l'eirl et la notion de patrimoine d'affectation

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UNIVERSITE DE DROIT, SCIENCE POLITIQUE, ECONOMIE, GESTION, EDUCATION MONTESQUIEU-BORDEAUX IV FACULTE DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE L’EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D’AFFECTATION Sous la direction de Monsieur le Professeur Guillaume Wicker Mémoire présenté par Mademoiselle Mylène Cagnon dans le cadre du Master II Droit privé approfondi : parcours droit civil, dirigé par Monsieur le Professeur Guillaume Wicker Année Universitaire 2010-2011

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Page 1: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

UNIVERSITE DE DROIT, SCIENCE POLITIQUE, ECONOMIE, GESTION, EDUCATION

MONTESQUIEU-BORDEAUX IV

FACULTE DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE

L’EIRL ET LA NOTION DE

PATRIMOINE

D’AFFECTATION

Sous la direction de Monsieur le Professeur Guillaume Wicker

Mémoire présenté par Mademoiselle Mylène Cagnon dans le cadre du

Master II Droit privé approfondi : parcours droit civil,

dirigé par Monsieur le Professeur Guillaume Wicker

Année Universitaire 2010-2011

Page 2: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

II

REMERCIEMENTS

Qu’il me soit permis d’exprimer ma reconnaissance et de

présenter mes plus vifs remerciements à Monsieur le

Professeur Guillaume Wicker pour son écoute, les conseils

qu’il a su m’apporter afin d’améliorer ma réflexion ainsi

que son aide précieuse tout au long de la réalisation de ce

mémoire.

Je tiens également à remercier toute l’équipe

pédagogique du Master II Droit privé approfondi ainsi que

tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à

l’élaboration de ce mémoire de par leur apport intellectuel

ou leur soutien.

Page 3: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

III

ABREVIATIONS

Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

Cass. Cour de cassation.

Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation.

Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Defrénois Répertoire du notariat Defrénois.

EIRL Entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

EURL Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.

EARL Exploitation agricole à responsabilité limitée.

JCP E. La semaine juridique, édition entreprise.

JCP G. La semaine juridique, édition générale.

JCP N. La semaine juridique, édition notariale et immobilière.

JOCE Journal officiel des communautés européennes.

JORF Journal officiel de la République française.

LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence.

Rép. Civ. Encyclopédie Dalloz (Répertoire civil).

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil.

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial.

SARL Société à responsabilité limitée.

Page 4: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

IV

SOMMAIRE

Partie I. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION DE L’EIRL.

Titre I. Les particularités de l’organisation de l’affectation des biens par

l’EIRL.

Chapitre I. L’encadrement strict de l’affectation des biens.

Chapitre II. Les incertitudes sur les contreparties à l’affectation.

Titre II. Les particularités de l’organisation de la gestion du patrimoine affecté.

Chapitre I. Les particularités du mode de gestion du patrimoine affecté de l’EIRL.

Chapitre II. Les particularités des mutations du patrimoine d’affectation.

Partie II. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION DE RESPONSABILITE.

Titre I. La limitation du risque d’entreprise.

Chapitre I. La stricte détermination du gage des créanciers en présence d’un patrimoine

affecté in bonis.

Chapitre II. La limitation des risques supportés par l’entrepreneur individuel en cas de

difficultés financières

Titre II. Le maintien d’une responsabilité minimale de l’entrepreneur

individuel en qualité de gérant.

Chapitre I. L’engagement de la responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel dans le

droit des entreprises en difficulté.

Chapitre II. La recherche d’un principe général de responsabilité personnelle de

l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté.

Page 5: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

V

« (…) d’autant que les hommes oublient plus volontiers

la mort de leur Père que la perte de leur patrimoine1 »

Nicolas MACHIAVEL

1 N. Machiavel. Le prince. Amsterdam : H. Wetstein, 1684, Traduit & commenté par A. N. Amelot, Sieur de la

Houssaie, Chapitre XVIII « De la cruauté et de la clémence et s’il vaut mieux être aimé que craint », p. 155.

Page 6: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

1

1. « Protection et Crédit ! », tel aurait pu être le slogan des entrepreneurs réclamant

d’autres moyens que le recours à la technique sociétaire pour limiter leur responsabilité. Si

l’un est difficilement compatible avec l’autre, c’est pourtant à cette revendication que le

législateur a tenté de répondre par la loi n° 2010-658 du 15 Juin 2010 créant l’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée.

L’EIRL est défini par le nouvel article L 526-6 du Code de Commerce, inséré dans la

section II du Chapitre II du Livre V du Titre II du Code de Commerce, intitulé « De la

protection de l’entrepreneur individuel et du conjoint ». Cette création ressemble fortement à

l’entreprise personnelle à responsabilité limitée, proposée il y a plus de trente ans par

Monsieur Champaud2, dont le cœur du dispositif reposait sur la détermination de masses

patrimoniales distinctes, chacune répondant d’un passif spécifique.

2. De prime abord, l’EIRL semble être une technique d’organisation du patrimoine

professionnel au même titre que toute société ou que le statut d’auto-entrepreneur. Pourtant,

sa finalité première est de protéger les biens personnels de l’entrepreneur individuel et de son

conjoint des risques inhérents à l’activité d’entreprendre. Le rapport Xavier de Roux3 ainsi

que le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée4 mettent en

exergue l’idée selon laquelle l’EIRL doit constituer un palliatif de l’EURL ainsi que de la

déclaration d’insaisissabilité dans la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur.

Cette volonté fait suite à l’échec que le législateur a rencontré dans ses différentes

tentatives de limitation de la responsabilité des entrepreneurs. Quatre d’entre elles ont

particulièrement marqué notre droit. D’abord l’EURL et l’EARL, créées par la loi n° 85-697

du 11 Juillet 1985. Ces versions unipersonnelles de la SARL avaient pour objectif de

permettre aux entrepreneurs de créer une société dont le risque était limité à leurs apports. A

l’époque, la société unipersonnelle avait été préférée au patrimoine d’affectation. Pour les

détracteurs du patrimoine d’affectation, son institution était contraire à la règle de l’unité du

2 C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier

l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579. 3 Remise du rapport de Xavier De Roux : La création d’un patrimoine d’affectation à Hervé Novelli, Secrétaire

d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, Des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme et des Services, 5

Novembre 2008,http://www.minefe.gouv.fr/fonds_documentaire/archives/dossiersdepresse/somdp0309.htm: « 5-

L’affectation d’un patrimoine à une activité peut apparaître comme un facteur de sécurité et de limitation du

risque entrepreneurial », consulté le 8 Juillet 2011. 4 Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27

Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr: « 4.1 : Grâce à cette mesure, les entrepreneurs pourront

mettre leur patrimoine personnel à l’abri des poursuites des créanciers professionnels. Une telle séparation des

patrimoines devrait encourager l’esprit d’entreprendre chez les petits entrepreneurs », consulté le 8 Juillet 2011.

Page 7: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

2

patrimoine5. De plus, la 12

ème directive du Conseil des communautés européennes

6 favorisait,

selon eux, la création des sociétés unipersonnelles7. Mais surtout, le recours à ces sociétés

permettait de réaliser une économie de moyens non négligeable puisqu’il suffisait d’adapter

les textes de la SARL à l’unicité d’associé caractéristique de l’EURL. Ainsi, les rapports entre

patrimoine personnel et patrimoine de l’EURL étaient déjà réglés ; il n’y avait donc pas

besoin de construire un régime entier8 contrairement à ce qui aurait été le cas avec l’institution

d’un patrimoine affecté. Avec la société unipersonnelle, les entrepreneurs individuels devaient

disposer d’une structure qui leur permettait de limiter réellement leur responsabilité, de mieux

gérer leur entreprise ainsi que de mieux pouvoir la transmettre9. Pourtant, ces sociétés n’ont

pas recueilli leurs faveurs10

. Le projet de loi relatif à l’EIRL dégage quatre raisons expliquant

cet échec. Outre l’obstacle constitué par les obligations de comptabilité et le formalisme

imposé lors de la constitution de l’EURL, il serait dû à la mauvaise communication du

gouvernement sur les assouplissements de son régime ainsi qu’au fait que les entrepreneurs

individuels rechignent à créer une personnalité morale distincte pour l’exercice de leurs

activités entrepreneuriales et ce d’autant plus que ces activités ne connaissent pas une

croissance avancée.

Au vu du manque d’engouement pour l’EURL, fût crée le dit « bénéfice de

discussion » par la loi « Madelin » n° 94-126 du 11 Février 1994. Cette technique permet à

l’entrepreneur individuel qui souhaite obtenir un crédit pour son activité professionnelle ou

qui est menacé de saisie pour une dette contractuelle professionnelle d’orienter la prise de

garantie ou l’exécution forcée sur les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise.

Cependant, elle a aussi connu un succès plus que relatif puisqu’en l’utilisant, l’entrepreneur

sauvegardait son patrimoine personnel mais mettait en péril ses moyens d’exploitation,

risquant alors d’être obligé de cesser son activité professionnelle11

.

5 P. Dupichot. L’unicité du patrimoine aujourd’hui.- Observations introductives in JCP N 2009, n° 52, p.1356.

6 Directive n° 89/667 du 21 Décembre 1989, JOCE n°I. 395, p. 41 du 30 Décembre 1989.

7 D. Lecomte. L’EURL : Structure d’organisation de l’entreprise. Paris : L’Harmattan, 2004, p. 26.

8 J-D. Bredin. Au-delà de l’E.U.R.L. ? in Cahiers du droit de l’entreprise, 1990, n°1, p24 – P.Serlooten.

L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée in Recueil Dalloz 1985, p. 187. 9 D. Lecomte. L’EURL : Structure d’organisation de l’entreprise. Paris : L’Harmattan, 2004, p. 18 : « Il

s’agissait d’organiser une protection patrimoniale au profit de l’entrepreneur individuel et, par contrecoup, de

mettre un terme la mise en place de sociétés pluripersonnelles de façade. Ensuite, l’individualisation de

l’entreprise devait permettre d’en faciliter la transmission et, ainsi, de la pérenniser ». 10

Remise du rapport de Xavier De Roux. op. cit. : « en 2007, la moitié des créateurs d’entreprise ont choisi

l’activité individuelle, 35% la SARL, 11 % l’EURL et 2% la SAS ». 11

F. Pérochon. L’efficacité des mécanismes de prévention des risques : l’EIRL in Revue des procédures

collectives, Novembre 2010, n°6, dossier 5, préc. n° 3.

Page 8: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

3

A alors été créée la déclaration d’insaisissabilité par la loi « Dutreil » n° 2003-721 du

11 Août 2003, modifiée par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie du 4 Août

2008. Cette déclaration permet à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissables par ses

créanciers professionnels, sa résidence principale ainsi que tout bien foncier, bâti ou non, et

qui n’est pas affecté à un usage professionnel. Si ce dispositif fût bien accueilli sur le plan des

principes, rares sont les entrepreneurs qui y ont eu recours. Comme raisons de cet échec sont

avancées une nouvelle fois le formalisme et le coût de réalisation de la déclaration mais

également le fait que tous les entrepreneurs ne disposent pas d’un patrimoine immobilier et

que, lorsqu’ils en possèdent un, il sert souvent de garantie aux bailleurs de fond12

. Enfin,

certains arguaient de ce que la déclaration d’insaisissabilité, comme elle ne concerne que les

biens fonciers, ne permettait pas de mettre l’ensemble du patrimoine personnel de

l’entrepreneur à l’abri de poursuites de ses créanciers professionnels.

En dernier lieu, la fiducie a semblé être un moyen efficace de limiter la responsabilité

des entrepreneurs individuels sur leur patrimoine personnel. Créée par la loi n° 2007-212 du

19 Février 2007 et modifiée par la loi LME, l’article 2011 du Code Civil la définit comme

« l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des

sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs

fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé

au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Toutefois, le fait que l’article 2025 alinéa 2 du

même code permette aux créanciers, sauf clause contraire, de retrouver leur droit de gage sur

le patrimoine du constituant en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire a constitué un frein

à son développement comme moyen d’exploitation des entreprises individuelles. Cette

technique est alors, depuis sa création, plus utilisée pour la constitution de sûretés.

3. Les outils de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne

manquent donc pas. Mais, c’est leur échec qui aurait motivé le législateur en créer un nouvel.

Avec l’EIRL, le législateur a voulu créer une protection plus globale du patrimoine des

entrepreneurs individuels. Sa volonté était double. D’une part, il voulait conserver le but qu’il

s’était donné, à savoir protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel en

l’isolant du droit de poursuites de ses créanciers professionnels. D’autre part, il a voulu

s’extraire de la technique sociétaire pour y parvenir et recourir à la technique du patrimoine

12

Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27

Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011.

Page 9: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

4

d’affectation ; technique a priori dérogatoire à notre conception subjective du patrimoine déjà

induite par la fiducie mais non réellement développée en droit des entreprises.

4. Etudier l’EIRL, après l’avoir replacé dans son contexte historique, nous amène donc à

envisager plus précisément la notion de patrimoine d’affectation. L’EIRL est une

dénomination et non une structure d’entreprise. En réalité, il est fondé sur la technique de

l’affectation patrimoniale. Pour comprendre cette notion de « patrimoine d’affectation », il

convient d’abord définir le patrimoine. Le mot patrimoine tire son origine du latin

patrimonium, issu lui-même de pater, le père13

. Selon le dictionnaire Robert14

, le patrimoine

est l’ensemble des biens de famille, des biens que l’on a hérités de ses ascendants. Le

patrimoine, au sens commun, semble donc être rattaché à une personne ou une famille. Mais,

il nous faut nous attacher à une définition plus juridique de ce terme. Le patrimoine peut alors

prendre plusieurs acceptions15

. Strictement, il s’agit de l’ensemble des biens et des obligations

d’une même personne ( c'est-à-dire l’ensemble de ses droits et charges appréciables en

argent), de l’actif et du passif envisagé comme formant une universalité de droit, un tout

comprenant non seulement ses biens présents mais aussi ses biens à venir. Cependant, il peut

également être le nom donné à certaines masses de biens soumises à une affectation spéciale

ou à un régime particulier.

5. Ces deux définitions nous ramènent aux différentes conceptions de la théorie du

patrimoine : la première renvoie à la traditionnelle conception subjective du patrimoine

développée par Charles Aubry et Charles Rau et la seconde fait écho aux théories allemandes

du patrimoine d’affectation. Il faut toutefois noter que ces conceptions ne se sont pas

développées simultanément. D’un point de vue historique, la théorie des patrimoines

d’affectation est venue en réaction à la théorie subjectiviste du patrimoine.

D’après Aubry et Rau, le patrimoine était nécessairement rattaché à une personnalité

juridique. Toute personne avait obligatoirement un patrimoine et un seul. Cette théorie était

généralement présentée dans le triptyque « unicité, unité et indivisibilité du patrimoine16

». De

13

Voir sur ce point : A. Sériaux. Patrimoine in Rép. Civ., 2010. 14

Le grand Robert de la langue française. Paris : Dictionnaires le Robert, 2001, voir patrimoine. 15

G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir patrimoine. 16

Voir sur ce point : R. Lichaber. Eclairage. Feu la théorie du patrimoine in Bulletin Joly Sociétés, 1er

Avril

2010, n° 4, p. 316 − J-L. Pierre. L’entreprise à patrimoine affecté : la résurgence d’un serpent de mer in JCP E

2009, n°51, p. 2184 : pour qui le postulat d’Aubry et Rau selon lequel « le patrimoine est l’émanation de la

personnalité, l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie » induit trois

conséquences fondamentales : « Tout d’abord, seule une personne, physique ou morale peut détenir un

patrimoine. Ensuite, toute personne possède nécessairement un patrimoine, même si elle ne détient présentement

Page 10: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

5

là ils déduisaient que le patrimoine était incessible par son titulaire. Cette conception

subjective du patrimoine était tirée d’une interprétation particulière de l’article 2284 du Code

Civil (ancien article 2092). Le patrimoine rendait la personne économiquement responsable

de ses actes depuis l’interdiction de l’exécution des obligations sur le corps du débiteur lui-

même. Leur théorie est alors apparue comme la précision voire même la radicalisation de la

théorie développée par Zachariae ; théorie selon laquelle le patrimoine d’une personne est

l’universalité juridique de tous les objets extérieurs qui lui appartiennent.

Réagissant contre une telle position jugée extrême17

, certains auteurs ont développé

des théories du patrimoine d’affectation. Il s’agit notamment de Brinz et Bekker, auteurs

allemands de la théorie des patrimoines sans sujet, dits « Sondervermögen » et

« Zweckvermögen »18

. Selon eux, le patrimoine est totalement autonomisé de la personne

juridique à laquelle il appartient. Il devient alors son propre but. Mais, cette théorie est elle

aussi apparue comme trop radicale pour pouvoir être intégrée dans les droits positifs de

l’époque. Fût alors développée la théorie du patrimoine d’affectation. « Cette conception

assigne une affectation comme base au patrimoine mais repousse l’idée de droits privés d’un

sujet actif19

». Cette position a été développée en droit français par Gazin. Pour lui, « le

patrimoine existe quand il y a une affectation d’une masse de biens à un but20

». Mais,

l’affectation doit présenter certains critères : il faut un but nouveau autour duquel se rangent

des valeurs positives et négatives concourant à titre quelconque à la réalisation de ce but. Un

tel but doit alors présenter un caractère positif et ne pas être l’accessoire d’un autre but dont il

facilite l’accomplissement ou auquel il cède sa place. Cette théorie nécessitait cependant,

selon Monsieur Guinchard, des améliorations car Gazin ne donnait pas le but capable de

rendre assez fort le but pour lui permettre de donner naissance à une universalité juridique21

.

