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Page 1: Société de réanimation de langue française – XXIIIe Conférence de consensus en réanimation et en médecine d’urgence – jeudi 23 octobre 2003Transfusion érythrocytaire

Conférence de consensus

Société de réanimationde langue française – XXIIIe Conférence de consensus en réanimation

et en médecine d’urgence – jeudi 23 octobre 2003

Transfusion érythrocytaire en réanimation (nouveau-né exclu)

Avec la participation de la Société française d’anesthésie et de réanimation, la Société françaisede transfusion sanguine, la Société française d’hématologie, la Société française degastro-entérologie, le Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques*

Institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France

Jury du consensus

Président : D. Perrotin (Tours)J. Camboulives (Marseille) ;Y. Domart (Compiègne) ; J.Y.

Fagon (Paris) ; J.L. Gérard (Caen) ; O. Jonquet (Montpel-lier) ; J.J. Lefrère (Amiens) ; P. Lestavel (Lille) ; M. DeMontalembert (Paris) ; C. Paugam (Paris) ; J. Regnier (LaRoche/Yon) ; F. Schneider (Strasbourg) ; T. Soupison (Eau-bonne)

Conseillers scientifiques

G. Andreu (Tours) ; A. Lienhart (Paris) ; B. Souweine(Clermont-Ferrand)

Commission des référentiels

Secrétaire : R. Robert (Poitiers)Membres : D. Barnoud ; T. Blanc ; T. Boulain ; A. Cariou ;

M. Genestal ; C. Girault ; B. Guidet ; S. Leteurtre ; M.Thuong Guyot ; M. Wolff

Représentant du Conseil d’administration : J.-L. Diehl

1. Introduction

La transfusion de concentrés de globules rouges (CGR)consiste à administrer des globules rouges d’un donneur à unreceveur pour corriger son anémie.

La justification de la transfusion érythrocytaire est d’évi-ter les conséquences délétères de l’anémie. Celles-ci dépen-dent de la profondeur de l’anémie et des capacités individuel-les de compensation.

L’apparition du sida a modifié la perception du risquetransfusionnel. Le poids des risques passés ne doit cependantpas conduire à substituer à une ère de transfusions aux indi-cations trop libérales, une ère d’indications trop restreintesavec perte de chance pour les malades. Le risque résiduel etla pénurie de dons rendent légitimes des recommandationsguidant la pratique transfusionnelle en réanimation.

1.1. Les cinq questions posées au jury

Elles sont les suivantes :• question 1 : quel(s) bénéfice(s) (au sens physiopatholo-

gique) peut-on attendre de la correction de l’anémiechez les malades de réanimation ?

• question 2 : quels sont les risques de la transfusion ?• question 3 : peut-on prévenir l’anémie et quelles sont les

alternatives à la transfusion ?• question 4 : quelles sont les modalités de la transfusion

érythrocytaire en réanimation ?• question 5 : quelle doit être la stratégie de prise en

charge de l’anémie chez les malades de réanimation ?

1.2. L’ensemble des recommandations formulées parle jury et le niveau de preuves sur lesquelles elless’appuient sont classés en fonction des règles suivantes

• score d’évaluation des références :C a : études prospectives contrôlées et randomisées ;C b : études non randomisées, comparaisons simultanées

ou historiques de cohortes ;

* Auteur correspondant. Service de réanimation médicale polyvalente,CHRU Bretonneau, 2, boulevard Tonnele, 37044 Tours cedex 1, France.

Adresse e-mail : [email protected] (D. Perrotin).

Réanimation 12 (2003) 531–537

www.elsevier.com/locate/reaurg

© 2003 Publié par Elsevier SAS pour la Société de réanimation de langue française.doi:10.1016/j.reaurg.2003.11.001

Page 2: Société de réanimation de langue française – XXIIIe Conférence de consensus en réanimation et en médecine d’urgence – jeudi 23 octobre 2003Transfusion érythrocytaire

C c : mises au point, revues générales, éditoriaux etétudes substantielles de cas en série publiés dans desrevues avec comité de lecture et révisés par des expertsextérieurs ;

C d : publications d’opinions telles que monographie oupublications d’organisations officielles dans des jour-naux ou des livres sans comité de lecture et sansrévision par des experts extérieurs ;

• score pour les recommandations :C niveau 1 : recommandation justifiée en elle-même par

des preuves scientifiques indiscutables ;C niveau 2 : recommandation justifiée par des preuves

scientifiques et le soutien consensuel des experts ;C niveau 3 : recommandation ne reposant pas sur des

preuves scientifiques adéquates mais soutenue par lesdonnées disponibles et l’opinion des experts.

