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Balzac et les savants de l'Université de Montpellier : Pyrame de Candolle et Chaptal par Georges PRADALIÉ * L'historien Ch. Moragé a pu dire : « En 180U ce qui gouverne la science occidentale c'est l'Institut de France, plus particulièrement l'Académie des sciences. » Balzac, historien de la société de son temps, est un excellent témoin de ce développement scientifique. Sa première rencontre avec la science de son temps a dû se faire au collège de Vendôme où il fit ses études. Dans la bibliothèque, il existait de nombreux ouvrages scientifiques : les oeuvres de Gassendi, Newton, la physique de l'abbé Nollet. Un des directeurs du collège était Jean-Philibert Dessaignes, savant et philosophe. Mais il ne ne faut pas exagérer cette influence : « la pente du goût du jeune Balzac était alors littéraire ». C'est à Paris, dans ses années de formation (entre 1820 et 1824), que tout en poursuivant des études littéraires et philosophiques, il entre en contact avec les milieux scientifiques de son temps. Pour Balzac il existe deux pôles d'attraction : le Muséum d'histoire naturelle où enseignent des gens aussi prestigieux que Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire et l'Observatoire dont le directeur est François Arago. Balzac, qui d'ailleurs habitera de 1828 à 1836 rue Cassini (près de l'Obser- vatoire), est très lié avec toute la famille Arago. D'abord avec Etienne Arago (frère de François), son collaborateur pour les romans de jeunesse, sous le pseudonyme de Dom Rago. Plus tard, il songera à composer des pièces de théâtre avec Emmanuel Arago. L'un comme l'autre faciliteront ses rapports avec François Arago. Celui-ci est un des hommes les plus célèbres de Paris par sa vaste intelligence, sa science et l'exquise urbanité de ses manières. Comme Balzac, il a une vitalité extraordinaire. « C'était le feu et la poudre, et (*) Communication faite à la Société montpélliéraine d'histoire de la médecine. 180

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Balzac et les savants de l'Université de Montpellier :

Pyrame de Candolle et Chaptal

par G e o r g e s P R A D A L I É *

L'historien Ch. Moragé a pu dire : « En 180U ce qui gouverne la science occidentale c'est l ' Inst i tut de France, plus par t icu l iè rement l 'Académie des sciences. » Balzac, historien de la société de son temps , est un excellent témoin de ce développement scientifique. Sa p remière rencont re avec la science de son t emps a dû se faire au collège de Vendôme où il fit ses é tudes . Dans la bibl iothèque, il existait de nombreux ouvrages scientifiques : les œuvres de Gassendi, Newton, la physique de l 'abbé Nollet. Un des d i rec teurs du collège était Jean-Philibert Dessaignes, savant et phi losophe. Mais il ne ne faut pas exagérer cet te influence : « la pente du goût du jeune Balzac était a lors l i t téraire ».

C'est à Paris, dans ses années de format ion (ent re 1820 et 1824), que tout en poursuivant des é tudes l i t téraires et phi losophiques , il en t re en contact avec les milieux scientifiques de son t emps . Pour Balzac il existe deux pôles d 'a t t rac t ion : le Muséum d'histoire naturel le où enseignent des gens aussi prest igieux que Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire et l 'Observatoire dont le d i rec teur est François Arago.

Balzac, qui d'ail leurs hab i te ra de 1828 à 1836 rue Cassini (près de l'Obser­vatoire) , est t rès lié avec toute la famille Arago. D 'abord avec Et ienne Arago (frère de François) , son col laborateur pour les r o m a n s de jeunesse , sous le pseudonyme de Dom Rago. Plus tard, il songera à composer des pièces de théâ t re avec E m m a n u e l Arago. L'un comme l 'autre facili teront ses r appor t s avec François Arago. Celui-ci est un des h o m m e s les plus célèbres de Paris p a r sa vaste intelligence, sa science et l 'exquise u rban i té de ses maniè res . Comme Balzac, il a une vitalité ext raordinai re . « C'était le feu et la poudre , et

