ardèche méridionale. 650 km en voiture depuis paris, huit...
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Ardèche méridionale. 650 km en voiture depuis Paris, huit heures de route en comptant lesdétoursetlesmauvaisesdirections.Unoragedignedelasaisondespluiesenclimattropicaletunealertemétéodeniveaurouged’aprèsMétéo-France.
Charliejaillitàtoutevitessedesavoitureetglissaaussitôtdanslaboueduchemindanslaquelleelles’étaitenlisée,sereçutledélugesurlatête,ouvritlecoffrepoursaisirsonsacdevoyage,tentadegravirencourant l’alléemenantàlagrandemaisonqu’ellevoyaitauloinetqui luiparaissaitflouedans legrisducielqui sedéversait…Le tempsqu’elle semetteà l’abridu toit, elleétait trempéejusqu’auxos,sescheveuxdégoulinaientabondammentetsarobelégèreluicollaitàlapeau.Là,elleobserva les deux autres bâtiments constituant la propriété qu’elle avait rejointe. Enfoncés dans lescollinesdeverdureglissantverslarivièrecoulantplusbas,ilsavaientétépartiellementenvahisparlavégétation.Ellefouillavivementdanssonsac,puissebattitaveclaserrure.
Unefoislaporteouverte,ellesentitsonventresecontractertantlamaisonluiparutétrangère.Çafaisaittellementlongtempsqu’ellen’étaitpasrevenueici.Quinzeans.Uneéternité.Quasila
moitiédesavie.Letempsdes’accommoderauminusculeappartementdelabanlieueparisienneoùsamèrel’avaitemmenée,d’attendrequesonpèredaignelaprendrepourlesvacances—cequines’étaitplus jamais renouvelé passé les quatre premières années — ? de s’habituer au ciel gris et à lapollution, d’oublier d’où elle venait, d’aller au collège puis au lycée, de fumer ses premièrescigarettespuissespremiersjoints,decoucheravecLucas,puisEric,puisOlivier,puis,bonsang,elleavait oublié le nomde tous les autres…De fairedu théâtre, puisde tout plaquerpourparcourir laFranceetpuis l’Europe,de se retrouverengardeàvueaprèsune rave sur leplateauduLarzac,dereveniràParispourrentrersurletardauxBeaux-Arts,demettredesfleursdanssescheveuxcommesesparentsdansleurjeunesse,defumerd’autresjoints,decoucheravecd’autresgarçons,d’apprendrela nouvelle du décès de son père et de se rendre compte qu’on lui parlait de quelqu’un qu’elle neconnaissait plus…De regarder avecmorosité le document l’informant de son héritage.De rester àParis.Denepasbouger.Delaisserlesmoisetlesannéessedéliter.
Etpuis,un jour, samère luiavait tenduunevieillephotoqu’elleavait retrouvéeau fondd’untiroiretCharlieétaitrestéecomplètementbloquéeensedécouvrant,gamine,dansl’undecesmaillotsde bain trop petits qui se faisaient à l’époque, au premier plan d’unemaison qu’elle avait fini parchasserdesonesprit.Ellen’yavaitrienreconnu:nileslieux,quiluiavaientparubizarres,nilapetitefille devant ses yeux dans laquelle elle avait été incapable de se projeter. Les jours suivants, ellel’avaitressortie,s’attardantsursesdétailssanspourautantparveniràsesouvenirneserait-cequedes
circonstancesdanslesquelleselleavaitétéprise…Puis,l’adresseetlesclésdelarésidencepaternelleàlamain,elles’étaitsoudaindécidéeàyretourner.
Unefoisàl’intérieurdelamaison,elleouvritsonsacpourprendreuneservietteaveclaquelleelles’épongealescheveux,puispassadesvêtementssecsetcherchadequoiseprépareruneboissonchaude.Quasimenttouslesproduitsétaientpérimés,maiselletrouvanéanmoinsuneboîtedethé.Parréflexe,ellevérifias’ilétaitbio.Ellesesentitstupide.
Satasseàlamain,elleobservalepaysageàlafenêtre.Lecielétaitsinoirquelanuitsemblaitimminente et les feuilles des figuiers déversaient des torrents d’eau. En voyant une silhouette sedétacherencontrebas,auborddelarivière,elleeutunpincementàlapoitrine.Unecanneàpêcheàl’épaule, ungarçonqui devait avoir à peuprès son âge sedressait torsenumalgré la puissancedel’orage. Elle l’observa, hésitant à crier pour lui proposer de s’abritermais n’en fit rien. Lorsqu’ildisparutdesavue,ellerestadelonguessecondesencoreàessayerdedistinguersonombre,troublée.Puisellealla s’asseoiraumilieuducanapé, seuledanscettegrandemaisonqu’ellen’avaitpasvuedepuisquinzeans,aumilieudecetimmenseterrainetdanscetterégionlointaine.Ellerenversalatêtesurlecanapé.
En repensant au typequi était passé aubordde la rivière, elle songea seulementqu’elle avaitenviedesexe.
Le lendemain, Charlie fut réveillée par le soleil filtrant à travers les persiennes. Son premier
gestefutd’ouvrirtouteslesfenêtres,àl’étagecommeaurez-de-chaussée.Ellesebagarraensuitepourdéverrouiller les portes des deux autres bâtiments. Elle les trouva pleins de poussière, encombrésd’objets insolitesetdematériel agricole.Puiselle se servitun théet sortit sur la terrasse.La terresoussespiedsétaitencoremeublemaisavaitpresquefinidedrainerl’eauquiétaittombéelaveille.Ellereculaetconsidéralamaison.
Del’extérieur,ellelareconnaissaittoutdemême:deplain-pied,avecdesmursdegaletsgrisésquiavaientdûaccueillirdescouleurspastelàuneautreépoque,etdestuilesrougesdevenuessombresaveclesannées,bieninstalléesursapetitecollinequisurplombaitd’uncôtélelongchemindeterrequi y menait et de l’autre la rivière. Elle se retourna pour considérer cette dernière : elle coulaittoujours en gros remous boueux, devant la falaise de calcaire la surplombant.Elle but une gorgée,savourantlavuedel’Ardèchequel’onvoyaitcharrierunesériedeboisflotté,etrepensaaugarçondelaveille.Oùpouvait-ilbienêtredésormais?
La nature semblait proche d’envahir la maison. A cause du manque d’entretien, les herbesavaientpoussésihautquecertainespartiesdu jardinétaientpresque impraticables.Ellecherchaduregardl’endroitoùavaitpuêtrepriselaphotoqueluiavaitdonnéesamère:debienplusloin,ducôtéde la rivière. Elle recula longuement, chercha l’angle, la bonne distance, superposa sur la visioncontemporaine les couleurs affadies du cliché qu’elle avait tenu dans sesmains…Et alors, elle setrouvaitoù,lapetitefillequ’elleavaitunjourété?Pasenelle,entoutcas.Elleavaitl’impressiondes’êtreperdueenchemin.Etsonpère,oùavait-ilpuêtreenprenantcettephoto?Elleseretournaetdétaillalonguementlespierresplatesquimenaientàlarivière.Aucunsouvenirneluirevint.Aucuneimagedel’hommeauquelellen’avaitjamaispardonnédel’avoirabandonnée.
Aussi loin qu’elle se souvienne, ils n’avaient jamais été proches : ils avaient habité dans unecommunauté, et lamaisonavait accueilli tantde foyersqu’elleavait finalementplusvécuavec lesautres enfants qu’avec ses parents. Tout était partagé. Elle se remémora les jeux qu’ils faisaientensemble,lesmomentsconsacrésàlaculturedeslégumes,leslapinsdanslesclapierset,parfois,les
longsdébatsdesadultesautourdesujetsdesociététandisqu’ilsfumaientdel’herbe.Etpuissonpèren’avaitrientrouvédemieuxàfairequedetomberamoureuxd’uneautrefemmedeleurgroupe,quiavait troisenfants.Alors,biensûr,samèreavaitpréférésebarrer.Avec lesannées, lacommunautéavaitfiniparcapoteretseulsonpèreétaitresté,étantceluiquipossédaitleslieux;mêmesacopines’était cassée avec sesgosses,mais ça,Charliene l’avait apprisqu’après samort. Il ne l’avait pasrecontactéepourautant.
Dansungesteréflexe,elleallumasontéléphoneetconstataqu’iln’yavaitpasderéseau:rienquineladérangetoutefois.Pourlarassurer,elleenvoyaunSMSàsamère,aucasoùcelui-cipasseplus aisément, et contempla le rouge vif écaillé de ses ongles demain et de pied. Elle devait êtremisérableavecsacoupecourteenvracetlemascaradelaveillecoulésoussespaupières.Enfin,ellesedécidaàallervoircequedonnaitsavoiture.
Lorsqu’elle l’aperçut, elle se passa une main nerveuse dans les cheveux, catastrophée. Maisqu’est-cequ’elleallaitpouvoirenfaire!Nonseulementlavoitureétaitembourbée,maisellegênaitlepassagemenantàlafermevoisine:celuid’unevieilledamechezquiellesesouvenaitalleracheterdesœufs,gamine.Ellenerisquaitpasdeladéplacerseule.Elleenfitletourenconsidérantlaplacerestant sur le chemin : unvéhicule pouvait tout demêmepasser.Après un tempsd’hésitation, elleouvritlecoffrepourrécupérerlescoursesfaitesenvenant,ainsiquesondeuxièmesacdevoyage,etdécidadelaisserleproblème«voiture»enplanpourlemoment:elleavaitd’autressoucisàrégler.Elle respira profondément en gravissant le chemin, son sac en bandoulière et deux gros cabas à lamain,puisposaletoutsurleplandetravaildelacuisine.Elleouvritleplacarddelachambrepourrangersesvêtements,maiselletombasurdesobjetsdecetteautrefamillepourquil’avaitlaisséesonpèreetelle lereferma, lesmainstremblantes.Elleenouvritalorsunautremais,pareil,seretrouvanez à nez avec des jeux d’enfants qu’elle savait ne lui avoir jamais été destinés et se raiditnerveusement.Alors,ellesemitentêtedefairedurangement,d’abord,puisduménage.Lapoussièreavaittoutrecouvert,l’humiditétoutabîmé…Puiselletombasurlesphotosdecetteautrefamillequeluiavaitpréféréesonpèreetenfutsiblesséequ’ellecessadetoutranger;ellejeta.Elleôtadesavuetoutcequ’ellenereconnaissaitpas,toutcequireprésentaituneviedontelleavaitétéexclue,toutcequiétaitrestédanslesplacards,touslesélémentsattestantqu’elleavaitétéoubliéedecettemaison,qued’autresyavaientvécu,tousceuxluirappelantquesonenfanceavaitétébalayéeauprofitd’uneautrefamilleque,probablement,sonpèreavaitaiméeplusquelasienne…Elletira,décrocha,balançacequ’elleputdepuislesfenêtresdupremierétage,vidalescontenusdestiroirs,puiscrisapourdebonetjetalestiroirseux-mêmes,ets’agitajusqu’àcequ’elleseretrouveàboutdesouffleetquesoncoupdenerfs’étioledanslavisiondesdéchetsentassésdevantlamaison…
Alors, elle s’assit sur leperron et ouvrit unebière en regardant lapluie se remettre à tomber,ruinantetlavantcequisetrouvaitdevantsesyeux.
Lorsquelecielcommençaàsedégager,elleétaitentraindejeterlesrestesdesonsandwichaux
canardsetsursautaenentendantunklaxon.Ilvenaitduboutduchemin.Affolée,ellesautadanssessandalessanslesattacheretdescenditàtoutevitesse.Elleentenditrapidementdeséclatsdevoix,puiselle aperçut, plus bas, un camion bloqué derrière sa voiture et un groupe de gens qui y étaientattroupés:unevieillefemmeetdeuxhommesd’unetrentained’années.Enarrivant,ellemanquaàcepointdesecasserlafigureendérapantdanssessandalesqueseulelamanièredontl’undeshommeslaretintalorsparlebrasl’empêchades’encastrerdanslapetitevieille.Horrifiée,ellelevalesyeux
surceluiquil’avaitempêchéedecommettreunecatastropheetseperditbrusquementdanssonregard.Ladameattirasonattention:
—Mademoiselle?Charliesetournaverselle,essoufflée.Celle-cilevalesmainsdansuneexpressiondesurprise.—Maisvousêtes…Mais.Oh!LapetiteParis!—Oui,confirma-t-elleenforçantunsourire.Charlistiane.Leprénomfarfeludontsesparentsn’avaientrientrouvédemieuxquel’affubler.— Mais vous… ? interrogea-t-elle, curieuse de savoir comment la vieille dame avait pu la
reconnaître,bienqu’ellel’aitvuedescendredelamaison.—MmeSabatier,seprésenta-t-elle.Tunetesouvienspasdemoi,sûrement.—Euh…si,enfait.Lapetitevieillequivendaitdesœufs.Sonvisagenefaisaitéchoqu’àdesimagesconfuses,mais
sonnomnelatrompaitpas.Maisc’étaittellementloindanssamémoire,désormais…—C’étaitilyasilongtemps.Tonpèremeparlaitsouventdetoi,poursuivitlagrand-mère,avant
deserépandreenlamentations:Ohmapetite,mapetite…Charlieserranerveusementlesmainsl’unecontrel’autre,malàl’aise.—Ilyatellementdetempsquepersonnen’estvenudanscettemaison,ajoutaMmeSabatier.Je
pensaisquetoioutamèreviendraitmais…Trois ans, oui. Trois ans qu’elle avait hérité et, si sa mère avait décrété dès le début qu’elle
n’allaitpasremettrelespiedsici,Charliel’avaitimitéedanslemodeautruche:latêtedansletrouetlesfessesbienenl’air.Toutpouréviterdesongeràsarancœurdegaminemalaimée,quoi.
—Excusez-moi,lacoupa-t-ellenerveusement.Je…Ellenevoyaitpascomments’expliquer.Elleavoua:—Jesuisvenuesuruncoupdetête.J’airésiliélebaildemonappartement,j’aiplantélafacet
jesuisdescenduecommeça.J’ai…J’aideuxsacsdevoyageavecmesseulesaffairesquicomptentet…
Elles’arrêta,conscientedutroublequesaconfidencemassivesuscitait.Mêmelesdeuxhommess’étaient retournés pour la regarder. La spontanéité avec laquelle elle avait tendance à se confierpouvaitdécontenancer,ellelesavait.Deplus,elledevaitoffrirunepauvreimage,avecsonmascaraencoresoussesyeux.
—Ettuasquelâge,maintenant?larelançalavoisineavecbienveillance.—Vingt-sept.—Oh!Ettuestoujoursàlafaculté?—Euh…Oui…Cen’étaitpascommesielleavaittoujourssucequ’ellevoulaitfaire,enmêmetemps…Etelle
avaitpasséplusd’annéesàbourlinguerqu’àautrechose,envérité.LesBeaux-Artsavaientaumoinseuleméritedelafairecôtoyerdesgensaussitimbrésqu’elle.
Ellesetournaverslesdeuxhommesdontl’undevaitêtreleconducteurducamion.—J’aidûabandonnermavoitureavant-hier,àcausedelapluie.Jevaisessayerdeladégager.Cedisant,ellebaissalesyeuxsursesrouesembourbéesetsemorditlalèvre.L’undeshommes
intervint.—Jecroisquevousallezavoirbesoind’aide.Charlie le détailla. Il s’agissait duplus âgédes deux et son sourire était charmant.C’est à ce
moment-làqu’elleremarquaqu’ilsavaientunairdefamillemarqué.—TutesouviensdeRaphaëletdeRomain?intervintMmeSabatier.