Ces scores sont indiqués entre parenthèses dans le texte.

2. Question 1 : quel(s) bénéfice(s) au sensphysiopathologique peut-on attendre de la correctionde l’anémie chez les malades de réanimation ?

Peu de travaux ont évalué la fréquence de l’anémie enréanimation. On estime que le taux d’hémoglobine est infé-rieur à 10 g/dL chez un tiers des malades à l’admission (plusde deux tiers des patients après quatre jours).

Plusieurs mécanismes contribuent à l’anémie :• la perte d’érythrocytes (par soustraction, hémorragie ou

hémolyse), qui est progressive ou brutale et comportealors un risque vital. L’anémie peut être révélée ouaggravée par l’hémodilution ;

• la dysérythropoïese médullaire, liée à d’éventuelles ca-rences et à une synthèse inappropriée d’érythropoïétinetrès fréquente chez les malades dont le séjour en réani-mation se prolonge au-delà de quelques jours, engendreune anémie progressive.

Il convient de distinguer deux situations :• l’anémie normovolémique, d’installation progressive ;• l’anémie hypovolémique par hémorragie aiguë qui né-

cessite d’abord la correction de la volémie. La baisse dutaux d’hémoglobine résulte en partie de l’hémodilutioninduite par le remplissage initial.

2.1. L’objectif de la transfusion de concentrés de globulesrouges (CGR)

C’est l’amélioration des modifications physiopathologi-ques secondaires à l’anémie. Celle-ci provoque en effet unediminution du contenu artériel en O2 (CaO2) et donc dutransport de l’O2 (TO2). Ce dernier dépend directement dudébit cardiaque (DC). Si celui-ci diminue, les modificationsde la consommation d’O2 (VO2) deviennent dépendantes del’extraction tissulaire en O2 (EO2) :

• lors d’une anémie normovolémique, l’oxygénation tis-sulaire est maintenue grâce à une élévation du DC et/ou

de l’EO2. L’hypoxie tissulaire apparaît lorsque ces mé-canismes de compensation sont dépassés (chez le sujetsain vers 5 g/dl d’hémoglobine). Elle peut être plusprécoce en réanimation si la compensation n’est pasoptimale. Le principal bénéfice de la transfusion deCGR est de restaurer le CaO2. Si les mécanismes decompensation ne sont pas dépassés, l’augmentation del’hémoglobine n’augmente pas la VO2 ;

• la diminution du CaO2 peut être aggravée par une baissede la SaO2. L’augmentation du taux d’hémoglobine a puêtre proposée pour maintenir le CaO2 : cette indicationde la transfusion de CGR n’est pas validée. En revanche,l’optimisation de la PaO2 est justifiée lors d’une anémie ;

• au cours de l’anémie, l’augmentation du DC est due àune élévation du volume d’éjection systolique et de lafréquence cardiaque. De nombreux traitements (bêta-bloquants notamment) limitent cette adaptation, en par-ticulier la tachycardie. Lors d’élévations brutales duniveau de VO2, comme au cours du réveil anesthésique,le travail myocardique est plus élevé et induit un risquecoronarien intrinsèque. Les mécanismes cardiaques decompensation sont pris en défaut ou source de compli-cations dans l’insuffisance cardiaque sévère et au coursde l’ischémie myocardique. La transfusion de CGR estlogique dans ce contexte ;

• l’existence d’une hypovolémie (anémie hypovolémi-que) diminue la capacité d’élévation réactionnelle duDC. L’élévation de l’EO2 devient alors le mécanismeprépondérant de maintien de la VO2, ce dont témoigneune diminution de la SvO2. Les CGR ne sont pas dessolutés de remplissage mais contribuent dans cette situa-tion particulière à la restauration de la volémie.

