l'eirl et la notion de patrimoine d'affectation
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UNIVERSITE DE DROIT, SCIENCE POLITIQUE, ECONOMIE, GESTION, EDUCATION
MONTESQUIEU-BORDEAUX IV
FACULTE DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE
L’EIRL ET LA NOTION DE
PATRIMOINE
D’AFFECTATION
Sous la direction de Monsieur le Professeur Guillaume Wicker
Mémoire présenté par Mademoiselle Mylène Cagnon dans le cadre du
Master II Droit privé approfondi : parcours droit civil,
dirigé par Monsieur le Professeur Guillaume Wicker
Année Universitaire 2010-2011
II
REMERCIEMENTS
Qu’il me soit permis d’exprimer ma reconnaissance et de
présenter mes plus vifs remerciements à Monsieur le
Professeur Guillaume Wicker pour son écoute, les conseils
qu’il a su m’apporter afin d’améliorer ma réflexion ainsi
que son aide précieuse tout au long de la réalisation de ce
mémoire.
Je tiens également à remercier toute l’équipe
pédagogique du Master II Droit privé approfondi ainsi que
tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à
l’élaboration de ce mémoire de par leur apport intellectuel
ou leur soutien.
III
ABREVIATIONS
Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.
Cass. Cour de cassation.
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Defrénois Répertoire du notariat Defrénois.
EIRL Entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
EURL Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.
EARL Exploitation agricole à responsabilité limitée.
JCP E. La semaine juridique, édition entreprise.
JCP G. La semaine juridique, édition générale.
JCP N. La semaine juridique, édition notariale et immobilière.
JOCE Journal officiel des communautés européennes.
JORF Journal officiel de la République française.
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence.
Rép. Civ. Encyclopédie Dalloz (Répertoire civil).
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil.
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial.
SARL Société à responsabilité limitée.
IV
SOMMAIRE
Partie I. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION DE L’EIRL.
Titre I. Les particularités de l’organisation de l’affectation des biens par
l’EIRL.
Chapitre I. L’encadrement strict de l’affectation des biens.
Chapitre II. Les incertitudes sur les contreparties à l’affectation.
Titre II. Les particularités de l’organisation de la gestion du patrimoine affecté.
Chapitre I. Les particularités du mode de gestion du patrimoine affecté de l’EIRL.
Chapitre II. Les particularités des mutations du patrimoine d’affectation.
Partie II. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION DE RESPONSABILITE.
Titre I. La limitation du risque d’entreprise.
Chapitre I. La stricte détermination du gage des créanciers en présence d’un patrimoine
affecté in bonis.
Chapitre II. La limitation des risques supportés par l’entrepreneur individuel en cas de
difficultés financières
Titre II. Le maintien d’une responsabilité minimale de l’entrepreneur
individuel en qualité de gérant.
Chapitre I. L’engagement de la responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel dans le
droit des entreprises en difficulté.
Chapitre II. La recherche d’un principe général de responsabilité personnelle de
l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté.
V
« (…) d’autant que les hommes oublient plus volontiers
la mort de leur Père que la perte de leur patrimoine1 »
Nicolas MACHIAVEL
1 N. Machiavel. Le prince. Amsterdam : H. Wetstein, 1684, Traduit & commenté par A. N. Amelot, Sieur de la
Houssaie, Chapitre XVIII « De la cruauté et de la clémence et s’il vaut mieux être aimé que craint », p. 155.
1
1. « Protection et Crédit ! », tel aurait pu être le slogan des entrepreneurs réclamant
d’autres moyens que le recours à la technique sociétaire pour limiter leur responsabilité. Si
l’un est difficilement compatible avec l’autre, c’est pourtant à cette revendication que le
législateur a tenté de répondre par la loi n° 2010-658 du 15 Juin 2010 créant l’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée.
L’EIRL est défini par le nouvel article L 526-6 du Code de Commerce, inséré dans la
section II du Chapitre II du Livre V du Titre II du Code de Commerce, intitulé « De la
protection de l’entrepreneur individuel et du conjoint ». Cette création ressemble fortement à
l’entreprise personnelle à responsabilité limitée, proposée il y a plus de trente ans par
Monsieur Champaud2, dont le cœur du dispositif reposait sur la détermination de masses
patrimoniales distinctes, chacune répondant d’un passif spécifique.
2. De prime abord, l’EIRL semble être une technique d’organisation du patrimoine
professionnel au même titre que toute société ou que le statut d’auto-entrepreneur. Pourtant,
sa finalité première est de protéger les biens personnels de l’entrepreneur individuel et de son
conjoint des risques inhérents à l’activité d’entreprendre. Le rapport Xavier de Roux3 ainsi
que le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée4 mettent en
exergue l’idée selon laquelle l’EIRL doit constituer un palliatif de l’EURL ainsi que de la
déclaration d’insaisissabilité dans la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur.
Cette volonté fait suite à l’échec que le législateur a rencontré dans ses différentes
tentatives de limitation de la responsabilité des entrepreneurs. Quatre d’entre elles ont
particulièrement marqué notre droit. D’abord l’EURL et l’EARL, créées par la loi n° 85-697
du 11 Juillet 1985. Ces versions unipersonnelles de la SARL avaient pour objectif de
permettre aux entrepreneurs de créer une société dont le risque était limité à leurs apports. A
l’époque, la société unipersonnelle avait été préférée au patrimoine d’affectation. Pour les
détracteurs du patrimoine d’affectation, son institution était contraire à la règle de l’unité du
2 C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier
l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579. 3 Remise du rapport de Xavier De Roux : La création d’un patrimoine d’affectation à Hervé Novelli, Secrétaire
d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, Des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme et des Services, 5
Novembre 2008,http://www.minefe.gouv.fr/fonds_documentaire/archives/dossiersdepresse/somdp0309.htm: « 5-
L’affectation d’un patrimoine à une activité peut apparaître comme un facteur de sécurité et de limitation du
risque entrepreneurial », consulté le 8 Juillet 2011. 4 Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27
Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr: « 4.1 : Grâce à cette mesure, les entrepreneurs pourront
mettre leur patrimoine personnel à l’abri des poursuites des créanciers professionnels. Une telle séparation des
patrimoines devrait encourager l’esprit d’entreprendre chez les petits entrepreneurs », consulté le 8 Juillet 2011.
2
patrimoine5. De plus, la 12
ème directive du Conseil des communautés européennes
6 favorisait,
selon eux, la création des sociétés unipersonnelles7. Mais surtout, le recours à ces sociétés
permettait de réaliser une économie de moyens non négligeable puisqu’il suffisait d’adapter
les textes de la SARL à l’unicité d’associé caractéristique de l’EURL. Ainsi, les rapports entre
patrimoine personnel et patrimoine de l’EURL étaient déjà réglés ; il n’y avait donc pas
besoin de construire un régime entier8 contrairement à ce qui aurait été le cas avec l’institution
d’un patrimoine affecté. Avec la société unipersonnelle, les entrepreneurs individuels devaient
disposer d’une structure qui leur permettait de limiter réellement leur responsabilité, de mieux
gérer leur entreprise ainsi que de mieux pouvoir la transmettre9. Pourtant, ces sociétés n’ont
pas recueilli leurs faveurs10
. Le projet de loi relatif à l’EIRL dégage quatre raisons expliquant
cet échec. Outre l’obstacle constitué par les obligations de comptabilité et le formalisme
imposé lors de la constitution de l’EURL, il serait dû à la mauvaise communication du
gouvernement sur les assouplissements de son régime ainsi qu’au fait que les entrepreneurs
individuels rechignent à créer une personnalité morale distincte pour l’exercice de leurs
activités entrepreneuriales et ce d’autant plus que ces activités ne connaissent pas une
croissance avancée.
Au vu du manque d’engouement pour l’EURL, fût crée le dit « bénéfice de
discussion » par la loi « Madelin » n° 94-126 du 11 Février 1994. Cette technique permet à
l’entrepreneur individuel qui souhaite obtenir un crédit pour son activité professionnelle ou
qui est menacé de saisie pour une dette contractuelle professionnelle d’orienter la prise de
garantie ou l’exécution forcée sur les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise.
Cependant, elle a aussi connu un succès plus que relatif puisqu’en l’utilisant, l’entrepreneur
sauvegardait son patrimoine personnel mais mettait en péril ses moyens d’exploitation,
risquant alors d’être obligé de cesser son activité professionnelle11
.
5 P. Dupichot. L’unicité du patrimoine aujourd’hui.- Observations introductives in JCP N 2009, n° 52, p.1356.
6 Directive n° 89/667 du 21 Décembre 1989, JOCE n°I. 395, p. 41 du 30 Décembre 1989.
7 D. Lecomte. L’EURL : Structure d’organisation de l’entreprise. Paris : L’Harmattan, 2004, p. 26.
8 J-D. Bredin. Au-delà de l’E.U.R.L. ? in Cahiers du droit de l’entreprise, 1990, n°1, p24 – P.Serlooten.
L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée in Recueil Dalloz 1985, p. 187. 9 D. Lecomte. L’EURL : Structure d’organisation de l’entreprise. Paris : L’Harmattan, 2004, p. 18 : « Il
s’agissait d’organiser une protection patrimoniale au profit de l’entrepreneur individuel et, par contrecoup, de
mettre un terme la mise en place de sociétés pluripersonnelles de façade. Ensuite, l’individualisation de
l’entreprise devait permettre d’en faciliter la transmission et, ainsi, de la pérenniser ». 10
Remise du rapport de Xavier De Roux. op. cit. : « en 2007, la moitié des créateurs d’entreprise ont choisi
l’activité individuelle, 35% la SARL, 11 % l’EURL et 2% la SAS ». 11
F. Pérochon. L’efficacité des mécanismes de prévention des risques : l’EIRL in Revue des procédures
collectives, Novembre 2010, n°6, dossier 5, préc. n° 3.
3
A alors été créée la déclaration d’insaisissabilité par la loi « Dutreil » n° 2003-721 du
11 Août 2003, modifiée par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie du 4 Août
2008. Cette déclaration permet à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissables par ses
créanciers professionnels, sa résidence principale ainsi que tout bien foncier, bâti ou non, et
qui n’est pas affecté à un usage professionnel. Si ce dispositif fût bien accueilli sur le plan des
principes, rares sont les entrepreneurs qui y ont eu recours. Comme raisons de cet échec sont
avancées une nouvelle fois le formalisme et le coût de réalisation de la déclaration mais
également le fait que tous les entrepreneurs ne disposent pas d’un patrimoine immobilier et
que, lorsqu’ils en possèdent un, il sert souvent de garantie aux bailleurs de fond12
. Enfin,
certains arguaient de ce que la déclaration d’insaisissabilité, comme elle ne concerne que les
biens fonciers, ne permettait pas de mettre l’ensemble du patrimoine personnel de
l’entrepreneur à l’abri de poursuites de ses créanciers professionnels.
En dernier lieu, la fiducie a semblé être un moyen efficace de limiter la responsabilité
des entrepreneurs individuels sur leur patrimoine personnel. Créée par la loi n° 2007-212 du
19 Février 2007 et modifiée par la loi LME, l’article 2011 du Code Civil la définit comme
« l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des
sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs
fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé
au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Toutefois, le fait que l’article 2025 alinéa 2 du
même code permette aux créanciers, sauf clause contraire, de retrouver leur droit de gage sur
le patrimoine du constituant en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire a constitué un frein
à son développement comme moyen d’exploitation des entreprises individuelles. Cette
technique est alors, depuis sa création, plus utilisée pour la constitution de sûretés.
3. Les outils de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne
manquent donc pas. Mais, c’est leur échec qui aurait motivé le législateur en créer un nouvel.
Avec l’EIRL, le législateur a voulu créer une protection plus globale du patrimoine des
entrepreneurs individuels. Sa volonté était double. D’une part, il voulait conserver le but qu’il
s’était donné, à savoir protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel en
l’isolant du droit de poursuites de ses créanciers professionnels. D’autre part, il a voulu
s’extraire de la technique sociétaire pour y parvenir et recourir à la technique du patrimoine
12
Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27
Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011.
4
d’affectation ; technique a priori dérogatoire à notre conception subjective du patrimoine déjà
induite par la fiducie mais non réellement développée en droit des entreprises.
4. Etudier l’EIRL, après l’avoir replacé dans son contexte historique, nous amène donc à
envisager plus précisément la notion de patrimoine d’affectation. L’EIRL est une
dénomination et non une structure d’entreprise. En réalité, il est fondé sur la technique de
l’affectation patrimoniale. Pour comprendre cette notion de « patrimoine d’affectation », il
convient d’abord définir le patrimoine. Le mot patrimoine tire son origine du latin
patrimonium, issu lui-même de pater, le père13
. Selon le dictionnaire Robert14
, le patrimoine
est l’ensemble des biens de famille, des biens que l’on a hérités de ses ascendants. Le
patrimoine, au sens commun, semble donc être rattaché à une personne ou une famille. Mais,
il nous faut nous attacher à une définition plus juridique de ce terme. Le patrimoine peut alors
prendre plusieurs acceptions15
. Strictement, il s’agit de l’ensemble des biens et des obligations
d’une même personne ( c'est-à-dire l’ensemble de ses droits et charges appréciables en
argent), de l’actif et du passif envisagé comme formant une universalité de droit, un tout
comprenant non seulement ses biens présents mais aussi ses biens à venir. Cependant, il peut
également être le nom donné à certaines masses de biens soumises à une affectation spéciale
ou à un régime particulier.
5. Ces deux définitions nous ramènent aux différentes conceptions de la théorie du
patrimoine : la première renvoie à la traditionnelle conception subjective du patrimoine
développée par Charles Aubry et Charles Rau et la seconde fait écho aux théories allemandes
du patrimoine d’affectation. Il faut toutefois noter que ces conceptions ne se sont pas
développées simultanément. D’un point de vue historique, la théorie des patrimoines
d’affectation est venue en réaction à la théorie subjectiviste du patrimoine.
D’après Aubry et Rau, le patrimoine était nécessairement rattaché à une personnalité
juridique. Toute personne avait obligatoirement un patrimoine et un seul. Cette théorie était
généralement présentée dans le triptyque « unicité, unité et indivisibilité du patrimoine16
». De
13
Voir sur ce point : A. Sériaux. Patrimoine in Rép. Civ., 2010. 14
Le grand Robert de la langue française. Paris : Dictionnaires le Robert, 2001, voir patrimoine. 15
G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir patrimoine. 16
Voir sur ce point : R. Lichaber. Eclairage. Feu la théorie du patrimoine in Bulletin Joly Sociétés, 1er
Avril
2010, n° 4, p. 316 − J-L. Pierre. L’entreprise à patrimoine affecté : la résurgence d’un serpent de mer in JCP E
2009, n°51, p. 2184 : pour qui le postulat d’Aubry et Rau selon lequel « le patrimoine est l’émanation de la
personnalité, l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie » induit trois
conséquences fondamentales : « Tout d’abord, seule une personne, physique ou morale peut détenir un
patrimoine. Ensuite, toute personne possède nécessairement un patrimoine, même si elle ne détient présentement
5
là ils déduisaient que le patrimoine était incessible par son titulaire. Cette conception
subjective du patrimoine était tirée d’une interprétation particulière de l’article 2284 du Code
Civil (ancien article 2092). Le patrimoine rendait la personne économiquement responsable
de ses actes depuis l’interdiction de l’exécution des obligations sur le corps du débiteur lui-
même. Leur théorie est alors apparue comme la précision voire même la radicalisation de la
théorie développée par Zachariae ; théorie selon laquelle le patrimoine d’une personne est
l’universalité juridique de tous les objets extérieurs qui lui appartiennent.
Réagissant contre une telle position jugée extrême17
, certains auteurs ont développé
des théories du patrimoine d’affectation. Il s’agit notamment de Brinz et Bekker, auteurs
allemands de la théorie des patrimoines sans sujet, dits « Sondervermögen » et
« Zweckvermögen »18
. Selon eux, le patrimoine est totalement autonomisé de la personne
juridique à laquelle il appartient. Il devient alors son propre but. Mais, cette théorie est elle
aussi apparue comme trop radicale pour pouvoir être intégrée dans les droits positifs de
l’époque. Fût alors développée la théorie du patrimoine d’affectation. « Cette conception
assigne une affectation comme base au patrimoine mais repousse l’idée de droits privés d’un
sujet actif19
». Cette position a été développée en droit français par Gazin. Pour lui, « le
patrimoine existe quand il y a une affectation d’une masse de biens à un but20
». Mais,
l’affectation doit présenter certains critères : il faut un but nouveau autour duquel se rangent
des valeurs positives et négatives concourant à titre quelconque à la réalisation de ce but. Un
tel but doit alors présenter un caractère positif et ne pas être l’accessoire d’un autre but dont il
facilite l’accomplissement ou auquel il cède sa place. Cette théorie nécessitait cependant,
selon Monsieur Guinchard, des améliorations car Gazin ne donnait pas le but capable de
rendre assez fort le but pour lui permettre de donner naissance à une universalité juridique21
.
6. Le point commun de l’ensemble des théories du patrimoine d’affectation est que,
comme elles se sont construites en réaction à la théorie de l’unicité du patrimoine, elles n’ont
fait qu’envisager la possibilité théorique d’un patrimoine affecté sans jamais en définir le
régime. Or, il semble que notre législateur se soit inspiré de la conception du patrimoine
aucun bien, car elle reste apte à en acquérir ultérieurement. Enfin, ayant une seule personnalité, une personne
ne peut détenir qu’un seul et unique patrimoine ». 17
J-L. Pierre. L’entreprise à patrimoine affecté : la résurgence d’un serpent de mer in JCP E 2009, n°51, p. 2184,
préc. n°11. 18
Ces termes signifient respectivement « patrimoine séparé » et « patrimoine but ». 19
S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome
CXLV, préf. R. Nerson, p. 334, préc. n° 388. 20
Ibidem. 21
Ibidem. p. 335, préc. n° 389.
6
affecté pour créer l’EIRL puisque, comme l’énonce l’article L 526-6 du Code de Commerce,
l’entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle – but nouveau, positif et
non-accessoire -, un patrimoine séparé de son patrimoine personnel et ce, sans création d’une
personne morale. Outre cette qualification légale de « patrimoine affecté », l’EIRL est bien un
patrimoine d’affectation puisqu’il constitue une masse de biens autonome destinée à un but
particulier. Si son introduction en droit français n’est pas un problème car il est établi depuis
longtemps que la théorie du patrimoine d’affectation n’est pas incompatible avec celle
d’Aubry et Rau, le problème est que la loi du 15 Juin 2010 est plus qu’avare en précisions sur
le régime de l’EIRL ; en témoigne le faible nombre d’articles qu’elle contient et le renvoi à
une ordonnance pour régler l’articulation avec le droit des procédures collectives.
7. En présence d’un régime juridique paraissant mal défini, et sans possibilités de
s’inspirer des différentes théories du patrimoine d’affectation, nous pouvons nous demander
comment il sera possible d’en combler les lacunes. La thèse sur l’affectation des biens en
droit privé de Monsieur Guinchard22
n’apparait que d’une utilité relative puisqu’elle ne définit
pas le régime juridique du patrimoine d’affectation. En effet, l’auteur a tenté de construire une
théorie générale de l’affectation. Pour cela, il a d’abord recherché les buts de l’affectation
pour en définir le domaine. Ensuite, il a recherché les techniques permettant d’affecter les
biens pour en déduire le régime juridique de l’affectation. Toutefois, les régimes juridiques
mis en exergue ne sont pas celui d’un « patrimoine d’affectation » mais ceux des techniques
utilisées pour affecter telles que l’indisponibilité ou l’insaisissabilité. La thèse de Monsieur
Guinchard, si elle ne peut pas directement permettre de combler les lacunes du régime de
l’EIRL, pourrait donc être utile s’il apparaissait que les techniques utilisées pour réaliser
l’affectation au patrimoine de l’EIRL soient celles analysées par l’auteur.
Une autre source d’inspiration pourra être le droit comparé. En effet, le patrimoine
d’affectation est connu d’autres droits en Europe et outre Manche tels que les droits belge,
allemand ou québécois. D’ailleurs, ces possibilités d’utiliser le patrimoine d’affectation pour
exploiter une entreprise cohabitent souvent avec la possibilité de recourir aux sociétés
unipersonnelles dans le même but. Au Portugal, « L’estabelecimento individual de
responsabilidade limitada ou E.I.R.L. (L’établissement individuel à responsabilité limitée) »
constitue un patrimoine autonome sans personnalité juridique doté d’un régime spécifique et
22
S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome
CXLV, préf. R. Nerson, p. 315 à 319 : sur la nature juridique de l’affectation des biens.
7
coexiste avec la société unipersonnelle à responsabilité limitée23
. Ces structures sociétaires
étrangères fondées sur l’affectation patrimoniale sont donc toutes dotées d’un régime
juridique dont il sera possible de s’inspirer pour combler les lacunes du régime de l’EIRL.
Enfin, il serait possible de s’inspirer du droit des sociétés, à supposer qu’une société
soit également fondée sur une affectation patrimoniale. Nous pourrions alors raisonner par
analogie par rapport au droit des sociétés unipersonnelles ; ce qui expliquerait par ailleurs les
nombreuses références faites par le législateur au droit des sociétés.
8. Il n’existe donc pas un régime juridique de référence établi pour combler les lacunes
de celui de l’EIRL mais plusieurs régimes juridiques dont il sera possible de s’inspirer.
Malgré cette absence, peut-être est-il possible de déduire le régime juridique de la notion
même de patrimoine d’affectation. Cette question du régime juridique apparait comme
cruciale puisque ce n’est qu’en définissant ce régime qu’il sera possible de savoir si l’EIRL
est à même de permettre l’exploitation de l’entreprise d’un entrepreneur individuel tout en
limitant sa responsabilité à son patrimoine professionnel.
9. Nous pouvons alors nous demander si la notion de patrimoine d’affectation
permet d’atteindre les objectifs fixés à l’EIRL tout en comblant les lacunes de son
régime.
10. En créant l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, le législateur n’a pas voulu
créer une nouvelle structure d’entreprise. Il a voulu donner un moyen efficace aux
entrepreneurs individuels de limiter le risque d’entreprise à leur seul patrimoine professionnel
tout en s’extrayant de la lourdeur et du formalisme reproché aux structures sociétaires. Or, il
apparait que la notion de patrimoine d’affectation ne soit capable de répondre que
partiellement à de telles attentes tout en comblant les lacunes du régime de l’EIRL.
11. Un tel constat peut être démontré qu’il s’agisse de l’organisation du patrimoine affecté
de l’EIRL (Partie I) ou de son but : la limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel
(Partie II).
23
N. Ezran-Charrière, L’entreprise unipersonnelle dans les pays de l’Union Européenne, LGDJ 2002,
Bibliothèque de droit privé, Tome 273, préf. J. Foyer, p. 65, préc. n° 59.
8
PARTIE I : PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION
DE L’EIRL.
12. Pour savoir si le recours à l’EIRL est préférable à la technique sociétaire, il nous faut
commencer par faire un parallèle entre les deux institutions dans leur organisation. Cela nous
permettra de démontrer que si l’EIRL présente certaines particularités dans l’organisation de
l’affectation des biens (Titre I) mais aussi dans la gestion du patrimoine affecté ainsi crée
(Titre II), ces particularités ne semblent pas jouer en la faveur de l’entrepreneur individuel car
le patrimoine affecté crée reste une structure dont la constitution requiert un formalisme accru
et dont la gestion et l’évolution sont incertaines au vu des lacunes de son régime juridique.
TITRE I. LES PARTICULARITES DE L’ORGANISATION DE
L’AFFECTATION DES BIENS PAR L’EIRL.
13. L’affectation des biens au patrimoine de l’EIRL présente deux particularités par
rapport à l’apport de biens aux patrimoines sociétaires. Si ce dernier est quasiment libre de
toute contrainte, l’affectation des biens au patrimoine affecté de l’EIRL, elle, est strictement
encadrée (Chapitre I). Egalement, alors que la constitution d’une société, même
unipersonnelle, donne lieu à une contrepartie intégrant le patrimoine du constituant, de
nombreuses incertitudes sur les contreparties à l’affectation pèsent encore concernant l’EIRL
(Chapitre II).
CHAPITRE I. L’ENCADREMENT STRICT DE L’AFFECTATION DES
BIENS.
14. Selon les débats parlementaires, une des causes de l’échec des sociétés unipersonnelles
était le formalisme et le coût de leur constitution. Le recours à la notion de patrimoine
d’affectation était alors présenté comme salvateur de ce problème. Or, l’étude du régime de
l’EIRL permet de conclure que le contenu du patrimoine affecté est fortement encadré
(Section I) et que les modalités de l’affectation le sont également puisque le respect d’un
certain formalisme s’impose comme une condition de l’efficacité de cette affectation (Section
II).
9
Section I. L’encadrement du contenu du patrimoine affecte.
15. Aux premiers abords, sociétés et EIRL semblent être fondés sur une même notion :
celle du patrimoine d’affectation (§1). Cela pourrait laisser penser que ces deux institutions
sont identiques donc que le recours à l’EIRL ne permet aucun progrès. Or, les règles de
constitution du patrimoine affecté de l’EIRL démontrent que la liberté d’affecter est plus
restreinte lorsqu’il s’agit de le constituer plutôt que lorsqu’il s’agit de constituer une société
unipersonnelle (§2). L’EIRL apparaît alors plus contraignant qu’une société à constituer.
§1. L’affectation, notion commune aux patrimoines sociétaires et au patrimoine
d’affectation de l’EIRL.
16. Patrimoine affecté de l’EIRL et patrimoines sociétaires semblent être sous-tendus par
une notion identique : celle d’affectation. En effet, ces deux patrimoines sont affectés à un but
similaire (A) et les actifs pouvant y être affectés sont de même nature (B).
A. Une véritable affectation au même titre que tout patrimoine sociétaire.
17. L’affectation est la destination de biens à un usage déterminé. Elle n’a donc en elle-
même qu’un caractère positif24. Ce caractère est partagé par le patrimoine de l’EIRL et celui
des sociétés. Outre la qualification légale de patrimoine d’affectation, l’article L 526-6 alinéa
1 du Code de Commerce25
laisse apparaitre l’idée qu’une masse de biens, « le patrimoine »,
est réservée à un usage déterminé, en l’occurrence l’activité professionnelle choisie par
l’entrepreneur. Une fois son patrimoine affecté constitué, il ne pourra plus en utiliser les actifs
que pour exercer son activité. Une telle affectation se retrouve au sein des patrimoines
sociétaires. De l’article 1832 alinéa 1 du Code Civil26
nous déduisons que, pour constituer une
société, il faut réserver une masse de biens à une activité qui sera définie dans son objet
social27. Patrimoine de l’EIRL et patrimoine sociétaire sont donc biens des patrimoines
d’affectation. Mais, outre ce constat, il est surtout notable que l’affectation de ces patrimoines
est elle-même fondée sur un intérêt identique.
24
Elle n’implique qu’une affectation passive mais pas forcément de corrélation avec le passif. Cette corrélation
découle de la nature d’universalité juridique du patrimoine affecté. Cf. infra n° 48 25
Article L 526-6 alinéa 1 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité
professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ». 26
Article 1832 du Code Civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un
contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de
profiter de l’économie qui pourra en résulter ». 27
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 138, préc. n°246 : sur la
distinction entre patrimoine social et capital social. Il nous faut noter que toutes les sociétés possèdent un
patrimoine même si pour certaines, telles l’EURL, aucun capital social minimal n’est exigé.
10
18. L’article L 526-6 alinéa 1 du Code de Commerce précise que l’affectation se fait à
« l’activité professionnelle » et l’article 1832 alinéa 1 du Code Civil que l’apport se fait « à
une entreprise commune ». Or, dans les faits, cette entreprise résulte souvent d’une activité
professionnelle. Dans les deux cas, l’activité professionnelle est donc bien l’intérêt qui sous
tend l’affectation et permet d’unifier les biens de la masse entre eux. Nous pourrions opposer
l’argument selon lequel la société a pour première finalité l’exploitation d’une activité alors
que l’EIRL ne constitue qu’une technique de limitation de responsabilité. Mais, cet argument
ne serait pas valable puisqu’il se fonde sur la finalité de l’affectation et non sur sa cause.
L’affectation est une technique pouvant être utilisée à des fins différentes et réalisée par des
moyens différents. Mais, qu’il s’agisse de la société ou de l’EIRL, sa cause est identique : la
masse de biens est réunie au regard d’une certaine activité professionnelle.
19. Par conséquent, si les finalités de la société et de l’EIRL diffèrent, leurs patrimoines
restent fondés sur la même notion d’affectation. Nous pouvons alors nous demander ce qui les
différencie réellement. Cette interrogation paraît d’ailleurs être renforcée par le fait que les
actifs potentiellement « affectables » à ces patrimoines sont de même nature.
B. L’identité de la nature des actifs « affectables » à l’EIRL et aux sociétés.
20. Qu’il s’agisse du patrimoine de l’EIRL ou de celui des sociétés, il n’existe aucune
restriction quant aux actifs qu’il est possible d’y inclure. Cependant, des doutes existent quant
aux manières de les y inclure.
21. Si les formules utilisées sont différentes, dans les faits, les actifs des patrimoines
sociétaires et de l’EIRL pourront être de même nature. En matière de sociétés, il est possible
d’effectuer trois types d’apports. L’apport en numéraire ou de somme d’argent. L’apport en
industrie qui permet à un associé d’apporter son savoir-faire. Enfin, l’apport en nature qui est
l’apport d’un bien corporel ou incorporel autre que de l’argent ou l’industrie. Concernant
l’EIRL, le patrimoine est composé des « biens, droits, obligations ou sûretés dont
l’entrepreneur est titulaire 28
». Lors du projet de loi, ces actifs étaient présentés selon la
trilogie «biens, droits ou sûretés » que l’on retrouve en matière de fiducie à l’article 2011 du
Code Civil29. A cette trilogie, l’Assemblée nationale a ajouté les « obligations »
30. Les
28
Article L 526-6 du Code de Commerce. 29
T. Revet. Introduction in Droit et patrimoine, Avril 2010, n°191, p. 58 et 59 : selon lui, cette formule peut faire
l’objet des mêmes critiques que celle portées à la fiducie lors de sa création ; à savoir qu’un patrimoine ne
comporterait que des biens, les droits comme les sûretés étant des biens.
11
formules décrivant la composition des patrimoines sociétaires et du patrimoine de l’EIRL ne
sont donc pas identiques. Pourtant, elles recouvrent la même réalité. L’affectation de biens au
patrimoine de l’EIRL peut correspondre à un apport en numéraire ou à un apport de biens
corporels et l’affectation de droits, sûretés ou obligations à un apport en biens incorporels.
