court traité d'ontologie transitoire (prologue) - alain badiou

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L’ORDRE PHILOSOPHIQUE COLLECTION DIRIGÉE PAR ALAIN BADIOU ET BARBARA CASSIN Extrait de la publication

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Court Traité d'Ontologie Transitoire (Prologue) - Alain Badiou

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  • LORDRE PHILOSOPHIQUE

    COLLECTION DIRIGE PAR ALAIN BADIOU

    ET BARBARA CASSIN

    Extrait de la publication

  • COURT TRAIT DONTOLOGIE TRANSITOIRE

  • Extrait de la publication

  • ALAIN BADIOU

    COURT TRAIT DONTOLOGIETRANSITOIRE

    DITIONS DU SEUIL27, rue Jacob, Paris VIe

    Extrait de la publication

  • ISBN: 978-2-02-106823-8

    ditions du Seuil, octobre 1998

    Le Code de la proprit intellectuelle interdit les copies ou reproductions destines une utilisation collective. Toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite par quelqueprocd que ce soit, sans le consentement de lauteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaon sanctionne par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.

  • Jappelle ontologie transitoire celle qui se dplieentre la science de ltre en tant qutre, ou thoriedu multiple pur, et la science de lapparatre, oulogique de la consistance des univers effectivementprsents. Cest un trajet de pense, dont ce petitlivre donne quelques jalons.

    A. B., avril 1998

    Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • Prologue

    Dieu est mort

    De quoi Dieu est-il le nom dans la formule Dieu estmort? Nous ne pouvons pas supposer quil y ait pournous une vidence quelconque de ce point. Nous le pou-vons dautant moins que si effectivement Dieu est mort,et comme il arrive aux dfunts dont le tombeau mmenest plus quune pierre efface ou terreuse, il est pro-bable que la mmoire de ce dont il sagissait sous ce nom,Dieu, est ensevelie, disperse, dlaisse. Cest du restetoute la diffrence entre la formule thorique Dieunexiste pas, et le dire historique, ou factuel, Dieu estmort. La premire, en forme de thorme, comme on ditque nexiste pas un nombre rationnel qui puisse faire rap-port entre le ct du carr et sa diagonale, suppose queDieu est un concept, dont le thorme dinexistence,incessamment dmontrable, ractive la signification. Direque Dieu est mort fait en revanche de Dieu un nompropre, comme on dit du trisaeul Casimir Dubois quilest mort, sans peut-tre rien savoir, et en tout cas sans riencomprendre, hormis sa mort, cette infinit vivante sin-gulire qui se disposait sous le syntagme clos CasimirDubois.

    La question est dautant plus aigu qu supposer que

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  • Dieu soit mort, il faut certainement soutenir quil lestdepuis longtemps. Peut-tre ds aprs la prdication desaint Paul commence-t-on faire mourir ce qui tait laseule vie vritable de Dieu, la rsurrection du Christ,unique et dcisive victoire enregistre sur la mort, la mortcomme figure du sujet, et non comme objectivit bio-logique. En tout cas la Renaissance surimpose au Dieuvivant la multiplicit suspecte des dieux mythologiques,dont Renan dira bien plus tard quils ntaient si prsentset nus dans le grand art classique que dtre tous envelop-ps dans le linceul de pourpre o dorment les dieuxmorts. Et si ce nest la Renaissance, cest Galile, ou Des-cartes, pour qui lunivers, sorte de graphe matriel de lamathmaticit, fixe Dieu dans la ponctualit transmath-matique de linfini actuel, ce qui nest vivre que dans lamort littrale. Ou alors, ce sont les philosophes desLumires, pour qui la politique est strictement laffairedes hommes, une immanence pratique dont on doit expul-ser tout recours lagencement providentiel du Tout-Puissant. Ou bien cest Cantor, qui chasse Dieu de salocalisation infinie, pour y installer le nombre et le calcul.Dieu peut-tre agonise longuement, mais cest bien des formes successives de son embaumement que noussommes occups, depuis plusieurs sicles.

    Cest pourquoi la question de ce qui gt sous son nomest de plus en plus obscure. Et ce nest pas den accorderla fonction celle du Pre qui peut nous clairer. Feuer-bach affirmait dj que le Dieu chrtien, et tout son appa-reillage, ntaient que des projections de lorganisationfamiliale et de sa symbolique constituante. Mais il nepouvait le faire que parce que Dieu tait dj mort, oumourant. Disons que cette thse sur Dieu participait du

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  • processus de sa mort, et de loubli de ce qui vivait sousson nom. Ramener le fonctionnement de Dieu celui dunom-du-Pre nest quune des faons dabsenter sous sonseul nom propre, et sous lidal de la science, la singula-rit du Dieu vivant.