2.2. La transfusion de CGR

Elle a d’autres effets qu’il faut prendre en considération :• l’anémie augmente la synthèse de 2,3 DPG intra-

érythrocytaire dés la 12e heure. Il en résulte un déplace-ment de la courbe de dissociation de l’hémoglobine versla droite (augmentation de la P50) qui facilite la libéra-tion tissulaire de l’O2. Des travaux suggèrent que lesérythrocytes transfusés au-delà de trois semaines destockage ont une moindre efficacité en raison d’unediminution de leur contenu en 2,3 DPG ;

• au plan rhéologique, l’anémie s’accompagne d’une hy-poviscosité sanguine favorisant l’augmentation des dé-bits locaux et ainsi la distribution de l’O2. Surcorrigerl’anémie augmente la viscosité et peut être délétère ;

• l’anémie allonge le temps de saignement et peut aggra-ver les troubles de l’hémostase en particulier au cours duchoc hémorragique. La transfusion de CGR peut théori-quement contribuer à en diminuer les conséquences ;

• chez le nourrisson, la P50 est supérieure à celle del’adulte. La diffusion de l’O2 aux tissus est ainsimeilleure pour un même taux d’hémoglobine.

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3. Question 2 : quels sont les risques de la transfusion ?

Le rapport bénéfice/risque doit être apprécié avant la miseen œuvre de toute transfusion. Il existe trois types de risque.

3.1. Le risque infectieux

Le risque lié à la transmission des agents viraux majeursest devenu infime : un sur 1 250 000 dons pour le VIH, 1 sur450 000 pour le VHB, 1 sur 6,5 millions pour le VHC. Enraison de la déleucocytation des produits sanguins labiles, lerisque est devenu si faible qu’il n’est plus quantifiable pourles virus leucotropes connus (cytomégalovirus, EBV, HTLV-I). Aucun cas transfusionnel d’infection par le West NileVirus n’a été observé en France métropolitaine.

À ce jour, par rapport au risque viral, le risque de conta-mination bactérienne est passé au premier plan : 1 sur167 500 culots globulaires transfusés (données de l’hémovi-gilance 2001). Cette contamination peut survenir à l’occa-sion d’une bactériémie du donneur au moment du don oud’une désinfection cutanée insuffisante au niveau du prélève-ment. Ce risque peut s’exprimer par un choc endotoxinique.

Le risque de paludisme (transmission par les produitscontenant des hématies : concentrés de globules rouges etplaquettaires) est le seul risque de contamination parasitaireen France métropolitaine. Il est évalué à 0,25 sur 1 million dedons. Sa prévention repose sur l’exclusion des donneursayant récemment séjourné dans une zone à risque et sur lapratique d’une sérologie en cas de doute.

Le risque de transmission d’agents transmissibles nonconventionnels (ATNC) reste théorique. Aucun cas de mala-die liée à un ATNC transmis par voie sanguine n’a étéobservé dans le monde.

La prévention du risque infectieux repose sur : l’interro-gatoire des donneurs à la recherche de facteurs de risque etd’une symptomatologie évocatrice ; l’exclusion du don dessujets ayant été transfusés dans leur passé ; la déleucocyta-tion systématique ; le dépistage biologique des agents patho-gènes ; l’autotransfusion, qui élimine tout risque de contami-nation virale.

3.2. Le risque immunologique

Les accidents immunologiques sont le plus souvent liés àun conflit entre anticorps du receveur et antigènes apportéspar la transfusion.

Une hémolyse aiguë (intravasculaire) peut s’observer encas d’incompatibilité dans le système ABO (la plus grave),mais aussi dans d’autres systèmes de groupe. Le risque ABOest évalué à 1 sur 150 000 transfusions. Le contrôle ultime« au lit du malade », obligatoire, est le dernier verrou desécurité. L’hémolyse retardée apparaît quelques jours aprèsla transfusion sous forme d’une inefficacité transfusionnelle,avec parfois un ictère. Ce risque est diminué par la transfu-sion de CGR phénotypés (cf. Question 4 et Figure 1). L’im-munisation antileucocytaire, qui peut se manifester par unsyndrome frisson–hyperthermie, est due à une incompatibi-

