusieurs pays. En Belgique, en France, en Autriche, en Allemagne, en Suède, en Slovaquie, au Danemark et en Slovénie, la pauvreté après transferts sociaux a augmenté chez les personnes de moins de 65 ans, tandis que la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux autres que les retraites a diminué. Cette évolution parallèle souligne un affaiblissement inquiétant de la capacité redistribu-tive de ces États-providence. Nous approfondissons cette question dans la section 5, mais revenons dans un premier temps à la tendance générale observée à la figure 4.

24. Nous prenons la valeur moyenne EU-SILC 2005-2007 (qui correspond à 2004-2006), et non 2007 comme dans les précédents graphiques, car nous souhaitons couvrir une période légèrement plus longue. Étant donné que pour certains pays, les résultats EU-SILC pour ces années induisent des changements au niveau des indicateurs qui sont difficiles à expliquer (en plus de l’instabilité de l’enquête elle-même) et que pour certains pays, les statistiques EU-SILC ne commencent qu’en 2006 ou 2007, nous utilisons des valeurs moyennes pour le début de cette période. Comme souligné précédemment, pour le Royaume-Uni et l’Irlande, les années EU-SILC correspondent aux années auxquelles les revenus ont été perçus.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

Avant la crise, la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux a été, en moyenne, relativement élevée dans les pays à l’ouest et au nord de l’Europe (la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Autriche et la Belgique, par exemple), ainsi qu’en Europe anglo-saxonne (Irlande et Royaume-Uni) ; elle a été très faible dans les pays au sud de la zone euro (la Grèce, l’Italie, l’Espagne, Chypre et le Portugal), qui ont de lourds régimes de retraite et des systèmes de protection sociale lacunaires pour les familles en âge de travailler et les enfants. Concernant la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux autres que les retraites, les nouveaux États membres ont été et demeurent très hétérogènes ; en moyenne, ils se situent entre le groupe de pays à l’ouest et au nord de l’Europe et les pays au sud de la zone euro. Durant la crise, la réduction de la pauvreté a augmenté dans les pays au sud de la zone euro, mais de façon modérée (sauf pour l’Espagne, où l’augmentation a été considé-rable) ; l’effet de « stabilisation automatique » que l’on pourrait attendre des transferts sociaux dans une crise si grave est resté limité. En Pologne, la réduction de la pauvreté par les transferts sociaux a diminué à la fin de la période, tout comme la pauvreté après transferts sociaux chez les personnes de moins de 65 ans ; cette trajectoire particulière s’explique par une hausse considérable de l’emploi.

L’ÉTAT-PROVIDENCE PEUT CONSTITUER UN AVANTAGE COMPÉTITIF EN TERME DE COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE”

De prime abord, la tendance à la convergence observée à la figure 4 rejoint une observation de Bénassy-Quéré, Trannoy and Wolff (2014) sur

une période plus longue (1985-2010), qui couvre à la fois les impôts et les transferts sociaux, mais porte sur un nombre plus limité de pays. Ils

concluent que le système d’imposition et de transferts sociaux n’est pas devenu moins redistributif, mais qu’il semble y avoir « une convergence parmi

les États membres de l’UE sur l’ampleur de la redistribution » durant cette longue période.25 Cela pose une question gênante : s’agit-il de l’effet irrépressible

de la mondialisation et/ou de l’intégration européenne, qui oblige des États-providence évolués à réduire leurs systèmes de transferts sociaux ? En s’appuyant

sur de nombreuses études universitaires, Atkinson (2015) soutient de manière convaincante que la mondiali-sation n’oblige pas les pays à réduire les prestations de leurs États-providence. De fait, plusieurs États-providence évolués ayant des dépenses sociales élevées sont bien classés dans l’indice global de compétitivité. L’État-providence n’est pas un problème en soi en termes de compétitivité écono-mique ; au contraire : s’il est bien organisé, il peut constituer un avantage compétitif (Vandenbroucke et Vanhercke 2014).

Avec des dépenses sociales relativement élevées, des pays comme la Suède, les Pays-Bas et le Danemark obtiennent des taux d’emploi élevés, un bon classement dans l’indice de la compétitivité et des niveaux relati-vement bas de pauvreté (bien que la pauvreté soit désormais en hausse dans les pays nordiques) ; en revanche, un pays comme l’Italie, qui a plus ou moins le même niveau de dépenses sociales, obtient de moins bons résultats dans tous ces domaines. Afin de comprendre ces différences entre pays, nous devons élargir notre examen des États-providence au-delà des systèmes de transferts sociaux. La bonne performance passée des États-providence du nord concernant l’emploi, la pauvreté et la compétitivité est liée à leur orientation à long terme vers l’investissement social, c.-à-d. l’activation, l’investissement dans le capital humain et des ser-vices sociaux activants tels que les services de garde d’enfants (Hemerijck 2014). Certes, investir dans l’éduca-tion et l’accueil des jeunes enfants n’est pas une panacée ; les États-providence sont aussi différents au niveau de l’efficacité de leurs systèmes de protection sociale, comme on peut déjà le voir à la figure 4 ; de plus, l’impact de la protection sociale semble évoluer au fil du temps. La performance des États-providence dépend de la complémentarité de l’investissement efficace dans le capital humain (par le biais de l’éducation, de la forma-tion et des services de garde d’enfants) et de la protection efficace du capital humain (par le biais de systèmes de transferts sociaux et de soins de santé adaptés). Le rôle redistributif de la protection sociale reste impor-tant en soi (Cantillon et Vandenbroucke 2014). Dans la section suivante, nous examinons plus en profondeur les récentes évolutions du rôle redistributif de la protection sociale (section 6) et nous penchons sur le capital humain dans la section 7.

25. Bénassy-Quéré, Trannoy et Wolff (2014) indiquent que « le système est devenu moins redistributif dans les pays nordiques et plus en Italie. En France et en Allemagne, le système d’imposition et de transferts sociaux semble avoir offert le même niveau de redistribution tout au long de la période », p.8. En revanche, l’OCDE observe que les systèmes d’imposition et d’indemnisation sont devenus moins redistributifs dans les pays examinés.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

5. Les ménages « riches en emploi et pauvres en emploi » dans l’UE et la nature changeante de l’emploi

Nous mesurons les revenus individuels et la pauvreté par ménage. L’un des facteurs déterminants du risque de pauvreté des individus est la participation au marché du travail des membres du ménage dans lequel vit l’indi-vidu. Nous le mesurons par un indicateur appelé « intensité de travail d’un ménage ». Sur cette base, nous pou-vons distinguer cinq sous-groupes de ménages : les ménages à très forte, forte, moyenne, faible et très faible intensité de travail.26 Plus l’intensité de travail est faible, plus le risque de pauvreté est élevé pour les individus du ménage. La figure 5 illustre ce phénomène, avec des observations moyennes pour l’UE27.

FIGURE 5 Risques de pauvreté par intensité de travail des ménages dans l’UE271, SILC 2013 par rapport à la moyenne SILC 2005-2007

0

10

20

30

40

50

60

Very high work intensity High work intensity Medium work intensity Low work intensity Very low work intensity

Taux

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60 an

s)

Intensité de travail des ménages

SILC 2005-07 SILC 2013

Intensité de travail très élevée

Intensité de travail élevée

Intensité de travail moyenne

Intensité de travail faible

Intensité de travail très faible

Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_li06], calculs des auteurs.1. Le taux de risque de pauvreté correspond à la moyenne pondérée pour l’UE27, le seuil étant fixé à 60 % du revenu net disponible équivalent médian. Nous

comparons des données enregistrées dans EU-SILC 2013 à la valeur moyenne des données enregistrées dans SILC 2005, SILC 2006 et SILC 2007.

Dans la figure 5, nous indiquons le risque de pauvreté par intensité de travail du ménage, en comparant les valeurs moyennes de 2004-2006 aux données pour 2012. Vers le milieu de la décennie passée, les personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail étaient confrontées à un risque de pauvreté de 53,7 %, tandis que les personnes vivant dans des ménages à très forte intensité de travail étaient confrontées à un risque de pauvreté de seulement 5,1 %. Cet écart considérable s’est encore accentué. En 2012, le risque de pauvreté des individus vivant dans des ménages à faible et très faible intensité de travail avait considérable-ment augmenté ; à l’inverse, le risque de pauvreté des individus vivant dans des ménages à très forte intensité de travail était resté le même. Nous observons à la figure 5 une polarisation des risques de pauvreté. A l’aide de la terminologie utilisée précédemment, on peut dire que cela exemplifie un écart non pas entre les pays, mais entre différents groupes de population en Europe (différenciés selon les liens avec le marché du travail de leur ménage).