Enfin, l’apport en industrie est également présent puisqu’il est évident que l’entrepreneur
apportera son savoir-faire. De même sera-t-il possible d’affecter des biens communs ou
indivis à l’EIRL comme à une société même si les modalités de cette affectation pourront
différer, notamment quant aux accords requis des co-indivisaires ou conjoints concernés31
.
22. Quant à la nature des actifs qu’il est possible d’affecter, il y a donc une identité
absolue entre les patrimoines sociétaires et le patrimoine de l’EIRL. Cette identité se retrouve-
t-elle si nous analysons les modalités de l’affectation de ces biens? Il existe trois modes
d’apport à un patrimoine sociétaire. Or, rien dans la loi du 15 Juin 2010 n’interdit à l’EIRL
d’affecter les biens selon ces mêmes modalités. Il faudrait donc en déduire que cela est
possible. Pourtant certains problèmes pourraient en découler. La première manière d’apporter
un bien à une société est l’apport en pleine propriété. Cela ne posera aucun problème en
matière d’affectation au patrimoine de l’EIRL car il s’agit du mode d’affectation normal.
Ensuite, les apports peuvent être faits en jouissance. Il s’agit de la mise à disposition
temporaire de la jouissance d’un bien. En matière d’EIRL, l’affectation en jouissance semble
possible pour l’entrepreneur qui ne voudra pas affecter l’entière propriété de son bien mais
qui voudra simplement pouvoir en jouir en qualité d’EIRL pour son activité. Simplement,
nous pouvons effectuer deux remarques. Si, comme en matière de société, le bien risque
d’échapper à une procédure collective ouverte contre l’EIRL car il n’appartiendra pas au
patrimoine affecté32, nous pouvons douter de l’utilité d’un tel apport qui ne sera aucunement
synonyme de crédit pour les créanciers du patrimoine affecté. De plus, un doute existe sur la
possibilité d’affecter en jouissance un bien nécessaire. La philosophie de la loi est de garantir
un crédit minimum aux créanciers du patrimoine affecté. Nous pouvons donc supposer que les
biens nécessaires devront être affectés en pleine propriété uniquement afin de garantir ce
30
Ibidem : pour lui, ce complément n’avait pas lieu d’être car le patrimoine n’est composé que de biens et non
des dettes qui ne sont que garanties par cette universalité. Nous pouvons cependant rétorquer à cette critique
qu’elle dépend de l’acception du terme « universalité » que nous retenons. Si nous admettons que l’universalité
de droit découle de ce qu’il existe une corrélation entre une masse d’actifs et les dettes nées de cette masse, alors
le patrimoine affecté de l’EIRL peut constituer une universalité de droit comprenant des obligations 31
En matière d’EIRL, l’affectation de biens communs ou indivis au patrimoine affecté nécessitera l’accord du
conjoint ou co-indivisaire ainsi que leur information sur les droits des créanciers du futur patrimoine affecté.
Concernant l’apport à une société, l’associé n’a besoin que d’informer son conjoint pour apporter un bien
commun. Mais, pour apporter un bien indivis, il aura besoin du consentement de son co-indivisaire. 32
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 65et66, préc. n°117.
12
crédit. Enfin, il est possible d’apporter en nue-propriété ou en usufruit des biens à une société.
Encore une fois, rien n’interdit une telle affectation concernant l’EIRL. Toutefois, nous
pouvons douter de la possibilité d’affecter des biens en nue-propriété puisque cela pourrait
être contraire à l’affectation dans le cas où aucune clause n’obligerait l’usufruitier à utiliser
les biens que pour l’exercice exclusif de l’activité professionnelle. De même, l’affectation en
usufruit, si elle semble possible pour les biens simplement utiles, devrait être prohibée pour
les biens nécessaires en raison de la précarité de l’usufruit et du fait que le patrimoine affecté
n’en serait pas pleinement propriétaire. Nous pouvons d’ailleurs nous demander si réaliser ces
affectations problématiques ne constituerait pas une fraude aux droits des créanciers,
sanctionnée par la reconstitution du droit de gage général.
Si, à première vue, les possibilités d’affecter les actifs au patrimoine de l’EIRL sont
les mêmes que celles de réaliser un apport à un patrimoine sociétaire, en réalité, tout dépendra
du caractère nécessaire ou utile du bien à affecter. L’identité de la composition des
patrimoines sociétaire et de l’EIRL est donc relative.
23. Nous pouvons pourtant toujours nous demander ce qui les différencie et donc justifie
qu’on ne puisse appliquer le régime sociétaire à l’EIRL, outre l’exclusion de la personnalité
morale. Il apparait alors que, si l’affectation sous-tend la constitution des deux patrimoines, la
liberté d’affecter n’y est pas la même. Cette différence démontre qu’il existe une différence de
régime entre les deux institutions qui, en réalité, s’explique par leur différence de finalité33
.
§2. La liberté d’affectation, l’opposition de l’affectation du patrimoine de l’EIRL
et des patrimoines sociétaires.
24. Il existe une différence essentielle entre patrimoine sociétaire et patrimoine affecté de
l’EIRL : la liberté d’affecter laissée au constituant. Contrairement aux sociétés, il existe des
contraintes dans les biens à affecter au patrimoine de l’EIRL (A). Cela s’explique alors par la
finalité de l’EIRL qui diffère de celle de la société, même unipersonnelle (B).
A. Les contraintes dans les biens à affecter au patrimoine l’EIRL.
25. La liberté d’affecter n’est pas totale lors de la constitution de l’EIRL. L’article L 526-6
du Code de Commerce donne un rôle différent à la volonté de l’entrepreneur selon la nature
du « bien »34
à affecter. S’il est obligé d’affecter les biens nécessaires, il est libre d’affecter
33
Cf. infra n°28. 34
Nous utiliserons l’expression « biens » pour désigner l’ensemble légal « biens, droits, obligations ou sûretés ».
13
ou non les biens simplement utiles à son activité professionnelle. Que recouvrent ces
expressions ? Si certains auteurs se sont référés aux conceptions du droit fiscal pour les
différencier35
, le sens commun de ces mots suffit pour les comprendre. Les biens nécessaires
peuvent être entendus comme ceux indispensables, sans lesquels l’entrepreneur ne pourrait
exercer son activité professionnelle. Il s’agirait de biens professionnels « par nature36
» car la
volonté de l’entrepreneur ne serait pas à même d’interférer sur leur qualification. Les biens
utiles seraient des biens à usage mixte, à la fois personnel et professionnel. Ces biens seraient
des biens professionnels « par destination37
» car ils constitueraient les accessoires des biens
professionnels par nature que l’entrepreneur pourrait choisir d’affecter ou de ne pas affecter.
Comme l’entrepreneur n’a aucune liberté quant à l’affectation des biens nécessaires, le
patrimoine affecté contiendra forcément des biens professionnels. Mais, comme il retrouve
une liberté totale quant à l’affectation des biens utiles, ce patrimoine ne contiendra pas
forcément tous les biens professionnels ni que des biens professionnels.
Nous pouvons toutefois penser que la catégorie des biens nécessaires doit être
comprise de manière restrictive38. L’admettre trop largement risquerait de vider le patrimoine
non-affecté de toute substance, donc de limiter considérablement l’étendue de la limitation de
responsabilité. Malgré une telle conception, des problèmes pourraient se poser. En effet, les
EIRL exerçant une activité ne nécessitant aucun matériel n’auraient que peu de biens
nécessaires à affecter. Ils pourraient alors créer un patrimoine affecté dépouillé, donc sans
crédit. L’utilité du recours à l’EIRL dépendrait donc de la composition initiale du patrimoine
général de l’entrepreneur. De même, l’affectation des biens nécessaires risque de poser des
problèmes lorsque ces biens seront indivis ou communs car le conjoint ou l’indivisaire pourra
refuser l’affectation en vertu des règles de son régime matrimonial ou de l’indivision39
.
26. La restriction à la liberté d’affecter risque alors de faire naître de nombreux
contentieux à propos de la qualification des actifs à affecter. D’abord, des contentieux relatifs
35
F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée
in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 36
D. Martin. L’affectation d’un patrimoine : constitution du patrimoine in EIRL : L’entrepreneur individuel à
responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 30, préc. n°61. 37
Ibidem, préc. n°62. 38
Ibidem, préc. n° 61. 39
L-C. Henry. EIRL: Quid des biens communs et des biens indivis affectés ? in Revue des procédures
collectives, Mars 2011, n°2, dossier 23, préc. n°s3à5 : l’auteur explique qu’en vertu des règles du régime
matrimonial ou de l’indivision, le conjoint ou l’indivisaire pourrait refuser d’affecter un bien nécessaires à
l’activité professionnelle, empêchant alors la création de l’EIRL. Pour contourner cette difficulté, il serait
possible d’obtenir en justice l’autorisation d’affecter le bien commun en utilisant l’article 217 du Code Civil
dans le cas du conjoint et les articles 815-4 et 815-5 du Code Civil même si, dans ce dernier cas, l’autorisation
sera plus difficile à obtenir car l’affectation augmentera le nombre de créanciers pouvant saisir le bien.
14
à la nature des ces biens. Il s’agirait de questions de fait n’intéressant pas la Cour de
cassation. Toutefois, le choix des juges du fond aura des conséquences pour l’ensemble des
créanciers de l’entrepreneur puisque ce qui sera soustrait au patrimoine affecté intègrera le
patrimoine non-affecté et inversement. Ce choix modifiera donc l’étendue de la limitation de
responsabilité de l’entrepreneur. Mais, des contentieux pourraient également naître à propos
de la sanction portée à la non-affectation de certains biens. En cas de manquement grave à
l’article L 526-6 alinéa 2 du Code de Commerce ou de fraude, l’EIRL sera responsable sur la
totalité de ses biens et droits40
. Ne pas affecter un bien nécessaire à l’activité professionnelle
pourra alors constituer un manquement ou comme une fraude pouvant être sanctionnés. Par
contre, cette sanction semble plus difficilement applicable concernant l’affectation des biens
utiles. Un manquement grave aux règles de l’affectation ou une fraude seront moins aisés à
démontrer à cause de l’intervention de la volonté. Si le choix est laissé à l’entrepreneur
d’affecter ou de ne pas affecter, il semble plus difficile de le lui reprocher. La qualification du
bien aura donc des conséquences indirectes quant à la possibilité d’invoquer ces sanctions.
27. A la différence des sociétés, l’entrepreneur n’est donc pas libre d’affecter comme bon
lui semble n’importe quel bien. L’important est qu’il soit obligé d’en affecter certains. Nous
pouvons nous demander ce qui justifie cette différence. Il semble que ce soit la finalité donnée
à l’EIRL qui permette d’expliquer pourquoi la volonté est encadrée lors de l’affectation.
B. La raison des contraintes : la finalité de l’EIRL.
28. La finalité des sociétés est d’obtenir une structure d’exploitation des entreprises. Ce
n’est qu’en raison de l’absence de statut donné aux entrepreneurs individuels qu’elles ont été
utilisées pour limiter leur responsabilité par le truchement de la personnalité morale41
. Les
sociétés unipersonnelles ont d’ailleurs été créées pour remédier à cette hypocrisie. Mais elles
restent avant tout un mode d’exploitation d’entreprise.
29. Le but premier de l’EIRL, lui, n’est pas d’organiser une activité entrepreneuriale mais
de permettre une limitation responsabilité. Ce but se déduit de l’intitulé même de la loi et du
fait que cette institution ait été expressément présentée comme une technique de limitation de
responsabilité devant faire oublier l’échec de la déclaration d’insaisissabilité et de la fiducie42
.
40
Article L 526-6 alinéa 12 du Code de Commerce. 41
J-J. Daigre. L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée in Petites affiches, 21 Février 1986, n° 23, p.
21. 42
Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27
Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011.
15
Faire de l’EIRL une dérogation aux textes fondant le droit de gage général des créanciers 43
met en exergue le fait que cette institution ait pour vocation de limiter la responsabilité de
l’entrepreneur à une fraction donnée de son patrimoine général. Comme on limite le gage des
créanciers professionnels, il doit avoir une consistance minimale garantie constituée des biens
uniquement consacrés à l’activité professionnelle correspondante. Ainsi les biens nécessaires
sont automatiquement affectés au patrimoine de l’EIRL car ils constituent leur gage minimal.
Par contre, le choix laissé à l’entrepreneur dans l’affectation des biens utiles lui donnera la
possibilité de moduler le gage qu’il entend leur réserver, donc le crédit qu’il veut leur
présenter ainsi que l’étendue de sa responsabilité. Ce dispositif optionnel permet donc de
garantir la finalité de l’EIRL tout en respectant la liberté de l’entrepreneur44
.
30. Il existe donc bien des particularités dans l’organisation de l’affectation du patrimoine
de l’EIRL en raison de l’encadrement strict de son contenu. Cet encadrement trouve sa source
dans la finalité de l’EIRL. Mais, les particularités de l’organisation du patrimoine affecté de
l’EIRL se retrouvent également dans les modalités de l’affectation. Cela va se traduire par
l’obligation de respecter un formalisme très strict afin que l’affectation puisse être efficace.
Section II. Le respect du formalisme, condition de l’efficacité de l’affectation.
31. Il est souvent reproché aux sociétés unipersonnelles le formalisme qu’il faut respecter
pour les constituer. Or, l’EIRL est soumis à un formalisme aussi, si ce n’est plus, strict dans
sa constitution. Cela peut s’expliquer par le fait que société et EIRL soient tous deux des
patrimoines d’affectation. Cette nature nécessite d’une part que les tiers puissent connaitre
l’étendue de l’affectation (§1) et d’autre part que cette affectation leur soit opposable (§2).
Sans cela, l’affectation ne pourrait pas être efficace.
§1. Le formalisme, condition de la connaissance de l’étendue de l’affectation.
32. La création d’un patrimoine affecté a pour but, dans le cas de l’EIRL, de limiter le
gage des créanciers professionnels d’un entrepreneur à ce patrimoine. En contrepartie, ils
43
Article L 526-12 alinéa 6 du Code de Commerce. 44
H. Novelli : « Le patrimoine affecté est un dispositif respectueux de la liberté de l’entrepreneur. Le dispositif
est optionnel […]. Sa composition est laissée pour partie à l’appréciation de l’entrepreneur individuel, qui
pourra choisir d’affecter ou non les biens utilisés pour l’activité professionnelle, mais non nécessaires. Ainsi, le
texte garantit que les biens purement professionnels constitueront le gage des créanciers, tandis que
l’entrepreneur peut moduler une partie de son niveau d’engagement financier » in Rapport n° 2298 de la
commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l’EIRL, 10 Février
2010, http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2298.asp#P164_24569, consulté le 8 Juillet 2011.
16
doivent donc bénéficier d’une certaine protection qui passe par leur connaissance de la
composition du patrimoine affecté mais aussi par la garantie de sa réalité économique.
33. Le patrimoine d’affectation étant une catégorie fermée au contraire du patrimoine non-
affecté qui reste une catégorie ouverte45
, il est nécessaire de pouvoir la déterminer
précisément pour que ses créanciers puissent connaitre exactement ce sur quoi ils pourront
agir et que, par déduction, les créanciers du patrimoine non affecté puissent savoir ce qui leur
reste. Cette connaissance ne peut résulter que d’un formalisme renvoyant à celui qui existe en
matière de sociétés46
. En pratique, le législateur a effectivement mis en place les moyens
nécessaires pour que les créanciers de l’entrepreneur puissent connaitre la composition de ses
patrimoines. L’article L 526-8 du Code de Commerce exige que l’entrepreneur effectue une
déclaration d’affectation comprenant un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés
affectés à l’activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur. Cette déclaration
doit également comprendre la désignation de l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le
patrimoine est affecté. L’affectation d’un immeuble devra se faire par acte notarié publié au
bureau de la conservation des hypothèques47
. Apparait donc bien la volonté de mettre les
créanciers de l’entrepreneur en mesure de connaitre la composition exacte du patrimoine
affecté ainsi que l’activité professionnelle à la base de cette affectation. Cela leur permettra de
critiquer la composition de ce patrimoine si elle n’était pas en accord avec une telle activité..
L’importance des conditions de forme lors de la constitution du patrimoine affecté est donc
réelle. Elle sera d’ailleurs mise en exergue par l’obligation faite à l’entrepreneur de tenir une
comptabilité autonome48
afin d’assurer, en pratique, la séparation théorique des gages réalisée
par la déclaration d’affectation. Mais, outre la connaissance des actifs du patrimoine affecté,
le législateur a aussi cherché à en garantir la réalité économique.
Ainsi, l’article L 526-10 du Code de Commerce impose à l’entrepreneur de faire
évaluer les biens dont la valeur dépasse 30 000 euros49
par des professionnels habilités50
. Si
45
S. Piedelièvre. L’entreprise individuelle à responsabilité limitée in Defrénois, 15 Juillet 2010, n° 13, p. 1417. 46
E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979. 47
Article L 526-9 alinéa 1 du Code de Commerce. 48
Article L 526-13 du Code de Commerce − D. Martin. L’affectation d’un patrimoine : constitution du
patrimoine in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 34, préc. n° 68 :
selon lequel la tenue d’une comptabilité autonome aide l’entrepreneur individuel à montrer à ses cocontractants à
quel titre il agit, donc sur quel gage ils pourront opérer saisie en cas de non-exécution de ses obligations par
l’entrepreneur. 49
Article D. 526-5 du Code de commerce, issu de l’article 16 du Décret n° 2010-1706 du 29 décembre 2010. 50
Selon l’article L 526-10 du Code de Commerce, ce professionnel peut être un commissaire aux comptes, un
expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité ou un notaire en cas d’affectation d’un bien
immobilier
17
l’entrepreneur choisit de passer outre cette prescription légale, il sera responsable selon
différentes modalités sur l’ensemble de son patrimoine51
. Nous pouvons cependant penser
qu’en cas de pluralité de patrimoines d’affectations, les patrimoines crées antérieurement au
patrimoine litigieux ne seront pas touchés par cette reconstitution du gage général. Ces
formalités permettent de garantir la valeur du patrimoine affecté. Elles sont donc protectrices
à l’égard des créanciers de ce patrimoine. La sanction du non-respect des règles d’évaluation
souligne d’ailleurs cette idée puisqu’il s’agit de rendre l’entrepreneur responsable sur
l’ensemble de son patrimoine afin que ses créanciers, personnels ou professionnels, n’aient
pas à pâtir d’une surévaluation ou d’une sous-évaluation de l’affectation. Enfin, le dépôt
obligatoire des comptes annuels et autres documents exigés par l’article L 526-14 du Code de
Commerce vaut actualisation de la composition et de la valeur du patrimoine affecté. Cette
règle permet de rendre l’évaluation du patrimoine affecté crédible au fil de l’écoulement du
temps52. Les comptes seront le moyen d’assurer l’actualisation de la valeur des actifs du
patrimoine affecté puisqu’ils devront « être réguliers, sincères et donner une image fidèle du
patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise53
». Une telle obligation est
d’ailleurs également imposée, en matière de sociétés commerciales, par l’article L 232-1 du
Code de Commerce54
. Toutefois, l’obligation d’actualiser la composition et la valeur du
patrimoine affecté reste moins importante que les déclarations initiales puisqu’elle n’est
sanctionnée que par la possibilité de demander le dépôt des comptes sous astreinte55
et non
par la reconstitution du gage général des créanciers.
34. Dans la composition et l’évaluation du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel
est donc soumis à un formalisme strict afin de protéger les créanciers. Toutefois, ce dispositif
serait inutile si l’affectation ne pouvait être connue par ces derniers faute de publicité.
51
Selon l’article L 526-10 du Code de Commerce, il est responsable pendant cinq ans sur l’ensemble de ses
patrimoines à hauteur de la différence entre la valeur proposée et la valeur déclarée s’il déclare une valeur
supérieure à celle proposée par le professionnel habilité et à hauteur de la différence entre la valeur réelle du bien
au moment de l’affectation et la valeur déclarée s’il ne recours pas à un tel professionnel. 52
B.Saintourens. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : Commentaire de la loi n°2010-658 du 15
Juin 2010 in Revue des sociétés, 2010, p. 351, préc. n° 39. 53
L’article L 526-13 du Code de Commerce renvoie aux articles L123-12 à L 123-23 et L 133-25 à L123-27 du
même code pour l’établissement de la comptabilité autonime. 54
L’article L 232-1 IV du Code de Commerce, dispense toutefois de cette obligation les SARL dont l’associé
unique personne physique assume personnellement la gérance de la société si, à la clôture d’un exercice social,
elles ne dépassent pas un des deux seuils fixés par décret en Conseil d’Etat relatif à leur bilan, au montant de leur
chiffre d’affaire hors taxe et au nombre moyen de leurs salariés au cours de l’exercice. 55
Article L 526-14 in fine du Code de Commerce.
18
§2. Le formalisme, condition de l’opposabilité de l’affectation.
35. Les créanciers de l’entrepreneur doivent être en mesure de connaître l’affectation. Il
faut donc la leur rendre opposable. Or, l’opposabilité est généralement assurée par la
publicité. Cette publicité permettra aux créanciers de critiquer non seulement la composition
du patrimoine affecté en cas de fraude mais également son utilisation lors de l’exercice de son
activité professionnelle par l’entrepreneur.
36. La publicité passera par deux règles générales56
. D’abord, l’entrepreneur devra révéler
sa qualité d’EIRL à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle. Il sera obligé
d’utiliser une dénomination comprenant les mots « entrepreneur individuel à responsabilité
limitée » ou les initiales « EIRL »57
lorsqu’il contractera au titre de cette activité. Le
législateur a accordé une importance particulière à cette mesure de publicité puisque le
ministère public ou tout intéressé peuvent demander au tribunal statuant en référé d’enjoindre
l’entrepreneur à porter sur ses actes et documents cette dénomination et cela sous astreinte58
.
Mais, cette publicité est insuffisante59. L’article L 526-7 du Code de Commerce impose alors
le dépôt de la déclaration d’affectation sur un registre de publicité légale60. A l’occasion,
seront contrôlées la composition et la valeur du patrimoine affecté puisque les organismes
chargés de la tenue des registres n’accepteront le dépôt de la déclaration qu’après vérification
des documents exigés. L’article L 526-7 montre bien que l’efficacité de l’affectation est
conditionnée par la publicité puisque la constitution du patrimoine affecté « résulte » du dépôt
de la déclaration. Si le dépôt de la déclaration est refusé, celle-ci ne sera pas publiée, donc
sera inopposable aux créanciers de l’entrepreneur, donc inefficace. Alors, l’entrepreneur ne
pourra pas se prévaloir de la séparation des gages et les créanciers pourront toujours actionner
son patrimoine non affecté. Nous pouvons noter l’importance qu’attache une nouvelle fois le
législateur à cette publicité en la comparant à celle de la déclaration d’insaisissabilité
56
F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée
in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 57
Article L 526-6 alinéa 3 du Code de Commerce. 58
Article L 526-20 du Code de Commerce. 59
E. Dubuisson. L’EIRL est adopté in JCP E 2010, act. 303. − B. Dondero. L’EIRL, ou l’entrepreneur fractionné
in JCP G 2010, n° 25, p. 679. 60
Article L526-7 du Code de Commerce : « La constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d'une
déclaration effectué : 1° Soit au registre de publicité légale auquel l'entrepreneur individuel est tenu de
s'immatriculer ; 2° Soit au registre de publicité légale choisi par l'entrepreneur individuel en cas de double
immatriculation ; dans ce cas, mention en est portée à l'autre registre ; 3° Soit, pour les personnes physiques qui
ne sont pas tenues de s'immatriculer à un registre de publicité légale, à un registre tenu au greffe du tribunal
statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal ; 4° Soit, pour les exploitants agricoles,
auprès de la chambre d'agriculture compétente ».
19
s’agissant des personnes physiques n’étant pas tenues de s’immatriculer61
. Dans ce cas précis,
la déclaration n’a besoin que d’être publiée dans un journal d’annonces légales pour être
opposable. Or, en matière d’EIRL, cette publicité n’était pas suffisante pour assurer
l’information des tiers. Un nouveau registre a donc été crée pour faciliter cette information62
.
37. Nous pouvons toutefois noter que le formalisme permet d’opposer l’affectation non
seulement aux créanciers postérieurs à la réalisation des formalités de publicité mais
également aux créanciers antérieurs dans certaines conditions63
même si cela n’allait pas de
soi64
. De même, les créanciers du patrimoine affecté semblent avantagés par rapport à ceux du
patrimoine non affecté car l’ensemble des mesures de publicité à été établi en leur faveur. Ces
derniers n’ont donc, sauf leur curiosité, que peu de moyens pour connaître l’existence de
l’affectation. Enfin, le formalisme protège également les co-indivisaires et le conjoint de
l’entrepreneur affectant un bien indivis ou commun. En effet, l’article L 526-11 du Code de
Commerce dispose que l’entrepreneur doit justifier de leur accord exprès dans la déclaration
d’affectation ainsi que de leur information préalable sur les droits des créanciers auxquels la
déclaration sera opposable pour que l’affectation soit efficace.
38. Une question reste toutefois en suspens Si une déclaration complémentaire est exigée
en cas de nouvelle affectation, rien n’a été prévu concernant une éventuelle désaffectation ou
le remplacement d’un bien dans le patrimoine affecté. Nous pourrions donc nous demander si
une nouvelle déclaration serait exigée pour l’opposabilité du patrimoine affecté ainsi modifié.
Cependant, cette question sera envisagée dans la suite de notre étude65
.
39. Conclusion du chapitre. Malgré la volonté du législateur, le recours au patrimoine
d’affectation ne permet pas d’évolution par rapport à l’EURL quant à sa constitution. Si la
notion d’affectation sous-tend les deux patrimoines, l’entrepreneur n’est pas totalement libre
dans la composition du patrimoine affecté à cause de sa finalité. De plus, l’affectation induit
nécessairement un formalisme contraignant pour être opposable donc efficace. L’EIRL
n’apparait donc pas plus attrayant que l’EURL. Cette idée pourrait être confirmée en
analysant les contreparties qu’il est possible de tirer de l’affectation au patrimoine de l’EIRL.
61
F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée
in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 62
Cette méthode s’inspire de la loi n°88-1202 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son milieu
économique et social qui avait crée un registre de publicité réservé aux exploitants agricole pour pouvoir leur
permettre de bénéficier des procédures de traitement des entreprises en difficulté. 63
Article L 526-12 du Code de Commerce. 64
Cf. infra n° 130. Le législateur a accordé ce droit d’opposition aux créanciers antérieurs afin que ne leur soit
pas imposée l’affectation de manière unilatérale sans qu’ils n’aient de moyens de s’en défendre.
65 Cf. infra n°95 et n° 98.
20
CHAPITRE II. LES INCERTITUDES SUR LES CONTREPARTIES A
L’AFFECTATION.
40. La création d’une société unipersonnelle, permet à l’associé de créer une nouvelle
personne juridique afin de gérer son activité professionnelle. En contrepartie de l’apport de
ses biens, il reçoit des titres sociaux. Concernant l’EIRL, des incertitudes pèsent sur
l’existence de contreparties. S’il est certain qu’il n’existe pas de contre-valeur au bénéfice du
patrimoine non-affecté lors de sa constitution (Section I), des questions se posent à propos des
prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté durant son fonctionnement (Section II).
Section I. L’absence de contre-valeur au bénéfice du patrimoine non affecte lors
de la constitution de l’EIRL.
41. Au contraire du droit des sociétés, aucun titre n’intégrera le patrimoine non-affecté de
l’entrepreneur suite à la constitution du patrimoine affecté de l’EIRL (§1). Toutefois nous
pouvons nous demander si l’entrepreneur ne serait pas titulaire d’un droit sur le patrimoine
affecté, ce qui implique de s’interroger sur sa nature juridique de ce patrimoine (§2).
§1. L’absence de titres intégrant le patrimoine non affecté de l’entrepreneur.
42. Lorsqu’un entrepreneur crée un patrimoine affecté, aucun titre ne vient intégrer son
patrimoine non-affecté. Nous pouvons nous interroger sur les causes de cette absence. Il
semble qu’elle ne découle pas du caractère affecté du patrimoine constitué ni de l’absence de
transfert de propriété lors de cette affectation mais de l’absence de contrat de société.
43. L’absence de contrepartie à la constitution du patrimoine affecté ne semble pas être la
conséquence de l’affectation. Le patrimoine sociétaire et le patrimoine de l’EIRL étant tous
les deux basés sur une affectation, nous pouvons en déduire que ce n’est pas le fait d’affecter
à un but précis qui est à l’origine de la création de titres. En effet, en dehors des sociétés, il
existe d’autres affectations telles que la fortune de mer ou la fiducie qui ne créent aucun titre
dans le patrimoine personnel de leur constituant. L’affectation ne fait que modifier le droit de
propriété sur un bien ; elle le conditionne à un usage précis66
. Nous pourrions alors penser que
66
G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,
Paris : Litec, 2009, p. 723, préc. n°48 : « Cela revient donc à dire que l’affectation, même de l’ensemble des
prérogatives du bien, correspond à un mode d’exercice du droit de propriété, et non pas à un transfert ordinaire
de ce droit ».
21
le titré attribué à l’associé serait la contrepartie du transfert de propriété de son patrimoine
vers celui de la société. En l’absence de transfert de propriété lors de la création du patrimoine
affecté de l’EIRL, aucun titre ne viendrait donc intégrer le patrimoine non affecté. Pourtant
dans certaines affectations telles la fiducie, il existe un transfert de propriété sans que le
patrimoine du constituant n’obtienne de titres. L’attribution de titres n’est donc pas non plus
être la conséquence de l’existence d’un transfert de propriété entre des patrimoines distincts.
44. Le titre social serait alors « le droit né du contrat de société au profit de chaque
associé67
». Il ne serait crée qu’à partir d’un tel contrat. Quant à sa nature, il existe des
hésitations. Il s’agirait d’une créance de l’associé contre la société68
. Mais cette créance serait
originale car elle comporterait des conséquences pécuniaires mais aussi des prérogatives
extra-pécuniaires. En l’absence de contrat de société, l’affectation au patrimoine de l’EIRL ne
serait donc pas à même d’être à l’origine de la création de titres devant intégrer le patrimoine
non affecté de l’entrepreneur. De plus, l’affectation ne fait que créer une scission au sein du
patrimoine général de l’entrepreneur. Il semble donc logique qu’il n’y ait pas de contrepartie.
45. Toutefois, si la constitution du patrimoine affecté ne donne lieu à aucun titre au
bénéfice du patrimoine non affecté, l’entrepreneur en reste propriétaire. Nous pouvons alors
nous demander s’il ne possède pas un droit sur le patrimoine affecté en tant que tel, ce qui
implique de s’interroger sur sa nature juridique.
§2. L’incertitude de la nature juridique du patrimoine d’affectation.