—Euh…Paslemoinsdumonde.Ellelesdévisageaplusattentivement.—Laisse,mamie,lescoupaleplusjeune.Etsiondégageaitcettevoiture,plutôt?Celui-cinesouriaitpas.Ilavaitdel’oursàlafoislamâchoirecarréeetl’attitude,bienqu’ellese
prenneàpenserque,s’ilavaiteuuneexpressionplusaimable,ilauraitétébienpluscraquantquesongrandfrère.
Ils la firent s’installer au volant et se placèrent derrière le véhicule pour pousser. Ellemit lecontactetnefitpatinerquequelquessecondeslesrouesavantquelavoituresedégageensoulevantunebonnegicléedeboue.
—Oh!mince!gémit-elleensortantlatêteparlafenêtre.Jesuisdésolée,je…—Pasgrave!crialeplusjeuneavecunagacementperceptible.Continue!Elle obtempéra,malgré toute la gaucherie dont elle fit preuve àmanier son véhicule dans ce
terraininhabituel.Laterreglissaitetlamontéeétaittroprudepourquelavoiturenepatinepasencoreunpeu,cequifitque,nonseulementilsl’aidèrentàsedégager,maisilsl’accompagnèrentjusqu’àsamaison.Charliesentitsonventresetordreenapercevantl’immondetasd’objetsdevantl’entrée.Cecoup-ci,s’ilsnel’avaientpasencoreprisepourunefolle,ellen’yéchapperaitpas.
Elle sortit de la voiture, si mal à l’aise qu’elle aurait voulu pouvoir se cacher dans un trou,surtoutlorsqu’elleconstataàquelpointlaboueleuravaitgiclédessus.
—Jepeuxfairequelquechose,je…Vousvoulezallervousnettoyer?—Non,déclaral’aînéenrepartantaupetittrot.Ilyalagrand-mèrequiattend.—J’arrive,confirmalecadet,maiscelui-cisedirigeaverslerobinetextérieurdelamaisonpour
nettoyerbrièvementsespiedsetsesjambes.Charlien’eutpasdemalàcomprendrepourquoi : ilenavait jusquedans lescheveux,poursa
part.Ellesautillalégèrementd’unpiedsurl’autre,nesachantplusoùsemettre.Aucund’euxn’avait,deplus,manifestéquoiquecesoitfaceàl’horreurquis’entassaitdevantleursyeuxetc’étaitpresquetroppolipourelle.Commeellenesavaitpascommentréagir,elles’adossaàcôtédelui,unejambepliéecontrelemur.
—Tuveuxuneserviette?lança-t-elle.—Non,çaira.Ellecroisalesmainsdanssondosetsemordilladegênelalèvre.Ellenesavaitpascommentleremercier.Ellenesavaitmêmepluscequ’elleespéraitréellement
de son retourdanscettemaison, en fait.Le fantômede sonpèren’étaitpas réapparu,pasplusqueceluidelapetitefilleaumaillottroppetitdelaphoto…Silencieusement,ellel’observasenettoyer.Sa peau était mate, marquée par le soleil, et, quand il ôta son T-shirt, ellemanqua de pousser ungémissement tantsamusculature l’impressionna.Elle témoignaitd’uneactivitéphysiqueàcepointsoutenuequ’ellenepouvaitqu’êtreprofessionnelle.Quel travailpouvait-il bien fairepouravoiruntorseaussiciselé?Etétait-celuiqu’elleavaitvudeuxjoursavant,surleborddelarivière?L’imagedelapluienimbantsoncorpsétaitrestéegravéedanssonesprit.Ellen’osaluiposeraucunedesdeuxquestions.Lorsqu’ilsemouillalevisagepuislatête,ellefutvéritablementcaptivée,surtoutquandlesrayonsde soleil s’accrochèrent auxgouttes perduesdans ses cheveux ; elle se serait cruedansunepublicitédeparfumpourhomme.Enfin,ilposaleregardsurelle,lebustehumideetquelquesgouttesdégoulinantdepuislesmèchesdesonfront,etelleappuyaplusnettementsondosaumurenrelevantsonvisage.Sarobetroplégèreluisemblaitcolleràlapeaudesescuisses.
Ellepritunepetiteinspiration.—Tuveuxcoucheravecmoi?
C’étaitbrutal.Elleauraitpuluiproposerd’entreroudeboireunverre.Lesgensd’icin’étaientpas aussi directs. Les gens d’ici n’étaient même pas comme ceux qu’elle avait connus dans sonenfance:àl’époque,déjà,ilsfaisaientfigured’originaux.
—Quoi?grimaça-t-ilavecuneexpressiondesurprise.Soncœurbattitvivementdanssapoitrine.Ellehaussalesépaules.—Çafaitunmomentquejen’aipaseudesexe.Elleajouta:—J’enaienvie.—Avecqui?demanda-t-ilfinalementd’untonplussuspicieuxqu’engageant.Lepremierquise
présentedevantcheztoi?Ellene sutque répondre.Ellen’avait riencalculé.Degêne, elleporta sonpouceà ses lèvres,
mordillantsonvernisécaillé,etleregardasedétournerpourredescendreverslevillage.Elleavaittoutgagné.Ellenesavaitpascequ’ellefaisaitlà,elleétaitparvenueàpasserpourune
pétasseauprèsdupremiermecquil’aidait,etelleignoraitmêmesic’étaitauprèsdeRaphaëloudeRomainqu’ellevenaitdesegriller…
Le jour suivant, elle se leva avec la conviction qu’elle devait se reprendre en main. Elle ne
pouvaitpascontinueràregardercettemaisonavecautantdemorosité.Elledevaitsebattre.Aprèsunpetitdéjeuner rapide,elledescenditenvoitureà laville,achetadequoi transformersachambreenstudiod’appointetfilaaumagasindebricolagepouracheterdumatérieldepeinture.Puiselles’arrêtaenbasducheminetfonçaverslamaisondeMmeSabatier.
—Charlottine!l’accueillitaussitôtlavieilledame,deboutdanssonpotager.Charliegrimaçamaisnelarepritpas.Lesgensécorchaienttoujourssonprénom.Lagrand-mère
portaitunvieuxtablieràpochesetsontonenjouélaissaitpenserqueRaphaëlouRomainneluiavaitrienditdeleurentretiendelaveille.
—MadameSabatier,voussavez,vouspouvezm’appelerCharlie,hein?Onm’appelaitdéjàainsiquandj’étaispetite.Personnen’arrivejamaisàprononcermonprénom,detoutefaçon.
Ellesepenchapourconsidérerlesembryonsdecourgettesquicommençaientàpousser.—Je…J’auraisbesoind’aidepourlamaison,reprit-elleenrelevantlesyeuxsurlagrand-mère.
J’aidestravauxàfaire,desmeublesàdéplaceretpuisilfautlaretaper,lapeindre…— Oh ! Mais c’est une nouvelle formidable ! Attends, attends, ma chérie. Je vais chercher
Romain.Charlie tressauta intérieurement. Si elle ignorait vers qui sa voisine pouvait l’orienter, elle ne
s’étaitpasattendueàunetelleréponse.—Mais…,tenta-t-elledeserattraper,saufquelavieilledameétaitdéjàpartieverslamaison,ce
quifitqu’ellecria:Nedérangezpasvotrepetit-filspourça!Jepeuxfaireappelàunprofessionnel!Sescrisseperdirentdans l’airdu jardin.Charliesentit sonventresecontracterenremarquant
que,surletoit,étaitinstallétorsenulegarçonavecquielles’étaitgrilléelaveille…et,qu’avecsamalchance,savoisineallaitramenercelui-ci.
Bingo.Lorsque la grand-mère revint avec lui,Charlie nemanqua pas son visage fermé.OK :Raphaël:leplusâgé;Romain:celuiqu’ellen’attiraitpasetavecquielleavaitdéfinitivementmerdé.Bienqu’ellesachequ’ellen’avaitplusaucunechancedel’intéresser,elleneputqueconstaterquesaplastique activait décidément un nerf qui reliait en ligne directe ses yeux à son bas-ventre. Elles’empêchaàpeinedeleverlamainpours’éventer.
—Romainn’aplusd’emploi, actuellement, expliqua lavoisine. Ilm’aidebien,maisavoiruntravail,mêmetemporaire,neluiferaitpasdemal,hein?
IladressaunregardsuspicieuxàCharlie.—C’estpourlamaisondeM.Paris?—Oui…J’aibesoind’embaucherquelqu’unpourm’aider.Ilfaudrait…Elleeutunriregêné.—Toutrefaire!poursuivit-elle.L’intérieur,lejardin,lesmurs…Cedisant,elleécartalesmainspourfigurerl’ampleurdelatâche.—Maisj’aidel’argentpourpayer!ajouta-t-elle.J’enaimêmeplein…Trop.C’était commesi sonpèreavaitmis suruneassurancevie à sadestination tout l’amour
qu’ilneluiavaitpasoffert.Elleauraitpréférél’inverse.—C’estungrostravail.Elleaétébienabîméeparletemps,cettemaison,appuyaMmeSabatier.—Sûr,remarquaRomain.Depuistroisansqu’elleestabandonnée…Charliesentitsonventresecontracter.—J’aifaitdesachats,reprit-elle.Delapeinture,maisaussidesoutils…—Jedoisfinirdetravaillerautoit,lacoupaRomainenrepartantverslafermedesagrand-mère.Maisqu’ilétaitrustre!—Demain?luilança-t-ilenregardantderrièrelui.Charlieeutunesecondedesilence,sciéeparsonattitude.—Demain,oui…—Alorsàdemain,décida-t-il,lesmainsdanslespochesetplusgrognonencorequ’ilnel’était
déjà.Puisils’éloigna.Charliefitlamoue.Enleregardants’éloigner,ellesongeaqu’elleauraitbien
aimévoirsonsourire.
Deretouràlamaison,elleavisaletasd’affairestrempées,abîméesparlapluie,quiencombraitledevantdelamaison.Elles’envoulutensongeantàtousceuxàquicesaffairesauraientpuservir.Ellesesouvintdel’existenced’uncampdeManouchesunpeuplusloin,ducôtédelanationale,àquielle aurait mieux fait de les donner plutôt que de les laisser prendre la pluie. Après un tempsd’hésitation,elleposasesachatsdanslacuisineetrepartitverslamaisondeMmeSabatier.Unefoisenbasdutoit,ellehélaRomain.
—Excuse-moi!—Quoi?Iltournalevisageverselle,lessourcilsfroncés.—Pourlesaffairesdevantchezmoi,jevoudraislesdonner!—Hein?—Auncamp!hurla-t-ellepoursefaireentendre.Adesgenspauvres!Adesgensqui…Puis,commeilnerépondaitpas,ellecriajusteplusfort:—Onenreparlerademain!Et elle repartit au pas de course, le cœur battant et incapable de déterminer si elle savait
seulementcequ’ellefaisait.Unefoisenhautduchemin,elles’arrêtatoutefoispourobserverencoreRomain.
Le lendemainmatin, le grondement du camion escaladant le chemin l’éveilla en sursaut. Ellebondithorsdulit,sautadanssaculotte,enfilalepremiershortetlepremierdébardeurqu’elletrouva.ElletâchadetrouverRomaindevantl’entréedesamaisonenfaisantcommesiellenevenaitpastoutjustedeselever.
Lorsqu’ildescenditduvéhicule,ellefutd’unecertainefaçonémerveilléedeconstaterqu’ilétaitencoretorsenu.Danssonmarasmeactuel,ceciétaitunpurcadeaudemèrenature,uneoasis,unrayondesoleildansuncielgris.Ellelaissacourirsonregardsurlesreliefsdesonbuste.Quelquechoseaufonddesa tête luidisaitbienqu’elledevrait,normalement,nepass’yattardermais,puisqu’ellenel’intéressait pas, de toute façon, pourquoi s’en serait-elle privée ? Elle décidamême de balayer lemalaisedeleurpremièrerencontre.Ilsallaientpasserdutempsensemble,alorsautantêtred’embléenaturelleetpuis…ilétaittropcraquantpourqu’ellen’aitpasenviederecommencer.Elleluiadressauneœilladeespiègle.
—Tuessûrquetuneveuxpascoucheravecmoi?Sonexpressiondelassituderenferméelafitéclaterderire.Lorsqu’ilrouvritlespaupières,elle
enchaînaenl’attrapantparlebrasavantquesesairsd’oursmalléchéaientletempsderessortir.Ellel’entraînaversledevantdelamaisonenseretenantàgrand-peinedetâtersespectoraux.L’embaucheravaitdécidémentétéunemerveilleuseidée.
—J’aibeaucoupdechosesàdébarrasser,expliqua-t-elle.Ilyadesobjetsquiontdûêtreabîmésparlapluie,maisildoityenavoirunemajoritéderéutilisablesetje…
Ellen’hésitaqu’unesecondeavantdereprendre:—Jevoudraisaussiqu’onsortelesmeubles.Enfin,pastousmais…certains.C’étaitextrême,maiselleenavaitbesoin:defaireplacenettepourrepartirdezéro.—Tuconnaîtraisuneassociationàqui lesdonner,oudesgensquienauraientbesoin?reprit-
elle.—Oui,réponditlaconiquementRomain.Elleluidécochasonplusbeausourire.—Super!Ilssontoù?Lorsqu’il baissa les yeux sur elle, Charlie eut un petit coup de chaud. Ce mec la mettait
décidémentdanstoussesétats.—Onvayallerensemble,décida-t-ilenfin,toujourssurladéfensive.Charliesesurpritàêtreamuséeparsonattitude.Toutchargeràl’arrièreducamionnefutpasuneminceaffaireet,lorsqu’ilsprirenttousdeuxla
route,ilsavaientamplementeuletempsdecauserrémunération.Cen’étaitpasdifficile;elleavaitdel’argent à foison à dédier à ce projet ; lui enmanquait.L’accord fut aisé.Le camion cahota sur lechemindeterre,puissurlarouteaugoudronabîméquimenait,plusloin,àlanationale.Charlieenprofitapourapprécierlepaysage.
Desonenfance,elleavaitgardélesouvenird’unerégionpure,préservéedelacivilisation.L’été,ellesebaignaitaveclesautresenfantsàlarivière.Al’automne,ilsramassaientleschâtaignesetleschampignons.Auprintemps,ilscultivaientlepotager,travaillaientàlamaisonetcouraientdansleschamps.Elleobservalaroutebordéed’herbessèchesetdebuissonsquidonnaientdesairsdewesternaupaysage.Audétourdecertainsvirages,lesfalaisesdecalcaireplongeaientetlaissaientapercevoirl’eaucoulantentrelesgaletsencontrebas.Elleeutenviedes’yarrêter,deprendreRomainparlamainetd’yplongerensemble.
—Pourquoiest-cequetun’asplusdetravail?luidemanda-t-elle,pensive.—Parcequ’onn’entrouvepasdansmabranche.—Tufaisquoi?—Ebéniste.—Ettunepeuxpasenvivre?Ilhaussalesépaules.Ilétaittellementferméqu’ellesedemandas’illuirépondraitseulement.— Certains y parviennent, déclara-t-il au bout d’unmoment, mais c’est extrêmement dur de
trouverdequoisefaireunrevenu.Ilfautêtreinstallédepuislongtemps,êtreconnu…Raressontceuxàavoirceprivilègeet,encore,laplupartvivotent.