Dans le même temps, nous avons observé une polarisation de l’emploi dans les ménages en Europe : la part des personnes vivant dans des ménages à très forte intensité de travail a été réduite par la crise, mais elle est

26. Selon Eurostat, l’intensité de travail d’un ménage correspond au rapport entre, d’une part, le nombre de mois ouvrés par tous les membres du ménage en âge de travailler durant l’année prise comme référence pour le calcul du revenu et, d’autre part, le nombre total de mois qui auraient pu, en théorie, être ouvrés par les membres du ménage au cours de la même période (l’indicateur tient également compte du nombre d’heures ouvrés par mois).

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de nouveau plus élevée aujourd’hui qu’en 2007.27 La part des personnes vivant dans des ménages « pauvres en emploi » (à savoir les ménages à faible et très faible intensité de travail)28 a augmenté et ne semble pas, pour le moment, revenir à son niveau d’avant la crise. Par ailleurs, la part des personnes vivant dans des ménages à moyenne et forte (mais pas très forte) intensité de travail est moins grande qu’avant la crise. Par rapport à 2007, le nombre de personnes vivant dans un ménage « très riche » en termes d’intensité de travail a augmenté, tout comme le nombre de personnes vivant dans des ménages « très pauvres » en termes d’intensité de travail. Ce phénomène est illustré au tableau 1.

TABLE 1 Structure de la population des moins de 60 ans selon l’intensité de travail du ménage

20071 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Intensité de travail très élevée 42,2 44,1 43,9 42,9 42,5 43,5 43,1

Intensité de travail élevée 22,3 22,5 22,7 22,1 22,3 21,5 20,9

Intensité de travail moyenne 18,2 17,4 17 17,4 17,3 17 17,2

Intensité de travail faible 6,9 6,3 6,7 7 7,1 7,1 7,6

Intensité de travail très faible 9,7 9,1 9,1 10 10,3 10,4 10,7

Source: Eurostat. 1. Les années se referent aux années UE-SILC

La combinaison de la figure 5 et du tableau 1 explique dans une large mesure pourquoi la pauvreté des per-sonnes de moins de 65 ans a augmenté en Europe. Deux facteurs se renforçant mutuellement sont en jeu : le nombre de personnes vivant dans des ménages « pauvres en emploi » augmente ; ces ménages sont confrontés à des risques de pauvreté plus élevés qu’avant la crise. Cette dernière tendance a commencé avant la crise : dans plusieurs pays, le risque de pauvreté des ménages pauvres en emploi est en hausse depuis que les statis-tiques EU-SILC ont commencé. Même avant 2008, il a considérablement augmenté dans les États-providence évolués tels que l’Allemagne, la Suède, l’Autriche et la Finlande, ce qui explique pourquoi, dans plusieurs pays, les « succès de l’emploi » avant la crise ne sont pas devenus des « succès de l’inclusion » (Cantillon and Vandenbroucke 2014). En fait, l’évolution est loin d’être homogène en Europe. Depuis 2004, certains pays ont connu à la fois une hausse de l’emploi et une baisse de la pauvreté des moins de 65 ans, notamment la Pologne. Dans d’autres pays, la pauvreté a augmenté malgré la hausse de l’emploi. Ces trajectoires variées ne peuvent s’expliquer par un seul facteur ; à l’inverse, une série de facteurs est en jeu et le rôle et l’impact de ces facteurs varient d’un pays à l’autre.

Une crise économique réduit l’emploi, mais la tendance sur le long terme à la polarisation des emplois dans les ménages est un phénomène mal compris (Corluy et Vandenbroucke 2015). Nous avons davantage d’indications sur les raisons pour lesquelles le risque de pauvreté des ménages pauvres en emploi a augmenté. En principe, trois séries de facteurs peuvent avoir une influence :

1. Les systèmes d’imposition et de transferts sociaux peuvent devenir moins généreux pour les personnes au chômage par rapport aux actifs ;

2. L’évolution des structures des ménages peut également jouer un rôle : un ménage monoparental à moyenne ou faible intensité de travail (une mère célibataire qui occupe un emploi à temps partiel, par exemple) est confronté à un risque de pauvreté monétaire plus élevé qu’un couple avec enfants ayant la même intensité de travail (un couple dont les deux partenaires travaillent à temps partiel ou dont un partenaire travaille à temps plein, tandis que l’autre est au chômage) ;

3. Si les ménages à faible intensité de travail (mais pas sans aucune intensité de travail) dépendent d’un seg-ment du marché du travail où la qualité des emplois est faible, à la fois au niveau de la sécurité de l’emploi et des revenus, ils sont perdants en termes de revenus perçus par rapport à d’autres ménages.

27. Les années EU-SILC correspondent à des années d’observation de l’intensité de travail.28. Être « pauvre en emploi » concerne l’intensité de travail, et non les revenus perçus ; cela ne doit pas être confondu avec le concept de travailleur pauvre.

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Le premier facteur (les systèmes d’imposition et de transferts sociaux) peut être lié au passage à l’activation, qui souligne la nécessité de renforcer les incitations financières à travailler : si de plus grandes incitations financières ne s’accompagnent pas d’une activation réussie dans le segment des ménages pauvres en emploi, la pauvreté relative peut augmenter à mesure que l’écart de revenu entre les actifs et les chômeurs se creuse.

Toutefois, mis à part des changements délibérés de politique, une contrainte structurelle pourrait également peser de plus en plus sur l’adéquation sociale des systèmes de protection sociale. Dans des sociétés où le niveau de vie des ménages à double revenu riches en emploi détermine ce qui est nécessaire pour un niveau de vie standard de n’importe quel ménage, la politique sociale est face à un dilemme. Le problème n’est pas seulement que la plupart des ménages pauvres en emploi ne peuvent atteindre ce niveau de vie, quel que soit le nombre d’adultes en âge de travailler dans le ménage ; les différentes configurations des ménages créent un dilemme de nature structurelle. D’un côté, les prestations individuelles relatives au revenu de remplacement sont limitées car elles ne doivent pas avoir d’effet dissuasif sur l’emploi, notamment par rapport au niveau du salaire minimum ; et le niveau du salaire minimum est à son tour limité par des considérations liées à la com-pétitivité-coûts. D’autre part, les prestations relatives au revenu de remplacement ne suffisent pas à protéger les ménages monoparentaux contre la pauvreté (et même un salaire minimum relativement décent, comme celui en Belgique, ne suffit pas à protéger les ménages monoparentaux contre les risques de pauvreté si le parent ne peut travailler à temps plein où si le ménage compte plus de deux enfants). Ainsi, la difficulté est d’améliorer la protection sociale au niveau des ménages, tout en évitant le « piège de la pauvreté au travail », aussi bien pour les parents isolés que pour d’autres ménages avec enfants. Par conséquent, il faut reconsi-dérer la nécessité de systèmes conçus pour réduire les « coûts du ménage » auxquels sont confrontés les personnes célibataires et les ménages à revenu unique, ainsi que les ménages à double revenu, notamment les coûts liés à l’éducation des enfants, aux soins de santé ou au logement. Pour ce faire, il faudrait que dans l’ensemble des outils de sécurité sociale, les prestations dites de « compensation des coûts » pèsent davantage en tant que compléments des revenus de remplacement individuels, et que des principes intelligents et nuancés de sélectivité des revenus des ménages s’appliquent à ces compléments. Par ailleurs, il est essentiel de développer et de concevoir des services sociaux en soutien des familles.