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i te à la S o c i é t é m o n t p é l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

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il s 'emparai t , bon gré, mal gré, de ses audi teurs , avec sa parole claire, incisive, pareil le à ces to r ren t s en tumul t e qui s 'élancent des rochers avec une sorte de joie impétueuse en para issant au j o u r » (Brongniar t ) . Pour le g rand savant Humbold , c'était « la plus forte tê te de son t emps ». Comme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud dans sa thèse (p . 107), c'est d 'une conversat ion scientifique avec Balzac qu 'a dû na î t re en 1834 le thèse du grand r o m a n « La Recherche de l'absolu ».

Mais l 'autre grand cent re scientifique était le Muséum d'histoire naturel le où se t rouvaient quelques savants fameux en par t icul ier Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Balzac a dû suivre leurs cours , lire leurs ouvrages. Son admi­ra t ion pour Cuvier s'affirme dans « La Peau de chagrin » de 1831. Plus ta rd en 1835 il r encon t re ra Geoffroy Saint-Hilaire qui aura , nous le savons pa r la préface de la Comédie humaine (1842), une influence capitale sur sa conception de « l 'unité de composi t ion » du m o n d e vivant.

Mais c'est un personnage beaucoup moins prestigieux qui sera l ' intro­duc teur de Balzac au Muséum : Lemercier , suppléant de Deleuze. C'est Lemercier qui m e t t r a en r appor t Balzac avec Pyrame de Candolle.

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Pour tan t à côté des rencont res de Balzac, il faut tenir compte de ses innombrables lectures dont l 'abondance défie note imaginat ion. E t ici, il faut faire une place à Jean-Antoine Chaptal , comte de Chante loup. Ce Lozérien fut docteur en médecine de Montpell ier en 1777, professeur de chimie en 1781. Il créa une indus t r ie chimique à Montpell ier (fabricat ion d'acide sulfurique, d 'a lum artificiel). En 1793, quoique condamné à m o r t par con tumace co mme Girondin, il organisa le Service des poudres qui con t r ibua à la victoire des a rmées révolut ionnaires . A la fondation de l ' Ins t i tu t de France, il en devint un m e m b r e éminent . Plus ta rd Bonapar t e en fit, de 1800 à 1804, son min is t re de l ' In tér ieur et c'est à ce t i t re qu'i l pe rmi t à la vieille faculté de médecine de Montpell ier de ressusci ter après la t ou rmen te révolut ionnaire . Il a publié des ouvrages impor tan t s , en par t icul ier de nombreux t ra i tés de chimie a p p l i q u é e ; en par t icul ier : L'art de faire le vin (1801-1819); un Traité théorique et pratique de la culture de la vigne (1801-1811) ; un Traité de chimie appliquée aux arts (en 1807). Or Chaptal est souvent cité dans l 'œuvre de Balzac. Dans sa b rochure Du droit d'aînesse (1824) où il défend, cont re l 'opinion libérale, le droi t pour le fils aîné de recueillir la plus grande par t ie de l 'héritage de ses pa ren t s , il cite Chaptal . Le droit d 'aînesse se justifie, dit-il, pa r les avantages économiques de la g rande propr ié té . Une grande par t ie du sol de la France consiste en forêts et en vignobles, la s ta t i s t ique l 'évalue au t iers . Or, d 'après une au tor i t é reconnue, Chaptal , il est avéré que la cul ture de la vigne demande une grande fixité dans la p ropr ié té et su r tou t une for tune considérable . Cet économiste a r e m a r q u é que les seuls beaux vignobles étaient (avant 1789) ceux qui avaient pour propr ié ta i res l 'Eglise et les grandes familles ; il en est de m ê m e pour les forêts... « les forêts d'Eglise étaient les plus belles... » .

