Transcript

Balzac et les savants de l'Université de Montpellier :

Pyrame de Candolle et Chaptal

par G e o r g e s P R A D A L I É *

L'historien Ch. Moragé a pu dire : « En 180U ce qui gouverne la science occidentale c'est l ' Inst i tut de France, plus par t icu l iè rement l 'Académie des sciences. » Balzac, historien de la société de son temps , est un excellent témoin de ce développement scientifique. Sa p remière rencont re avec la science de son t emps a dû se faire au collège de Vendôme où il fit ses é tudes . Dans la bibl iothèque, il existait de nombreux ouvrages scientifiques : les œuvres de Gassendi, Newton, la physique de l 'abbé Nollet. Un des d i rec teurs du collège était Jean-Philibert Dessaignes, savant et phi losophe. Mais il ne ne faut pas exagérer cet te influence : « la pente du goût du jeune Balzac était a lors l i t téraire ».

C'est à Paris, dans ses années de format ion (ent re 1820 et 1824), que tout en poursuivant des é tudes l i t téraires et phi losophiques , il en t re en contact avec les milieux scientifiques de son t emps . Pour Balzac il existe deux pôles d 'a t t rac t ion : le Muséum d'histoire naturel le où enseignent des gens aussi prest igieux que Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire et l 'Observatoire dont le d i rec teur est François Arago.

Balzac, qui d'ail leurs hab i te ra de 1828 à 1836 rue Cassini (près de l'Obser­vatoire) , est t rès lié avec toute la famille Arago. D 'abord avec Et ienne Arago (frère de François) , son col laborateur pour les r o m a n s de jeunesse , sous le pseudonyme de Dom Rago. Plus tard, il songera à composer des pièces de théâ t re avec E m m a n u e l Arago. L'un comme l 'autre facili teront ses r appor t s avec François Arago. Celui-ci est un des h o m m e s les plus célèbres de Paris p a r sa vaste intelligence, sa science et l 'exquise u rban i té de ses maniè res . Comme Balzac, il a une vitalité ext raordinai re . « C'était le feu et la poudre , et

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i te à la S o c i é t é m o n t p é l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

180

il s 'emparai t , bon gré, mal gré, de ses audi teurs , avec sa parole claire, incisive, pareil le à ces to r ren t s en tumul t e qui s 'élancent des rochers avec une sorte de joie impétueuse en para issant au j o u r » (Brongniar t ) . Pour le g rand savant Humbold , c'était « la plus forte tê te de son t emps ». Comme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud dans sa thèse (p . 107), c'est d 'une conversat ion scientifique avec Balzac qu 'a dû na î t re en 1834 le thèse du grand r o m a n « La Recherche de l'absolu ».

Mais l 'autre grand cent re scientifique était le Muséum d'histoire naturel le où se t rouvaient quelques savants fameux en par t icul ier Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Balzac a dû suivre leurs cours , lire leurs ouvrages. Son admi­ra t ion pour Cuvier s'affirme dans « La Peau de chagrin » de 1831. Plus ta rd en 1835 il r encon t re ra Geoffroy Saint-Hilaire qui aura , nous le savons pa r la préface de la Comédie humaine (1842), une influence capitale sur sa conception de « l 'unité de composi t ion » du m o n d e vivant.

Mais c'est un personnage beaucoup moins prestigieux qui sera l ' intro­duc teur de Balzac au Muséum : Lemercier , suppléant de Deleuze. C'est Lemercier qui m e t t r a en r appor t Balzac avec Pyrame de Candolle.