L’UE SERAIT BIEN AVISÉE DE METTRE EN PLACE UN CADRE SUR LE SALAIRE MINIMUM”

Ces observations soulignent le rôle du salaire minimum, qu’il faut bien comprendre. Dans une certaine mesure (et avec une hétérogénéité consi-

dérable entre les pays), le salaire minimum a une fonction de « plafond de verre » de la générosité des systèmes de transferts sociaux. Dans des pays

où le salaire minimum est sous pression, la générosité des systèmes de pro-tection sociale sera, au final, également sous pression.29 Hormis son rôle

(potentiel) de plafond de verre pour des systèmes de protection d’un revenu minimum, l’effet direct du salaire minimum sur la pauvreté est assez limité

(OCDE 2015 ; Eurofound 2015). En substance, le salaire minimum sous-tend la notion d’équité concernant la rémunération du travail : son principal objectif n’est

pas la réduction de la pauvreté. Toutefois, l’OCDE (2015) souligne que les paramètres du salaire minimum peuvent contribuer à soutenir les travailleurs faiblement rémunérés et les familles à faible revenu, tout en évi-tant des pertes d’emploi considérables, s’ils sont bien conçus et intégrés dans un système adapté d’imposition et de transferts sociaux. Le salaire minimum est de plus en plus considéré comme sous pression à cause de la mobilité transfrontalière : les craintes de dumping social sont peut-être en partie infondées, mais dans cer-tains secteurs, la pression liée à la compétitivité des employeurs qui versent de faibles salaires au sein de l’UE est incontestable. De plus, des problèmes se posent quant à l’application des normes relatives au salaire mini-mum dans le cadre du détachement des travailleurs. Toutes ces considérations confirment que l’UE serait bien avisée de développer un cadre sur le salaire minimum. Un cadre européen pourrait faire pression de telle sorte que tous les États membres disposent d’un système de salaire minimum offrant une protection universelle aux travailleurs, quelle que soit la nature du système (institué par la loi ou fondé sur une convention collective).

L’impact direct sur la pauvreté du troisième facteur de notre liste, la nature changeante de l’emploi, est dif-ficile à évaluer de façon empirique. Toutefois, l’OCDE (2015) indique que depuis le milieu des années 1990,

29. L’idée d’un « plafond de verre sur la réduction de la pauvreté », notamment lié au développement du salaire minimum, est examinée dans Cantillon, Collado et Van Mechelen (2015).

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

plus de la moitié de l’ensemble de la création d’emplois s’est faite sous la forme de travail non conventionnel et souligne des liens importants avec la tendance à l’inégalité des revenus dans plusieurs pays. Le travail non conventionnel peut servir de tremplin à un emploi plus stable, mais cela dépend du type de travail et des carac-téristiques des travailleurs et des institutions du marché du travail. Dans de nombreux pays, les jeunes tra-vailleurs, notamment ceux n’ayant que des contrats de travail temporaire, ont moins de chance d’obtenir par la suite un emploi plus stable. Beaucoup de travailleurs occupant des emplois non conventionnels sont défavo-risés dans plusieurs aspects liés à la qualité de l’emploi, comme les revenus, la sécurité de l’emploi ou l’accès à la formation. Les travailleurs intérimaires peu qualifiés, en particulier, sont considérablement pénalisés sur le plan des salaires, connaissent une instabilité de leurs revenus et une plus lente progression salariale. Les ménages qui dépendent fortement des revenus du travail non conventionnel sont confrontés à des taux de pau-vreté monétaire bien plus élevés et le nombre accru de ces ménages a contribué à augmenter les inégalités dans leur ensemble, selon l’OCDE.30

Concernant la qualité de l’emploi, nous sommes confrontés à des demandes contradictoires. Le travail volon-taire à temps partiel peut correspondre aux préférences de certains individus ; les emplois à temps partiel peuvent améliorer la division du travail parmi les ménages. Les emplois à temps partiel peuvent permettre aux travailleurs âgés de rester actifs. Vu sous cet angle, le développement d’un marché du travail à temps partiel est positif. Dans le même temps, de nombreux individus ont besoin d’un emploi à temps plein pour toucher un salaire décent et s’assurer une retraite satisfaisante ; une offre suffisante d’emplois à temps plein demeure donc nécessaire. La mise en place de contrats « zéro heure », qui compromettent la notion même de la responsabilité des employeurs à assurer un revenu (et les droits concomitants dans le cadre du système de sécurité sociale) soulève des enjeux encore plus complexes : pour certains individus, les contrats « zéro heure » peuvent être une solution attrayante, mais pour beaucoup d’autres, il peut s’agir d’un cul-de-sac. La montée de « l’emploi marginal » sous la forme de mini-emplois, comme en Allemagne, comporte également des problèmes fondamentaux à long terme concernant la couverture sociale des individus qui dépendent entièrement de ces mini-emplois.

Le rapport sur la situation sociale et l’emploi en Europe de 2014 de la Commission européenne, intitulé Employment and Social Developments in Europe, comprend un chapitre informatif sur la qualité de l’emploi et l’organisation du travail en Europe, que nous invitons le lecteur à consulter. Leur analyse souligne la pré-valence croissante de contrats temporaires à court terme et d’autres formes de travail précaire ; elle précise également que la qualité de l’emploi peut améliorer la productivité de la main-d’œuvre. En d’autres termes, le choix de la qualité de l’emploi et le progrès économique ne sont pas nécessairement deux éléments contradic-toires (ESDE 2015).

L’EUROPE A BESOIN À LA FOIS D’UN INVESTISSEMENT SOCIAL ADAPTÉ ET D’UNE PROTECTION SOCIALE SUFFISANTE”

La qualité de l’emploi ne porte pas uniquement sur les arrangements contractuels ; elle concerne également le « contrôle du travail » et l’autono-

mie, comme le souligne le rapport Employment and Social Developments in Europe. Le « contrôle du travail » et l’autonomie sont essentiels pour faciliter

la transition vers des vies professionnelles plus longues. Les pays nordiques, où les gens travaillent plus longtemps que dans les autres pays européens, ont

davantage d’emplois caractérisés par le contrôle du travail et l’autonomie : cette corrélation n’est pas le fruit du hasard.

30. Ce paragraphe repose sur le propre résumé de l’OCDE de la publication OCDE (2015), pp. 15-16.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

Le principal message qui ressort de ces analyses est le suivant :

1. La nécessité de mesures d’activation et d’incitations financières à travailler est incontestable. Néanmoins, dans un premier temps, l’activation doit choisir « la voie de la qualité », notamment au niveau de l’emploi offert et de réels investissements dans le capital humain. En d’autres termes, aussi bien la quantité que la qualité des emplois comptent ; la qualité de l’emploi devrait en fait être consi-dérée comme une condition de la pleine valorisation du capital humain.

2. L’Europe a besoin à la fois d’un investissement social adapté et d’une protection sociale suffi-sante ; ces deux aspects ne peuvent se substituer l’un à l’autre. Par exemple, des régimes d’assurance-chô-mage adaptés soutiennent un double objectif, hormis le fait de protéger des individus : ils sont le résultat de marchés du travail flexibles et ils servent de stabilisateurs macro-économiques. L’accent sur l’« inves-tissement » dans le capital humain ne doit pas omettre la nécessité de protéger le capital humain, c.-à-d. les fonctions « protectrices » traditionnelles des États-providence. Les instruments traditionnels de la poli-tique sociale, tels que l’activation, la formation, les prestations sociales et le salaire minimum, demeurent importants, mais il est incontestable que les systèmes de protection sociale sont confrontés à de nouvelles difficultés pour lesquelles des solutions novatrices sont nécessaires.

3. La nature changeante de l’emploi pose des problèmes concernant l’architecture de nos systèmes de protection sociale auxquels nous devons faire face. Il s’agit de problèmes complexes, mais l’UE pourrait être un cadre d’apprentissage idéal pour les décideurs politiques en vue d’y remédier (Hellström and Kosonen 2015).

6. L’écart en termes de capital humainSi l’on se concentre sur l’enseignement formel, on observe un phénomène de convergence vers le haut en Europe. La part des individus formellement très qualifiés est encore très hétérogène, avec moins de 25 % des 25-34 ans en Italie, en Roumanie et en Autriche détenant un diplôme universitaire. En revanche, en Irlande, à Chypre et en Lituanie, un jeune adulte sur deux est diplômé de l’enseignement supérieur. Toutefois, un phéno-mène de convergence vers le haut se produit dans l’enseignement formel et l’écart se réduit par rapport à celui de 2000. Dans la figure 6A, nous pouvons observer que la part des individus formellement peu qualifiés, c.-à-d. ceux qui ont suivi un enseignement inférieur à l’enseignement secondaire supérieur, a diminué au fil du temps dans la plupart des États membres de l’UE, la Roumanie faisant figure d’exception notable. De même, la figure 6B indique une convergence encourageante qui s’accompagne d’une tendance à la hausse du nombre de jeunes adultes diplômés de l’enseignement supérieur.