6. Le point commun de l’ensemble des théories du patrimoine d’affectation est que,

comme elles se sont construites en réaction à la théorie de l’unicité du patrimoine, elles n’ont

fait qu’envisager la possibilité théorique d’un patrimoine affecté sans jamais en définir le

régime. Or, il semble que notre législateur se soit inspiré de la conception du patrimoine

aucun bien, car elle reste apte à en acquérir ultérieurement. Enfin, ayant une seule personnalité, une personne

ne peut détenir qu’un seul et unique patrimoine ». 17

J-L. Pierre. L’entreprise à patrimoine affecté : la résurgence d’un serpent de mer in JCP E 2009, n°51, p. 2184,

préc. n°11. 18

Ces termes signifient respectivement « patrimoine séparé » et « patrimoine but ». 19

S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome

CXLV, préf. R. Nerson, p. 334, préc. n° 388. 20

Ibidem. 21

Ibidem. p. 335, préc. n° 389.

Page 11: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

6

affecté pour créer l’EIRL puisque, comme l’énonce l’article L 526-6 du Code de Commerce,

l’entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle – but nouveau, positif et

non-accessoire -, un patrimoine séparé de son patrimoine personnel et ce, sans création d’une

personne morale. Outre cette qualification légale de « patrimoine affecté », l’EIRL est bien un

patrimoine d’affectation puisqu’il constitue une masse de biens autonome destinée à un but

particulier. Si son introduction en droit français n’est pas un problème car il est établi depuis

longtemps que la théorie du patrimoine d’affectation n’est pas incompatible avec celle

d’Aubry et Rau, le problème est que la loi du 15 Juin 2010 est plus qu’avare en précisions sur

le régime de l’EIRL ; en témoigne le faible nombre d’articles qu’elle contient et le renvoi à

une ordonnance pour régler l’articulation avec le droit des procédures collectives.

7. En présence d’un régime juridique paraissant mal défini, et sans possibilités de

s’inspirer des différentes théories du patrimoine d’affectation, nous pouvons nous demander

comment il sera possible d’en combler les lacunes. La thèse sur l’affectation des biens en

droit privé de Monsieur Guinchard22

n’apparait que d’une utilité relative puisqu’elle ne définit

pas le régime juridique du patrimoine d’affectation. En effet, l’auteur a tenté de construire une

théorie générale de l’affectation. Pour cela, il a d’abord recherché les buts de l’affectation

pour en définir le domaine. Ensuite, il a recherché les techniques permettant d’affecter les

biens pour en déduire le régime juridique de l’affectation. Toutefois, les régimes juridiques

mis en exergue ne sont pas celui d’un « patrimoine d’affectation » mais ceux des techniques

utilisées pour affecter telles que l’indisponibilité ou l’insaisissabilité. La thèse de Monsieur

Guinchard, si elle ne peut pas directement permettre de combler les lacunes du régime de

l’EIRL, pourrait donc être utile s’il apparaissait que les techniques utilisées pour réaliser

l’affectation au patrimoine de l’EIRL soient celles analysées par l’auteur.

Une autre source d’inspiration pourra être le droit comparé. En effet, le patrimoine

d’affectation est connu d’autres droits en Europe et outre Manche tels que les droits belge,

allemand ou québécois. D’ailleurs, ces possibilités d’utiliser le patrimoine d’affectation pour

exploiter une entreprise cohabitent souvent avec la possibilité de recourir aux sociétés

unipersonnelles dans le même but. Au Portugal, « L’estabelecimento individual de

responsabilidade limitada ou E.I.R.L. (L’établissement individuel à responsabilité limitée) »

constitue un patrimoine autonome sans personnalité juridique doté d’un régime spécifique et

22

S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome

CXLV, préf. R. Nerson, p. 315 à 319 : sur la nature juridique de l’affectation des biens.

Page 12: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

7

coexiste avec la société unipersonnelle à responsabilité limitée23

. Ces structures sociétaires

étrangères fondées sur l’affectation patrimoniale sont donc toutes dotées d’un régime

juridique dont il sera possible de s’inspirer pour combler les lacunes du régime de l’EIRL.

Enfin, il serait possible de s’inspirer du droit des sociétés, à supposer qu’une société

soit également fondée sur une affectation patrimoniale. Nous pourrions alors raisonner par

analogie par rapport au droit des sociétés unipersonnelles ; ce qui expliquerait par ailleurs les

nombreuses références faites par le législateur au droit des sociétés.

8. Il n’existe donc pas un régime juridique de référence établi pour combler les lacunes

de celui de l’EIRL mais plusieurs régimes juridiques dont il sera possible de s’inspirer.

Malgré cette absence, peut-être est-il possible de déduire le régime juridique de la notion

même de patrimoine d’affectation. Cette question du régime juridique apparait comme

cruciale puisque ce n’est qu’en définissant ce régime qu’il sera possible de savoir si l’EIRL

est à même de permettre l’exploitation de l’entreprise d’un entrepreneur individuel tout en

limitant sa responsabilité à son patrimoine professionnel.

9. Nous pouvons alors nous demander si la notion de patrimoine d’affectation

permet d’atteindre les objectifs fixés à l’EIRL tout en comblant les lacunes de son

régime.

10. En créant l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, le législateur n’a pas voulu

créer une nouvelle structure d’entreprise. Il a voulu donner un moyen efficace aux

entrepreneurs individuels de limiter le risque d’entreprise à leur seul patrimoine professionnel

tout en s’extrayant de la lourdeur et du formalisme reproché aux structures sociétaires. Or, il

apparait que la notion de patrimoine d’affectation ne soit capable de répondre que

partiellement à de telles attentes tout en comblant les lacunes du régime de l’EIRL.

11. Un tel constat peut être démontré qu’il s’agisse de l’organisation du patrimoine affecté

de l’EIRL (Partie I) ou de son but : la limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel

(Partie II).

23

N. Ezran-Charrière, L’entreprise unipersonnelle dans les pays de l’Union Européenne, LGDJ 2002,

Bibliothèque de droit privé, Tome 273, préf. J. Foyer, p. 65, préc. n° 59.

Page 13: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

8

PARTIE I : PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION

DE L’EIRL.

12. Pour savoir si le recours à l’EIRL est préférable à la technique sociétaire, il nous faut

commencer par faire un parallèle entre les deux institutions dans leur organisation. Cela nous

permettra de démontrer que si l’EIRL présente certaines particularités dans l’organisation de

l’affectation des biens (Titre I) mais aussi dans la gestion du patrimoine affecté ainsi crée

(Titre II), ces particularités ne semblent pas jouer en la faveur de l’entrepreneur individuel car

le patrimoine affecté crée reste une structure dont la constitution requiert un formalisme accru

et dont la gestion et l’évolution sont incertaines au vu des lacunes de son régime juridique.

TITRE I. LES PARTICULARITES DE L’ORGANISATION DE

L’AFFECTATION DES BIENS PAR L’EIRL.

13. L’affectation des biens au patrimoine de l’EIRL présente deux particularités par

rapport à l’apport de biens aux patrimoines sociétaires. Si ce dernier est quasiment libre de

toute contrainte, l’affectation des biens au patrimoine affecté de l’EIRL, elle, est strictement

encadrée (Chapitre I). Egalement, alors que la constitution d’une société, même

unipersonnelle, donne lieu à une contrepartie intégrant le patrimoine du constituant, de

nombreuses incertitudes sur les contreparties à l’affectation pèsent encore concernant l’EIRL

(Chapitre II).

CHAPITRE I. L’ENCADREMENT STRICT DE L’AFFECTATION DES

BIENS.

14. Selon les débats parlementaires, une des causes de l’échec des sociétés unipersonnelles

était le formalisme et le coût de leur constitution. Le recours à la notion de patrimoine

d’affectation était alors présenté comme salvateur de ce problème. Or, l’étude du régime de

l’EIRL permet de conclure que le contenu du patrimoine affecté est fortement encadré

(Section I) et que les modalités de l’affectation le sont également puisque le respect d’un

certain formalisme s’impose comme une condition de l’efficacité de cette affectation (Section

II).

Page 14: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

9

Section I. L’encadrement du contenu du patrimoine affecte.

15. Aux premiers abords, sociétés et EIRL semblent être fondés sur une même notion :

celle du patrimoine d’affectation (§1). Cela pourrait laisser penser que ces deux institutions

sont identiques donc que le recours à l’EIRL ne permet aucun progrès. Or, les règles de

constitution du patrimoine affecté de l’EIRL démontrent que la liberté d’affecter est plus

restreinte lorsqu’il s’agit de le constituer plutôt que lorsqu’il s’agit de constituer une société

unipersonnelle (§2). L’EIRL apparaît alors plus contraignant qu’une société à constituer.

§1. L’affectation, notion commune aux patrimoines sociétaires et au patrimoine

d’affectation de l’EIRL.

16. Patrimoine affecté de l’EIRL et patrimoines sociétaires semblent être sous-tendus par

une notion identique : celle d’affectation. En effet, ces deux patrimoines sont affectés à un but

similaire (A) et les actifs pouvant y être affectés sont de même nature (B).

A. Une véritable affectation au même titre que tout patrimoine sociétaire.

17. L’affectation est la destination de biens à un usage déterminé. Elle n’a donc en elle-

même qu’un caractère positif24. Ce caractère est partagé par le patrimoine de l’EIRL et celui

des sociétés. Outre la qualification légale de patrimoine d’affectation, l’article L 526-6 alinéa

1 du Code de Commerce25

laisse apparaitre l’idée qu’une masse de biens, « le patrimoine »,

est réservée à un usage déterminé, en l’occurrence l’activité professionnelle choisie par

l’entrepreneur. Une fois son patrimoine affecté constitué, il ne pourra plus en utiliser les actifs

que pour exercer son activité. Une telle affectation se retrouve au sein des patrimoines

sociétaires. De l’article 1832 alinéa 1 du Code Civil26

nous déduisons que, pour constituer une

société, il faut réserver une masse de biens à une activité qui sera définie dans son objet

social27. Patrimoine de l’EIRL et patrimoine sociétaire sont donc biens des patrimoines

d’affectation. Mais, outre ce constat, il est surtout notable que l’affectation de ces patrimoines

est elle-même fondée sur un intérêt identique.

24

Elle n’implique qu’une affectation passive mais pas forcément de corrélation avec le passif. Cette corrélation

découle de la nature d’universalité juridique du patrimoine affecté. Cf. infra n° 48 25

Article L 526-6 alinéa 1 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité

professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ». 26

Article 1832 du Code Civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un

contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de

profiter de l’économie qui pourra en résulter ». 27

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 138, préc. n°246 : sur la

distinction entre patrimoine social et capital social. Il nous faut noter que toutes les sociétés possèdent un

patrimoine même si pour certaines, telles l’EURL, aucun capital social minimal n’est exigé.

Page 15: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

10

18. L’article L 526-6 alinéa 1 du Code de Commerce précise que l’affectation se fait à

« l’activité professionnelle » et l’article 1832 alinéa 1 du Code Civil que l’apport se fait « à

une entreprise commune ». Or, dans les faits, cette entreprise résulte souvent d’une activité

professionnelle. Dans les deux cas, l’activité professionnelle est donc bien l’intérêt qui sous

tend l’affectation et permet d’unifier les biens de la masse entre eux. Nous pourrions opposer

l’argument selon lequel la société a pour première finalité l’exploitation d’une activité alors

que l’EIRL ne constitue qu’une technique de limitation de responsabilité. Mais, cet argument

ne serait pas valable puisqu’il se fonde sur la finalité de l’affectation et non sur sa cause.

L’affectation est une technique pouvant être utilisée à des fins différentes et réalisée par des

moyens différents. Mais, qu’il s’agisse de la société ou de l’EIRL, sa cause est identique : la

masse de biens est réunie au regard d’une certaine activité professionnelle.

19. Par conséquent, si les finalités de la société et de l’EIRL diffèrent, leurs patrimoines

restent fondés sur la même notion d’affectation. Nous pouvons alors nous demander ce qui les

différencie réellement. Cette interrogation paraît d’ailleurs être renforcée par le fait que les

actifs potentiellement « affectables » à ces patrimoines sont de même nature.

B. L’identité de la nature des actifs « affectables » à l’EIRL et aux sociétés.

20. Qu’il s’agisse du patrimoine de l’EIRL ou de celui des sociétés, il n’existe aucune

restriction quant aux actifs qu’il est possible d’y inclure. Cependant, des doutes existent quant

aux manières de les y inclure.

21. Si les formules utilisées sont différentes, dans les faits, les actifs des patrimoines

sociétaires et de l’EIRL pourront être de même nature. En matière de sociétés, il est possible

d’effectuer trois types d’apports. L’apport en numéraire ou de somme d’argent. L’apport en

industrie qui permet à un associé d’apporter son savoir-faire. Enfin, l’apport en nature qui est

l’apport d’un bien corporel ou incorporel autre que de l’argent ou l’industrie. Concernant

l’EIRL, le patrimoine est composé des « biens, droits, obligations ou sûretés dont

l’entrepreneur est titulaire 28

». Lors du projet de loi, ces actifs étaient présentés selon la

trilogie «biens, droits ou sûretés » que l’on retrouve en matière de fiducie à l’article 2011 du

Code Civil29. A cette trilogie, l’Assemblée nationale a ajouté les « obligations »

30. Les

28

Article L 526-6 du Code de Commerce. 29

T. Revet. Introduction in Droit et patrimoine, Avril 2010, n°191, p. 58 et 59 : selon lui, cette formule peut faire

l’objet des mêmes critiques que celle portées à la fiducie lors de sa création ; à savoir qu’un patrimoine ne

comporterait que des biens, les droits comme les sûretés étant des biens.

Page 16: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

11

formules décrivant la composition des patrimoines sociétaires et du patrimoine de l’EIRL ne

sont donc pas identiques. Pourtant, elles recouvrent la même réalité. L’affectation de biens au

patrimoine de l’EIRL peut correspondre à un apport en numéraire ou à un apport de biens

corporels et l’affectation de droits, sûretés ou obligations à un apport en biens incorporels.

Enfin, l’apport en industrie est également présent puisqu’il est évident que l’entrepreneur

apportera son savoir-faire. De même sera-t-il possible d’affecter des biens communs ou

indivis à l’EIRL comme à une société même si les modalités de cette affectation pourront

différer, notamment quant aux accords requis des co-indivisaires ou conjoints concernés31

.

22. Quant à la nature des actifs qu’il est possible d’affecter, il y a donc une identité

absolue entre les patrimoines sociétaires et le patrimoine de l’EIRL. Cette identité se retrouve-

t-elle si nous analysons les modalités de l’affectation de ces biens? Il existe trois modes

d’apport à un patrimoine sociétaire. Or, rien dans la loi du 15 Juin 2010 n’interdit à l’EIRL

d’affecter les biens selon ces mêmes modalités. Il faudrait donc en déduire que cela est

possible. Pourtant certains problèmes pourraient en découler. La première manière d’apporter

un bien à une société est l’apport en pleine propriété. Cela ne posera aucun problème en

matière d’affectation au patrimoine de l’EIRL car il s’agit du mode d’affectation normal.

Ensuite, les apports peuvent être faits en jouissance. Il s’agit de la mise à disposition

temporaire de la jouissance d’un bien. En matière d’EIRL, l’affectation en jouissance semble

possible pour l’entrepreneur qui ne voudra pas affecter l’entière propriété de son bien mais

qui voudra simplement pouvoir en jouir en qualité d’EIRL pour son activité. Simplement,

nous pouvons effectuer deux remarques. Si, comme en matière de société, le bien risque

d’échapper à une procédure collective ouverte contre l’EIRL car il n’appartiendra pas au

patrimoine affecté32, nous pouvons douter de l’utilité d’un tel apport qui ne sera aucunement

synonyme de crédit pour les créanciers du patrimoine affecté. De plus, un doute existe sur la

possibilité d’affecter en jouissance un bien nécessaire. La philosophie de la loi est de garantir

un crédit minimum aux créanciers du patrimoine affecté. Nous pouvons donc supposer que les

biens nécessaires devront être affectés en pleine propriété uniquement afin de garantir ce

30

Ibidem : pour lui, ce complément n’avait pas lieu d’être car le patrimoine n’est composé que de biens et non

des dettes qui ne sont que garanties par cette universalité. Nous pouvons cependant rétorquer à cette critique

qu’elle dépend de l’acception du terme « universalité » que nous retenons. Si nous admettons que l’universalité

de droit découle de ce qu’il existe une corrélation entre une masse d’actifs et les dettes nées de cette masse, alors

le patrimoine affecté de l’EIRL peut constituer une universalité de droit comprenant des obligations 31

En matière d’EIRL, l’affectation de biens communs ou indivis au patrimoine affecté nécessitera l’accord du

conjoint ou co-indivisaire ainsi que leur information sur les droits des créanciers du futur patrimoine affecté.

Concernant l’apport à une société, l’associé n’a besoin que d’informer son conjoint pour apporter un bien

commun. Mais, pour apporter un bien indivis, il aura besoin du consentement de son co-indivisaire. 32

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 65et66, préc. n°117.