Ellehochalatête,pensive.Aprèsquelquesinstants,illuilança,plusbourruqu’invitant:—Ettoi,tufaisquoi?Elleenhaussalessourcilsdesurprise.—Euh…Je…J’aiune licenceenartsduspectacleoption théâtreetpresquecinqansd’Ecole
nationalesupérieuredesbeaux-arts,balança-t-elled’uncoup.J’auraisdûpasser lediplômenationalsupérieurd’artsplastiquessijenem’étaispasbarrée,maisj’aifoutuenl’airmesétudessuruncoupdetête.
Ellesongeaégalement:«Jesuisvenueicipourretrouverlapetitefillequej’étaisetjen’aieuquedunéantenréponse»,maiselleneleditpas.Enlevoyantluijeteruncoupd’œil,ellepréféraluisouriredelamanièrelaplustaquinequisoit.
—Etjefaisdemerveilleusespipes!S’il leva les yeux au ciel, elle eut le sentiment que sa réaction était légèrement plus
complaisante,commes’ilparaissaitadmissibledeluipardonnersesexcentricités.Elleritlégèrementet reporta son attention sur le paysage. Elle plaisantait mais, en vrai, elle n’aurait pas craché surl’étreintedesesbras.
—C’estmoiquinet’intéressepasouc’estquetun’aimespaslesexe?Romainluiopposaunmomentsonsilence,puissavoixfinitparsonner:—C’estquej’aifaitunecroixdessus.Interloquée,elle ledévisageamaisellen’osapas insister. Ilvenaitdebifurquersurunchemin
cabosséenborduredelanationaleetlescahotsétaientsifortsqu’elleduts’agripperàlapoignéeau-dessusdelaportière.
Ellenefutpassurprisededécouvrirdescaravanes.Toutesétaientenpiètreétat,beaucoupavecdescalesàlaplacedesroues,etplusieursportesnesemblaienttenirqu’àgrandrenfortdescotch.Aufond,unecabanedeboisaccueillaitsursonperronunelonguetabledecampingàlaquelleplusieurspersonnesétaient installées.Desenfantscouraient,aumilieudeplusieurschiensetd’unchataffaléparesseusementsurunecarcassedevoiture.Romainarrêtalecamion.
—Tuasbienparlédecamp,hier?luidit-il.—Oui.Il sortit duvéhicule enhélant lesoccupantsde l’endroit.Plusieurs le saluèrent,unpetit vieux
leuradressaunlargesourire,etquasitousladévisagèrentavecméfiance.Elleessayadesefairetoutepetitedanssessandales.
Unecigaretterouléecoincéeaubasdesamoustachecendrée,levieilhommes’avança.—Romain…—MonsieurZitter.Celui-ciluitapotal’épaule.
—Qu’est-cequetunousramènes?Romainladésignadupouce.—C’estlafilledeM.Paris.Commelevieilhommelaregardaitavecsurprise,Romainpoursuivit:—Elleestvenuerécupérerlamaisondesonpèreetelleapleind’affairesàdonner.Elles’estdit
queçapourraitvousintéresser.Charliebafouilla,malàl’aise.— Je… Il y en a d’un peu abîmées à cause de la pluie et du fait que je les ai jetées par les
fenêtres,maisjepensequeçadoitêtrerécupérableoupeut-êtreréparable…Enfin,jenevousprendspaspourunedéchetterie,hein?Jeveuxdire…Jemesuisjusteditquevousseriezpeut-êtrecontentsderécupérercertaineschosesquivous…quevouspourriez,que…
Catastrophée, elle tourna des yeux ronds vers Romain, pour constater qu’un sourire moqueuravaitfaitsonapparitionaucoindeseslèvres.
Si le grand-père grogna quelque chose qui aurait pu être un «mouais », d’autres hommes ducampnetardèrentpasgrimperàl’arrièreducamion,jetantuncoupd’œilàsoncontenu.
—Jevenaischezvousquandj’étaisgamine!lâchatoutdegoCharlie.Levieilhommelafixacommesielleétaituneextraterrestre.—Jenem’ensouvienspas.Adirevrai,sonvisageàluinonplusneluidisaitrien.Pourunpeu,elleenauraitpleuré.Tandis
quelesmembresducampdéchargeaientlecamion,elleregardaêtreemportécequin’étaitpasàelleetnel’avaitjamaisété,maispeut-êtreaussicequiavaitpuluiappartenir,unjour…siseulementelles’ensouvenait.
Quandilsrepartirent,Charliecommenta:—J’aiétéridicule.Cettefois,Romainritbrièvement.—C’estsûr…Ellefitlamoue.Pourunefoisqu’ilsedéridait,c’étaitpoursemoquerd’elle.—Onauraitditquetunesavaispluscommentparler,renchérit-il.—Bah,jenel’aijamaissu,detoutefaçon.Jeveuxdire…Toutdépendcequel’onaàexprimer.
Dans la vie, tout lemonde t’apprend à demander.Comment réclamer un service, comment te fairevaloir, comment séduire, comment ne pas te faire marcher sur les pieds… Personne ne t’apprendjamaisàdonner.
Quandellesetournaverslui,elleputvoirquesonsourires’étaitadouci.—Cen’estpourtantpassidifficile.—Pourtoi,sûrement…Ellerenversalatêteenarrière.—Moi,jesuislarguée,poursuivit-elle.J’aioubliécommentonvivaitici.ElleforçaunsourirepuissetournaversRomain.—Ettoi,tuastoujoursvécudanslarégion?—Non,fit-il,avantdepréciser:j’aifaitducompagnonnageunpeupartoutenFrance,puisjeme
suisinstallépendantplusieursannéesducôtédeMarseilleentantqu’artisan.—Ettuastrouvédutravail?—Non.
Illaissapasserunsilence.Enremarquantlamanièredontsonregards’étaitperdudanslevague,Charlieeutlesentimentqu’illuitaisaitquelquechose,commes’illaissaitpasserlefilmd’unepartiedesonexistenceetattendaitdeparveniràlaséquencesuivantepourpoursuivresonrécit.
—Mon frère vit encore par ici, embraya-t-il finalement, ainsi quemes parents.Moi, je suisremontéàlafermeaidermagrand-mère.
—Tonfrère,c’estceluiquej’aivul’autrejour?Romainluiadressaunregardencoin.—Ilt’intéresse?—Non!s’offusqua-t-elle.Pourquoiest-cequetupensesça?—Commeça…J’étaisentraindemedireque,puisquejet’airepoussée,peut-êtrequetuavais
reportétonattentionsurlui,ducoup.Charliedétournalevisage.—N’importequoi,cracha-t-elle,blessée.Elleneluiadressapluslaparoledurestedutrajetet,sielledutadmettrequesaréactionétait
exagérée,ellesesentitencoreplusfâchéequ’ilnefassepasnonplusl’effortdeluidireunmot.Cegarsétaitdécidémentunours!Lorsqu’ilsarrivèrentàlamaison,ellesortitenclaquantbruyammentlaporteducamion.
—Jemedébrouilleraipouraujourd’hui.Reviensdemain.Etelles’éloignaàgrandspasverslamaison.Romainnefitaucuncasdesaréactionetrepartit
sansattendre.Enparvenantà l’entréedusalon,elles’immobilisa.Voir lamaisonsivide lachoqua.Elles’échappaalorsendirectiondelarivière,sedénudasurletrajetet,quandellel’atteignit,elleyplongeadirectement.
Aupetitmatin,ellesortitlespinceaux.Elle ouvrit les pots de peinture, elle enleva les protections des rouleaux, et ellemit du blanc
partout.Partout.Dublanc sur lesmurs.Dublanc sur lesmarchesduperron.Et, lorsqueRomain larejoignit,avecunjeandetravaildéchiréetunT-shirttachéquin’auraientpasdûlemettreenvaleurmaisnedonnaientpourtantqu’enviede les luiarracher,elle luidemandadepasserdublancsur lesescaliers.Dublancsurlesboiseriesdesfenêtres.Ellemitmêmedelapeinturespécialementfaitepourrecouvrir la faïence sur les carreaux de la salle de bains. Du blanc au plafond, du blanc dans sescheveux,dublancsurlablousedetravailqu’elleavaitachetée,sursonfront,sesmains,sesbras…
Dublancsurla jouedeRomain.Dublancauborddeseslèvres.Cen’étaitpasnormald’avoirenviedelesembrasseràcepoint.
Ilsneparlèrentquasimentpasdurantlesjoursquisuivirenttantilsfurentprisparletravail.Elleressortit quatre fois lepremier, deux le suivant, une fois seulement lequatrième,pour racheterdesoutils,despotset toutcequipouvait luimanquer.Lorsqu’elleavaitappris lasommed’argentdontellehéritait,elleavaitétéàcepointencolèrequ’elleavaitdécidédenepasytoucher.Désormais,ellen’avaitpluslemoindreremordsàtaperdedans.Quecetteréserveserveàrénovercelieu,aumoins.Aredonnerunevieàcequiavait,plusjeune,étéaussilasienne.
Enfin, elle se reposa, des ampoules aux paumes à force d’avoir trop tenu les rouleaux, pourregarderlasurfacepure,viergedetoutsouvenirdouloureux,qu’étaitdevenuesamaisond’enfance:cetespaceneufsurlequelquelquechosedenouveaupouvaitêtreécrit.LorsqueRomainserapprochad’elle,elleétaittellementheureusequ’elleneseretintqu’àpeinedesejetersurluipourl’embrasser.
CommeRomain était parti quelques jours aider son frère à la ville voisine, elle alla parler à
MmeSabatier.Celle-cin’étaitpasdanslejardin;ellefrappaàlaported’entrée.Personnenerépondit.Ellepoussa laporte.Uneodeurde tomates cuites et d’oignons émanait de la cuisinière.Charlie selaissatenterparl’idéedesurvolerlacocottedesonnez.LorsqueMmeSabatierarriva,elleensursautatellement fort qu’elle faillit renverser le couvercle en se brûlant dans la foulée. Elle le reposa, lesmainstremblantes.
—Charlie!Matoutebelle.Maisqu’est-cequetufaisici?Romainest…—Non,non,l’interrompit-elle.Jesais.C’estvousquejesuisvenuevoir,madameSabatier!—Oh!s’extasialapetitevieille.Jevaistepréparerquelquechoseàboire.Charliesouritlargement.MmeSabatieravaittoujoursétéaccueillanteetgentilleavecelle.Ça,
elles’ensouvenait.—C’estbientriste,lamanièredontestpartitonpère,commentacelle-ciensortantunecasserole
pouryfairechaufferdulait.Bienbientriste.Charlienesutpasquoirépondre.D’uncôté,uninfarctusdevantlematchdefootdesonéquipe
préférée,commeellel’avaitappris,neluisemblaitpasêtrelapiredesmorts.D’unautre,ilétaitpartijeune—mais il l’avait fait bien plus tôt que l’imaginaitMmeSabatier, en réalité : c’est quand ill’avaitchasséedesaviequ’ilétaitmort,déjà.
—Alors,mapetiteCharlie,tuvast’installerici?Laquestionlapritaudépourvu.—Euh… Je ne sais pas. Je ne saismême pas pourquoi je suis ici, en fait.Rien de ce que je
croyaisretrouvern’estlàetjemesensseuleet…etdémunie.Elles’arrêta.Sasincéritéétaitencoreentraindelaperdre.MmeSabatiercassadesmorceauxdechocolatdanslelaitavantderemuer.—Jecomprends.Charlieregardalestraînéesdepeinturesursessandales,auboutdesonpantalontaché.Seulsses
ongles, laqués fraîchement, étaient la concession qu’elle avait faite à sa féminité.Ça et la barrettequ’elleavaitmisedanssescheveux.
—Même Raphaël et Romain, je ne me souviens pas d’eux, avoua-t-elle. Je les ai vraimentconnus?
MmeSabatierlafitasseoiràlapetitetableenformicaquitrônaitaumilieudelapièce.Elleluiservitensuiteunboldecacaochaud.Charlien’osapasluidirequ’elleauraitpréféréunverredevin…oudelagnôlequ’ellegardaitpeut-êtredanssesplacards,pasforcémentuneboissondepetitefille,quoi.Elleytrempanéanmoinsleslèvres.MmeSabatiers’installaenfaced’elle.
— Tu n’as pas dû voir souvent Raphaël, parce qu’il venait moins souvent, mais vous jouiezquelquefoisavecRomain.
Charlieessayaderetrouverlessouvenirsdontlavieilledameluiparlait.—Jelegardaisparfoispourlesvacances.Vous,lesenfantsdelacommunauté,vousétiezdéjà
nombreux,doncvousaviezdequoivousamuserensemble,maisRomainn’avaitpasd’amisavecquipartagersesjeux.Alors,quandjepassaischezvous,jel’amenaistoujoursavecmoi.
Ohoui,ellesesouvenait,maintenant:cegaminrenfrognédanslesjupesdelavoisine…Celuiquiluivendaitlesœufs,parfois,quandsagrand-mèren’étaitpaslà.
Fébrile,elleembraya:—MadameSabatier,dites-moicequiluiestarrivé!—Commentça?
—Pourquoiilestsidistant?—Oh!c’estunpeusapersonnalité,tusais…—Non.Pourquoiilneselaissepasapprocher?Il…Ellerepritunepetiteinspiration:—QuandilaévoquésesannéesàMarseille,ilyaeuunblanc.Jesaisqu’ilyaquelquechose
quis’estpassélà-bas.—Jesupposequetuveuxparlerd’Olivia.Elleneréponditrien,attendantlasuiteaveccuriosité.MmeSabatiers’assitconfortablement.—Tuasdéjàétéamoureuse,Charlie?—Euh…,hésita-t-elle,décontenancée.Oui.Pleindefois.Jetombeàchaquefoisamoureuseen
un claquement de doigts, en fait. Juste le temps de coucher ensemble, généralement. Après, çadisparaît.
—Alorscen’estpasvraimentdel’amour.LabienveillancedeMmeSabatier,cesyeuxquipétillaientderrièrelesridesdesonvieilâgela
firentsourire.—Romainaététrèsamoureux,repritlagrand-mère.Oliviaétaitunefillegentilleettravailleuse.
PendantqueRomainpeinaitàtrouverunemploi,c’étaitellequipourvoyaitauxbesoinsdufoyer.Ellel’encourageait,elleentretenait leur logement…Oh!elleafaitbeaucoup,vraiment.C’étaitunetrèsbravefille.
Charlie ramena ses ongles devant sa bouche, commençant à en écailler le vernis. Elle avaitdevinélasuite.
—Etpuis,elleenaeumarrededevoirtoujoursleporteràboutdebras,ponctuaMmeSabatier.—C’estàcauseduchômage,ducoup?—Oui.EtdufaitqueRomainavaitfiniparselaisseraller.Ilatoujoursétéungarçontravailleur,
mais…—Ilssontrestéscombiendetempsensemble?—Huitans.—C’esténorme!Lagrand-mèreluiréponditd’unsourire.Charlie pouvait comprendre. Huit ans de recherche de boulot et de chômage pouvaient
certainementdétruireuncouple.Ellesongeadenouveauaupetitgarçondanslesjupesdesagrand-mère…
D’uncoup,ellevidasoncacaoàtoutevitesse,prised’unebrusquerévélation.—Merci,madameSabatier!cria-t-elleàlavolée,tandisqu’ellecouraitverslaported’entrée.—Tut’envasdéjà?—Oui!Elleclaqualaporteetremontalecheminmenantàlaroutepuisàsapropremaison.Quandelley
arriva, à bout de souffle, elle se jeta sur les pots de peinturemais cette fois de couleur, sortit lespinceaux,etconsidéralegrandmurblancdelapièceàvivre:celuiquisetrouvaitexactementdanslamêmedirectionquelafermedesSabatier.