Malheureusement, l’enseignement formel n’est qu’un aspect de la question. Deux phénomènes sont préoccu-pants : premièrement, la convergence vers le haut est moins marquée dans l’enseignement formel pour les enfants, où elle serait pourtant essentielle pour garantir l’élimination de la pauvreté et des mécanismes de transmission de l’exclusion sociale et de la pauvreté ; deuxièmement, l’écart au niveau des compétences réelles se creuse.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

FIGURE 6 Evolution du niveau formel de scolarité1

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Source : EUROSTAT UOE [edat_lfse_05] et [edat_lfse_07], calculs des auteurs. 1. Les données concernent les personnes âgées entre 25 et 34 ans. Les individus formellement peu qualifiés désignent les personnes ayant un niveau inférieur

à l’enseignement primaire, équivalent à l’enseignement primaire et inférieur à l’enseignement secondaire (niveaux 0-2). Les individus formellement très qualifiés désignent les personnes diplômées de l’enseignement tertiaire (niveaux 5-8). Les données pour la Croatie sont de 2002, et non de 2000.

À la figure 7, nous observons l’évolution de l’accueil et de l’éducation des enfants de moins de trois ans. La tendance générale est à la hausse, mais il y a des signes de baisse au Danemark, en Espagne, en Lituanie, au Royaume-Uni et en Italie. Dans ce dernier, par exemple, l’assainissement budgétaire a considérablement réduit les fonds prévus pour les systèmes de protection sociale régionaux et locaux, qui sont notamment responsables de l’enseignement préscolaire et primaire. Les fonds consacrés à l’éducation et l’accueil des jeunes enfants (EAJE) en 2015 ont diminué de 3 % par rapport à ceux disponibles en 2010 et de 54 % par rapport à ceux dis-ponibles en 2008. Il n’est donc pas surprenant de constater que l’inscription dans des structures d’accueil et d’éducation de la petite enfance diminue : le pourcentage le plus élevé d’enfants de moins de trois ans inscrits dans ces structures a été enregistré en 2008 (28 %) ; il est passé à 21 % en 2013 et devrait continuer de dimi-nuer. Le manque d’investissement dans les services de la petite enfance n’est pas un problème touchant uni-quement l’Italie. Selon l’ESPN (2015), malgré le message du train de mesures sur les investissements sociaux et de la recommandation de la Commission intitulée « Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité », plusieurs pays (à savoir la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, la Grèce, l’Espagne, la Croatie,

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

l’Italie, la Lituanie, la Lettonie, MK, le Portugal, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et la Turquie) investissent encore très peu dans les services de la petite enfance et manquent de politiques soutenant le développement des jeunes enfants. De plus, comme indiqué dans Rinaldi (2015), l’utilisation de services d’accueil des jeunes enfants dans l’UE est plus élevée chez les parents financièrement aisés et éduqués, alors que le rôle de l’EAJE dans le cadre d’une stratégie d’investissement social devrait consister à renforcer les capacités des ménages défavorisés.

FIGURE 7 Évolution des services d’accueil des jeunes enfants1

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Source : Eurostat EU-SILC [ilc_caindformal], calculs des auteurs. 1. Le taux de participation représente les structures d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans et indique à la fois la participation à temps partiel

et à temps plein. Les données pour la Lituanie sont de 2012, et non de 2013, les données pour la Croatie sont de 2010, et non de 2007.

Les compétences réelles sont le facteur qui compte le plus, et non le niveau de scolarité. Pour analyser l’évo-lution des compétences au fil du temps, nous examinons les résultats PISA pour la compétence en lecture et comparons les résultats des élèves de 15 ans en 2000 et 2012, c.-à-d. que nous utilisons la compétence en lec-ture comme une variable générale des compétences.31 Le contraste entre la figure 6 sur l’enseignement formel et la figure 8 sur les niveaux réels de compétences est frappant. D’un côté, en termes de niveau de scolarité, la quasi-totalité des pays s’est améliorée, mais de l’autre, à la figure 8A, nous observons que la part des individus peu qualifiés a augmenté dans neuf États membres, y compris en Autriche où la hausse est marginale. De plus, dans 14 pays, la part des élèves les plus performants a baissé ou n’a enregistré aucune augmentation notable. En Pologne, la part des étudiants qui ne sont pas capables d’atteindre le niveau de base de compétence en lec-ture a diminué, tandis que celle des étudiants les plus performants a augmenté ; en Suède, en Finlande et en Slovaquie, en revanche, la part des individus très qualifiés a baissé et la part de ceux peu qualifiés a augmenté. On observe un certain niveau de convergence qui n’est pas dû à une évolution vers des niveaux de compétences plus élevés, mais plutôt à la détérioration du niveau de compétences dans les pays qui obtenaient des résul-tats relativement bons. La figure 8 souligne que cette convergence mixte n’a pas permis d’atténuer l’écart en termes de compétences observé en Europe. Avec plus de 35 % d’élèves peu qualifiés et seulement moins de 5 % de très qualifiés, la Roumanie et la Bulgarie sont encore considérablement à la traîne par rapport aux autres États membres de l’UE en termes de compétences.

31. En comparant les résultats PISA de 2009 et 2012, la Commission européenne (2013) confirme que la tendance que nous décrivons concernant la compétence en lecture est conforme à celle observée pour les mathématiques et les sciences. La part des élèves peu performants dans les États membres est restée la même aussi bien pour les maths (de 22,3 % en 2009 à 22,1 % en 2012) que pour les sciences (de 17,8 % en 2009 à 16,6 % en 2012).

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FIGURE 8 Évolution des compétences1

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Source : Base de données PISA 2012 de l’OCDE et Eurostat [tsdsc450], calculs des auteurs. 1. La faible performance en lecture des élèves correspond à la proportion des élèves de 15 ans qui sont au niveau 1 ou en dessous dans l’échelle combinée de

performance en lecture de PISA. Les élèves les plus performants ont un niveau de compétence en lecture égal ou supérieur au niveau 5. La mesure de la performance en lecture se concentre sur la capacité des élèves à utiliser de l’information écrite dans des situations qu’ils rencontrent dans leur vie. Si les données de PISA 2000 ne sont pas disponibles, le graphique utilise les données de PISA 2003 (Luxembourg, Slovaquie et Pays-Bas) ou 2006 (Croatie et Estonie).

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

La figure 9 apporte un éclairage complémentaire sur la répartition des compétences en lecture au sein des États membres. Nous indiquons le rapport intercentileP75/P25 du résultat au PISA (figure 9A) et le niveau seuil pour le 25e percentile32 (figure 9B). Ces deux indicateurs décrivent deux situations différentes, aucune d’entre elles n’étant réellement positive. Le rapport P75/P25 indique que dans dix États membres (en France, en Suède, en Bulgarie et en Slovaquie, par exemple), les inégalités internes au niveau de la répartition des compétences se sont aggravées entre 2000 et 2012. Le niveau du 25ème percentile indique que le niveau de per-formance absolu dans la moitié inférieure de la répartition des compétences a augmenté dans certains pays (comme la Pologne, le Portugal et l’Allemagne, des pays dans lesquels des efforts considérables ont été faits pour améliorer la performance), mais a baissé dans plusieurs autres tels que la Suède, la Finlande, la Slovaquie et la Slovénie.

Pour mieux connaître la « réserve » de compétences, nous examinons également la répartition des compé-tences entre adultes. Publiés en 2013, les résultats PIAAC33 donnent des indications sur les inégalités de com-pétences au sein des pays et entre eux parmi la population en âge de travailler. Nous regroupons ces informa-tions à la figure 10, qui indique les résultats au percentile moyen et au 25e percentile, ainsi que le pourcentage d’adultes peu et très qualifiés34 pour 23 pays.35 L’écart entre la Finlande, qui obtient les meilleurs résultats parmi les États membres de l’UE, et l’Italie est alarmant. Concernant l’alphabétisation, plus de 22 % des adultes finlandais sont très qualifiés, contre seulement 3,3 % en Italie. Le résultat moyen du pays scandi-nave est 287,5, tandis que le résultat moyen de l’Italie (250,5) est même inférieur au niveau seuil finlandais pour le 25e percentile (258,3). Le pourcentage d’adultes peu qualifiés est inférieur à 10 % au Japon, tandis qu’il dépasse les 20 % en France, en Espagne et en Italie. Les pires résultats concernant les compétences des adultes peuvent être observés dans les pays où les stratégies d’investissement social sont soit inexistantes, soit à un stade très embryonnaire. La faible culture de formation et d’apprentissage tout au long de la vie est probablement l’une des raisons du manque de compétences des adultes. Dans plusieurs pays européens de cet échantillon, notamment en France, en Espagne et en Italie, il apparaît donc essentiel d’investir considérable-ment dans de nouvelles compétences chez les jeunes.