**•

Pour tan t à côté des rencont res de Balzac, il faut tenir compte de ses innombrables lectures dont l 'abondance défie note imaginat ion. E t ici, il faut faire une place à Jean-Antoine Chaptal , comte de Chante loup. Ce Lozérien fut docteur en médecine de Montpell ier en 1777, professeur de chimie en 1781. Il créa une indus t r ie chimique à Montpell ier (fabricat ion d'acide sulfurique, d 'a lum artificiel). En 1793, quoique condamné à m o r t par con tumace co mme Girondin, il organisa le Service des poudres qui con t r ibua à la victoire des a rmées révolut ionnaires . A la fondation de l ' Ins t i tu t de France, il en devint un m e m b r e éminent . Plus ta rd Bonapar t e en fit, de 1800 à 1804, son min is t re de l ' In tér ieur et c'est à ce t i t re qu'i l pe rmi t à la vieille faculté de médecine de Montpell ier de ressusci ter après la t ou rmen te révolut ionnaire . Il a publié des ouvrages impor tan t s , en par t icul ier de nombreux t ra i tés de chimie a p p l i q u é e ; en par t icul ier : L'art de faire le vin (1801-1819); un Traité théorique et pratique de la culture de la vigne (1801-1811) ; un Traité de chimie appliquée aux arts (en 1807). Or Chaptal est souvent cité dans l 'œuvre de Balzac. Dans sa b rochure Du droit d'aînesse (1824) où il défend, cont re l 'opinion libérale, le droi t pour le fils aîné de recueillir la plus grande par t ie de l 'héritage de ses pa ren t s , il cite Chaptal . Le droit d 'aînesse se justifie, dit-il, pa r les avantages économiques de la g rande propr ié té . Une grande par t ie du sol de la France consiste en forêts et en vignobles, la s ta t i s t ique l 'évalue au t iers . Or, d 'après une au tor i t é reconnue, Chaptal , il est avéré que la cul ture de la vigne demande une grande fixité dans la p ropr ié té et su r tou t une for tune considérable . Cet économiste a r e m a r q u é que les seuls beaux vignobles étaient (avant 1789) ceux qui avaient pour propr ié ta i res l 'Eglise et les grandes familles ; il en est de m ê m e pour les forêts... « les forêts d'Eglise étaient les plus belles... » .

181

Or l ' information est exacte. Dans son « Traité sur la culture de la vigne » (1801) Chaptal es t ime que la division ter r i tor ia le excessive ru ine le pet i t p ropr ié ta i re . « Il faut ê t re dans l 'aisance pour cultiver la vigne avec avantage.. . Avant la Révolution, les mei l leurs vignobles appar tena ien t aux moines.. . » E t c'est vrai, en par t icul ier en Bourgogne. « Les moyens d 'amé­liorer, de renouveler , ne leur m a n q u e n t jamais. . . » Sur les forêts , on t rouve dans « l 'analyse des procès-verbaux » des conseils généraux pour l'an X (Chaptal é tant minis t re de l ' In tér ieur) , une é tude qui conclut au lamentable état des forêts dont les causes de des t ruct ion viennent de la division des propr ié tés et des mult iples abat t i s que font la p lupa r t des nouveaux acqué­reu r s ; pa r cont re la magnif ique forêt de la Grande Char t reuse s 'explique pa r la sagesse des moines qui font des coupes chaque 80 ans pour des taillis et chaque 150 ans pour les g rands bois . Cette idée de la supér ior i té de la g rande propr ié té sur le plan économique sera développée en 1840 dans Le Curé de village et aussi dans Les Paysans.

Dans César Birotteau, Balzac par le beaucoup d ' industr ie chimique et il a dû s ' informer dans le livre si impor t an t de Chaptal De l'Industrie française où le Comte de Chanteloup récapi tule avec en thous iasme les progrès « des a r t s chimiques en France depuis 30 ans ».

Mais la rencon t re capitale de Balzac fut celle qu'il eut avec Pyrame de Candolle à Genève en 1833. Il était a lors au sommet de sa carr ière , il avait écrit quelques-unes de ses œuvres les plus impor t an te s : Les Chouans, les Scènes de la vie privée, La Peau de chagrin, Le Médecin de campagne, Louis Lambert, e tc . Il venait à Genève pour r encon t re r la grande dame dont il étai t follement amoureux , la comtesse polonaise Eveline Hanska . Mais chez Balzac, les préoccupat ions sent imenta les s 'accompagnent d 'obligations litté­ra i res . Le d imanche 17 novembre 1833, il avait été chez le sculpteur Bra, cousin de son amie Marceline Desbordes-Valmore. Il r aconte ainsi cet te visite à Madame Hanska . « ... J'y ai vu le plus beau chef-d'œuvre qui existe. C'est Marie t enan t le Christ enfant adoré pa r deux anges... Là j ' a i conçu le plus beau livre, un pet i t volume dont Louis Lamber t serait la préface, une œuvre inti tulée Séraphi ta . Séraphi ta serai t les deux na tu res en un seul ê t re comme Fragolet ta , mais avec cette différence que je suppose cet te c réa tu re en ange arr ivé à sa dernière t ransformat ion en br i san t son enveloppe, pour m o n t e r aux cieux. Il est a imé p a r un h o m m e et pa r une femme auxquels il dit, en s 'envolant aux cieux, qu' i ls ont a imé l'un et l 'autre l ' amour qui les liait en le voyant en lui, ange tout p u r ; et il leur révèle leur passion, leur laisse l ' amour en échappant à nos misères t e r res t res . Si j e le puis , j ' éc r i ra i ce bel ouvrage à Genève p rès de toi... »

