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dossier Pharmacogénétique Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. IX - n° 6 - novembre-décembre 2014 206 206 Syndrome de Gilbert : aspects génétiques et pharmacogénétiques Gilbert syndrome: molecular and pharmacokinetic aspects F. Petit*, F. Parisot*, A. Hubert* , ** * Laboratoire de génétique moléculaire, service d’histologie-embryologie- cytogénétique, hôpital Antoine-Béclère, Clamart. ** Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme hépatique, hôpital Antoine-Béclère, Clamart. RÉSUMÉ Summary » Le syndrome de Gilbert est un trouble fréquent du métabolisme de la bilirubine. Il se manifeste par une hyperbilirubinémie modérée à prédominance non conjuguée. Bien qu’il soit bénin, son diagnostic moléculaire est important dans 2 situations : d’abord, pour rassurer et confirmer un diagnostic clinique ; ensuite, pour réduire le risque de toxicité induite par les xénobiotiques métabolisés par UGT1A1, notamment l’irinotécan, lors du traitement de patients souffrant d’un cancer. » L’analyse moléculaire est rapide et peu coûteuse. La détermination du nombre de répétitions du dinucléotide TA dans le promoteur du gène UGT1A1 doit cependant être associée à la détermination de la mutation exonique c.211G>A. Mots-clés : Syndrome de Gilbert − Diagnostic génétique. Gilbert syndrome is a frequent disorder of bilirubin metabolism. It manifests itself by moderate hyperbilirubinemia predominantly unconjugated. Although it is benign, molecular diagnosis is important in 2 situations: firstly, to be reassuring and to confirm clinical diagnosis; secondly, to reduce the risk of drug-induced toxicity, in particular neutropenia during treatment with irinotecan in cancer patients. Molecular analysis is rapid and cheap. Determination of TA-repeat numbers in the promoter of UGT1A1 needs however to be associated with c.211G>A exonic mutation analysis. Keywords: Gilbert syndrome − Genetic diagnosis. D écrit en 1901 par Augustin Gilbert et Pierre Lereboullet (1), le syndrome de Gilbert, ou cho- lémie familiale (MIM #143500), est une affection bénigne héréditaire du métabolisme hépatique liée à un déficit partiel et modéré de l’activité de conjugai- son de la bilirubine par l’enzyme uridine diphosphate glucuronosyltransférase 1A1 ou UGT1A1. Le syndrome de Gilbert est retrouvé chez 3 à 10 % de la population, il ne s’agit donc pas d’une affection rare (2). Il se caracté- rise principalement par une augmentation modérée de la concentration sérique en bilirubine totale avec une nette prédominance de la fraction non conjuguée. Il est à distinguer de la maladie de Crigler-Najjar dans laquelle le déficit en UGT1A1 est majeur ou complet, entraînant une augmentation fulgurante dans les premières heures de vie des concentrations sériques de bilirubine, exclu- sivement ou quasi exclusivement non conjuguée. Métabolisme de la bilirubine La bilirubine – qui provient majoritairement de la dégradation des globules rouges sénescents – est le produit de dégradation final du noyau héminique de l’hème. Après ouverture du cycle héminique par l’hème oxygénase (étape limitante de la voie métabolique), la biliverdine obtenue est réduite par la biliverdine réductase en bilirubine. La bilirubine non conjuguée est hautement lipophile et doit donc être conjuguée pour devenir hydrosoluble et permettre son élimina- tion de l’organisme. Depuis son site de production, la bilirubine, liée à l’albumine, est transportée jusqu’au foie pour y être conjuguée. Ce transport est d’une très haute importance car lorsque les capacités de liaison de la bilirubine à l’albumine sont dépassées (liaison mole à mole), la bilirubine non conjuguée se retrouve libre dans la circulation. Il existe alors un risque majeur de lésions cellulaires, notamment au niveau des corps cellulaires des noyaux gris centraux (3). Si la bilirubine libre est capable de pénétrer la membrane de toutes les cellules, de par sa forte lipophilie, les cellules des noyaux gris centraux sont plus sensibles à son action toxique, probablement du fait d’un déficit en MRP1 (Multidrug Resistance Protein 1), canal permettant un efflux actif de la bilirubine du cytosol vers le milieu extracellu- laire. Arrivée dans la circulation hépatique, la bilirubine