32. Le niveau seuil pour le 25ème percentile indique que 25 % de l’échantillon d’élèves ont de moins bons résultats. 33. Le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) est une enquête internationale menée par l’OCDE. Elle examine la littératie, la numératie et les performances

en matière de résolution de problèmes d’individus âgés entre 16 et 65 ans et évalue ainsi les compétences cognitives et professionnelles. Les données PIAAC étant transversales, il est impossible d’étudier l’évolution des compétences des adultes au fil du temps.

34. Le PIAAC établit cinq niveaux de compétences. Nous considérons comme peu qualifiés les individus dont le niveau de compétences est égal ou inférieur à 1 et comme très qualifiés ceux dont le niveau de compétences est de 4 ou 5.

35. L’échantillon PIAAC est relativement limité pour l’UE, dans la mesure où il couvre 16 pays de l’UE plus la Flandre, comme indiqué à la figure 15, ainsi que d’autres pays participants.

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FIGURE 9 Répartition des compétences1

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Source : Base de données PISA 2012 de l’OCDE et OCDE (2014), calculs des auteurs. 1. Niveaux seuils des élèves de 15 ans dans l’échelle de performance en lecture de PISA pour le 25ème percentile. Si les données de PISA 2000 ne sont pas

disponibles, le graphique utilise les données PISA 2003 (Luxambourg, Slovaquie et Pays-Bas) ou 2006 (Estonie, Croatie, Lituanie, Slovénie et Royaume-Uni).

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

L’UNION EUROPÉENNE SOUFFRE D’UN ÉCART EN TERMES DE CAPITAL HUMAIN, TANT AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES QU’ENTRE EUX”

Pour résumer, l’Union européenne souffre d’un écart en termes de capi-tal humain, tant au sein des États membres qu’entre eux. Concernant le

niveau de scolarité, la situation évolue de manière positive, mais en termes de compétences, pour autant qu’on observe une convergence dans l’Union,

les développements sont à la fois positifs et négatifs. L’éducation et l’accueil des jeunes enfants présentent des signes de convergence vers le haut, mais en

parallèle, les politiques d’austérité ont eu des effets négatifs sur les efforts rela-tifs à l’EAJE dans de nombreux pays. L’écart entre la convergence ascendante

dans l’enseignement formel et les inégalités persistantes dans la répartition réelle des compétences au sein des États membres et entre eux est alarmant. La Commission européenne (2015), qui souligne des résultats semblables, considère qu’il s’agit d’un des principaux obstacles à l’achèvement d’un véri-table marché du travail européen et conclut que les inégalités en matière d’éducation ont souvent augmenté, étant donné que « l’égalité en matière d’éducation n’a jamais été une priorité politique dans de nombreux pays européens ».36 Les pays européens sont donc confrontés à un double défi : ils doivent déterminer à la fois comment renforcer les niveaux de compétences et comment apporter un niveau élevé de com-pétences à une proportion plus large de la population.

FIGURE 10 Répartition des compétences des adultes entre les pays1

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Source : Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) et OCDE (2013), [Table A2.1] et [Table A2.4], calculs des auteurs. 1. Les résultats concernent la compétence en lecture. Les adultes avec un niveau de compétence 1 ou en dessous sont considérés

comme ‘peu qualifiés’ ; les adultes avec un niveau de compétence 4 ou 5 sont considérés comme ‘très qualifiés’.

L’UE est consciente de l’immense défi en matière d’éducation auquel elle est confrontée et la Commission européenne a élaboré un agenda global sur l’éducation, la formation et les compétences et publié d’excellentes recommandations sur la modernisation des systèmes éducatifs. Toutefois, cet agenda sur l’éducation ne pèse pas suffisamment aux plus hauts niveaux du processus décisionnel européen et dans la définition des priori-tés budgétaires. Les dépenses publiques réelles consacrées à l’éducation ont été inférieures en 2013 à celles d’avant la crise dans dix États membres, notamment ceux qui doivent absolument améliorer leur système éducatif.

36. Commission européenne (2015), p. 21.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

La figure 11 propose des données sur l’évolution des dépenses publiques consacrées à l’éducation en termes réels. Les barres noires comparent les dépenses publiques consacrées à l’éducation en 2013 pour chaque pays aux dépenses moyennes du pays au cours de la période 2006-2008 (corrigées par le déflateur du PIB). Dans 10 des 25 pays examinés, les dépenses réelles sont désormais inférieures à ce qu’elles étaient, en moyenne, dans les années précédant la crise. En Roumanie, cette baisse est de 29 %, en Hongrie de 18 %, en Italie de 16 %, en Lettonie de 15 % et en Irlande de 14 %. Par ailleurs, on observe une augmentation considérable des dépenses réelles, avec une hausse des dépenses consacrées à l’éducation d’au moins 10 % au Danemark, en République tchèque, en Allemagne, en Pologne, en Belgique, au Luxembourg et en Slovaquie (en comparant toujours 2013 à la moyenne sur la période 2006-2008). La démographie joue bien évidemment un rôle ; à la figure 11, nous observons que si l’on prend en compte les changements démographiques, en calculant les dépenses publiques réelles consacrées à l’éducation par habitant de moins de 19 ans, les dépenses réelles par jeune habitant ont baissé de 18 % en Roumanie et de 12 % en Hongrie, tandis qu’en Irlande, elles ont diminué de 21 %. Les efforts faits au niveau des dépenses publiques consacrées à l’éducation sont spectaculaires en Allemagne et en Pologne, si l’on tient compte de la démographie.

La divergence au niveau des dépenses consacrées à l’éducation dans l’UE pourrait donner lieu à une divergence plus grande sur le long terme en termes de productivité, au lieu de la convergence tant nécessaire. Cela ne signifie pas que la qualité des systèmes éducatifs peut se mesurer simplement par le niveau des dépenses publiques consacrées à l’éducation, mais il semble très difficile d’amélio-rer les systèmes éducatifs de manière significative tout en diminuant les investissements.

FIGURE 11 Une divergence inquiétante concernant les dépenses publiques consacrées à l’éducation1

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Dépenses réelles consacrées à l'éducation, 2013 par rapport à 2006 -08

Dépenses réelles consacrées à l'éducation par habitant de moins de 19 ans, 2013 par rapport à 2006 -08

Dépenses consacrées à l'éducation en pourcentage du PIB, par rapport à la moyenne UE, 2013 (corrigées par les changements dém ographiques)

Source : Eurostat, calculs des auteurs. 1. Les dépenses des administrations publiques consacrées à l’éducation [gov_10a_exp] sont corrigées par le taux d’inflation avec l’indice

de prix 2005=100 [nama_gdp_p]. Les dépenses sont corrigées par les changements démographiques [demo_pjangroup].

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

7. La santé, les soins de santé et l’environnementAu niveau de l’espérance de vie, on observe un écart important entre les régions européennes. Les pays occi-dentaux et méditerranéens ont une espérance de vie plus longue, l’Espagne se classant au premier rang des États membres de l’UE, avec 82,4 ans. Les pays baltes et de l’Est, en revanche, ont une espérance de vie plus courte, la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie et la Lituanie faisant figure de lanterne rouge avec moins de 75 ans. Depuis 2000, on observe une tendance remarquable à la hausse : l’espérance de vie a augmenté dans tous les États membres. Toutefois, une nette distinction continue d’exister entre deux groupes de pays : les pays occidentaux, avec une espérance de vie de plus de 75 ans en 2000 et d’environ 80 ans ou plus maintenant, et les pays de l’Est, avec une espérance de vie inférieure à 78 ans, tous n’ayant pas encore atteint les niveaux que les pays occidentaux enregistraient il y a 15 ans. L’écart de neuf années entre l’Espagne et la Lituanie (73,4 ans en 2013) est considérable.

L’ACCÈS UNIVERSEL À DES SOINS DE SANTÉ DE QUALITÉ DOIT ÊTRE L’UN DES PRINCIPAUX OBJECTIFS DES ÉTATS-PROVIDENCE EUROPÉENS”

L’accès universel à des soins de santé de qualité doit être considéré comme l’un des principaux objectifs des États-providence européens. Il

est possible d’évaluer dans quelle mesure la disponibilité et le caractère abordable des services de santé ont évolué au fil du temps dans les pays

européens à partir de la base de données EU-SILC, qui fournit des estima-tions des besoins non satisfaits en matière d’examens médicaux. Les examens

et les traitements médicaux sont des aspects essentiels des soins de santé ; des coûts élevés, de longues listes d’attente et la distance jusqu’au prestataire de ser-

vice peuvent constituer d’importants obstacles à l’accès aux soins de santé des individus qui en ont besoin. Si l’on observe l’année 2013 pour toute l’UE28, le pour-

centage de personnes signalant des besoins non satisfaits en matière d’examens médicaux (à cause de services trop coûteux, de distances trop grandes ou de listes d’attente trop longues) était de 1,5 % pour le quintile de revenu supérieur, contre 11 % pour les deux premiers quintiles de revenu.