Fig. 1. Risques transfusionnels (identifiés) par CGR transfusé

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lité HLA. Sa fréquence a diminué depuis la déleucocytationsystématique. Accident rare mais d’identification difficile, leTRALI (« Transfusion Related Acute Lung Injury ») semanifeste par un œdème pulmonaire lésionnel apparaissantdans les suites immédiates de la transfusion et peut évoluervers une défaillance multiviscérale. Il peut survenir avec lesculots plaquettaires et le plasma, beaucoup moins souventavec les concentrés globulaires. Enfin, diverses manifesta-tions allergiques (du prurit au choc anaphylactique) sontpossibles, par exemple celles liées à l’apparition, chez lemalade déficitaire congénital en IgA, d’un anticorps spécifi-que qui peut réagir avec les IgA contenues dans le produittransfusé. La « réaction du greffon contre l’hôte » (GVH) estdevenue exceptionnelle.

3.3. Les autres risques

Un œdème pulmonaire hémodynamique peut surveniraprès une transfusion trop rapide, notamment chez un insuf-fisant cardiaque.

Une complication des transfusions massives est la dilutiondes plaquettes et des facteurs de la coagulation (par adminis-tration massive de concentrés érythrocytaires et de solutés deremplissage) qui est responsable d’hémorragies. Une autrecomplication des transfusions massives incluant d’impor-tants apports de plasma est l’intoxication citratée, qui en-traîne une hypocalcémie : celle-ci peut se manifester par desparesthésies, des tremblements, des troubles du rythme. Lesautres complications à prévenir sont l’hypothermie (par in-suffisance de réchauffement du produit) et les variations de lakaliémie, qui est à surveiller.

Par ailleurs, le retentissement clinique de l’immunodé-pression potentiellement induite par la transfusion n’est pasdocumenté à ce jour.

Au total, le risque de transmission des virus majeurs est àce jour maîtrisé. Le risque immunologique et le risque bac-térien le sont moins, et la transmission d’un agent émergent(de portage aigu ou chronique) est toujours possible. Cepen-dant, plusieurs voies de sécurisation sont en cours d’étude :inactivation des agents pathogènes (à l’aide de substancesbloquant la réplication des acides nucléiques), dépistage desagents bactériens éventuellement présents dans la poche desang, utilisation de « globules rouges universels » (dont lesgroupes sanguins sont rendus inaccessibles au système im-munitaire du receveur).

4. Question 3 : peut-on prévenir l’anémie et quellessont les alternatives à la transfusion ?

L’anémie fréquemment observée chez les patients de réa-nimation est associée à un recours à la transfusion chez plusde la moitié des adultes hospitalisés au-delà de 48 heures ; cetaux paraît plus faible chez l’enfant. Les produits sanguinslabiles sont précieux, onéreux (coût minimum d’un CGR :170 Euros) et n’offrent pas une sécurité absolue. Ceci justifie

la mise en place, dans les services de réanimation, d’unepolitique d’épargne transfusionnelle reposant sur une procé-dure écrite (3).

Cette politique définit une stratégie de limitation des per-tes sanguines insistant sur la spoliation inhérente à la prise encharge de malades graves. Chez l’adulte, le volume sanguinprélevé pour les examens biologiques est proportionnel aunombre et à la sévérité des défaillances viscérales et à ladurée de séjour en réanimation ; la spoliation sanguine quo-tidienne est en moyenne de 40 mL. Les possibilités d’adapterles techniques de prélèvements utilisées en pédiatrie doiventêtre évaluées chez l’adulte. La mise en place d’une procédureécrite visant à réduire la quantité de sang prélevée pour lesexamens est recommandée (3). Cette procédure définit lesmodalités de la transfusion et les règles concernant les indi-cations, la fréquence et le volume des prélèvements sanguins.

Une politique d’épargne transfusionnelle s’adresse enthéorie à tous les patients. Il importe cependant qu’elle negénère pas une prise de risque. Il existe en effet des groupesde patients pour lesquels une stratégie d’épargne doit êtreconduite avec prudence (cf. Question 5).