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    Pharmacogénétique

    Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. IX - n° 6 - novembre-décembre 2014206206

    Syndrome de Gilbert : aspects génétiques et pharmacogénétiquesGilbert syndrome: molecular and pharmacokinetic aspectsF. Petit*, F. Parisot*, A. Hubert*,**

    * Laboratoire de génétique moléculaire, service

    d’histologie-embryologie-cytogénétique, hôpital

    Antoine-Béclère, Clamart.** Centre de référence

    des maladies héréditaires du métabolisme hépatique,

    hôpital Antoine-Béclère, Clamart.

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    » Le syndrome de Gilbert est un trouble fréquent du métabolisme de la bilirubine. Il se manifeste par une hyperbilirubinémie modérée à prédominance non conjuguée. Bien qu’il soit bénin, son diagnostic moléculaire est important dans 2 situations :• d’abord, pour rassurer et confi rmer un diagnostic clinique ;• ensuite, pour réduire le risque de toxicité induite par les

    xénobiotiques métabolisés par UGT1A1, notamment l’irinotécan, lors du traitement de patients souff rant d’un cancer.

    » L’analyse moléculaire est rapide et peu coûteuse. La détermination du nombre de répétitions du dinucléotide TA dans le promoteur du gène UGT1A1 doit cependant être associée à la détermination de la mutation exonique c.211G>A.

    Mots-clés : Syndrome de Gilbert − Diagnostic génétique.

    Gilbert syndrome is a frequent disorder of bilirubin metabolism. It manifests itself by moderate hyperbilirubinemia predominantly unconjugated. Although it is benign, molecular diagnosis is important in 2 situations:• fi rstly, to be reassuring and to confi rm clinical diagnosis;• secondly, to reduce the risk of drug-induced toxicity, in

    particular neutropenia during treatment with irinotecan in cancer patients.

    Molecular analysis is rapid and cheap. Determination of TA-repeat numbers in the promoter of UGT1A1 needs however to be associated with c.211G>A exonic mutation analysis.

    Keywords: Gilbert syndrome − Genetic diagnosis.

    D écrit en 1901 par Augustin Gilbert et Pierre Lereboullet (1), le syndrome de Gilbert, ou cho-lémie familiale (MIM #143500), est une aff ection bénigne héréditaire du métabolisme hépatique liée à un défi cit partiel et modéré de l’activité de conjugai-son de la bilirubine par l’enzyme uridine diphosphate glucuronosyltransférase 1A1 ou UGT1A1. Le syndrome de Gilbert est retrouvé chez 3 à 10 % de la population, il ne s’agit donc pas d’une aff ection rare (2). Il se caracté-rise principalement par une augmentation modérée de la concentration sérique en bilirubine totale avec une nette prédominance de la fraction non conjuguée. Il est à distinguer de la maladie de Crigler-Najjar dans laquelle le défi cit en UGT1A1 est majeur ou complet, entraînant une augmentation fulgurante dans les premières heures de vie des concentrations sériques de bilirubine, exclu-sivement ou quasi exclusivement non conjuguée.

    Métabolisme de la bilirubine

    La bilirubine – qui provient majoritairement de la dégradation des globules rouges sénescents – est le

    produit de dégradation fi nal du noyau héminique de l’hème. Après ouverture du cycle héminique par l’hème oxygénase (étape limitante de la voie métabolique), la biliverdine obtenue est réduite par la biliverdine réductase en bilirubine. La bilirubine non conjuguée est hautement lipophile et doit donc être conjuguée pour devenir hydrosoluble et permettre son élimina-tion de l’organisme. Depuis son site de production, la bilirubine, liée à l’albumine, est transportée jusqu’au foie pour y être conjuguée. Ce transport est d’une très haute importance car lorsque les capacités de liaison de la bilirubine à l’albumine sont dépassées (liaison mole à mole), la bilirubine non conjuguée se retrouve libre dans la circulation. Il existe alors un risque majeur de lésions cellulaires, notamment au niveau des corps cellulaires des noyaux gris centraux (3). Si la bilirubine libre est capable de pénétrer la membrane de toutes les cellules, de par sa forte lipophilie, les cellules des noyaux gris centraux sont plus sensibles à son action toxique, probablement du fait d’un défi cit en MRP1 (Multidrug Resistance Protein 1), canal permettant un effl ux actif de la bilirubine du cytosol vers le milieu extracellu-laire. Arrivée dans la circulation hépatique, la bilirubine