46. Rien dans la loi ni dans les études concernant le patrimoine affecté ne permet de
définir sa nature. S’il est un bien, l’entrepreneur aura un droit dessus (A). Alors se poserait la
question de savoir si ses créanciers auraient eux aussi un droit sur ce patrimoine (B).
A. La question d’un droit portant sur le patrimoine d’affectation.
47. La question de la nature du patrimoine affecté est délicate. Tel que défini par la loi du
15 Juin 2010, il est possible de se demander si ce patrimoine ne constitue qu’une limitation de
responsabilité pour l’entrepreneur individuel ou s’il s’agit d’une universalité juridique.
48. Dans le premier cas l’entrepreneur serait totalement démuni de droits sur le patrimoine
affecté car il s’agirait juste d’une organisation particulière de son patrimoine. On se
67
M. Germain. Traité de droit commercial : Les sociétés commerciales, Tome 1 volume 2. Paris : LGDJ, 2009
p.69, préc. n°1080. 68
Ibidem, p. 70, préc. n° 1081.
22
rapprocherait alors de la déclaration d’insaisissabilité. Les biens inscrits dans cette déclaration
ne constituent pas une masse sur laquelle le constituant a un droit. Concernant l’EIRL,
l’affectation n’aurait alors pour effet que de rendre insaisissables par les créanciers du
patrimoine non affecté les biens affectés et inversement. Dans le second cas, la masse de biens
affectés constituerait une universalité de droit sur laquelle l’entrepreneur possèderait un droit.
La loi précise que la masse de biens est un patrimoine mais sans affirmer qu’il s’agit d’une
universalité juridique. L’universalité juridique n’est pas légalement définie mais nous savons
qu’elle se caractérise par le fait qu’elle comporte un actif et un passif indissolublement liés69
.
Les droits et obligations forment alors une globalité qui les dépasse. Or, le patrimoine de
l’EIRL forme assurément un tel tout. Outre l’affectation de biens à l’activité professionnelle,
la loi a prévu la corrélation du passif correspondant à l’exercice de cette activité70
. De plus,
actif et passif étant indissolublement liés, les deux sont transmis lors de la transmission d’une
universalité juridique. Or, le législateur a prévu une telle transmission universelle puisqu’il
n’a régi que la transmission intégrale du patrimoine affect71
. Enfin, la qualification
d’universalité juridique ne peut être attribuée à une masse de biens que si un régime global lui
est applicable, sans considération des régimes particuliers des biens qui la composent. Lors de
la transmission de l’EIRL, les règles relatives à la cession du fonds de commerce ne sont pas
applicables72
. Il existe donc un régime global de transmission du patrimoine affecté qui nous
conforte dans l’idée qu’il est bien une universalité juridique.
49. A supposer que le patrimoine affecté soit une universalité juridique, constituerait-il un
bien dans le patrimoine non-affecté de l’entrepreneur sur lequel il possèderait un droit de
propriété ? Dans la mesure où l’entrepreneur individuel a la possibilité d’aliéner son
patrimoine affecté en le cédant à titre gratuit, en le transmettant à titre onéreux ou en
l’apportant à une société nous pouvons penser que le droit portant sur ce dernier est un droit
de propriété. De plus, la loi reconnait que l’entrepreneur peut « en transférer la propriété73
».
Toutefois, ce droit ne devrait pas être absolu. Tout comme l’affectation constitue une charge
69
F. Terré, P. Simler. Droit civil : Les biens. Paris : Dalloz, 2010 p. 22, préc. n°17. 70
Article L 526-12 alinéa 6. 1° du Code de Commerce : « Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation
est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le
patrimoine est affecté ont pour seul gage général le patrimoine affecté ». 71
Article L 526- 17. I. du Code de Commerce. 72
Article L 526-17. III alinéa 2 du Code de Commerce : « Les articles L 141-1 à L 141-22 ne sont pas
applicables à la cession ou à l’apport en société d’un fonds de commerce intervenant par suite de la cession ou
de l’apport en société d’un patrimoine affecté ». 73
Article L 526-17. I du Code de Commerce.
23
imposée aux actifs formant ce patrimoine74
et conditionnant l’exercice du droit de propriété
portant sur eux, le droit de propriété portant sur le patrimoine affecté devrait être conditionné
par le respect de l’affectation. Ainsi, l’entrepreneur ne pourrait aliéner son patrimoine affecté
que si cela n’entrave pas l’exercice de l’activité professionnelle d’où il tire son origine.
50. L’entrepreneur serait donc titulaire d’un droit de propriété réduit sur le patrimoine
affecté. Mais, alors, les créanciers bénéficient-ils eux aussi d’un droit sur ce patrimoine ?
B. L’éventuel exercice du droit portant sur le patrimoine affecté par les
créanciers.
51. Si le patrimoine affecté est un bien, nous pouvons nous demander si les créanciers du
patrimoine non affecté l’ont dans leur droit de gage général ou s’ils peuvent exercer les droits
que l’entrepreneur a dessus par la voie de l’action oblique.
52. Les créanciers du patrimoine non affecté ne pourront pas saisir le patrimoine affecté
en tant que bien. L’article L 526-12 du Code de Commerce précise bien que, n’ayant pas de
droits nés à l’occasion de l’activité professionnelle, ils ont pour seul gage le patrimoine non
affecté. Leur permettre de saisir le patrimoine affecté reviendrait à contredire cette règle.
Cette interdiction procède directement de la nature de patrimoine affecté qui réserve une
masse de biens à des créanciers déterminés et à eux seuls. Quant à la possibilité d’exercer une
action oblique, le principe est que tout créancier impayé peut, en principe, exercer par la voie
oblique les droits et actions de son débiteur à la condition qu’ils soient de nature
patrimoniale75
. Cette action est donc fermée concernant les droits extrapatrimoniaux. Or si le
patrimoine d’affectation est le support d’un droit de propriété, il reste fortement rattaché à la
personne de l’entrepreneur. Nous pouvons donc douter de la possibilité d’exercer une action
oblique sur ce patrimoine. De même ni eux ni les créanciers du patrimoine affecté ne
pourraient exercer, par voie oblique une action relative à la gestion du patrimoine affecté en
raison de son caractère extrapatrimonial. Il semble donc que les créanciers du patrimoine
affecté n’aient aucun droit sur celui-ci ou, dans le cas où ils en auraient, soient contraints de
respecter l’affectation, ce qui leur laisserait une marge de manœuvre toute relative.
74
S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome
CXLV, préf. R. Nerson, p. 315à319 : sur la nature juridique de l’affectation des biens. 75
F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : Les obligations. Paris : Dalloz, 2009 p. 1132, préc. n° 1143.
24
53. Il n’existe aucune contrepartie à la constitution de l’affectation outre un droit de
propriété réduit, conditionné sur le patrimoine affecté. Cela amène à s’interroger sur
l’existence de telles contreparties lors du fonctionnement de ce patrimoine.
Section II. Les prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté lors de son
fonctionnement.
54. L’entrepreneur reçoit certaines contreparties financières à l’affectation durant le
fonctionnement du patrimoine affecté. S’il semble être titulaire d’un droit aux bénéfices à
l’instar du droit des sociétés (§1), il possède surtout un droit apparemment inédit : le droit un
revenu prélevé sur le patrimoine affecté (§2).
§1. Le droit aux bénéfices.
55. La loi du 15 Juin 2010 n’attribue pas expressément un droit aux bénéfices à l’EIRL.
Cependant, l’existence d’un tel droit peut se déduire de certaines de ses dispositions (A).
Nous pourrons alors appliquer le droit des sociétés pour en déduire le régime (B).
A. La déduction d’un droit aux bénéfices des dispositions de la loi du 15
Juin 2010.
56. Le droit aux bénéfices résulte de l’exercice d’une activité professionnelle. En matière
de sociétés, l’article 1832 du Code Civil réfère expressément à ce droit puisqu’il dispose que
la société est instituée « en vue de partager le bénéfice » résultant d’une entreprise commune.
En ce qu’il exerce une activité professionnelle, l’EIRL devrait donc avoir un droit sur les
bénéfices réalisés par le patrimoine affecté. D’ailleurs, l’article L 526-13 du Code de
Commerce l’oblige à tenir une comptabilité dans les conditions imposées aux commerçants76
.
Or, selon l’article L 123-21 du Code de Commerce, « seuls les bénéfices réalisés à la date de
clôture d’un exercice peuvent être inscrits dans les comptes annuels ». De plus, le dernier
alinéa de l’article L 526-12 du Code de Commerce prévoit qu’en cas d’insuffisance du
patrimoine non affecté, les créanciers de ce patrimoine peuvent exercer un droit sur le
bénéfice réalisé par l’entrepreneur lors du dernier exercice clos. Or, comme un créancier ne
peut exercer plus de droits que son débiteur n’en a, c’est qu’en l’espèce l’EIRL est titulaire
76
Article L 526-13 du Code de Commerce : « L’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté fait
l’objet d’une comptabilité autonome, établie dans les conditions définies aux articles L 123-12 à L 123-23 et L
123-25 à L 123-27 ».
25
d’un droit sur les bénéfices réalisés par son patrimoine affecté. L’absence de contrepartie à
l’affectation sous forme de titres n’a alors aucune incidence sur l’existence de ce droit car les
titres sociaux ne servent qu’à déterminer la répartition des bénéfices entre les associés.
57. L’EIRL a donc le droit de disposer des bénéfices qu’il réalise grâce à l’exercice de son
activité professionnelle. Pour savoir comment sera exercé ce droit, nous pouvons appliquer le
droit des sociétés puisque le régime qui y est établi est celui des bénéfices en eux-mêmes.
B. L’application du droit des sociétés.
58. Le régime du droit aux bénéfices n’est pas spécifique au droit des sociétés. Il découle
de la qualification de bénéfice. Nous pourrons donc appliquer le régime connu en droit des
sociétés aux bénéfices dégagés par le patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel.
59. Tout comme l’associé unique d’une EURL77, l’EIRL sera libre de se distribuer les
bénéfices du patrimoine affecté ou de les mettre en réserve. Pour distribuer ces bénéfices à
son patrimoine non affecté, il devra déterminer ceux distribuables. En l’absence d’obligation
de constitution d’une réserve légale et de réserves statutaires, ces bénéfices correspondront à
la différence entre l’actif et le passif, après extinction des pertes antérieures78
. Ils seront donc
en théorie plus importants pour l’EIRL que pour les sociétés. Quant à leur distribution,
l’entrepreneur décidera seul de l’opportunité et de l’étendue du versement79
. Enfin, comme
l’article L 232-11 alinéa 3 du Code de Commerce interdit la distribution de dividendes
lorsque les capitaux propres sont ou en deviendraient inférieurs au montant du capital
augmenté des réserves non-distribuables, nous pouvons imaginer que l’EIRL ne pourra pas
verser de bénéfices à son patrimoine non affecté si les capitaux propres du patrimoine affecté
sont ou en deviendraient inférieurs à la valeur de l’affectation initiale car cela reviendrait à
une désaffectation indirecte. Enfin, nous pouvons nous poser la question de l’applicabilité du
délit de répartition de dividendes fictifs80
en cas de distribution de bénéfices non-réalisés ou
non disponibles. Ce délit ne concerne que « le président, les administrateurs ou les directeurs
généraux d’une société anonyme » et surtout, appartient au droit des sociétés. Il n’est donc
pas applicable à l’EIRL. Toutefois, en l’absence de protection pénale, les créanciers du
patrimoine affecté pourront toujours utiliser l’action paulienne pour attaquer un versement de
77
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010, p. 557, préc. n° 1111. 78
Article L 232-11 du Code de Commerce. 79
Comme le prévoit l’article L 223-1 alinéa 2 du Code de Commerce pour l’associé unique de l’EURL exerçant
seul les pouvoirs de l’assemblée. 80
Article L 242-6. 1° du Code de Commerce.
26
bénéfices fait en fraude de leurs droits ou demander la responsabilité de l’entrepreneur sur la
totalité de ses biens et droits en cas de fraude81
.
60. Malgré l’obscurité des textes, nous pouvons affirmer que le patrimoine non affecté de
l’EIRL sera titulaire d’un droit aux bénéfices réalisés par le patrimoine affecté. Toutefois, la
loi a expressément prévu un autre droit : celui à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté.
§2. Le droit à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté.
61. L’EIRL « détermine les revenus qu’il verse dans son patrimoine non affecté82
». Ce
droit semble spécifique à l’EIRL puisqu’il n’est connu ni du droit commercial ni du droit des
sociétés sous cette appellation. Or, le législateur l’a consacré sans l’encadrer. Des problèmes
vont alors se poser à cause de l’absence d’encadrement de ce prélèvement (A), mais
également à cause de la nécessité de l’articuler avec le droit aux bénéfices (B).
A. Les problèmes posés par l’absence d’encadrement du prélèvement.
63. La loi du 15 Juin 2010 n’encadre pas les modalités des prélèvements des revenus sur
le patrimoine affecté. L’entrepreneur semble donc être libre de les prélever comme il l’entend.
Pourtant, ce droit pourrait être encadré par référence au régime de la rémunération des gérants
d’EURL et limité par les sanctions qui pourraient être portées à d’éventuels abus.
63. Les « revenus» sont « les ressources périodiques d’une personne issues du travail83
».
Les revenus visés à l’article L 526-18 du Code de Commerce seraient donc ceux qui viennent
rétribuer la gérance du patrimoine affecté. Si nous acceptons une telle définition, nous
pourrons, par analogie, appliquer à ces revenus le régime de la rémunération des gérants
d’EURL, qui est le même que celui de la rémunération des gérants de SARL84
. En principe, la
rémunération du gérant est déterminée dans les statuts ou suite à un vote de l’assemblée. En
matière d’EURL, le gérant « vote » seul sa rémunération mensuelle. Nous pouvons donc en
déduire que l’entrepreneur individuel pourra déterminer seul sa rémunération mensuelle sur
son patrimoine affecté ou qu’il pourra l’inscrire dans sa déclaration d’affectation. Mais alors,
comment contrôler les abus dans la détermination de cette rémunération ? Ni l’interdiction de
découvert, ni l’abus de biens sociaux ne sont applicables à l’EIRL car ces délits sont prévus
pour les SARL et supposent deux personnes juridiques distinctes, ce qui n’est pas le cas de
81
Article L 526-12 alinéa 7 du Code de Commerce. 82
Article L 526-18 du Code de Commerce. 83
G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir revenus. 84
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010, p. 556, n° 1109 et suivants.
27
l’EIRL. Toutefois, deux sanctions permettant d’éviter les abus semblent exister. D’abord les
créanciers pourraient utiliser l’action paulienne pour faire échec à la perception d’une
rémunération qui frauderait leurs droits. Ensuite, en cas d’ouverture d’une procédure
collective, l’entrepreneur individuel pourra encourir la sanction de faillite personnelle pour
« avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son
passif »85
ainsi que celle d’insuffisance d’actif.
64. Malgré la détermination d’un tel régime et de ses limites, un dernier problème risquera
de se poser : celui de l’articulation entre le droit aux bénéfices et le droit aux revenus.
B. L’articulation du droit aux bénéfices et du droit aux revenus.
65. Nous pouvons nous demander comment droit aux bénéfices et droit aux revenus
coexistent, non seulement lorsque le patrimoine affecté est in bonis, mais également lorsqu’il
est soumis à une procédure de traitement des entreprises en difficulté.
66. Lorsque le patrimoine affecté est in bonis, il n’existe aucune règle légale de
coordination. Toutefois, ces droits semblent perçus à des titres différents. Les bénéfices sont
perçus au titre de la participation à l’activité professionnelle alors que les revenus sont, selon
la définition retenue, perçus au titre de la gestion du patrimoine affecté. Ainsi, l’EIRL confiait
la gérance de son patrimoine affecté à un mandataire, il percevrait les bénéfices du patrimoine
affecté tandis que ledit mandataire, lui, serait rémunéré pour ses fonctions. Donc, s’il gère
seul son patrimoine affecté, nous pouvons en déduire qu’il est en mesure de cumuler son droit
aux bénéfices avec son droit aux revenus. Toutefois, ce cumul devra se faire sans abus sous
peine d’annulation des actes pour fraude paulienne. Cependant, la vérification de l’absence
d’abus sera fortement compliquée par la mauvaise tenue de ses comptes professionnels par
l’EIRL car alors, il sera difficile de savoir auquel des deux droits la somme aura été versée.
67. Lorsque le patrimoine affecté sera soumis à une procédure de traitement des
entreprises en difficulté les problèmes seront moindres. Concernant le droit aux bénéfices,
comme l’EIRL conserve ses pouvoirs de gestion, il pourra se les distribuer. Toutefois, cette
distribution ne peut être que déconseillée car elle l’exposerait à être responsable pour
insuffisance d’actif86
. Concernant le droit aux revenus, lors de l’ouverture d’une procédure de
85
Depuis l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 Décembre 2008, l’obligation aux dettes sociales qui sanctionnait
notamment un dirigeant pour avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif d’une personne morale a été
abrogée. C’est alors la faillite personnelle qui sanctionne de tels agissements. 86
Article L 651-2 du Code de Commerce.
28
sauvegarde, l’entrepreneur conserve ses pouvoirs de gestion. Il pourra donc continuer de se
verser une rémunération. Par contre, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou
d’une liquidation judiciaire, c’est le juge-commissaire qui sera chargé de fixer la rémunération
afférente aux différentes fonctions exercées par l’entrepreneur individuel87
. Cette
rémunération n’étant pas de droit, il pourra décider de n’allouer que des subsides prélevés sur
l’actif à l’entrepreneur et sa famille. De plus, il devra tenir compte des revenus perçus par
l’entrepreneur au titre des patrimoines non visés par la procédure88
. Les patrimoines visés sont
alors certainement les autres patrimoines affectés qu’aurait pu constituer l’entrepreneur.
Ainsi, s’il tire des moyens de subsistance de ses autres patrimoines affectés, il est peu
probable que le juge commissaire lui accordera une rémunération. La constitution de plusieurs
patrimoines affectés pourrait alors favoriser le redressement du patrimoine en difficulté autant
qu’il pourrait susciter la jalousie de ses créanciers à la vue d’autre patrimoine en pleine santé.
68. Conclusion du chapitre. De nombreuses incertitudes pèsent encore sur les contreparties
à l’affectation. Si, lors de la constitution du patrimoine affecté, le patrimoine non-affecté se
trouve irrémédiablement réduit en l’absence de titres l’intégrant, durant le fonctionnement du
patrimoine affecté il en touchera les bénéfices ainsi que les revenus perçus par l’entrepreneur
au titre de gérant. Toutefois, ces droits ne découlent pas du patrimoine affecté en lui-même
mais de l’exercice de l’activité professionnelle pour laquelle il a été constitué ainsi que de la
fonction de gérant. De plus, la réussite de l’exercice de ces droits réside dans un
comportement irréprochable de l’entrepreneur qui ne devra pas en abuser. Le recours au
patrimoine affecté ne semble donc pas permettre d’avancée par rapport à l’EURL.
69. Conclusion du Titre. L’organisation de l’affectation des biens de l’EIRL présente de
nombreuses particularités par rapport à la constitution d’un patrimoine sociétaire. Ces
particularités ne sont pas forcément avantageuses pour l’entrepreneur qui sera encadré dans le
contenu et les modalités de l’affectation plus que s’il constituait une société. De plus, les
incertitudes pesant sur les contreparties à l’affectation et leurs conséquences pourront aussi
effrayer les entrepreneurs désireux d’y recourir. Or, il semble qu’autant de questions
persistent quant aux particularités de la gestion de ce patrimoine affecté.
87
Article L 631-11 du Code de Commerce. 88
Article L 631-11 alinéa 2 du Code de Commerce complété par l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 Décembre
2010 portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de
surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : « Lorsque le débiteur est un entrepreneur
individuel à responsabilité limitée, le juge-commissaire tient compte des revenus éventuellement perçus au titre
des patrimoines non visés par la procédure ».
29
TITRE II. LES PARTICULARITES DE L’ORGANISATION DE LA
GESTION DU PATRIMOINE AFFECTE.
70. En ne définissant pas précisément le régime juridique de l’EIRL, le législateur a laissé
beaucoup de questions en suspens quant à l’organisation de la gestion du patrimoine affecté,
qu’il s’agisse des particularités de son mode de gestion (Chapitre I) ou des mutations qu’il est
susceptible de subir (Chapitre II). A l’issue de leur étude, nous pourrons conclure que si
l’EIRL permet certaines évolutions sur le plan théorique, ce dispositif ne permet pas de réelles
avancées pratiques par rapport aux outils déjà proposés aux entrepreneurs individuels pour
limiter leur responsabilité et gérer leur entreprise.
CHAPITRE I. LES PARTICULARITES DU MODE DE GESTION DU
PATRIMOINE AFFECTE DE L’EIRL.
71. Même si l’EIRL a pour première finalité de limiter la responsabilité de l’entrepreneur,
ce dernier devra gérer son patrimoine affecté lorsqu’il exercera son activité professionnelle. Il
s’agira alors de gérer un patrimoine sans personnalité morale (Section I) ce qui ne posera pas
de problèmes en pratique. Mais, la gestion du patrimoine affecté est aussi particulière en ce
que la loi ne prévoit qu’une gestion directe par l’entrepreneur de ce patrimoine (Section II).
Section I. La gestion d’un patrimoine sans personnalité morale.
72. L’absence de personnalité morale du patrimoine affecté a été présentée comme une
révolution dans les principes juridiques traditionnels. Toutefois, aucune disposition de la loi
du 15 Juin 2010 ne fait référence à une quelconque règle de gestion de ce patrimoine. Nous
pouvons donc nous demander si l’absence de personnalité juridique ne risque pas d’entraver
cette gestion. Or, il apparaît qu’elle soit indifférente (§1) et même, qu’elle permette une
certaine évolution de la notion de représentation (§2).
§1. L’indifférence de l’absence de personnalité morale quant à la gestion de
l’EIRL.
73. Patrimoine sociétaire et patrimoine affecté de l’EIRL sont très proches, si bien qu’il
est possible de se demander pourquoi ne pas reconnaitre la personnalité morale à ce dernier
30
qui remplirait les conditions posées par le droit des sociétés pour cela. En étudiant l’utilité de
la personnalité morale pour les sociétés (A), nous comprendrons que cette reconnaissance est
inutile au patrimoine affecté car il possède déjà des moyens d’opposabilité aux tiers (B).
A. L’utilité de la personnalité morale pour les sociétés.
74. La personnalité morale des sociétés ne sert pas, en tant que telle à leur gestion. Une
fois l’acte constitutif de la société valablement passé, cette dernière existe dans
l’ordonnancement juridique. C’est cet acte, dont il semble qu’il soit un acte unilatéral
conjonctif ou individuel selon que la société est pluripersonnelle ou unipersonnelle89
, qui
permettra régir les rapports entre associés, la répartition des pouvoirs entre eux et donc, les
modalités de gestion du groupement. Or, il produit ses effets entre les associés dès qu’il est
valablement passé. La société acquiert alors un effet relatif qui oblige les associés à respecter,
dans l’ordre interne, son existence90. Il semble donc bien que pour être gérée, elle n’ait pas
nécessairement besoin de la personnalité morale. Toutefois, une société a vocation à nouer des
relations juridiques avec des tiers extérieurs. Pour cela, elle doit être connue et respectée par
ces tiers. Il s’agit alors de la rendre opposable dans l’ordre externe. C’est ici qu’intervient la
personnalité morale. En acquérant une personnalité juridique par l’immatriculation, le
groupement devient sujet de droit. Il acquiert une capacité de jouissance et un patrimoine
corrélatif qui ne se confondent pas avec celui de ses membres91
. La capacité de jouissance est
donc un des attributs de la personnalité morale accordée par le législateur. Toutefois, lorsque
ce dernier ne la reconnait pas à un groupement mais que ce groupement possède une
autonomie patrimoniale opposable aux tiers, il serait possible de lui reconnaitre une telle
personnalité. En effet, si nous envisageons la personnalité morale dans une perspective
normativiste, cette dernière sera accordée au groupement qui possède une mission et des
prérogatives qui nécessitent de le reconnaitre comme une personne autonome pour qu’il
puisse exercer effectivement son activité. Cette question de la reconnaissance de la
personnalité morale à un groupement auquel le législateur la refusait se posait jusqu’alors à
propos de la fiducie et de l’indivision92
. Dorénavant, elle se posera concernant l’EIRL dont
l’opposabilité est organisée par les articles L 526-6 et suivants du Code de Commerce.
89
G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,
Paris : Litec, 2009, p. 723, préc. n°44. 90
Ibidem, p. 703, préc. n°21. 91
Ibidem, p. 713, préc. n°32. 92
G. Wicker, op. cit., n° p. 713, préc. n°32.
31
B. L’existence de moyens d’opposabilité dans le cadre de l’EIRL.
75. Le législateur a expressément dénié la personnalité morale au patrimoine affecté de
l’EIRL93. Mais, par des mesures de publicité et l’organisation d’un droit d’opposition le
législateur en a rendu la gestion opposable aux tiers94. Le patrimoine affecté n’a donc pas
besoin de la personnalité morale pour avoir effet dans l’ordre externe.
76. Le patrimoine affecté de l’EIRL serait alors la preuve que l’idée d’affectation ne
contredit pas celle de personnalité95. Selon Monsieur Wicker, la personnalité juridique n’est
pas une qualité naturelle de l’homme mais un attribut juridique, la capacité de jouissance, que
le législateur lui a accordé96
. Le patrimoine, lui, serait la « contrepartie immédiate et
nécessaire, de la capacité de jouissance97
». Concernant le patrimoine « général » d’un
individu ce ne serait pas la volonté de la personne qui permettrait d’unir les biens mais leur
rattachement à un même intérêt juridique, alors général et indifférencié : celui de la personne.
Une telle vision permettrait de reconnaitre cette capacité de jouissance à des patrimoines
affectés spécialisés. En ce qu’elle fait de l’unité d’intérêt et non de la personne humaine le
nouveau fondement du patrimoine, elle permet de confirmer la différence entre personne
humaine et juridique. Ainsi la personnalité juridique découlerait des attributs accordés à une
masse de biens. Faudrait-il, en conséquence, considérer que le patrimoine affecté de l’EIRL
possède cette personnalité? Si le législateur ne l’avait pas exclu, cela aurait été possible. En
effet, ce dernier a accordé une capacité de jouissance au patrimoine affecté et un pouvoir de
représentation à l’entrepreneur pour en exercer les prérogatives. Ainsi, s’il n’en a pas le nom,
le patrimoine affecté possède tous les attributs de la personnalité juridique. Nous pouvons
donc douter de la réelle utilité du concept de personnalité morale qui ne semble permettre que
la désignation de l’attribution d’une capacité de jouissance à un patrimoine par le législateur.
77. L’absence de personnalité morale n’est donc pas un obstacle à la gestion du
patrimoine affecté ni à son opposabilité. Mais, elle permet de relancer la réflexion sur l’utilité
de cette notion en droit positif. Dans sa gestion, le patrimoine affecté va alors également
permettre de faire évoluer la notion de représentation.
93
Article L 526-6 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité
professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’un personne morale ». 94
Cf. supra n° 35 à 37. 95
Voir sur cette idée : A-L Thomat-Raynaud. L’unité du patrimoine : essai critique, Paris : Defrénois. Doctorat
et notariat, Tome 25, p. 420, n° 908 et suivants. 96
G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-Domat
p. 173 et 174, préc. n°175. 97
Ibidem, p.185, préc. n°191.
32
§2. L’évolution de la notion de représentation.
78. L’EIRL va pouvoir agir au titre de deux qualités différentes : à titre personnel et à titre
professionnel. Traditionnellement, quand individu agit « es qualité », il représente les intérêts
d’autrui (A). Avec l’introduction du patrimoine d’affectation sans transfert de propriété lors
de sa constitution, la conception de la représentation va être amenée à évoluer (B).
A. La conception classique de la représentation : représenter autrui.
79. Lorsque s’applique la technique de la représentation, le représentant se voit attribuer
des pouvoirs qu’il peut exercer de manière autonome98
. Or, ces pouvoirs peuvent être définis
par rapport à la notion de droit subjectif99. Le droit subjectif s’exerce librement par son
titulaire et sans possible immixtion d’un tiers dans cet exercice. Le pouvoir, lui, est une
prérogative permettant à son titulaire d’édicter un acte juridique dont l’effet s’imposera à un
autre sujet de droit. Il permet à son titulaire d’exprimer un intérêt au moins partiellement
distinct du sien. Droit subjectif et pouvoir semblent donc être en opposition. Toutefois, le
pouvoir de représentation est autonome100
. Il se différencie des pouvoirs délégués attribués
directement à leur titulaire dans l’intérêt personnel d’un autre sujet de droit et qui ne sont pas
la transposition d’un droit subjectif lui appartenant101
. Le pouvoir de représentation, lui, est la
transposition de prérogatives relatives à l’exercice d’un droit subjectif ou d’un pouvoir
appartenant à autrui. Son titulaire ne peut alors agir que dans l’intérêt de la personne
représentée. Les conséquences juridiques consécutives à l’exercice de ce pouvoir se réalisent
donc directement dans la sphère juridique de cette dernière. L’exemple de la représentation de
la société par ses dirigeants sociaux est alors parlant. Ces derniers n’exercent que des
prérogatives découlant des droits subjectifs accordés à la société lorsque cette dernière a
acquis sa personnalité morale. Ils ne doivent donc agir que dans le bon intérêt de cette société.
98
G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-
Domat, p.66, préc. n ° 58. 99
M. Storck. Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques. Paris : LGDJ, 1982,
Bibliothèque de droit privé, Tome 172, préf. D. Huet-Weiller et E. Gaillard. Le pouvoir en droit privé. Paris :
Economica, 1985, Droit civil. Série études et recherches, préf. G. Cornu – P. Roubier. Droits subjectifs et
situations juridiques. Paris : Dalloz, 1963, Philosophie du droit, Tome 8 ; cités par G.Wicker Les fictions
juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-Domat p.66, n ° 66 à 74. : sur la
notion de pouvoir et la distinction entre les notions de pouvoir et de droit subjectif. 100
G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-
Domat, p. 69, préc. n°62. 101
Ibidem, p. 70, préc. n°63.
33
80. Traditionnellement, le pouvoir de représentation permet donc de représenter l’intérêt
d’autrui. L’introduction de la représentation d’un patrimoine affecté restant la propriété de son
constituant pourrait donc entrainer une évolution de la conception de la représentation.