En situation d’urgence, la cinétique et l’abondance del’hémorragie, les comorbidités (traumatismes crâniens no-tamment) imposent d’anticiper et limitent les possibilités derecommander un seuil transfusionnel. Une politique d’épar-gne transfusionnelle s’attachera à limiter l’hémodilution, àreconnaître la vasoplégie (définitions d’objectifs tensionnels,utilisation de vasoconstricteurs), à utiliser précocement lestechniques instrumentales d’hémostase et à traiter les coagu-lopathies. Dans des situations particulières, notamment leshémothorax traumatiques, des techniques de récupérationsanguine peuvent être utilisées.

4.1. L’érythropoïétine

Elle est utilisée dans le traitement de l’insuffisance rénalechronique, en cancérologie et dans le cadre de la chirurgieorthopédique majeure programmée. Chez le patient de réani-mation, l’administration d’érythropoïétine exogène permetde stimuler l’érythropoïèse et de générer une épargne trans-fusionnelle (a), sauf chez les brûlés. Néanmoins, la remontéedu taux d’hémoglobine n’est observée qu’une semaine aprèsla première injection. Les modalités d’administration del’érythropoïétine en réanimation ne sont pas standardisées(dose, voie d’administration, durée de traitement). Aucuneétude n’a montré de bénéfice en terme de mortalité chez despatients recevant de l’érythropoïétine. Enfin, de rares casd’érythroblastopénie ont été rapportés.

En l’absence de contre-indications, il est cependant possi-ble de poursuivre en réanimation un traitement par érythro-poïétine antérieurement prescrit chez l’insuffisant rénal et lepatient d’oncohématologie. En dehors de l’urgence vitaleet/ou immédiate, chez le patient anémié qui refuse la trans-fusion, un traitement par érythropoïétine peut être envisagé.En dehors de ces circonstances, l’utilisation de l’érythropoïé-tine n’est pas recommandée en réanimation (2).

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4.2. Les solutions d’hémoglobine

Elles ont des caractéristiques rhéologiques et une faibleaffinité pour l’oxygène qui favorisent l’oxygénation tissu-laire ; elles ont aussi un pouvoir oncotique et un effet vaso-constricteur qui s’accompagnent d’une augmentation de lapression artérielle. Ces caractéristiques ouvrent en théoriedes perspectives intéressantes pour ces molécules en tant quesoluté de remplissage transporteur d’oxygène dans le cadredu choc hémorragique. Néanmoins, si certaines études clini-ques montrent un gain en terme d’épargne transfusionnelle,elles ont un impact nul, voire négatif sur la mortalité. Leurutilisation ne peut donc pas être recommandée (1).

4.3. Les perfluorocarbones

Ce sont des molécules cycliques à demi-vie très courte quipeuvent fixer de grandes quantités d’oxygène. Leurs caracté-ristiques physicochimiques limitent leur utilisation aux pa-tients en situation d’hémorragie aiguë sous ventilation méca-nique en FiO2 élevée. Les premières études effectuées dans lecadre de l’anémie aiguë n’ont montré aucun bénéfice enterme de mortalité, et leur usage n’est pas recommandé enréanimation (2).

4.4. L’administration de fer

Elle n’a pas d’intérêt chez le patient de réanimation endehors d’une carence martiale documentée ou en associationà un traitement chronique par érythropoïétine (3). De plus,les apports de fer à fortes doses sont associés à un risqueinfectieux accru (d).

5. Question 4 : quelles sont les modalitésde la transfusion érythrocytaire en réanimation ?

5.1. Les différents types de concentrés de globules rougeset leurs indications

5.1.1. Concentré de globules rouges (CGR) déleucocytéIl représente aujourd’hui le produit de base. La déleuco-

cytation, obligatoire en France depuis 1998, diminue l’inci-dence des allo-immunisations anti-HLA, des réactions fébri-les et le risque de transmission de virus leucotropes.

Le CGR est obtenu par filtration, centrifugation et sépara-tion de sang total. La durée de conservation est de 42 jours.Son contenu minimal en hémoglobine est de 40 g. Lorsqu’unproduit quitte le lieu de distribution, il doit être transfusé dansles six heures, étant entendu que toutes les procédures deconservation et de transport ont été respectées.