Balzac veut placer cet ouvrage en Norvège : or, il ne connaî t pas le pays . Il va demande r des rense ignements sur la flore à un des plus grands savants européens , Pyrame de Candolle. Comment se présente Balzac en 1833, personne mieux que la femme aimée ne peut nous le faire connaî t re . Madame

182

Hanska écrit le 10 décembre 1833 à son cousin le comte Henr i Rzeweski. « Nous avons fait en Suisse une connaissance dont nous sommes charmée , c'est celle de M. de Balzac, l ' auteur de La Peau de chagrin et de tant d 'ouvrages délicieux. Cette connaissance est devenue une véri table liaison et j ' e spè re qu'elle du re ra au tan t que no t re vie... Balzac vous rappel le beaucoup, mon cher Henr i ; il est gai, r ieur , a imable co mme vous ; il a m ê m e dans l 'extérieur quelque chose de vous et tous les deux vous ressemblez à Napoléon... Balzac est un véri table enfant . S'il vous aime, il vous le dira avec la candide franchise de cet âge... Enfin, en le voyant, on ne conçoit pas comment , à tan t de science et de supér ior i té , on peut jo indre tan t de fraî­cheur , de grâce, de naïveté enfantine dans l 'esprit et le sentiment. . . ». Balzac loge à l 'auberge de l'Arc, près de la maison Mirbaud qu 'hab i te la famille Hanska au Pré-l 'Evêque. « Il passe là qua ran te jou r s de travail et d ' amour » (A. Maurois) .

Mais à présent , il est nécessa i re de p résen te r le grand botanis te Pyrame de Candolle. Il étai t né à Genève le 4 février 1778. Sa famille réfugiée en Suisse au t emps de la Réforme appar tena i t à la noblesse de Provence (alliée aux Castellane, aux Suffren, aux d'Albertas, aux Bausset ) . L 'ancêtre Pyrame de Candolle se fit p ro tes tan t et devint i m p r i m e u r à Genève (il t raduis i t en français Xenophon, Tacite). Le père de no t re savant, Bernard , fut p remier syndic de la Républ ique. Pyrame fut élevé dans un cl imat human i s t e et sa vocation appara î t d 'abord comme l i t téraire. « Je savais pa r cœur tout le théâ t re de Racine et les meil leures pièces de Voltaire » nous dit-il dans ses Mémoires . Lui-même a écri t des poèmes et su r tou t nous a laissé ses célèbres Mémoires et Souvenirs publiés en 1862 par son fils et qui sont un chef-d'œuvre p a r la simplicité, le na ture l , l 'élégance du style.

Il va à Paris en 1797 et se pass ionne pour les sciences physiques et naturel les à une époque où Paris était le cent re scientifique du monde . Il suit les cours de Fourcroy, Vauquelin, Por ta i et su r tou t Cuvier dont il dit : « Je pr i s u n in térê t par t icul ier à celui de Cuvier et je conçus une admira t ion sincère pour son talent r emarquab le d 'observateur et de professeur . Sa clar té cont inue, l 'élégance de son style, l 'élévation de ses idées générales révélaient l 'homme d'un talent supérieur. . . ». Par cont re il t rouvai t chez Fourcroy « t rop de rhé tor ique », chez Vauquelin « t rop de confusion », quan t à Portai avec son accent gascon il p résen ta i t u n e « véri table car ica ture de l 'enseignement.. . son cours était composé d 'his tor ie t tes plus ou moins spiri­tuelles ». Pyrame cont inue à s ' intéresser à la l i t t é ra ture . Il suit les cours de Fontanes , l 'ami de Chateaubr iand, et l ' amant d'Elisa Bonapar te . Ce poète néo-chrétien est un arr ivis te qui pense qu 'une religion est nécessaire au peuple . Il fait ses confidences au j eune Genevois : « Nous avons l ' intention de pousser la France au p ro tes t an t i sme ». Ces p ropos lui sont revenus vingt ans p lus ta rd lorsque « le m ê m e Fontanes a refusé de me n o m m e r rec teur de Montpell ier parce que p ro tes t an t ».