Instinctivement, la première esquisse qu’elle fit fut celle d’un garçon qu’elle n’avait plus vudepuisdix-huitans.Ungarçonquienavaitunedizaine,mêmesiellenesesouvenaitplustrèsbienàquoiilavaitpuressembler.
Lorsque Romain revint de ses jours de travail, elle était à quatre pattes par terre en train depeaufinerlacourbedesbrinsd’herbequ’elleavaitpeintsaurasdusol.Elletournalevisageversluienl’entendant.
Levoirsedresseràl’entréedelapièce,sabarbedetroisjourssoulignantl’angledesamâchoiremasculine, fit aussitôt s’éveiller en elle le désir qu’elle éprouvait pour lui, assorti à quelque chosed’autre,deplusintime.Siellepritconsciencequesapostureluiexposaitamplementlesfesses,ellenelarectifiapas,desfoisqu’ellepuissesuscitersonintérêt.Cejour-là,elleportaitunshortenjeanassorti d’un débardeur à l’effigie d’R2-D2. Romain n’avait cependant d’yeux que pour l’immensefresquequicouvraitlemur.
—Mais…Ils’avança,lesyeuxécarquillés.—Maisc’estmoi?Charliesourit,mi-malàl’aisemi-amusée.Elles’assitsursestalons.—Oui.Romain tournasur lecôté,suivantdesyeux lapeinturequisepoursuivaitsur lemuradjacent,
puispivotaencore,remarquantlasuitesurlemuropposé.—Waouh…Sonexclamationsidéréelafitrire.—Là,c’estmagrand-mère?s’étonna-t-ilenreportantsonattentionsurlepremiermur.—Oui.Elle avait fait plusieurs essais, les jours précédents, qu’elle avait à chaque fois recouverts de
blancensuite.Retranscrirelepassé,enparticulier,luiétaitdifficile.D’unecertainefaçon,cepan-làdesaviepersistaitàlafuir.Alors,elleavaitpeintlepourtourdelamaisontelqu’ilétaitaujourd’hui.Destraitsvertclairfiguraientlescollinesautouretlafalaisedecalcairesinuaitauloinendefinescouchesgrisesetpâles,surplombéesdequelquesamasdeverdure.Lecield’unbleusansnuagesaccueillaitunsoleilquifaisaitbrillerlesdrapsblancsaccrochésàunfilparlagrand-mèredeRomain.Plusloin,ungarçonfaisaitdelabicyclette,simplementesquissé,et,aupremierplan,unautre,pluspetit,cachaitderrière un buisson samine renfrognée pour observer de ses grands yeux le spectateur. Seules destouchesdecouleursmarquaientsonvisage,maiselles’étaitattardéeassezlonguementsursonregardpourqu’ilressorte.Charliesavaitquec’étaitellequ’ilobservait.
—Pourquoiest-cequetuasfaitça?soufflaRomain,clairementtroublé.—Parcequejemesuissouvenuedecettescène.Ellelevalesyeuxsurlui.Ilétaitmaintenantjusteàcôtéd’elle.—Tuterappelles?Ilhochalentementlatête.— Je ramassais des châtaignes, raconta-t-elle. Elles étaient encore vertes,mais jeme piquais
quandmêmeenessayantd’ouvrir lesboguesquandje t’avaisvudanscebosquet.Ducoup, tuétaissortiettum’avaismontrécommentilfallaits’yprendre,etexpliquélesdifférentespeauxet…Dis-moi,Romain.
Ellecherchasonregard.Etelleseperditdanssesyeux.—J’airêvéoutum’avaisvoléunbaiser,cejour-là?Pourtouteréponse, il lafixalonguement,mettantunmasquesursesémotions.Elle luiattrapa
alorslamainetsetrouvaélectriséeparlecontactdesesdoigts…puiselletirad’uncoupsursonbras.Déséquilibré, il tomba, se réceptionnant sur sa paume et son genou. Elle se laissa griser par saprésence,àquelquescentimètresd’elleseulement.
—J’airêvé?redemanda-t-elle.—Non,souffla-t-il.Ellesusurra:—Jenemesouvienspluscommentc’était.Aide-moiàmerappeler.—Non.—Pourquoi?soupira-t-elleensepenchantenavantpourfrôlersonépaule.Lentement, elle approcha le visage de son cou, humant son odeur et savourant la sensation
étonnammentenivrantedeleurspeauxl’unecontrel’autre.Iln’étaitpluslepetitgarçonqu’elleavaitconnu, tout commeellen’était plus lamêmepetite fille,maispourtant, ellepouvait ressentir cetteintimité,encore,quilesliait.
—Tucroisvraimentqu’unadultepeutreproduirelebaiserd’unenfant?—Jem’enfous…—Ouque,parcequejet’aiembrassélorsquej’avaisdixans,j’aiforcémentenviedelerefaire
vingtansplustard?Lacruautédecettedernièrephrase la fit rompre le contactpour se laisser choir sur ledos.A
causedelafraîcheurdusol,ellefrissonna.Romainsetenaitencoretoutprèsd’elleetellesetrouvaitfragile,soudain.Elleauraitaiméqu’ilpuisseladésirerautantqu’elle.
—Sinon,tupeuxaussijustemesauter,tusais?Commeelleavaitditçaavecunepartd’ironie,elleputconstaterlesourirelégèrementamuséqui
fleuritsurleslèvresdeRomain.—Nonplus.—Justemelaissertesucer,alors?tenta-t-elledenouveauavecuneexpressionmalicieuse.Cette fois, il eut unbref rire et, si ravaler sa frustrationne lui fut pasmoinsdouloureux, elle
appréciacettelevéedetension.Elleluitiratoutefoislalanguepourbienluimontrercequ’illoupaitetrestaallongéeausoltandisqu’ilserelevait.
Lesmainsdanslespoches,ilexaminalesdeuxautresfresquesets’attardasurcellereprésentantla rivière. Initialement, Charlie avait voulu s’y dessiner enfant mais elle avait abandonné pour sepeindretellequ’elleétaitmaintenant.Debout,sesvêtementsjetésencheminetsespiedsglissantdansl’herbe,onlavoyaitcourirverslestourbillonsbleusdel’eau.LamanièredontRomainsuivitdudoigtlescourbesnuesdesoncorpslaperturba.
—Jesuisretournéeaucampmanouche,lâcha-t-ellebrusquement.Illuiadressaunregardsurpris.—J’aidemandéàM.Zitters’iln’yavaitpasdesvieillesphotosoudesdessinsdanscequeje
leur ai donné, poursuivit-elle. Je ne sais pas comment le dire mais… je n’arrive pas à retrouverl’enfantquej’étais.C’estcommesiçamefuyait…
Aprèsuntempsàl’observer,attentif,Romaindemanda:—Etilsenonttrouvé?Ellefit«non»delatête,l’amertumeluirevenant.Romainreportasonattentionsurlemur.Ellefinitparserelever.—Situveuxtravailler,c’estmaintenant,exigea-t-elle.Illuiadressaunsourireencoin.—Qu’est-cequetuveuxquejefasse?Ellehaussauneépaule.—Puisquecoucheravecmoinesemblepasêtreunepossibilité,leprovoqua-t-elleenmarquant
unlégertemps,jevoudraisqueturevoieslacharpenteetpuislesextérieurs,aussi.Toutcequiestdu
bois,c’estbientondomaine,non?—Etpourmonmatériel?—Tuaurasbesoind’unlocal,c’estça?Ilacquiesça.Elle sortit sur leperronpour regarder leplusprochedesdeuxautresbâtiments : celuioùelle
avaittrouvépleind’outilsagricoles.—Là-bas,çaira?LorsqueRomain posa unemain sur son épaule en acquiesçant, ce fut comme si sa chaleur se
répandaitdanstoutsoncorps.Ellelevalesyeuxsurlui.—Romain?—Oui?Elleluiauraitdemandédenouveaudel’embrasser,siellenes’étaitpasrefrénée.Ellesecontenta
deluisourire.—Faisdecelieutaplusbelleœuvre.Etelleretournadanslesalonentâchantdedomptersonsentimentdesolitude.
Dans la nuit qui suivit, un accès de cafard la réveilla. La maison était vide, grinçante, et
l’absencedeluneàl’extérieurrendaitplusimpressionnantel’obscuritédeslieux.Elleenfilaungiletetdescenditenfrémissantlevieilescalier.
Unefoisdanslesalon,elleconsidéra,leventrecrispé,lagrandefresquesurlaquelleelles’étaitreprésentéeadulte.Etellevoulutlarecouvrir,lamasqueràsonregard.Leblancneluisuffitpas.Elleouvritlepotdenoir,plusefficace,etelleenmitpartout:sursonproprecorpsdontlanuditéluiétaitsoudainhideuse,puissurlarivière,puissurlesautresmurs,avecleschamps,lesarbresetlevisagedelagrand-mère,puissurlesyeuxdeRomainquinevoyaientrienounevoyaientquecequ’ilvoulait,puis elle jeta le contenu du pot et glissa sur ce qui était tombé au sol, et y finit allongée, roulantcommesiellepouvaitelle-mêmes’enterrerdanscenoir.Dunoirpartout,dunoirsurtout,dunoirsursavieetsespensées…
Dunoirsursonsentimentdeperteetd’abandon.Dunoirpourtouteffacer.Lorsque,auboutd’unmoment,elletournalevisagepourconsidérerlenouveaudésastrequ’elle
venait d’engendrer, elle songeaqu’elle était définitivement en train depéter les plombs.Et qu’elledevraitabsolumenttoutnettoyeravantleretourdeRomain.
Lematin, ce dernier la trouva pleine de cernes en train d’essayer de faire partir les traces de
peinturesurleparquet.Lesmursétaientrestésdanslemêmeétatquelanuit,etle«Waouh»qu’illâchatenaitplusdelastupeurquedesonémerveillementdelaveille.
Blessée,elleselevapourleprendreparlamain,puisletirasansménagementversl’extérieur.—Ilt’estarrivéquoi?luidemanda-t-il.—Rien.QueRomainvoielemoinspossibledece«Rien»,surtout.Ellel’entraînaverslarivière.Ilinsista:—Lamêmechosequelorsquetuasbalancélesobjetsdelamaisonparlesfenêtres?—Oui.Pourquoiaurait-ellementi?Elles’arrêtadevantlarochequibordaitl’eau.Elleavaittellement
besoindesesortirdelatêtetoutecettemorosité…Denepasseulementlaverlenoirdesmursetdu
sol:delaveraussiceluidesespensées.Elleôtaprécipitammentsondébardeur.—Vienstebaigneravecmoi,demanda-t-elle,essayantdemodérerledésespoirquifiltraitdans
savoix.Elledéfitlesboutonsdesonshort.Detoutefaçon,ils’enfoutait,desesseins.Ils’enfoutaitde
l’embrasser,ils’enfoutaitdesoncul,ils’enfoutaitdetout!Ellesepassabrièvementlesmainssurlespaupières.Elleétaitvraimententraindecraquer.
—Onadutravail,luifit-ilremarquer.Elleselibéradesonsoutien-gorge.—Viens,réclama-t-elledenouveau.—Charlie…Sontonétaitclairementréprobateur.—Et pourquoi pas ? s’emporta-t-elle, ses yeux la piquant. Qu’est-ce que ça peut faire de se
baignerjusteunefois?Romain,enfin,je…Confuse,elleseretournapouressayerdeseressaisir,maisfutincapabledeprononcerlemoindre
mot.Alors,ellesedébarrassadesonderniervêtementetelleplongea.Larivièrel’engloutit,noyantlessonsetlalumièredujour,effaçanttoutpouruninstant…Elleressortitpourreprendresonsouffle.Siellen’ouvritpaslespaupièrestoutdesuite,elleentenditl’éclaboussementnonloind’elleetéclataaussitôtderire,àfleurdepeau.ElleattenditdevoirRomainressortir.Quandsatêteémergea,elleluiadressal’undesesplusbeauxsourires.
—Quandjepensequejenet’aipasvutedéshabiller,jesuisdésespérée.Voir ses yeuxpétiller fut la plus jolie récompensequ’elle put avoir.Elle souffla pour finir de
chassersonanxiététandisqu’ilnageaitverslariveopposée.Lorsqu’ilatteignitlarocheets’yhissa,soncœurmanquaunbattement.Nonseulementilétaitentièrementdénudémaisils’yallongeasurledos, les jambes encore dans l’eau, son sexe découvert reposant sur son aine. Surprise, elle restaquelques secondes aumilieu de la rivière, puis elle le suivit, sortit et s’assit à ses côtés. Là, elleentourasesgenouxdesesbrasetprofitadeleurproximitésoudaine.Lapudeurluiavaittoujoursétéunconceptabstrait,maispeudegensluiressemblaientsurcepoint,bienqueRomainluiaitmontréuneaisanceparticulièreàsemettretorsenu.Elleavaitl’impressionque,ensemettantaudiapasondesesexcentricités,illuifaisaituncadeau.
—Qu’est-cequ’ilt’estarrivé?luidemanda-t-ilenfin,leregarddanslevagueetd’unevoixplusdoucequeceàquoielleseseraitattendue.
Ellefixasesorteils.—J’aicraqué.—Etçat’arrivesouvent?Elleeutunriregêné.—Maintenant,jenepeuxplusfairesemblantd’êtrequelqu’und’équilibré,hein?Romainne lui réponditqued’unpetit sourire,dont la tendressedisait qu’ellen’yétait jamais
parvenue.Touchée,elleajouta:—Là,jedoistoutdemêmeavouerquejebatsdesrecords.—Parcequetun’aspaseuletempsderevoirtonpèreavantsamort?—Je…LaquestiondeRomainlasécha.Peut-êtredisait-ilvrai,eneffet.Ellenelesavaitpas.Untemps,ellecontemplalarivière,avecsesnuancesbleugrisquifrissonnaientsouslesoleil,
puiselles’attardasurlecorpsdeRomain:deslignesduresdesamusculatureàl’ourletdeseslèvres,
enpassantparlarondeurdesaverge.Onauraitditquecettedernièreétaitjustefaitepourlecontactdesamain.