    L est le point crucial, quant la porte de la formuleDieu est mort. Il est simple et difficile la fois. Il sedit: si lon affirme Dieu est mort, cest que le Dieudont on parle tait vivant, appartenait la dimension de lavie. Dun concept, dun symbole, dune fonction signi-fiante, on peut dire quils sont devenus obsoltes, contre-dits, inefficients. On ne peut pas dire quils sont morts.Cest bien pourquoi toute apprhension de la question deDieu sous le chef des symbolisations primordiales finitpar conclure quil nest pas mort, voire quil est immortel.

    De ce point de vue, la psychanalyse entretient avec laquestion de Dieu un rapport finalement ambigu. Pourautant quelle en fait, dans la ligne de Feuerbach, le nomsublime dune des fonctions o le dsir spingle, ellepoursuit la mortification scientifique de la transcendance.Mais pour autant quelle repre la stabilit de cette fonc-tion, et que nulle constitution subjective nen peut faireradicalement lconomie, elle assure Dieu, de lintrieurde sa mort suppose, une prennit conceptuelle sans pr-cdent. On en donnera comme preuve empirique quenombre de psychanalystes minents et talentueux, commeFranoise Dolto ou Michel de Certeau, nont vu aucunecontradiction formelle, au contraire, entre leur engage-ment freudien et la croyance religieuse. Mais tout aussibien que Lacan, quon ne peut certes pas souponner decomplaisance clricale, nen soutenait pas moins quiltait proprement impossible den finir avec la religion.

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  • Or ma conviction sur ce point est contraire. Je prendsau pied de la lettre la formule Dieu est mort. Cestarriv, ou, comme dit Rimbaud, ceci est pass. Dieu, cestfini. Et la religion aussi, cest fini. Il y a l, comme Jean-Luc Nancy la fortement nonc, de lirrversible, dont ilimportera seulement de comprendre quel mcanismesubjectif se rattache quon puisse si aisment croire quilnen est rien, que la religion prospre, ou mme, commeon le dit en ce moment, quelle fait retour. Mais non. Rienne fait retour, nous navons pas croire aux spectres, lemort drive, solitaire et oubli, dans son tombeau ano-nyme et sans lieu.

    A condition, bien entendu, de poser que na pu mourir,sans rsurrection possible, quun Dieu vivant. Et quest-cequun Dieu vivant? Un Dieu vivant, comme tout vivant,est ce avec quoi dautres vivants ont vivre. Cest ce quePascal, un des derniers dfenseurs de ce Dieu condamn,avait admirablement compris. Le Dieu qui peut mourirnest pas et ne peut pas tre le Dieu conceptuel de Des-cartes, le tenant-lieu de linfini, la suture des vritsmathmatiques leur tre, ou la garantie des jugementssous la forme du grand Autre. Ce doit tre le Dieu dIsaac,dAbraham et de Jacob, ou ce Christ qui parle directe-ment Pascal dans son jardin des Oliviers intrieur. LeDieu vivant est toujours le Dieu de quelquun. Le Dieuavec qui quelquun, Isaac, Jacob, Paul, ou Pascal, partagela puissance de vivre, au prsent pur de son dploiementsubjectif. Seul ce Dieu vivant nourrit une conviction pro-prement religieuse. Il faut que le sujet ait affaire luicomme une puissance exprimente dans le prsent. Il faut quil soit rencontr. Et rencontr partir de soi-mme. Ainsi du Dieu de Kierkegaard, autre dfenseur

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  • attard du Dieu mourant, quand, purant laffect dudsespoir, il nonce que dans son rapport lui-mme,en voulant tre lui-mme, le moi plonge travers sapropre transparence dans la puissance qui la pos. QueDieu soit mort veut dire: il nest plus ce vivant quonpeut rencontrer quand lexistence plonge travers sapropre transparence. Et que tel ou tel dclare la presselavoir rencontr sous un arbre, ou dans une chapelle deprovince, ne change rien laffaire. Car nous savonsquaucune pense ne peut plus faire valoir ses droits partir dune telle rencontre, pas plus qu qui voit desspectres on naccorde davantage que la considrationpositive dune manifestation symptomale.

    En ce sens, il faut dclarer que la religion est morte, etque mme quand elle se montre dans ltendue apparentede ses pouvoirs, ce nest qu faire symptme particulierdune commmoration o la mort est omniprsente. Cequi subsiste nest plus la religion, mais son thtre. Car cenest quau thtre que, comme dans Hamlet, les spectresportent le semblant dune efficacit. Dans ce thtre, ven-tuellement sanglant, nous est reprsent ce quon imagineque la religion pourrait tre si le Dieu vivant, dont nul naplus la moindre ide, ntait pas mort.