B. L’évolution de la conception de la représentation.
81. Dans le cas de l’EIRL, l’entrepreneur représente son propre patrimoine affecté. A
priori donc, il ne représenterait plus une personne juridique distincte. Toutefois, si ce n’est pas
la personne humaine qui est le support de la personne juridique mais l’intérêt qui en unifie les
biens, alors l’entrepreneur pourrait représenter son patrimoine sans que cela ne pose de
problème. Le pouvoir de représentation ne porterait donc pas sur la personne humaine mais
sur les droits subjectifs lui étant accordés en vertu de la personnalité juridique que lui
reconnait le législateur. Le patrimoine affecté de l’EIRL possédant de tels droits subjectifs
malgré le fait que le législateur refuse de lui reconnaitre une personnalité juridique propre, le
pouvoir de représentation de l’entrepreneur portera donc sur ces droits subjectifs. Il ne se
représenterait donc pas lui-même mais viendrait représenter l’intérêt de son patrimoine
affecté. Nous aboutirions alors à une évolution de la conception de la représentation. En effet,
deviendrait possible la représentation de tout patrimoine doté de droits subjectifs. Encore une
fois, nous pourrions différencier la personne humaine de la personne juridique et affirmer
qu’il est possible de représenter toutes les personnes juridiques dont certaines seulement sont
humaines.
82. Consécutivement à l’évolution de la conception de la représentation, les contrats dits
« conclus avec soi-même » ne poseraient définitivement plus de problème. Cette pratique
avait été jadis rejetée au motif que le contrat était un accord de volonté et qu’une même
personne ne pouvait exprimer deux volontés différentes102
. Cependant, tout comme il faut
distinguer personne humaine et personne juridique, il faut distinguer la volonté
psychologique, qui ne peut être qu’une, de la volonté juridique qui est l’expression d’un
intérêt juridique103
. Une même personne peut exprimer deux intérêts juridiques distincts, voire
opposés. Alors, si on considère que le patrimoine affecté est porteur d’un intérêt juridique car
il est détenteur de droits subjectifs, l’EIRL peut, au sein d’un contrat, exprimer son intérêt
juridique personnel et celui de son patrimoine. Le contrat sera valablement formé. Son
102
F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : Les obligations. Paris : Dalloz, 2009, p. 188, préc. n° 182, note
4 renvoyant à R. Demogue, Les obligations en général : Tome I, Source des obligations. Paris : Librairie Arthur
Rousseau, 1923, p.105 et suivantes, préc. n°s40 et suivants.
103 G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-
Domat , p. 75, préc. n°70.
34
interdiction ou des exigences particulières d’extériorisation du consentement ne pourraient
résulter que de dispositions législatives visant à prévenir les fraudes pouvant résulter d’un tel
contrat. Dorénavant, le contrat avec soi-même « est licite lorsque la personne qui le passe
agit […] comme titulaire de deux patrimoines ou de deux masses de biens distincts 104
».
83. L’absence de personnalité morale du patrimoine affecté de l’EIRL n’est donc pas un
obstacle à sa gestion ni à son opposabilité dans l’ordre juridique externe. De plus, elle permet
une réflexion sur l’utilité du concept de personnalité morale ainsi qu’une progression de la
conception de la représentation. Mais, la gestion du patrimoine affecté est également
particulière en ce que le législateur n’en a envisagé que la gestion directe.
Section II. La gestion directe du patrimoine affecte par l’entrepreneur individuel.
84. La gestion du patrimoine affecté par l’entrepreneur individuel peut sembler
particulière en ce que le législateur n’a envisagé qu’une gestion directe. La gestion de ce
patrimoine se distingue alors de la gestion d’une EURL car l’EIRL ne possède pas de droits
politiques (§1). Toutefois, si la gestion prévue est uniquement personnelle, nous pourrions
envisager que l’entrepreneur la délègue par le biais d’un mandat (§2).
§1. L’absence de droits politiques du gérant du patrimoine affecté.
85. Les droits politiques consistent en un droit de participer aux décisions collectives105
.
Ces droits appartiennent aux ou à l’associé et s’expriment le plus souvent par son droit
d’information, de participation aux assemblées et de vote106
. Or, l’EIRL ne s’est vu attribuer
aucun droit semblable pour gérer son patrimoine affecté.
86. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette absence. La première idée nous
venant à l’esprit serait de tenter de démontrer qu’il ne peut pas avoir de tels droits car il est
seul. Pourtant, l’associé unique gérant d’une EURL est lui aussi seul à gérer le patrimoine de
cette personne morale. Il faut donc rejeter cette idée. Ces droits ne seraient donc accordés
qu’aux associés. Nous pouvons en déduire qu’à l’instar des titres sociaux107
, ils naîtraient
uniquement du contrat de société ; ce qui expliquerait que ni un fiduciaire, ni un EIRL ne
puisse les posséder. Toutefois, l’entrepreneur individuel possède un autre droit sur le
104
J. Aussedat. Société unipersonnelle et patrimoine d’affectation in Revue des sociétés, 1974, p. 247. 105
Article 1844 du Code Civil. 106
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 178, préc. n° 310. 107
Cf. infra n° 44.
35
patrimoine affecté qui lui permettra de le gérer tout aussi efficacement : un droit de propriété.
Etant propriétaire du patrimoine affecté, il devrait posséder sur lui les pouvoirs les plus
absolus. Mais, en présence de l’affectation, ce droit de propriété perd son caractère
d’absoluité. L’affectation est une charge qui va venir conditionner l’exercice du droit de
propriété. Elle est donc un mode d’exercice de ce droit108
. Toutefois, malgré ce
conditionnement, l’entrepreneur individuel pourra continuer de gérer son patrimoine affecté.
Il devra juste le faire dans le respect de l’intérêt de ce patrimoine, donc l’intérêt de son
activité professionnelle.
87. Malgré l’absence de droits politiques, le droit de propriété particulier que possède
l’EIRL lui permettra donc de gérer efficacement son patrimoine affecté. Toutefois, ce droit ne
peut être exercé que personnellement par l’entrepreneur. Or le législateur n’a pas prévu de
mode spécial de délégation des pouvoirs de gestion. Toutefois, nous pourrions qu’il recourt au
droit commun et notamment à l’utilisation du mandat pour remédier à cette lacune.
§2. L’utilisation du mandat hors de la structure de l’EIRL.
88. Si aucun mandat de gestion n’a été intégré dans la structure de l’EIRL, l’entrepreneur
peut toujours recourir au droit commun du mandat pour la confier cette gérance à un tiers. Il
devra en respecter le droit commun. Si ce contrat peut être à titre gratuit, il peut également
être conclu à titre onéreux109
. Alors, la contrepartie financière correspondra à la rémunération
du mandataire. De même, sauf stipulation contraire où sauf à ce qu’il soit conclu dans l’intérêt
commun de l’entrepreneur et du mandataire, le mandat sera révocable ad nutum110
. Durant la
vie du patrimoine affecté, le mandataire sera responsable de sa mauvaise gestion sur son
patrimoine affecté111
. Enfin, en cas de déconfiture ou de faillite de l’entrepreneur (le mandant)
ou du mandataire, le mandat sera automatiquement révoqué112
. L’utilisation du droit commun
du mandat permettra donc d’organiser une gestion déléguée efficace du patrimoine affecté.
L’absence de mandat de gestion au sein de la structure de l’EIRL ne le pénalise donc pas par
rapport à l’EURL. Cependant, le législateur aurait pu prévoir des règles adaptées à la situation
car confier la gérance à un mandataire pourrait permettre à l’entrepreneur individuel de
108
G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,
Paris : Litec, 2009, préf. J. Amiel-Domat, p. 72, préc. n°48. 109
Article 1986 du Code Civil. 110
Article 2004 du Code Civil. 111
Article 1192 du Code Civil. 112
Article 2003 du Code Civil.
36
s’exonérer de manière certaine d’une partie de sa responsabilité (celle pour ses fautes de
gestions) le mandataire répondant de sa gestion sur son patrimoine propre.
89. Mais, le recours au mandat pourra poser un problème à propos des revenus du
patrimoine affecté que l’entrepreneur peut verser dans son patrimoine non affecté113
. Si nous
considérons que ces revenus rémunèrent la gérance du patrimoine affecté par l’entrepreneur,
alors ce droit ne devrait plus pouvoir être exercé lorsque la gérance est déléguée. Or, le
législateur a omis de légiférer sur cette question. L’entrepreneur pourrait donc continuer à se
verser des revenus malgré le fait qu’il rémunère son mandataire-gérant sans que cela ne puisse
être sanctionné. La seule sanction imaginable serait la responsabilité de l’entrepreneur pour
insuffisance d’actif mais cette dernière n’interviendra qu’en cas d’ouverture d’une procédure
de redressement ou de liquidation judiciaire.
90. Conclusion du chapitre. L’absence de personnalité morale et l’absence de mandat de
gestion intégré au sein de la structure de l’EIRL ne sont pas des obstacles à sa bonne gestion.
Toutefois en termes de gestion, cela n’apportera rien de plus que ce qui peut être obtenu en
recourant à l’EURL. Le recours au patrimoine d’affectation ne permet donc pas d’avancées
majeures sur ce point, à l’instar de ce que nous pourrons constater concernant les
particularités des mutations du patrimoine affecté.
CHAPITRE II. LES PARTICULARITES DES MUTATIONS DU
PATRIMOINE D’AFFECTATION
91. Durant sa vie, le patrimoine affecté va être amené à évoluer. Des mutations seront
susceptibles de toucher les actifs du patrimoine affecté (Section I) mais également le
patrimoine affecté lui-même (Section II). Ces mutations sont communes aux sociétés dont le
patrimoine a vocation à être augmenté ou réduit et dont les associés peuvent changer tout au
long de la vie sociétaire. Pourtant, si le législateur a prévu des règles spéciales les concernant,
il n’en a pas fait de même avec le patrimoine affecté de l’EIRL.
Section I. La mutation des actifs du patrimoine affecté.
92. Les actifs du patrimoine affecté de l’EIRL sont susceptibles d’être modifiés de deux
manières différentes. D’une part l’entrepreneur individuel peut modifier son affectation (§1),
113
Article L 526-18 du Code de Commerce.
37
d’autre part il peut aliéner les actifs de son patrimoine affecté (§2) afin de les faire
définitivement sortir de son patrimoine « général ».
§1. La modification de l’affectation.
93. L’affectation peut être modifiée dans le sens de l’augmentation par l’affectation de
nouveaux actifs (A) ou de la diminution par la désaffectation de certains actifs (B). Si la
première possibilité a été règlementée au moins partiellement par le législateur, ce dernier a
omis de traiter la seconde, ce qui risquera de poser certains problèmes, notamment quant à la
protection du gage des créanciers des différents patrimoines de l’entrepreneur.
A. L’affectation de nouveaux actifs au patrimoine affecté.
94. L’affectation de nouveaux actifs peut être réalisée par l’entrepreneur individuel lui-
même mais également par un tiers créant alors une indivision sur le patrimoine affecté.
95. L’affectation de nouveaux actifs par l’entrepreneur individuel a été expressément
envisagée par le législateur. L’entrepreneur est contraint d’effectuer une déclaration
complémentaire pour toute nouvelle affectation d’un bien immobilier, d’un bien dont la
valeur est supérieure à 30 000 euros ainsi que d’un bien commun ou indivis114
. Toutefois, le
législateur n’a pas posé de règle générale d’obligation de déclaration complémentaire en cas
de nouvelle affectation. Nous pouvons donc nous demander si l’entrepreneur devra en
effectuer une s’il vient à affecter ultérieurement des biens n’étant pas ceux sus-énoncés. Pour
certains auteurs, l’affectation ultérieure d’un bien nécessaire impliquera d’effectuer une
déclaration complémentaire115
. Nous pouvons adhérer à une telle vision. En effet,
l’entrepreneur individuel est contraint d’affecter les biens nécessaires à son activité
professionnelle. Or, pour rendre cette nouvelle affectation opposable aux créanciers, il ne
pourra que passer par une déclaration complémentaire publiée au registre auquel il est tenu de
s’inscrire. Par contre, concernant les biens simplement utiles nouvellement acquis,
l’entrepreneur n’est pas tenu de les affecter. Mais, s’il décide de les affecter, une déclaration
complémentaire sera nécessaire afin de rendre l’affectation opposable. Cependant, une
dernière question se posera : une nouvelle déclaration sera-t-elle nécessaire en cas de
remplacement d’un bien au sein du patrimoine affecté? Il s’agit ici de se demander si un
114
Les articles L 526-9, L 526-10 et L 526-11 du Code de Commerce prévoient respectivement ces règles. 115
B.Saintourens. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : Commentaire de la loi n°2010-658 du 15
Juin 2010 in Revue des sociétés, 2010, p. 351, préc. n° 34.
38
mécanisme de subrogation réelle116
doit jouer au sein du patrimoine affecté. Si nous
considérons que le patrimoine affecté est une universalité juridique, le mécanisme de la
subrogation réelle pourrait être mis en œuvre. Mais, le mécanisme de la déclaration
complémentaire pour certains biens semble s’y opposer car elle permet de contrôler les
mouvements au sein du patrimoine même si des doutes existent quant à sa portée117
.
Toutefois, le mécanisme de subrogation réelle permettant de garantir la valeur du patrimoine
affecté, il faudrait donc exclure l’exigence d’une nouvelle déclaration.
Nous pouvons observer qu’à propos de l’augmentation du patrimoine affecté, aucune
évolution n’existe par rapport au patrimoine sociétaire dans lequel joue un mécanisme de
subrogation et qui peut même, outre augmentation de capital, être augmenté sans obligation
de formalités118
. D’ailleurs, cette absence de progrès sera flagrante lorsqu’un tiers voudra
apporter des actifs au patrimoine affecté d’un EIRL.
96. Le législateur n’a pas envisagé la question d’une éventuelle indivision sur le
patrimoine affecté. Si la loi vise l’entrepreneur individuel, elle n’interdit pas pour autant la co-
exploitation. Ainsi, deux entrepreneurs individuels pourraient créer ensemble un patrimoine
affecté dont le régime serait soumis aux règles du droit commun de l’indivision ou à celle de
leur convention d’indivision ; et ce dans le respect des articles L 526-6 et suivants du Code de
Commerce. D’ailleurs, le droit des successions semble aller dans le sens de l’autorisation de
cette pratique. En effet, si un EIRL décède, avant le partage de son patrimoine, ses héritiers
seront en indivision dessus, y compris sur le patrimoine affecté. Or, afin de choisir le
repreneur de ce patrimoine parmi eux, ils devront respecter les règles de l’indivision
successorale119
. Ici est donc la preuve de ce que l’indivision peut constituer un mode de
gestion du patrimoine affecté de l’EIRL. Autoriser cette possibilité permettrait à
l’entrepreneur individuel de développer son entreprise en trouvant des capitaux extérieurs. Ne
116
G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir subrogation réelle :
définit la subrogation réelle comme la fiction de droit par laquelle (dans une universalité) un bien en remplace un
autre en lui empruntant ses qualités. 117
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 46 et 47, préc. n° 89. 118
Si l’augmentation du capital social d’une SARL est soumise à un certain formalisme car elle emporte une
modification de statut pouvant seulement être votée par une assemblée générale extraordinaire, la société peut
tout de même augmenter son patrimoine en acquérant des biens. Aucun formalisme n’est alors requis pour ces
acquisitions. 119
A-L. Leroyer et J-F. Pillebout EIRL et droit des régimes matrimoniaux et des successions in EIRL :
L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 124, préc. n°305.
39
pas la permettre, en revanche, cantonnerait l’EIRL à une structure réservée aux petites
entreprises sans possibilité d’évolutions contrairement aux sociétés120
.
97. L’étude de l’affectation des nouveaux actifs nous permet de conclure que le recours au
patrimoine affecté est tout aussi apte que la société à permettre l’extension économique d’une
entreprise ; si toutefois les bonnes solutions aux questions posées seront données.
B. La désaffectation des actifs du patrimoine affecté.
98. Le législateur n’a pas envisagé l’hypothèse d’un transfert d’actifs du patrimoine
affecté vers le patrimoine non affecté, soit d’une désaffectation. Dans le silence de la loi, cette
pratique serait possible121
. D’ailleurs, une interprétation à contrario de l’article L632-1. I. 11°
du Code de Commerce du Code de Commerce confirme cette idée. Cet article interdit la
désaffectation en cours de procédure collective. A contrario, cette opération est valable hors
procédure collective122
. Une telle opération serait d’ailleurs plus qu’utile pour l’EIRL qui
pourrait ainsi moduler l’étendue de ses différents patrimoines selon ses besoins de crédit.
L’affectation semble donc réversible par principe puisque ce que la volonté a fait, elle peut le
défaire. Nous pouvons alors nous demander quel serait le régime de cette désaffectation et de
quelle protection les créanciers du patrimoine affecté pourraient-ils bénéficier. Une fois
encore, la loi est muette. Toutefois, nous pouvons déduire de l’obligation d’affecter les biens
nécessaires que l’entrepreneur aura interdiction de les désaffecter sous peine de commettre un
manquement aux règles de l’affectation sanctionné par la reconstitution du droit de gage
général de ses créanciers. Par contre, concernant les biens utiles, la volonté intervenant dans
leur affectation, il semble qu’il sera possible de les désaffecter. Nous pouvons alors regretter
que le législateur n’ait pas prévu une déclaration de désaffectation et un droit d’opposition qui
auraient permis aux créanciers du patrimoine non affecté de protéger leur gage123
. Cependant,
ces créanciers pourront obtenir l’inopposabilité de la désaffectation par le biais de l’action
paulienne ainsi que la responsabilité de l’entrepreneur pour insuffisance d’actif en cas
120
Ces dernières peuvent en effet évoluer d’une part par la transformation de leur forme juridique et d’autre part
en procédant à des augmentations de leur capital social, qu’elles soient internes ou qu’elles fassent appel à des
capitaux extérieurs. 121
F. Pérochon. L’efficacité des mécanismes de prévention des risques : l’EIRL in Revue des procédures
collectives, Novembre 2010, n°6, dossier 5, préc. n° 13 : qui met en doute la possibilité de « désaffecter ». 122
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78. 123
Ibidem. − E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°34 : qui
souligne l’absence de procédure a priori des désaffectations ainsi que l’absence de règles précise similaires à
celles encadrant la réduction de capital en matière de sociétés et posant un principe d’intangibilité de ce capital.
40
d’ouverture d’une procédure collective124
. Encore une fois, leurs droits sont protégés par le
droit commun a posteriori et non par un droit spécial au patrimoine d’affectation a priori.
99. Là est donc bien la preuve de ce que le recours au patrimoine d’affectation ne
constituera une avancée par rapport à l’utilisation de la technique sociétaire que si le
législateur veut bien lui donner un régime juridique complet et en accord avec sa finalité.
Cette idée pourra être confirmée concernant l’aliénation des actifs du patrimoine affecté.
§2. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté.
100. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté afin de les faire sortir définitivement du
« patrimoine général » de l’entrepreneur n’a pas été envisagée par le législateur. Il nous faut
donc envisager ces possibilités d’aliénation selon que le bien soit nécessaire ou utile (A). En
l’absence de prévisions légales, nous pourrons alors constater la carence de la protection des
créanciers de l’EIRL face à ces aliénations (B).
A. L’aliénation des biens nécessaires et utiles.
101. Malgré l’absence de prévision légales, la nature de patrimoine affecté et les règles
d’affectation peuvent nous permettre d’affirmer l’impossibilité d’aliéner seuls les biens
nécessaires mais la possibilité de le faire avec les biens simplement utiles.
102. L’aliénation des biens nécessaires serait impossible. En effet, l’article L 526-6 du
Code de Commerce ôte tout pouvoir à la volonté de l’entrepreneur dans l’affectation de ces
biens. Ainsi, s’il les aliène, à titre onéreux ou gratuit, il commettra un manquement grave aux
règles de l’affectation qui sera sanctionné par la reconstitution d’un droit de gage général des
créanciers. Toutefois, par exception, l’aliénation de ces biens pourrait être autorisée dans deux
cas de figure. D’abord dans le cas du renouvellement d’un bien. Nous pouvons considérer que
l’entrepreneur devra effectuer ce remplacement de manière à ne pas diminuer le gage des
créanciers du patrimoine affecté, c'est-à-dire de manière à garantir une valeur identique de son
patrimoine affecté afin de ne pas commettre de fraude à leurs droits. Mais, l’aliénation
pourrait également être permise en cas de changement d’activité. En effet, l’article L 528-8.
2° du Code de Commerce prévoit que la modification de l’objet de l’activité professionnelle
doit être mentionnée au registre sur lequel a été effectué le dépôt de la déclaration
d’affectation. Suite à cette modification, certains biens nécessaires pourraient devenir inutiles
ou simplement utiles et alors, l’entrepreneur pourrait les aliéner.
124
Ibidem.
41
103. La volonté de l’entrepreneur ayant le pouvoir d’affecter les biens utiles, elle peut
également les désaffecter125
. En cas d’aliénation à titre onéreux, les solutions retenues
dépendraient du patrimoine dans lequel la contrepartie retournerait. Si cette contrepartie est
intégrée au patrimoine affecté, nous pourrions estimer que jouerait la subrogation réelle. La
valeur du gage de ses créanciers restant inchangée, il n’y aurait pas besoin de mesures de
publicité pour préserver leurs droits. Par contre, si la contrepartie était réintégrée au
patrimoine non affecté, il y aurait une désaffectation indirecte synonyme de réduction de
capital pour le patrimoine affecté. Il en sera de même en cas d’aliénation à titre gratuit si le
bien utile est réintégré au patrimoine non affecté. Mais, si l’aliénation à titre gratuit est faite
envers un tiers, alors le patrimoine « général » de l’entrepreneur s’en trouvera diminué. Cette
opération devrait être autorisée sous réserve de la fraude aux droits des créanciers du
patrimoine affecté. Mais, la dernière hypothèse sera plus dangereuse. En effet, si lors de
difficultés financières l’entrepreneur est déclaré responsable pour insuffisance d’actifs, le
gage des créanciers du patrimoine affecté sur le patrimoine non affecté sera moindre par
rapport à l’hypothèse où le bien utile aurait réintégré le patrimoine non affecté
104. Les règles de l’affectation nous permettent donc d’affirmer la possibilité ou
l’impossibilité d’aliéner les actifs du patrimoine affecté en fonction de leur nature. Toutefois,
elles ne permettent pas une protection accrue des droits des créanciers.
B. La carence de la protection des créanciers face aux aliénations.
105. Si les biens à aliéner sont communs ou indivis, l’entrepreneur devra respecter les
règles de pouvoir imposées par l’indivision ou son régime matrimonial afin de pouvoir
réaliser cette opération. En effet, l’accord du conjoint ou du co-indivisaire à l’affectation ne le
dispense pas de respecter les règles de pouvoirs portant sur ces biens126
. Toutefois, ces règles
protègent uniquement les personnes ayant donné leur consentement à l’affectation et non les
créanciers du patrimoine affecté. Pour ces derniers, seule une protection a posteriori par le
recours à la fraude, l’action paulienne et la responsabilité pour insuffisance d’actif peut être
mise en œuvre contre l’atteinte à leurs droits. Nous pouvons donc regretter que le législateur
n’ai pas mis en place de mécanisme de publicité de l’opération par une déclaration ainsi qu’un
125
Voir en ce sens : P. Davy. Cession isolée d’un bien immobilier d’une EIRL. Defrénois, 15 Décembre 2010, n°
21, p. 2289. 126
Par exemple, si le logement familial a été inclus dans le patrimoine affecté, son aliénation ne pourra se faire
qu’avec l’accord exprès des deux conjoints puisque l’article 215 du Code Civil les interdit de disposer l’un sans
l’autre des droits par lesquels est assuré le logement de la famille.
42
droit d’opposition qui auraient permis aux créanciers de défendre leurs droits a priori et qui
aurait tempéré le caractère unilatéral de ces opérations à leur égard.
106. La mutation des actifs du patrimoine affecté, si elle doit être possible car elle est
nécessaire à la vie de l’entreprise, laisse penser que l’EIRL n’est pas spécialement protecteur
des créanciers. De tels griefs pourront également être retenus à propos de la mutation du
patrimoine affecté lui-même.
Section II. La mutation du patrimoine affecte.
107. L’entrepreneur peut le transmettre ou, au contraire, de l’abandonner. Qu’il s’agisse de
la transmission (A) ou de l’extinction (B), le législateur a établit certaines règles. Toutefois,
elles restent malgré tout lacunaires.
§1. La transmission du patrimoine affecté.
108. L’EIRL peut transmettre son patrimoine affecté conformément aux prévisions de
l’article L 526-17 du Code de Commerce. Après l’étude du régime de cette transmission (A),
nous pourrons alors constater que ce régime est très complexe. Cette complexité apparaitra
d’ailleurs particulièrement si nous étudions l’articulation de la transmission du patrimoine
affecté avec le droit des successions et des régimes matrimoniaux (B).
A. Le régime de la transmission du patrimoine affecté.
109. Le régime de la transmission du patrimoine affecté dépend de la nature de ce dernier.
Or, le patrimoine affecté de l’EIRL est une universalité juridique. Il devra donc être transmis
dans son intégralité, actif et passif inclus. C’est que ce prévoit l’article L 526-17 du Code de
Commerce qui permet de transmettre le patrimoine affecté dans son intégralité sans procéder
à sa liquidation. Il s’agit de la première fois que le transfert d’un patrimoine entre personnes
physiques est autorisé127
, contrairement au droit des sociétés où la transmission universelle est
organisée lors des fusions128
. En cas de lacunes dans le régime de la transmission du
127
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 : en effet, même en droit
des successions, le transfert du patrimoine du défunt aux héritiers n’était pas autorisé puisque la liquidation en
était organisée. 128
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 710, préc. n°1399 : sur la
transmission universelle, renvoyant sur ce sujet à R. Raffray. La transmission universelle du patrimoine des
personnes morales. Thèse de doctorat: Bordeaux, 2009, préf. F. Deboissy
43
patrimoine affecté, nous pourrons donc nous référer à la transmission universelle du droit des
sociétés pour obtenir des réponses.
110. La transmission du patrimoine affecté peut être réalisée de plusieurs manières. Soit
entre vifs par cession à titre gratuit, transmission à titre onéreux ou apport à une société, soit à
cause de mort de l’entrepreneur lorsqu’un héritier ou un ayant droit manifeste son intention de
poursuivre l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté129
. La transmission
du patrimoine affecté réalisant le transfert de l’actif et du passif de ce patrimoine, le
bénéficiaire deviendra débiteur des créanciers du patrimoine affecté de l’EIRL. Cependant, la
loi prévoit que cette substitution s’opèrera sans novation130
à leur égard131
. L’absence de
novation est une conséquence de la nature du patrimoine affecté. En effet, le passif du
patrimoine affecté ne nait pas de l’entrepreneur qui le possède mais de l’exercice de l’activité
professionnelle qui le fonde. Ainsi, si nous considérons que le patrimoine est débiteur des
créanciers du patrimoine affecté, son transfert n’entraine pas un changement de débiteur
justifiant l’application du régime de la novation. Le recours au patrimoine affecté permet alors
une dérogation à l’effet relatif des contrats puisque son nouveau titulaire se trouvera obligé
par des obligations contractée par l’ancien titulaire et ce, dans les mêmes conditions132
.
Si la transmission est universelle, son régime devrait s’appliquer à l’ensemble des
biens du patrimoine affecté et exclure toute disposition spéciale relative à la transmission de
certains de ses actifs. L’article L 526-17. III alinéa 2 du Code de Commerce écarte d’ailleurs
les textes relatifs à la transmission du fonds de commerce lorsqu’elle intervient par suite de la
transmission du patrimoine affecté. Toutefois, le régime de la transmission du patrimoine
affecté prévoyant une publicité et un droit d’opposition des créanciers du cédant, la
protection spécifique organisée pour le fonds de commerce en devient inutile133
. En revanche,
le législateur n’a écarté ni le droit de la vente d’immeuble ni le droit de la cession de créance.
Si les praticiens conseillent de respecter le formalisme de la cession d’immeuble, en
129
Ces transmissions sont respectivement prévues aux articles L 536-7. I et L 526-16 du Code de Commerce. 130
G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir novation : qui définit la
novation comme « la substitution, à une obligation que éteint, par une obligation que l’on crée nouvelle, par
changement de créancier, de débiteur, d’objet ou de cause ». 131
Article L 526-17. III. Alinéa 3. 132
E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°44 − Dubuisson, M.
Germain. L’affectation d’un patrimoine : transmission in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité
limitée. Paris : Litec, 2011 p. 77, préc. n° 56 : cette dérogation à l’effet relatif des contrats n’est pas inédite
puisqu’elle existe également en cas de fusion en droit des sociétés à l’article L 236-14 du Code de Commerce. 133
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 : malgré tout, certains
textes prévoyant l’information de l’acquéreur du fonds de commerce ou la définition du privilège du vendeur
sont écartés alors qu’ils ne se retrouvent pas dans le régime de la transmission du patrimoine affecté, ce qui
affaiblit la sécurité juridique devant entourer l’opération.
44
procédant notamment à la publicité foncière134
, des doutes pèsent encore à propos de la
cession de créance. Le formalisme de l’article 1690 du Code Civil devra-t-il être respecté ? Ce
formalisme n’ayant pas à être respecté en matière de fusion de sociétés, nous pouvons estimer
qu’il en sera de même concernant la transmission du patrimoine affecté de l’EIRL135
.
La transmission universelle du patrimoine affecté aura des conséquences différentes
selon qu’elle sera transmise à une personne physique ou à une personne morale. Si la
transmission se fait à une personne physique, l’affectation sera maintenue136
. Par contre, en
cas de transmission ou d’apport à une société, elle ne le sera pas137
. Cette solution semble
logique car la création du patrimoine affecté est réservée aux personnes physiques138
. De plus,
le patrimoine sociétaire est lui-même un patrimoine affecté. Nous pourrions donc en déduire
que le patrimoine affecté de l’EIRL ne pourra intégrer celui d’une société que si l’activité
fondant l’affectation est identique. En effet, si cette activité est différente, l’utilisation des
biens du patrimoine de l’EIRL pour l’activité de la société serait violerait les règles de
l’affectation de ce patrimoine. Nous pourrions donc en déduire le principe selon lequel
« affectation sur affectation ne vaut ».
Enfin, la transmission universelle devra respecter un formalisme strict afin d’être
opposable à certains créanciers du patrimoine affecté. Qu’il s’agisse de la transmission à une
personne physique ou morale, le législateur a conditionné l’opposabilité du transfert de
propriété, à des mesures de publicité139
et à l’absence d’opposition ou au refus de l’opposition
des créanciers de l’EIRL dont la créance est antérieure à la date de publicité du transfert de
propriété ainsi qu’aux créanciers auxquels la déclaration d’affectation initiale n’est pas
opposable en cas de transfert à titre gratuit140
. Si le droit d’opposition est louable car il
protège les créanciers du cédant du changement de débiteur, peut être aurait-il été utile de le
134
Ibidem – P. Davy. Cession isolée d’un bien immobilier d’une EIRL. Defrénois, 15 Décembre 2010, n° 21, p.