5.1.2. CGR déleucocyté phénotypéIl s’agit d’un CGR dont les antigènes du groupe sanguin

ont été déterminés pour au moins cinq spécificités autres quecelles définissant les antigènes ABO et D (Rh standard). Le

phénotypage concerne toujours les antigènes C,E,c,e,Kell,plus rarement « phénotype étendu » (antigènes Kidd, Duffy,Lewis et MNS...) ; ces antigènes sont impliqués dans lesallo-immunisations transfusionnelles ou fœtomaternelles.Les indications des CGR phénotypés sont : les patients à RAIpositive, les femmes en âge de procréer, les transfusés itéra-tifs. En cas de RAI positive, la sélection de sang phénotypédoit s’accompagner d’une épreuve directe de compatibilitéau laboratoire. En aucun cas, la réalisation de ce test ne doitse substituer au contrôle ultime pré-transfusionnel au lit dumalade. La tendance actuelle est à la systématisation del’emploi des CGR phénotypés dans la limite de leur disponi-bilité.

5.1.3. Hémodilution, récupération per-opératoireLe sang autologue prélevé en per-opératoire ou en urgence

doit être clairement identifié. Aucune conservation en dehorsdes phases per- et post-opératoire immédiate n’étant tolérée,il doit être transfusé dans les six heures suivant le prélève-ment.

5.1.4. CGR irradiéL’irradiation (25 à 45 grays) permet, en détruisant les

lymphocytes du donneur, de prévenir, chez un receveur enétat d’immunodépression profonde, la réaction du « greffoncontre l’hôte ».

5.1.5. CGR « CMV négatif »Il provient de dons de sujets séronégatifs pour le cytomé-

galovirus (CMV). Ces indications restent à ce jour : rece-veurs immunodéprimés, femmes enceintes, malade greffé ouen attente de greffe.

5.1.6. Particularités de l’enfantLe phénotypage est obligatoire chez les filles, recom-

mandé chez les garçons. La transformation pédiatrique d’unCGR résulte de la division qui doit être réalisée à l’établisse-ment de transfusion sanguine (ETS), d’un CGR adulte uni-que en plusieurs unités (maximum quatre). Elle permet dediminuer le nombre de donneurs en cas de transfusions répé-tées chez le nourrisson. Elle nécessite la coordination entre leprescripteur et l’ETS.

5.2. Modalités pratiques d’emploi des produits sanguins

Le délai de réalisation des examens immunohématologi-ques (au moins 45 minutes), conduit à utiliser une procédured’urgence vitale immédiate (Tableau 1).

L’urgence vitale immédiate impose l’existence d’une pro-cédure de transfusion préalablement établie entre l’établisse-ment de santé et l’ETS. La présence au minimum d’un dépôtde sang dans un établissement de santé est justifiée pourraccourcir le délai de distribution. L’urgence augmente lerisque d’erreur transfusionnelle. Elle ne dispense pas del’application de procédures rigoureuses, notamment lecontrôle ultime au lit du malade. La mise en place précoce

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d’un cathéter artériel (fémoral) est utile pour faciliter lesprélèvements et diminuer les risques d’erreur (3).

Les CGR doivent être transfusés sur un cathéter veineuxpériphérique de gros calibre. Il est recommandé de réserverune voie d’abord à la transfusion. Les CGR sont transfuséspar une tubulure spécifique avec un filtre de 200 µm, tubulureà changer après chaque CGR.

Devant un choc hémorragique, deux cathéters périphéri-ques sont nécessaires. En cas d’échec du cathétérisme péri-phérique, un abord veineux profond de gros calibre doit êtreposé préférentiellement en site fémoral (3) ; chez le nourris-son l’alternative est la voie intra-osseuse. Le débit de trans-fusion est adapté à la situation clinique. Il peut être nécessaired’utiliser un dispositif accélérateur–réchauffeur.

En dehors du choc hémorragique, aucune étude ne permetde déterminer le débit optimal de transfusion, en particulierchez l’insuffisant cardiaque. Les effets délétères potentielsd’un apport trop rapide de globules rouges (OAP avant tout)doivent être évités. La vitesse de perfusion habituellementutilisée chez l’adulte est de 10 à 15 mL/min. Chez l’enfant, laquantité habituelle est de 10 à 15 mL/kg avec un débit de 4 à8 mL/kg/h. Compte-tenu du risque bactérien, la durée totaled’administration d’un CGR ne devrait pas excéder deuxheures.