    Les objections communes contre le motif de la mortrelle du Dieu vivant, et donc de la religion, salimentent deux sources, qui sont, dun ct, la doctrine du sens et, de lautre, ce quon nomme les intgrismes, chargs deporter la conviction du retour du religieux.

    Je ne crois pas que ces objections soient pertinentes.Il est hors de doute quune des fonctions de la religion

    est de donner sens la vie, et plus particulirement sonombre porte, la mort, qui tient au rel. Mais il est inexact

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    Extrait de la publication

  • que toute donation de sens soit religieuse, cest--direexige le Dieu vivant, et donc le Dieu capable historique-ment de mourir.

    Sur ce point, il est dcisif de distinguer ce que nommele mot Dieu dans la formule Dieu est mort, pointo ce mot touche la religion, et ce que le mme motnomme dans la mtaphysique spculative. Cest un desnombreux mrites de la thse rcente de Quentin Meillas-soux (LInexistence divine, paratre) que davoir tabli,dans une vise ontologique et thique dune puissante originalit, que le Dieu de la mtaphysique a toujours tla pice centrale dune machine de guerre rationalistecontre le Dieu vivant de la religion.

    Car la mtaphysique, comme Pascal lobjectait Descartes, ne convient en ralit quun Dieu mort, unDieu dj mort, ou mort depuis toujours, un Dieu dontaucune religion ne peut alimenter sa foi, si mme, pourdomestiquer quelque peu les esprits pris de raison, elleessaie de se dclarer compatible avec lui. Ce quau fondelle nest pas. Car le risque religieux est de faire de Dieu unvivant, avec lequel nous essayons de vivre et, vivant aveclui, de produire du sens pour la vie totale, mort comprise.Tandis que le risque mtaphysique ne va qu entendresous le mot Dieu la consistance probante dun conceptet, selon ce concept, garantir que les vrits ont du sens.Le mot Dieu est amphibologique, de ce quil couvre,en tant que vivant, le sens total de la vie et, en tant quetoujours dj mort, le sens possible des vrits. Au regardde Dieu, il est vrai que la religion est vivifiante et que lamtaphysique est mortifiante.

    Le grand travail de mortification mtaphysique deDieu commence avec clat ds les Grecs. Il sordonne

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    Extrait de la publication

  • certes au sens, la donation de sens, ou la totalisationdu sens, mais en conomisant, au rebours de lantiphilo-sophe Kierkegaard, tout affect et toute plonge existen-tielle dans cette donation.

    A cet gard, le Dieu dAristote est exemplaire. Si on leprend du ct de la physique, il est sens ultime du mouve-ment, en tant que suprme moteur immobile. Mais quidira que la vie peut tre ternel repos? Cest la dfinitionmme de la mort, et dautant plus que le Dieu dAristotemeut toutes choses, non par une action intresse, ou uncommerce subjectif, mais par lattraction finalise de sasurminence. Ce Dieu demeure donc, ces choses quilmeut, compltement indiffrent. Qui peut dclarer vivantecette ternit indiffrente et immobile? Si on prend main-tenant ce mme Dieu, moins quil ne sagisse dun autre,qui sait? du ct de la mtaphysique, on verra qutantacte pur il na dautre office possible que de se penser lui-mme, nayant aucune raison recevable de penser quoique ce soit dautre que sa propre puret. L encore, il y abien donation de sens, puisque ce nest qu supposer unintellect agent dtach de toute matire, et souverainementrapport sa seule perfection, que lon peut boucler lathorie de la substance comme compos nigmatiquementsingulier de matire et de forme, ou dacte et de puis-sance. Car le principe de singularisation, qui est acte, ouforme, doit la fin se dlivrer comme singularit absolue,acte puis dans son acte, ou forme intgralement spare.Le mot Dieu nomme ces oprations de bouclage.

    Ce bouclage, du reste, prend soin dorganiser le senssous les espces dune dmonstration, la dmonstration delexistence de Dieu, qui est proprement tout le contraire delattestation de sa vie. Disons que le Dieu de la mtaphy-

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  • sique fait sens dexister selon une preuve, tandis que leDieu de la religion fait sens de vivre selon une rencontre.