2289. 135
E. Dubuisson, M. Germain. L’affectation d’un patrimoine : transmission in EIRL : L’entrepreneur individuel
à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 75, préc. n° 147 : selon une jurisprudence ancienne (Cass. civ., 7
Mars 1972, n°68-13.993 JCP 1972, II, 17270, note Y. Guyon) le formalisme de l’article 1690 du Code Civil n’a
pas à être respecté en matière de fusion pour que la cession de créance soit opposable aux tiers. Cependant, la loi
LME du 4 Août 2008 a modifié le régime de la fiducie. Dorénavant, l’article 2018-2 du Code Civil exige que
notification soit faite au débiteur pour que la cession d’une créance dans le cadre d’une fiducie lui soit
opposable. La question de l’application du formalisme de l’article 1690 du Code Civil risque donc de se poser
inévitablement en matière de transmission du patrimoine affecté d’un EIRL. 136
Article L 526-17. II alinéa 1 du Code de Commerce. 137
Article L 526-17. II alinéa 2 du Code de Commerce. 138
Article L 526-6 du Code de Commerce − R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril
2011, n°202, p. 78. 139
Il s’agit d’une déclaration de transfert au registre auquel a été effectuée la déclaration initiale pour la
transmission à une personne physique et d’un avis pour le transfert à une personne morale. 140
Article L 526-17. III alinéa 4 du Code de Commerce.
45
prévoir également au bénéfice des créanciers du cessionnaire141
. En cas de transfert à titre
onéreux, le patrimoine non affecté du cessionnaire sera diminué sans que ses créanciers ne
puissent recourir contre le patrimoine affecté. Leurs droits seront donc susceptibles d’être
fraudés.
111. Le régime de la transmission du patrimoine affecté est donc complexe. Cette
complexité va d’ailleurs s’accroitre lorsque le régime de la transmission du patrimoine affecté
devra être articulé avec le droit des successions et des régimes matrimoniaux.
B. L’articulation du régime de la transmission du patrimoine affecté avec le
droit des successions et le droit des régimes matrimoniaux.
112. En droit des régimes matrimoniaux, nous pouvons nous demander s’il serait possible
de qualifier le patrimoine affecté de bien propre ou bien commun. Selon la solution retenue, le
pouvoir de l’EIRL pour transmettre ce patrimoine serait différent. Si le patrimoine est qualifié
de propre, il pourra l’aliéner seul alors que s’il est qualifié de commun, il lui faudra l’accord
du conjoint en vertu de l’article 1424 du Code Civil. Or, un patrimoine affecté crée hors
mariage mais utilisé lors du mariage ou auquel aurait été affecté par la suite des biens
communs ainsi qu’un patrimoine affecté crée lors du mariage mais seulement avec des biens
propres constituera-il un bien commun ? De nombreuses questions pèsent encore face à ce
problème142
auquel la notion de patrimoine d’affectation ne peut apporter de réponses.
113. De même concernant l’articulation avec le droit des successions, les règles établies par
le législateur laissent encore de nombreuses ombres planer sur la reprise de l’activité par un
héritier. L’article L 526-16 du Code de Commerce permet à un héritier ou un ayant droit de
reprendre l’activité professionnelle sous réserve du respect des dispositions successorales.
L’EIRL a donc un pouvoir sur l’avenir de son patrimoine affecté. Il peut en interdire la reprise
ou imposer un repreneur. Mais surtout, trois points vont particulièrement poser problème143
.
D’abord, que faudra décider si deux repreneurs se manifestent ? Faudra-t-il faire jouer le prix
de la course ? La loi n’a rien prévu. Ensuite, le délai de trois mois reprise posera problème. Ce
délai est plus court que celui d’option successorale de quatre mois. La reprise du patrimoine
affecté sera-t-elle synonyme d’acceptation de la succession ou faut-il considérer qu’elle se fait
141
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78. 142
Voir sur ces questions : E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires,
2010, n° 50 − R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 – A-M.
Leroyer, J-F. Pillebout. EIRL et droit des régimes matrimoniaux et des successions in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 113 et suivantes. 143
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78.
46
hors succession144
? Enfin, il se peut que l’attribution du patrimoine affecté oblige le
repreneur à verser une soulte à ses cohéritiers. A cette fin, il sera possible de partager et de
vendre certains biens affectés145
. Cette possibilité semble contraire à la nature de patrimoine
d’affectation. De plus, nous pouvons nous poser la question de savoir s’il faudra partager par
priorité les biens simplement utiles et s’il sera possible de partager ceux nécessaires.
114. La transmission du patrimoine affecté laisse donc de nombreuses questions en
suspens. Or, la nature de patrimoine affecté ne permet pas d’y apporter des réponses sûres.
Ainsi, il apparait plus sécurisant pour les créanciers mais également pour les entrepreneurs de
recourir à l’EURL en matière de transmission d’entreprises. D’ailleurs, des problèmes
similaires se poseront concernant l’extinction du patrimoine affecté.
§2. L’extinction du patrimoine affecté.
115. L’extinction du patrimoine affecté peut se produire de deux manières. Soit par le décès
de l’entrepreneur sans reprise du patrimoine affecté (A), soit par renonciation à l’affectation
(B). Il s’agit d’étudier ces deux modalités d’extinction du patrimoine affecté pour démontrer
une nouvelle fois que cette nature ne peut permettre de combler les lacunes de leur régime.
A. L’extinction par décès de l’entrepreneur individuel.
116. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit que la déclaration d’affectation
cesse de produire ses effets lors du décès de l’EIRL. Les créanciers du patrimoine affecté et
ceux du patrimoine non affecté garderont alors le gage qui était le leur au moment du décès.
Cette règle est louable car elle est respectueuse de la nature affectée du patrimoine de l’EIRL
et qu’elle lui permet de tenir ses promesses de protection. Après son décès, le patrimoine non
affecté du de cujus ne pourra pas être atteint, ce qui permettra de ne pas faire peser sur lui ou
le patrimoine de ses héritiers ses éventuelles déconvenues professionnelles. Le législateur a
donc fait produire au patrimoine affecté toutes ses conséquences en prévoyant une
« succession aux biens » et non plus à la personne. Toutefois, une question importante reste
en suspens : celle du moment où la cessation des effets de la déclaration d’affectation sera
opposable aux tiers146
. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit une publicité du
décès par sa mention au registre auquel la déclaration d’affectation avait été effectuée. Or,
144
Ibidem − E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires, 2010, n° 50. 145
Article L 526-16 alinéa 2 du Code de Commerce. 146
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 60, préc. n°s108et109.
47
nous pouvons nous demander si la cessation des effets de la déclaration se fera au jour du
décès ou au jour de cette mention. Au vu de la formulation de l’alinéa 1 du même article, nous
pourrions pencher pour la première solution car cet article vise le décès, pas sa mention.
117. L’extinction du patrimoine affecté par décès de l’EIRL pose peu de problèmes. De
plus, au contraire du droit des sociétés147
, sans volonté de reprise de la part des héritiers ou
ayants-droit de l’EIRL, l’affectation s’éteindra. Cette solution est un avantage du recours au
patrimoine. Les descendants de l’EIRL n’auront plus à subir la continuation de l’activité
professionnelle ou ses déconvenues une fois l’EIRL décédé s’ils ne le désirent pas. Par contre,
l’extinction du patrimoine affecté par renonciation à l’affectation posera plus de problèmes.
B. L’extinction par la renonciation à l’affectation.
118. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit que l’affectation cesse de produire
ses effets lorsque l’EIRL y renonce. Cependant, la loi ne précise pas à quel moment la
cessation d’effets se produira : soit au moment de la renonciation, soit au moment où les tiers
en auront connaissance148
. La renonciation étant unilatérale, il semble logique de retenir la
seconde solution qui sera plus protectrice des intérêts des créanciers. A la suite de cette
renonciation, l’entrepreneur perdra le bénéfice du dispositif de l’EIRL. S’il continue son
activité, il engagera alors l’ensemble de son patrimoine reconstitué. Par contre, si
l’entrepreneur cesse cette activité, les créanciers conserveront pour gage celui qu’ils avaient
au moment de la renonciation. Cependant, la question de la possibilité pour les créanciers du
patrimoine affecté de demander sa liquidation reste posée car, contrairement à ce que prévoit
l’article L 526-17 du Code de Commerce, en cas de renonciation à l’affectation, rien n’interdit
expressément cette liquidation. De plus, l’absence de liquidation serait dangereuse car elle
pourrait conduire à exposer l’entrepreneur sur son patrimoine privé149
.
119. Conclusion du chapitre. Des questions quant au régime des différentes mutations du
patrimoine affecté restent encore posées. Or, la notion d’affectation ne peut permettre d’y
147
L’article L 223-41 du Code de Commerce dispose que : « la société à responsabilité limitée n'est pas non plus
dissoute par le décès d'un associé, sauf stipulation contraire des statuts ».Les héritiers ou ayants droits d’un
associé devenant eux-mêmes associés de la SARL ou de l’EURL à son décès, ils n’ont d’autre choix que de subir
les conséquences de l’activité professionnelle de cet associé. 148
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 58 et 59, préc. n°s105à107 : sur la renonciation à
l’affectation. 149
E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires, 2010, n° 50 : cet auteur
nous fait remarquer que « lorsque la désagrégation de l’universalité procède du désordre des affaires de
l’entrepreneur, la reconsolidation du gage unique a lieu aussi sans liquidation ; est-il normal de soumettre au
même régime l’EIRL qui renonce et l’EIRL qui fraude ? ».
48
répondre totalement. En effet, certaines règles, notamment de protection des créanciers, ne
découlent pas du patrimoine d’affectation mais du régime que le législateur lui donne,
question qui relève alors de la politique juridique.
120. Conclusion du Titre. Les particularités de la gestion du patrimoine affecté nous
permettent d’affirmer que le recours au patrimoine, tel que consacré par la loi du 15 Juin
2010, n’apparait pas comme une avancée pour les entrepreneurs individuels. Certes, le recours
à cette technique pourrait permettre certaines progressions théoriques à propos de notre
conception de la personnalité morale ou de la représentation. Toutefois, le régime du
patrimoine affecté est trop lacunaire pour être utilisé en toute sécurité. Et, le recours à
l’affectation ne peut combler toutes ces lacunes. En effet, le patrimoine affecté peut être
utilisé dans plusieurs buts. Son régime doit donc être adapté à sa finalité. Ici est la preuve de
ce que ce que le « patrimoine d’affectation » n’a pas un mais des régimes qui diffèreront selon
sa finalité. La détermination de ces régimes ne peut relever que de l’action du législateur
même s’il sera obligé de tirer certaines conséquences communes de l’affectation.
121. Conclusion de la partie. A l’issue de cette première partie, nous pouvons dresser un
bilan décevant de l’EIRL. Dans l’organisation du patrimoine affecté, le recours à la notion de
patrimoine d’affectation n’a pas permis d’éviter le formalisme lors de sa constitution et y a
même posé certaines contraintes dans la liberté d’affecter. De plus, les incertitudes sur les
contreparties à l’affectation nous amènent à penser que le dispositif de l’EIRL sera
particulièrement dangereux pour l’entrepreneur peu diligent dans le prélèvement de revenus et
de bénéfices sur son patrimoine affecté. En effet, ce dernier s’exposera à de nombreuses
sanctions qui anéantiront l’ensemble des bénéfices du dispositif mis en place. Enfin, si les
particularités du mode de gestion du patrimoine affecté permettront certaines avancées
théoriques, les particularités de ses mutations feront de l’EIRL un dispositif relativement
insécurisant pour les entrepreneurs. Le bilan est donc négatif. Nous pouvons alors nous
demander si un tel bilan peut également être dressé concernant la finalité du dispositif : la
limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
49
PARTIE II : PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION
DE RESPONSABILITE.
122. L’EIRL a pour finalité de permettre la limitation de la responsabilité des entrepreneurs
individuels. Mais le terme « limitation de responsabilité » possède plusieurs acceptions150
. Il
peut désigner une limitation du gage des créanciers ou, au contraire, signifier l’abolition totale
de la responsabilité personnelle hors du gage réservé. Qu’en est-il du dispositif mis en place
par la loi du 15 Juin 2010 ? La certitude est qu’il permet de limiter le risque d’entreprise
(Titre I). Le législateur a organisé une réelle séparation des gages des différents créanciers de
l’entrepreneur individuel. Toutefois, l’étude du droit des entreprises en difficultés nous
amènera à nous interroger sur le maintien d’une responsabilité personnelle de l’EIRL sur son
patrimoine non affecté pour ses fautes de gestion.
TITRE I. LA LIMITATION DU RISQUE D’ENTREPRISE.
123. L’EIRL permet une limitation du risque d’entreprise. En effet, le législateur a mis en
place une stricte détermination des gages des différents créanciers de l’entrepreneur individuel
lorsque le patrimoine affecté est in bonis (Chapitre I). Toutefois, pour que cette limitation soit
efficace, la séparation patrimoniale devra être maintenue lors de l’apparition de difficultés
financières (Chapitre II). Or, c’est ce que le législateur a tenté de mettre en place.
CHAPITRE I. LA STRICTE DETERMINATION DU GAGE DES
CREANCIERS EN PRESENCE D’UN PATRIMOINE AFFECTE IN BONIS
124. La limitation du risque d’entreprise suppose que les créanciers dont les dettes sont
nées d’une activité professionnelle aient pour seul gage les biens utilisés pour cette activité. Il
faut donc que les gages des créanciers soient strictement séparés durant l’exercice de l’activité
professionnelle. C’est ce à quoi le législateur a tenté de parvenir en établissant des règles
150
F. Terre. Préambule in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 9,
préc. n°15 : pour qui l’usage du mot responsabilité est trompeur car il est entendu par référence aux sous-
ensemble servant de garantie aux créanciers de l’EIRL et non comme une référence à la responsabilité de droit
civile telle que définie par l’article 1832 du Code Civil.
50
instituant une stricte séparation des gages des différents créanciers (Section I) et une
protection contre les abus dans la détermination de ces gages (Section II).
Section I. Une stricte séparation des gages des différents créanciers.
125. Le législateur a tenté de mettre en œuvre une stricte séparation des gages des différents
créanciers en établissent des règles précises de détermination des gages (§1). Toutefois, il a
occulté un problème important : celui des sûretés entre les différents patrimoines de l’EIRL.
Mais, la nature du patrimoine affecté semble induire leur impossibilité (§2).
§1. La détermination des gages des différents créanciers.
126. Avant d’envisager les règles légales de séparation des gages mises en place (B), il
nous faut rechercher ce qui a permis de les établir. En effet, il semble que ce soit la nature
d’universalité juridique du patrimoine de l’EIRL (A).
A. L’influence de la nature d’universalité juridique de l’EIRL sur la
séparation des gages.
127. La déclaration d’affectation permet de créer un patrimoine affecté par dérogation aux
textes fondant le droit de gage général des créanciers151
. S’il est vrai que la limitation de
responsabilité de l’entrepreneur individuel est la conséquence de la double dérogation à ces
textes152
, il est intéressant de rechercher pourquoi une telle règle a pu être mise en place.
128. En matière de société unipersonnelle, la limitation de responsabilité est censée
découler de la création d’une nouvelle personne juridique. En l’absence de création d’une
personne morale153
, comment une telle séparation des gages est-elle possible ? Le caractère
affecté du patrimoine de l’EIRL n’est pas à même d’en être la cause. Les biens affectés ne
peuvent servir qu’à honorer les dettes issues de l’activité professionnelle ayant donné lieu à
l’affectation mais rien n’interdit les créanciers correspondants de saisir le patrimoine non
affecté qui conserve sa vocation de gage général de l’ensemble des créanciers. Il semble alors
151
A savoir les articles 2284 et 2285 du Code Civil. 152
E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979 : « Les créanciers auxquels la
déclaration d’affectation est opposable et dont les dettes sont nées à l’occasion de l’exercice de l’activité
professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour gage général le patrimoine affecté ; les autres
créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable ont pour seul gage général le patrimoine non
affecté ». 153
Article L 526-6 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité
professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ».
51
que ce soit la nature d’universalité juridique qui permette de justifier cette stricte séparation
des gages. En effet, la caractéristique d’une universalité juridique est que ses éléments actifs
et passifs sont indissociables. Ainsi, les dettes composant le passif ne peuvent être exécutées
que sur les actifs. Alors, l’universalité juridique dont le patrimoine affecté est constitutif va
acquérir une certaine autonomie au sein du patrimoine général dans lequel il se trouve. Les
créanciers de ce patrimoine affecté ne peuvent donc plus avoir comme gage que les actifs le
composant et perdent semble-t-il tout droit sur le patrimoine non affecté de l’entrepreneur.
129. Mais, le législateur a-t-il tiré toutes les conséquences légales de cette nature ? A-t-il
vraiment mis en place cette séparation des gages ?
B. Les conséquences légales sur la séparation des gages.
130. La séparation des gages des créanciers est inscrite à l’article L 526-12 alinéa 6 du
Code de Commerce154
. Toutefois elle est conditionnée à l’opposabilité de la déclaration
d’affectation. Or, cette déclaration est un acte juridique unilatéral où n’interviennent pas les
créanciers de l’entrepreneur155
. C’est pourquoi, afin que leur gage général ne puisse être limité
sans qu’ils puissent s’en défendre le législateur a accordé à certains d’entre eux un droit
d’opposition. Si l’affectation est opposable aux créanciers dont les droits sont nés
postérieurement au dépôt de la déclaration, car ils ont contracté en connaissant la limitation de
leur gage, elle n’est opposable aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à son
dépôt qu’à la condition que l’entrepreneur le mentionne dans la déclaration d’affectation et les
en informe. Mais, cette information est insuffisante en raison du caractère unilatéral de la
déclaration d’affectation. La loi leur accorde donc un droit d’opposition. Si cette opposition
est admise par décision de justice ou que l’entrepreneur individuel ne respecte pas les
conditions de son refus156
, le patrimoine affecté sera crée mais l’affectation sera inopposable
aux créanciers concernés. Ces derniers garderont comme gage général le patrimoine général
de l’entrepreneur. Par contre, en cas de rejet de l’opposition, les droits des créanciers
antérieurs étant estimés préservés malgré l’affectation, la séparation des gages s’imposera à
154
Article L 526-12 alinéa 6 du Code de Commerce : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code Civil,
1° Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de
l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour seul gage général le
patrimoine affecté ; 2° Les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général le
patrimoine non affecté ». 155
L. Leveneur. L’EIRL ou le triomphe paradoxal de la limitation de responsabilité par voie unilatérale ! in
Revue des procédures collectives, Juillet 2010, n° 4, alerte 21. 156
Article L 526-12 du Code de Commerce.
52
eux. Ces solutions sont cohérentes car elles permettent d’assurer un équilibre entre la création
unilatérale d’une séparation de gages et la protection des droits des créanciers concernés.
131. Toutefois certaines règles du régime de l’EIRL risquent de mettre en péril ce fragile
équilibre car elles tendent à remettre en question l’étanchéité de la séparation des patrimoines
en cas d’abus dans leur mise en œuvre. Il s’agit d’abord de la possibilité pour l’entrepreneur
de déterminer les revenus de son patrimoine affecté qu’il versera dans son patrimoine non
affecté157
. Ces revenus semblent correspondre à la rémunération de l’entrepreneur en tant que
gérant de son patrimoine affecté158
. Mais, comme il les détermine lui-même, il sera
susceptible de commettre des abus quant à leur montant. Or, en l’absence de difficultés
financières, il semble peu probable que ces abus soient réprimés car les créanciers dont les
dettes son honorées ne s’y intéresseront pas. Alors, l’étanchéité des patrimoines risque d’être
mise à mal sans que cela ne soit sanctionné. Ensuite, il s’agit de la possibilité pour les
créanciers du patrimoine non affecté d’exercer leur droit de gage sur les bénéfices du dernier
exercice clos du patrimoine affecté en cas d’insuffisance du patrimoine non affecté159
.
L’ « insuffisance du patrimoine non affecté » fera débat entre les créanciers du patrimoine non
affecté et ceux du patrimoine affecté. Comme il s’agit d’une question de fait, il faut espérer
que les tribunaux en auront une appréciation similaire pour plus de sécurité juridique. Mais,
surtout, cette hypothèse permet dès lors de démontrer qu’on ne limite pas la responsabilité de
l’entrepreneur mais uniquement le droit de gage de ses créanciers.
132. Les règles mises en place permettent donc d’assurer une réelle séparation des gages,
donc limitation de responsabilité quand le patrimoine affecté est in bonis. Toutefois, le
législateur omis d’envisager le problème de la prise de sûretés entre les différents patrimoines.
§2. L’impossibilité de consentir des sûretés entre les différents patrimoines de
l’entrepreneur individuel.
133. La question des sûretés entre patrimoines ainsi que celle de renonciation partielle à la
déclaration d’insaisissabilité au bénéfice de certains créanciers avaient ôté une grande part de
leur intérêt à l’EURL, le gérant devant la plupart du temps garantir le crédit octroyé à la
société par son patrimoine personnel, et à la déclaration d’insaisissabilité, le constituant y
renonçant au profit de certains créanciers dès que le besoin de crédit se faisait trop pressant.
157
Article L 526-18 du Code de Commerce. 158
Cf. supra n° 63 159
Article L 526-12 dernier alinéa du Code de Commerce.
53
En l’absence de législation sur ces questions (A), nous pourrions penser que l’EIRL sera
victime des mêmes travers. Toutefois, le caractère affecté du patrimoine semble permettre
d’interdire une extension des gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation (B).
A. L’absence de prévisions légales.
134. Le rapport Champaud préconisait que toute garantie donnée en faveur des dettes de
l’entreprise sur les biens non affectés soit déclarée nulle et sans effet160
, en contrepartie de
quoi serait mis en place un système assurantiel. La loi du 15 Juin 2010 ne prévoit rien de tel.
Toutefois, la question n’a pas été éludée puisqu’a été proposé le recours à des organismes de
garantie pour lutter contre la prise de garanties et de sûretés conventionnelles161
. Ainsi, nous
pouvons déduire de l’article L 313-21 du Code Monétaire et Financier le fait que le législateur
ne soit pas favorable à la prise de sûretés entre patrimoines affecté et non-affecté puisqu’il
privilégie le recours à ces organismes162
, tels Oséo. De même, il semble peu probable que le
législateur ait été favorable à la possibilité de renonciation partielle à l’affectation au profit de
certains créanciers puisque cela ruinerait la règle de séparation des gages établie.
135. Malgré l’absence d’interdiction légale, il semble que ni la constitution de sûretés ni la
renonciation partielle à l’affectation ne soit possible pour étendre le gage de certains
créanciers et ce, notamment à cause de la nature du patrimoine de l’EIRL.
B. La nature du patrimoine affecté de l’EIRL contraire à une extension des
gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation.
136. La renonciation partielle à l’affectation au profit d’un créancier particulier n’est pas
interdite. Mais, nous savons qu’elle est permise en matière de déclaration d’insaisissabilité, ce
qui altère considérablement l’utilité du dispositif mais est nécessaire pour l’obtention de
crédit. Faut-il alors l’admettre au risque d’altérer la limitation de responsabilité organisée par
l’EIRL ? Pour une partie des auteurs, les textes relatifs à l’EIRL constituent un ordre public
économique163
, ce qui irait dans le sens d’une prohibition de ces renonciations. Toutefois, un
160
C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier
l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579, préc. n° 30 et 64. 161
A-M Leroyer. Entrepreneur individuel à responsabilité limitée in RTD civ., 2010, p. 632. 162
Article L 313-21 du Code Monétaire et Financier : « l’établissement de crédit doit informer l’entrepreneur
individuel de la possibilité de prendre une sûreté sur ses biens professionnels ou de solliciter une garantie
auprès d’un autre établissement de crédit, d’une assurance habilitée à pratiquer des opérations de caution ou
après d’une société de caution mutuelle » 163
S. Piedelièvre. Recouvrement des créances et patrimoine d’affectation in Revue de droit bancaire et
financiers, 2010, n°5, comm. 185.
54
établissement de crédit pourrait prévoir une condition résolutoire dans la convention de crédit
qui en permettrait la résolution en cas de création d’un patrimoine affecté.
137. Quant aux sûretés conventionnelles entre les patrimoines, certains invoquent l’idée
selon laquelle la règle de répartition des passifs164
fait partie d’un ordre public de protection
de l’EIRL interdisant l’extension du droit de gage des créanciers professionnels au patrimoine
non affecté par convention165
. Pour d’autres166
, l’interdiction spécifique du cautionnement
entre les patrimoines provient de l’article 2288 du Code Civil167
qui induirait que le débiteur
principal et la caution doivent être des personnes distinctes et duquel la jurisprudence aurait
déduit que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la
même obligation comme caution168
». Si ces idées paraissent justes, il nous semble que
l’interdiction de l’extension conventionnelle des gages peut simplement se justifier par la
nature du patrimoine affecté de l’EIRL. D’abord l’affectation interdit d’utiliser les biens
affectés à une autre fin que l’activité professionnelle à la source de l’affectation. Ainsi,
l’entrepreneur ne pourra ni cautionner le patrimoine non affecté grâce à eux, ni même prendre
une sûreté réelle dessus pour garantir une dette ressortant du patrimoine non affecté car cela
constituerait une violation de l’affectation169
. Quant a son conjoint il semble qu’il ne puisse
pas non plus engager les biens communs affectés car, ayant donné son accord à l’affectation,
il se doit de la respecter. Ensuite, la nature d’universalité juridique a induit des règles précises
de séparation des gages que l’entrepreneur est tenu de respecter. Ainsi, il ne pourra pas
cautionner son patrimoine affecté avec son patrimoine non affecté car ce dernier ne doit
supporter que des dettes non professionnelles. Quant à la sûreté réelle prise sur le patrimoine
non affecté pour garantir le patrimoine affecté, la question se pose de savoir si le droit réel
qu’elle donne sur le bien le fait entrer dans le patrimoine affecté. Dans l’affirmative, cette
sûreté serait permise car le bien intégrerait le patrimoine supportant les dettes
professionnelles. Mais, il en est autrement puisqu’en cas de réalisation du bien, son prix
restera dans le patrimoine non affecté par le jeu de la subrogation réelle. Il devra donc en
principe être réservé aux créanciers non professionnels. Enfin, des problèmes particuliers se
164
Article L 526-12 du Code de Commerce. 165
A-M Leroyer. Entrepreneur individuel à responsabilité limitée in RTD civ., 2010, p. 632. 166
S. Schiller. Quelle perméabilité contractuelle entre le patrimoine affecté et le patrimoine non affecté ? in Droit
et patrimoine, Avril 2010, n°191, p. 88 et 89. − S. Piedelièvre. Recouvrement des créances et patrimoine
d’affectation in Revue de droit bancaire et financiers, 2010, n°5, comm. 185. 167
Article 2288 du Code Civil : « Celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à
satisfaire cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ». 168
Cass. com., 28 Avril 1964, Bull. Civ. III, n° 215 ; RTD civ. 1965, p. 116, obs. J. Chevallier. 169
F. Roussel. EIRL et droit du crédit et des sûretés. Le financement in EIRL : L’entrepreneur individuel à
responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 110, préc. n°260.
55
poseront quant à la prise de garantie sur les biens communs non affectés. Pour que la sûreté
réelle ou que le cautionnement puisse porter sur ces biens, les articles 1422 et 1415 du Code
Civil exigent l’accord des deux époux. Donc, même si le conjoint donne son accord,
l’entrepreneur lui-même ne pourra le faire car il violerait les règles de l’affectation pour les
raisons sus-énoncées. Le conjoint de l’EIRL ne pourra donc engager que ses propres pour
garantir le patrimoine affecté170
. L’impossibilité de consentir des sûretés entre patrimoines et
de renoncer partiellement à l’affectation font alors ressortir une des faiblesses majeures du
recours au patrimoine d’affectation : la difficulté à trouver du crédit.
138. La stricte séparation des gages des différents créanciers de l’EIRL est correctement
assurée par les dispositions légales et par la nature d’universalité juridique affectée de son
patrimoine. Toutefois, cette séparation des gages étant décidée unilatéralement, le législateur
a prévu une protection des créanciers contre les abus dans sa détermination.
Section II. La protection des créanciers contre les abus dans la détermination de
leurs gages.
139. Le législateur a certes permis à un entrepreneur de limiter le gage de ses créanciers
professionnels de manière unilatérale mais sans autoriser de comportements abusifs. Malgré
cela, la protection mise en œuvre contre les abus dans la détermination des gages semble
restreinte (§1). Ces derniers devront alors recourir au droit commun pour l’accentuer (§2).
§1. La protection légale restreinte.
140. Le législateur a prévu des sanctions aux comportements abusifs dans la mise en place
de l’affectation consistant, même si leurs modalités sont différentes, en des décloisonnements
des gages respectifs des créanciers (A). Cependant, cette protection légale semble insuffisante
au regard de ce qui existe en matière de sociétés, notamment unipersonnelles (B).
A. Les hypothèses de décloisonnement des gages.
141. Le législateur a posé des limites d’intensité différente au cloisonnement patrimonial en
organisant des hypothèses de décloisonnements absolus mais aussi relatifs.171
170
F. Macorig-Venier. Observations sur l’EIRL et les sûretés in Bulletin Joly Sociétés, 1er
Mars 2011, n°3, p.
253. 171
E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979 : sur l’organisation de la
partition patrimoniale.
56
142. Le dispositif de l’EIRL est une dérogation au principe du droit de gage général. La
reconstitution de ce droit de gage semble donc être la sanction naturelle du comportement de
l’entrepreneur qui tenterait d’en détourner la finalité ou n’en respecterait le fonctionnement.
C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article L 526-12 du Code de Commerce172
. Outre les
manœuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée des obligations résultant de la
législation fiscale ou sociale qui entrainent la reconstitution du gage général au profit des
créanciers fiscaux et sociaux, le législateur a sanctionné de décloisonnement absolu les
comportements de l’entrepreneur qui tendraient à ne pas respecter les règles de séparation des
gages. Quant à la fraude, le législateur n’en a pas précisé les contours. On songe alors
spontanément à la fraude paulienne car il est question de lutter contre les « abus d’affectation
patrimoniale » comme il existe des « abus de personnalité morale » en droit des sociétés173
.
Elle permettrait de sanctionner la constitution d’un patrimoine affecté dans l’unique but de
soustraire certains biens aux poursuites des créanciers privés. Mais, la sanction de la fraude se
distingue de celle de l’action paulienne puisqu’elle bénéficie à l’ensemble des créanciers. Il en
sera de même de la sanction des manquements graves aux règles de l’affectation ruinant
l’économie du système de séparation des gages et des manquements graves aux obligations
comptables de l’EIRL entrainant une confusion comptable entre les différents patrimoines.