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    Syndrome de Gilbert : aspects génétiques et pharmacogénétiques

    non conjuguée liée à l’albumine traverse la membrane hépato cytaire probablement selon 2 mécanismes :

    ✓ un mécanisme passif du fait de la lipophilie et grâce à un gradient de concentration ;

    ✓ un mécanisme actif minoritaire utilisant le canal OATP2 (Organic Anion Transporting Polypeptide 2).Arrivée dans le cytosol, la bilirubine non conjuguée est prise en charge par la ligandine qui assure son trans-port jusqu’à l’enzyme de conjugaison UGT1A1. Cette dernière est la seule capable de fi xer 1 ou 2 résidus glucuro nosyles sur la bilirubine de sorte que tout défi cit partiel ou complet de cette enzyme sera responsable d’un défaut de conjugaison de la bilirubine, et donc d’une augmentation des concentrations sériques de bilirubine non conjuguée. Une fois conjuguée, la bili-rubine est éliminée de l’hépatocyte vers le canalicule biliaire par le canal MRP2. En cas de défi cit de cette voie d’élimination (syndrome de Dubin-Johnson, syndrome de Rotor), la bilirubine conjuguée refl ue dans la circu-lation sanguine via le canal MRP3 (fi gure).

    Manifestations clinicobiologiques

    La principale manifestation du syndrome de Gilbert est une hyperbilirubinémie modérée et fl uctuante, majori-tairement non conjuguée. Le diagnostic peut être posé lors de l’exploration d’un subictère ou au décours d’un examen de routine révélant une hyperbilirubi némie. L’hyperbilirubinémie peut se majorer au cours du jeûne ou lors d’épisodes infectieux. Excepté l’ictère, le reste de l’examen clinique est normal. Certains patients rap-portent des douleurs abdominales modérées ou des nausées pendant les poussées d’ictère sans que le lien direct avec le défi cit en UGT1A1 puisse être établi. Il est souvent diffi cile, lors de poussées d’ictère chez un patient présentant un syndrome de Gilbert, de faire la part entre le défi cit enzymatique en lui-même et une situation particulière à l’origine d’une augmentation transitoire de la production de bilirubine (situation d’hyperhémolyse). Ainsi, tout diagnostic de syndrome de Gilbert – y compris moléculaire – ne doit pas exclure d’emblée une éventuelle pathologie du globule rouge à l’origine d’une augmentation de la production de la bilirubine non conjuguée. Dans notre expérience, il n’existe pas de lien entre un ictère important en période néonatale et la présence d’un syndrome de Gilbert. En eff et, nous avons étudié plus de 100 enfants atteints d’un ictère néonatal important ayant nécessité la mise en place d’une photothérapie, et nous avons retrouvé une proportion plus faible de l’anomalie moléculaire responsable du syndrome de Gilbert chez ces enfants

    que dans la population générale (données person-nelles). Le syndrome de Gilbert est totalement bénin et ne nécessite aucun traitement. Le pronostic est excellent, et il n’est pas nécessaire de mettre en place un suivi médical. En revanche, quelques précautions doivent être prises en cas d’administration de médi-caments qui utilisent la même voie métabolique. Leur élimination peut s’en trouver réduite, induisant ainsi un risque de surdosage. Cela est particulièrement bien décrit pour l’irinotécan utilisé comme antimitotique (4).