—Tuesmagnifique,tulesais?luidit-elle.Unpetitsourire,quitenaitàlafoisdelagêneetdelacomplaisance,apparutaucoindeslèvres
deRomain.Elleajouta:—Tudevraistoujoursêtrenu.Ilfermalesyeuxdansuneexpressiond’amusementdissimulé,puisilfinitparsouffler:—Toiaussi.Le compliment la prit au dépourvu.Elle posa la joue sur songenou, incapable de savoir quoi
répondre.Aprèsquelquesinstants,ellerepensaàcequ’illuiavaitditladernièrefois,danslecamion.—Dis-moi,Romain…Tuétaissincèrequandtudisaisquetuasfaitunecroixsurlesexe?—Oui.—Maispourquoi?Ilneréponditpastoutdesuite.Unelégèrebriselescaressaitetlesoleilséchaitlentementleurs
peaux.Ilfinitparlâcher:—J’aicruquej’avaisrencontrélafemmedemavie.—Maisellet’alaissé.Iltournalevisageverselle.—Commenttulesais?—C’esttagrand-mèrequimel’adit.Elleajouta:—Jeluiaiposélaquestion.Romainfitunelégèremouemaisneprotestapasdavantage.Ellelerelança:—Çafaitcombiendetemps?—Deuxans.—Deuxans!s’écria-t-elle,choquée.Ilsemitàrire.Elleajouta:—Maiscommentest-cequetufais?Moi,jenepourraisjamaisteniraussilongtemps.—Jen’endoutepas.—Déjàquejemeursdefrustration.Romainluiadressaunregardtaquin.—Tuesbienaucourantqu’ilyad’autresmecsquemoidanslecoin,hein?—Biensûr…Ellenevoulaitjustepasdesautres.Qu’ilnel’aittoujourspascomprisladérangea.Négligemment, elle posa le bout d’un doigt sur son torse, appréciant la caresse de sa légère
pilositéet l’attractionqu’elleéprouvaitpour lui.Onauraitditqu’unaimantappelait sapaumeàseplaquersursonbuste,soncorpsàsepressersur lui,ses lèvresàsecollerauxsiennes…Romainlalaissafaire.Elleavaitenviedeglisserplusbas,justepourvoirsisavergetenaitbiendanslecreuxdesamain…Ousicecontactseraitsusceptibledeprovoqueruneréactionquesaprésencenesuscitaitpas.Frustrée,ellesecontentadefrôlerdoucementsachair,ydessinantdesarabesques.
—Tuétaistrèsamoureux?—Oui.—Tul’esencore?—Non.—Menteur.
Ilnelacontreditpas.Ellecontinuaàtouchersapoitrine,poussantmêmel’audacejusqu’àpassersursontéton.Levoirsedurcirl’éblouitlégèrement.
—Sinon,pourquoiest-cequetuauraistiréuntraitsurlefaitd’avoiruneautrerelation?UnlourdsoupirsortitdelapoitrinedeRomainetilrepoussasamain.Nonsansdéception,ellela
ramenasursongenou.—Parcequejel’aifaitdujouroùelleestpartie.—Çafaitpourtantdeuxans.—Oui.—Ettun’esjamaisrevenudessus.—Non.Ellenelerelançapas.Lesfaitsparlaientpourlui.LeregarddeRomainétaitpartidanslevague
maisiltraduisaitnéanmoinsdessouffrancestropprésentesencorepourqu’ellespuissentêtrecachées.Un temps, elle ferma les paupières, bercée par le murmure de la rivière et engourdie par la
chaleurdusoleil.Ellefinitparlancer:—Etmêmejustedusexe?Lesoupirdelassitudequ’émitRomainenréponselapoussaàrouvrirlesyeux.Ilseredressasur
sescoudes.—Charlie,écoute,jenesuispascommetoi.Jenesuispasunmecquicouchejustecommeça.
Tuenassûrementconnupleinqui l’étaient,ça, jen’enaiaucundouteetc’est tantmieuxpour toi,maiscen’estpasmoncas.
Elleneditplusrien,incapabledesavoircommentaffronterlemurqu’illuiopposait.Alors,elles’allongeaauprèsde lui, sur la roche,et approcha lenezde sonépaule, s’enivrantde l’odeurde sapeauchaufféeparlesoleil,àdéfautdepouvoirserapprocherplusdelui.
Leventfaisaitbougerlesherbes,auloin,etplissaitlasurfacedel’eau.Auboutd’unmoment,ellelâcha,songeuse:
— Je ne sais pas ce que c’est d’être amoureuse. Dumoins, sérieusement. Quand j’étais plusjeune,mamèremedisaitd’attendrelegrandamourpouravoirmespremiersrapportssexuels,maisilsm’onteueavecmonpèrequandilsavaientseizeans.Ducoup,tudevinesbiencequejepensaisdesesconseils…J’aijustedécidéquejen’avaisqu’àêtreamoureusedetousceuxavecquij’avaisenviedecoucher.
Elleroulasurledosetembraya:— J’ai toujours fait ça. Je rencontre un type, il me plaît, et hop, je suis amoureuse ! Je ne
comprendspaspourquoiilnefaudraitpascoucheravecquelqu’unquandonnel’aimepasréellement,detoutefaçon.Jenecomprendspaspourquoiilfaudraitattendrealorsqu’onenaenvie.Sionestdeuxàlevouloir,pourquoifaudrait-ilserestreindre?Jenecomprendspaspourquoijefaismalquandjefaisça.Tusais…
Elletournalatêteverslui.—Jenecomprendspasgrand-chose,enfait.Illuiadressaunsouriredoux.Puis elle le vit poser le regard sur sa poitrine nue et l’y laisser avec aussi peu de sans-gêne
qu’elle n’en faisait preuve avec lui. Elle l’observa, troublée, et le fut plus encore quand il passasoudain le doigt, comme elle l’avait fait elle-même, sur son mamelon. La sensation l’électrisa sivivement qu’elle se tendit, et lamanière dont il le fit rouler ensuite entre son pouce et son indexprovoqua en elle des éclairs d’envie si intenses qu’elle ouvrit la bouchepour chercher l’air qui lui
manquait. Il se pencha alors sur son visage et ce fut comme si leurs bouches allaient soudains’étreindre:
—Allez,souffla-t-ilcontreseslèvres.Onvas’yremettreavantquej’aieuneérection.Ilselaissaglisserd’uncoupdansl’eau.Stupéfaite,lecorpsenémoi,elleleregardanagerversla
rive opposée, remonter sur la rive en lui exposant la splendeur de son fessier, puis remettre sesvêtementssursoncorpsmouillé.Etduranttoutcetemps,ellenebougeapas,leregardants’éloigneretessayantdecomprendrecequ’ilvenaitdesepasser.
Lorsqu’ellelerejoignit,ilétaitinstallédansl’atelieretexaminaitunepiècedebois.Ellefinitderemettredel’ordredanssesvêtements.
—Cen’estpasbiendemechauffercommeçapourt’enfuirensuite,luifit-elleremarquer.Ellevitunsouriregoguenardfleurirsurses lèvresmais il restaconcentrésursontravail. Ilse
penchasurunegrandecaisseetycherchadesoutils.—Etquandtuaurasfinidelarénover,cettemaison,luilança-t-il,qu’est-cequetuenferas?Ellehaussauneépaule,toujoursperturbéeparcequ’ils’étaitpassé.—Aucuneidée…Peut-êtrequejelavendrai?L’idéenelasatisfaisaittoutefoispas.Romaintournalatêteverselle.—Allez,vatravailler,luidit-il.Etilempoignauneéchellepoursedirigerdehors.Elle l’observa, perdue. Elle aurait aimé savoir ce qu’il avait dans la tête. Puis elle finit par
obtempérer. Lorsqu’elle rejoignit la pièce à vivre, elle dut prendre une grande inspiration pour sedonnerducourage.Ellerouvritensuitelespotsdepeintureblanche.Ilyavaitbeaucoupdenoiràfairedisparaître.
Seule,aumilieudusalon,Charlieconsidéraitlesmurscolorésautourd’elle.Romainavaitprissonweek-endetelleavaitpeintsansinterruption,lajournéeetaussiunepartie
delanuit.Cettefois,ellen’avaitpascherchéàreconstituerdessouvenirsdupassé.Elleavaitpréférélaissers’écoulerautrechosedesesdoigts,deneufetdevivant:Romain,entraindeplongerdanslarivière,lesfessesnuesetlesreliefsdesamusculaturesedéclinantendelonguesombressursondos.Romain qui travaillait à l’atelier, la sueur rendant luisants les détails de sonbuste.Romain qui luisouriait…Romain,assissurletoit,soncorpssedétachantsurlesnuancesdebleudesmontagnes,auloin.Des rayonsde soleil tombaient dans ses cheveuxet sur l’herbedes collines, et sagrand-mèrebinaitdescourgettes,pliéeendeuxdanslepotager.
—C’estmaferme,ça?émitdanssondosunevoixdontellereconnutlamarquedesannées.CharlieseretournatoutsouriresversMmeSabatier.Celle-cirenchérit:—Ellen’estpastoutàfaitcommeça.—Non.Jel’aifaitetellequejelaperçois.Lavieilledameluiadressaunregardaffectueux.Charlieapprécialapudeurdontellefitpreuve
ens’abstenantdefairedesremarquessurlesesquissesdesonpetit-fils.—Ah,mapetite…Montre-moicequetuasfaitdurestedetamaison.Alors,Charlieluimontra.Ellespassèrentdevantlemot«soleil»,qu’elleavaitécritenjaune-
orangésurlemurdelacuisine,ellessuivirentlarivièredessinéelelongdel’escalier,gavèrentleursyeuxd’arabesques,delignescourbescommedesvolutes,etdecouleurs,partout.Descoquelicotslesaccueillirent à l’entrée des chambres et même quelques étoiles. Une fois arrivée tout en haut,
Mme Sabatier s’assit sur le lit, le regard sur le « oui » que Charlie avait marqué au plafond, enmontantsurunechaise.Justecemot.
—Tuavaisundonpourledessin,déjà,petite.Tuterappelleslafoisoùtuavaisdécorélesmursdel’écoleavectaclasse?
—Oui,réponditrêveusementCharlie.—Lafresqueestrestéetrèslongtemps,bienaprèstondépart.Ilsontfiniparrepeindrelemur,
biensûr,maisnousrepensionsàtoi,avecmonmari,lorsquenouspassionsdevant.Monfilsaînéestemployélà-bas,tusais?
Charlie fit « non » de la tête. Ces paroles éveillaient néanmoins quelque chose en elle. Elleavoua:
—Voussavez,j’aibeaucoupoublié.Maisjesuiscontentequevousm’enparliez.Puiselleluisourit.—Racontez-moi,l’incita-t-elle.Alors,MmeSabatierposasurelleundouxregardetfitrevivrelessouvenirs.LorsqueRomainarrivalelendemain,Charlieétaitassisesurleperron,unjointàlamain.—Ah,j’ailedroit!sedéfendit-elleenvoyantsonregardréprobateur.Çafaitlongtemps!Etce
n’estmêmepasdutabac,enplus.C’estdel’herbebio.VoirRomainenrirefitseréchauffersapoitrine.Ilalladirectementseposteràl’entréedusalon,
le dos appuyé contre le chambranle de la porte, et contempla longuement les images de lui qui sesuccédaientdanslasalle.Detouteévidence,sagrand-mèreluienavaitparlé.Charlieleregardafaire,lecœurbattantd’inquiétude.Iln’eutcependantqu’unsourireencoin,commeunefaçondedirequ’ilavaitremarquéqu’elleétaitunpeutimbréemaisqu’ilneluienvoulaitpas.
Puisils’assitsubitementetsepenchapourluivolersonjoint.—Eh!protesta-t-elle.Ilsecontentadelafixeravecuneexpressiondedéfitandisqu’ilportaitàsabouchel’objetdu
délit. Lemouvement de ses lèvres, les volutes de fumée s’en échappant, sa barbemal rasée et lamanièredontilrelevalementonpourexpirer…Onauraitpuenfaireunescènedecinéma,enralenti.
—Donne.Ilrefusa,sepenchantenarrièrequandelletentaderécupérersonbien,lafaisantfrôlersontorse.
Puis il retourna le jointentreses lèvrespour luiproposerunesoufflette.Charlie sentit soncœursemettreàbattreà toutevitesseetelleseretrouva,commehésitante, tremblantedesaisircequ’il luioffraitsoudain.Lentement,elles’approchadesabouche.L’objetincandescentluifitéprouverpeuàpeusachaleur,elleressentitl’épaisseurdelafumée,leurproximitésefaireplusforte,leurslèvres…siproches,d’uncoup,s’effleurer…Alors,elleinspiraprofondémentetcefutcommesiRomainluidonnait lebaiser leplussensuelquisoit, lepluschaudet leplusintime.Latêtelui tournaaussitôt.Elleselaissatomberenarrière,sondosatterrissantsur leseuild’entrée.Elleétait ivredetout :deRomain,desaboucheetdesaprésenceauprèsd’elle…del’émoiqu’ilsuscitaitenelle.Ellefermalespaupières.Lecieltournaitau-dessusdesatêteetsapeaulanguissaitdelasienne.
—Maispourquoiest-cequetuneveuxpasdemoi?selamenta-t-elle.Aucombledelafrustration,ellepassalesmainssursapoitrineavantdelesfaireglissersurson
cou.Elleauraitvouluquecesoitlessiennesquilatouchentainsi.—Arrête,Charlie,souffla-t-il.Savoixluiparutétonnammenttendue.Ellerouvritlesyeux.
—Pourquoi?insista-t-elle.—Tun’aspasbesoindemoipourça.Tupeuxtrouvern’importequi,quandtuveux.Iltiraunenouvelletaf.Lorsqu’ilexhala,sabouchecaptivasonregard,teluntableau.—Quand tuveux, répéta-t-il enbaissant lesyeux,commes’il formulaituneévidenceet,plus
encore,commesic’étaitdouloureuxpourlui.—Touche-moi,demanda-t-elle.Illuiadressaunregarddoux,maisderrièrelequeltransparutquelquechosedebrûlant—elleput
lepercevoir,soudain.—Jet’aidéjàditquejen’étaispascommeça.Jenetetoucheraipasjusteparcequetuasenvie
detefairesauter.D’uncoup,elleseredressaetposalamainsurlebétonjusteàcôtédelui.Elles’approchadeson
torse et sentit l’attraction se faire plus puissante, irrésistible, entravée seulement par les principesaveclesquelsRomains’étaitenchaîné.
—Alors…Sadeuxièmemainpritappuidel’autrecôtédesoncorps.Satêtes’avançaverslui,sonvisage
effleurasoncou,saclavicule…Puisellefermalesyeuxetunchuchotementsortitdeseslèvres:—Laisse-moi,moi,tetoucher.Etelleappuyasonfrontcontresapeau,frémissantsouslecontact.—Moi,répéta-t-elle.Elle grimpa lentement au-dessus de ses cuisses, les enfourcha, s’empêcha difficilement de
s’asseoirsurlui.D’unefaçonirréelle,Romainnedisaitrien.Toujoursassiscontrelechambranledelaporte,illa
dévorait juste des yeux, passif comme on peut parfois l’être devant l’arrivée d’un fait inévitable,quandonattendsimplementdelevoirsurvenir.Quandilremitlejointentreseslèvres,ellel’attrapa,les effleurant volontairement au passage. Puis elle le retourna entre les siennes, sentant la pointeincandescenteluichauffervivementlepalais.EtellesepenchasurlabouchedeRomain.
Cecoup-ci,ilselaissafaireaveclaplusgrandecomplaisancequisoit.Leurslèvressefrôlèrent,leurs visages ne furent plus qu’à quelquesmillimètres l’un de l’autre, puis elle sentit un incendies’allumerdanssabouchetandisqueRomaininspiraitetcefutcommesi tout lespoussait l’unversl’autre, comme si la fumée les aspirait, réduisant au néant l’espace qui les séparait encore.Imperceptiblement, ses reins se raidirent et elle sentit son corps tout entier se tendreversRomain,effaçantprogressivementladistanceentreeux…
D’un geste, elle recula le visage et reprit son souffle en abandonnant son joint dans l’herbeproche.PuiselleposalamainsurlanuquedeRomain,fermalespaupièresetcollaleshanchescontresonventre,tremblantdesentirenfinsachaleur.Romainavaitrenversélatêteenarrièreetlamanièredont il la fixaitdisait toutdes rênesqu’il luiabandonnait,commes’il s’offraitàelleetn’attendaitplusquedevoircequ’elleferaitdelui.