Page 17: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

12

crédit. Enfin, il est possible d’apporter en nue-propriété ou en usufruit des biens à une société.

Encore une fois, rien n’interdit une telle affectation concernant l’EIRL. Toutefois, nous

pouvons douter de la possibilité d’affecter des biens en nue-propriété puisque cela pourrait

être contraire à l’affectation dans le cas où aucune clause n’obligerait l’usufruitier à utiliser

les biens que pour l’exercice exclusif de l’activité professionnelle. De même, l’affectation en

usufruit, si elle semble possible pour les biens simplement utiles, devrait être prohibée pour

les biens nécessaires en raison de la précarité de l’usufruit et du fait que le patrimoine affecté

n’en serait pas pleinement propriétaire. Nous pouvons d’ailleurs nous demander si réaliser ces

affectations problématiques ne constituerait pas une fraude aux droits des créanciers,

sanctionnée par la reconstitution du droit de gage général.

Si, à première vue, les possibilités d’affecter les actifs au patrimoine de l’EIRL sont

les mêmes que celles de réaliser un apport à un patrimoine sociétaire, en réalité, tout dépendra

du caractère nécessaire ou utile du bien à affecter. L’identité de la composition des

patrimoines sociétaire et de l’EIRL est donc relative.

23. Nous pouvons pourtant toujours nous demander ce qui les différencie et donc justifie

qu’on ne puisse appliquer le régime sociétaire à l’EIRL, outre l’exclusion de la personnalité

morale. Il apparait alors que, si l’affectation sous-tend la constitution des deux patrimoines, la

liberté d’affecter n’y est pas la même. Cette différence démontre qu’il existe une différence de

régime entre les deux institutions qui, en réalité, s’explique par leur différence de finalité33

.

§2. La liberté d’affectation, l’opposition de l’affectation du patrimoine de l’EIRL

et des patrimoines sociétaires.

24. Il existe une différence essentielle entre patrimoine sociétaire et patrimoine affecté de

l’EIRL : la liberté d’affecter laissée au constituant. Contrairement aux sociétés, il existe des

contraintes dans les biens à affecter au patrimoine de l’EIRL (A). Cela s’explique alors par la

finalité de l’EIRL qui diffère de celle de la société, même unipersonnelle (B).

A. Les contraintes dans les biens à affecter au patrimoine l’EIRL.

25. La liberté d’affecter n’est pas totale lors de la constitution de l’EIRL. L’article L 526-6

du Code de Commerce donne un rôle différent à la volonté de l’entrepreneur selon la nature

du « bien »34

à affecter. S’il est obligé d’affecter les biens nécessaires, il est libre d’affecter

33

Cf. infra n°28. 34

Nous utiliserons l’expression « biens » pour désigner l’ensemble légal « biens, droits, obligations ou sûretés ».

Page 18: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

13

ou non les biens simplement utiles à son activité professionnelle. Que recouvrent ces

expressions ? Si certains auteurs se sont référés aux conceptions du droit fiscal pour les

différencier35

, le sens commun de ces mots suffit pour les comprendre. Les biens nécessaires

peuvent être entendus comme ceux indispensables, sans lesquels l’entrepreneur ne pourrait

exercer son activité professionnelle. Il s’agirait de biens professionnels « par nature36

» car la

volonté de l’entrepreneur ne serait pas à même d’interférer sur leur qualification. Les biens

utiles seraient des biens à usage mixte, à la fois personnel et professionnel. Ces biens seraient

des biens professionnels « par destination37

» car ils constitueraient les accessoires des biens

professionnels par nature que l’entrepreneur pourrait choisir d’affecter ou de ne pas affecter.

Comme l’entrepreneur n’a aucune liberté quant à l’affectation des biens nécessaires, le

patrimoine affecté contiendra forcément des biens professionnels. Mais, comme il retrouve

une liberté totale quant à l’affectation des biens utiles, ce patrimoine ne contiendra pas

forcément tous les biens professionnels ni que des biens professionnels.

Nous pouvons toutefois penser que la catégorie des biens nécessaires doit être

comprise de manière restrictive38. L’admettre trop largement risquerait de vider le patrimoine

non-affecté de toute substance, donc de limiter considérablement l’étendue de la limitation de

responsabilité. Malgré une telle conception, des problèmes pourraient se poser. En effet, les

EIRL exerçant une activité ne nécessitant aucun matériel n’auraient que peu de biens

nécessaires à affecter. Ils pourraient alors créer un patrimoine affecté dépouillé, donc sans

crédit. L’utilité du recours à l’EIRL dépendrait donc de la composition initiale du patrimoine

général de l’entrepreneur. De même, l’affectation des biens nécessaires risque de poser des

problèmes lorsque ces biens seront indivis ou communs car le conjoint ou l’indivisaire pourra

refuser l’affectation en vertu des règles de son régime matrimonial ou de l’indivision39

.

26. La restriction à la liberté d’affecter risque alors de faire naître de nombreux

contentieux à propos de la qualification des actifs à affecter. D’abord, des contentieux relatifs

35

F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée

in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 36

D. Martin. L’affectation d’un patrimoine : constitution du patrimoine in EIRL : L’entrepreneur individuel à

responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 30, préc. n°61. 37

Ibidem, préc. n°62. 38

Ibidem, préc. n° 61. 39

L-C. Henry. EIRL: Quid des biens communs et des biens indivis affectés ? in Revue des procédures

collectives, Mars 2011, n°2, dossier 23, préc. n°s3à5 : l’auteur explique qu’en vertu des règles du régime

matrimonial ou de l’indivision, le conjoint ou l’indivisaire pourrait refuser d’affecter un bien nécessaires à

l’activité professionnelle, empêchant alors la création de l’EIRL. Pour contourner cette difficulté, il serait

possible d’obtenir en justice l’autorisation d’affecter le bien commun en utilisant l’article 217 du Code Civil

dans le cas du conjoint et les articles 815-4 et 815-5 du Code Civil même si, dans ce dernier cas, l’autorisation

sera plus difficile à obtenir car l’affectation augmentera le nombre de créanciers pouvant saisir le bien.

Page 19: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

14

à la nature des ces biens. Il s’agirait de questions de fait n’intéressant pas la Cour de

cassation. Toutefois, le choix des juges du fond aura des conséquences pour l’ensemble des

créanciers de l’entrepreneur puisque ce qui sera soustrait au patrimoine affecté intègrera le

patrimoine non-affecté et inversement. Ce choix modifiera donc l’étendue de la limitation de

responsabilité de l’entrepreneur. Mais, des contentieux pourraient également naître à propos

de la sanction portée à la non-affectation de certains biens. En cas de manquement grave à

l’article L 526-6 alinéa 2 du Code de Commerce ou de fraude, l’EIRL sera responsable sur la

totalité de ses biens et droits40

. Ne pas affecter un bien nécessaire à l’activité professionnelle

pourra alors constituer un manquement ou comme une fraude pouvant être sanctionnés. Par

contre, cette sanction semble plus difficilement applicable concernant l’affectation des biens

utiles. Un manquement grave aux règles de l’affectation ou une fraude seront moins aisés à

démontrer à cause de l’intervention de la volonté. Si le choix est laissé à l’entrepreneur

d’affecter ou de ne pas affecter, il semble plus difficile de le lui reprocher. La qualification du

bien aura donc des conséquences indirectes quant à la possibilité d’invoquer ces sanctions.

27. A la différence des sociétés, l’entrepreneur n’est donc pas libre d’affecter comme bon

lui semble n’importe quel bien. L’important est qu’il soit obligé d’en affecter certains. Nous

pouvons nous demander ce qui justifie cette différence. Il semble que ce soit la finalité donnée

à l’EIRL qui permette d’expliquer pourquoi la volonté est encadrée lors de l’affectation.

B. La raison des contraintes : la finalité de l’EIRL.

28. La finalité des sociétés est d’obtenir une structure d’exploitation des entreprises. Ce

n’est qu’en raison de l’absence de statut donné aux entrepreneurs individuels qu’elles ont été

utilisées pour limiter leur responsabilité par le truchement de la personnalité morale41

. Les

sociétés unipersonnelles ont d’ailleurs été créées pour remédier à cette hypocrisie. Mais elles

restent avant tout un mode d’exploitation d’entreprise.

29. Le but premier de l’EIRL, lui, n’est pas d’organiser une activité entrepreneuriale mais

de permettre une limitation responsabilité. Ce but se déduit de l’intitulé même de la loi et du

fait que cette institution ait été expressément présentée comme une technique de limitation de

responsabilité devant faire oublier l’échec de la déclaration d’insaisissabilité et de la fiducie42

.

40

Article L 526-6 alinéa 12 du Code de Commerce. 41

J-J. Daigre. L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée in Petites affiches, 21 Février 1986, n° 23, p.

21. 42

Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n° 2265 – Etude d’impact, 27

Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011.

Page 20: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

15

Faire de l’EIRL une dérogation aux textes fondant le droit de gage général des créanciers 43

met en exergue le fait que cette institution ait pour vocation de limiter la responsabilité de

l’entrepreneur à une fraction donnée de son patrimoine général. Comme on limite le gage des

créanciers professionnels, il doit avoir une consistance minimale garantie constituée des biens

uniquement consacrés à l’activité professionnelle correspondante. Ainsi les biens nécessaires

sont automatiquement affectés au patrimoine de l’EIRL car ils constituent leur gage minimal.

Par contre, le choix laissé à l’entrepreneur dans l’affectation des biens utiles lui donnera la

possibilité de moduler le gage qu’il entend leur réserver, donc le crédit qu’il veut leur

présenter ainsi que l’étendue de sa responsabilité. Ce dispositif optionnel permet donc de

garantir la finalité de l’EIRL tout en respectant la liberté de l’entrepreneur44

.

30. Il existe donc bien des particularités dans l’organisation de l’affectation du patrimoine

de l’EIRL en raison de l’encadrement strict de son contenu. Cet encadrement trouve sa source

dans la finalité de l’EIRL. Mais, les particularités de l’organisation du patrimoine affecté de

l’EIRL se retrouvent également dans les modalités de l’affectation. Cela va se traduire par

l’obligation de respecter un formalisme très strict afin que l’affectation puisse être efficace.

Section II. Le respect du formalisme, condition de l’efficacité de l’affectation.

31. Il est souvent reproché aux sociétés unipersonnelles le formalisme qu’il faut respecter

pour les constituer. Or, l’EIRL est soumis à un formalisme aussi, si ce n’est plus, strict dans

sa constitution. Cela peut s’expliquer par le fait que société et EIRL soient tous deux des

patrimoines d’affectation. Cette nature nécessite d’une part que les tiers puissent connaitre

l’étendue de l’affectation (§1) et d’autre part que cette affectation leur soit opposable (§2).

Sans cela, l’affectation ne pourrait pas être efficace.

§1. Le formalisme, condition de la connaissance de l’étendue de l’affectation.

32. La création d’un patrimoine affecté a pour but, dans le cas de l’EIRL, de limiter le

gage des créanciers professionnels d’un entrepreneur à ce patrimoine. En contrepartie, ils

43

Article L 526-12 alinéa 6 du Code de Commerce. 44

H. Novelli : « Le patrimoine affecté est un dispositif respectueux de la liberté de l’entrepreneur. Le dispositif

est optionnel […]. Sa composition est laissée pour partie à l’appréciation de l’entrepreneur individuel, qui

pourra choisir d’affecter ou non les biens utilisés pour l’activité professionnelle, mais non nécessaires. Ainsi, le

texte garantit que les biens purement professionnels constitueront le gage des créanciers, tandis que

l’entrepreneur peut moduler une partie de son niveau d’engagement financier » in Rapport n° 2298 de la

commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l’EIRL, 10 Février

2010, http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2298.asp#P164_24569, consulté le 8 Juillet 2011.

Page 21: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

16

doivent donc bénéficier d’une certaine protection qui passe par leur connaissance de la

composition du patrimoine affecté mais aussi par la garantie de sa réalité économique.

33. Le patrimoine d’affectation étant une catégorie fermée au contraire du patrimoine non-

affecté qui reste une catégorie ouverte45

, il est nécessaire de pouvoir la déterminer

précisément pour que ses créanciers puissent connaitre exactement ce sur quoi ils pourront

agir et que, par déduction, les créanciers du patrimoine non affecté puissent savoir ce qui leur

reste. Cette connaissance ne peut résulter que d’un formalisme renvoyant à celui qui existe en

matière de sociétés46

. En pratique, le législateur a effectivement mis en place les moyens

nécessaires pour que les créanciers de l’entrepreneur puissent connaitre la composition de ses

patrimoines. L’article L 526-8 du Code de Commerce exige que l’entrepreneur effectue une

déclaration d’affectation comprenant un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés

affectés à l’activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur. Cette déclaration

doit également comprendre la désignation de l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le

patrimoine est affecté. L’affectation d’un immeuble devra se faire par acte notarié publié au

bureau de la conservation des hypothèques47

. Apparait donc bien la volonté de mettre les

créanciers de l’entrepreneur en mesure de connaitre la composition exacte du patrimoine

affecté ainsi que l’activité professionnelle à la base de cette affectation. Cela leur permettra de

critiquer la composition de ce patrimoine si elle n’était pas en accord avec une telle activité..

L’importance des conditions de forme lors de la constitution du patrimoine affecté est donc

réelle. Elle sera d’ailleurs mise en exergue par l’obligation faite à l’entrepreneur de tenir une

comptabilité autonome48

afin d’assurer, en pratique, la séparation théorique des gages réalisée

par la déclaration d’affectation. Mais, outre la connaissance des actifs du patrimoine affecté,

le législateur a aussi cherché à en garantir la réalité économique.

Ainsi, l’article L 526-10 du Code de Commerce impose à l’entrepreneur de faire

évaluer les biens dont la valeur dépasse 30 000 euros49

par des professionnels habilités50

. Si

45

S. Piedelièvre. L’entreprise individuelle à responsabilité limitée in Defrénois, 15 Juillet 2010, n° 13, p. 1417. 46

E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979. 47

Article L 526-9 alinéa 1 du Code de Commerce. 48

Article L 526-13 du Code de Commerce − D. Martin. L’affectation d’un patrimoine : constitution du

patrimoine in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 34, préc. n° 68 :

selon lequel la tenue d’une comptabilité autonome aide l’entrepreneur individuel à montrer à ses cocontractants à

quel titre il agit, donc sur quel gage ils pourront opérer saisie en cas de non-exécution de ses obligations par

l’entrepreneur. 49

Article D. 526-5 du Code de commerce, issu de l’article 16 du Décret n° 2010-1706 du 29 décembre 2010. 50

Selon l’article L 526-10 du Code de Commerce, ce professionnel peut être un commissaire aux comptes, un

expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité ou un notaire en cas d’affectation d’un bien

immobilier

Page 22: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

17

l’entrepreneur choisit de passer outre cette prescription légale, il sera responsable selon

différentes modalités sur l’ensemble de son patrimoine51

. Nous pouvons cependant penser

qu’en cas de pluralité de patrimoines d’affectations, les patrimoines crées antérieurement au

patrimoine litigieux ne seront pas touchés par cette reconstitution du gage général. Ces

formalités permettent de garantir la valeur du patrimoine affecté. Elles sont donc protectrices

à l’égard des créanciers de ce patrimoine. La sanction du non-respect des règles d’évaluation

souligne d’ailleurs cette idée puisqu’il s’agit de rendre l’entrepreneur responsable sur

l’ensemble de son patrimoine afin que ses créanciers, personnels ou professionnels, n’aient

pas à pâtir d’une surévaluation ou d’une sous-évaluation de l’affectation. Enfin, le dépôt

obligatoire des comptes annuels et autres documents exigés par l’article L 526-14 du Code de

Commerce vaut actualisation de la composition et de la valeur du patrimoine affecté. Cette

règle permet de rendre l’évaluation du patrimoine affecté crédible au fil de l’écoulement du

temps52. Les comptes seront le moyen d’assurer l’actualisation de la valeur des actifs du

patrimoine affecté puisqu’ils devront « être réguliers, sincères et donner une image fidèle du

patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise53

». Une telle obligation est

d’ailleurs également imposée, en matière de sociétés commerciales, par l’article L 232-1 du

Code de Commerce54

. Toutefois, l’obligation d’actualiser la composition et la valeur du

patrimoine affecté reste moins importante que les déclarations initiales puisqu’elle n’est

sanctionnée que par la possibilité de demander le dépôt des comptes sous astreinte55

et non

par la reconstitution du gage général des créanciers.

34. Dans la composition et l’évaluation du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel

est donc soumis à un formalisme strict afin de protéger les créanciers. Toutefois, ce dispositif

serait inutile si l’affectation ne pouvait être connue par ces derniers faute de publicité.