La mise en place d’une politique transfusionnelle écriteest nécessaire. Elle s’accompagne d’une évaluation. La pres-cription de la transfusion est un acte médical. En raison de sesimplications potentielles, la prise de décision doit être « se-niorisée ». La transfusion impose le respect des bonnespratiques de l’hémovigilance notamment l’information dupatient, la traçabilité et la tenue du dossier transfusionnel.

6. Question 5 : quelle doit être la stratégie de prise encharge de l’anémie chez les malades de réanimation ?

6.1. Syndrome hémorragique

Les conséquences de l’hémorragie aiguë imposent de res-taurer rapidement le volume circulant et le CaO2. Dans cecontexte, le taux d’hémoglobine mesuré au lit du maladeapporte des informations sur l’importance de l’hémodilution

induite par les solutés de remplissage utilisés à la phaseinitiale. L’importance, la cinétique du phénomène hémorra-gique et l’instabilité hémodynamique guident la thérapeuti-que. Ceci est évalué sur les paramètres cliniques et paraclini-ques usuels directement accessibles (fréquence cardiaque etrespiratoire, pression artérielle, aspect des téguments, signesneurologiques, signes électriques d’ischémie cardiaque).Dans une situation où une hémostase chirurgicale ou instru-mentale est requise, la transfusion ne doit pas retarder legeste salvateur. Le traitement des troubles de l’hémostaseassociés ou majorés par une hémodilution profonde doit êtreréalisé en particulier lors de pathologies où l’hémostase chi-rurgicale n’est pas accessible (traumatismes crâniens, hépa-tiques, hématomes rétro péritonéaux...) (3).

6.2. En dehors du syndrome hémorragique

Toute anémie doit faire discuter une transfusion. L’ex-trême variabilité individuelle de la tolérance à l’anémie et lesrisques liés à la transfusion rendent une stratégie transfusion-nelle exclusivement fondée sur des valeurs-seuil d’Hb sim-plificatrice à l’excès. La décision de transfusion doit doncreposer sur une analyse bénéfices/risques pour un patientdonné. Elle doit être explicitée dans le dossier du patient. Latolérance de l’anémie chez les malades de réanimation dé-pend de la profondeur de l’anémie et des capacités du patientà s’adapter à la baisse du transport en oxygène. Celle-ci estfonction :

• des antécédents cardiaques (insuffisance coronaire, in-suffisance cardiaque sévère : stade III-IV de la NYHA),grand âge, existence d’une anémie chronique ;

• des circonstances de survenue (hypovolémie concomi-tante, période périopératoire, sepsis sévère ou choc sep-tique) ;

• de situations cliniques particulières augmentant la VO2

comme une fièvre, une agitation ou la période de réveil.Les signes habituels de mauvaise tolérance de l’anémie

sont : polypnée, tachycardie, apparition d’un angor, baisse dela vigilance, déficit neurologique, lipothymie d’effort, allon-gement du temps de recoloration cutanée chez l’enfant. Chezles malades de réanimation, ces signes ne sont ni spécifiquesni sensibles, en particulier du fait d’une sédation. Dans cecontexte la valeur d’alerte d’une élévation de la lactatémie etde signes électrocardiographiques tels que la modification dusegment ST a souvent été soulignée (b,2).

Tableau 1Procédures transfusionnelles en urgence

Situation ProcéduresUrgence vitaleimmédiate

• Transfuser des C,E,c,e, négatif ccee Kell négatifsans hémolysine, après un premier prélèvement pourgroupage phénotypage et RAI (si possible avantremplissage)• Effectuer le second prélèvement immédiatementavant la pose du premier CGR,• Transfuser sans attendre les résultats.