    Il en rsulte que la mort du Dieu de la religion laisseentire la question du destin du Dieu de la mtaphysique,lequel nentretient aucun rapport ni avec la vie ni avec lamort, ce qui, du point de vue de la vie, et donc de la reli-gion, signifie quil est parfaitement mort. Il en rsulteaussi, sagissant du sens, que lirrductibilit de son effetpeut parfaitement se contenter doprations do est radi-calement exclue toute assomption subjective dun Dieuvivant. Cest du reste pourquoi Heidegger ne peut identi-fier lnonc de Nietzsche Dieu et mort, pas plus queles imprcations et anathmes contre le christianisme, la dconstruction, encore venir, du schme mtaphy-sique de lonto-thologie. Ce sont en effet deux questionsdistinctes, car il sen faut de beaucoup que la disparitiondu religieux comme tel entrane mcaniquement avec ellela disparition du motif mtaphysique, infiniment plusrsistant, ds lors quavec son Dieu qui ne nomme quunprincipe il est prcisment inaccessible la mort.

    On ne peut donc soutenir que la seule machination dusens fasse objection lirrversible de la mort de Dieu.Comme la mtaphysique en tmoigne ds ses origines, il y a du sens non vivant, du sens littral, du sens argu-ment, et en dfinitive du sens mathmatique, sens quirompt en profondeur avec lassignation religieuse du sens la disposition du Dieu vivant.

    Quant aux intgrismes contemporains, je poserai quilne conduit rien de les concevoir comme retour du reli-gieux. Ce sont des formations contemporaines, des ph-nomnes politico-tatiques de notre temps, disons-le: desinventions, dont on a depuis longtemps remarqu quelles

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  • taient totalement improductives sur le plan proprementreligieux, mais virulentes dans lespace quelles sassi-gnent, et qui est la conqute du pouvoir. Il faut en ralitpenser ce quon appelle conventionnellement les int-grismes comme une des formes subjectives, je dirais undes types subjectifs, o snonce prcisment que Dieuest mort. Ce type correspond ce que je nomme le sujetobscur, parce que lnonc de vrit dont il est la mise autravail nest actif que dtre barr, enfoui, inconscient. Et que, ds lors, il na dautre ressource que de mortifierce qui le constitue, ce dont aucun psychanalyste ne sauraitstonner. De l laffirmation dsespre et sanglantedune religion factice et mortifre, dont le principe relsubjectivement enseveli est, de bout en bout, que Dieu estmort. La thtralisation de cette vidence cache se donnesimultanment dans la reproduction sans trve de cettemort, sous les espces de la mort des prsums coupableshumains de la mort du Dieu. Elle se donne aussi danslexaspration des rituels et du marquage des corps, quiont toujours t des parades, de lordre du semblantpublic, la prcarit du Dieu vivant.

    Jajouterai, pour faire bonne mesure, quentre la pres-cription du corps fminin dissimul sous des voiles, et celledu corps offert commercialement circulant, ou, commedirait Guyotat, du corps capitaliste prostitutionnel, circulela mme question, qui est: puisque Dieu est mort, souslil vivant de qui sexposaient tous les corps, et sous largle de qui se distribuaient les portions du visible, quinous dira ce qui doit rester cach? Sagissant du corpsfminin, qui pris en son entier est le Phallus lui-mme, on peut rpondre par le maximum ou par le minimum dedissimulation, sans satisfaire jamais ce qui est demand.

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  • Car aujourdhui, dans le climat dltre dun simulacre deguerre de religion, do toute religion vritable est absente,il faut convenir que la mort de Dieu est symtriquementlisible dans la brivet transparente des robes occiden-tales, piphanie des zones rognes, et dans les paisvoiles noirs o ne brillent plus que les yeux. Sujet obscur,dans tous les cas, mais dont le rel, isolable sans recours,est bel et bien que le Dieu vivant est mort.

    Il ne sensuit pas, je lai dit, que le Dieu de la mtaphy-sique le soit. Sur ce point, il faut commencer par ce que jenommerai laporie de Heidegger. Comment se fait-il quele penseur qui dtermine la mtaphysique comme onto-thologie, occultation de la question de ltre par celle deltant suprme, en vienne dire, dans sa dclaration testa-mentaire, que seul un dieu peut nous sauver? Ce nest vi-demment possible que si, une fois encore, le mot dieufonctionne dans lquivoque. Le Dieu qui seul peut noussauver nest pas le Dieu-Principe qui concentre loubli deltre dans la mtaphysique occidentale. On conviendratout autant que ce ne peut tre le Dieu vivant des religions,dont, avec Nietzsche et quoique dune faon retorse, Heidegger entrine la mort. Il est donc requis quoutre leDieu historiquement mort des religions, et le Dieu dconstruire de la mtaphysique, dieu qui au demeurantpeut prendre, dans lhumanisme postcartsien, le nom delhomme, il faut, donc, que se propose la pense un troi-sime dieu, ou un principe divin dun autre ordre.