51

Selon l’article L 526-10 du Code de Commerce, il est responsable pendant cinq ans sur l’ensemble de ses

patrimoines à hauteur de la différence entre la valeur proposée et la valeur déclarée s’il déclare une valeur

supérieure à celle proposée par le professionnel habilité et à hauteur de la différence entre la valeur réelle du bien

au moment de l’affectation et la valeur déclarée s’il ne recours pas à un tel professionnel. 52

B.Saintourens. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : Commentaire de la loi n°2010-658 du 15

Juin 2010 in Revue des sociétés, 2010, p. 351, préc. n° 39. 53

L’article L 526-13 du Code de Commerce renvoie aux articles L123-12 à L 123-23 et L 133-25 à L123-27 du

même code pour l’établissement de la comptabilité autonime. 54

L’article L 232-1 IV du Code de Commerce, dispense toutefois de cette obligation les SARL dont l’associé

unique personne physique assume personnellement la gérance de la société si, à la clôture d’un exercice social,

elles ne dépassent pas un des deux seuils fixés par décret en Conseil d’Etat relatif à leur bilan, au montant de leur

chiffre d’affaire hors taxe et au nombre moyen de leurs salariés au cours de l’exercice. 55

Article L 526-14 in fine du Code de Commerce.

Page 23: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

18

§2. Le formalisme, condition de l’opposabilité de l’affectation.

35. Les créanciers de l’entrepreneur doivent être en mesure de connaître l’affectation. Il

faut donc la leur rendre opposable. Or, l’opposabilité est généralement assurée par la

publicité. Cette publicité permettra aux créanciers de critiquer non seulement la composition

du patrimoine affecté en cas de fraude mais également son utilisation lors de l’exercice de son

activité professionnelle par l’entrepreneur.

36. La publicité passera par deux règles générales56

. D’abord, l’entrepreneur devra révéler

sa qualité d’EIRL à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle. Il sera obligé

d’utiliser une dénomination comprenant les mots « entrepreneur individuel à responsabilité

limitée » ou les initiales « EIRL »57

lorsqu’il contractera au titre de cette activité. Le

législateur a accordé une importance particulière à cette mesure de publicité puisque le

ministère public ou tout intéressé peuvent demander au tribunal statuant en référé d’enjoindre

l’entrepreneur à porter sur ses actes et documents cette dénomination et cela sous astreinte58

.

Mais, cette publicité est insuffisante59. L’article L 526-7 du Code de Commerce impose alors

le dépôt de la déclaration d’affectation sur un registre de publicité légale60. A l’occasion,

seront contrôlées la composition et la valeur du patrimoine affecté puisque les organismes

chargés de la tenue des registres n’accepteront le dépôt de la déclaration qu’après vérification

des documents exigés. L’article L 526-7 montre bien que l’efficacité de l’affectation est

conditionnée par la publicité puisque la constitution du patrimoine affecté « résulte » du dépôt

de la déclaration. Si le dépôt de la déclaration est refusé, celle-ci ne sera pas publiée, donc

sera inopposable aux créanciers de l’entrepreneur, donc inefficace. Alors, l’entrepreneur ne

pourra pas se prévaloir de la séparation des gages et les créanciers pourront toujours actionner

son patrimoine non affecté. Nous pouvons noter l’importance qu’attache une nouvelle fois le

législateur à cette publicité en la comparant à celle de la déclaration d’insaisissabilité

56

F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée

in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 57

Article L 526-6 alinéa 3 du Code de Commerce. 58

Article L 526-20 du Code de Commerce. 59

E. Dubuisson. L’EIRL est adopté in JCP E 2010, act. 303. − B. Dondero. L’EIRL, ou l’entrepreneur fractionné

in JCP G 2010, n° 25, p. 679. 60

Article L526-7 du Code de Commerce : « La constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d'une

déclaration effectué : 1° Soit au registre de publicité légale auquel l'entrepreneur individuel est tenu de

s'immatriculer ; 2° Soit au registre de publicité légale choisi par l'entrepreneur individuel en cas de double

immatriculation ; dans ce cas, mention en est portée à l'autre registre ; 3° Soit, pour les personnes physiques qui

ne sont pas tenues de s'immatriculer à un registre de publicité légale, à un registre tenu au greffe du tribunal

statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal ; 4° Soit, pour les exploitants agricoles,

auprès de la chambre d'agriculture compétente ».

Page 24: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

19

s’agissant des personnes physiques n’étant pas tenues de s’immatriculer61

. Dans ce cas précis,

la déclaration n’a besoin que d’être publiée dans un journal d’annonces légales pour être

opposable. Or, en matière d’EIRL, cette publicité n’était pas suffisante pour assurer

l’information des tiers. Un nouveau registre a donc été crée pour faciliter cette information62

.

37. Nous pouvons toutefois noter que le formalisme permet d’opposer l’affectation non

seulement aux créanciers postérieurs à la réalisation des formalités de publicité mais

également aux créanciers antérieurs dans certaines conditions63

même si cela n’allait pas de

soi64

. De même, les créanciers du patrimoine affecté semblent avantagés par rapport à ceux du

patrimoine non affecté car l’ensemble des mesures de publicité à été établi en leur faveur. Ces

derniers n’ont donc, sauf leur curiosité, que peu de moyens pour connaître l’existence de

l’affectation. Enfin, le formalisme protège également les co-indivisaires et le conjoint de

l’entrepreneur affectant un bien indivis ou commun. En effet, l’article L 526-11 du Code de

Commerce dispose que l’entrepreneur doit justifier de leur accord exprès dans la déclaration

d’affectation ainsi que de leur information préalable sur les droits des créanciers auxquels la

déclaration sera opposable pour que l’affectation soit efficace.

38. Une question reste toutefois en suspens Si une déclaration complémentaire est exigée

en cas de nouvelle affectation, rien n’a été prévu concernant une éventuelle désaffectation ou

le remplacement d’un bien dans le patrimoine affecté. Nous pourrions donc nous demander si

une nouvelle déclaration serait exigée pour l’opposabilité du patrimoine affecté ainsi modifié.

Cependant, cette question sera envisagée dans la suite de notre étude65

.

39. Conclusion du chapitre. Malgré la volonté du législateur, le recours au patrimoine

d’affectation ne permet pas d’évolution par rapport à l’EURL quant à sa constitution. Si la

notion d’affectation sous-tend les deux patrimoines, l’entrepreneur n’est pas totalement libre

dans la composition du patrimoine affecté à cause de sa finalité. De plus, l’affectation induit

nécessairement un formalisme contraignant pour être opposable donc efficace. L’EIRL

n’apparait donc pas plus attrayant que l’EURL. Cette idée pourrait être confirmée en

analysant les contreparties qu’il est possible de tirer de l’affectation au patrimoine de l’EIRL.

61

F. Vauvillé. Commentaire de la loi du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée

in Defrénois, 15 Septembre 2010, n°15, p. 1649. 62

Cette méthode s’inspire de la loi n°88-1202 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son milieu

économique et social qui avait crée un registre de publicité réservé aux exploitants agricole pour pouvoir leur

permettre de bénéficier des procédures de traitement des entreprises en difficulté. 63

Article L 526-12 du Code de Commerce. 64

Cf. infra n° 130. Le législateur a accordé ce droit d’opposition aux créanciers antérieurs afin que ne leur soit

pas imposée l’affectation de manière unilatérale sans qu’ils n’aient de moyens de s’en défendre.

65 Cf. infra n°95 et n° 98.

Page 25: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

20

CHAPITRE II. LES INCERTITUDES SUR LES CONTREPARTIES A

L’AFFECTATION.

40. La création d’une société unipersonnelle, permet à l’associé de créer une nouvelle

personne juridique afin de gérer son activité professionnelle. En contrepartie de l’apport de

ses biens, il reçoit des titres sociaux. Concernant l’EIRL, des incertitudes pèsent sur

l’existence de contreparties. S’il est certain qu’il n’existe pas de contre-valeur au bénéfice du

patrimoine non-affecté lors de sa constitution (Section I), des questions se posent à propos des

prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté durant son fonctionnement (Section II).

Section I. L’absence de contre-valeur au bénéfice du patrimoine non affecte lors

de la constitution de l’EIRL.

41. Au contraire du droit des sociétés, aucun titre n’intégrera le patrimoine non-affecté de

l’entrepreneur suite à la constitution du patrimoine affecté de l’EIRL (§1). Toutefois nous

pouvons nous demander si l’entrepreneur ne serait pas titulaire d’un droit sur le patrimoine

affecté, ce qui implique de s’interroger sur sa nature juridique de ce patrimoine (§2).

§1. L’absence de titres intégrant le patrimoine non affecté de l’entrepreneur.

42. Lorsqu’un entrepreneur crée un patrimoine affecté, aucun titre ne vient intégrer son

patrimoine non-affecté. Nous pouvons nous interroger sur les causes de cette absence. Il

semble qu’elle ne découle pas du caractère affecté du patrimoine constitué ni de l’absence de

transfert de propriété lors de cette affectation mais de l’absence de contrat de société.

43. L’absence de contrepartie à la constitution du patrimoine affecté ne semble pas être la

conséquence de l’affectation. Le patrimoine sociétaire et le patrimoine de l’EIRL étant tous

les deux basés sur une affectation, nous pouvons en déduire que ce n’est pas le fait d’affecter

à un but précis qui est à l’origine de la création de titres. En effet, en dehors des sociétés, il

existe d’autres affectations telles que la fortune de mer ou la fiducie qui ne créent aucun titre

dans le patrimoine personnel de leur constituant. L’affectation ne fait que modifier le droit de

propriété sur un bien ; elle le conditionne à un usage précis66

. Nous pourrions alors penser que

66

G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,

Paris : Litec, 2009, p. 723, préc. n°48 : « Cela revient donc à dire que l’affectation, même de l’ensemble des

prérogatives du bien, correspond à un mode d’exercice du droit de propriété, et non pas à un transfert ordinaire

de ce droit ».

Page 26: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

21

le titré attribué à l’associé serait la contrepartie du transfert de propriété de son patrimoine

vers celui de la société. En l’absence de transfert de propriété lors de la création du patrimoine

affecté de l’EIRL, aucun titre ne viendrait donc intégrer le patrimoine non affecté. Pourtant

dans certaines affectations telles la fiducie, il existe un transfert de propriété sans que le

patrimoine du constituant n’obtienne de titres. L’attribution de titres n’est donc pas non plus

être la conséquence de l’existence d’un transfert de propriété entre des patrimoines distincts.

44. Le titre social serait alors « le droit né du contrat de société au profit de chaque

associé67

». Il ne serait crée qu’à partir d’un tel contrat. Quant à sa nature, il existe des

hésitations. Il s’agirait d’une créance de l’associé contre la société68

. Mais cette créance serait

originale car elle comporterait des conséquences pécuniaires mais aussi des prérogatives

extra-pécuniaires. En l’absence de contrat de société, l’affectation au patrimoine de l’EIRL ne

serait donc pas à même d’être à l’origine de la création de titres devant intégrer le patrimoine

non affecté de l’entrepreneur. De plus, l’affectation ne fait que créer une scission au sein du

patrimoine général de l’entrepreneur. Il semble donc logique qu’il n’y ait pas de contrepartie.

45. Toutefois, si la constitution du patrimoine affecté ne donne lieu à aucun titre au

bénéfice du patrimoine non affecté, l’entrepreneur en reste propriétaire. Nous pouvons alors

nous demander s’il ne possède pas un droit sur le patrimoine affecté en tant que tel, ce qui

implique de s’interroger sur sa nature juridique.

§2. L’incertitude de la nature juridique du patrimoine d’affectation.

46. Rien dans la loi ni dans les études concernant le patrimoine affecté ne permet de

définir sa nature. S’il est un bien, l’entrepreneur aura un droit dessus (A). Alors se poserait la

question de savoir si ses créanciers auraient eux aussi un droit sur ce patrimoine (B).

A. La question d’un droit portant sur le patrimoine d’affectation.

47. La question de la nature du patrimoine affecté est délicate. Tel que défini par la loi du

15 Juin 2010, il est possible de se demander si ce patrimoine ne constitue qu’une limitation de

responsabilité pour l’entrepreneur individuel ou s’il s’agit d’une universalité juridique.

48. Dans le premier cas l’entrepreneur serait totalement démuni de droits sur le patrimoine

affecté car il s’agirait juste d’une organisation particulière de son patrimoine. On se

67

M. Germain. Traité de droit commercial : Les sociétés commerciales, Tome 1 volume 2. Paris : LGDJ, 2009

p.69, préc. n°1080. 68

Ibidem, p. 70, préc. n° 1081.

Page 27: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

22

rapprocherait alors de la déclaration d’insaisissabilité. Les biens inscrits dans cette déclaration

ne constituent pas une masse sur laquelle le constituant a un droit. Concernant l’EIRL,

l’affectation n’aurait alors pour effet que de rendre insaisissables par les créanciers du

patrimoine non affecté les biens affectés et inversement. Dans le second cas, la masse de biens

affectés constituerait une universalité de droit sur laquelle l’entrepreneur possèderait un droit.

La loi précise que la masse de biens est un patrimoine mais sans affirmer qu’il s’agit d’une

universalité juridique. L’universalité juridique n’est pas légalement définie mais nous savons

qu’elle se caractérise par le fait qu’elle comporte un actif et un passif indissolublement liés69

.

Les droits et obligations forment alors une globalité qui les dépasse. Or, le patrimoine de

l’EIRL forme assurément un tel tout. Outre l’affectation de biens à l’activité professionnelle,

la loi a prévu la corrélation du passif correspondant à l’exercice de cette activité70

. De plus,

actif et passif étant indissolublement liés, les deux sont transmis lors de la transmission d’une

universalité juridique. Or, le législateur a prévu une telle transmission universelle puisqu’il

n’a régi que la transmission intégrale du patrimoine affect71

. Enfin, la qualification

d’universalité juridique ne peut être attribuée à une masse de biens que si un régime global lui

est applicable, sans considération des régimes particuliers des biens qui la composent. Lors de

la transmission de l’EIRL, les règles relatives à la cession du fonds de commerce ne sont pas

applicables72

. Il existe donc un régime global de transmission du patrimoine affecté qui nous

conforte dans l’idée qu’il est bien une universalité juridique.

49. A supposer que le patrimoine affecté soit une universalité juridique, constituerait-il un

bien dans le patrimoine non-affecté de l’entrepreneur sur lequel il possèderait un droit de

propriété ? Dans la mesure où l’entrepreneur individuel a la possibilité d’aliéner son

patrimoine affecté en le cédant à titre gratuit, en le transmettant à titre onéreux ou en

l’apportant à une société nous pouvons penser que le droit portant sur ce dernier est un droit

de propriété. De plus, la loi reconnait que l’entrepreneur peut « en transférer la propriété73

».

Toutefois, ce droit ne devrait pas être absolu. Tout comme l’affectation constitue une charge

69

F. Terré, P. Simler. Droit civil : Les biens. Paris : Dalloz, 2010 p. 22, préc. n°17. 70

Article L 526-12 alinéa 6. 1° du Code de Commerce : « Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation

est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le

patrimoine est affecté ont pour seul gage général le patrimoine affecté ». 71

Article L 526- 17. I. du Code de Commerce. 72

Article L 526-17. III alinéa 2 du Code de Commerce : « Les articles L 141-1 à L 141-22 ne sont pas

applicables à la cession ou à l’apport en société d’un fonds de commerce intervenant par suite de la cession ou

de l’apport en société d’un patrimoine affecté ». 73

Article L 526-17. I du Code de Commerce.

Page 28: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

23

imposée aux actifs formant ce patrimoine74

et conditionnant l’exercice du droit de propriété

portant sur eux, le droit de propriété portant sur le patrimoine affecté devrait être conditionné

par le respect de l’affectation. Ainsi, l’entrepreneur ne pourrait aliéner son patrimoine affecté

que si cela n’entrave pas l’exercice de l’activité professionnelle d’où il tire son origine.

50. L’entrepreneur serait donc titulaire d’un droit de propriété réduit sur le patrimoine

affecté. Mais, alors, les créanciers bénéficient-ils eux aussi d’un droit sur ce patrimoine ?

B. L’éventuel exercice du droit portant sur le patrimoine affecté par les

créanciers.

51. Si le patrimoine affecté est un bien, nous pouvons nous demander si les créanciers du

patrimoine non affecté l’ont dans leur droit de gage général ou s’ils peuvent exercer les droits

que l’entrepreneur a dessus par la voie de l’action oblique.

52. Les créanciers du patrimoine non affecté ne pourront pas saisir le patrimoine affecté

en tant que bien. L’article L 526-12 du Code de Commerce précise bien que, n’ayant pas de

droits nés à l’occasion de l’activité professionnelle, ils ont pour seul gage le patrimoine non

affecté. Leur permettre de saisir le patrimoine affecté reviendrait à contredire cette règle.

Cette interdiction procède directement de la nature de patrimoine affecté qui réserve une

masse de biens à des créanciers déterminés et à eux seuls. Quant à la possibilité d’exercer une

action oblique, le principe est que tout créancier impayé peut, en principe, exercer par la voie

oblique les droits et actions de son débiteur à la condition qu’ils soient de nature

patrimoniale75

. Cette action est donc fermée concernant les droits extrapatrimoniaux. Or si le

patrimoine d’affectation est le support d’un droit de propriété, il reste fortement rattaché à la

personne de l’entrepreneur. Nous pouvons donc douter de la possibilité d’exercer une action

oblique sur ce patrimoine. De même ni eux ni les créanciers du patrimoine affecté ne

pourraient exercer, par voie oblique une action relative à la gestion du patrimoine affecté en

raison de son caractère extrapatrimonial. Il semble donc que les créanciers du patrimoine

affecté n’aient aucun droit sur celui-ci ou, dans le cas où ils en auraient, soient contraints de

respecter l’affectation, ce qui leur laisserait une marge de manœuvre toute relative.