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Or l ' information est exacte. Dans son « Traité sur la culture de la vigne » (1801) Chaptal es t ime que la division ter r i tor ia le excessive ru ine le pet i t p ropr ié ta i re . « Il faut ê t re dans l 'aisance pour cultiver la vigne avec avantage.. . Avant la Révolution, les mei l leurs vignobles appar tena ien t aux moines.. . » E t c'est vrai, en par t icul ier en Bourgogne. « Les moyens d 'amé­liorer, de renouveler , ne leur m a n q u e n t jamais. . . » Sur les forêts , on t rouve dans « l 'analyse des procès-verbaux » des conseils généraux pour l'an X (Chaptal é tant minis t re de l ' In tér ieur) , une é tude qui conclut au lamentable état des forêts dont les causes de des t ruct ion viennent de la division des propr ié tés et des mult iples abat t i s que font la p lupa r t des nouveaux acqué­reu r s ; pa r cont re la magnif ique forêt de la Grande Char t reuse s 'explique pa r la sagesse des moines qui font des coupes chaque 80 ans pour des taillis et chaque 150 ans pour les g rands bois . Cette idée de la supér ior i té de la g rande propr ié té sur le plan économique sera développée en 1840 dans Le Curé de village et aussi dans Les Paysans.

Dans César Birotteau, Balzac par le beaucoup d ' industr ie chimique et il a dû s ' informer dans le livre si impor t an t de Chaptal De l'Industrie française où le Comte de Chanteloup récapi tule avec en thous iasme les progrès « des a r t s chimiques en France depuis 30 ans ».

Mais la rencon t re capitale de Balzac fut celle qu'il eut avec Pyrame de Candolle à Genève en 1833. Il était a lors au sommet de sa carr ière , il avait écrit quelques-unes de ses œuvres les plus impor t an te s : Les Chouans, les Scènes de la vie privée, La Peau de chagrin, Le Médecin de campagne, Louis Lambert, e tc . Il venait à Genève pour r encon t re r la grande dame dont il étai t follement amoureux , la comtesse polonaise Eveline Hanska . Mais chez Balzac, les préoccupat ions sent imenta les s 'accompagnent d 'obligations litté­ra i res . Le d imanche 17 novembre 1833, il avait été chez le sculpteur Bra, cousin de son amie Marceline Desbordes-Valmore. Il r aconte ainsi cet te visite à Madame Hanska . « ... J'y ai vu le plus beau chef-d'œuvre qui existe. C'est Marie t enan t le Christ enfant adoré pa r deux anges... Là j ' a i conçu le plus beau livre, un pet i t volume dont Louis Lamber t serait la préface, une œuvre inti tulée Séraphi ta . Séraphi ta serai t les deux na tu res en un seul ê t re comme Fragolet ta , mais avec cette différence que je suppose cet te c réa tu re en ange arr ivé à sa dernière t ransformat ion en br i san t son enveloppe, pour m o n t e r aux cieux. Il est a imé p a r un h o m m e et pa r une femme auxquels il dit, en s 'envolant aux cieux, qu' i ls ont a imé l'un et l 'autre l ' amour qui les liait en le voyant en lui, ange tout p u r ; et il leur révèle leur passion, leur laisse l ' amour en échappant à nos misères t e r res t res . Si j e le puis , j ' éc r i ra i ce bel ouvrage à Genève p rès de toi... »

Balzac veut placer cet ouvrage en Norvège : or, il ne connaî t pas le pays . Il va demande r des rense ignements sur la flore à un des plus grands savants européens , Pyrame de Candolle. Comment se présente Balzac en 1833, personne mieux que la femme aimée ne peut nous le faire connaî t re . Madame