Alors, elle écarta les jambes, s’asseyant lentement sur ses hanches. Et, lorsqu’elle sentit unemassesolidecontreelle,sonsoufflesecoupaetelleplongeadanslesyeuxdeRomain.Sonregardsurelleétaitprofondémenttroublémaisenaucunemanièrehésitant.Progressivement,elles’assitsurlui.Sonbassin rencontra savergedure, et la façondont celle-ci secontracta fit secrisperdedésir sonventre,autantquerespirerdemanièreplusaudibleRomain.Elles’immobilisa,tâchantdesecontrôler.SiRomainlalaissaitfaire,iln’esquissaitpaslemoindregesteverselle.Iln’avaitpasmêmedécolléles mains du sol. Et pourtant — et elle pouvait le voir avec une acuité surprenante— ses yeuxbrillaientdumêmebesoinqueceluiqu’elleéprouvait.
—Tu…Ellehésita,redoutantsaréponsesielleluidemandaits’ilvoulait, luiaussi,cequ’ilsepassait.
Alors,ellecontemplaseslèvres,cesfruitsoffertsquinesetrouvaientplusqu’àquelquescentimètresdessiennes,pétriedudésirdelesembrasser.Ellen’osapas.Romainnetenaitplusqued’uneépaulecontrel’encadrementdelaporte,etilsuffitellenesutdequoi,d’unrien,pourque,dansunsoufflepartagé,tousdeuxseretrouventsoudainausol,luiallongésurledosetelleàquatrepattesau-dessusdelui.Ledésirpulsaitdanssoncorpsetdanssatête,etRomainlabuvaitduregard.
—Recule,exigea-t-elle.Romainpoussad’uncoupsursonpied,pourglissersurleparquet,remontantsuffisammentdans
lapiècepourleurlaisserunemeilleurelibertédemouvement.Ellesedressaau-dessusdeluiendesgestescontrôlés.
Etendusouselle,lesbraslégèrementécartés,Romainlacontemplaitavecuneenvieévidentequenecontredisaitquesonattitudepassive.Ilpouvaitluidire«non»àtoutmoment,ellelesavait.Surl’instant, il lui offrait cependant une brèche dans laquelle elle se retrouvait tremblante de s’êtreengouffrée.
—Romain,soupira-t-elle,commepourl’appeler.Ilneréponditpas.D’envie,ellesepenchasurluietlaissaseslèvresseposersursoncoubrûlant,baisantlachair
masculinedontchaquegrainsedressaitsoussonsouffle,enexplorantlegoût.Puis,elledescenditlelongdesoncorps,frôlantsonT-shirtdesescheveuxjusqu’àcequ’elleenatteignel’ourletinférieuretlesoulèvepourembrasserlachairjustelà.Romaineneutunsursautetellegoûtasonventre,suivitdelalanguesesabdominaux,tremblantedepresserenfinsonvisagecontresapeau.Romainenpoussaunsoupirsichaudqu’ellerelevalatête.
Ellenesutcequiétait leplusflagrantsur lemoment:sonexcitationousonhésitationàallerplus loin. Perdue, elle se redressa pour s’asseoir sur ses cuisses. Que devait-elle faire pour luttercontrecemurqu’illuiopposait?Etdevait-ellecontinuersanssavoirs’illevoulaitvraiment?
Rêveusement, elle caressa son ventre, puis glissa dans un geste d’envie les doigts dans lesboutonsdesabraguette.Quandelleenfranchit la lignepourvenirfrôlersonmembredur,à traversson sous-vêtement, elle plongea dans ses yeux. Aucune manifestation de rejet n’y apparaissait ;seulementdudésir.Alors,ellepoussalesdoigtsplusloin,longeantsachair.Enréaction,lesouffledeRomain se fit plus lourd et son membre pulsa. Elle resta un moment à le dévisager, ne sachanttoujours pas comment réagir, puis elle lui déboutonna son jean et le tira suffisamment vers le bas,avecsoncaleçon,pourensortirenfinsonsexequisedressaraide,droitdevantelle.Quandellelevales yeux sur le visage de Romain, elle put voir qu’il avait fermé les yeux et que son expressiontrahissaitunbesoinévident.
Elleneréfléchitdoncplus.Ellecollalalanguesursachairetsavouralesoubresautqu’ileneut,ainsi que son expiration de soulagement. Elle le lécha plus bas, savourant chacun de sesfrémissementsetsuivitsahampeduboutdelalangue,enappréciantladouceur.Ensentantunemainlourdeetinvitanteseposersursatête,ellerelevalevisagepourleregarderetfuttroubléedelevoiraussi perdu dans l’excitation et le plaisir. Puis elle fit glisser sonmembre entre ses lèvres. En lesentantlacaresserdel’intérieur,sonentrejambeseserrad’envie,irradiantd’unedélicieusechaleur.LamaindeRomainglissa sur sa joue, l’englobant.Charlie s’arrêtapouren savourer le contact.Sapeau était râpeuse d’avoir tant travaillé les jours précédents, mais pourtant si chaude et agréablecontrelasienne…Elleyenfouitlevisage,s’ypressant.
—Pourquoiest-cequetufaisça?luidemanda-t-ild’unevoixrauque.
Sontonexprimaitnonseulementsondésir,maiségalementsaconfusion.—Parcequej’enaienvie.C’étaitsisimple.LesyeuxdeRomainétaientouvertssurelledansuneexpressiond’abandon,et
illuioffraitunevisionmagnifique,latroublantnonseulementphysiquementmaisémotionnellement.Doucement,elleredescenditsursonsexeetlepritaufonddesabouche,tirantunsoupirsilourd
etunetorsiondereinssivive,souselle,qu’elles’encrispad’excitation.LamaindeRomains’étaitperduedanssescheveuxet ils’offraitentièrementàelle.Troublée,ellecontinuaainsi, lesuçantenfaisantde longsva-et-vient, jusqu’àcequ’elle lesente languide, jusqu’àcequ’il frémisseàchaquefrôlementdesesdents,jusqu’àcequesessoufflesdésordonnésdeviennentsiintensesqu’ilauraitpus’arrêterderespirer.Et,enquelquesmouvementsdeplus,ilserépanditenfinenunebrusquemontéedeseshanchesetunrâlepluslourdencorequeceuxqu’ilavaitpoussés.
Elleserassitsurses talons,pantelante.Lapoitrineet leventredeRomainsesoulevaientetserabaissaient rapidement et son expression entière était au paroxysme de la luxure. Pourtant, il nebougeaitpas,silencieux.Etsespaupièress’étaientfermées.Commes’illafuyait.
Ellesemorditlalèvre,essayantdedomptersafrustration,maiscefutlaculpabilitédelevoirsiperturbéquil’acheva.Perdue,elleselevaetsortitdanslacour.Là,elleserinçalaboucheaurobinetextérieur,puisellecherchalejointqu’elleavaitbalancédansl’herbe,avantdes’asseoirlourdementsurleperron.LorsqueRomainressortit,lescheveuxenbatailleetleregardtrouble,etbonsangqu’ilétaitbeauainsi,elleétaitentraindetireruneboufféeets’attendaitparfaitementàcequ’illuidit:
—Jenetravailleraipasaujourd’hui.Elleacquiesça,confuse.Il tapota une seconde du plat de lamain sur l’encadrement de la porte, à ses côtés, semblant
hésiter.— J’aimerais, tu sais, lui dit-il finalement, avant de déporter le regard dans une expression
douloureuse.J’aimeraisvraiment,mais…Ildéglutit.Ilavaitfaitunecroixdessus,oui.Ellelesavait.Ilavaitdécidéqu’iln’auraitplusjamaisd’autre
relation.Puisilpartit,sesmainspassantdanssachevelureenungesteévidentdedésarroi.Lesjourssuivants,Romainnerevintpas.Elleneluienvoulutpas.Pouréviterderuminer,elle travaillacommeuneacharnée.Ellebossaau jardin, fitduménage
danslesautresbâtimentsetcommençaàréfléchiràcequ’ellepourraitbienenfaire.L’endroit, perdu dans ce creux de nature, était en tout point idyllique, et les lieux pouvaient
accueillir bien plus qu’une pauvre fille perdue.Quand il lui avait posé la question de l’« après »,Romain l’avait confrontée à son absence de raisonnement à ce sujet. Jusque-là, elle n’y avait passongé.Elleavait justesuiviuncoupdetête, lefantômed’uneenfantsurunephoto,celuid’unpèredontl’imagederrièrel’objectifluiétaitcachée…Jamaisellen’avaitpenséàcequ’elleferaitdecettemaisonetsiseulementelleyresterait.Quantaufaitqu’elles’yseraitdésormaisbienvueyvivreavecRomain, elle ignorait s’il était à classer dans les positifs ou les inquiétants. Elle était en train des’accrocheràunhommequinevoulaitpasd’elle,etdes’yaccrocherprofondément:ellelesentaitdanssoncorpsetsonâme.Oùétaitdoncpasséelafillequipapillonnaitjusque-làd’uneamouretteàl’autre,sansjamaiss’attacher?
Elleretournaàlamaisonetchargeaunebrouetteentièredepotsdepeinture,derouleauxetdepinceaux:quedumatérielneufqu’elleavaitachetélaveille.Puiselles’installadanslaplusgrandepiècedutroisièmebâtiment:celuiqu’ellen’avaitpasencoreinvesti.Sonespritdivagua,desimagess’yformant:Romainauxcheveuxgavésdesoleil,Romainassissurleperronavecunregardamusé,Romainetlafumées’évadantdesabouche,Romaindontlesouriretroprarelabouleversait…
Romainallongésurlesol,soncorpsétenduetsonexpressionaucombledelasensualité.Elleattrapauntournevispourouvrirlespotsetsemitautravail.
En voyant Romain arriver après une semaine d’absence, elle sentit son cœur bondir dans sa
poitrine.—Salut,l’accueillit-elleavecsonplusgrandsourire.Ilparaissaitmalàl’aise.Ellefitminedenepasleremarquer.—Commentvatagrand-mère?—Bien, répondit-ilenmettant lesmainsdanssespochesd’unairgêné.Elle trouvedommage
quetuneviennespaslavoirplussouvent.Charlierit.—Jepasserai.Promis!—Ettoi?enchaîna-t-il.Ellehaussalesépaulesetgrattarêveusementlaterredesjardinièresoùellevenaitdeplanterdes
fleurs.—Jemesensunpeuseule…J’avoue.C’étaituneuphémisme.Ellerelevatoutefoissurluiunregardpétillant.—Maismaintenant,tuesrevenu!Onseremetautravail?Romainhocha la tête,malgré sa réserve évidente.En repartant chercher denouveauxplants à
repiquer,ellel’entenditprendreunegrandeinspiration,puisbalancerd’uncoup:—Charlie,je…—C’estbon,Romain,l’interrompit-elle.Iln’yarienquiaitbesoind’êtredit.C’estmoi,je…Je
n’auraispasdûagirainsi.Elledevaitbienlereconnaître.Puiselleclaquadesmainsavecenjouement.—Ons’yremet?Lepetitsourire,songeurmaistendre,queluiadressaRomainlatouchaetelleessayad’ignorerla
manièredontsapoitrinesecreusaenlevoyants’éloigner.Lesjournéessesuccédèrent.Romainvenaitauxpremièresheuresdujouretprenaitsoncaféavec
elle,assissurleperronousurlarochejouxtantlarivière.Ilstravaillaientcommedesforçats,puisilrepartaitlesoiravantlanuit.
Charliene réessayaplusde le toucher, oudumoinspasdemanière intime,même s’il y avaittoujoursquelquechosed’électriqueentreeux:quelquechosequirendaitchaquefrôlementdeleurscorpsdanslescouloirs,chaqueinstantdetrouble,haletant.Mais,siellepouvaitàchaquefoissentirlemême désir en lui, la même tension, il n’y répondait jamais, lui opposant perpétuellement cettedistancecontrelaquelleellenesavaitpaslutter.Alors,elleretournaitautravailentâchantd’oublierlasensationdevidequiluidévoraitdeplusenplusleventre,parcequesamainn’étaitpassursapeau,seslèvrespassurlessiennesetqu’ill’auraitrepousséesielleavaitposélatêtesursonépaule.
Elle se trouvait donc seule, en train de refaire elle-même sa coupe courte face à un miroird’appointsurlaterrasse,quandellevitlegrand-pèremanoucheremonterlechemindansunevoituredélabrée.
—MonsieurZitter!s’exclama-t-elleenabandonnantsesciseauxpourcourirverslui.Elle s’accouda à la fenêtre de sa voiture. Il portait une chemise qui avait dû voir la Seconde
Guerremondialeetlescampagnesnapoléoniennestantelleétaitusée,etsonmégotsemblaitcolléàlagluaucoindeseslèvres.Illasaluadumenton.
—Qu’est-cequevousfaitesici?s’enquit-elle.Romainsortitdel’atelierpourlesalueràsontour.Elletournaaussitôtlatêteverslui.Sesentir
aimantéeàsaprésenceluiétaitunsentimentinéditet,enconséquence,perturbant.—J’airepenséàvous,luiexpliquaM.Zitter.Cequevousdisiezl’autrejour,commequoivous
seriezvenueaucamp,déjà…—Gamine,oui.—J’airetrouvéquelquechose.En le voyant sortir un carton de son véhicule, elle recula et eut un tel vertige qu’elle dut
s’agripperaubrasdeRomain,recherchantsonsoutien.Unefoisdevantelle,levieilhommel’ouvritpourluimontrersoncontenu:untasdevieillesphotos,auxcouleurspassées.
—Celles-ci,c’estcellesqu’onavaitaucamp.Sur l’une,onvoyaitune fillette,avec lescheveuxenpétardetunaireffronté.Mais, sielle se
reconnutaisément,cenefutpasellequiattirasonregard,maislamainquitenaitlasienne:celledesonpère.
—Etça,c’étaitdanslesaffairesquevousnousavezamenées.Ilsortitunalbum,avecunecouvertureuséeetgondoléeparlapluie,surlaquelleonlesvoyait
tous les trois : ses deux parents et elle. Charlie fut incapable de prononcer le moindre mot tantl’émotionlasubmergea.RomaintenditlamainàM.Zitteretleremerciaàsaplace,maisCharlienelesécoutapas.Sonespritétaitdéjàailleurs;ilétaitdanslecartonserrécontresonventre.Etourdie,elle se détacha d’eux pour aller dans le jardin, au-delà de la troisièmemaison, là où l’herbe vertes’étendaitteluntapisverslelitdelarivièreetoùseulspersistaientleschuchotementsdel’eau.Alors,elles’assitetcommençaàdéballerlecarton.
LorsqueRomain la rejoignit, sa tête était envrac, ses yeuxpleins de larmes,mais sa poitrine
libérée de plusieurs kilos. En sentant samain se poser sur son épaule, elle inclina le visage et s’yfrottadoucement.Elleauraitvoulusetendreencoreplusversluietposerseslèvresbrûlantessurlessiennes.
Ils’assitàsescôtés.—Tuastrouvécequetucherchais?Elleacquiesça.—Là,luimontra-t-elleensaisissantprécautionneusementl’unedesphotosétaléesdansl’herbe.