    Diagnostic génétique

    Le gène UGT1A1 est constitué de 5 exons et est loca-lisé à l’extrémité du bras long du chromosome 2 (2q37.1) [5]. Il fait partie de la famille des gènes et pseudogènes UGT1A ayant tous en commun les exons 2 à 5, la spécifi cité de substrat étant uniquement liée à l’exon 1. L’exon 1 du gène UGT1A1 est celui situé le plus près du groupe des exons 2 à 5. Il possède son propre promoteur qui est une TATA box. De nom-breuses anomalies de séquence ont été rapportées comme réduisant de manière signifi cative mais par-tielle l’activité transcriptionnelle du gène ou l’activité enzymatique de la protéine produite à l’origine du syndrome de Gilbert. Il existe une grande variabilité dans l’origine ethnogéographique de ces anomalies

    Figure. Métabolisme hépatique de la bilirubine. BNC : bilirubine non conjuguée ; BC : bilirubine conjuguée ; MRP : Multi-Drug Resistance Protein ; OATP : Organic Anion Transporting Polypeptide.

    Vaisseau sanguin

    Hépatocyte

    Canalicule biliaire

    BNC BNC

    BC BC

    UGT1A1

    BC

    OATP2

    MRP2

    MRP3

    MRP1

    Ligandine

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    de séquence. Dans les populations caucasiennes et africaines, l’anomalie la plus fréquente induit une diminution de l’activité transcriptionnelle du gène (6). Il s’agit d’une duplication d’un dinucléotide TA dans le promoteur. Dans la population générale, la TATA box comporte 6 répétitions du motif dinucléotidique TA, alors que chez les patients présentant un syndrome de Gilbert ce dinucléotide est présent 7 fois. Cette duplication est responsable d’une diminution de 80 % de l’activité transcriptionnelle du gène UGT1A1. Des formes rares – quasiment exclusivement retrouvées chez des patients originaires d’Afrique noire – avec 5 et 8 répétitions ont également été décrites. Il existe un véritable gradient d’effi cacité transcriptionnelle inver-sement proportionnel au nombre de répétitions du dinucléotide TA. En pratique quotidienne, les variants A(TA)5TAA et A(TA)6TAA sont considérés comme nor-maux et les variants A(TA)7TAA et A(TA)8TAA comme pathologiques. Dans les populations asiatiques, l’anomalie du promoteur est minoritaire, au pro-fi t d’anomalies dans les régions codantes du gène (notamment dans l’exon 1 spécifique d’UGT1A1) réduisant l’activité enzymatique d’UGT1A1. La plus fréquente de ces anomalies est la mutation faux sens c.211G>A, responsable de la modifi cation de séquence peptidique p.Gly71Arg (7). Dans les 2 cas, la transmission est récessive et la pénétrance incom-plète. En eff et, dans la population caucasienne, la fréquence de l’anomalie A(TA)7TAA du promoteur à l’état homozygote est de l’ordre de 20 %, alors que la prévalence du syndrome de Gilbert n’est que de 3 à 10 %. Une autre anomalie de séquence a plus récem-ment été impliquée dans le syndrome de Gilbert. Il s’agit d’un variant nucléotidique dans la région de liaison au phénobarbital en amont du promoteur du gène UGT1A1 appelé PBREM. Sans être suffi sante, la variation de séquence c.-3279T>G semble prédis-poser au syndrome de Gilbert (8). Mais si des études fonctionnelles in vitro ont montré un eff et délétère du variant de la séquence PBREM sur l’expression d’UGT1A1, il semble plus s’agir d’un facteur accentuant le défi cit que d'un élément pouvant à lui seul induire un défi cit biologiquement objectivable (9).

    Analyse moléculaire

    Le diagnostic génétique du syndrome de Gilbert repose sur la mesure du nombre de répétitions du dinucléotide TA dans le promoteur. Cette mesure doit être complétée par la recherche au minimum de la mutation c.211G>A dans l’exon 1 pour les patients d’origine asiatique.