74

S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome

CXLV, préf. R. Nerson, p. 315à319 : sur la nature juridique de l’affectation des biens. 75

F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : Les obligations. Paris : Dalloz, 2009 p. 1132, préc. n° 1143.

Page 29: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

24

53. Il n’existe aucune contrepartie à la constitution de l’affectation outre un droit de

propriété réduit, conditionné sur le patrimoine affecté. Cela amène à s’interroger sur

l’existence de telles contreparties lors du fonctionnement de ce patrimoine.

Section II. Les prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté lors de son

fonctionnement.

54. L’entrepreneur reçoit certaines contreparties financières à l’affectation durant le

fonctionnement du patrimoine affecté. S’il semble être titulaire d’un droit aux bénéfices à

l’instar du droit des sociétés (§1), il possède surtout un droit apparemment inédit : le droit un

revenu prélevé sur le patrimoine affecté (§2).

§1. Le droit aux bénéfices.

55. La loi du 15 Juin 2010 n’attribue pas expressément un droit aux bénéfices à l’EIRL.

Cependant, l’existence d’un tel droit peut se déduire de certaines de ses dispositions (A).

Nous pourrons alors appliquer le droit des sociétés pour en déduire le régime (B).

A. La déduction d’un droit aux bénéfices des dispositions de la loi du 15

Juin 2010.

56. Le droit aux bénéfices résulte de l’exercice d’une activité professionnelle. En matière

de sociétés, l’article 1832 du Code Civil réfère expressément à ce droit puisqu’il dispose que

la société est instituée « en vue de partager le bénéfice » résultant d’une entreprise commune.

En ce qu’il exerce une activité professionnelle, l’EIRL devrait donc avoir un droit sur les

bénéfices réalisés par le patrimoine affecté. D’ailleurs, l’article L 526-13 du Code de

Commerce l’oblige à tenir une comptabilité dans les conditions imposées aux commerçants76

.

Or, selon l’article L 123-21 du Code de Commerce, « seuls les bénéfices réalisés à la date de

clôture d’un exercice peuvent être inscrits dans les comptes annuels ». De plus, le dernier

alinéa de l’article L 526-12 du Code de Commerce prévoit qu’en cas d’insuffisance du

patrimoine non affecté, les créanciers de ce patrimoine peuvent exercer un droit sur le

bénéfice réalisé par l’entrepreneur lors du dernier exercice clos. Or, comme un créancier ne

peut exercer plus de droits que son débiteur n’en a, c’est qu’en l’espèce l’EIRL est titulaire

76

Article L 526-13 du Code de Commerce : « L’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté fait

l’objet d’une comptabilité autonome, établie dans les conditions définies aux articles L 123-12 à L 123-23 et L

123-25 à L 123-27 ».

Page 30: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

25

d’un droit sur les bénéfices réalisés par son patrimoine affecté. L’absence de contrepartie à

l’affectation sous forme de titres n’a alors aucune incidence sur l’existence de ce droit car les

titres sociaux ne servent qu’à déterminer la répartition des bénéfices entre les associés.

57. L’EIRL a donc le droit de disposer des bénéfices qu’il réalise grâce à l’exercice de son

activité professionnelle. Pour savoir comment sera exercé ce droit, nous pouvons appliquer le

droit des sociétés puisque le régime qui y est établi est celui des bénéfices en eux-mêmes.

B. L’application du droit des sociétés.

58. Le régime du droit aux bénéfices n’est pas spécifique au droit des sociétés. Il découle

de la qualification de bénéfice. Nous pourrons donc appliquer le régime connu en droit des

sociétés aux bénéfices dégagés par le patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel.

59. Tout comme l’associé unique d’une EURL77, l’EIRL sera libre de se distribuer les

bénéfices du patrimoine affecté ou de les mettre en réserve. Pour distribuer ces bénéfices à

son patrimoine non affecté, il devra déterminer ceux distribuables. En l’absence d’obligation

de constitution d’une réserve légale et de réserves statutaires, ces bénéfices correspondront à

la différence entre l’actif et le passif, après extinction des pertes antérieures78

. Ils seront donc

en théorie plus importants pour l’EIRL que pour les sociétés. Quant à leur distribution,

l’entrepreneur décidera seul de l’opportunité et de l’étendue du versement79

. Enfin, comme

l’article L 232-11 alinéa 3 du Code de Commerce interdit la distribution de dividendes

lorsque les capitaux propres sont ou en deviendraient inférieurs au montant du capital

augmenté des réserves non-distribuables, nous pouvons imaginer que l’EIRL ne pourra pas

verser de bénéfices à son patrimoine non affecté si les capitaux propres du patrimoine affecté

sont ou en deviendraient inférieurs à la valeur de l’affectation initiale car cela reviendrait à

une désaffectation indirecte. Enfin, nous pouvons nous poser la question de l’applicabilité du

délit de répartition de dividendes fictifs80

en cas de distribution de bénéfices non-réalisés ou

non disponibles. Ce délit ne concerne que « le président, les administrateurs ou les directeurs

généraux d’une société anonyme » et surtout, appartient au droit des sociétés. Il n’est donc

pas applicable à l’EIRL. Toutefois, en l’absence de protection pénale, les créanciers du

patrimoine affecté pourront toujours utiliser l’action paulienne pour attaquer un versement de

77

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010, p. 557, préc. n° 1111. 78

Article L 232-11 du Code de Commerce. 79

Comme le prévoit l’article L 223-1 alinéa 2 du Code de Commerce pour l’associé unique de l’EURL exerçant

seul les pouvoirs de l’assemblée. 80

Article L 242-6. 1° du Code de Commerce.

Page 31: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

26

bénéfices fait en fraude de leurs droits ou demander la responsabilité de l’entrepreneur sur la

totalité de ses biens et droits en cas de fraude81

.

60. Malgré l’obscurité des textes, nous pouvons affirmer que le patrimoine non affecté de

l’EIRL sera titulaire d’un droit aux bénéfices réalisés par le patrimoine affecté. Toutefois, la

loi a expressément prévu un autre droit : celui à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté.

§2. Le droit à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté.

61. L’EIRL « détermine les revenus qu’il verse dans son patrimoine non affecté82

». Ce

droit semble spécifique à l’EIRL puisqu’il n’est connu ni du droit commercial ni du droit des

sociétés sous cette appellation. Or, le législateur l’a consacré sans l’encadrer. Des problèmes

vont alors se poser à cause de l’absence d’encadrement de ce prélèvement (A), mais

également à cause de la nécessité de l’articuler avec le droit aux bénéfices (B).

A. Les problèmes posés par l’absence d’encadrement du prélèvement.

63. La loi du 15 Juin 2010 n’encadre pas les modalités des prélèvements des revenus sur

le patrimoine affecté. L’entrepreneur semble donc être libre de les prélever comme il l’entend.

Pourtant, ce droit pourrait être encadré par référence au régime de la rémunération des gérants

d’EURL et limité par les sanctions qui pourraient être portées à d’éventuels abus.

63. Les « revenus» sont « les ressources périodiques d’une personne issues du travail83

».

Les revenus visés à l’article L 526-18 du Code de Commerce seraient donc ceux qui viennent

rétribuer la gérance du patrimoine affecté. Si nous acceptons une telle définition, nous

pourrons, par analogie, appliquer à ces revenus le régime de la rémunération des gérants

d’EURL, qui est le même que celui de la rémunération des gérants de SARL84

. En principe, la

rémunération du gérant est déterminée dans les statuts ou suite à un vote de l’assemblée. En

matière d’EURL, le gérant « vote » seul sa rémunération mensuelle. Nous pouvons donc en

déduire que l’entrepreneur individuel pourra déterminer seul sa rémunération mensuelle sur

son patrimoine affecté ou qu’il pourra l’inscrire dans sa déclaration d’affectation. Mais alors,

comment contrôler les abus dans la détermination de cette rémunération ? Ni l’interdiction de

découvert, ni l’abus de biens sociaux ne sont applicables à l’EIRL car ces délits sont prévus

pour les SARL et supposent deux personnes juridiques distinctes, ce qui n’est pas le cas de

81

Article L 526-12 alinéa 7 du Code de Commerce. 82

Article L 526-18 du Code de Commerce. 83

G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir revenus. 84

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010, p. 556, n° 1109 et suivants.

Page 32: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

27

l’EIRL. Toutefois, deux sanctions permettant d’éviter les abus semblent exister. D’abord les

créanciers pourraient utiliser l’action paulienne pour faire échec à la perception d’une

rémunération qui frauderait leurs droits. Ensuite, en cas d’ouverture d’une procédure

collective, l’entrepreneur individuel pourra encourir la sanction de faillite personnelle pour

« avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son

passif »85

ainsi que celle d’insuffisance d’actif.

64. Malgré la détermination d’un tel régime et de ses limites, un dernier problème risquera

de se poser : celui de l’articulation entre le droit aux bénéfices et le droit aux revenus.

B. L’articulation du droit aux bénéfices et du droit aux revenus.

65. Nous pouvons nous demander comment droit aux bénéfices et droit aux revenus

coexistent, non seulement lorsque le patrimoine affecté est in bonis, mais également lorsqu’il

est soumis à une procédure de traitement des entreprises en difficulté.

66. Lorsque le patrimoine affecté est in bonis, il n’existe aucune règle légale de

coordination. Toutefois, ces droits semblent perçus à des titres différents. Les bénéfices sont

perçus au titre de la participation à l’activité professionnelle alors que les revenus sont, selon

la définition retenue, perçus au titre de la gestion du patrimoine affecté. Ainsi, l’EIRL confiait

la gérance de son patrimoine affecté à un mandataire, il percevrait les bénéfices du patrimoine

affecté tandis que ledit mandataire, lui, serait rémunéré pour ses fonctions. Donc, s’il gère

seul son patrimoine affecté, nous pouvons en déduire qu’il est en mesure de cumuler son droit

aux bénéfices avec son droit aux revenus. Toutefois, ce cumul devra se faire sans abus sous

peine d’annulation des actes pour fraude paulienne. Cependant, la vérification de l’absence

d’abus sera fortement compliquée par la mauvaise tenue de ses comptes professionnels par

l’EIRL car alors, il sera difficile de savoir auquel des deux droits la somme aura été versée.

67. Lorsque le patrimoine affecté sera soumis à une procédure de traitement des

entreprises en difficulté les problèmes seront moindres. Concernant le droit aux bénéfices,

comme l’EIRL conserve ses pouvoirs de gestion, il pourra se les distribuer. Toutefois, cette

distribution ne peut être que déconseillée car elle l’exposerait à être responsable pour

insuffisance d’actif86

. Concernant le droit aux revenus, lors de l’ouverture d’une procédure de

85

Depuis l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 Décembre 2008, l’obligation aux dettes sociales qui sanctionnait

notamment un dirigeant pour avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif d’une personne morale a été

abrogée. C’est alors la faillite personnelle qui sanctionne de tels agissements. 86

Article L 651-2 du Code de Commerce.

Page 33: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

28

sauvegarde, l’entrepreneur conserve ses pouvoirs de gestion. Il pourra donc continuer de se

verser une rémunération. Par contre, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou

d’une liquidation judiciaire, c’est le juge-commissaire qui sera chargé de fixer la rémunération

afférente aux différentes fonctions exercées par l’entrepreneur individuel87

. Cette

rémunération n’étant pas de droit, il pourra décider de n’allouer que des subsides prélevés sur

l’actif à l’entrepreneur et sa famille. De plus, il devra tenir compte des revenus perçus par

l’entrepreneur au titre des patrimoines non visés par la procédure88

. Les patrimoines visés sont

alors certainement les autres patrimoines affectés qu’aurait pu constituer l’entrepreneur.

Ainsi, s’il tire des moyens de subsistance de ses autres patrimoines affectés, il est peu

probable que le juge commissaire lui accordera une rémunération. La constitution de plusieurs

patrimoines affectés pourrait alors favoriser le redressement du patrimoine en difficulté autant

qu’il pourrait susciter la jalousie de ses créanciers à la vue d’autre patrimoine en pleine santé.

68. Conclusion du chapitre. De nombreuses incertitudes pèsent encore sur les contreparties

à l’affectation. Si, lors de la constitution du patrimoine affecté, le patrimoine non-affecté se

trouve irrémédiablement réduit en l’absence de titres l’intégrant, durant le fonctionnement du

patrimoine affecté il en touchera les bénéfices ainsi que les revenus perçus par l’entrepreneur

au titre de gérant. Toutefois, ces droits ne découlent pas du patrimoine affecté en lui-même

mais de l’exercice de l’activité professionnelle pour laquelle il a été constitué ainsi que de la

fonction de gérant. De plus, la réussite de l’exercice de ces droits réside dans un

comportement irréprochable de l’entrepreneur qui ne devra pas en abuser. Le recours au

patrimoine affecté ne semble donc pas permettre d’avancée par rapport à l’EURL.

69. Conclusion du Titre. L’organisation de l’affectation des biens de l’EIRL présente de

nombreuses particularités par rapport à la constitution d’un patrimoine sociétaire. Ces

particularités ne sont pas forcément avantageuses pour l’entrepreneur qui sera encadré dans le

contenu et les modalités de l’affectation plus que s’il constituait une société. De plus, les

incertitudes pesant sur les contreparties à l’affectation et leurs conséquences pourront aussi

effrayer les entrepreneurs désireux d’y recourir. Or, il semble qu’autant de questions

persistent quant aux particularités de la gestion de ce patrimoine affecté.

87

Article L 631-11 du Code de Commerce. 88

Article L 631-11 alinéa 2 du Code de Commerce complété par l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 Décembre

2010 portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de

surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : « Lorsque le débiteur est un entrepreneur

individuel à responsabilité limitée, le juge-commissaire tient compte des revenus éventuellement perçus au titre

des patrimoines non visés par la procédure ».

Page 34: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

29

TITRE II. LES PARTICULARITES DE L’ORGANISATION DE LA

GESTION DU PATRIMOINE AFFECTE.

70. En ne définissant pas précisément le régime juridique de l’EIRL, le législateur a laissé

beaucoup de questions en suspens quant à l’organisation de la gestion du patrimoine affecté,

qu’il s’agisse des particularités de son mode de gestion (Chapitre I) ou des mutations qu’il est

susceptible de subir (Chapitre II). A l’issue de leur étude, nous pourrons conclure que si

l’EIRL permet certaines évolutions sur le plan théorique, ce dispositif ne permet pas de réelles

avancées pratiques par rapport aux outils déjà proposés aux entrepreneurs individuels pour

limiter leur responsabilité et gérer leur entreprise.

CHAPITRE I. LES PARTICULARITES DU MODE DE GESTION DU

PATRIMOINE AFFECTE DE L’EIRL.

71. Même si l’EIRL a pour première finalité de limiter la responsabilité de l’entrepreneur,

ce dernier devra gérer son patrimoine affecté lorsqu’il exercera son activité professionnelle. Il

s’agira alors de gérer un patrimoine sans personnalité morale (Section I) ce qui ne posera pas

de problèmes en pratique. Mais, la gestion du patrimoine affecté est aussi particulière en ce

que la loi ne prévoit qu’une gestion directe par l’entrepreneur de ce patrimoine (Section II).

Section I. La gestion d’un patrimoine sans personnalité morale.

72. L’absence de personnalité morale du patrimoine affecté a été présentée comme une

révolution dans les principes juridiques traditionnels. Toutefois, aucune disposition de la loi

du 15 Juin 2010 ne fait référence à une quelconque règle de gestion de ce patrimoine. Nous

pouvons donc nous demander si l’absence de personnalité juridique ne risque pas d’entraver

cette gestion. Or, il apparaît qu’elle soit indifférente (§1) et même, qu’elle permette une

certaine évolution de la notion de représentation (§2).

§1. L’indifférence de l’absence de personnalité morale quant à la gestion de

l’EIRL.

73. Patrimoine sociétaire et patrimoine affecté de l’EIRL sont très proches, si bien qu’il

est possible de se demander pourquoi ne pas reconnaitre la personnalité morale à ce dernier

Page 35: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

30

qui remplirait les conditions posées par le droit des sociétés pour cela. En étudiant l’utilité de

la personnalité morale pour les sociétés (A), nous comprendrons que cette reconnaissance est

inutile au patrimoine affecté car il possède déjà des moyens d’opposabilité aux tiers (B).

A. L’utilité de la personnalité morale pour les sociétés.

74. La personnalité morale des sociétés ne sert pas, en tant que telle à leur gestion. Une

fois l’acte constitutif de la société valablement passé, cette dernière existe dans

l’ordonnancement juridique. C’est cet acte, dont il semble qu’il soit un acte unilatéral

conjonctif ou individuel selon que la société est pluripersonnelle ou unipersonnelle89

, qui

permettra régir les rapports entre associés, la répartition des pouvoirs entre eux et donc, les

modalités de gestion du groupement. Or, il produit ses effets entre les associés dès qu’il est

valablement passé. La société acquiert alors un effet relatif qui oblige les associés à respecter,

dans l’ordre interne, son existence90. Il semble donc bien que pour être gérée, elle n’ait pas

nécessairement besoin de la personnalité morale. Toutefois, une société a vocation à nouer des

relations juridiques avec des tiers extérieurs. Pour cela, elle doit être connue et respectée par

ces tiers. Il s’agit alors de la rendre opposable dans l’ordre externe. C’est ici qu’intervient la

personnalité morale. En acquérant une personnalité juridique par l’immatriculation, le

groupement devient sujet de droit. Il acquiert une capacité de jouissance et un patrimoine

corrélatif qui ne se confondent pas avec celui de ses membres91

. La capacité de jouissance est

donc un des attributs de la personnalité morale accordée par le législateur. Toutefois, lorsque

ce dernier ne la reconnait pas à un groupement mais que ce groupement possède une

autonomie patrimoniale opposable aux tiers, il serait possible de lui reconnaitre une telle

personnalité. En effet, si nous envisageons la personnalité morale dans une perspective

normativiste, cette dernière sera accordée au groupement qui possède une mission et des

prérogatives qui nécessitent de le reconnaitre comme une personne autonome pour qu’il

puisse exercer effectivement son activité. Cette question de la reconnaissance de la

personnalité morale à un groupement auquel le législateur la refusait se posait jusqu’alors à

propos de la fiducie et de l’indivision92

. Dorénavant, elle se posera concernant l’EIRL dont

l’opposabilité est organisée par les articles L 526-6 et suivants du Code de Commerce.