Tureconnais?Ilappuyasonmentonsursonépauleetleurscheveuxsemêlèrent.Elleeneutunfrisson.—C’estmoi?—Oui!rit-elle.Tuasvucommeonestsales!C’étaitlafêteduvillage,non?Ilpritlaphotopourl’examiner.—Ouais.Jereconnaislaplacedelavieilleéglise.
—Celle-ci,aussi,luimontra-t-elle.Elle lui sortit les photos où il était présent mais il ne s’y intéressa que peu. Au bout d’un
moment,ilenattrapaunesurlaquelleonlavoyaitavecdeuxadultes.—Cesonttesparents,commenta-t-il.—Oui.Ilyamonpère…Ellesentitsonnezànouveaulapiquertandisqu’elleledésignait.—Mamère,là.Etici,cesontlesBerger.Jemesuissouvenuedunom.Ilsvivaientavecnouset
avaientunefilledemonâge,Nathalie.Onlavoitsuruneautrephoto.Ellefouillapourlaretrouver.Romain regarda toutescellesqu’elle luimontra.Surcertaines,elleétaitavec lesenfantsde la
communauté,surd’autresavecsesparents,etsestenuesoscillaiententreleparfaitmodèledelagossedepost-soixante-huitardsetlacaricaturedegaminedevillage.Maiscequilatouchaitleplus,c’étaitdevoirlesyeuxbrillantsdesonpèrelorsqu’illatenaitdanssesbras,sonsourirequandilluifaisaitmangersapurée,touscesgestesquotidiensquitémoignaientdufaitque,malgrétoutescesannéesdeséparation,ill’avaitréellementaimée.
Ellefinitparrangerlesphotospuisselaissertombersurledos,lesherbesluichatouillantlecou.Romainpassaundoigtdanssescheveux,remuantsesmèchesfolles.Ellelevalesyeuxsursonvisage.Sapoitrineseserraittellementquandelleétaitauprèsdelui,soncorpss’émouvaitsifortement…Elleaurait aimé qu’il comble au moins un peu du vide qu’elle éprouvait, cette sensation de manquepermanent, ce besoin de faire chair avec lui et d’allermême au-delà de la chair.De se compléter.Troublée,elleluidemandasoudain:
—C’estdel’amour?Il accueillit la brusquerie de sa question sans sourciller. Il caressa juste sa chevelure plus
tendrementencore.—Cequeturessens?compléta-t-il.Ellehochalatête.Ilneluiapportapasderéponse.Commentaurait-ilpu?Simplement,unpetitsourires’affichaau
coindeseslèvresetilfitdescendresondoigtlelongdesonvisage,delalignedesonmenton,desoncou, jusqu’à passer sur la naissance de son décolleté. Aussitôt, sa respiration s’accéléra et elle seretrouvapantelante.Ilfinitparramenersamainets’étendreàsescôtés.
—Qu’est-cequetuvasenfaire,alors,decettepropriété?Ellemitquelquessecondesàluirépondre.—Ungîted’étape.—Vraiment?—Oui.Elle laissa son regard dériver vers la rivière, avec le soleil et les falaises qui tombaient droit
dedans.Elleauraitvouluqu’ilspuissentrestericiensemble,tousdeux,toutletemps.—C’esttropbeaupourêtregardépourmoiseule…Elleseredressasursescoudes.—Regardecommec’estbeau,Romain.Regarde…partout.Onnevoitpasunpoteauélectrique,
pasunmuret.Sionsuitlecoursdel’eau,onpeutmarcherdesheuresenoubliantmêmequ’ilexisteunecivilisation.Là-bas,enescaladantlafalaise,ilyaunegrotteavecdeschauves-souris,etilnesepassepasunejournéesansqu’onaperçoiveuncanard,unlapinouunrenardsebalader.Pourquoiest-cequejegarderaisçajustepourmoi?Onpourraitcultiverdeslégumeset…
Elles’arrêta,gênéed’avoirutiliséavecluice«on»quioccupaitdeplusenplussespensées.
Brusquement,ellepivotaetl’encadradesesbras,seretrouvantau-dessusdelui.—J’aiencoredel’argentsurmoncompte,ajouta-t-elle.Toutestpossible…LesyeuxdeRomainbrillaientmaisilnedisaitrien.Illevajustelamainetcaressasescheveux,
sanuque…Et,quand il laposa sur ses reins, ce fut commes’il labrûlait.Etpuis,d’uncoup, il laretournaetlaplaquasousluiavecuneenviesiperceptible,etavecunetelleforce,qu’elleseliquéfiasoussoncorps,pantelante.Maisilétaitdéjàentraindes’éloignerd’elle.
—Je…,commença-t-ilavantdedéglutirdouloureusement.Elle tâcha de ravaler sa déception tandis qu’il se décollait de sa peau, et le vit se lever,
impuissante.—JevaisretourneràMarseille,lança-t-ilenfin.Laclaquequecesmotsluiinfligèrentl’étourdituninstant.—Quoi?—Jenetrouveraijamaisdetravailentantqu’ébéniste,etj’enaiassezdeprofiterdeceuxqui
veulentbienm’entretenir.Jeveux…rebondir.Ilsetenaithaut,au-dessusd’elle,etsonregards’étaitperduendirectiondel’eau.Charlielutta
contrelegouffregrandissantdanssapoitrineetdétournasonvisage.—Jecomprends,dit-elle.Puis elle se leva rapidement, ramassa son carton et repartit en tâchant de tituber le moins
possibleverslamaison.Troismurssurquatre.C’étaitcequ’occupaitlabibliothèquequeRomainétaitentraindemonterquandellelesurprit,
le lendemain, à travailler dans le troisième bâtiment. Elle avaitmis des heures à s’endormir et lafatigue jouait sur sesnerfs.Elle resta stupéfaitedevant labeautédu travail qu’il avait effectué.Lemeublemontaitjusqu’auplafondetincluaitdelongueslettresd’unboisplussombredanslesquellesdeslivrespouvaientêtrerangés.Enlesexaminant,elleremarquaqu’ellesformaientlemot«Vivant».
Romain lui jeta un coupd’œil en remarquant sa présence. Il retournanéanmoins aussitôt à satâche.
—Pourquoicemot?l’interrogea-t-elle.Ilnelaregardapas.—Parcequej’aipenséàtoienfabriquantcemeuble.Elle ne sut comment prendre cette confidence : si elle devait s’en sentir touchée ou céder au
désespoirfaceàcequiavaittropl’allured’uncadeaud’adieu.Perdue,elleappuyasa jouesur l’encadrementde laporteoùellese trouvait.Elleauraitvoulu
quecesoitlapeaudeRomainquifrottecontrelasienne.—Parle-moid’elle,réclama-t-ellesoudainement.Romaintournaunregardinterrogatifverselle.—Qui?—D’Olivia.Raconte-moidestrucssurelle,dis-moipourquoiellecompteautant.Dis-moipourquoiturefusestellementdevivreuneautrehistoire?Malgrélemalaisequitransparaissaitdanssonattitude,Romainhaussalesépaulesetcontinuaà
travailler.Charliecrutvraimentqu’ilneluirépondraitpas.Lorsqu’ilélevaenfinlavoix,illuitournaitledos.
—J’aicruqu’elleseraitlafemmedemavie.Jemesuistrompé.C’esttoutcequ’ilyaàdire.
—Etsiellerevenait,turetourneraisavecelle?—Jet’aiditquejen’étaisplusamoureux.—Etmoiquetumentais.—Tutetrompes.LetondeRomainavaitétéplusdursurcesdernièresparoles.Elleessayadeconsidérer lefait
qu’ilpuisseêtresincère:decomprendrecequel’échecavaitpuengendrerenlui…ou,peut-être,lesdeuxanspassésdurant lesquels ils’étaitpersuadéqueplus jamais ilneconnaîtraitd’autrerelation.Ellenesutquedire.Enavisantlescartonsqu’elleavaitentassésaumilieudelapièce,ellesedirigeaverseux,morose.Elleavaitdemandéàsamèreetsesamisdeluienvoyerdeslivresetelles’occupalesmainsenlesinstallantsurlesrayons.Commeellesortait1984,lecélèbrechef-d’œuvredeGeorgeOrwell,Romaincommenta:
—BigBrotheriswatchingyou.Elleluisourit.Elleaperçutlepotdepeinturenoiretlepinceauqu’elleavaitlaisséssurlereborddelafenêtreet
lesattrapasuruncoupdetête,pourdessineraumurl’œilglobuleuxetinquiétantdelacouverturede1984.Romains’arrêtapourlafixer.Alors,commeça,ellesedessinadesmoustachesàlaDali,parcequ’elle avait envie d’être folle, et elle lui sauta au cou, se colla contre son torse et se gava de sachaleur.Elleapprochasabouchedesonoreille.
—Soisfouavecmoi,luisusurra-t-elle.Cefutcommeunbasculement.Latensionmonta,fulgurante,etletempslui-mêmesesuspendit,
commesisoudaintoutétaitpermis.D’uncoup,Romainlasaisitsouslesfessesetlaplaquaavectantdevigueurcontrelabibliothèquequelespremierslivresqu’elleyavaitposésenchutèrent.Soncœurbattitàtoutrompre,soncorpss’embrasa,etelleeutàpeineletempsdesongeràcequ’ilsepassaitqueleslèvresdeRomainfurentsurlessiennesetquelemondeextérieursedisloquadanscecontact.Leursbouchessecapturèrent,chaudesetpassionnées,etcen’était soudainplusellequidemandait,maisRomainquiprenait,Romainquidonnait,Romainquisaisissait.Lorsqu’ilpoussasoudainementdeshanches,collantleursbassinsetrenvoyantdeséclairsd’enviedanstoutsoncorps,elletremblaets’accrochaàsesépaules,ettremblaplusencorequandilrecommença.Romainavaitlesoufflecourtetlesgestesempressés,etlebesoinsuintaitdechacundesesactes.Etpuis…brusquement,ils’arrêta,etcognasivivementsonfrontcontreleboisdelabibliothèquequ’elleenfrémit.Lagorgebloquée,ellelevalesyeuxauplafondcommesiellepouvaitytrouverdel’aideetfutincapablededirelemoindremottandisqu’illalâchaitetreculait…puiss’enfuyaitdenouveau.
Ilnerevintpasdelajournée.Ellerentraitde larivièreoùelleavaitessayédenoyerses idéesnoiresquandelleremarquale
camiondeRomaingaréaumilieudelacour.Ellefinitprestementdeboutonnersonshort,passajustesondébardeursursapoitrineetcourut,sessandalesàlamain.Lorsqu’ellelerejoignit, ilétaittorsenu, un bermuda attaché bas sur ses hanches, en train de finir de débarrasser son atelier.Immédiatement, le creux dans la poitrine s’approfondit. Il lui adressa un regard embarrassé enl’apercevant.
—Jenevoulaispastedéranger.Elle tourna la tête de droite à gauche. Le souvenir de leur baiser de la veille la bouleversait
toujours.—Tusaisbienqueçanepeutpasarriver.
Seulunsouriretristeluirépondit.—Viensvoir.Ill’attrapaparlebraspourl’entraîneràl’arrièredel’atelier.—Jet’aiinstalléça,dit-il.Elle fut tellement soufflée en découvrant ce qu’il voulait lui montrer qu’elle en eut un
mouvementderecul.NonseulementRomainluiavaitaménagéunespacedetravailpoursapeinture,mais il avait disposé au milieu une immense table, sobre mais belle, de manière à accueillir sonmatériel de peinture. Elle leva les yeux sur lui, perdue, mais il se détournait déjà pour finir deramassersesaffaires.Sespiedss’engluèrentsurplace.
—Alors,vraiment,tulefais?Tut’envas?—Oui…Lamaisonestfinie,non?—Non!Toutenelleserévoltaitcontrecetteidée.—Rienn’estfini.Ilyaencoredesétagèresàchangeretpuisuncoupdeblancàremettredans
l’escalier,et…—Ouimais,pourtoutça,tun’aspasbesoindemoi,lacoupa-t-ilavecunsouriredoux.Ilpassaunemainhésitantedanssachevelureetdévialeregard.—Je…,poursuivit-il.J’auraisdûteledire,hier.Jen’aipasosé,maisj’aitrouvéunboulotsur
Marseille.Jecommencelasemaineprochaine.Iln’auraitrienpuluiannoncerdeplusdouloureux.Impuissante, elle le regarda ramener la dernière caisse de matériel qu’il n’avait pas encore
chargéedanssoncamionetduts’appuyerauchambranledelaported’entrée,titubante.—Charlie…Ilsepostadevantelle.Elleneditrien.Puisillevalamainetcaressasajoueavantdeglisserle
poucesurseslèvres,dansungestedontlatendressel’acheva.Elleresta,immobile,àécouterleronflementducamions’évanouirlentementauloin.Lorsqu’elleretournadanslamaison,ellenetenaitplusdebout.LesimagesdeRomainsurlemur
lui firentaussitôtunchoc.Etourdie, elleavançaet tournadans lapiècepour les regarder toutes, ettournaencore,eteutenviedehurler…Elledonnauncoupdepieddansunpotmalferméaumilieudusalon,tapadansunautre,observantsapeinturebleuesedéversersurleparquet,puisdurouge,puisdespointillésd’orangeetdejaune,etellefinitàgenoux,lesoufflecourtetlesmainsdansunetachedepeinturequiallaits’élargissanttandisqu’ellesentaittoutsoncorpstrembler…
Unbruitsurleseuillafitredresserlatêteetrouvrirsesyeuxembués.Romainsetenaitdansl’encadrementdelaporte,soncorpssedétachantenombreschinoisessur
laclartéextérieure.Enlevoyantserapprocher,elleessayadeserelever,honteused’avoirétédenouveaudécouverte
ainsi en train de craquer mais, d’un coup, les bras de Romain furent sur son corps et ses lèvresbrûlantessurlessiennes,etpuis…Etpuisellenesutplus.Soncorpsseserraitcontrelesienetsesmains s’étaient posées juste sous le rebord de son débardeur, sur sa peau, là où elle crevait de lessentir, les faisant enfin être chair contre chair et lèvres contre lèvres. Et, lorsque leurs bouchess’ouvrirentetleurslanguesserencontrèrent,cefutcommesionluidonnaitenfintoutcequiluiavaitmanqué.Leurssalivessemêlèrentet leurslèvressecapturèrent,cherchantchacuneàposséderainsiplusdel’autre,àencoreplussetoucher.LesmainsdeRomainlaserraientavecforceetleurspeaux
l’unecontrel’autren’étaientpasassez.Leursbouchesn’étaientpassuffisantes,ilfallaitplus,plusdepartiesd’eux-mêmesàmettreencontact,plusdechairàembrasser,plusdemusclesàpalper.Dansungestemaladroit,ilss’échouèrentausol,maisaucund’euxnerompitlecontactqu’ilsmaintenaientsiétroitement.Rienn’avaitplusd’importance, sinon lecorpsdeRomaincontre le sien, sonpoidssurelle,sabouchesurlasienneetlamassedureetchaudequisepressaitentresesjambes.
—Charlie,murmuraRomain.Ellelevalesyeuxsurlui.Ilavaitl’airdéfait.Brusquement,ilplongeadanslecreuxdesoncou,baisalachairlà,lafaisants’arquercontrelui.