    Polymorphisme du promoteur du gène UGT1A1 (dénommé UGT1A1*28)Plusieurs techniques ont été mises au point depuis le milieu des années 1990 reposant toutes sur une ampli-fi cation suivie d’une détermination de la longueur du fragment. Les premiers résultats ont été obtenus après séparation électrophorétique sur gel d’acrylamide des produits PCR (2). Puis l’arrivée des séquenceurs auto-matiques et des amorces fluorescentes a permis le remplacement de cette technique très manuelle par une analyse plus robuste en analyse de fragments. Quelques laboratoires ont également utilisé la tech-nique HRM (High Resolution Melt) sur amplificateur temps réel, mais le coût important et la nécessité de disposer de l’appareillage spécifi que n’ont pas permis un grand développement de cette méthode (10). De plus, cette technique a montré certaines limites dans la détection de génotypes particuliers (profi ls 6/7 et 6/8 identiques) [11].

    Mutation exonique c.211G>A (dénommée UGT1A1*6) et variant du PBREM c.-3279G>T (dénommé UGT1A1*60)Plusieurs techniques de biologie moléculaire ont été utilisées pour rechercher ces variants, de l’amplifi cation suivie d’une digestion enzymatique (par BsmBI pour le variant exonique et par TspRI pour le variant dans le PBREM) jusqu’au séquençage complet de chacune de ces régions.

    Analyse multiparamétriqueDans notre laboratoire, nous avons mis au point la recherche simultanée du variant du promoteur et des mutations ponctuelles c.211G>A et c.-3279G>T en com-binant plusieurs techniques de biologie moléculaire. Une première PCR permet l’amplifi cation du fragment com-portant le promoteur du gène UGT1A1 et l’amplifi cation d’un gène témoin (exon 12 du gène AFP). Une seconde amplifi cation en tétra-ARMS (Amplifi cation Refractory Mutation System) PCR en fl uorescence permet la recherche des mutations ponctuelles c.211G>A et c.-3279T>G.Les produits PCR sont ensuite mélangés à un marqueur de taille pour une lecture sur analyseur de fragments. La mise au point de cette technique nous permet un rendu de résultats en 24 heures si nécessaire, extraction com-prise. Elle a fait l’objet d’une accréditation Cofrac en 2013.

    Données épidémiologiques

    Au cours d’une analyse épidémiologique réalisée dans notre laboratoire, nous avons inclus 226 patients

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    Syndrome de Gilbert : aspects génétiques et pharmacogénétiques

    adressés pour suspicion de syndrome de Gilbert à la suite d’une hyperbilirubinémie et 65 sujets témoins. L’analyse moléculaire a été réalisée selon le protocole présenté ci-dessus chez tous les individus. Comme attendu, il a été retrouvé une surreprésentation des variants (TA)7/(TA)7, (TA)7/(TA)8, (TA)8/(TA)8 chez les patients par rapport aux sujets témoins (47,7 % versus 16,9 %). Bien qu’il n’y ait pas de diff érence signifi cative de répartition des allèles de la TATA box et du PBREM, aussi bien pour les patients que pour les témoins, entre les valeurs observées et les valeurs attendues, il existe un fort déséquilibre de liaison entre les 2 groupes d’allèles. En eff et, les allèles (TA)5, (TA)7 et (TA)8 de la TATA box ont été systéma tiquement et uniquement retrouvés associés à l’allèle G du PBREM. Ce déséqui-libre de liaison entre les 2 variants peut être expliqué par l’apparition de la modifi cation de la TATA box dans la population possédant l’allèle G du PBREM et par la proximité physique des 2 locus (absence de recombi-naison méiotique), mais cette hypothèse seule ne per-met pas d’expliquer la présence des allèles (TA)7, (TA)8 et surtout (TA)5 uniquement avec l’allèle G. Une autre hypothèse serait que la mutation c.-3279T>G induit une instabilité de la séquence poly(TA) du promoteur, aussi bien en duplication [(TA)7 ou (TA)8] qu’en délé-tion [(TA)5], alors que la confi guration c.-3279G assure une meilleure stabilité de la région TATA box. Si des études in vitro ont montré une diminution de l’expres-sion du gène UGT1A1 avec les associations alléliques (TA)6/(TA)7-G/G et (TA)7/(TA)7-G/G par rapport aux autres combinaisons (9), nous n’avons pas retrouvé d’eff et similaire in vivo. En eff et, aucune surrepré-sentation pour l’association (TA)6/(TA)7-G/G n’a été retrouvée chez les patients par rapport aux témoins, et la fréquence des génotypes T/T, T/G et G/G n’a pas été trouvée significativement différente entre les patients et les témoins avec le génotype (TA)6/(TA)7. Pour l’association (TA)7/(TA)7-G/G, il ne nous a pas été possible de déterminer le poids du polymorphisme du PBREM dans le phénotype car nous n’avons jamais retrouvé d’association (TA)7-T.