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Hanska écrit le 10 décembre 1833 à son cousin le comte Henr i Rzeweski. « Nous avons fait en Suisse une connaissance dont nous sommes charmée , c'est celle de M. de Balzac, l ' auteur de La Peau de chagrin et de tant d 'ouvrages délicieux. Cette connaissance est devenue une véri table liaison et j ' e spè re qu'elle du re ra au tan t que no t re vie... Balzac vous rappel le beaucoup, mon cher Henr i ; il est gai, r ieur , a imable co mme vous ; il a m ê m e dans l 'extérieur quelque chose de vous et tous les deux vous ressemblez à Napoléon... Balzac est un véri table enfant . S'il vous aime, il vous le dira avec la candide franchise de cet âge... Enfin, en le voyant, on ne conçoit pas comment , à tan t de science et de supér ior i té , on peut jo indre tan t de fraî­cheur , de grâce, de naïveté enfantine dans l 'esprit et le sentiment. . . ». Balzac loge à l 'auberge de l'Arc, près de la maison Mirbaud qu 'hab i te la famille Hanska au Pré-l 'Evêque. « Il passe là qua ran te jou r s de travail et d ' amour » (A. Maurois) .

Mais à présent , il est nécessa i re de p résen te r le grand botanis te Pyrame de Candolle. Il étai t né à Genève le 4 février 1778. Sa famille réfugiée en Suisse au t emps de la Réforme appar tena i t à la noblesse de Provence (alliée aux Castellane, aux Suffren, aux d'Albertas, aux Bausset ) . L 'ancêtre Pyrame de Candolle se fit p ro tes tan t et devint i m p r i m e u r à Genève (il t raduis i t en français Xenophon, Tacite). Le père de no t re savant, Bernard , fut p remier syndic de la Républ ique. Pyrame fut élevé dans un cl imat human i s t e et sa vocation appara î t d 'abord comme l i t téraire. « Je savais pa r cœur tout le théâ t re de Racine et les meil leures pièces de Voltaire » nous dit-il dans ses Mémoires . Lui-même a écri t des poèmes et su r tou t nous a laissé ses célèbres Mémoires et Souvenirs publiés en 1862 par son fils et qui sont un chef-d'œuvre p a r la simplicité, le na ture l , l 'élégance du style.

Il va à Paris en 1797 et se pass ionne pour les sciences physiques et naturel les à une époque où Paris était le cent re scientifique du monde . Il suit les cours de Fourcroy, Vauquelin, Por ta i et su r tou t Cuvier dont il dit : « Je pr i s u n in térê t par t icul ier à celui de Cuvier et je conçus une admira t ion sincère pour son talent r emarquab le d 'observateur et de professeur . Sa clar té cont inue, l 'élégance de son style, l 'élévation de ses idées générales révélaient l 'homme d'un talent supérieur. . . ». Par cont re il t rouvai t chez Fourcroy « t rop de rhé tor ique », chez Vauquelin « t rop de confusion », quan t à Portai avec son accent gascon il p résen ta i t u n e « véri table car ica ture de l 'enseignement.. . son cours était composé d 'his tor ie t tes plus ou moins spiri­tuelles ». Pyrame cont inue à s ' intéresser à la l i t t é ra ture . Il suit les cours de Fontanes , l 'ami de Chateaubr iand, et l ' amant d'Elisa Bonapar te . Ce poète néo-chrétien est un arr ivis te qui pense qu 'une religion est nécessaire au peuple . Il fait ses confidences au j eune Genevois : « Nous avons l ' intention de pousser la France au p ro tes t an t i sme ». Ces p ropos lui sont revenus vingt ans p lus ta rd lorsque « le m ê m e Fontanes a refusé de me n o m m e r rec teur de Montpell ier parce que p ro tes t an t ».

Après quelques mois d 'é tudes paris iennes, il r e tourne à Genève. Mais en m a r s 1798 c'est la fin de l ' indépendance de Genève qui est ra t t achée à la France . Pyrame va faire une car r iè re univers i ta i re en France . Il habi te au

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cœur du Paris savant, près du Ja rd in des Plantes . Il suit les cours de médecine sans en thous iasme, pa r cont re il se pass ionne p o u r les cours de Lacépède, Lamarck, Cuvier, Haiiy. Il travaille au dict ionnaire encyclopédique de Lamarck, herbor ise en forêt de Fonta inebleau avec Cuvier, Brongniar t , Duméri l , Dejean. Il f réquente les salons des idéologues hér i t iers de la philo­sophie des lumières .