LesmèchesdecheveuxdeRomainétaientpoisseusesdepeintureetelle-mêmeencollaitpartoutoùelle le touchait :sursondos,sursa joue,sur lesfessesquisecontractaient toujoursplusfortementpour presser leur bassin l’un contre l’autre, comme s’ils faisaient déjà l’amour.Comme siRomainétaitenelle.
Il finitpar relever levisagedansunebrusquerecherched’air,et repritde longues respirationsavantdepouvoirparler.
—Charlie…Denouveauxva-et-vientl’embrasèrent,luidonnantlasensationqu’ilétaitdéjàentraind’entrer
enelle.Etilfallaitquecesoitmaintenant.Toutdesuite.—Putain,Charlie…Ilpressadenouveauentresescuisses.Leursbas-ventrespulsaient.—Jeveux,je…Merde,jen’aipasdecapotesavecmoi,souffla-t-ilenfin,avecunregardperdu.—Je…Ellemitquelquessecondesàintégrercequ’ildisait.—Moi…Moinonplus,reprit-elle.Enfin…Maisoù?ElleenavaitramenéenarrivantdeParis,maiselleavaitbeausecreuserlatête,elle
n’avaitpaslamoindreidéedel’endroitoùelleavaitpuleslaisser.Lapropriétéétaiténormeetavaitétéretournéedanstouslessens.Etsiçasetrouvait,ellelesavaitjetées,etc’étaithorsdequestionqueRomainsedécollelamoindresecondedesapeau!
Elleétaitfolle…Folle.LabouchedeRomains’écrasabrutalementsurlasienneetelleputsentirledésespoirdanssonbaiser.Descoupsdereinsplusintensess’ensuivirent,mouvementsréflexesquitémoignaient de la force de l’envie qui était la sienne et qui enflammaient à chaque instant plusviolemment son bas-ventre. Elle serra avec force ses épaules. Elle devait… Ils devaient… Desalarmess’allumaientdanssatête,des«Qu’est-cequejefous?»et«Cen’estpaspossible»et,par-dessus,ledésir,irrépressible,etlerefusdevoirdisparaîtrecequiétaitpeut-êtrelaseulechancequ’ilsavaientdevivreça.
LorsquelesmainsdeRomainfurentsoussondébardeur,empaumantsesseins,elles’arquaparréflexe.Quandsaboucherencontrasonmamelon,ungeignementdeplaisirsortitdesagorgeetelletrembla tandisqu’il le léchaitet lepinçait.Ellevoulait tellementplusde lui, tellementplusdesoncontact.Elle écrasa lesmains sur ses fesses, les serrant contre elle.Romain se redressa alors pourpressersivivementseshanchescontrelessiennesqu’elleenperditlesouffle,desdéchargesdeplaisirse répandant dans tout son corps. Les doigts de Romain furent soudain entre eux et, en le sentantdéboutonnerprécipitammentsonbermuda,ellefitdemêmeavecsonshort,etfrémitquandil le luisaisit,saculotteavec,pourlestirerverslebas.L’instantsuivant,ilfinissaitdesedénuderlui-même,exposantàsonregardl’intégralitédesachairdontlavueluiapparutcommelaplusmagnifiquequisoit.
Puisildescenditd’uncoupsursoncorpset,dansunmouvementinattendu,saboucheseposasursonsexe…
Ellerampa,miaulaetsetortillaenlesentantlalécher.Soncorpsétaitsisensibleetsondésirsifortquedeslarmesdeplaisirembuèrentaussitôtsesyeux,etelleenfouitlesdoigtsdanssachevelure,lesépaulestenduesettouslesmusclestremblants.
Quandillarelâcha,ellenesavaitpluscequ’ellevoulait,ellenesavaitplusoùelleenétait,sinonquesoncorpspulsaitdubesoindedélivranceetqueRomainentreenelle…Peut-êtrejustepourunefois.Justecelle-ci.Elleaccueillitlabouchequiseposasurlasienne,etygémittandisqueleurssexessefrôlaient.
—Oh!Charlie,dis…Ill’embrassavivement,tremblantcontreseslèvres,avantdefinirsaphrase:—Dis-moioùtuasdespréservatifs.Ellenesutquerépondre,affligée.—Jenesaispas,se lamenta-t-elle tandisqu’ilbaisait lespointesdesesseins, finissantde lui
grillerlecerveau.Lamain deRomain passa alors sur sa taille, ses reins puis…d’un coup, il la retourna sur le
ventreetellefrémitdestupeur,etsecambraquandilrevintl’embrassersurlapartielaplussensibledesonanatomie.Levisageenfouidanssesavant-bras,ellesemorditleslèvresetremontasacroupesoussesbaisers,désespéréeetlanguissante.Lorsqu’ilattrapasesfessespourpositionnersonmembrejustedansleurplietdonnerdelongscoupsdereins,elleposalatêteausoletgémitd’excitation.LesmainsdeRomainétaientbrûlantes,àlafoistendresetempressées,etsonsoufflelourdderrièreelletémoignaitdel’ampleurdesondésir.
—S’ilteplaît,murmura-t-elleentournantlatêtepourcherchersonregard.Elleperdaitl’esprit.—S’ilteplaît…Ilseserracontreelleenfrémissant.—Charlie…Savoixgrondait,toutedebesoincontenu.—Nemetentepas,souffla-t-il.Pasplusquejenelesuisdéjà.Je…Puisilattrapaseshanchesetsemitàfrottersonsexecontrelesiensivivementqu’elletrembla
d’enviequ’illapénètre.Ellelevoulaittellement!Lorsqu’undoigtentraenelle,elleexhaladesurprise,ethaletaplusencorequandundeuxièmele
rejoignit.Ellesemorditlepoing,sesyeuxs’humidifiantdeplaisirtandisqu’illesfaisaitallerenelle,la poussant à se tordre au sol et à presser son front contre le parquet. Elle était désormaiscomplètementabandonnée,lecorpshypersensibleetlavisionembuée.
—Charlie…Ilcollasondoscontrelesien,embrassantl’espaceentresesomoplatestoutenglissantlamain
sous son ventre. Lorsqu’il atteignit l’endroit qu’il avait déjà éveillé avec sa langue et semit à lacaresser,l’orgasmenefutpasloindelaterrasser.Sonsouffleentradanssonoreille.
—Caresse-toi…Jenepeuxpaslefaireenmêmetempsetjeveuxtevoirjouir.Ces mots auraient pu suffire à la faire basculer. Elle tourna la tête pour accueillir les lèvres
brûlantesquis’écrasèrentsurlessienneseteutlesoufflecoupéquandilrecommençaàalleretvenircontreelle,tenantsesdeuxglobesdechairpourlesresserrerautantquepossiblesursaverge.L’idéemêmedelesentirjouirainsiluiretournalatêteetelleglissalamainentresescuisses,trouvantsongraindechairqu’ellepinçatandisqueRomainsedéhanchaitplusvite.Leplaisirirradiadanstoutson
corps,portéàsonparoxysme.ElletentadesemaintenirsuruncoudemaisRomainallaitmaintenantvivementcontreelleetelledut rester la têteappuyéeausol.Les soupirsqu’ilpoussait, lamanièredontil lamaniait,dontil lacaressaitparfoistendrement,parfoisbrusquement…Toutl’enflammait.Ellesetorditsouslui,leplaisirmontantalorsqueRomainfaisaitdesva-et-vientdeplusenplussecsetquesessoufflesrauquesgagnaientenintensité.Puisilsedéhanchaplusfort,etl’entendresemettreà gémir la retourna tellement qu’elle se sentit proche d’être emportée par l’orgasme. De chaudesgouttestombèrentsursondostandisqueRomainsombraitdanslajouissance,et lesgestesàlafoispossessifs et tendres avec lesquels il prit son plaisir avec elle achevèrent de la projeter dans lajouissance.Soncorpstremblaetunebouledechaleurmontajusquedanssatête…jusqu’àtouteffacerautourd’elle,jusqu’àprendretoutelaplace.
Ils finirent allongés sur le sol, l’un à côté de l’autre, leurs poitrines se soulevant dans uneprécipitationpartagée.
Par la porte ouverte, le souffle du vent se faisait entendre. Ça et le murmure assourdi de larivière,plusloin.Ellel’écoutaunmoment.Leplafondtournait,tournait.
Ellefinitparreprendrelaparole.—Reste.C’étaittoutcequ’ellepouvaitdire.Romainmitquelquessecondesàluirépondre.—Jenepeuxpaspassermaviechezmagrand-mère.—Passe-laavecmoi,alors.Unriretendreparvintàsesoreilles.—Tunepeuxpasm’entretenirnonplus…—Çan’arriverapas.Elletournalevisageverslui,puisroulapourgrimpersursoncorps.Griséeparsachaleur,elle
posaundoigtsursapoitrinepuislatapotaenplongeantdanssonregard,commesiellepouvaitainsimieuxfaireentrerlesmotsdanssatête.
—Tubosserasaugîte.Tuferasdesmeubles,aussi.L’atelierestgrand.Onpourrayêtreàdeux.J’exposeraimespeintureset tuvendras tescréations.Oncultiveranospropres légumes.Onélèveradeschèvres.Et…
Ilritenrenversantlatêteenarrière.—Charlie…Charliesipleinederêves.—Maistuveuxbienlespartager,pourtant,non?Leregardqu’illuiadressadisait«Oui»,etpeut-êtremêmeplus.Elleeutenviedelegraverà
jamaisdanssamémoire.—Reste,répéta-t-elle.Onrêveraensemble.Onferapleindeprojetsqu’onfoireramaiscen’est
pasgraveparcequ’alorsonenferad’autreset,siçanemarchepas,ehbien,onenferaencore!Etons’inventerapleindenouveauxrêvesetilsserontbeauxparcequ’onseratouslesdeux.
Lepoidsquioppressaitsapoitrineétaitsifortqu’elleenavaitpresquedumalàrespirer.Romain caressa lesmèches de son front, puis pencha la tête pour embrasser sa tempe, puis…
s’arrêtajustedevantseslèvres,qu’elleposasurlessiennesdansunbaiserbrûlant.—Dis…Ellevoulaitluidemanderdedire«Oui»,maisellecraignaitqu’illuiopposesonsilence.—Dis«Peut-être»,réclama-t-elle.Illuisourit.—«Peut-être»,alors.
Dejoie,elleseredressapours’asseoirsurlui.Enremarquantl’étatdusol,elleeutunaccèsderire.Leparquetétaitcomique:pleindetraînéesdecouleursmélangées,detachesetdemarquesdemains,degenouxetdetouteslestracesduesàleursmouvements.
—Ceseraitbiendelelaissercommeça.LeriredeRomainsonnacommeleplusmerveilleuxdessonsàsonoreille.—Onferaposerunevitredessus,ajouta-t-elle,consciented’utiliserle«on».—Pournepasoublier?—Pournejamaisrienoublierdenous.Lorsqu’ellereportasonattentionsurlecorpsdeRomain,ellesouritendétaillanttouteslestraces
depeinturequilerecouvraient.—Jeneveuxmêmepassavoiràquoijeressemble,dit-elle.LesyeuxdeRomainpétillèrent.—Sijetedis«Unebelleœuvred’art»,tumecrois?—Non.Ileneutunsourireamusé.Puisillafitsereleveretlapritparlamain:—Viens.Ellelesuivitàl’extérieur.Ilsdescendirentleperron,marchèrentdansl’herbe,puisatteignirent
leborddelarivière.—Prête?Seslèvress’étirèrent.—Oui.Et ils sautèrentensemble,maindans lamain,offrantà l’eauvive lesdernières tracesde leurs
ébats.Lorsqu’ellesentitsesbrass’enroulerautourd’elle,sachaircontrelasienneetlachaleurdeson
corps contrastant avec la fraîcheur de l’eau, son cœur se gonfla de nouveau. Que ce sentimentformidablenerefluejamais,surtout.
Ilsfinirentdel’autrecôtédelarivière,assissurlapierrechaude.Satêtereposaitcontrel’épauledeRomain,etleursdoigtss’étaiententremêlés.
—Dis«Oui»,demanda-t-elle.Pasjuste«Peut-être»:«Oui.»Romainfrottadoucementsonfrontcontresatempe.Ellerelevalevisageverslui.—«Oui»,luidit-il.Alors,ellelecontemplacommeellel’avaitfaitlapremièrefois,lorsqu’ill’avaitaidéeàdégager
savoitureets’étaitdébarrasséde labouesoussonregard.Lafascinationqu’elleéprouvaitpour luin’avait pas changé, mais un autre sentiment s’y était ajouté, un sentiment dont la profondeur lastupéfiait.
—Romain…—Quoi?Ellepritunepetiteinspiration.—Tuveuxmefaireunbébé?Illuiadressaleregardleplustendrequisoit,brillantet,enmêmetemps,rieur.—Charlie,dis-moi…Tuestoujoursaussidirecteouc’estuntraitementdefaveur?Et,commeelleluirépondaitd’unsourire,ill’embrassapassionnément,puislasaisitparlataille
etl’entraînadansl’eau.Leurséclatsderirerésonnèrentjusqu’enhautdelafalaise.
Notedel’auteur
Généralement, je n’intègre pas dans mes histoires des éléments personnels, même s’il y atoujoursunpeudemoi-mêmedansmesécrits.Pourcetexte,j’aieuenviedereprendreunetramequej’avaisdessinéeauparavantetque,depuis,j’avaisgardéeentête,avecl’enviedelapoursuivre.C’étaitl’une de mes idées abandonnées pour le Salon du livre 2015 (si vous trouvez quelques pointscommunsentreCharlie etLiz, ilsviennentde là).A l’origine, j’avaisdoncpensécentrer l’intrigueautourd’unemaisonbrésiliennemais,cettecaractéristiquegéographiquen’ayantpluslieud’être,j’aiensuitedécidédelalocaliserdansuneautrerégion:unerégionquejeconnaistrèsbienetdontj’aimetoutparticulièrementlecôténaturel,larégionoùjevis.
Le lieudécritdanscettehistoireexistedonc. Ilestpeu loindechezmoiet jevaisparfoisme
baignerdans lecoin.LamaisondeCharlieestvraiment tenueparunecommunautéquiyvenddesproduitsbiologiques, faitmaisond’hôtesetorganisedeschantiersde jeunes.M.Zitterexisteaussi,Mme Sabatier est issue de plusieurs grands-mères dema connaissance (même si j’ai changé leursnoms,biensûr),etCharlieetRomainappartiennenttousdeuxàdeuxtypesdepersonnesquel’onpeutcroiserparchezmoi:unepopulationrurale,représentéeparRomain,etunegénérationpostbabacool,représentée par Charlie. Toutes deux s’entendent ou s’affrontent, parfois, et j’ai eu envie deretranscriretoutcela:passeulementlesbeauxpaysages,maisaussicesgens-là,quiaimentlanatureetseconstruisentdesrêvessouventplusjolislesunsquelesautres…J’aivouluraconterunehistoirequidonneenviedeplongertoutentierdansl’eauetdesuivresonenviedel’instant!
QuantàRomain,sonhistoireestdirectementinspiréeparcelledel’undemesamis.Cette nouvelle lui est donc dédiée, avec l’espoir qu’il puisse un jour tomber sur une petite
Charliequileferarevenirsursesrésolutionsdecélibataireendurci!
HarlequinHQN®estunemarquedéposéeparHarlequinS.A.
©2016HarlequinS.A.
Conceptiongraphique:AliceNussbaum
Fotolia/blackday
ISBN9782280360418
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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