89

G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,

Paris : Litec, 2009, p. 723, préc. n°44. 90

Ibidem, p. 703, préc. n°21. 91

Ibidem, p. 713, préc. n°32. 92

G. Wicker, op. cit., n° p. 713, préc. n°32.

Page 36: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

31

B. L’existence de moyens d’opposabilité dans le cadre de l’EIRL.

75. Le législateur a expressément dénié la personnalité morale au patrimoine affecté de

l’EIRL93. Mais, par des mesures de publicité et l’organisation d’un droit d’opposition le

législateur en a rendu la gestion opposable aux tiers94. Le patrimoine affecté n’a donc pas

besoin de la personnalité morale pour avoir effet dans l’ordre externe.

76. Le patrimoine affecté de l’EIRL serait alors la preuve que l’idée d’affectation ne

contredit pas celle de personnalité95. Selon Monsieur Wicker, la personnalité juridique n’est

pas une qualité naturelle de l’homme mais un attribut juridique, la capacité de jouissance, que

le législateur lui a accordé96

. Le patrimoine, lui, serait la « contrepartie immédiate et

nécessaire, de la capacité de jouissance97

». Concernant le patrimoine « général » d’un

individu ce ne serait pas la volonté de la personne qui permettrait d’unir les biens mais leur

rattachement à un même intérêt juridique, alors général et indifférencié : celui de la personne.

Une telle vision permettrait de reconnaitre cette capacité de jouissance à des patrimoines

affectés spécialisés. En ce qu’elle fait de l’unité d’intérêt et non de la personne humaine le

nouveau fondement du patrimoine, elle permet de confirmer la différence entre personne

humaine et juridique. Ainsi la personnalité juridique découlerait des attributs accordés à une

masse de biens. Faudrait-il, en conséquence, considérer que le patrimoine affecté de l’EIRL

possède cette personnalité? Si le législateur ne l’avait pas exclu, cela aurait été possible. En

effet, ce dernier a accordé une capacité de jouissance au patrimoine affecté et un pouvoir de

représentation à l’entrepreneur pour en exercer les prérogatives. Ainsi, s’il n’en a pas le nom,

le patrimoine affecté possède tous les attributs de la personnalité juridique. Nous pouvons

donc douter de la réelle utilité du concept de personnalité morale qui ne semble permettre que

la désignation de l’attribution d’une capacité de jouissance à un patrimoine par le législateur.

77. L’absence de personnalité morale n’est donc pas un obstacle à la gestion du

patrimoine affecté ni à son opposabilité. Mais, elle permet de relancer la réflexion sur l’utilité

de cette notion en droit positif. Dans sa gestion, le patrimoine affecté va alors également

permettre de faire évoluer la notion de représentation.

93

Article L 526-6 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité

professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’un personne morale ». 94

Cf. supra n° 35 à 37. 95

Voir sur cette idée : A-L Thomat-Raynaud. L’unité du patrimoine : essai critique, Paris : Defrénois. Doctorat

et notariat, Tome 25, p. 420, n° 908 et suivants. 96

G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-Domat

p. 173 et 174, préc. n°175. 97

Ibidem, p.185, préc. n°191.

Page 37: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

32

§2. L’évolution de la notion de représentation.

78. L’EIRL va pouvoir agir au titre de deux qualités différentes : à titre personnel et à titre

professionnel. Traditionnellement, quand individu agit « es qualité », il représente les intérêts

d’autrui (A). Avec l’introduction du patrimoine d’affectation sans transfert de propriété lors

de sa constitution, la conception de la représentation va être amenée à évoluer (B).

A. La conception classique de la représentation : représenter autrui.

79. Lorsque s’applique la technique de la représentation, le représentant se voit attribuer

des pouvoirs qu’il peut exercer de manière autonome98

. Or, ces pouvoirs peuvent être définis

par rapport à la notion de droit subjectif99. Le droit subjectif s’exerce librement par son

titulaire et sans possible immixtion d’un tiers dans cet exercice. Le pouvoir, lui, est une

prérogative permettant à son titulaire d’édicter un acte juridique dont l’effet s’imposera à un

autre sujet de droit. Il permet à son titulaire d’exprimer un intérêt au moins partiellement

distinct du sien. Droit subjectif et pouvoir semblent donc être en opposition. Toutefois, le

pouvoir de représentation est autonome100

. Il se différencie des pouvoirs délégués attribués

directement à leur titulaire dans l’intérêt personnel d’un autre sujet de droit et qui ne sont pas

la transposition d’un droit subjectif lui appartenant101

. Le pouvoir de représentation, lui, est la

transposition de prérogatives relatives à l’exercice d’un droit subjectif ou d’un pouvoir

appartenant à autrui. Son titulaire ne peut alors agir que dans l’intérêt de la personne

représentée. Les conséquences juridiques consécutives à l’exercice de ce pouvoir se réalisent

donc directement dans la sphère juridique de cette dernière. L’exemple de la représentation de

la société par ses dirigeants sociaux est alors parlant. Ces derniers n’exercent que des

prérogatives découlant des droits subjectifs accordés à la société lorsque cette dernière a

acquis sa personnalité morale. Ils ne doivent donc agir que dans le bon intérêt de cette société.

98

G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-

Domat, p.66, préc. n ° 58. 99

M. Storck. Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques. Paris : LGDJ, 1982,

Bibliothèque de droit privé, Tome 172, préf. D. Huet-Weiller et E. Gaillard. Le pouvoir en droit privé. Paris :

Economica, 1985, Droit civil. Série études et recherches, préf. G. Cornu – P. Roubier. Droits subjectifs et

situations juridiques. Paris : Dalloz, 1963, Philosophie du droit, Tome 8 ; cités par G.Wicker Les fictions

juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-Domat p.66, n ° 66 à 74. : sur la

notion de pouvoir et la distinction entre les notions de pouvoir et de droit subjectif. 100

G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-

Domat, p. 69, préc. n°62. 101

Ibidem, p. 70, préc. n°63.

Page 38: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

33

80. Traditionnellement, le pouvoir de représentation permet donc de représenter l’intérêt

d’autrui. L’introduction de la représentation d’un patrimoine affecté restant la propriété de son

constituant pourrait donc entrainer une évolution de la conception de la représentation.

B. L’évolution de la conception de la représentation.

81. Dans le cas de l’EIRL, l’entrepreneur représente son propre patrimoine affecté. A

priori donc, il ne représenterait plus une personne juridique distincte. Toutefois, si ce n’est pas

la personne humaine qui est le support de la personne juridique mais l’intérêt qui en unifie les

biens, alors l’entrepreneur pourrait représenter son patrimoine sans que cela ne pose de

problème. Le pouvoir de représentation ne porterait donc pas sur la personne humaine mais

sur les droits subjectifs lui étant accordés en vertu de la personnalité juridique que lui

reconnait le législateur. Le patrimoine affecté de l’EIRL possédant de tels droits subjectifs

malgré le fait que le législateur refuse de lui reconnaitre une personnalité juridique propre, le

pouvoir de représentation de l’entrepreneur portera donc sur ces droits subjectifs. Il ne se

représenterait donc pas lui-même mais viendrait représenter l’intérêt de son patrimoine

affecté. Nous aboutirions alors à une évolution de la conception de la représentation. En effet,

deviendrait possible la représentation de tout patrimoine doté de droits subjectifs. Encore une

fois, nous pourrions différencier la personne humaine de la personne juridique et affirmer

qu’il est possible de représenter toutes les personnes juridiques dont certaines seulement sont

humaines.

82. Consécutivement à l’évolution de la conception de la représentation, les contrats dits

« conclus avec soi-même » ne poseraient définitivement plus de problème. Cette pratique

avait été jadis rejetée au motif que le contrat était un accord de volonté et qu’une même

personne ne pouvait exprimer deux volontés différentes102

. Cependant, tout comme il faut

distinguer personne humaine et personne juridique, il faut distinguer la volonté

psychologique, qui ne peut être qu’une, de la volonté juridique qui est l’expression d’un

intérêt juridique103

. Une même personne peut exprimer deux intérêts juridiques distincts, voire

opposés. Alors, si on considère que le patrimoine affecté est porteur d’un intérêt juridique car

il est détenteur de droits subjectifs, l’EIRL peut, au sein d’un contrat, exprimer son intérêt

juridique personnel et celui de son patrimoine. Le contrat sera valablement formé. Son

102

F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : Les obligations. Paris : Dalloz, 2009, p. 188, préc. n° 182, note

4 renvoyant à R. Demogue, Les obligations en général : Tome I, Source des obligations. Paris : Librairie Arthur

Rousseau, 1923, p.105 et suivantes, préc. n°s40 et suivants.

103 G. Wicker. Les fictions juridiques. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome 253, préf. J. Amiel-

Domat , p. 75, préc. n°70.

Page 39: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

34

interdiction ou des exigences particulières d’extériorisation du consentement ne pourraient

résulter que de dispositions législatives visant à prévenir les fraudes pouvant résulter d’un tel

contrat. Dorénavant, le contrat avec soi-même « est licite lorsque la personne qui le passe

agit […] comme titulaire de deux patrimoines ou de deux masses de biens distincts 104

».

83. L’absence de personnalité morale du patrimoine affecté de l’EIRL n’est donc pas un

obstacle à sa gestion ni à son opposabilité dans l’ordre juridique externe. De plus, elle permet

une réflexion sur l’utilité du concept de personnalité morale ainsi qu’une progression de la

conception de la représentation. Mais, la gestion du patrimoine affecté est également

particulière en ce que le législateur n’en a envisagé que la gestion directe.

Section II. La gestion directe du patrimoine affecte par l’entrepreneur individuel.

84. La gestion du patrimoine affecté par l’entrepreneur individuel peut sembler

particulière en ce que le législateur n’a envisagé qu’une gestion directe. La gestion de ce

patrimoine se distingue alors de la gestion d’une EURL car l’EIRL ne possède pas de droits

politiques (§1). Toutefois, si la gestion prévue est uniquement personnelle, nous pourrions

envisager que l’entrepreneur la délègue par le biais d’un mandat (§2).

§1. L’absence de droits politiques du gérant du patrimoine affecté.

85. Les droits politiques consistent en un droit de participer aux décisions collectives105

.

Ces droits appartiennent aux ou à l’associé et s’expriment le plus souvent par son droit

d’information, de participation aux assemblées et de vote106

. Or, l’EIRL ne s’est vu attribuer

aucun droit semblable pour gérer son patrimoine affecté.

86. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette absence. La première idée nous

venant à l’esprit serait de tenter de démontrer qu’il ne peut pas avoir de tels droits car il est

seul. Pourtant, l’associé unique gérant d’une EURL est lui aussi seul à gérer le patrimoine de

cette personne morale. Il faut donc rejeter cette idée. Ces droits ne seraient donc accordés

qu’aux associés. Nous pouvons en déduire qu’à l’instar des titres sociaux107

, ils naîtraient

uniquement du contrat de société ; ce qui expliquerait que ni un fiduciaire, ni un EIRL ne

puisse les posséder. Toutefois, l’entrepreneur individuel possède un autre droit sur le

104

J. Aussedat. Société unipersonnelle et patrimoine d’affectation in Revue des sociétés, 1974, p. 247. 105

Article 1844 du Code Civil. 106

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 178, préc. n° 310. 107

Cf. infra n° 44.

Page 40: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

35

patrimoine affecté qui lui permettra de le gérer tout aussi efficacement : un droit de propriété.

Etant propriétaire du patrimoine affecté, il devrait posséder sur lui les pouvoirs les plus

absolus. Mais, en présence de l’affectation, ce droit de propriété perd son caractère

d’absoluité. L’affectation est une charge qui va venir conditionner l’exercice du droit de

propriété. Elle est donc un mode d’exercice de ce droit108

. Toutefois, malgré ce

conditionnement, l’entrepreneur individuel pourra continuer de gérer son patrimoine affecté.

Il devra juste le faire dans le respect de l’intérêt de ce patrimoine, donc l’intérêt de son

activité professionnelle.

87. Malgré l’absence de droits politiques, le droit de propriété particulier que possède

l’EIRL lui permettra donc de gérer efficacement son patrimoine affecté. Toutefois, ce droit ne

peut être exercé que personnellement par l’entrepreneur. Or le législateur n’a pas prévu de

mode spécial de délégation des pouvoirs de gestion. Toutefois, nous pourrions qu’il recourt au

droit commun et notamment à l’utilisation du mandat pour remédier à cette lacune.

§2. L’utilisation du mandat hors de la structure de l’EIRL.

88. Si aucun mandat de gestion n’a été intégré dans la structure de l’EIRL, l’entrepreneur

peut toujours recourir au droit commun du mandat pour la confier cette gérance à un tiers. Il

devra en respecter le droit commun. Si ce contrat peut être à titre gratuit, il peut également

être conclu à titre onéreux109

. Alors, la contrepartie financière correspondra à la rémunération

du mandataire. De même, sauf stipulation contraire où sauf à ce qu’il soit conclu dans l’intérêt

commun de l’entrepreneur et du mandataire, le mandat sera révocable ad nutum110

. Durant la

vie du patrimoine affecté, le mandataire sera responsable de sa mauvaise gestion sur son

patrimoine affecté111

. Enfin, en cas de déconfiture ou de faillite de l’entrepreneur (le mandant)

ou du mandataire, le mandat sera automatiquement révoqué112

. L’utilisation du droit commun

du mandat permettra donc d’organiser une gestion déléguée efficace du patrimoine affecté.

L’absence de mandat de gestion au sein de la structure de l’EIRL ne le pénalise donc pas par

rapport à l’EURL. Cependant, le législateur aurait pu prévoir des règles adaptées à la situation

car confier la gérance à un mandataire pourrait permettre à l’entrepreneur individuel de

108

G. Wicker. La théorie de la personnalité morale depuis la thèse de Bruno Oppetit in Mélanges Bruno Oppetit,

Paris : Litec, 2009, préf. J. Amiel-Domat, p. 72, préc. n°48. 109

Article 1986 du Code Civil. 110

Article 2004 du Code Civil. 111

Article 1192 du Code Civil. 112

Article 2003 du Code Civil.

Page 41: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

36

s’exonérer de manière certaine d’une partie de sa responsabilité (celle pour ses fautes de

gestions) le mandataire répondant de sa gestion sur son patrimoine propre.

89. Mais, le recours au mandat pourra poser un problème à propos des revenus du

patrimoine affecté que l’entrepreneur peut verser dans son patrimoine non affecté113

. Si nous

considérons que ces revenus rémunèrent la gérance du patrimoine affecté par l’entrepreneur,

alors ce droit ne devrait plus pouvoir être exercé lorsque la gérance est déléguée. Or, le

législateur a omis de légiférer sur cette question. L’entrepreneur pourrait donc continuer à se

verser des revenus malgré le fait qu’il rémunère son mandataire-gérant sans que cela ne puisse

être sanctionné. La seule sanction imaginable serait la responsabilité de l’entrepreneur pour

insuffisance d’actif mais cette dernière n’interviendra qu’en cas d’ouverture d’une procédure

de redressement ou de liquidation judiciaire.

90. Conclusion du chapitre. L’absence de personnalité morale et l’absence de mandat de

gestion intégré au sein de la structure de l’EIRL ne sont pas des obstacles à sa bonne gestion.

Toutefois en termes de gestion, cela n’apportera rien de plus que ce qui peut être obtenu en

recourant à l’EURL. Le recours au patrimoine d’affectation ne permet donc pas d’avancées

majeures sur ce point, à l’instar de ce que nous pourrons constater concernant les

particularités des mutations du patrimoine affecté.

CHAPITRE II. LES PARTICULARITES DES MUTATIONS DU

PATRIMOINE D’AFFECTATION

91. Durant sa vie, le patrimoine affecté va être amené à évoluer. Des mutations seront

susceptibles de toucher les actifs du patrimoine affecté (Section I) mais également le

patrimoine affecté lui-même (Section II). Ces mutations sont communes aux sociétés dont le

patrimoine a vocation à être augmenté ou réduit et dont les associés peuvent changer tout au

long de la vie sociétaire. Pourtant, si le législateur a prévu des règles spéciales les concernant,

il n’en a pas fait de même avec le patrimoine affecté de l’EIRL.

Section I. La mutation des actifs du patrimoine affecté.