143. A côté des décloisonnements absolus le législateur a crée plusieurs hypothèses de
décloisonnement relatif. Il s’agit de rendre l’affectation partiellement inopposable en ce que
l’inopposabilité ne concernera que certains biens. Il en sera ainsi en cas d’affectation d’un
bien indivis ou commun sans l’accord du co-indivisaire ou du conjoint, d’affectation d’un
immeuble sans respect des règles de publicité et de non respect des règles d’évaluation de
certains actifs174
. La relativité du décloisonnement peut alors s’expliquer par le fait que ces
règles ne soient pas des règles essentielles de constitution du patrimoine affecté.
144. Le législateur a donc tenté de limiter les abus dans l’utilisation du patrimoine affecté
en prévoyant des hypothèses de reconstitution du gage général comme sanction. Toutefois, en
comparaison avec le droit des sociétés, cette protection semble insuffisante.
172
Article L 526-12 du Code de Commerce : « l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable
sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas de manquement grave aux règles prévues au
deuxième alinéa de l’article L 526-6 ou aux obligations prévues à l’article L 526-13 ». 173
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 93, préc. n°167 : sur l’abus de la
personnalité morale et le droit privé. 174
Ces sanctions résultent respectivement des articles L 526-11, L 526-9 et L 526-10 du Code de Commerce.
57
B. L’insuffisance de la protection légale.
145. Malgré ces mesures, l’EIRL semble être plus libre dans la gestion de son entreprise
que s’il avait crée une société unipersonnelle175
. Ne constituant pas une nouvelle personne
juridique, nous ne pouvons pas lui appliquer les sanctions pénales de l’article L 241-3 du
Code de Commerce relatif aux abus de biens sociaux ; sanctions qui s’appliquent pourtant
largement aux gérants d’EURL. De plus, aucune règle de contrôle de la gestion des
patrimoines n’est établie sauf hypothèse de la fraude. Or, si nous comparons l’EIRL avec le
dispositif équivalent de droit québécois qu’est la fiducie, nous constatons que le législateur a
pêché. Si le constituant est fiduciaire, il doit désigner un second fiduciaire ce qui est un
avantage puisque le contrôle est plus facile en présence de deux personnes. L’administration
de la fiducie est surveillée par le constituant, le bénéficiaire et les personnes désignées par la
loi si elle est d’utilité privée. Enfin, constituant, fiduciaire et bénéficiaire sont solidairement
responsables des actes faits en fraude des droits des créanciers et du patrimoine fiduciaire. Par
conséquent, en droit québécois, l’avantage est que la fiducie fait intervenir plusieurs
personnes ce qui facilite le contrôle de sa gestion. Cela fait apparaître un travers de la nature
particulière de patrimoine d’affectation reconnue à l’EIRL qui, en imposant l’unicité de
personne dans la gestion du patrimoine affecté, en entrave considérablement le contrôle.
146. Pour certains créanciers de l’EIRL, la protection de leur droit de gage pourra donc
sembler insuffisante. Toutefois, ils pourraient recourir aux droits communs pour l’accentuer.
§2. Le recours aux droits communs pour accentuer la protection des gages.
147. A défaut de disposer de moyens spécifiques au régime de l’EIRL pour protéger la
séparation, l’étendue, le contenu et la valeur de leurs gages, les créanciers peuvent tenter de
recourir aux droits communs. Si le recours au droit pénal semble difficile (A), l’action
paulienne, elle, apparait comme un instrument de protection civile plus qu’efficace (B).
A. Le difficile recours au droit pénal.
148. S’il n’existe pas de droit pénal spécial à destination de l’EIRL176
, ce dernier encourt
tout de même les sanctions du droit pénal général durant sa constitution et son
175
E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°30 : qui évoque « le
desserrement des règles de police de la séparation des patrimoines». 176
J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,
2011 p. 189, préc. n°442 : Selon l’auteur, il existe plusieurs raisons à l’absence de protection pénale de la
séparation des gages. D’abord la tendance législative selon laquelle il faut dépénaliser le droit des affaires.
58
fonctionnement. Alors, si pendant ces périodes l’EURL est susceptible de commettre les délits
de surévaluation des apports, non-libération des apports ainsi que de distribution de
dividendes fictifs, présentation de comptes infidèles et abus de biens sociaux177
, l’EIRL, lui,
pourrait être poursuivi pour faux et escroquerie. Les registres sur lesquels sont consignées la
déclaration d’affectation, l’affectation des immeubles ou la certification de valeur de certains
biens sont, au sens de l’article 441-1 du Code Pénal réprimant le faux en écriture, des actes
« qui ont pour objet (…) d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences
juridiques » ; en l’occurrence la limitation de responsabilité de l’entrepreneur. Si les
déclarations portées sur ces registres sont mensongères, elles seront constitutives du délit de
faux en écriture. Leur utilisation consommera le délit d’usage de faux. Concernant
l’escroquerie, son application est plus délicate. Selon l’article L 313-1 du Code de Commerce,
ce délit nécessite une manœuvre tendant à capter frauduleusement le consentement d’une
personne pour qu’elle remette des fonds, valeurs ou un bien quelconque, qu’elle fournisse un
service ou qu’elle consente à un acte opérant obligation ou décharge. Il s’agirait donc de
tromper un banquier pour obtenir un crédit. Or, selon la jurisprudence, un écrit ne constitue
pas à lui seul une manœuvre178
; le document utilisé doit receler une crédibilité renforcée par
la confiance qu’il inspire à une personne raisonnable179
. Cela est le cas d’un bilan ou de la
production d’un des registres visés à l’article L 526-7 du Code de Commerce. La production
de tels documents pourrait donc être constitutive d’escroquerie. Cette infraction pourrait
remplacer l’abus de biens sociaux dans une hypothèse : l’EIRL est régulièrement constitué
mais uniquement pour inspirer la confiance des tiers de détourner les biens affectés, à l’instar
de la constitution d’une société fictive. Toutefois, la difficulté sera de démontrer qu’il
s’agissait d’un projet délictueux depuis l’origine180
.
149. Le recours au droit pénal général permet de pallier l’absence de protection spéciale de
la séparation des gages. Mais, les créanciers pourront également utiliser le droit commun des
obligations, et notamment l’action paulienne, pour protéger la séparation de leurs gages.
Ensuite car la sanction de l’extension des gages des créanciers à la totalité du patrimoine serait suffisamment
efficace et parce que les notions de « fraude » et de « manquement grave » sur lesquelles elle est fondée sont
plus vagues donc plus efficaces qu’une incrimination pénale qui se doit de définir précisément la faute. 177
Ces délits sont respectivement prévus par les articles L 241-3.1°, L 241-1, L 241-3.2°, L 241-3. 3° et L 241-3.
4° et 5° du Code de Commerce. 178
Cass. Crim, 11 Février 1976, n° 75-91.806 ; Recueil Dalloz.1976, jurispr. p. 295, Rapp. B. Dauvergne. 179
P. Conte. Droit pénal spécial. Paris : Litec, 2007, p. 332, préc. n° 569. 180
J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,
2011 p. 192, préc. n°452.
59
B. La protection civile par le recours à l’action paulienne.
150. Les créanciers de l’EIRL ont la possibilité de demander la reconstitution du gage
général en cas de fraude de l’entrepreneur181
. Nous pouvons donc nous demander quel serait
pour eux l’intérêt d’utiliser la fraude paulienne du droit commun.
151. D’abord, certains auteurs semblent considérer que la sanction de la fraude visée à
l’article L 526-12 du Code de Commerce ne peut être invoquée que par les créanciers
professionnels de l’EIRL182
. La fraude paulienne relevant du droit commun des obligations,
elle serait ouverte à l’ensemble des créanciers, y compris ceux non professionnel. Ensuite, les
sanctions prévues par les textes relatifs à l’EIRL semblent surtout sanctionner les actes passés
lors de la constitution du patrimoine affecté. Surtout, elles semblent difficilement applicables
à certains problèmes occultés par la loi tels que les désaffectations ou la vente d’un bien utile.
Alors, le recours à l’action paulienne permettrait d’assurer une sanction certaine de ces actes
lorsqu’ils seraient faits en fraude des droits des créanciers professionnels et s’il ne leur était
pas reconnu la faculté d’invoquer l’article L 526-12 du Code de Commerce. Toutefois, nous
pouvons noter que si le recours à la fraude paulienne permet d’accentuer la protection de la
séparation des gages en ce qu’elle peut être invoquée par l’ensemble des créanciers et étendre
le spectre des actes répressibles de l’entrepreneur individuel, son résultat sera différent de
celui de la fraude inscrite à l’article L 526-12 du Code de Commerce. Sa reconnaissance ne
permettra pas la reconstitution du gage général au bénéfice de l’ensemble des créanciers. Elle
rendra seulement inopposable au créancier demandeur l’acte fait en fraude de ses droits183
.
152. Conclusion du chapitre. Le législateur a donc mis en œuvre et garantit la séparation des
gages des créanciers de l’EIRL dans le but d’établir une véritable limitation du risque
d’entreprise. Toutefois, si cette limitation est louable en présence d’un patrimoine in bonis,
son efficacité est liée à son maintien en présence de difficultés financières.
181
Article L 526-12 du Code de Commerce. 182
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 49à51, préc. n°92. 183
F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : les obligations. Paris : Dalloz, 2010 p. 1126, préc. n° 1182.
60
CHAPITRE II. LA LIMITATION DES RISQUES SUPPORTES PAR
L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL EN CAS DE DIFFICULTES
FINANCIERES.
153. Il ne sera possible d’affirmer la réussite de l’EIRL comme technique de limitation du
risque d’entreprise que si la séparation des gages est maintenue en présence de difficultés
financières184
. Or, il semble que cette tentative soit une réussite puisque le législateur a assuré
un renouveau du droit des entreprises en difficulté et du surendettement pour l’adapter à
l’EIRL (Section I) et qu’il a tenté de mettre en place une protection contre les abus que
l’entrepreneur pourrait commettre en soustrayant certains biens à la procédure (Section II).
Section I. Le renouveau du droit des entreprises en difficulté et du
surendettement.
154. Le législateur ayant renvoyé à une ordonnance pour traiter de ce problème185
, il
semble que le gouvernement ait répondu aux attentes des entrepreneurs en mettant en place un
principe d’application distributive des procédures collectives et de surendettement par
patrimoine (§1) ce qui aura pour conséquence pratique de limiter véritablement les risques
d’entreprise encourus par l’entrepreneur et sa famille (§2).
§1. Le principe : l’application distributive des procédures collectives et de
surendettement par patrimoine.
155. Lors de la publication de la loi du 15 Juin 2010, les auteurs s’étaient prononcés en
faveur d’une application des procédures patrimoine par patrimoine186
. C’est ce que
l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 Décembre 2010 a consacré en prévoyant l’application des
procédures au patrimoine lui-même (A). Toutefois, certaines difficultés soulevées avant la
prise de l’ordonnance187
restent non résolues concernant l’articulation des procédures (B).
184
F-X Lucas. EIRL, le casse-tête pour les procédures collectives in L’ESSENTIEL Droit des entreprises en
difficulté, 1er
Juillet 2010, n°7, p. 1. 185
Article 8. I de la loi n° 2010-658 du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. 186
V. Legrand. L’EIRL pourra-t-il prétendre à une procédure de surendettement ? in Recueil Dalloz, 2010, p.
2385. 187
Ibidem – M. Douaoui-Chamseddine. L’adaptation et l’articulation délicates des procédures d’exécution à
l’EIRL in Revue de droit bancaire et financier, Septembre 2010, n°5, étude 23.
61
A. L’application des procédures au patrimoine lui-même.
156. Répondant favorablement aux inquiétudes des praticiens, l’ordonnance du 9 Décembre
2010 a tiré toutes les conséquences de la création d’un patrimoine affecté en prévoyant une
application des procédures de traitement des entreprises en difficulté patrimoine par
patrimoine188
. Dorénavant, chaque patrimoine aura sa procédure189
. Ce principe d’étanchéité
des procédures peut être constaté tant lors de leur ouverture que pendant leur déroulement.
Lors de l’ouverture, le surendettement sera apprécié au regard des dettes non professionnelles
concernant le patrimoine non affecté et n’intéressera que le passif du patrimoine non
affecté190
. Quant aux procédures de traitement des entreprises en difficultés, leurs conditions
d’ouverture seront appréciées patrimoine par patrimoine en cas d’affectations multiples ou
d’exercice de plusieurs activités avec ou sans affectation. Ainsi, le principe « procédure sur
procédure ne vaut » ne sera pas applicable à l’EIRL puisque plusieurs procédures pourront
être ouvertes si elles concernent des patrimoines différents. En cours de procédure, toutes les
mesures prises et les pouvoirs des éventuelles personnes nommées seront cantonnées au seul
patrimoine concerné et à ses créanciers. Toutefois, que se passera-t-il si l’affectation cesse en
cours de procédure ? Il faut distinguer. Si la procédure concerne le patrimoine affecté et que
l’affectation cesse, elle sera continuée indépendamment du patrimoine non affecté de
l’entrepreneur. Par contre, si la procédure est ouverte à l’encontre du patrimoine non affecté et
que l’affectation cesse, il faudra faire la différence comme le fait l’article L 526-15 du Code
de Commerce. S’il n’y a pas eu cessation d’activité, la procédure ouverte contre le patrimoine
non affecté s’étendra au patrimoine affecté. En cas de cessation d’activité, la procédure ne
pourra pas atteindre l’ancien patrimoine affecté car sa liquidation intervient de manière
autonome191
. C’est ce qu’a précisé l’article L 680-5 du Code de Commerce. La cessation
d’affectation sans cessation d’activité crée donc un nouveau cas d’extension de la procédure.
157. En respectant le principe d’application des procédures patrimoine par patrimoine, le
législateur permet à l’EIRL d’atteindre son but en créant une véritable limitation des risques
d’entreprise même en cas de difficultés financières car la procédure ne risque plus de toucher
son patrimoine « personnel ». Toutefois, quelques difficultés pratiques restent non résolues.
188
Article L 680-A du Code de Commerce. 189
J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du
droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in
Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2. – P-M Le Corre. L’heure de vérité de l’EIRL : le
passage sous la toise du droit des entreprises en difficulté in Recueil Dalloz, 2011, p. 91. 190
Article L 333-7 du Code de la Consommation. 191
Ibidem.
62
B. Les problèmes d’articulations entre les procédures.
158. Si procédure de surendettement et procédure de traitement des entreprises en difficulté
peuvent dorénavant être cumulées, rien n’a été prévu quant à leur articulation. Avant la
parution de l’ordonnance du 9 Décembre 2010, selon H. Novelli, le bénéfice de la procédure
de surendettement devait être subordonné au maintien d’une activité professionnelle viable192
.
Le problème était de définir « l’activité professionnelle viable193
». Etait-t-elle caractérisée par
l’insolvabilité ou l’état de cessation des paiements du patrimoine affecté ? Malgré l’adaptation
du droit des entreprises en difficultés au principe du patrimoine d’affectation, les textes de ce
droit spécial sont restés inchangés. Conformément à l’article L 631-1 du Code de commerce,
l’ouverture du redressement judiciaire est donc conditionnée à l’existence d’un état de
cessation des paiements qui sera apprécié au jour du jugement. Il s’agira donc de comparer
l’actif affecté disponible avec le passif exigible afférent au même patrimoine. L’ordonnance
n’ayant rien prévu à propos d’une articulation avec la procédure de surendettement, nous
pourrions conclure qu’elle pourrait être ouverte au bénéfice du patrimoine non affecté dès lors
que l’entrepreneur de bonne foi sera dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble
de ses dettes non professionnelles exigibles194
et à échoir et ce, sans considération de la santé
de son ou ses patrimoines affectés. Le gouvernement a tenté d’apporter une réponse à cette
question. Ainsi, lorsque la procédure collective sera ouverte en cas de cessation des paiements
d’un patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel aura l’obligation de prévenir la commission
de surendettement pour son patrimoine non affecté195
.
159. Le principe d’application distributive des procédures par patrimoine a donc été
clairement consacré par le législateur. En pratique, cela permettra de limiter véritablement la
limitation des risques encourus lors de l’exercice de l’activité professionnelle.
192
H. Novelli : « L’ordonnance à venir respectera les principes suivants : l’entrepreneur aura droit de recourir,
en ce qui concerne son patrimoine personnel, au dispositif applicable en cas de surendettement si son activité
professionnelle demeure viable ; en cas de faillite, le patrimoine professionnel sera liquidé. Le régime prévu en
la matière se rapprochera de la liquidation simplifiée déjà en vigueur » in Rapport n° 2298 de la commission
des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l’EIRL, 10 Février 2010,
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2298.asp#P164_24569, consulté le 8 Juillet 2011. 193
M. Douaoui-Chamseddine. L’adaptation et l’articulation délicates des procédures d’exécution à l’EIRL in
Revue de droit bancaire et financier, Septembre 2010, n°5, étude 23. 194
Article L 330-1 du Code de la Consommation. 195
Article L 333-7 du Code de la Consommation.
63
§2. Conséquences : la limitation des risques en pratique, véritable innovation de
l’EIRL.
160. Le législateur a maintenu la séparation des gages en cas de difficultés financières de
l’EIRL. Il existe donc une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur
individuel (A) qui, en plus, va indirectement bénéficier à son conjoint (B).
A. Une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur
individuel.
161. La limitation du risque d’entreprise n’aurait eu aucune portée si elle avait été limitée
au patrimoine affecté in bonis. Réserver des biens à des créanciers n’apporte aucune
innovation tant que le débiteur peut honorer ses engagements. Par contre, en présence de
difficultés financières cette limitation prend tout son sens. Si l’entrepreneur n’est plus à même
de satisfaire ses créanciers sur son patrimoine affecté, la limitation du risque d’entreprise
impose qu’il n’ait pas à le faire sur son patrimoine non affecté. Le contraire démontrerait
l’inefficacité de la limitation. Or, avec la consécration du principe d’application des
procédures patrimoine par patrimoine, ce résultat a été atteint. Dorénavant, un entrepreneur
tenant une comptabilité irréprochable ne pourra plus voir ses créanciers saisir son patrimoine
personnel à la suite d’une déconvenue professionnelle. Les sanctions pouvant conduire à
l’extension de la procédure au patrimoine non affecté sont liées soit à une confusion des
patrimoines lors de la gestion de son activité professionnelle par l’entrepreneur, soit à la
reconnaissance de sa responsabilité personnelle en tant que gérant ; responsabilité s’imputant
sur son patrimoine personnel. Elles ne remettent donc pas en cause le principe de limitation de
responsabilité de l’EIRL. D’ailleurs ce principe va également bénéficier à son conjoint.
B. Le bénéfice retiré par le conjoint de l’entrepreneur individuel.
162. En droit positif, lors de l’ouverture d’une procédure collective, le débiteur marié
commun en biens est dessaisi de tous ses biens, même communs. Les créanciers personnels de
son conjoint sont donc soumis à la procédure collective. De même, quand les deux époux sont
entrepreneurs et qu’on ne sait pas du chef duquel sont nées les dettes, une seule procédure
sera ouverte pour les deux. Nous pouvons penser que, l’EIRL mettant en place une séparation
des patrimoines, le conjoint serait plus facilement éligible à une procédure de surendettement
car seuls les biens communs affectés seront intégrés à la procédure collective. Mais, rien n’est
moins sur. Concernant les biens communs non affectés, a priori le conjoint de l’EIRL pourrait
64
les inclure dans sa procédure de surendettement et serait donc plus à même d’en bénéficier.
Mais s’il demande l’ouverture d’une procédure de surendettement incluant des biens
communs non affectés, il n’aura pas à prévenir la commission d’une éventuelle procédure
collective ouverte au bénéfice du patrimoine affecté de l’EIRL. Or, ce dernier ayant un droit
sur ces biens devra-t-il le faire sous peine de leur retrait de la procédure de surendettement de
son conjoint ? La nature de patrimoine d’affectation pose donc des problèmes d’articulation
entre les procédures ouvertes à l’encontre des différents patrimoines ; risquent d’aboutir à un
résultat en contradiction avec la volonté du législateur tendant à la préservation maximale du
patrimoine personnel de l’entrepreneur et de son conjoint.
163. La mise en place d’un patrimoine d’affectation a renouvelé le droit des entreprises en
difficulté et du surendettement en permettant une application par patrimoine des procédures.
Toutefois les problèmes de court-circuit entre procédures peuvent faire réfléchir à la nécessité
d’une simplification du traitement des patrimoines insolvables et pourquoi pas, à la mise en
place d’une procédure unique196
. Mais, malgré ces nouveaux principes, le législateur a
maintenu une protection des créanciers contre les abus dans le déroulement de ces procédures.
Section II. La protection des créanciers contre les abus.
164. Le droit des entreprises en difficulté étant entièrement applicable au patrimoine affecté
de l’EIRL, le gage des créanciers professionnels est protégé contre les abus que pourrait
commettre l’entrepreneur individuel lors de la procédure (§1). Cependant, un problème reste
posé : celui de la possibilité de verser des revenus dans le patrimoine non affecté (§2).
§1. La protection du gage des créanciers professionnels.
165. Malgré sa volonté de faire produire toutes ses conséquences au patrimoine
d’affectation dans le droit des procédures collectives, le gouvernement a su raison garder en
ne remaniant pas l’ensemble de la matière. Les créanciers du patrimoine failli bénéficient
donc des mêmes protections contre les abus que s’ils étaient créanciers d’une société
unipersonnelle. Ainsi pourront-ils invoquer les nullités de la période suspecte (A) et
bénéficier de possibilités d’extension de la procédure (B).
196
M. Sénéchal. Le patrimoine affecté à l’épreuve du droit des procédures collectives in Droit et patrimoine,
Avril 2010, n°191, p. 90 – S. Piedelièvre. Qualité du débiteur et ouverture de la procédure in Revue de droit
bancaire et financier, Juillet 2010, n°4, comm. 147 : « L’instauration d’une procédure unique aurait permis
d’avoir une vue intégrale de la situation patrimoniale de cet entrepreneur ».
65
A. Les nullités de la période suspecte.
166. L’entrepreneur individuel a presque toute latitude dans la détermination de la
composition de son patrimoine affecté. Il était donc impératif pour les créanciers que
l’intangibilité du périmètre de la procédure soit assurée197
. L’article L 680-6 du Code de
Commerce198
vient donc prohiber les changements d’affectation dont il résulté une diminution
de l’actif du patrimoine visé par la procédure une fois cette dernière ouverte.
167. Cette intangibilité du périmètre de la procédure va trouver un écho dans les « nullités
de la période suspecte ». Afin de garantir la conservation du gage des créanciers touchés par
la procédure collective, le débiteur est soumis à une discipline stricte qui se traduit par
l’interdiction de passer certains actes une fois la cessation des paiements déclarée. Ces
nullités, de droit199
ou facultatives200
, ont pour finalité de combattre les actes par lesquels le
débiteur en cessation des paiements organiserait ou augmenterait frauduleusement son
insolvabilité et de rétablir un traitement égalitaire des créanciers201
. Or le législateur y a inclus
une interdiction rappelant celle de l’article L 680-6 du Code de Commerce. Sous réserve du
versement des revenus du patrimoine affecté dans le patrimoine non affecté, toute affectation
ou modification de l’affectation entrainant un appauvrissement du patrimoine contre lequel
est ouverte la procédure sera annulée202
. Toutefois, si la désaffectation se produit avec une
contrepartie équivalente, il semble peu probable que l’appauvrissement soit caractérisé.
168. Les nullités de la période suspecte sont une première technique pour garantir aux
créanciers la consistance du patrimoine dont ils disposeront lors de la procédure collective.
Mais cette protection va également passer par des possibilités d’extension de la procédure.
197
C. Saint-Alary-Houin. L’application du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL in Gazette du Palais, 19
Mai 2011, n° 139, p. 33. 198
Article L 680-6 du Code de Commerce : « Le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de
redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, jusqu'à la clôture de la procédure
ou, le cas échéant, jusqu'à la fin des opérations du plan, interdiction pour tout débiteur d'affecter à une activité
professionnelle un bien compris dans le patrimoine visé par la procédure ou, sous réserve du versement des
revenus mentionnés à l'article L. 526-18, de modifier l'affectation d'un tel bien, lorsqu'il en résulterait une
diminution de l'actif de ce patrimoine ».
Tout acte passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du
ministère public dans le délai de trois ans à compter de sa date. » 199
Article L 632-1 du Code de Commerce. 200
Articles L 632-1. II et L 632-2 du Code de Commerce. 201
A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 349, préc. n° 591. 202
Article L 630- 1. 11° du Code de Commerce : « Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à
responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l'affectation d'un bien, sous réserve du versement
des revenus mentionnés à l'article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la
procédure au bénéfice d'un autre patrimoine de cet entrepreneur ».
66
B. Les possibilités d’extension de la procédure.
169. Le nouvel alinéa 3 de l’article L 621-2 prévoit deux hypothèses d’extension de
procédure. Jusqu’au 1er
Janvier 2013 cette extension aura pour conséquence que l’EIRL sera
traité comme un débiteur personne physique lambda qui subit la procédure sur son patrimoine
en entier. A partir de cette date, l’extension pourra se faire sur un ou plusieurs patrimoines
affectés tout en préservant, le cas échéant, le reliquat.
170. L’extension peut avoir pour première origine une confusion des patrimoines. En
l’absence de précisions légales sur ce terme203
, il faudra appliquer la jurisprudence de la Cour
de cassation sur ce sujet204
. Ainsi en cas de non respect de l’affectation et de création de
relations financières anormales entre le patrimoine affecté et un autre patrimoine de l’EIRL,
les différents patrimoines seront soumis à une procédure unique afin de ne pas léser les
créanciers. Seulement, si la Haute Juridiction est stricte quant à l’admission de la confusion de
patrimoines entre des personnes différentes, il n’est pas sûr qu’elle adopte la même démarche
dans notre cas. En effet, des relations normales entre deux personnes juridiques distinctes
pourraient paraître anormales en présence de deux patrimoines détenus par la même personne.
La jurisprudence sera donc sans doute amenée à évoluer sur ce point205
.
Mais, l’extension peut aussi résulter d’une sanction à l’égard de l’entrepreneur
individuel. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a crée trois cas d’extension de procédure
sanctionnant le non-respect du régime de l’EIRL : le manquement grave aux règles de
constitution de l’affectation, le manquement grave aux règles de comptabilité et enfin, la
fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par
la procédure. Ces cas d’extension font écho aux sanctions des articles L 526-12 du Code de
Commerce. Ils permettent de sanctionner le comportement abusif de l’entrepreneur individuel
par la déchéance de la limitation du risque d’entreprise. Si elles sont proches de la confusion
des patrimoines, ces sanctions sont toutefois plus sévères car elles ôtent une grande partie de
son pouvoir d’appréciation à la Cour de cassation206
. La protection du gage des créanciers
203
J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du
droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in
Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2, préc. n° 29. 204
Cass. com., 19 Avril 2005, n° 05-10.094, affaire Métaleurop, Bulletin Joly Sociétés 2005, p. 690, note C.
Saint-Alary-Houin. 205
Voir sur ce point : F. Reille. La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures
collectives. Paris : Litec, 2006, n° 588 et suivants. 206
J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du
droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in
Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2, préc. n° 30à34.
67
semble donc accrue face au patrimoine d’affectation et au contraire du recours à la technique
sociétaire. D’une part les gérants de société ne respectant pas les obligations comptables
n’encourent aucune extension de procédure à leur patrimoine personnel et, d’autre part, les
règles de constitution du patrimoine affecté étant plus strictes que celles de constitution d’un
patrimoine sociétaire, l’entrepreneur individuel risquera d’y commettre plus facilement un
manquement grave.
171. Les possibilités d’extension de la procédure sont donc une autre technique de
protection des créanciers contre les conséquences de la limitation du risque d’entreprendre.
Dans de telles hypothèses, « le rêve est fini et la princesse EIRL redevient Cendrillon,
entrepreneur individuel (ordinaire) »207
. Toutefois, l’EIRL fait figure d’objet inédit du droit
des entreprises en difficulté puisqu’une règle lui est propre: celle du maintien du libre
versement des revenus produits par le patrimoine affecté dans le patrimoine non affecté.
§2. Le problème des revenus librement versés dans le patrimoine non affecté.
172. Le versement de revenus du patrimoine affecté dans le patrimoine non-affecté n’est
constitutif ni d’un acte interdit par l’article L 680-6 du Code de Commerce, ni d’un acte nul
au titre des nullités de la période suspecte. L’entrepreneur semble pouvoir continuer de les
prélever librement tant que le plan de redressement ou de liquidation n’a pas été établi.
Toutefois, nous pouvons nous demander s’ils ont une utilité particulière lors de la procédure
collective justifiant la liberté de leur prélèvement car cette dernière porte considérablement
atteinte aux droits des créanciers du patrimoine failli. Pour certains auteurs, ces revenus
serviront en quelque sorte de monnaie d’échange. Ils seraient la seule façon pour
l’entrepreneur individuel de sauver de la nullité un changement d’affectation prohibé par
l’article L 680-6 ou l’article L 632-1 du Code de Commerce. Ne pas prélever ces revenus
générés par l’activité du patrimoine soumis à procédure permettrait de compenser
l’appauvrissement subi en cas de retrait de bien, donc d’écarter l’application de la sanction
prévue aux textes précités208
.
173. La question de l’utilité du libre prélèvement des revenus du patrimoine affecté failli
est donc liée à leur nature. Si la nature de ces revenus avait été clairement définie par le
législateur, un parallèle aurait pu être fait avec le droit des sociétés quant à leur utilisation. Si
207
Ibidem, préc. n° 28. 208
M. Menjucq. EIRL et droit des procédures collectives in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité
limitée. Paris : Litec, 2011, p. 111. Voir actualisation de l’article sur http://www.droit360.fr , p. 13, préc. n°60.
68
nous considérons qu’ils correspondent à une rémunération de la gérance du patrimoine
affecté209
, alors peut être aurait-il fallu interdire leur prélèvement en l’absence de bénéfices
tant qu’une procédure collective restreignant l’entrepreneur dans ses pouvoirs de gestion
n’était pas ouverte. Une fois cette procédure ouverte par contre, nous pouvons estimer que
l’entrepreneur n’aura plus de pouvoir quand à la détermination de ces revenus. S’ils
correspondent à une rémunération en tant que gérant, il faudra leur appliquer l’article L 631-
11 du Code de Commerce. Alors il reviendra au juge commissaire de fixer la rémunération
afférente aux fonctions de l’entrepreneur210
. Cependant, il s’agit de suppositions car la nature
de ces revenus n’est, en l’absence de décision de jurisprudence, pas certaine. Mais, si nous
considérons qu’ils servent à l’entretien de l’EIRL, un lien apparait avec la personne de
l’entrepreneur. L’EIRL est à la fois entrepreneur et gérant du patrimoine affecté. A ce dernier
titre, on peut se demander s’il ne peut pas être responsable de ses fautes sur son patrimoine
personnel à l’instar de tout gérant de société.