Après quelques mois d 'é tudes paris iennes, il r e tourne à Genève. Mais en m a r s 1798 c'est la fin de l ' indépendance de Genève qui est ra t t achée à la France . Pyrame va faire une car r iè re univers i ta i re en France . Il habi te au

183

cœur du Paris savant, près du Ja rd in des Plantes . Il suit les cours de médecine sans en thous iasme, pa r cont re il se pass ionne p o u r les cours de Lacépède, Lamarck, Cuvier, Haiiy. Il travaille au dict ionnaire encyclopédique de Lamarck, herbor ise en forêt de Fonta inebleau avec Cuvier, Brongniar t , Duméri l , Dejean. Il f réquente les salons des idéologues hér i t iers de la philo­sophie des lumières .

Il par t ic ipe t rès act ivement à la 3 e édit ion de La flore française de Lamarck. Grâce à Chaptal il devient docteur en médecine sans avoir suivi à Paris d 'enseignement clinique. Le minis t re de l ' In tér ieur a homologué de p ré t endus cours de médecine suivis à Genève (Mémoires, p . 125). Après son doctora t , ses amis lui font une réception bur lesque en grand cos tume du « Malade imaginaire » ; p a r m i eux, Cuvier et Biot. Ses amis l 'appuient pour obteni r des crédi ts pour une herbor isa t ion sys témat ique de la France. Il s'agit de parcour i r en cinq ans toute la France impéria le « pour en é tudier la bo tan ique dans ses r appor t s avec la géographie et l 'agricul ture ». En 1803 (il a vingt-cinq ans) il devient suppléant de Cuvier au Collège de France .

Les premières ouver tures pour aller à Montpell ier vinrent d'Amédée Berthollet dont le père était t i tulaire de la sénator ie de Montpell ier et su r tou t de Chaptal p ro tec teu r de l'école de médecine. Mais il hésite, il a la passion de la cherche, il espère ê t re élu m e m b r e de l ' Inst i tut . Mais on t ient à Montpell ier à ce j eune savant qui sera la gloire de l'école. Le doyen Dumas lui offre des condit ions exceptionnelles. Il pou r r a résider à Paris et se contenter de faire de loin en loin un cours à Montpell ier . Après avoir longtemps hésité il finit pa r se laisser séduire ; en part icul ier , il n 'étai t pas indifférent « au plaisir de diriger un j a rd in botanique , de former des élèves... ».

Il a t ren te ans . Arrivé à Montpel l ier en m a r s 1808, il y passera hui t ans , à l 'apogée de sa car r iè re universi ta i re et scientifique. Il est reçu avec honneur . « Le jour m ê m e de mon arrivée, tous mes collègues vinrent me faire des visites t rès amicales, les employés du ja rd in vinrent p r en d re mes ordres , le préfet vint lui-même m'engager à dîner chez lui, et les familles protes­tantes , qui me connaissaient de nom pa r leurs relat ions avec Genève m'accuei l l i rent avec une bonté parfai te . Je fus, je l 'avoue, ex t rêmement sensible à cet te réception, et une impress ion t rès favorable se fit dès ce m o m e n t dans mon espri t , je dirai p resque dans mon cœur... ».

Il fait l'éloge d'Auguste Broussonnet , son i l lustre prédécesseur , assisté de Victor Broussonnet . Celui-ci devient un ami t rès cher qui guéri t Alphonse de Candollc d 'une t rès grave maladie . Son p remier cours a un grand succès car il joint à des connaissances botan iques originales le don pédagogique. Dans ses cours il improvise ce qui est une nouveauté à Montpell ier . Aussi a-t-il 400 élèves pendan t ses deux mois de cours . Les six j ou r s de la semaine il donne son cours , le d imanche il herbor ise avec ses é tud ian ts . Ceci lui pe rme t un contact avec le peuple languedocien mais par l ' in termédiaire d 'un in terprè te , les paysans du Languedoc ne par len t pas français. Après ses cours il en t reprend son enquête botanique dans l 'Empire français. En 1808 il herbor ise en Toscane.