Autres situations • Effectuer deux déterminations pour groupagephénotypage et RAI• Transfuser des CGR iso-groupe iso-rhésus Kellcompatibles

Tableau 2Recommandations transfusionnelles

Valeur-seuild’Hb (g/dL)

Situations cliniques, en l’absence de signesde mauvaise tolérance

10 → Syndrome coronarien aiguë (b,2)9 ] → Cardiopathie ischémique et insuffisance

cardiaque stables (b,2)8 → Patient âgé (b,2) ; période post-opératoire de

chirurgie cardiaque et/ou vasculaire (b,2)Prise en charge initiale du sepsis sévère (a,2)

7 → Tous les autres (a,2)

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Page 7: Société de réanimation de langue française – XXIIIe Conférence de consensus en réanimation et en médecine d’urgence – jeudi 23 octobre 2003Transfusion érythrocytaire

En pratique, en dehors de signes patents de mauvaisetolérance, c’est souvent le taux d’hémoglobine qui fait seposer la question de la nécessité d’une transfusion. Lesvaleurs-seuil peuvent être définies comme les taux au-dessous desquels il existe un risque démontré de surmorbi-dité ou de surmortalité. Il n’existe pas aujourd’hui de dé-monstration scientifique du bénéfice à relever le taux d’Hbau-dessus de ces valeurs-seuil, sauf chez les patients ayant unsyndrome coronarien aigu et/ou une insuffisance cardiaquesévère (b,2).

Il n’y a pas d’argument scientifique soutenant la nécessitéde maintenir chez le patient de réanimation une valeur nor-male (ou « habituelle ») d’Hb (a,1).

L’ensemble des données disponibles suggère que la trans-fusion est recommandée si le taux d’Hb est inférieur à 7 g/dLet non recommandée au delà de 10 g/dL. Son objectif est demaintenir le taux d’Hb entre 7 et 9 g/dL (a,2). Entre ces deuxvaleurs, la décision transfusionnelle dépend de la situationclinique (Tableau 2). Une telle stratégie est actuellementconsidérée comme « restrictive ». Les données disponiblesmontrent que cette stratégie réduit le nombre de patientstransfusés, le nombre d’unités transfusées, et le taux moyend’Hb sans affecter la mortalité, la morbidité et la durée deséjour en réanimation. Elle est d’autant plus utile que l’inno-cuité de la transfusion sanguine ne sera jamais totale. Lesdonnées concernant les patients porteurs d’une cardiopathieischémique ou d’une insuffisance cardiaque stables suggè-rent qu’une telle stratégie n’a pas d’effet délétère (a,2). Il n’ya pas de données disponibles concernant l’insuffisant respi-ratoire et le traumatisé crânien. De même, en l’absence de

données, cette stratégie peut être appliquée chez l’enfant saufen cas de cardiopathie congénitale cyanogène non corrigée(3). Des taux d’Hb inférieurs à 7 g/dL sont probablementacceptables en l’absence de signes de mauvaise tolérance,dans certaines situations comme l’anémie post-hémorragique après contrôle du saignement.

La nécessité de poursuivre la transfusion doit être évaluéeaprès chaque CGR (3).

L’impact à plus long terme de la stratégie « restrictive »,notamment sur la récupération fonctionnelle et cognitive,reste à évaluer.

Dans tous les cas devant un refus de transfusion, le méde-cin réanimateur fait face à une contradiction entre deuxdevoirs : le respect de la vie et le respect du refus de soin (enFrance, articles 223-6 du code pénal et loi du 4 mars 2002).Dans le contexte de l’urgence vitale, s’il décide de transfuserle patient, il doit pouvoir démontrer que les conditions sui-vantes sont remplies:

• tout a été mis en œuvre pour éviter la transfusion ;• tout a été fait pour convaincre le patient conscient, sa

famille ou la personne de confiance d’accepter le soin ;• il n’existe actuellement pas d’alternative thérapeutique ;• le traitement est proportionnel à l’état du patient.Ces éléments doivent figurer dans le dossier du patient.

Compte-tenu du risque de procédures médico-légales, lanotification de cette situation au procureur de la républiquesemble souhaitable. Chez le patient mineur pour lequel lestitulaires de l’autorité parentale refusent la transfusion, leprocureur de la république doit être saisi ; la transfusion n’estpossible qu’avec son accord qui implique la destitution tem-poraire de l’autorité parentale.

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