174. Conclusion du chapitre. Le gouvernement a réussi à donner toute son envergure
au dispositif de l’EIRL en maintenant la partition patrimoniale au sein des procédures
collectives. Le droit français a donc rejoint le droit des faillites internationales211
ou le droit
européen des procédures d’insolvabilité212
en admettant la pluralité de procédures collectives
contre le même débiteur. Cela permet dorénavant à l’entrepreneur de bénéficier d’une réelle
limitation du risque d’entreprendre. Toutefois, le législateur a sur raison garder en permettant
aux créanciers du patrimoine failli de défendre la consistance de ce patrimoine ; ce qui
s’avérait être une nécessité au vu de la limitation de leur gage à ce même patrimoine.
175. Conclusion du titre. Malgré des incertitudes sur le régime de l’EIRL, l’introduction du
patrimoine d’affectation dans le droit des entreprises en difficulté et les conséquences qui en
ont été tirées ont permis de créer une véritable limitation du risque d’entreprise. Toutefois,
cette limitation ne correspond qu’à une séparation de gage et non à l’exonération de
responsabilité depuis longtemps attendue. Nous pouvons donc nous demander si, lorsqu’il
agit en qualité de gérant du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel peut engager sa
responsabilité personnelle sur son patrimoine personnel, non affecté, en cas de faute commise
dans cette gestion.
209
Cf. supra n° 63. 210
Cf. supra n° 67. 211
M. Menjucq. Droit international et européen des sociétés. Paris : Montchrestien, 2008, p. 457 et suivantes,
préc. n° 469. 212
Règlement européen n° 1346/2000, 29 Mai 2000, articles 3 et 27 à 37 − M. Menjucq. Droit international et
européen des sociétés. Paris : Montchrestien, 2008, p. 512 et suivantes, préc. n° 518 et suivants.
69
TITRE II. LE MAINTIEN D’UNE RESPONSABILITE MINIMALE DE
L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL EN QUALITE DE GERANT.
176. L’EIRL doit gérer son patrimoine affecté ou déléguer cette gérance à un tiers par le
biais d’un mandat213
. Si ce tiers commet des erreurs dans sa gestion, il en sera responsable sur
son patrimoine personnel en vertu du droit commun du mandat. Si l’entrepreneur gère lui-
même son patrimoine affecté, nous pourrions donc légitimement penser qu’il devra répondre
d’une responsabilité similaire. De plus, la séparation des gages créée par l’affectation à un
patrimoine n’ôte pas la responsabilité personnelle du constituant214
. C’est ainsi que dans le
droit des entreprises en difficulté, le législateur a permis d’engager la responsabilité
personnelle de l’EIRL mauvais gérant de son patrimoine affecté (Chapitre I). Un tel constat
nous amènera à rechercher un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur
individuel sur son patrimoine non affecté (Chapitre II), principe qui serait fondé sur la
responsabilité civile de droit commun.
CHAPITRE I. L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE
PERSONNELLE DE L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL DANS LE DROIT
DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE.
177. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a prévu différentes responsabilités personnelles de
l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté. Il pourra être responsable civilement (Section I)
mais aussi pénalement (Section II) en tant que gérant du patrimoine affecté. Ces
responsabilités permettront de s’interroger sur l’existence d’un principe général de
responsabilité de l’EIRL sur son patrimoine non affecté.
Section I. La responsabilité civile en tant que gérant d’un patrimoine affecté.
178. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a simplement adapté le droit des entreprises en
difficulté à l’introduction du patrimoine affecté au sein de la matière. Elle maintient donc les
sanctions traditionnellement applicables aux gérants de sociétés, notamment personnelles,
213
Cf. supra n° 88. 214
Ainsi, en matière de fiducie l’article 2026 du Code Civil dispose t-il que « le fiduciaire est responsable, sur
son patrimoine propre, des fautes qu’il commet dans l’exercice de sa mission »
70
contre l’entrepreneur individuel. Ainsi, il sera responsable sur son patrimoine en cas de
faillite personnelle (§1) ou de responsabilité pour insuffisance d’actif (§2).
§1. La faillite personnelle.
179. La faillite personnelle n’est encourue qu’en cas d’ouverture d’une procédure de
redressement ou de liquidation judiciaire215
. L’EIRL n’est pas expressément visé par les
textes relatifs à cette sanction mais il entre dans la catégorie des personnes citées par l’article
L 653-1. I. 1° du Code de Commerce216
. Cette sanction est encourue pour des faits
caractérisant une mauvaise gestion, entrainant une responsabilité personnelle de
l’entrepreneur.
180. Le prononcé de la faillite personnelle suppose que l’entrepreneur ait commis des actes
déterminés aux articles L 653-3 à L 653-6 du Code de Commerce tels que la dissimulation
d’une partie de l’actif ou l’augmentation frauduleuse du passif. Lorsque le débiteur est un
EIRL, l’ordonnance du 9 Décembre 2010 a crée des actes caractérisant les risques dus à la
spécificité de l’organisation de son entreprise217
. L’article L 653-3 II du Code de
Commerce218
réprime des faits caractéristiques d’une gestion peu diligente voire abusive du
patrimoine soumis à procédure collective tels que le fait d’avoir disposé des biens du
patrimoine visé par la procédure comme s’ils étaient compris dans un autre de ses
patrimoines. Ne rentrant pas dans la gestion courante de l’entreprise, il est logique que leur
auteur en soit responsable personnellement. Ainsi, tout comme les dirigeants de sociétés ne
peuvent se cacher derrière l’écran de la personnalité morale, les EIRL ne peuvent se cacher
derrière la séparation patrimoniale pour échapper à leur responsabilité personnelle.
215
Article L 653-1 I du Code de Commerce. 216
Selon l’article L 653-1 I. 1° du Code de Commerce, l’EIRL ferait partie des « personnes physiques exerçant
une activité commerciale ou artisanale, agriculteurs et toute autre personne physique exerçant une activité
professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire
ou dont le titre est protégé ». 217
J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du
droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in
Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2. 218
Article L 653-3. II du Code de Commerce : « Peuvent en outre, sous la même réserve, être retenus à
l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée les faits ci-après : 1° Avoir disposé des biens du
patrimoine visé par la procédure comme s'ils étaient compris dans un autre de ses patrimoines ; 2° Sous le
couvert de l'activité visée par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un
intérêt autre que celui de cette activité ; 3° Avoir fait des biens ou du crédit de l'entreprise visée par la
procédure un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une personne
morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ».
71
Toutefois, la faillite personnelle, au même titre que l’interdiction de gérer219
, ont une
nature particulière. Il s’agit de sanctions professionnelles220
. Elles n’ont donc pas pour but de
réparer un préjudice donc d’engager la responsabilité civile de l’entrepreneur. Mais, elles
n’ont pas non plus la nature d’une sanction pénale. La Cour de Cassation les a d’ailleurs
qualifiées de « mesures d’intérêt public »221
. La faillite personnelle ne ressort donc pas de la
responsabilité civile de l’entrepreneur individuel en qualité de gérant.
181. L’application de cette sanction ne peut donc, seule, justifier l’idée selon laquelle
l’entrepreneur individuel serait responsable personnellement de la mauvaise gestion qu’il fait
du patrimoine affecté sur son patrimoine non affecté en l’absence de difficultés financières.
Mais l’existence d’une responsabilité pour insuffisance d’actif, elle, pourrait y parvenir.
§2. La responsabilité pour insuffisance d’actif.
182. La responsabilité pour insuffisance d’actif permet de sanctionner le responsable des
difficultés financières de son entreprise car il a commis certaines fautes de gestion. Avant la
création de l’EIRL, elle était une sanction applicable uniquement aux dirigeants d’une
personne morale. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 est venue l’ouvrir aux EIRL en
modifiant l’article L 651-1 du Code de Commerce222
. De l’étude des conditions de cette
responsabilité, nous déduirons qu’elle n’est pas exactement une responsabilité civile de droit
commun. Toutefois, sa nature et ses conséquences permettront d’appuyer l’idée selon laquelle
il est nécessaire d’entreprendre une réflexion sur l’existence éventuelle d’une responsabilité
civile de l’entrepreneur en tant que gérant même lorsque son patrimoine affecté est in bonis.
183. L’article L 651-2 du Code de Commerce, en ce qu’il exige une « faute de gestion
ayant contribué à cette insuffisance d’actif », pose les trois conditions traditionnelles de la
responsabilité civile223
à la reconnaissance de la responsabilité pour insuffisance d’actif : une
insuffisance d’actif, une faute de gestion et lien de causalité entre les deux. L’insuffisance
d’actif sera appréciée au regard du seul patrimoine soumis à la procédure. Il s’agit en quelque
219
Article L 653-8 du Code de Commerce. 220
A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 609, préc. n° 1082. 221
Cass. com., 16 Octobre 2007, n° 06-10.805, D 2007 p. 2666, note A. Lienard. 222
Article L 651-1 du Code de Commerce : « Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux
dirigeants d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective, ainsi qu'aux personnes
physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales et aux entrepreneurs individuels à
responsabilité limitée ». 223
Ces trois conditions sont : un fait, un dommage et un lien de causalité les reliant.
72
sorte du préjudice maximum réparable224
subi par le patrimoine failli. La faute de gestion,
elle, n’a pas été légalement définie. L’appréciation de son existence relèvera des juges du
fond qui, en principe, devront la déduire du comportement passé du dirigeant par comparaison
avec le comportement du « bon dirigeant de société ». Il en sera de même avec l’appréciation
du comportement de l’EIRL. Si la jurisprudence a une conception large de cette faute de
gestion, la difficulté semble être la détermination du seuil de gravité à partir duquel « l’erreur
dans l’appréciation des opportunités de gestion commise lors de la prise de décision, […],
devient une faute de gestion au titre de la responsabilité civile des dirigeants 225
». Mais
surtout, la responsabilité de l’entrepreneur individuel sera conditionnée à la démonstration
d’un lien de causalité particulier entre l’insuffisance d’actif et la faute de gestion. En effet, la
faute doit avoir simplement « contribué » à l’insuffisance d’actifs. Ainsi la Cour de cassation
décide-t-elle en matière de sociétés que « le dirigeant d’une personne morale peut être
déclaré responsable […] même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des
causes de l’insuffisance d’actif et qu’il peut être condamné à supporter la totalité des dettes
sociales, même si sa faute n’est à l’origine que d’une partie d’entre elles 226
». Il y a alors tout
lieu de penser qu’une telle appréciation du lien de causalité s’appliquera également à l’EIRL.
En raison de ce lien de causalité apprécié de manière lâche, la responsabilité pour insuffisance
d’actif parait être une responsabilité civile de droit commun particulière227
. Si ces trois
conditions sont remplies, l’entrepreneur individuel pourra être condamné à combler
l’insuffisance d’actif. La somme mise sa charge s’imputera sur son patrimoine non affecté228
.
Ses éventuels autres patrimoines affectés n’auront donc pas à supporter sa dette de
responsabilité civile229
sauf cas d’extension de procédure pour confusion des patrimoines.
Dans ce cas, la sanction sera plus sévère pour l’EIRL. En effet, dans une telle hypothèse, un
dirigeant de société ne peut avoir à supporter les dettes d’une autre personne morale. Il semble
que cela sera possible pour l’EIRL qui sera directement responsable des dettes des deux
patrimoines causées par sa mauvaise gestion car il en est le seul gérant. L’unité de personne
présidant la division patrimoniale jouera alors en la défaveur de l’entrepreneur. Par contre,
lorsque la procédure sera ouverte à raison d’une activité exercée dans le cadre du patrimoine
224
A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 598, préc. n° 1065. 225
A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 599, préc. n° 1066. 226
Cass. com., 30 Novembre 1993, n° 91-20.554, Bulletin Joly Sociétés, 1994, p. 410, obs. P. Pétel. 227
P-M Le Corre. Droit et pratique des procédures collectives. Paris : Dalloz, 2009, coll. Dalloz action 2010-
2011. 228
Article L 651-2 alinéa 2 du Code de Commerce. 229
S. Piedelièvre. L’EIRL et le droit des procédures collectives in Petites affiches, 4 Février 2011, n°25, p. 7.
73
non affecté, la responsabilité pour insuffisance d’actif ne pourra grever le patrimoine affecté,
qui s’en trouvera protégé230
.
184. La responsabilité pour insuffisance d’actif est pas une responsabilité civile de droit
commun particulière en ce que le lien de causalité qu’elle requiert est apprécié de manière
lâche. Mais reste une responsabilité personnelle à raison d’une faute de l’EIRL dans la gestion
de son patrimoine affecté. Or, cette faute personnelle va s’imputer sur son patrimoine non
affecté. La responsabilité pour insuffisance d’actif conforte donc l’idée selon laquelle la
séparation patrimoniale n’ôte pas toute responsabilité personnelle à l’individu gérant des
patrimoines distincts. Cette idée est renforcée par l’existence de sanctions pénales applicables
à l’EIRL qui vont aussi s’imputer sur son patrimoine non affecté.
Section II. La responsabilité pénale en tant que gérant d’un patrimoine affecte.
185. Le droit des entreprises en difficulté prévoit également que l’entrepreneur individuel
peut être pénalement responsable de sa mauvaise gestion sur son patrimoine non affecté. S’il
semble difficile de le condamner pour organisation frauduleuse d’insolvabilité (§1), il est
certain qu’il encourra les sanctions du délit de banqueroute (§2).
§1. L’organisation frauduleuse d’insolvabilité.
186. Le patrimoine affecté de l’EIRL est protégé par certaines infractions du droit pénal
général tel que l’escroquerie ou le faux231
. Mais, elles permettent plus de protéger la
détermination du gage des créanciers que de réprimer l’EIRL pour sa mauvaise gestion. Pour
sanctionner cette mauvaise gestion, nous pourrions recourir au droit pénal général et
notamment au délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité232
, même si ce délit n’est pas
propre au droit des entreprises en difficulté. En effet, le nom de cette incrimination est
prometteur233
car il peut faire penser qu’elle permet de réprimer un entrepreneur individuel
qui organiserait frauduleusement l’insolvabilité de son patrimoine affecté en difficultés
financières. Toutefois sa réalisation pratique semble difficile.
230
P. Pétel. L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL in JCP E 2011, n°5, p. 1071, préc. n°15. 231
Cf. supra n°148. 232
Article 314-7 du Code Pénal. 233
J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,
2011 p. 192, préc. n°453.
74
187. Pour que cette infraction soit constituée, il faut que l’agent ait fait l’objet d’une
condamnation ou redoute une condamnation de nature patrimoniale par une juridiction
répressive ou, en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments. Or, un entrepreneur
individuel tentant d’organiser l’insolvabilité de son patrimoine affecté cherchera la plupart du
temps à se soustraire à des dettes contractuelles. Son patrimoine affecté étant réservé à
l’exercice d’une activité professionnelle donnée, il ne supportera pas les dettes d’aliment qui
s’imputeront sur son patrimoine non affecté. Quant aux dettes délictuelles et quasi
délictuelles, un doute pourra naitre quant à leur imputation sur tel ou tel patrimoine si elles
sont consécutives à une faute professionnelle rattachable à l’activité à l’origine de
l’affectation234
. Si le patrimoine affecté n’a pour effet que de limiter le risque d’entreprise,
ces dettes s’imputeront sur le patrimoine non affecté, donc ne correspondront plus aux dettes
visées à l’article 314-7 du Code Pénal car elles ressortiront d’un patrimoine étranger à celui
concerné par le délit. Par contre, si le patrimoine affecté crée une véritable limitation de
responsabilité, ces dettes ressortiront du patrimoine affecté et permettront donc la
caractérisation de la condition préalable de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité. Aux
premiers abords, ce délit semble donc difficilement applicable à l’EIRL. Toutefois, si cette
condition préalable était remplie, il serait caractérisé dans les cas où l’entrepreneur aurait
augmenté le passif, diminué ou dissimulé l’actif et les revenus de son patrimoine affecté.
Alors, l’amende encourue s’imputerait sur son patrimoine non affecté, la responsabilité pénale
étant strictement personnelle. Toutefois nous pouvons effectuer la même remarque que
précédemment : si le patrimoine affecté constitue une véritable limitation de responsabilité,
ces dettes, même pénales, devraient s’imputer sur le patrimoine affecté concerné.
188. Le droit pénal général n’apparaît pas adapté à la situation de l’EIRL. Il faut donc
rechercher dans le droit pénal spécial s’il existe un délit engageant la responsabilité pénale de
l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté. Il semble que oui : la banqueroute.
§2. La banqueroute.
189. Le délit de banqueroute235
sanctionne les manœuvres ou pratiques visant à retarder ou
à dissimuler la constatation de l’état de cessation des paiements d’une entreprise. Les
éléments constitutifs de ce délit, autant que ses conséquences permettent d’affirmer que cette
responsabilité pénale est personnelle.
234
Cf. infra n° 204 à 210. 235
Articles L 654-1 et suivants du Code de Commerce.
75
190. Malgré l’absence d’adaptation de ses textes, cette infraction peut être réalisée par
l’EIRL car il fait partie des personnes visées à l’article L 654-1.1 du Code de Commerce236
.
La constitution de cette infraction requiert l’ouverture d’une procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire. L’entrepreneur simplement en difficulté ou faisant l’objet d’une
procédure de sauvegarde judiciaire n’encourt donc aucun risque au titre de cette infraction. Si
cette condition préalable est remplie, l’article L 654-2 du Code de Commerce réprime cinq
comportements237
qui relèvent tous de fautes de gestion intentionnelles et frauduleuses. Nous
constatons donc que l’infraction de banqueroute sanctionne une responsabilité personnelle de
l’auteur en ce sens que ce dernier ne peut s’en extraire en se retranchant derrière l’écran de
son activité professionnelle. D’ailleurs, les sanctions de ce délit viennent conforter cette idée.
En effet, il semble logique que l’amende encourue s’impute sur le patrimoine non affecté
puisque la responsabilité est personnelle. Toutefois, l’imputation de cette amende permettra
de savoir si le patrimoine affecté n’est qu’une limitation du risque d’entreprise ou s’il s’agit
d’une réelle limitation de responsabilité. Dans le second cas, cette dette devrait s’imputer sur
le patrimoine affecté concerné alors que, dans le premier, elle s’imputera sur le patrimoine
non affecté répondant de l’ensemble des fautes personnelles de l’entrepreneur car il constitue
son patrimoine « général ». Nous pouvons d’ailleurs privilégier cette dernière solution
puisqu’au titre des peines complémentaires, l’entrepreneur encourra, entre autres, une
interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été
commise, la faillite personnelle ou une interdiction de gérer238
. Or, ces sanctions sont
personnelles et, pour les deux dernières, non limitées au patrimoine visé par la procédure.
191. Conclusion du Chapitre. Il existe donc une responsabilité personnelle sur son
patrimoine non affecté de l’EIRL en droit des entreprises en difficulté, que cette
responsabilité soit civile ou pénale. Cela prouve que la création d’un patrimoine affecté n’ôte
pas à l’entrepreneur sa responsabilité personnelle pour ses comportements délictueux. Nous
236
Article L 654-1. 1° du Code de Commerce : « Les dispositions de la présente section sont applicables : 1° A
toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur et à toute personne physique
exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut
législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ». 237
Article L 654-2 du Code de Commerce : « (…) 1° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture
de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente
au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ; 2° Avoir détourné ou
dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ; 3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ; 4°
Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la
personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;
5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales ». 238
Article L 654-5 du Code de Commerce.
76
pouvons donc nous demander si en l’absence de textes spéciaux, donc lorsque le patrimoine
affecté est in bonis, il est possible d’engager la responsabilité personnelle de l’EIRL pour des
fautes de gestion et de la faire s’imputer sur son patrimoine non affecté. Dans l’affirmative,
preuve serait faite de ce que le recours au patrimoine affecté ne peut permettre de répondre
aux attentes d’exonération de responsabilité des professionnels et du législateur.
CHAPITRE II. LA RECHERCHE D’UN PRINCIPE GENERAL DE
RESPONSABILITE PERSONNELLE DE L’ENTREPRENEUR SUR SON
PATRIMOINE NON AFFECTE.
192. La loi du 15 Juin 2010 n’a prévu que des cas de responsabilité spéciale en cas de
mauvaise gestion, notamment de non respect de l’affectation. Nous pouvons donc nous
demander s’il existe un principe général de responsabilité de l’EIRL sur son patrimoine non
affecté. Il s’agira alors de démontrer que la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine
affecté ne peut être que maintenue (Section I), puis d’en tirer les conséquences sur la
répartition des dettes de responsabilité entre les différents patrimoines de l’EIRL (Section II).
Section I. Le maintien de la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine
affecté.
193. Nous pensons que la responsabilité personnelle du gérant de l’EIRL doit et ne peut
qu’être maintenue malgré la partition patrimoniale créée par la constitution d’un patrimoine
d’affectation (§1). Alors, la seule possibilité de parvenir à une limitation de responsabilité
serait de cumuler le patrimoine affecté avec une déclaration d’insaisissabilité (§2), qui
rendrait certains biens du patrimoine non affecté définitivement insaisissables par les
créanciers du patrimoine affecté.
§1. L’impossibilité de supprimer la responsabilité personnelle d’un gérant par la
création d’un patrimoine d’affectation.
194. La suppression de la responsabilité personnelle sur son patrimoine « personnel » non
affecté d’un « gérant- EIRL » semble impossible. D’une part car il n’existe aucun exemple
d’une telle suppression et d’autre part car, si le législateur a fait de l’EIRL et de son régime
77
une dérogation aux textes fondant le droit de gage général des créanciers, il n’en a pas fait une
dérogation aux principes et aux règles de la responsabilité civile.
195. Il n’existe aucun exemple dans lequel un individu gérant un patrimoine séparé de son
patrimoine « personnel » n’est pas responsable de ses fautes de gestion sur ce dernier. Les
textes relatifs au mandat prévoient la responsabilité personnelle du mandataire lorsqu’il
n’exécute pas le mandat ou qu’il commet des fautes dans sa gestion239
. Cette responsabilité
s’imputera sur le patrimoine personnel du mandant. De même, en droit des sociétés, les
dirigeants sont civilement responsables de leurs fautes de gestion envers la société, les
associés et également les tiers240
. Certes, à l’égard des tiers le dirigeant social ne sera
responsable que de la faute détachable de ses fonctions241
mais, il en reste responsable sur son
patrimoine personnel. La partition entre faute détachable des fonctions et faute simple de
gestion démontre simplement l’exigence d’un certain degré de gravité pour que la
responsabilité personnelle soit engagée. Le droit des sociétés est donc la preuve de ce que la
responsabilité personnelle ne peut jamais être totalement abolie. Enfin, en matière de fiducie,
« le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans
l'exercice de sa mission242
». Cet exemple démontre que malgré l’affectation patrimoniale, le
gérant du patrimoine affecté reste personnellement responsable des fautes qu’il commet dans
sa gestion. Enfin, même le rapport Champaud envisageait de maintenir cette responsabilité
pour les fautes les plus lourdes commises par l’entrepreneur individuel243
.
196. La suppression absolue de toute responsabilité personnelle de l’EIRL semble donc
impossible. Cette idée peut être corroborée par son régime. L’EIRL constitue une dérogation
aux articles 2284 et 2285 du Code Civil fondant le droit de gage général des créanciers. Pour
autant, nous ne pouvons en déduire que cela entraine également une dérogation aux articles
1382 et suivants du Code Civil fondant la responsabilité civile de droit commun. D’ailleurs,
nous pouvons noter que la séparation des gages résulte d’une décision unilatérale. Or, le droit
des obligations, s’il permet les clauses limitatives, voire exonératoires de responsabilité, ne
les permet que de manière contractuelle. Il semble alors inconcevable qu’une personne, par
239
Ces responsabilité sont respectivement prévues aux articles 1191 alinéa 1 et 1992 alinéa 1 du Code Civil. 240
Article 1850 du Code Civil. 241
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 161à165, préc. n°s281à286 : sur
la faute détachable des fonctions. 242
Article 2026 du Code Civil. 243
C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier
l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579, préc. n°31.
78
simple déclaration, puisse agir sans assumer pleinement les conséquences de ses actes car elle
est obligée de réparer les dommages qu’elle cause à autrui par son fait ou sa faute244
.
197. La constitution d’un patrimoine affecté ne permet donc pas à l’EIRL de s’exonérer de
toute responsabilité civile personnelle. Son maintien est inéluctable. Le seul moyen de s’en
extraire serait alors de cumuler patrimoine d’affectation et déclaration d’insaisissabilité.
§2. L’éventualité d’un cumul avec la déclaration d’insaisissabilité.
198. Théoriquement, rien n’empêche l’EIRL constituant de cumuler patrimoine affecté et
déclaration d’insaisissabilité (A) pour limiter au maximum l’emprise des créanciers du
patrimoine affecté sur les biens de son patrimoine non affecté. Cependant en pratique, ce
cumul se révèlera inutile car il entrainera l’anéantissement de son crédit (B).
A. La possibilité théorique.
199. La déclaration d’insaisissabilité ne devait pas être maintenue245
. Pour certains auteurs,
cette suppression allait de soi car la déclaration d’insaisissabilité constituait une sorte de
résurgence des « biens de famille » qui n’était due qu’au désir du législateur d’éviter la
consécration du patrimoine d’affectation tout en palliant son absence246
. Toutefois, la loi du
15 Juin 2010 n’a pas supprimé ce dispositif. Il serait donc possible pour un entrepreneur de
créer un patrimoine affecté et de procéder à une déclaration d’insaisissabilité sur les biens
immobiliers restant dans son patrimoine non affecté. De plus, l’affectation et la règle de
répartition des passifs ne s’opposent en rien à ce cumul puisqu’il permet d’assurer l’étanchéité
de la séparation patrimoniale en garantissant que les créanciers du patrimoine affecté ne
244
F. Terre. La personne et ses patrimoines : des pépins par milliers in JCP G 2010, n° 52, p. 1328 : « S’il est
vrai que le droit des obligations accorde une place importante aux clauses limitatives, voire exonératoires de
responsabilité, c’est parce que cet aménagement se situe normalement dans le cadre de relations contractuelles.
Tout autre est la situation dans laquelle une personne physique, par son comportement et ses affirmations,
prétendrait agir, tout en s’employant à ne pas assumer pleinement les conséquences de ses faits et gestes, car il
lui incombe l’obligation de réparer les dommages qu’elle cause à autrui par sa faute, voie par son fait. En
réalité, l’usage du mot responsabilité est, à ce titre, trompeur, car il est entendu essentiellement par références à
la délimitation des ensembles ou plutôt sous-ensembles de biens servant de garantie première aux tiers amenés à
être en affaire avec l’entrepreneur individuel ». 245
A. Pando. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : les contours du projet de loi in Petites affiches,
28 Janvier 2010, n° 20, p. 3 − Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n°
2265 – Etude d’impact, 27 Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011 : La
suppression de ce dispositif était préconisée pour trois raisons : il n’a jamais eu le succès escompté, l’absence de
cumul des deux dispositifs est un facteur de simplicité et enfin, le dispositif EIRL est plus abouti et plus complet
que celui de l’insaisissabilité dont l’extension aurait été problématique 246
C. Champaud. Sociétés ou pas société ? Patrimoine affecté à une entreprise individuelle. Projet d’EIRL.
Innovation législative. SARL, EPRL, EURL, EIRL à quel Saint se vouer ? in RTD com, 2010, p. 349.
79
pourront pas recourir contre les biens du patrimoine non affecté visés dans la déclaration
d’insaisissabilité. Mais surtout, EIRL et déclaration d’insaisissabilité réalisent toutes deux des
affectations. La première à l’activité professionnelle, la seconde indirectement au patrimoine
personnel en soustrayant des biens aux créanciers professionnels. La même technique est
alors utilisée pour assurer la permanence de ces affectations : l’insaisissabilité247
. La
constitution d’un patrimoine affecté rend insaisissables de manière relative les biens du
patrimoine non affecté à ses créanciers car il existe des exceptions à l’insaisissabilité. La
déclaration d’insaisissabilité, elle, leur rend insaisissables de manière absolue les immeubles
du patrimoine non affecté car ce sont des créanciers professionnels. Elle vient donc bien
renforcer l’insaisissabilité créée par le patrimoine affecté en l’absolutisant.
200. Un tel cumul permettrait donc à l’EIRL, sinon de créer une véritable limitation de sa
responsabilité envers les créanciers de son patrimoine affecté, au moins d’obtenir quasiment
les mêmes effets en les empêchant de saisir les biens immobiliers de son patrimoine non
affecté. Cependant, il est possible de douter de l’utilité de ce montage car il en résultera un
anéantissement quasi-total du crédit de l’entrepreneur individuel.
B. L’inutilité pratique du cumul : l’anéantissement du crédit de l’EIRL.
201. En pratique, le cumul d’un patrimoine affecté et d’une déclaration d’insaisissabilité
risque d’ôter au patrimoine affecté tout crédit aux yeux des créanciers. Non seulement ce
montage pourra éveiller la méfiance des créanciers mais en plus, il rajoutera au problème
majeur de l’EIRL : l’obtention de crédit. L’entrepreneur peinera à trouver du crédit dans le
cas où son patrimoine affecté ne serait pas assez consistant, le patrimoine non affecté ne
pouvant lui servir de garant. Nous pourrions rétorquer que, le consentement de sûretés entre
les différents patrimoines étant impossible, déclarer insaisissables par les créanciers du
patrimoine affecté les biens fonciers à usage non professionnel ne changerait pas leur
situation face à ces biens sur lesquels ils n’auraient aucun droit. Toutefois, il faut écarter cet
argument car, à supposer que l’entrepreneur soit responsable de sa gestion sur son patrimoine
non affecté, les créanciers du patrimoine affecté devraient pouvoir en saisir les actifs. Or la
déclaration d’insaisissabilité permettrait de soustraire une grande partie de ces biens
composant à leur emprise.
247
S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome
CXLV, préf. R. Nerson, p. 190 et suivantes : sur les techniques de permanence de l’affectation des biens – p.
260à275, préc. n°308à322 : sur la technique de l’insaisissabilité.
80
202. Ainsi cumuler une déclaration d’insaisissabilité à la constitution d’un patrimoine
affecté risquerait d’affecter fortement la viabilité de ce dernier. Mais, EIRL restera toujours
personnellement responsable de sa gestion sur son patrimoine non affecté. Dans ce cas,
comment les dettes de responsabilité devront-elles se répartir entre les différents patrimoines ?
Section II. La répartition des dettes de responsabilité entre les différents
patrimoines de l’EIRL.
203. Si nous admettons que l’EIRL est personnellement responsable de ses fautes de
gestion encore faut-il déterminer l’étendue de cette responsabilité. Pour cela, il nous faut
rechercher le critère de la responsabilité personnelle du gérant « EIRL » (§1). Il apparaitra
que, selon les solutions retenues, le dispositif de l’EIRL remplira plus ou moins son rôle
exonératoire de responsabilité. Nous pourrons en déduire que ce n’est pas le recours au
patrimoine d’affectation qui permet réellement de limiter la responsabilité mais le régime que
lui donne le législateur (§2).