Il par t ic ipe t rès act ivement à la 3 e édit ion de La flore française de Lamarck. Grâce à Chaptal il devient docteur en médecine sans avoir suivi à Paris d 'enseignement clinique. Le minis t re de l ' In tér ieur a homologué de p ré t endus cours de médecine suivis à Genève (Mémoires, p . 125). Après son doctora t , ses amis lui font une réception bur lesque en grand cos tume du « Malade imaginaire » ; p a r m i eux, Cuvier et Biot. Ses amis l 'appuient pour obteni r des crédi ts pour une herbor isa t ion sys témat ique de la France. Il s'agit de parcour i r en cinq ans toute la France impéria le « pour en é tudier la bo tan ique dans ses r appor t s avec la géographie et l 'agricul ture ». En 1803 (il a vingt-cinq ans) il devient suppléant de Cuvier au Collège de France .

Les premières ouver tures pour aller à Montpell ier vinrent d'Amédée Berthollet dont le père était t i tulaire de la sénator ie de Montpell ier et su r tou t de Chaptal p ro tec teu r de l'école de médecine. Mais il hésite, il a la passion de la cherche, il espère ê t re élu m e m b r e de l ' Inst i tut . Mais on t ient à Montpell ier à ce j eune savant qui sera la gloire de l'école. Le doyen Dumas lui offre des condit ions exceptionnelles. Il pou r r a résider à Paris et se contenter de faire de loin en loin un cours à Montpell ier . Après avoir longtemps hésité il finit pa r se laisser séduire ; en part icul ier , il n 'étai t pas indifférent « au plaisir de diriger un j a rd in botanique , de former des élèves... ».

Il a t ren te ans . Arrivé à Montpel l ier en m a r s 1808, il y passera hui t ans , à l 'apogée de sa car r iè re universi ta i re et scientifique. Il est reçu avec honneur . « Le jour m ê m e de mon arrivée, tous mes collègues vinrent me faire des visites t rès amicales, les employés du ja rd in vinrent p r en d re mes ordres , le préfet vint lui-même m'engager à dîner chez lui, et les familles protes­tantes , qui me connaissaient de nom pa r leurs relat ions avec Genève m'accuei l l i rent avec une bonté parfai te . Je fus, je l 'avoue, ex t rêmement sensible à cet te réception, et une impress ion t rès favorable se fit dès ce m o m e n t dans mon espri t , je dirai p resque dans mon cœur... ».

Il fait l'éloge d'Auguste Broussonnet , son i l lustre prédécesseur , assisté de Victor Broussonnet . Celui-ci devient un ami t rès cher qui guéri t Alphonse de Candollc d 'une t rès grave maladie . Son p remier cours a un grand succès car il joint à des connaissances botan iques originales le don pédagogique. Dans ses cours il improvise ce qui est une nouveauté à Montpell ier . Aussi a-t-il 400 élèves pendan t ses deux mois de cours . Les six j ou r s de la semaine il donne son cours , le d imanche il herbor ise avec ses é tud ian ts . Ceci lui pe rme t un contact avec le peuple languedocien mais par l ' in termédiaire d 'un in terprè te , les paysans du Languedoc ne par len t pas français. Après ses cours il en t reprend son enquête botanique dans l 'Empire français. En 1808 il herbor ise en Toscane.

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A par t i r de 1809 il en t r ep rend un agrandissement sys témat ique du Jard in des p lantes . « ... Je lis faire de g rands t ravaux pour p lan te r et employer convenablement le te r ra in . Tout cela marcha i t concu r remmen t avec les au t res devoirs de m a place, avec mes t ravaux par t icul iers de bo tan ique , avec des encouragements soutenus donnés aux élèves qui témoignent du zèle, avec une vie assez mondaine. . . ». Il est sévère pour ses prédécesseurs à la direct ion du Jard in des plantes . « ... Depuis sa fondation jusqu ' à l 'époque de l 'Empire , ce ja rd in , const ru i t sur un plan gothique et bizarre , dirigé pa r les chanceliers de l 'Université, qui n 'é taient p resque jamais botanis tes , eut un rang secondaire.. . ». Il n'a commencé à se t rans former qu'avec Brous-sonnet : « h o m m e capable et ins t ru i t ».