184

A par t i r de 1809 il en t r ep rend un agrandissement sys témat ique du Jard in des p lantes . « ... Je lis faire de g rands t ravaux pour p lan te r et employer convenablement le te r ra in . Tout cela marcha i t concu r remmen t avec les au t res devoirs de m a place, avec mes t ravaux par t icul iers de bo tan ique , avec des encouragements soutenus donnés aux élèves qui témoignent du zèle, avec une vie assez mondaine. . . ». Il est sévère pour ses prédécesseurs à la direct ion du Jard in des plantes . « ... Depuis sa fondation jusqu ' à l 'époque de l 'Empire , ce ja rd in , const ru i t sur un plan gothique et bizarre , dirigé pa r les chanceliers de l 'Université, qui n 'é taient p resque jamais botanis tes , eut un rang secondaire.. . ». Il n'a commencé à se t rans former qu'avec Brous-sonnet : « h o m m e capable et ins t ru i t ».

Dans son œuvre de t ransformat ion profonde, Pyrame est aidé par Chaptal qui abandonne aux frais du Ja rd in son t ra i t ement de professeur honora i re (6 000 francs pa r an) . La ville de Montpell ier donne 60 000 francs pour l 'achat du ja rd in I t ier qui double l 'é tendue du ja rd in bo tan ique .

Un ma î t r e aussi r emarquab le ne pouvait que former des élèves. Deux sur tou t ont été impor t an t s : Félix Dunal, qui fut son principal col laborateur , ensui te son successeur et sur tou t Flourens, de Béziers, qui fut r e commandé à Cuvier pa r Pyrame et qui devint t rès j eune m e m b r e de l 'Académie des sciences et son secrétaire perpétue l après Cuvier.

A Montpell ier , Pyrame de Candolle mène une vie monda ine et ses souvenirs sont une source in téressante sur la vie de Montpell ier à l 'époque de Napoléon. « .. La vie sociale de Montpell ier offrait alors cet te par t icu lar i té qu'elle se fractionnait en une mul t i tude de pet i ts groupes composés de 5 ou 6 familles qui se voyaient habi tuel lement à pa r t et ne se réunissa ient en grand cercle que chez les fonct ionnaires publics.. . ». D'abord les préfets M. Nogaret et Aubernon, ensui te le général de division Chabot, enfin le p remie r prés ident à la Cour impériale Duveyrier. Les notables se rencont ra ien t aussi à la Loge, « espèce de cercle dans lequel on lisait les j ou rnaux publics ». Les vieilles sociétés scientifiques du X V I I I e siècle renaissent : l 'Académie des sciences et belles-lettres, la Société d 'agr icul ture , mais Pyrame leur t rouve « t rop peu de vie ». Aussi a-t-il créé avec une douzaine d 'amis une société de lecture « où chacun appor ta i t revues et livres nouveaux.. . ».

Mais avec sa femme il f réquente sur tou t la société p ro tes t an te où il est accueilli en ami et il nous donne un tableau vivant de ce monde des notables p ro tes tan t s .

Ce ma î t r e prest igieux aura i t pu faire toute sa car r iè re à Montpell ier si la poli t ique n 'en avait décidé au t r emen t . A la fin de l 'Empire , il avait posé sa cand ida tu re pour ê t re rec teur à Montpell ier . Appuyée pa r Chaptal , Camba-cérès, elle a cont re elle cer ta ins é léments cathol iques qui lui reprochent son origine et ses amit iés p ro tes tan tes . Aussi le grand ma î t r e de l 'Université, Fontanes, est-il rét icent .

Pour son ma lheur et celui de l 'Université de Montpell ier, de Candolle finit par ê t re n o m m é rec teur pendan t les Cent-Jours, ce qui lui fut

185

violemment reproché pa r les ultra-royalistes après Water loo, si bien qu'il fut malgré l 'amitié de ses collègues et l 'appui de ses é tud ian t s obligé d ' abandonner son poste .