§1. La recherche d’un critère de responsabilité personnelle du gérant « EIRL ».
204. Si nous admettons un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur
individuel sur son patrimoine non affecté, il nous faut en déterminer l’étendue. Or, nous
pouvons hésiter entre la responsabilité pour faute simple de gestion et la responsabilité pour
faute détachable des fonctions de « gérant-EIRL »(A). Ce choix est important car il aura des
conséquences sur la répartition des dettes des responsabilités entre les différents passifs (B).
A. L’hésitation entre faute simple de gestion et faute détachable des
fonctions.
205. Au lieu de prévoir ponctuellement la responsabilité de l’entrepreneur, le législateur
aurait pu le déclarer responsable sur son patrimoine non affecté des fautes commises dans la
gestion de son patrimoine affecté en précisant le degré de gravité de la faute sanctionnée248
.
Procéder ainsi aurait permis à l’entrepreneur de connaitre l’étendue de sa responsabilité
personnelle. Il nous faut donc rappeler ce que sont les deux degrés de faute envisageables.
248
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 57et58, préc. n°102.
81
206. La faute simple de gestion est constituée par toute erreur de gestion, même légère, qui
aurait pu préjudicier au patrimoine affecté249
ou à un tiers. Cette faute pourra consister en une
faute d’action250
ou d’omission251
. Quant à la faute détachable des fonctions, sa définition a
posé plus de problèmes. En droit administratif, il s’agissait de faire peser la responsabilité sur
l’Etat en cas de simple faute de service de l’agent mais sur l’agent lui même en cas de faute
détachable de ses fonctions car alors, le lien le reliant à sa mission de service public dont
l’accomplissement justifiait une exonération de responsabilité se trouvait rompu. Malgré
certaines critiques252
, cette solution a été transposée en droit des sociétés. Ainsi considérait-on
que la faute commise par un dirigeant de société pesait sur cette même société lorsqu’elle était
simple car elle constituait une faute pouvant être commise par tout bon dirigeant de la société.
Par contre, en cas de faute détachable de ses fonctions au dirigeant, l’écran sociétaire tombe et
le dirigeant est responsable personnellement. Quoiqu’il en soit, la notion de faute détachable
elle-même a suscité des controverses quant à sa définition. Pendant longtemps, la Cour de
cassation ne l’a admise que restrictivement puisque ni le dol du dirigeant dans l’exécution
d’un contrat253
, ni un dépassement de pouvoir254
ne suffisaient à caractériser cette faute. En
résultait une large irresponsabilité des dirigeants sociaux. Ce n’est que récemment que la
Haute Juridiction est revenue sur son indulgence en considérant que la faute détachable
ressortait d’une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de
fonction sociales et commise intentionnellement par le dirigeant255
. Nous pouvons considérer
que cette faute se rapproche de la faute lourde ou inexcusable de droit civil.
207. Sachant ce que recouvrent les notions de faute simple de gestion et faute détachable
des fonctions, il nous faut nous envisager les conséquences de chacun sur la répartition du
passif entre les différents patrimoines de l’entrepreneur individuel.
B. Les conséquences sur la répartition du passif entre les différents
patrimoines de l’entrepreneur individuel.
208. Le choix entre faute simple et faute détachable des fonctions de « gérant-EIRL » aura
des conséquences sur les dettes que devront supporter les passifs des patrimoines affecté et
249
Alors le patrimoine affecté pourra s’en prévaloir s’il rencontre des difficultés financières via la responsabilité
pour insuffisance d’actif. 250
Par exemple : témérité, investissements démesurés, entêtement dans une diversification sans résultats. 251
Par exemple : défaut de surveillance des salariés, lancement d’opérations sans études sérieuses préalables. 252
G. Wicker. Personne morale in Rép. Civ, 1998, n° 78. 253
Cass. com., 28 Avril 1998, n° 96-10.253 ; Bulletin Joly Sociétés 1998, p.888, note P. Le Cannu. 254
Cass. com., 20 Octobre 1998, n° 96-15.418 ; JCP 1998, p. 2025, note A. Couret. 255
Cass. com., 20 Mai 2003, n° 99-17.092 ; Recueil Dalloz 2003, p. 2623, note B. Dondero.
82
non affecté de l’entrepreneur. Cela posera des problèmes en cas d’imputation d’une de ces
dettes sur le mauvais patrimoine.
209. Si nous retenons la faute simple, l’ensemble des fautes de gestion de l’entrepreneur
s’imputeront sur son patrimoine non affecté. Cela aura pour conséquence de doublement
préjudicier à ses créanciers. En effet, cela préjudiciera d’abord aux créanciers de son
patrimoine non affecté qui verront leur concurrence sur ce patrimoine augmentée par l’arrivée
des créanciers du patrimoine affecté lésés. Ensuite, cela préjudiciera aux créanciers du
patrimoine affecté qui ne pourront semble-t-il pas se payer sur le patrimoine affecté pour cette
dette spéciale. Ils auront donc intérêt à faire qualifier la faute de gestion d’une des fautes pour
lesquelles les textes relatifs à l’EIRL prévoient la reconstitution du patrimoine affecté à titre
de sanction. Par contre, si nous retenons la faute détachable, seules les fautes lourdes,
inexcusables pèseront sur le patrimoine non affecté. Alors, risquent de naitre de nombreuses
actions en justice qui tendront à faire qualifier de faute simple ou de faute détachable le
comportement de l’entrepreneur en fonction de la consistance de chaque patrimoine. Par
conséquent, quelque soit le choix que les juges du fond opéreront, des difficultés
d’application et de répartition entre les passifs risquent de se poser. Que se passera-t-il, alors,
si une dette de gestion est imputée au mauvais patrimoine ? Nous pouvons imaginer que
seront créées des actions récursoires entre les patrimoines. Seulement, le recours au
patrimoine d’affectation arrivera alors à sa limite puisqu’il sera plus difficile de mettre en
place des actions entre les patrimoines d’une même personne. Des conflits d’intérêts
irrésolubles naitront nécessairement de l’unité de personnalité juridique à la tête de cette
dualité patrimoniale.
210. Le choix entre faute simple et faute détachable va donc avoir des conséquences
importantes sur le passif qu’auront à supporter les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
Or, l’affectation patrimoniale est sans incidence sur ce choix. Il semble que ce ne soit qu’une
question de politique juridique. Cette idée va d’ailleurs se renforcer en étudiant les
conséquences d’un tel choix sur la limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel.
§2. Les conséquences sur la limitation de responsabilité de l’entrepreneur
individuel.
211. Le choix du critère de la responsabilité personnelle va influer sur l’étendue de la
limitation de responsabilité. Il sera donc un des facteurs de réussite ou d’échec de l’EIRL.
83
212. Il semble que seul le critère de la faute détachable de l’exercice de l’activité
professionnelle puisse aboutir à une véritable limitation de la responsabilité de l’entrepreneur.
Dans ce cas, même les fautes simples de gestion seraient assumées par le patrimoine affecté.
Au contraire, faire peser toutes les fautes de gestion, même les plus légères, sur le patrimoine
non affecté, reviendrait à ruiner l’utilité du dispositif de l’EIRL qui ne consisterait alors plus
qu’en une simple séparation de gage, qu’une limitation du risque d’entreprise. Suivant la
volonté du législateur de faire de l’EIRL une technique de protection du patrimoine personnel
des entrepreneurs et la règle de séparation des passifs selon laquelle seul le patrimoine affecté
supporte les dettes nées de l’activité professionnelle, sans distinction de leur nature, il
semblerait logique de ne retenir leur responsabilité civile qu’en cas de commission d’une
faute détachable de leur activité professionnelle. La faveur pour la faute simple de gestion
signerait en quelque sorte l’arrêt de mort de l’EIRL puisqu’il n’apporterait définitivement rien
de plus qu’une société unipersonnelle, voire même semblerait plus dangereux, le gérant de
l’EURL n’engageant sa responsabilité personnelle qu’en cas de faute détachable de son
activité professionnelle. D’ailleurs, le rapport Champaud prévoyait une responsabilité
personnelle simplement pour les fautes lourdes256
.
213. Toutefois, il est possible de prendre parti pour le maintien d’une responsabilité
personnelle de l’EIRL en cas de simple faute de gestion. En effet, nous pourrions effectuer la
même critique que celle faite concernant la responsabilité des dirigeants sociaux257
et selon
laquelle la quasi-irresponsabilité entraînée par la responsabilité pour faute détachable n’est
pas justifiée d’une part parce que la gestion des personnes morales de droit privé n’est pas
soumise aux contraintes du service public et d’autre part parce qu’une société n’est pas
toujours solvable contrairement à l’Etat. Ensuite, nous pourrions considérer que la gestion du
patrimoine affecté par l’entrepreneur se rapproche plus de celle du patrimoine fiduciaire258
.
Or, le fiduciaire est personnellement responsable en cas de simple faute de gestion. De même
si la gestion du patrimoine affecté était confiée à un mandataire, il serait responsable
personnellement des fautes simples de gestion. Il semble donc logique que la responsabilité de
l’entrepreneur soit identique s’il décide de gérer lui-même son patrimoine affecté. Enfin, la
responsabilité pour faute simple permet d’avoir à éviter de classer les différentes fautes que
pourrait commettre l’entrepreneur. En effet, en cas d’infraction à la législation du travail ou
256
C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier
l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD Com., 1979, p. 579, préc. n°31. 257
M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 161, préc. n°281, note (21). 258
En effet, patrimoine affecté de l’EIRL et patrimoine fiduciaire du fiduciaire sont tous deux des patrimoines
d’affectation.
84
de la commission d’infractions pénale, se posera nécessairement la question de savoir si ces
infractions constituent des fautes simples ou détachables de l’activité professionnelles259
.
214. Le choix entre faute simple de gestion et faute détachable de l’activité professionnelle
sera donc crucial. Toutefois, ce problème a le mérite de démontrer qu’en lui-même, le recours
au patrimoine affecté ne permet pas une limitation certaine de responsabilité. Il est certain
qu’il constituera toujours une limitation de gage mais c’est le régime juridique que lui
donneront le législateur et les juges qui, seul, permettra d’exonérer l’entrepreneur d’une partie
de sa responsabilité. L’exonération de responsabilité est donc une question de politique
juridique plus que de technique juridique utilisée pour y parvenir.
215. Conclusion du Chapitre. Il semble donc qu’il soit impossible d’anéantir toute
responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel malgré le recours au patrimoine
d’affectation. Certes, des responsabilités civiles telles la responsabilité du fait des produits
défectueux pourront continuer logiquement à s’imputer sur le patrimoine affecté260
, mais en
cas de faute de gestion, l’entrepreneur devra en répondre personnellement. Tout l’enjeu
résidera alors dans la détermination de la gravité de la faute qui engagera la responsabilité
personnelle de l’entrepreneur individuel sur son patrimoine non affecté.
216. Conclusion du Titre. La question de l’étendue de la responsabilité de l’EIRL est une
question de politique juridique. Le régime du patrimoine d’affectation s’adaptant à la finalité
pour laquelle il est utilisé, cette technique seule ne peut entrainer une exonération de cette
responsabilité. Le présenter comme salvateur du problème de limitation de responsabilité
connu par l’EURL était donc un leurre. Tout dépendra de la volonté politique et judiciaire lors
de la mise en œuvre de ce dispositif.
217. Conclusion de la partie. Nous pouvons alors conclure que le recours la création d’un
patrimoine d’affectation permet d’obtenir une séparation de gage qui sera maintenue même en
présence de difficultés financières. Sur ce point, l’EIRL semble constituer un progrès comparé
à l’EURL en ce qu’il permet une application « par patrimoine » et non « par débiteur » des
procédures de traitement des entreprises en difficultés. Toutefois, en présence d’un
259
Cette question suscite également des débats au sein de la jurisprudence en droit des sociétés. Voir sur ce
point : M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 163, préc. n°284. 260
B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 58, préc. n°103.
85
entrepreneur tenant une comptabilité rigoureuse, aucune extension de procédure ne se
produira et alors, EIRL et EURL apparaitront comme aussi protectrices. Ainsi, seul le
comportement irréprochable et vertueux des entrepreneurs, et non la technique de protection
patrimoniale à laquelle ils recourent, semble pouvoir le protéger de ses déconvenues
professionnelles. Cependant, l’entrepreneur ne pourra jamais s’exonérer totalement de sa
responsabilité civile personnelle s’imputant sur son patrimoine non affecté. Quelque soit
l’intensité de la faute requise pour engager sa responsabilité, il restera responsable de sa
gestion sur son patrimoine personnel. Mais, cette question relevant de la politique juridique,
nous ne pouvons donc pas conclure que le recours au patrimoine affecté permet
« nécessairement » une exonération de responsabilité personnelle. Sur ce point, il ne présente
donc aucun avantage par rapport aux outils déjà mis à disposition des entrepreneurs.
CONCLUSION GENERALE
218. « Au royaume de l’insécurité juridique, l’EIRL est reine261
». Tel aurait pu être le sous
titre de cette étude sur « l’EIRL et la notion de patrimoine d’affectation ».
Nous avons tenté de démontrer que le régime de l’EIRL possède de nombreuses
lacunes auxquelles la notion de patrimoine d’affectation ne peut pas systématiquement
apporter de réponses. Tant que ces réponses ne seront pas apportées par la jurisprudence ou le
législateur, le recours à ce patrimoine d’affectation sera synonyme d’insécurité juridique pour
l’entrepreneur individuel et ses créanciers. A ce stade, le recours à la technique sociétaire, et
notamment à l’EURL, apparait donc comme plus sûr. En effet, l’EIRL n’a pas tenu les
promesses de simplicité et de sécurité juridique auxquelles s’était engagé le législateur quant
à son organisation. Il ne les a pas tenues non plus quant à la finalité de l’EIRL : la limitation
de la responsabilité de l’entrepreneur. En effet, si le recours au patrimoine affecté permet une
séparation patrimoniale qui sera maintenue en cas d’ouverture d’une procédure de traitement
des entreprises en difficultés, il ne peut permettre d’exonérer l’entrepreneur mauvais gérant de
toute responsabilité personnelle. Il est alors apparu que c’est le comportement de
l’entrepreneur et non la technique utilisée qui pouvait lui permettre de cantonner l’imputation
de ses déconvenues professionnelles à son patrimoine « professionnel ».
Ainsi, le législateur aurait-il peut-être mieux fait d’améliorer l’étanchéité des gages au
sein de l’EURL ou de relancer les dispositifs déjà existant en en faisant la promotion. Ou,
peut-être aurait-il dû aller plus loin et reconnaitre l’existence d’une pro-personnalité comme le
261
R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78.
86
proposait le 106ème
Congrès des Notaires qui s’était tenu à Lille en 2009. Cette personnalité,
d’exception par rapport au principe que resterait la personnalité civile, permettrait à
l’entrepreneur de n’engager que les biens utilisés pour son activité professionnelle lorsqu’il
agit à ce titre. Cependant, nous pouvons effectuer le même grief que celui porté au recours au
patrimoine d’affectation. En effet, ce concept n’a été envisagé que dans sa possibilité. Sans la
construction d’un régime solide, complet et adapté, les mêmes incertitudes se poseront et la
sécurité juridique ne pourra être garantie.
87
A/
Aliénation
- Biens utiles
- Biens nécessaires
- Patrimoine affecté
Abus
Action oblique : 52
Action paulienne : 150, 151
Affectation
- à une activité professionnelle : 18
- caractère commun du patrimoine
de l’EIRL et du patrimoine
sociétaire : 19,
- liberté d’affectation : 24, 25
- modalités d’affectation : en toute
propriété, en jouissance, en nue-
propriété, en usufruit : 22
Apport
- en industrie : 19
- en nature : 19
- en numéraire : 19
B/
Banqueroute : voir responsabilité pénale
Bénéfice de discussion : 2
Bénéfices : voir droits, procédure collective
Biens communs et indivis
- modalités d’affectation : 21
- accord exprès : 37
- aliénation : 105
- constitution de sûretés : 137
Bien nécessaire
- définition : 25
- liberté d’affectation : 25
Bien utile :
- définition : 25
- liberté d’affectation : 25
C/
Cautionnement : voir sûretés
Co-exploitation : 96
Commissaire aux comptes : 33
Comptes annuels : 33
D/
Déclaration d’affectation : 33, 95
Déclaration d’insaisissabilité : 2
Décloisonnement du gage
- absolu : 142
- relatif : 143
Désaffectation : voir mutations
Droits :
- des créanciers du patrimoine non
affecté sur le patrimoine affecté : 52
- de propriété : 49, 86
INDEX (les numéros renvoient aux paragraphes numérotés)
88
- politiques
définition : 85
absence : 86
- aux bénéfices
existence : 56
régime : 59
- aux revenus
absence d’encadrement du
droit : 62 et suivants
articulation avec le droit aux
bénéfices : 65 à 67
définition : 63
E/
Escroquerie : 148
EURL : 2
Evaluation des biens : 33
Extinction du patrimoine affecté
- par décès de l’EIRL : 116 et 117
- par renonciation à l’affectation :
118
F/
Faillite personnelle : voir responsabilité civile
Faute
- simple de gestion
- détachable des fonctions
Faux : 148
Fiducie : 2
Formalisme : 30 à 39
- condition de l’opposabilité de
l’affectation : 35 à 37
- connaissance de l’étendue de
l’affectation : 32 à 34
I/
Indivision : 96
Insuffisance d’actif : voir responsabilité civile
L/
Limitation de responsabilité :
- finalité de l’EIRL : 29
- risque d’entreprise : 124
- limitation du risque d’entreprise en
cas de difficultés financières :
au bénéfice de l’EIRL :
161
au bénéfice du conjoint de
l’EIRL : 162
M/
Mandat : 88 et 89
Mutations
- affectation de nouveaux actifs : 95
- aliénation des actifs: 102, 103
- désaffectation : 96
- extinction : voir extinction
- protection des créanciers contre les
aliénations : 105
- transmission du patrimoine affecté
régime : 109 à 111
articulation avec le droit
des régimes matrimoniaux
et des successions : 112 et
113
O/
Opposabilité
- déclaration d’affectation : 33
- utilité : 75 à 77
89
Organisation frauduleuse d’insolvabilité :
voir responsabilité pénale
P/
Patrimoine
- cumul du patrimoine affecté et de
la déclaration d’insaisissabilité :
198 à 202
- notion : 4
- différentes conceptions : 5
Personnalité morale
- indifférence pour la gestion du
patrimoine affecté : 73
- utilité pour les sociétés : 74
Procédure collective
- application distributive : 155, 156
- articulation entre les procédures :
158
- cumul avec la procédure de
surendettement : 156
- nullités de la période suspecte :
166 à 168
- possibilités d’extension de la
procédure
confusion des
patrimoines : 170
sanction : 170
- revenus : 172, 173
Pro-personnalité : 218
R/
Redressement judiciaire
Renonciation à partielle à l’affectation : 133
à 137
Représentation :
- conception classique : 79
- évolution de la conception : 81
- conséquences sur les contrats
conclus avec soi-même : 82
Responsabilité civile
- en matière de procédure
collectives
faillite personnelle : 179 à
181
responsabilité pour
insuffisance d’actif : 182 à
184
Responsabilité pénale :
- banqueroute : 189, 190
- organisation frauduleuse
d’insolvabilité : 186 à 188
Responsabilité personnelle :
conséquences sur la limitation de
responsabilité : 211 à 214
conséquences sur la répartition des
dettes : 208 à 210
faute détachable des fonctions : 205 à
207
faute simple de gestion : 205 à 207
maintien : 193 à 197
recherche d’un critère : 204
Revenus : voir droits, procédure collective
S/
Séparation des gages
- étanchéité : 131
- organisation : 130
- maintien en cas de difficultés
financières : 153, 161
Subrogation réelle : 95
Surendettement : voir procédure collective
Sûretés : 133à 137
90
T/
Titres sociaux : 42 et suivants
- cause de l’absence : 43
- nature : 44
Transmission universelle
- conséquence de la nature
d’universalité juridique : 48
- fusions : 109
U/
Universalité juridique
- influence sur la séparation des
gages : 128
- nature du patrimoine affecté : 47
91
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situations de surendettement à l’EIRL. Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1,
étude 2.
WICKER (G). Personne morale. Répertoire civil, Dalloz, 1998, n° 78.
Dossier « Le patrimoine professionnel d’affectation (premières analyses de l’EIRL) ». Droit et
patrimoine, Avril 2010.
Dossier « L’EIRL : La nouvelle donne pour l’entrepreneur ». Droit et patrimoine, Avril 2011.
V. OBSERVATIONS ET NOTES DE JURISPRUDENCE.
CHEVALLIER (J). Note sous Cass. Com., 28 Avril 1964, Bull. Civ. IV, n° 215. RTD civ.
1965, p. 116.
COURET (A). Note sous Cass. com, 20 Octobre 1998, n° 96-15.418. JCP 1998, p. 2025
DAUVERGNE (B). Rapport sous Cass. crim, 11 Février 1976, n° 75-91.806. Recueil Dalloz,
1976, jurispr. p. 295.
DERRIDA (F). Note sous Cass. com., 28 Février 1995, n° 92-17.329, Recueil Dalloz, 1995,
p. 390.
DONDERO (B). Note sous Cass. com., 20 Mai 2003, n° 99-17.092. Recueil Dalloz , 2003, p.
2623.
LE CANNU (P). Note sous Cass. com, 28 Avril 1998, n° 96-10.253. Bulletin Joly Sociétés
1998, p.888
LIENARD (A). Note sous Cass. com., 16 Octobre 2007, n° 06-10.805, Recueil Dalloz, 2007
p. 2666
PETEL (P). Observations sous Cass. com., 30 Novembre 1993, n° 91-20.554, Bulletin Joly
Sociétés, 1994, p. 410.
SAINT-ALARY-HOUIN (C). Note sous Cass. com., 19 Avril 2005, n° 05-10.094. Bulletin
Joly Sociétés, 2005, p. 690
97
VI. RESSOURCES INTERNET.
http://www.assemblee-nationale.fr
http://www.minefe.gouv.fr
http://www.droit360.fr
http://www.justice.gouv.qc.ca
98
Table des matières
Liste des abréviations ......................................................................................................................... III
Sommaire ............................................................................................................................................. IV
Introduction. ..........................................................................................................................................1
PARTIE I. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION DE L’EIRL. ...................8
Titre I. Les particularités de l’organisation de l’affectation des biens par l’EIRL. ....................8
Chapitre I. L’encadrement strict de l’affectation des biens. ............................................................8
Section I. L’encadrement du contenu du patrimoine affecté à l’EIRL. .........................................
§1. L’affectation, notion commune aux patrimoines sociétaires et au patrimoine
d’affectation. ..................................................................................................................9
A. Une véritable affectation au même titre que tout patrimoine sociétaire. ......9
B. L’identité de la nature des actifs « affectables » à l’EIRL et aux sociétés. 10
§2. La liberté d’affectation, l’opposition de l’affectation du patrimoine de l’EIRL et
des patrimoines sociétaires. ..........................................................................................12
A. Les contraintes dans les biens à affecter à l’EIRL. ..................................12
B. La raison des contraintes : la finalité de l’EIRL. .....................................14
Section II. Le respect du formalisme, condition de l’efficacité de l’affectation. ......................15
§1. Le formalisme, condition de la connaissance de l’étendue de l’affectation. .........15
§2. Le formalisme, condition de l’opposabilité de l’affectation. ..................................18
Chapitre II. Les incertitudes sur les contreparties à l’affectation. .................................................20
Section I. L’absence de contre-valeur au bénéfice du patrimoine non affecté lors de la
constitution de l’EIRL. .............................................................................................................20
§1. L’absence de titres intégrant le patrimoine non affecté de l’entrepreneur. ............20
§2. L’incertitude de la nature juridique du patrimoine d’affectation. ..........................21
A. La question d’un droit portant sur le patrimoine d’affectation ...................21
B. L’éventuel exercice du droit portant sur le patrimoine affecté par les
créanciers. .......................................................................................................23
Section II. Les prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté lors de son fonctionnement.
........................................................................................................................................................24
§1.Le droit aux bénéfices. ...........................................................................................24
A. La déduction d’un droit aux bénéfices des dispositions de la loi du 15 Juin
2010 . ..............................................................................................................24
99
B. L’application du droit des sociétés. ............................................................25
§2. Le droit à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté. .........................................26
A. Les problèmes posés par l’absence d’encadrement du prélèvement. .........26
B. L’articulation du droit aux bénéfices et du droit aux revenus. ...................27
Titre II. Les particularités de l’organisation de la gestion du patrimoine affecté ......................29
Chapitre I. Les particularités du mode de gestion du patrimoine affecté de l’EIRL. ....................29
Section I. La gestion d’un patrimoine sans personnalité morale. .............................................29
§1. L’indifférence de l’absence de personnalité morale quant à la gestion de l’EIRL.29
A. L’utilité de la personnalité morale pour les sociétés. .................................30
B. L’existence de moyens d’opposabilité dans le cadre de l’EIRL. ...............31
§2. L’évolution de la notion de représentation. ...........................................................32
A. La conception classique de la représentation : représenter autrui. .............32
B. L’évolution de la conception de la représentation. .....................................33
Section II. La gestion directe du patrimoine affecté par l’entrepreneur individuel. .................34
§1. L’absence de droits politiques du gérant du patrimoine affecté. ...........................34
§2. L’utilisation du mandat hors de la structure de l’EIRL. ........................................35
Chapitre II. Les particularités des mutations du patrimoine d’affectation. ...................................36
Section I. La mutation des actifs du patrimoine affecté. ..........................................................36
§1. La modification de l’affectation. ...........................................................................37
A. L’affectation de nouveaux actifs au patrimoine affecté. ............................37
B. La désaffectation des actifs du patrimoine affecté. ....................................39
§2. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté. ........................................................40
A. L’aliénation des biens nécessaires et utiles. ................................................40
B. La carence de la protection des créanciers face aux aliénations. . ..............41
Section II. La mutation du patrimoine affecté. .........................................................................42
§1. La transmission du patrimoine affecté. ..................................................................42
A. Le régime de la transmission du patrimoine affecté. .................................42
B. L’articulation du régime de la transmission du patrimoine affecté avec le
droit des successions et le droit des régimes matrimoniaux. ..........................45
§2. L’extinction du patrimoine affecté. .......................................................................46
A. L’extinction par décès de l’entrepreneur individuel. .................................46
B. L’extinction par la renonciation à l’affectation ..........................................47
PARTIE II. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION DE RESPONSABILITE ..49
Titre I. La limitation du risque d’entreprise. ...............................................................................49
100
Chapitre I. La stricte détermination du gage des créanciers en présence d’un patrimoine affecté in
bonis. .............................................................................................................................................49
Section I. Une stricte séparation des gages des différents créanciers. ......................................50
§1. La détermination des gages des différents créanciers. ...........................................50
A. L’influence de la nature juridique de l’EIRL sur la séparation des gages. 50
B. Les conséquences légales sur la séparation des gages. ...............................51
§2. L’impossibilité de consentir des sûretés entre les différents patrimoines de
l’entrepreneur individuel. .............................................................................................52
A. L’absence de prévisions légales. ................................................................53
B. La nature du patrimoine affecté de l’EIRL contraire à une extension des
gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation. ...............................53
Section II. La protection des créanciers contre les abus dans la détermination de leurs gages 55
§1. La protection légale restreinte. ...............................................................................55
A. Les hypothèses de décloisonnement des gages. ..........................................55
B. L’insuffisance de la protection légale. .......................................................57
§2. Le recours aux droits communs pour accentuer la protection des gages. ..............57
A. Le difficile recours au droit pénal. .............................................................57
B. La protection civile par le recours à l’action paulienne. ............................59
Chapitre II. La limitation des risques supportés par l’entrepreneur individuel en cas de difficultés
financières ......................................................................................................................................60
Section I. Le renouveau du droit des entreprises en difficulté et du surendettement. ..............60
§1. Le principe : l’application distributive des procédures collectives et de
surendettement au patrimoine. .....................................................................................60
A. L’application des procédures au patrimoine lui-même. .............................61
B. Les problèmes d’articulation entre les procédures. ....................................62
§2. Conséquences : la limitation des risques en pratique, véritable innovation de
l’EIRL. .........................................................................................................................63
A. Une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur
individuel. .......................................................................................................63
B. Le bénéfice retiré par le conjoint de l’entrepreneur individuel. .................63
Section II. La protection des créanciers contre les abus. ..........................................................64
§1. La protection du gage des créanciers professionnels. ............................................64
A. Les nullités de la période suspecte. ............................................................65
B. Les possibilités d’extension de la procédure. .............................................66
§2. Le problème des revenus librement versés dans le patrimoine non affecté. ..........67
101
Titre II. Le maintien d’une responsabilité minimale de l’entrepreneur individuel en qualité de
gérant. ...............................................................................................................................................69
Chapitre I. L’engagement de la responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel dans le
droit des entreprises en difficulté. .................................................................................................69
Section I. La responsabilité civile en tant que gérant d’un patrimoine affecté. ........................69
§1. La faillite personnelle. ...........................................................................................70
§2. La responsabilité pour insuffisance d’actif. ...........................................................71
Section II. La responsabilité pénale en tant que gérant d’un patrimoine affecté. ....................73
§1. L’organisation frauduleuse d’insolvabilité. ...........................................................73
§2. La banqueroute. .....................................................................................................74
Chapitre II. La recherche d’un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur
sur son patrimoine non affecté. .....................................................................................................76
Section I. Le maintien de la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine affecté. ........76
§1. L’impossibilité de supprimer la responsabilité d’un gérant par la création d’un
patrimoine d’affectation. ...............................................................................................76
§2. L’éventualité d’un cumul avec la déclaration d’insaisissabilité. ...........................78
A. La possibilité théorique. ..............................................................................78
B. L’inutilité pratique du cumul : l’anéantissement du crédit de l’entrepreneur
individuel. .......................................................................................................79
Section II. La répartition des dettes de responsabilité entre les différents patrimoines de
l’EIRL. ......................................................................................................................................80
§1. La recherche d’un critère de responsabilité personnelle du gérant « EIRL ». .......80
A. L’hésitation entre faute simple de gestion et faute détachable des fonctions.
.........................................................................................................................80
B. Les conséquences sur la répartition du passif entre les patrimoines de
l’entrepreneur individuel. . ..............................................................................81
§2. Les conséquences sur la limitation de la responsabilité de l’entrepreneur
individuel. . ..................................................................................................................82
Conclusion Générale ............................................................................................................................85
Index ......................................................................................................................................................87
Bibliographie .........................................................................................................................................91
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