Dans son œuvre de t ransformat ion profonde, Pyrame est aidé par Chaptal qui abandonne aux frais du Ja rd in son t ra i t ement de professeur honora i re (6 000 francs pa r an) . La ville de Montpell ier donne 60 000 francs pour l 'achat du ja rd in I t ier qui double l 'é tendue du ja rd in bo tan ique .

Un ma î t r e aussi r emarquab le ne pouvait que former des élèves. Deux sur tou t ont été impor t an t s : Félix Dunal, qui fut son principal col laborateur , ensui te son successeur et sur tou t Flourens, de Béziers, qui fut r e commandé à Cuvier pa r Pyrame et qui devint t rès j eune m e m b r e de l 'Académie des sciences et son secrétaire perpétue l après Cuvier.

A Montpell ier , Pyrame de Candolle mène une vie monda ine et ses souvenirs sont une source in téressante sur la vie de Montpell ier à l 'époque de Napoléon. « .. La vie sociale de Montpell ier offrait alors cet te par t icu lar i té qu'elle se fractionnait en une mul t i tude de pet i ts groupes composés de 5 ou 6 familles qui se voyaient habi tuel lement à pa r t et ne se réunissa ient en grand cercle que chez les fonct ionnaires publics.. . ». D'abord les préfets M. Nogaret et Aubernon, ensui te le général de division Chabot, enfin le p remie r prés ident à la Cour impériale Duveyrier. Les notables se rencont ra ien t aussi à la Loge, « espèce de cercle dans lequel on lisait les j ou rnaux publics ». Les vieilles sociétés scientifiques du X V I I I e siècle renaissent : l 'Académie des sciences et belles-lettres, la Société d 'agr icul ture , mais Pyrame leur t rouve « t rop peu de vie ». Aussi a-t-il créé avec une douzaine d 'amis une société de lecture « où chacun appor ta i t revues et livres nouveaux.. . ».

Mais avec sa femme il f réquente sur tou t la société p ro tes t an te où il est accueilli en ami et il nous donne un tableau vivant de ce monde des notables p ro tes tan t s .

Ce ma î t r e prest igieux aura i t pu faire toute sa car r iè re à Montpell ier si la poli t ique n 'en avait décidé au t r emen t . A la fin de l 'Empire , il avait posé sa cand ida tu re pour ê t re rec teur à Montpell ier . Appuyée pa r Chaptal , Camba-cérès, elle a cont re elle cer ta ins é léments cathol iques qui lui reprochent son origine et ses amit iés p ro tes tan tes . Aussi le grand ma î t r e de l 'Université, Fontanes, est-il rét icent .

Pour son ma lheur et celui de l 'Université de Montpell ier, de Candolle finit par ê t re n o m m é rec teur pendan t les Cent-Jours, ce qui lui fut

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violemment reproché pa r les ultra-royalistes après Water loo, si bien qu'il fut malgré l 'amitié de ses collègues et l 'appui de ses é tud ian t s obligé d ' abandonner son poste .

C'est alors qu'il devint professeur à Genève où il joua un t rès grand rôle, il y fut le c réa teur du Ja rd in bo tan ique . Il est considéré co mme le plus grand botan is te de l 'Europe. Très accueil lant il reçoit les g rands savants et les g rands écrivains de son t emps . Nous avons vu que c'était Lemercier , biblio­thécaire au Muséum, qui r ecommanda Balzac à de Candolle. Cette rencon t re fut pour Balzac t rès impor tan te .