    Pharmacogénétique

    Si UGT1A1 est la seule enzyme capable de méta boliser la bilirubine pour son élimination hépatique, la biliru-bine n’est, en revanche, pas la seule molécule métabo-lisée par UGT1A1 (12). Des composés physiologiques comme l’estradiol ou des xénobiotiques (ou leurs déri-vés) sont également conjugués par UGT1A1 (tableau). L’irinotécan est sans doute la molécule dont le métabo-

    lisme en présence de modifi cations d’UGT1A1 a été le plus étudié. En eff et, le méta bolite actif de l’irinotécan, SN-38, voit sa conjugaison réduite en présence de modifi cations d’UGT1A1, et donc sa toxicité augmen-tée (neutropénie sévère, diarrhées). Chez les patients présentant un syndrome de Gilbert, et ce, quelles que soient la ou les variations de séquence retrouvées, il est nécessaire de réduire les quantités d’irinotécan administrées pour éviter l’émergence d’eff ets indé-sirables, tout en restant à des doses pharmacologi-quement actives. En eff et, la clairance hépatique de SN-38 est estimée chez les patients homozygotes pour le polymorphisme du promoteur à 60 % de ce qu’elle est chez les patients à génotype sauvage (12). Il y a moins de données disponibles chez les patients por-teurs de la mutation c.211G>A à l’état homozygote, mais la diminution de la clairance semble proche de 50 % (12). Étant donné la grande fréquence de cette mutation dans la population asiatique (environ 18 %) et l’augmentation des brassages de populations, il est fortement recommandé de réaliser la recherche simultanée du polymorphisme du promoteur et de la mutation c.211G>A dans les enquêtes pharmaco-génétiques en préalable au traitement par irinotécan ou étoposide (13). Une attention particulière semble également devoir être portée lors des traitements par méthotrexate, qui est un inhibiteur enzymatique d’UGT1A1 dont l’effet semble accentué en cas de syndrome de Gilbert.

    Tableau. Médicaments dont le métabolisme peut être modifi é en cas de syndrome de Gilbert (12).

    Infl uence pharmacologique connue des variants d’UGT1A1 réduisant d’au moins 30 % la clairance hépatique

    AtazanavirÉtoposide

    ÉzétimibeIrinotécan

    Impact modéré à mineur des variants d’UGT1A1 sur le principe actif ou ses métabolites pouvant révéler des eff ets indésirables ou induire des interactions médicamenteuses

    AspirineBuprénorphineCarvédilolCérivastatineClozapineDelta-9-tétrahydrocannabinolDesvenlafaxineÉdaravoneÉpigallocatéchine gallateEstradiolÉthinylestradiolFulvestrantFurosémideLévofl oxacine

    LosartanR-méthadoneMoxifl oxacineNaltrexoneParacétamolPhénytoïneRaloxifèneRaltégravirAcide salicyliqueSimvastatineTétrahydrocannabinolL-thyroxineWarfarine

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    Conclusion

    Le diagnostic moléculaire du syndrome de Gilbert est rapide et fiable. Il doit combiner au minimum la recherche des variants caucasiens (TATA box) et asiatique (c.211G>A). Il permet dans la plupart des cas d’apporter une réponse rassurante à une aug-

    mentation modérée de la bilirubine non conjuguée, bien qu’un diagnostic positif ne doive pas exclure d’emblée une anomalie du globule rouge. Ce diag-nostic moléculaire occupe également une place importante en pharmaco génétique dans l’adapta-tion des doses d’agents anticancéreux métabolisés par UGT1A1. ■

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    R é f é r e n c e s

    F. Petit déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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