C'est alors qu'il devint professeur à Genève où il joua un t rès grand rôle, il y fut le c réa teur du Ja rd in bo tan ique . Il est considéré co mme le plus grand botan is te de l 'Europe. Très accueil lant il reçoit les g rands savants et les g rands écrivains de son t emps . Nous avons vu que c'était Lemercier , biblio­thécaire au Muséum, qui r ecommanda Balzac à de Candolle. Cette rencon t re fut pour Balzac t rès impor tan te .

Pyrame de Candolle venait de publ ier en 1832 sa Physiologie végétale, livre admirab le qui a été lu ce r ta inement pa r Balzac et aussi pa r le g rand poète languedocien Maurice de Guérin qui nous en a par lé avec en thous iasme : « Achevé de lire la Physiologie végétale pa r Candolle, 3 volumes in 8°. Le p remie r t ra i te de la nutr i t ion, le deuxième de la reproduct ion , le t ro is ième de l 'influence des agents extér ieurs . Malgré la chimie qui est pour beaucoup dans cet ouvrage et dont je n ' en tends pas un mot , j ' a i pr is un vif plaisir à cet te lecture . Un m o n d e tout nouveau s'est ouver t devant moi... ce n 'est pas un pet i t bonheur que de s 'ouvrir une nouvelle perspect ive dans la contempla t ion de ce monde et de soupçonner quelques choses de la vie et de la beau té de la nature. . . ». Cette lecture « a redoublé mon a t t ra i t pour l 'observation des choses naturel les et m'a fait pencher vers une source inépuisable de conso­lation et de poésie... » (Le cahier vert).

L'admira t ion n 'étai t pas le seul mobile de la visite à Pyrame de Candolle, en réali té les intent ions du romanc ie r avaient un carac tère intéressé. Dans sa p remiè re le t t re il avouait tout s implement prof i ter des « immenses connaissances » de M. de Candolle qu'il alla voir le 27 décembre 1833. Il r e tou rna chez lui aux environs du 1 e r janvier 1834, afin d'avoir, dit-il, quelques rense ignements sur la flora danica. Une le t t re du 5 m a r s 1835 précise m ê m e le carac tère de cet te det te .

« Monsieur,

En rep renan t ces jours-ci mes t ravaux sur Séraphita, j ' a i t rouvé la note que vous avez eu la complaisance de me faire vous-même sur les p lan tes de la Norvège, et tout à coup il m 'a pr is , en voyant vot re écr i ture , un r emords non pas de vous avoir oublié car, Dieu merci , je n 'ai pas que la mémoi re des choses, des idées et des faits, j ' a i aussi celle du cœur ; mais de ne pas vous avoir envoyé aucun témoignage de mon souvenir et de la reconnaissance de votre gracieuse hospitalité. . . ». Aussi connaissons-nous avec exact i tude l 'objet de la documenta t ion de Balzac, pendan t son séjour à Genève la flore de la Norvège pour les pages descript ives de Séraphi ta , l 'œuvre conçue chez le sculp teur Bra, le 20 novembre 1833 et qui l 'occupe à Genève en cet te pér iode a rden te et myst ique de ses a m o u r s avec la comtesse Hanska .

La mei l leure source, le célèbre herb ie r étai t ouver t à tous les visi teurs , il comprena i t la descr ipt ion de tous les végétaux connus en Europe . C'est

186

un énorme ouvrage achevé par son fils Alphonse, mais lui-même avait décrit 6 000 plantes et publié 7 volumes. « Aux connaissances M. de Candolle joignit les dons de clar té dans l 'explication » et l 'un de ses élèves les plus i l lustres, le chimiste J.-B. Dumas , le décrivait à son pè re co mme « a imable dans le monde , savant dans le cabinet , ra isonnable pa r tou t ». Il ventai t sa gaîté, sa puissance de travail , le cha rme de ses récits , et concluait « je n'ai pas connu d 'homme plus heureux ».

Balzac se rendi t p lus ieurs fois chez M. de Candolle ; après les deux visites de documenta t ion de la fin de décembre , nous savons qu'il alla d îner au moins une fois chez lui, au mois de janvier 1834.