Pyrame de Candolle venait de publ ier en 1832 sa Physiologie végétale, livre admirab le qui a été lu ce r ta inement pa r Balzac et aussi pa r le g rand poète languedocien Maurice de Guérin qui nous en a par lé avec en thous iasme : « Achevé de lire la Physiologie végétale pa r Candolle, 3 volumes in 8°. Le p remie r t ra i te de la nutr i t ion, le deuxième de la reproduct ion , le t ro is ième de l 'influence des agents extér ieurs . Malgré la chimie qui est pour beaucoup dans cet ouvrage et dont je n ' en tends pas un mot , j ' a i pr is un vif plaisir à cet te lecture . Un m o n d e tout nouveau s'est ouver t devant moi... ce n 'est pas un pet i t bonheur que de s 'ouvrir une nouvelle perspect ive dans la contempla t ion de ce monde et de soupçonner quelques choses de la vie et de la beau té de la nature. . . ». Cette lecture « a redoublé mon a t t ra i t pour l 'observation des choses naturel les et m'a fait pencher vers une source inépuisable de conso­lation et de poésie... » (Le cahier vert).

L'admira t ion n 'étai t pas le seul mobile de la visite à Pyrame de Candolle, en réali té les intent ions du romanc ie r avaient un carac tère intéressé. Dans sa p remiè re le t t re il avouait tout s implement prof i ter des « immenses connaissances » de M. de Candolle qu'il alla voir le 27 décembre 1833. Il r e tou rna chez lui aux environs du 1 e r janvier 1834, afin d'avoir, dit-il, quelques rense ignements sur la flora danica. Une le t t re du 5 m a r s 1835 précise m ê m e le carac tère de cet te det te .

« Monsieur,

En rep renan t ces jours-ci mes t ravaux sur Séraphita, j ' a i t rouvé la note que vous avez eu la complaisance de me faire vous-même sur les p lan tes de la Norvège, et tout à coup il m 'a pr is , en voyant vot re écr i ture , un r emords non pas de vous avoir oublié car, Dieu merci , je n 'ai pas que la mémoi re des choses, des idées et des faits, j ' a i aussi celle du cœur ; mais de ne pas vous avoir envoyé aucun témoignage de mon souvenir et de la reconnaissance de votre gracieuse hospitalité. . . ». Aussi connaissons-nous avec exact i tude l 'objet de la documenta t ion de Balzac, pendan t son séjour à Genève la flore de la Norvège pour les pages descript ives de Séraphi ta , l 'œuvre conçue chez le sculp teur Bra, le 20 novembre 1833 et qui l 'occupe à Genève en cet te pér iode a rden te et myst ique de ses a m o u r s avec la comtesse Hanska .

La mei l leure source, le célèbre herb ie r étai t ouver t à tous les visi teurs , il comprena i t la descr ipt ion de tous les végétaux connus en Europe . C'est

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un énorme ouvrage achevé par son fils Alphonse, mais lui-même avait décrit 6 000 plantes et publié 7 volumes. « Aux connaissances M. de Candolle joignit les dons de clar té dans l 'explication » et l 'un de ses élèves les plus i l lustres, le chimiste J.-B. Dumas , le décrivait à son pè re co mme « a imable dans le monde , savant dans le cabinet , ra isonnable pa r tou t ». Il ventai t sa gaîté, sa puissance de travail , le cha rme de ses récits , et concluait « je n'ai pas connu d 'homme plus heureux ».

Balzac se rendi t p lus ieurs fois chez M. de Candolle ; après les deux visites de documenta t ion de la fin de décembre , nous savons qu'il alla d îner au moins une fois chez lui, au mois de janvier 1834.

Ev idemment les conversat ions ne concernaient pas un iquement la végé­tation de la Norvège. D'abord le botanis te genevois a imai t toujours par le r de Paris avec quiconque en arr ivai t . A Genève il accueillait avec empressemen t les jeunes savants venus de France . Il avait dirigé, nous l 'avons vu, les p remie r s pas dans la car r iè re scientifique du Languedocien J.-B. Dumas dont il disait : « J 'ai su r tou t influé sur son sort en ce que, sur m o n témoignage consciencieux, mon ami Brongniar t se décida à lui donner sa fille aîné en mariage ».