Les inégalités concernant l’accès aux soins de santé qui pénalisent les ménages à faible revenu ne sont mal-heureusement pas une nouveauté. Un phénomène plus inquiétant apparaît : à l’exception du Portugal, de la Bulgarie, de l’Allemagne et de la Lettonie, il n’y a aucun signe de tendance à la baisse concernant la part des personnes ayant des besoins médicaux non satisfaits. En fait, la Pologne, la France et certains pays durement touchés par des mesures d’austérité, comme la Grèce, la Lettonie et l’Italie, ont connu une hausse sensible des soins médicaux non satisfaits pour les revenus faibles. Certains des pays les plus performants ont régressé et ont désormais une part plus élevée d’individus pauvres ayant des besoins médicaux non satisfaits en 2013 qu’en 2007 (Finlande +8,9 %, Belgique +6,2 %, France +4,3 %).

Les craintes concernant la justice environnementale augmentent en Europe et il est désormais relativement clair que l’environnement et les politiques en la matière ont un fort impact sur les conditions sociales et le bien-être, notamment au niveau de la santé, de l’accès aux services publics et des modèles de consommation. Malgré cela, un débat plus général sur le croisement des perspectives sociales et environnementales n’a pas encore vu le jour dans tous les États membres37 et en est à un stade embryonnaire au niveau européen. Le Conseil de l’Europe (2013) développe une analyse qui relie les aspects de la pauvreté et de l’inégalité aux déchets et à l’accès aux ressources ; dans une étude pour la Commission européenne, Pye et al. (2008) exa-minent les nombreux liens d’interdépendance entre la politique environnementale et la politique sociale et tentent de définir des modèles soutenant des synergies en faveur de politiques se renforçant mutuellement. Dans ce contexte, Laurent (2010) identifie quatre types d’inégalités environnementales : i) les inégalités de participation aux politiques publiques : certaines catégories sociales défavorisées ont peu ou pas d’impact sur les choix touchant à leur environnement ; ii) les inégalités d’impact environnemental : les différentes catégo-ries sociales aux différents modes de vie n’ont pas le même impact sur l’environnement ; iii) les inégalités de réglementation des politiques environnementales : des individus issus de différentes catégories sociales ou ayant des revenus différents ne sont pas touchés de la même façon par les politiques fiscales ou règlemen-taires relatives à l’environnement ; iv) les inégalités d’exposition et d’accès : la qualité de l’environnement est répartie de manière inégale entre les individus et les groupes selon leurs revenus, leur appartenance ethnique ou leur statut social.

37. Le Royaume-Uni montre l’exemple avec sa stratégie nationale en matière de développement durable élaborée en 2005 et avec le vaste mandat de l’Agence britannique pour l’environnement.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

La répartition de la qualité de l’environnement demeure inégale car l’exposition aux risques et menaces envi-ronnementaux est plus élevée chez les groupes vulnérables et car l’accès aux services environnementaux est parfois limité pour les catégories défavorisées. Être exposé à la pollution et à la criminalité et vivre dans des zones à risques sur le plan écologique ou excessivement bruyantes représente une grave menace pour la santé et le bien-être et peut constituer un obstacle au renforcement des capacités de certaines couches de la société. Pour lutter contre les inégalités sociales, la politique sociale doit intégrer la question de la justice environnementale.

Pour déterminer si l’Europe a progressé en ce qui concerne les inégalités environnementales, la figure 12 indique la part des personnes signalant des problèmes liés à la présence de pollution, de criminalité ou d’autres problèmes environnementaux tels que des fumées, des poussières, des nuisances olfactives ou des eaux polluées à proximité de leur lieu d’habitation. Sur la période 2005-2013, la seule hausse observée à ce niveau concerne la Grèce et la Suède ; certains pays sont restés à un niveau relativement stable (le Danemark, la Lituanie, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas). Toutefois, on observe une tendance à la baisse concer-nant le niveau d’exposition aux problèmes environnementaux, c.-à-d. une tendance à la hausse de la qualité de l’environnement.

FIGURE 12 Évolution de la qualité de l’environnement1

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Source : EUROSTAT, EU-SILC [ilc_mddw02]. 1. Pourcentage de la population totale signalant une exposition à la pollution, à la criminalité ou à d’autres problèmes environnementaux. Les données

n’étant pas disponibles pour 2005 pour la Roumanie et la Croatie, les données respectivement de 2007 et de 2010 sont utilisées.

L’amélioration de la qualité de l’environnement a eu des effets positifs tant sur les hauts que sur les bas reve-nus, avec des progrès légèrement plus élevés pour les premiers. Si l’on examine la zone euro, par exemple, la part des personnes signalant une détresse environnementale a diminué de 3,2 points de pourcentage pour les individus touchant plus de 60 % du revenu équivalent médian et de 1,5 point de pourcentage pour ceux tou-chant moins. On observe des différences marquées entre les catégories de revenus en Bulgarie, en Hongrie, en France, en Belgique et en Allemagne, tandis que pour des pays tels que la Grèce et la Roumanie, les statis-tiques EU-SILC indiquent que les problèmes environnementaux préoccupent davantage les individus riches.

Comme souligné par Laurent (2010), les politiques sociales européennes devraient tenir compte de l’impact des situations et politiques environnementales sur les conditions socio-économiques et sanitaires. Réduire les inégalités environnementales dans le cadre de politiques socio-écologiques devrait figurer parmi les objectifs des États-providence modernes.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

8. Des trains de mesures « à double usage » pour la convergence et la cohésion et le rôle de l’UE

Dans son rapport intitulé « Tous concernés. Pourquoi moins d’inégalité profite à tous », l’OCDE (2015) souligne que pour réduire l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres, des trains de mesures mobilisant toute une série d’instruments sont nécessaires dans quatre principaux domaines :

1. la participation des femmes à la vie économique ;2. la promotion de l’emploi et des emplois de bonne qualité ;3. les compétences et l’éducation ;4. les systèmes d’imposition et de transferts sociaux pour une redistribution efficace.

Par ailleurs, l’OCDE souligne qu’il n’existe pas un modèle ou une combinaison de mesures uniques à adopter. « Chaque pays devra concevoir son propre ensemble de mesures, selon les facteurs clés à l’origine de l’inégalité dans le contexte national ».38 L’OCDE ajoute une dimension particulière aux discussions sur les choix politiques en mettant en évidence dans quelle mesure l’inégalité peut réduire la croissance. Selon elle, le principal méca-nisme de transmission entre l’inégalité et la croissance est l’investissement dans le capital humain. S’il existe toujours un écart au niveau des résultats obtenus en matière d’éducation entre les individus issus de milieux socio-économiques différents, l’écart se creuse dans les pays où l’inégalité est forte car les personnes vivant dans des ménages défavorisés ont du mal à accéder à un enseignement de qualité. Le rapport souligne que la position des deux premiers quintiles de revenu est particulièrement importante pour la croissance écono-mique. Ce n’est pas seulement la situation des catégories très pauvres de la population qui freine la croissance, mais celle d’un groupe beaucoup plus large de travailleurs issus de la classe moyenne basse. La politique doit donc être orientée vers les deux premiers quintiles de revenu.

Les données de la section 7 indiquent que l’amélioration de la qualité de notre capital humain est une condition essentielle de la convergence ascendante à long terme dans l’UE. Ainsi, réduire les inégalités sociales entre les familles avec enfants et investir dans l’accueil et l’éducation des jeunes enfants peut contribuer à la cohésion nationale et à la convergence à long terme au niveau de l’UE. Bien sûr, améliorer les chances de succès dans l’éducation de tous les enfants n’est pas juste une question d’argent ; cela nécessite également de réformer le système éducatif de nombreux États membres.

UNE STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT SOCIAL AXÉE SUR LES ENFANTS QUI LUTTE CONTRE L’INÉGALITÉ DES CHANCES SOUTIENT UN DOUBLE OBJECTIF”

En d’autres termes, une stratégie d’investissement social axée sur les enfants qui lutte contre l’inégalité des chances soutient un

double objectif. En s’inspirant de la terminologie militaire, on pour-rait dire qu’il s’agit d’un train de mesures à double usage dans le

contexte européen actuel. Les gouvernements qui adoptent cette stra-tégie doivent être encouragés et pouvoir avoir l’opportunité de tirer des

enseignements de l’expérience d’autres gouvernements européens, tout en recevant le soutien concret de l’UE, notamment lorsqu’ils connaissent

de graves difficultés budgétaires.