    Ce dieu, ou ces dieux, ou ce principe divin, existent eneffet. Ils sont une cration du romantisme, et singulire-ment de Hlderlin. Cest pourquoi je le nommerai le Dieudes potes. Il nest ni le sujet vivant de la religion, quoi-quil sagisse en effet de vivre auprs de lui, ni non plus le

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    Extrait de la publication

  • Principe de la mtaphysique, quoiquil sagisse de trouverauprs de lui le sens fuyant de la Totalit. Il est ce partirde quoi il y a pour le pote lenchantement du monde, etdont la perte expose au dsuvrement. De ce Dieu, on ne peut dire ni quil est mort, ni quil est vivant, ni quilse puisse dconstruire comme un concept fatigu, saturou sdiment. Lexpression potique centrale le concer-nant est celle-ci: ce Dieu sest retir, laissant le monde en proie au dsenchantement. La question du pome estalors celle dun retrait des dieux, et elle ne concide niavec la question philosophique ni avec la question reli-gieuse.

    La tche du pote, ou, comme le dit Hlderlin, soncourage, est la fois de porter dans la langue la pense duDieu qui sest retir et de concevoir le problme de sonretour comme une incise ouverte dans ce dont la penseest capable.

    Essentiellement, le rapport au Dieu potique nest pas de lordre du deuil, comme peut ltre le rapport obs-cur au Dieu mort. Il nest pas non plus de lordre de la critique, ou de la dfection conceptuelle de la totalit,comme peut ltre le rapport philosophique au Dieu-Prin-cipe. Cest un rapport nostalgique au sens strict, soit cequi envisage dans la mlancolie les chances dun ren-chantement du monde par limprobable retour des dieux.

    Nous pouvons ds lors penser laporie de Heidegger.Sil faut la fois endurer la fin de lonto-thologie, etcependant attendre le salut dun vnement divin, cestque la dconstruction de la mtaphysique et lassentimentdonn la mort du Dieu chrtien maintiennent ouvertesles chances du Dieu du pome. Cest aussi pourquoi toutela pense est suspendue, comme au geste quelle peut

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    Extrait de la publication

  • promettre, la dimension dun retour. Car Heidegger,dans la tradition allemande, fait des dieux grecs lem-blme, ou la figure, du Dieu qui peut revenir.

    Jappelle athisme contemporain la rupture avec cettedisposition. Il sagit de ne plus confier au Dieu nostalgiquedu retour le solde conjoint de la mort du Dieu vivant, et de la dconstruction du Dieu mtaphysique. Il sagit, ensomme den finir avec toute promesse.

    Cet athisme est devant nous, comme une tche de lapense. Car ce qui maintient encore aujourdhui la puis-sance de la promesse, et le dispositif potico-politique du retour des dieux, ou du renchantement du monde, est le motif consensuel de la finitude. Que notre exposition ltre soit essentiellement finie, quil faille toujours reve-nir notre tre-mortel, est ce partir de quoi nous nendu-rons la mort du Dieu vivant qu soutenir, sous de multiplesformes, lindistincte promesse dun sens retir, mais dont lavenue en retour nest pas forclose. Mme lunivers sub-jectif de la politique est constamment investi par une rsi-gnation mlancolique dont le fond est la vague attente dunretour du sens, ou dun moindre non-sens. Cest ce dont trivialement se soutient quune politique unique puisse, aux chances lectorales, faire croire quelle sera diff-rente, et se soustraira son unicit. Jospin, de ce point devue, est la forme dlabre du Dieu des pomes.

    Il est donc impratif, pour stablir sereinement dansllment irrversible de la mort de Dieu, den finir avecle motif de la finitude, qui est comme la trace dune sur-vivance, dans le mouvement qui confie la relve du Dieude la religion et du Dieu mtaphysique au Dieu du pome.

    Cette tche concerne sans doute pour part le destin dela posie elle-mme. Limpratif du pome est aujourdhui

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  • ESSAIS POLITIQUES

    Thorie de la contradictionMaspero, 1975

    De lidologieen collaboration avec F. Balms

    Maspero, 1976

    Le Noyau rationnelde la dialectique hglienne

    en collaboration avec L. Mossot et J. BellassenMaspero, 1977

    Dun dsastre obscurditions de lAube, 1991

    Extrait de la publication

  • RALISATION: PAO DITIONS DU SEUILIMPRESSION: NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A. LONRAI

    DPT LGAL: OCTOBRE 1998. N 34885 ( )

    Extrait de la publication

    Prologue: Dieu est mort