Il est possible que Pyrame de Candolle ait commun iqué à Balzac les théories de Dumas sur l 'hypothèse uni ta i re et l 'ait m ê m e encouragé à inter­roger ce savant et ce phi losophe, don t les t ravaux co mme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud ont joué un rôle dans la documenta t ion chimique de l 'auteur de La Recherche de l'absolu.

De toute façon, Balzac s ' intéresse sû rement aux recherches et aux théories de Pyrame de Candolle car ce na tura l i s te était doublé d 'un phi losophe. Flourens, son ancien élève, définissant ainsi le rôle qu'il joua dans l 'histoire de la bo tan ique : « Tournefor t ayant const i tué la science, Linné lui ayant donné une langue, les deux Jussieu ayant fondé la méthode , il ne res ta i t qu 'à ouvrir à la bo tan ique l 'étude des lois in t imes des ê t res , et c'est ce qu 'a fait de Candolle » (hommage prononcé à l 'Académie des sciences en 1841).

Dans son p remier ouvrage, une Théorie élémentaire de la botanique, paru en 1813, Pyrame de Candolle avait expr imé ses idées essentielles. Convaincu du « véri table encha înement des ê t res na ture l s », es t imant que chaque classe d 'être est soumise à un plan général , et que dans ce p lan la symétr ie joue un rôle fondamenta l « l 'étude de cet te symétr ie » déclarait de Candolle, « est la base de tou te la théorie des r appor t s na ture ls » et « la vraie science de l 'histoire nature l le générale consiste dans l 'étude de la symétr ie p rop re à chaque famille, et des r appor t s de ces familles entre-elles ». Il accordai t une place impor t an te à la p ropor t ion d'oxygène dans l 'explication des phénomènes de la colorat ion des végétaux. Dans La Recherche de l'absolu, B. Claës développe des pr incipes analogues.

Cette idée du pr incipe un ique nous r amène d i rec tement à celle de l 'unité de composi t ion des ê t res vivants qu 'aff i rme Balzac dans la préface de La Comédie humaine. Ceci nous est confirmé pa r Alphonse de Candolle dans

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son in t roduct ion aux Mémoires. « Le sent iment de l 'unité de composi t ion a toujours existé, d 'une man iè re plus ou moins claire, dans l 'esprit des natural is tes . . . Goethe l'avait conçu for tement , Geoffroy Saint-Hilaire en zoo­logie, de Candolle en bo tan ique l 'ont développé sans avoir la mo ind re connaissance des opuscules sur l 'histoire naturel le de leur i l lustre devancier... »

Il semble donc qu 'avant la rencont re de Geoffroy Saint-Hilaire, avant l 'époque où Balzac concevait La Recherche de l'absolu, l 'hypothèse uni ta i re lui avait été développée p a r Pyrame de Candolle.

Nous voyons que le rôle des ma î t r e s de l 'université de Montpell ier dans la connaissance scientifique de Balzac est impor tan t , en par t icul ier celui de Pyrame de Candolle. A ceci il faudrai t a jouter le rôle capital des médecins de Montpellier, en par t icul ier des vitalistes, élèves de Bar thez , dans sa connaissance de la médecine de son t emps , mais ceci a déjà été évoqué dans une communica t ion sur la nosographie balzacienne en 1964 et nous n'y reviendrons pas .

I N D I C A T I O N B I B L I O G R A P H I Q U E

H . de B a l z a c : La Recherche de l'absolu. Séraphita.

Correspondance générale — T o m e I I .

P y r a m e d e C a n d o l l e : Mémoires et souvenirs ( p u b l i é s p a r s o n fils A l p h o n s e ) .

J . -H. D o n n a r d : Les réalités économiques e t s e s n o t e s d a n s la Comédie humaine.

M a d e l e i n e E a r g e a n d : La Recherche de l'absolu.

M o ï s e Le Y o u a n g : La Nosographie balzacienne.

G e o r g e s P r a d a l i é : Balzac historien.

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