D’autres orientations stratégiques proposées par l’OCDE ont le même caractère à double usage dans le contexte de la zone euro. Une assurance-chômage adaptée et la coordination des négociations salariales en sont deux exemples.

L’OCDE souligne que la couverture accrue de l’assurance-chômage est un moyen prometteur de renforcer la sécurité des travailleurs, à condition que les régimes soient conçus pour préserver les incitations à travailler et remplissent d’autres conditions fixées par l’OCDE. L’insuffisance de la couverture de l’assurance-chômage est un problème endémique dans certains pays européens, notamment au sud de la zone euro. Hormis leurs

38. OCDE (2015), p.36.

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conséquences sociales négatives, les régimes d’assurance-chômage lacunaires compromettent la capacité de stabilisation automatique de ces États-providence. Il est également difficile, compte tenu de leurs lacunes, de s’orienter vers un marché du travail plus flexible, avec une protection de l’emploi plus équilibrée. Réduire la segmentation du marché du travail, promouvoir la flexibilité et améliorer la couverture de l’assurance-chô-mage devraient aller de pair. Des marchés du travail flexibles sont également une condition du bon fonction-nement de l’union monétaire. En d’autres termes, un train de mesures qui permette d’améliorer l’assurance-chômage et de renforcer la flexibilité soutiendra à la fois l’inclusion sociale interne et la future stabilité de la zone euro. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains préconisent un soutien européen des régimes d’as-surance-chômage nationaux, notamment au sein de la zone euro.

La coordination des négociations salariales a le même potentiel à double usage. Cette affirmation peut être surprenante et plus controversée, mais mérite un examen approfondi. Selon l’OCDE, l’amélioration du dia-logue social et des relations entre les partenaires sociaux est un aspect important d’une croissance plus équi-table et inclusive : un taux de syndicalisation et un taux de couverture des négociations collectives élevés, ainsi que la centralisation/coordination des négociations salariales, ont tendance à aller de pair avec une baisse des inégalités salariales globales, bien que tout le monde ne s’accorde pas sur l’ampleur de ces effets et sur le fait qu’ils s’appliquent ou non aux femmes (OCDE 2015). Atkinson (2015) fait la même observation et l’inclut dans une discussion plus générale sur le lien entre égalité et autonomisation, ainsi que sur la nécessité d’avoir des « conversations nationales » sur la rémunération et l’inégalité des revenus. Par ailleurs, la coordination des négociations salariales est également importante dans une union monétaire, pour des raisons d’évolutions symétriques des salaires. Nous avons réalisé depuis 2008 que l’exposition aux forces du marché n’a pas per-mis d’établir une discipline salariale au sein de l’union monétaire. Au contraire, l’intégration monétaire, telle qu’elle a été mise en œuvre, a encouragé un « manque de discipline », qui a été davantage porteur de diver-gence que de convergence. Nous considérons donc que la zone euro a besoin d’une « main visible » pour encou-rager la symétrie, notamment au niveau de l’augmentation des salaires (Vandenbroucke 2015a, b). De plus, les États membres ont besoin d’institutions du marché du travail qui puissent coordonner l’augmen-tation des salaires : la « main visible » doit être efficace.

Ainsi, l’UE devrait réaliser les effets positifs liés à la coordination des négociations salariales au sein des États membres. Au lieu d’encourager la décentralisation des négociations collectives, elle devrait prendre des mesures en vue de soutenir et de faciliter la coordination des négociations. Le rapport des cinq présidents (2015) sur l’avenir de l’union monétaire présente désormais une proposition qui peut être reliée à la néces-sité de revoir les systèmes de négociation collective : il propose un système d’« autorités de la compétitivité » nationales au niveau de la zone euro et cite la Belgique comme un exemple de bonnes pratiques en la matière. En effet, l’organisme de surveillance de la compétitivité belge est intégré aux institutions nationales de négo-ciation collective et le fait qu’il fasse partie intégrante du système de négociation collective lui confère son autorité. Ainsi, les « bonnes pratiques » auxquelles le rapport des cinq présidents fait référence pourraient être élargies pour intégrer ces autorités de la compétitivité dans les systèmes de négociation collective.

Enfin, des initiatives de l’UE pourraient également être nécessaires pour permettre aux États membres de mettre en œuvre avec succès certaines recommandations de l’OCDE. L’OCDE souligne qu’un système de redis-tribution efficace dans le cadre d’impôts et de transferts sociaux est un outil puissant pour contribuer à renfor-cer l’égalité et la croissance. Selon son analyse, le système de redistribution a perdu en efficacité ces dernières décennies dans de nombreux pays étant donné que les prestations versées aux personnes en âge de travailler n’ont pas suivi le rythme des salaires réels et que la fiscalité est devenue moins progressive. Pour l’OCDE, les politiques doivent garantir que les individus riches, mais également les multinationales assument leur pleine part de la charge fiscale. Sans un cadre européen sur la fiscalité des entreprises, cela semble très difficile à réaliser, voire impossible compte tenu de la concurrence fiscale entre les pays européens (Bénassy-Quéré, Trannoy et Wolff 2014). Dans les années 1980, l’établissement de conditions égales en ce qui concerne la santé et la sécurité du travail a été considéré comme un résultat naturel de l’approfondissement de l’intégration du marché ; dans le même esprit, renforcer l’Union d’aujourd’hui pourrait nécessiter la mise en place de règles du jeu équitables dans de nouveaux domaines tels que la fiscalité des entreprises.

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9. Solidarité et confiance mutuelleDans la section précédente, nous avons souligné la pertinence, pour l’UE, des recommandations de l’OCDE pour lutter contre l’inégalité. Ces observations ont trait à des questions plus fondamentales de solidarité, de confiance mutuelle et du rôle de l’UE. Nous examinons brièvement ces questions dans cette section.

L’ORGANISATION DE LA SOLIDARITÉ NÉCESSITE UNE CONFIANCE MUTUELLE”

Depuis 2008, nous avons réalisé que les lacunes dans la construction de l’union monétaire européenne l’ont rendu instable et fragile : elle a man-

qué d’une union bancaire et d’une banque centrale qui soit prête à agir en tant que prêteur de dernier ressort, si nécessaire. Le rapport des cinq prési-

dents considère désormais que la zone euro a également besoin d’une fonc-tion de stabilisation budgétaire. En effet, un prêteur de dernier ressort et une

capacité budgétaire sont deux critères essentiels pour soutenir les États-providence de la zone euro dans l’une de leurs principales fonctions systémiques :

la stabilisation en période de crise économique. L’idée d’une fonction de stabilisa-tion budgétaire, qui implique des transferts budgétaires d’une manière ou d’une

autre, est évoquée de façon très générale dans le rapport des cinq présidents. Certes, elle soulève des ques-tions techniques et politiques complexes et différentes options peuvent être envisagées ; l’idée d’un soutien européen des régimes d’assurance-chômage, mentionnée dans la précédente section, pourrait être une option39. Il est donc important de clarifier ces idées, qui constituent aujourd’hui davantage un programme de recherche qu’un programme politique. Au fond, tant au niveau de l’achèvement de l’union bancaire (qui sou-lève des questions d’assurance mutuelle) que de la stabilisation budgétaire (qui peut également être interpré-tée comme l’organisation d’une assurance mutuelle contre un contexte économique défavorable), le rapport des cinq présidents souligne le besoin aigu de renforcer la solidarité au sein de la zone euro.

L’organisation de la solidarité nécessite une confiance mutuelle. La solidarité fondée sur l’assurance mutuelle est une option rationnelle, mais même les individus les plus rationnels ne participeront pas à l’assurance mutuelle s’ils ne se font pas suffisamment confiance. La solidarité européenne nécessite une confiance mutuelle dans la qualité du tissu social au sein des États membres, notam-ment en ce qui concerne leur capacité à être compétitifs et à avoir des finances publiques saines.