Ev idemment les conversat ions ne concernaient pas un iquement la végé­tation de la Norvège. D'abord le botanis te genevois a imai t toujours par le r de Paris avec quiconque en arr ivai t . A Genève il accueillait avec empressemen t les jeunes savants venus de France . Il avait dirigé, nous l 'avons vu, les p remie r s pas dans la car r iè re scientifique du Languedocien J.-B. Dumas dont il disait : « J 'ai su r tou t influé sur son sort en ce que, sur m o n témoignage consciencieux, mon ami Brongniar t se décida à lui donner sa fille aîné en mariage ».

Il est possible que Pyrame de Candolle ait commun iqué à Balzac les théories de Dumas sur l 'hypothèse uni ta i re et l 'ait m ê m e encouragé à inter­roger ce savant et ce phi losophe, don t les t ravaux co mme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud ont joué un rôle dans la documenta t ion chimique de l 'auteur de La Recherche de l'absolu.

De toute façon, Balzac s ' intéresse sû rement aux recherches et aux théories de Pyrame de Candolle car ce na tura l i s te était doublé d 'un phi losophe. Flourens, son ancien élève, définissant ainsi le rôle qu'il joua dans l 'histoire de la bo tan ique : « Tournefor t ayant const i tué la science, Linné lui ayant donné une langue, les deux Jussieu ayant fondé la méthode , il ne res ta i t qu 'à ouvrir à la bo tan ique l 'étude des lois in t imes des ê t res , et c'est ce qu 'a fait de Candolle » (hommage prononcé à l 'Académie des sciences en 1841).

Dans son p remier ouvrage, une Théorie élémentaire de la botanique, paru en 1813, Pyrame de Candolle avait expr imé ses idées essentielles. Convaincu du « véri table encha înement des ê t res na ture l s », es t imant que chaque classe d 'être est soumise à un plan général , et que dans ce p lan la symétr ie joue un rôle fondamenta l « l 'étude de cet te symétr ie » déclarait de Candolle, « est la base de tou te la théorie des r appor t s na ture ls » et « la vraie science de l 'histoire nature l le générale consiste dans l 'étude de la symétr ie p rop re à chaque famille, et des r appor t s de ces familles entre-elles ». Il accordai t une place impor t an te à la p ropor t ion d'oxygène dans l 'explication des phénomènes de la colorat ion des végétaux. Dans La Recherche de l'absolu, B. Claës développe des pr incipes analogues.

Cette idée du pr incipe un ique nous r amène d i rec tement à celle de l 'unité de composi t ion des ê t res vivants qu 'aff i rme Balzac dans la préface de La Comédie humaine. Ceci nous est confirmé pa r Alphonse de Candolle dans

187

son in t roduct ion aux Mémoires. « Le sent iment de l 'unité de composi t ion a toujours existé, d 'une man iè re plus ou moins claire, dans l 'esprit des natural is tes . . . Goethe l'avait conçu for tement , Geoffroy Saint-Hilaire en zoo­logie, de Candolle en bo tan ique l 'ont développé sans avoir la mo ind re connaissance des opuscules sur l 'histoire naturel le de leur i l lustre devancier... »

Il semble donc qu 'avant la rencont re de Geoffroy Saint-Hilaire, avant l 'époque où Balzac concevait La Recherche de l'absolu, l 'hypothèse uni ta i re lui avait été développée p a r Pyrame de Candolle.

Nous voyons que le rôle des ma î t r e s de l 'université de Montpell ier dans la connaissance scientifique de Balzac est impor tan t , en par t icul ier celui de Pyrame de Candolle. A ceci il faudrai t a jouter le rôle capital des médecins de Montpellier, en par t icul ier des vitalistes, élèves de Bar thez , dans sa connaissance de la médecine de son t emps , mais ceci a déjà été évoqué dans une communica t ion sur la nosographie balzacienne en 1964 et nous n'y reviendrons pas .

I N D I C A T I O N B I B L I O G R A P H I Q U E

H . de B a l z a c : La Recherche de l'absolu. Séraphita.

Correspondance générale — T o m e I I .

P y r a m e d e C a n d o l l e : Mémoires et souvenirs ( p u b l i é s p a r s o n fils A l p h o n s e ) .

J . -H. D o n n a r d : Les réalités économiques e t s e s n o t e s d a n s la Comédie humaine.

M a d e l e i n e E a r g e a n d : La Recherche de l'absolu.

M o ï s e Le Y o u a n g : La Nosographie balzacienne.

G e o r g e s P r a d a l i é : Balzac historien.

188


Top Related