92. Les actifs du patrimoine affecté de l’EIRL sont susceptibles d’être modifiés de deux

manières différentes. D’une part l’entrepreneur individuel peut modifier son affectation (§1),

113

Article L 526-18 du Code de Commerce.

Page 42: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

37

d’autre part il peut aliéner les actifs de son patrimoine affecté (§2) afin de les faire

définitivement sortir de son patrimoine « général ».

§1. La modification de l’affectation.

93. L’affectation peut être modifiée dans le sens de l’augmentation par l’affectation de

nouveaux actifs (A) ou de la diminution par la désaffectation de certains actifs (B). Si la

première possibilité a été règlementée au moins partiellement par le législateur, ce dernier a

omis de traiter la seconde, ce qui risquera de poser certains problèmes, notamment quant à la

protection du gage des créanciers des différents patrimoines de l’entrepreneur.

A. L’affectation de nouveaux actifs au patrimoine affecté.

94. L’affectation de nouveaux actifs peut être réalisée par l’entrepreneur individuel lui-

même mais également par un tiers créant alors une indivision sur le patrimoine affecté.

95. L’affectation de nouveaux actifs par l’entrepreneur individuel a été expressément

envisagée par le législateur. L’entrepreneur est contraint d’effectuer une déclaration

complémentaire pour toute nouvelle affectation d’un bien immobilier, d’un bien dont la

valeur est supérieure à 30 000 euros ainsi que d’un bien commun ou indivis114

. Toutefois, le

législateur n’a pas posé de règle générale d’obligation de déclaration complémentaire en cas

de nouvelle affectation. Nous pouvons donc nous demander si l’entrepreneur devra en

effectuer une s’il vient à affecter ultérieurement des biens n’étant pas ceux sus-énoncés. Pour

certains auteurs, l’affectation ultérieure d’un bien nécessaire impliquera d’effectuer une

déclaration complémentaire115

. Nous pouvons adhérer à une telle vision. En effet,

l’entrepreneur individuel est contraint d’affecter les biens nécessaires à son activité

professionnelle. Or, pour rendre cette nouvelle affectation opposable aux créanciers, il ne

pourra que passer par une déclaration complémentaire publiée au registre auquel il est tenu de

s’inscrire. Par contre, concernant les biens simplement utiles nouvellement acquis,

l’entrepreneur n’est pas tenu de les affecter. Mais, s’il décide de les affecter, une déclaration

complémentaire sera nécessaire afin de rendre l’affectation opposable. Cependant, une

dernière question se posera : une nouvelle déclaration sera-t-elle nécessaire en cas de

remplacement d’un bien au sein du patrimoine affecté? Il s’agit ici de se demander si un

114

Les articles L 526-9, L 526-10 et L 526-11 du Code de Commerce prévoient respectivement ces règles. 115

B.Saintourens. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : Commentaire de la loi n°2010-658 du 15

Juin 2010 in Revue des sociétés, 2010, p. 351, préc. n° 34.

Page 43: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

38

mécanisme de subrogation réelle116

doit jouer au sein du patrimoine affecté. Si nous

considérons que le patrimoine affecté est une universalité juridique, le mécanisme de la

subrogation réelle pourrait être mis en œuvre. Mais, le mécanisme de la déclaration

complémentaire pour certains biens semble s’y opposer car elle permet de contrôler les

mouvements au sein du patrimoine même si des doutes existent quant à sa portée117

.

Toutefois, le mécanisme de subrogation réelle permettant de garantir la valeur du patrimoine

affecté, il faudrait donc exclure l’exigence d’une nouvelle déclaration.

Nous pouvons observer qu’à propos de l’augmentation du patrimoine affecté, aucune

évolution n’existe par rapport au patrimoine sociétaire dans lequel joue un mécanisme de

subrogation et qui peut même, outre augmentation de capital, être augmenté sans obligation

de formalités118

. D’ailleurs, cette absence de progrès sera flagrante lorsqu’un tiers voudra

apporter des actifs au patrimoine affecté d’un EIRL.

96. Le législateur n’a pas envisagé la question d’une éventuelle indivision sur le

patrimoine affecté. Si la loi vise l’entrepreneur individuel, elle n’interdit pas pour autant la co-

exploitation. Ainsi, deux entrepreneurs individuels pourraient créer ensemble un patrimoine

affecté dont le régime serait soumis aux règles du droit commun de l’indivision ou à celle de

leur convention d’indivision ; et ce dans le respect des articles L 526-6 et suivants du Code de

Commerce. D’ailleurs, le droit des successions semble aller dans le sens de l’autorisation de

cette pratique. En effet, si un EIRL décède, avant le partage de son patrimoine, ses héritiers

seront en indivision dessus, y compris sur le patrimoine affecté. Or, afin de choisir le

repreneur de ce patrimoine parmi eux, ils devront respecter les règles de l’indivision

successorale119

. Ici est donc la preuve de ce que l’indivision peut constituer un mode de

gestion du patrimoine affecté de l’EIRL. Autoriser cette possibilité permettrait à

l’entrepreneur individuel de développer son entreprise en trouvant des capitaux extérieurs. Ne

116

G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir subrogation réelle :

définit la subrogation réelle comme la fiction de droit par laquelle (dans une universalité) un bien en remplace un

autre en lui empruntant ses qualités. 117

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 46 et 47, préc. n° 89. 118

Si l’augmentation du capital social d’une SARL est soumise à un certain formalisme car elle emporte une

modification de statut pouvant seulement être votée par une assemblée générale extraordinaire, la société peut

tout de même augmenter son patrimoine en acquérant des biens. Aucun formalisme n’est alors requis pour ces

acquisitions. 119

A-L. Leroyer et J-F. Pillebout EIRL et droit des régimes matrimoniaux et des successions in EIRL :

L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 124, préc. n°305.

Page 44: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

39

pas la permettre, en revanche, cantonnerait l’EIRL à une structure réservée aux petites

entreprises sans possibilité d’évolutions contrairement aux sociétés120

.

97. L’étude de l’affectation des nouveaux actifs nous permet de conclure que le recours au

patrimoine affecté est tout aussi apte que la société à permettre l’extension économique d’une

entreprise ; si toutefois les bonnes solutions aux questions posées seront données.

B. La désaffectation des actifs du patrimoine affecté.

98. Le législateur n’a pas envisagé l’hypothèse d’un transfert d’actifs du patrimoine

affecté vers le patrimoine non affecté, soit d’une désaffectation. Dans le silence de la loi, cette

pratique serait possible121

. D’ailleurs, une interprétation à contrario de l’article L632-1. I. 11°

du Code de Commerce du Code de Commerce confirme cette idée. Cet article interdit la

désaffectation en cours de procédure collective. A contrario, cette opération est valable hors

procédure collective122

. Une telle opération serait d’ailleurs plus qu’utile pour l’EIRL qui

pourrait ainsi moduler l’étendue de ses différents patrimoines selon ses besoins de crédit.

L’affectation semble donc réversible par principe puisque ce que la volonté a fait, elle peut le

défaire. Nous pouvons alors nous demander quel serait le régime de cette désaffectation et de

quelle protection les créanciers du patrimoine affecté pourraient-ils bénéficier. Une fois

encore, la loi est muette. Toutefois, nous pouvons déduire de l’obligation d’affecter les biens

nécessaires que l’entrepreneur aura interdiction de les désaffecter sous peine de commettre un

manquement aux règles de l’affectation sanctionné par la reconstitution du droit de gage

général de ses créanciers. Par contre, concernant les biens utiles, la volonté intervenant dans

leur affectation, il semble qu’il sera possible de les désaffecter. Nous pouvons alors regretter

que le législateur n’ait pas prévu une déclaration de désaffectation et un droit d’opposition qui

auraient permis aux créanciers du patrimoine non affecté de protéger leur gage123

. Cependant,

ces créanciers pourront obtenir l’inopposabilité de la désaffectation par le biais de l’action

paulienne ainsi que la responsabilité de l’entrepreneur pour insuffisance d’actif en cas

120

Ces dernières peuvent en effet évoluer d’une part par la transformation de leur forme juridique et d’autre part

en procédant à des augmentations de leur capital social, qu’elles soient internes ou qu’elles fassent appel à des

capitaux extérieurs. 121

F. Pérochon. L’efficacité des mécanismes de prévention des risques : l’EIRL in Revue des procédures

collectives, Novembre 2010, n°6, dossier 5, préc. n° 13 : qui met en doute la possibilité de « désaffecter ». 122

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78. 123

Ibidem. − E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°34 : qui

souligne l’absence de procédure a priori des désaffectations ainsi que l’absence de règles précise similaires à

celles encadrant la réduction de capital en matière de sociétés et posant un principe d’intangibilité de ce capital.

Page 45: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

40

d’ouverture d’une procédure collective124

. Encore une fois, leurs droits sont protégés par le

droit commun a posteriori et non par un droit spécial au patrimoine d’affectation a priori.

99. Là est donc bien la preuve de ce que le recours au patrimoine d’affectation ne

constituera une avancée par rapport à l’utilisation de la technique sociétaire que si le

législateur veut bien lui donner un régime juridique complet et en accord avec sa finalité.

Cette idée pourra être confirmée concernant l’aliénation des actifs du patrimoine affecté.

§2. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté.

100. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté afin de les faire sortir définitivement du

« patrimoine général » de l’entrepreneur n’a pas été envisagée par le législateur. Il nous faut

donc envisager ces possibilités d’aliénation selon que le bien soit nécessaire ou utile (A). En

l’absence de prévisions légales, nous pourrons alors constater la carence de la protection des

créanciers de l’EIRL face à ces aliénations (B).

A. L’aliénation des biens nécessaires et utiles.

101. Malgré l’absence de prévision légales, la nature de patrimoine affecté et les règles

d’affectation peuvent nous permettre d’affirmer l’impossibilité d’aliéner seuls les biens

nécessaires mais la possibilité de le faire avec les biens simplement utiles.

102. L’aliénation des biens nécessaires serait impossible. En effet, l’article L 526-6 du

Code de Commerce ôte tout pouvoir à la volonté de l’entrepreneur dans l’affectation de ces

biens. Ainsi, s’il les aliène, à titre onéreux ou gratuit, il commettra un manquement grave aux

règles de l’affectation qui sera sanctionné par la reconstitution d’un droit de gage général des

créanciers. Toutefois, par exception, l’aliénation de ces biens pourrait être autorisée dans deux

cas de figure. D’abord dans le cas du renouvellement d’un bien. Nous pouvons considérer que

l’entrepreneur devra effectuer ce remplacement de manière à ne pas diminuer le gage des

créanciers du patrimoine affecté, c'est-à-dire de manière à garantir une valeur identique de son

patrimoine affecté afin de ne pas commettre de fraude à leurs droits. Mais, l’aliénation

pourrait également être permise en cas de changement d’activité. En effet, l’article L 528-8.

2° du Code de Commerce prévoit que la modification de l’objet de l’activité professionnelle

doit être mentionnée au registre sur lequel a été effectué le dépôt de la déclaration

d’affectation. Suite à cette modification, certains biens nécessaires pourraient devenir inutiles

ou simplement utiles et alors, l’entrepreneur pourrait les aliéner.

124

Ibidem.

Page 46: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

41

103. La volonté de l’entrepreneur ayant le pouvoir d’affecter les biens utiles, elle peut

également les désaffecter125

. En cas d’aliénation à titre onéreux, les solutions retenues

dépendraient du patrimoine dans lequel la contrepartie retournerait. Si cette contrepartie est

intégrée au patrimoine affecté, nous pourrions estimer que jouerait la subrogation réelle. La

valeur du gage de ses créanciers restant inchangée, il n’y aurait pas besoin de mesures de

publicité pour préserver leurs droits. Par contre, si la contrepartie était réintégrée au

patrimoine non affecté, il y aurait une désaffectation indirecte synonyme de réduction de

capital pour le patrimoine affecté. Il en sera de même en cas d’aliénation à titre gratuit si le

bien utile est réintégré au patrimoine non affecté. Mais, si l’aliénation à titre gratuit est faite

envers un tiers, alors le patrimoine « général » de l’entrepreneur s’en trouvera diminué. Cette

opération devrait être autorisée sous réserve de la fraude aux droits des créanciers du

patrimoine affecté. Mais, la dernière hypothèse sera plus dangereuse. En effet, si lors de

difficultés financières l’entrepreneur est déclaré responsable pour insuffisance d’actifs, le

gage des créanciers du patrimoine affecté sur le patrimoine non affecté sera moindre par

rapport à l’hypothèse où le bien utile aurait réintégré le patrimoine non affecté

104. Les règles de l’affectation nous permettent donc d’affirmer la possibilité ou

l’impossibilité d’aliéner les actifs du patrimoine affecté en fonction de leur nature. Toutefois,

elles ne permettent pas une protection accrue des droits des créanciers.

B. La carence de la protection des créanciers face aux aliénations.

105. Si les biens à aliéner sont communs ou indivis, l’entrepreneur devra respecter les

règles de pouvoir imposées par l’indivision ou son régime matrimonial afin de pouvoir

réaliser cette opération. En effet, l’accord du conjoint ou du co-indivisaire à l’affectation ne le

dispense pas de respecter les règles de pouvoirs portant sur ces biens126

. Toutefois, ces règles

protègent uniquement les personnes ayant donné leur consentement à l’affectation et non les

créanciers du patrimoine affecté. Pour ces derniers, seule une protection a posteriori par le

recours à la fraude, l’action paulienne et la responsabilité pour insuffisance d’actif peut être

mise en œuvre contre l’atteinte à leurs droits. Nous pouvons donc regretter que le législateur

n’ai pas mis en place de mécanisme de publicité de l’opération par une déclaration ainsi qu’un

125

Voir en ce sens : P. Davy. Cession isolée d’un bien immobilier d’une EIRL. Defrénois, 15 Décembre 2010, n°

21, p. 2289. 126

Par exemple, si le logement familial a été inclus dans le patrimoine affecté, son aliénation ne pourra se faire

qu’avec l’accord exprès des deux conjoints puisque l’article 215 du Code Civil les interdit de disposer l’un sans

l’autre des droits par lesquels est assuré le logement de la famille.

Page 47: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

42

droit d’opposition qui auraient permis aux créanciers de défendre leurs droits a priori et qui

aurait tempéré le caractère unilatéral de ces opérations à leur égard.

106. La mutation des actifs du patrimoine affecté, si elle doit être possible car elle est

nécessaire à la vie de l’entreprise, laisse penser que l’EIRL n’est pas spécialement protecteur

des créanciers. De tels griefs pourront également être retenus à propos de la mutation du

patrimoine affecté lui-même.

Section II. La mutation du patrimoine affecte.

107. L’entrepreneur peut le transmettre ou, au contraire, de l’abandonner. Qu’il s’agisse de

la transmission (A) ou de l’extinction (B), le législateur a établit certaines règles. Toutefois,

elles restent malgré tout lacunaires.

§1. La transmission du patrimoine affecté.

108. L’EIRL peut transmettre son patrimoine affecté conformément aux prévisions de

l’article L 526-17 du Code de Commerce. Après l’étude du régime de cette transmission (A),

nous pourrons alors constater que ce régime est très complexe. Cette complexité apparaitra

d’ailleurs particulièrement si nous étudions l’articulation de la transmission du patrimoine

affecté avec le droit des successions et des régimes matrimoniaux (B).

A. Le régime de la transmission du patrimoine affecté.

109. Le régime de la transmission du patrimoine affecté dépend de la nature de ce dernier.

Or, le patrimoine affecté de l’EIRL est une universalité juridique. Il devra donc être transmis

dans son intégralité, actif et passif inclus. C’est que ce prévoit l’article L 526-17 du Code de

Commerce qui permet de transmettre le patrimoine affecté dans son intégralité sans procéder

à sa liquidation. Il s’agit de la première fois que le transfert d’un patrimoine entre personnes

physiques est autorisé127

, contrairement au droit des sociétés où la transmission universelle est

organisée lors des fusions128

. En cas de lacunes dans le régime de la transmission du

127

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 : en effet, même en droit

des successions, le transfert du patrimoine du défunt aux héritiers n’était pas autorisé puisque la liquidation en

était organisée. 128

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 710, préc. n°1399 : sur la

transmission universelle, renvoyant sur ce sujet à R. Raffray. La transmission universelle du patrimoine des

personnes morales. Thèse de doctorat: Bordeaux, 2009, préf. F. Deboissy

Page 48: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

43

patrimoine affecté, nous pourrons donc nous référer à la transmission universelle du droit des

sociétés pour obtenir des réponses.

110. La transmission du patrimoine affecté peut être réalisée de plusieurs manières. Soit

entre vifs par cession à titre gratuit, transmission à titre onéreux ou apport à une société, soit à

cause de mort de l’entrepreneur lorsqu’un héritier ou un ayant droit manifeste son intention de

poursuivre l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté129

. La transmission

du patrimoine affecté réalisant le transfert de l’actif et du passif de ce patrimoine, le

bénéficiaire deviendra débiteur des créanciers du patrimoine affecté de l’EIRL. Cependant, la

loi prévoit que cette substitution s’opèrera sans novation130

à leur égard131

. L’absence de

novation est une conséquence de la nature du patrimoine affecté. En effet, le passif du

patrimoine affecté ne nait pas de l’entrepreneur qui le possède mais de l’exercice de l’activité

professionnelle qui le fonde. Ainsi, si nous considérons que le patrimoine est débiteur des

créanciers du patrimoine affecté, son transfert n’entraine pas un changement de débiteur

justifiant l’application du régime de la novation. Le recours au patrimoine affecté permet alors

une dérogation à l’effet relatif des contrats puisque son nouveau titulaire se trouvera obligé

par des obligations contractée par l’ancien titulaire et ce, dans les mêmes conditions132

.