La confiance mutuelle est également en jeu dans le débat sur le dumping social. Par le passé, le spectre d’un dumping social à grande échelle ne s’est jamais concrétisé, mais dans l’UE élargie d’aujourd’hui, des cas fla-grants de conditions de travail illégales et d’exploitation se produisent, qui sont dus aux lacunes concernant la mise en œuvre nationale de la protection sociale et de la sécurité de l’emploi dans les États membres, à la réduction de leur souveraineté juridique et à l’absence de normes sociales communes dans un groupe très hétérogène de pays. Pour que l’opinion publique européenne accepte la mobilité de la main d’œuvre et la migration, ces dernières doivent impérativement s’intégrer dans un ordre social régulé, et non pas compro-mettre cet ordre social. Le fait de pouvoir ou non protéger les normes relatives au salaire minimum dans un contexte de libre circulation des travailleurs et des services en est un exemple frappant. Concilier la mobi-lité et les quatre libertés d’une part, avec la cohésion interne des États-providence nationaux et des relations entre partenaires sociaux de l’autre est un enjeu complexe, mais pas insurmontable. Cela nécessite un « équi-librage » qui est réalisable. Cet équilibrage ne doit pas se faire uniquement entre les principes économiques et les principes sociaux. Aussi bien l’ouverture internationale (sous certaines conditions) que la cohésion sociale interne peuvent être comprises dans le sens de solidarité ; cette question a été examinée dans la section 2, où nous avons expliqué que le projet européen impliquait une notion complexe de solidarité. Ainsi, l’équilibrage doit également se faire entre différents types de solidarité.

39. Voir Beblavý et Maselli (2014) pour un exercice de simulation qui compare un régime d’assurance-chômage européen harmonisé à un régime de réassurance et Enderlein, Guttenberg et Spiess (2013) pour une autre proposition qui consiste à organiser une assurance contre les chocs conjoncturels fondée sur des mesures de l’écart de production.

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10. EnvoiL’Union européenne mérite un triple A social si elle soutient activement aussi bien la convergence vers des niveaux plus élevés de bien-être entre les États membres que la convergence vers une plus grande égalité au sein des États membres. Dans un sens, cette double ambition n’est pas nouvelle ; elle signifie que nous devons revenir à ce qui a inspiré à l’origine les pères fondateurs du projet européen. Le problème porte moins sur l’inspiration originale que sur notre capacité actuelle à la réaliser en pratique. Les pères fondateurs ont pensé de façon optimiste que la cohésion croissante au sein des pays et entre eux pourrait être obtenue grâce à la coopération économique supranationale ; les politiques sociales internes devaient redistribuer les fruits du progrès économique, tout en demeurant une prérogative nationale. Cette division traditionnelle du travail n’est pas adaptée aux enjeux actuels. De fait, l’UE a déjà eu un impact considérable sur les politiques sociales des États membres. Nous devons donc désormais définir ce que nous attendons de l’UE dans le domaine de la politique sociale.40

L’AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE NOTRE CAPITAL HUMAIN EST UNE CONDITION ESSENTIELLE DE LA PROSPÉRITÉ ET DU BIEN-ÊTRE DANS L’UE”

L’UE devrait encourager et soutenir les États membres pour qu’ils conçoivent des trains de mesures poursuivant ces deux objectifs simulta-

nément. Ces trains de mesures « à double usage » existent : l’éducation en est un exemple éloquent. L’amélioration de la qualité de notre capital humain

est une condition essentielle de l’accroissement sur le long terme de la pros-périté et du bien-être dans l’UE. Actuellement, l’Union européenne souffre

d’un écart important en termes de capital humain, tant au sein des États membres qu’entre eux. Ainsi, réduire les inégalités sociales entre les familles

avec enfants et investir dans l’accueil et l’éducation des jeunes enfants peut contri-buer à la cohésion nationale et à la convergence à long terme au niveau de l’UE. Bien sûr, améliorer les chances de succès dans l’éducation de tous les enfants n’est pas juste une question d’argent ; cela nécessite également de réformer le système éducatif de nombreux États membres. Les gouvernements qui adoptent cette stra-tégie doivent être encouragés et pouvoir avoir l’opportunité de tirer les enseignements de l’expé-rience d’autres gouvernements européens, tout en recevant le soutien concret de l’UE, notamment lorsqu’ils connaissent de graves difficultés budgétaires. Il faut plus de « solidarité dans la réforme ».

De plus en plus de décideurs réalisent qu’il faut promouvoir la solidarité au sein de l’Union européenne, en témoignent le récent rapport des cinq présidents sur l’avenir de la zone euro et la crise des réfugiés. L’organisation de la solidarité nécessite une confiance mutuelle. La confiance mutuelle est également en jeu dans le débat sur le dumping social. Pour que l’opinion publique européenne accepte la mobilité de la main d’œuvre et la migration, ces dernières doivent impérativement s’intégrer dans un ordre social régulé. Cet « équilibrage » devrait figurer parmi les priorités de l’UE.

Le rôle de l’UE dans la politique sociale peut être résumé comme suit. L’UE devrait proposer un cadre qui concilie l’ouverture et la mobilité avec la cohésion sociale interne ; elle devrait soutenir les États-providence nationaux au niveau systémique dans certaines de leurs fonctions clés ; elle devrait orienter le développement substantiel des États-providences nationaux en définissant des normes et des objectifs sociaux généraux et organiser des processus d’apprentissage mutuel, mais laisser les États membres choisir les méthodes et les moyens.

40. Voir Fernandes et Maslauskaite (2013), qui proposent trois scénarios pour approfondir l’union monétaire européenne et Vandenbroucke (2015a, b) qui prône une union sociale européenne.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

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RemerciementsLes auteurs souhaitent remercier Katharina Barié, Iain Begg, Timo J. Hämäläinen, Timo Lindholm, Robin Niblett, Daniel Schraad-Tischler, Joscha Schwarzwälder et Karen Wilson pour leurs commentaires et discus-sions dans le cadre du groupe de travail sur les aspects sociaux du projet Vision Europe. Les auteurs sont également reconnaissants à Sofia Fernandes et Claire Versini pour leur contribution à la version française du texte. Les analyses et opinions présentées dans ce rapport sont celles des auteurs.

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INÉGALITÉS SOCIALES EN EUROPE : LE DÉFI DE LA CONVERGENCE ET DE LA COHÉSION

Directeur de la publication : Yves Bertoncini • La reproduction en totalité ou par extraits de cette contribution est autorisée à la double condition de ne pas en dénaturer le sens et d’en mentionner la source • Les opinions exprimées n’engagent que la responsabilité de leur(s) auteur(s) • Notre Europe – Institut Jacques Delors ne saurait être rendu responsable de l’utilisation par un tiers de cette contribu-tion • Traduction à partir de l’anglais : Charlotte Laigle• © Notre Europe – Institut Jacques Delors

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LA REFONTE DES ÉTATS-PROVIDENCE EUROPÉENS : LE TEMPS DE L’ACTIONYves Bertoncini, Piero Gastaldo, Aart De Geus, Mikko Kosonen, Robin Niblett, Artur Santos Silva, Izabela Styczyńska, and Guntram Wolff, Tribune, Vision Europe Summit, December 2015

L’ÉTAT-PROVIDENCE EN EUROPE :VISIONS POUR L’AVENIR Iain Begg, Fabian Mushövel, et Robin Niblett, Policy paper No 146, Vision Europe Summit, Institut Jacques Delors, décembre 2015

GOUVERNER L’ÉTAT-PROVIDENCE ET AU-DELÀ - DES SOLUTIONS POUR UN MONDE COMPLEXE ET UN AVENIR INCERTAIN Eeva Hellström, Mikko Kosonen, Le Fonds d’innovation finlandais Sitra, Policy paper No 148, Vision Europe Summit, Institut Jacques Delors, décembre 2015

L’ÉCART INTERGÉNÉRATIONNEL CROISSANT EN EUROPE : QUEL RÔLE POUR L’ÉTAT-PROVIDENCE ?Pia Hüttl, Karen Wilson, Guntram Wolff, Policy paper No 149, Vision Europe Summit, Institut Jacques Delors, décembre 2015

REDESSINER L’UEM : QUEL PROGRAMME APRÈS LES NÉGOCIATIONS GRECQUES ?Eulalia Rubio, David Rinaldi et Emmett Strickland, Synthèse, Institut Jacques Delors, novembre 2015

INTÉGRATION RÉGIONALE ET COHÉSION SOCIALE : L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNEEulalia Rubio, Policy paper No 138, Institut Jacques Delors juin 2015

RENFORCER L’UEM : COMMENT MAINTENIR ET DÉVELOPPER LE MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN ?Sofia Fernandes et Kristina Maslauskaite, Études et Rapport No 101, Notre Europe - Institut Jacques Delors, novembre 2013

CONCURRENCE SOCIALE DANS L’UE : MYTHES ET RÉALITÉS Kristina Maslauskaite, Études et Rapport No 97, Notre Europe - Institut Jacques Delors, juin 2013