Si la transmission est universelle, son régime devrait s’appliquer à l’ensemble des

biens du patrimoine affecté et exclure toute disposition spéciale relative à la transmission de

certains de ses actifs. L’article L 526-17. III alinéa 2 du Code de Commerce écarte d’ailleurs

les textes relatifs à la transmission du fonds de commerce lorsqu’elle intervient par suite de la

transmission du patrimoine affecté. Toutefois, le régime de la transmission du patrimoine

affecté prévoyant une publicité et un droit d’opposition des créanciers du cédant, la

protection spécifique organisée pour le fonds de commerce en devient inutile133

. En revanche,

le législateur n’a écarté ni le droit de la vente d’immeuble ni le droit de la cession de créance.

Si les praticiens conseillent de respecter le formalisme de la cession d’immeuble, en

129

Ces transmissions sont respectivement prévues aux articles L 536-7. I et L 526-16 du Code de Commerce. 130

G. Cornu. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris : PUF, 2000, voir novation : qui définit la

novation comme « la substitution, à une obligation que éteint, par une obligation que l’on crée nouvelle, par

changement de créancier, de débiteur, d’objet ou de cause ». 131

Article L 526-17. III. Alinéa 3. 132

E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°44 − Dubuisson, M.

Germain. L’affectation d’un patrimoine : transmission in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité

limitée. Paris : Litec, 2011 p. 77, préc. n° 56 : cette dérogation à l’effet relatif des contrats n’est pas inédite

puisqu’elle existe également en cas de fusion en droit des sociétés à l’article L 236-14 du Code de Commerce. 133

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 : malgré tout, certains

textes prévoyant l’information de l’acquéreur du fonds de commerce ou la définition du privilège du vendeur

sont écartés alors qu’ils ne se retrouvent pas dans le régime de la transmission du patrimoine affecté, ce qui

affaiblit la sécurité juridique devant entourer l’opération.

Page 49: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

44

procédant notamment à la publicité foncière134

, des doutes pèsent encore à propos de la

cession de créance. Le formalisme de l’article 1690 du Code Civil devra-t-il être respecté ? Ce

formalisme n’ayant pas à être respecté en matière de fusion de sociétés, nous pouvons estimer

qu’il en sera de même concernant la transmission du patrimoine affecté de l’EIRL135

.

La transmission universelle du patrimoine affecté aura des conséquences différentes

selon qu’elle sera transmise à une personne physique ou à une personne morale. Si la

transmission se fait à une personne physique, l’affectation sera maintenue136

. Par contre, en

cas de transmission ou d’apport à une société, elle ne le sera pas137

. Cette solution semble

logique car la création du patrimoine affecté est réservée aux personnes physiques138

. De plus,

le patrimoine sociétaire est lui-même un patrimoine affecté. Nous pourrions donc en déduire

que le patrimoine affecté de l’EIRL ne pourra intégrer celui d’une société que si l’activité

fondant l’affectation est identique. En effet, si cette activité est différente, l’utilisation des

biens du patrimoine de l’EIRL pour l’activité de la société serait violerait les règles de

l’affectation de ce patrimoine. Nous pourrions donc en déduire le principe selon lequel

« affectation sur affectation ne vaut ».

Enfin, la transmission universelle devra respecter un formalisme strict afin d’être

opposable à certains créanciers du patrimoine affecté. Qu’il s’agisse de la transmission à une

personne physique ou morale, le législateur a conditionné l’opposabilité du transfert de

propriété, à des mesures de publicité139

et à l’absence d’opposition ou au refus de l’opposition

des créanciers de l’EIRL dont la créance est antérieure à la date de publicité du transfert de

propriété ainsi qu’aux créanciers auxquels la déclaration d’affectation initiale n’est pas

opposable en cas de transfert à titre gratuit140

. Si le droit d’opposition est louable car il

protège les créanciers du cédant du changement de débiteur, peut être aurait-il été utile de le

134

Ibidem – P. Davy. Cession isolée d’un bien immobilier d’une EIRL. Defrénois, 15 Décembre 2010, n° 21, p.

2289. 135

E. Dubuisson, M. Germain. L’affectation d’un patrimoine : transmission in EIRL : L’entrepreneur individuel

à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 75, préc. n° 147 : selon une jurisprudence ancienne (Cass. civ., 7

Mars 1972, n°68-13.993 JCP 1972, II, 17270, note Y. Guyon) le formalisme de l’article 1690 du Code Civil n’a

pas à être respecté en matière de fusion pour que la cession de créance soit opposable aux tiers. Cependant, la loi

LME du 4 Août 2008 a modifié le régime de la fiducie. Dorénavant, l’article 2018-2 du Code Civil exige que

notification soit faite au débiteur pour que la cession d’une créance dans le cadre d’une fiducie lui soit

opposable. La question de l’application du formalisme de l’article 1690 du Code Civil risque donc de se poser

inévitablement en matière de transmission du patrimoine affecté d’un EIRL. 136

Article L 526-17. II alinéa 1 du Code de Commerce. 137

Article L 526-17. II alinéa 2 du Code de Commerce. 138

Article L 526-6 du Code de Commerce − R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril

2011, n°202, p. 78. 139

Il s’agit d’une déclaration de transfert au registre auquel a été effectuée la déclaration initiale pour la

transmission à une personne physique et d’un avis pour le transfert à une personne morale. 140

Article L 526-17. III alinéa 4 du Code de Commerce.

Page 50: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

45

prévoir également au bénéfice des créanciers du cessionnaire141

. En cas de transfert à titre

onéreux, le patrimoine non affecté du cessionnaire sera diminué sans que ses créanciers ne

puissent recourir contre le patrimoine affecté. Leurs droits seront donc susceptibles d’être

fraudés.

111. Le régime de la transmission du patrimoine affecté est donc complexe. Cette

complexité va d’ailleurs s’accroitre lorsque le régime de la transmission du patrimoine affecté

devra être articulé avec le droit des successions et des régimes matrimoniaux.

B. L’articulation du régime de la transmission du patrimoine affecté avec le

droit des successions et le droit des régimes matrimoniaux.

112. En droit des régimes matrimoniaux, nous pouvons nous demander s’il serait possible

de qualifier le patrimoine affecté de bien propre ou bien commun. Selon la solution retenue, le

pouvoir de l’EIRL pour transmettre ce patrimoine serait différent. Si le patrimoine est qualifié

de propre, il pourra l’aliéner seul alors que s’il est qualifié de commun, il lui faudra l’accord

du conjoint en vertu de l’article 1424 du Code Civil. Or, un patrimoine affecté crée hors

mariage mais utilisé lors du mariage ou auquel aurait été affecté par la suite des biens

communs ainsi qu’un patrimoine affecté crée lors du mariage mais seulement avec des biens

propres constituera-il un bien commun ? De nombreuses questions pèsent encore face à ce

problème142

auquel la notion de patrimoine d’affectation ne peut apporter de réponses.

113. De même concernant l’articulation avec le droit des successions, les règles établies par

le législateur laissent encore de nombreuses ombres planer sur la reprise de l’activité par un

héritier. L’article L 526-16 du Code de Commerce permet à un héritier ou un ayant droit de

reprendre l’activité professionnelle sous réserve du respect des dispositions successorales.

L’EIRL a donc un pouvoir sur l’avenir de son patrimoine affecté. Il peut en interdire la reprise

ou imposer un repreneur. Mais surtout, trois points vont particulièrement poser problème143

.

D’abord, que faudra décider si deux repreneurs se manifestent ? Faudra-t-il faire jouer le prix

de la course ? La loi n’a rien prévu. Ensuite, le délai de trois mois reprise posera problème. Ce

délai est plus court que celui d’option successorale de quatre mois. La reprise du patrimoine

affecté sera-t-elle synonyme d’acceptation de la succession ou faut-il considérer qu’elle se fait

141

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78. 142

Voir sur ces questions : E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires,

2010, n° 50 − R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78 – A-M.

Leroyer, J-F. Pillebout. EIRL et droit des régimes matrimoniaux et des successions in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 113 et suivantes. 143

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78.

Page 51: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

46

hors succession144

? Enfin, il se peut que l’attribution du patrimoine affecté oblige le

repreneur à verser une soulte à ses cohéritiers. A cette fin, il sera possible de partager et de

vendre certains biens affectés145

. Cette possibilité semble contraire à la nature de patrimoine

d’affectation. De plus, nous pouvons nous poser la question de savoir s’il faudra partager par

priorité les biens simplement utiles et s’il sera possible de partager ceux nécessaires.

114. La transmission du patrimoine affecté laisse donc de nombreuses questions en

suspens. Or, la nature de patrimoine affecté ne permet pas d’y apporter des réponses sûres.

Ainsi, il apparait plus sécurisant pour les créanciers mais également pour les entrepreneurs de

recourir à l’EURL en matière de transmission d’entreprises. D’ailleurs, des problèmes

similaires se poseront concernant l’extinction du patrimoine affecté.

§2. L’extinction du patrimoine affecté.

115. L’extinction du patrimoine affecté peut se produire de deux manières. Soit par le décès

de l’entrepreneur sans reprise du patrimoine affecté (A), soit par renonciation à l’affectation

(B). Il s’agit d’étudier ces deux modalités d’extinction du patrimoine affecté pour démontrer

une nouvelle fois que cette nature ne peut permettre de combler les lacunes de leur régime.

A. L’extinction par décès de l’entrepreneur individuel.

116. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit que la déclaration d’affectation

cesse de produire ses effets lors du décès de l’EIRL. Les créanciers du patrimoine affecté et

ceux du patrimoine non affecté garderont alors le gage qui était le leur au moment du décès.

Cette règle est louable car elle est respectueuse de la nature affectée du patrimoine de l’EIRL

et qu’elle lui permet de tenir ses promesses de protection. Après son décès, le patrimoine non

affecté du de cujus ne pourra pas être atteint, ce qui permettra de ne pas faire peser sur lui ou

le patrimoine de ses héritiers ses éventuelles déconvenues professionnelles. Le législateur a

donc fait produire au patrimoine affecté toutes ses conséquences en prévoyant une

« succession aux biens » et non plus à la personne. Toutefois, une question importante reste

en suspens : celle du moment où la cessation des effets de la déclaration d’affectation sera

opposable aux tiers146

. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit une publicité du

décès par sa mention au registre auquel la déclaration d’affectation avait été effectuée. Or,

144

Ibidem − E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires, 2010, n° 50. 145

Article L 526-16 alinéa 2 du Code de Commerce. 146

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 60, préc. n°s108et109.

Page 52: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

47

nous pouvons nous demander si la cessation des effets de la déclaration se fera au jour du

décès ou au jour de cette mention. Au vu de la formulation de l’alinéa 1 du même article, nous

pourrions pencher pour la première solution car cet article vise le décès, pas sa mention.

117. L’extinction du patrimoine affecté par décès de l’EIRL pose peu de problèmes. De

plus, au contraire du droit des sociétés147

, sans volonté de reprise de la part des héritiers ou

ayants-droit de l’EIRL, l’affectation s’éteindra. Cette solution est un avantage du recours au

patrimoine. Les descendants de l’EIRL n’auront plus à subir la continuation de l’activité

professionnelle ou ses déconvenues une fois l’EIRL décédé s’ils ne le désirent pas. Par contre,

l’extinction du patrimoine affecté par renonciation à l’affectation posera plus de problèmes.

B. L’extinction par la renonciation à l’affectation.

118. L’article L 526-15 du Code de Commerce prévoit que l’affectation cesse de produire

ses effets lorsque l’EIRL y renonce. Cependant, la loi ne précise pas à quel moment la

cessation d’effets se produira : soit au moment de la renonciation, soit au moment où les tiers

en auront connaissance148

. La renonciation étant unilatérale, il semble logique de retenir la

seconde solution qui sera plus protectrice des intérêts des créanciers. A la suite de cette

renonciation, l’entrepreneur perdra le bénéfice du dispositif de l’EIRL. S’il continue son

activité, il engagera alors l’ensemble de son patrimoine reconstitué. Par contre, si

l’entrepreneur cesse cette activité, les créanciers conserveront pour gage celui qu’ils avaient

au moment de la renonciation. Cependant, la question de la possibilité pour les créanciers du

patrimoine affecté de demander sa liquidation reste posée car, contrairement à ce que prévoit

l’article L 526-17 du Code de Commerce, en cas de renonciation à l’affectation, rien n’interdit

expressément cette liquidation. De plus, l’absence de liquidation serait dangereuse car elle

pourrait conduire à exposer l’entrepreneur sur son patrimoine privé149

.

119. Conclusion du chapitre. Des questions quant au régime des différentes mutations du

patrimoine affecté restent encore posées. Or, la notion d’affectation ne peut permettre d’y

147

L’article L 223-41 du Code de Commerce dispose que : « la société à responsabilité limitée n'est pas non plus

dissoute par le décès d'un associé, sauf stipulation contraire des statuts ».Les héritiers ou ayants droits d’un

associé devenant eux-mêmes associés de la SARL ou de l’EURL à son décès, ils n’ont d’autre choix que de subir

les conséquences de l’activité professionnelle de cet associé. 148

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 58 et 59, préc. n°s105à107 : sur la renonciation à

l’affectation. 149

E. Dubuisson. EIRL et particularités de transmission. Revue Lamy droit des affaires, 2010, n° 50 : cet auteur

nous fait remarquer que « lorsque la désagrégation de l’universalité procède du désordre des affaires de

l’entrepreneur, la reconsolidation du gage unique a lieu aussi sans liquidation ; est-il normal de soumettre au

même régime l’EIRL qui renonce et l’EIRL qui fraude ? ».

Page 53: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

48

répondre totalement. En effet, certaines règles, notamment de protection des créanciers, ne

découlent pas du patrimoine d’affectation mais du régime que le législateur lui donne,

question qui relève alors de la politique juridique.

120. Conclusion du Titre. Les particularités de la gestion du patrimoine affecté nous

permettent d’affirmer que le recours au patrimoine, tel que consacré par la loi du 15 Juin

2010, n’apparait pas comme une avancée pour les entrepreneurs individuels. Certes, le recours

à cette technique pourrait permettre certaines progressions théoriques à propos de notre

conception de la personnalité morale ou de la représentation. Toutefois, le régime du

patrimoine affecté est trop lacunaire pour être utilisé en toute sécurité. Et, le recours à

l’affectation ne peut combler toutes ces lacunes. En effet, le patrimoine affecté peut être

utilisé dans plusieurs buts. Son régime doit donc être adapté à sa finalité. Ici est la preuve de

ce que ce que le « patrimoine d’affectation » n’a pas un mais des régimes qui diffèreront selon

sa finalité. La détermination de ces régimes ne peut relever que de l’action du législateur

même s’il sera obligé de tirer certaines conséquences communes de l’affectation.

121. Conclusion de la partie. A l’issue de cette première partie, nous pouvons dresser un

bilan décevant de l’EIRL. Dans l’organisation du patrimoine affecté, le recours à la notion de

patrimoine d’affectation n’a pas permis d’éviter le formalisme lors de sa constitution et y a

même posé certaines contraintes dans la liberté d’affecter. De plus, les incertitudes sur les

contreparties à l’affectation nous amènent à penser que le dispositif de l’EIRL sera

particulièrement dangereux pour l’entrepreneur peu diligent dans le prélèvement de revenus et

de bénéfices sur son patrimoine affecté. En effet, ce dernier s’exposera à de nombreuses

sanctions qui anéantiront l’ensemble des bénéfices du dispositif mis en place. Enfin, si les

particularités du mode de gestion du patrimoine affecté permettront certaines avancées

théoriques, les particularités de ses mutations feront de l’EIRL un dispositif relativement

insécurisant pour les entrepreneurs. Le bilan est donc négatif. Nous pouvons alors nous

demander si un tel bilan peut également être dressé concernant la finalité du dispositif : la

limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Page 54: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

49

PARTIE II : PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION

DE RESPONSABILITE.

122. L’EIRL a pour finalité de permettre la limitation de la responsabilité des entrepreneurs

individuels. Mais le terme « limitation de responsabilité » possède plusieurs acceptions150

. Il

peut désigner une limitation du gage des créanciers ou, au contraire, signifier l’abolition totale

de la responsabilité personnelle hors du gage réservé. Qu’en est-il du dispositif mis en place

par la loi du 15 Juin 2010 ? La certitude est qu’il permet de limiter le risque d’entreprise

(Titre I). Le législateur a organisé une réelle séparation des gages des différents créanciers de

l’entrepreneur individuel. Toutefois, l’étude du droit des entreprises en difficultés nous

amènera à nous interroger sur le maintien d’une responsabilité personnelle de l’EIRL sur son

patrimoine non affecté pour ses fautes de gestion.

TITRE I. LA LIMITATION DU RISQUE D’ENTREPRISE.

123. L’EIRL permet une limitation du risque d’entreprise. En effet, le législateur a mis en

place une stricte détermination des gages des différents créanciers de l’entrepreneur individuel

lorsque le patrimoine affecté est in bonis (Chapitre I). Toutefois, pour que cette limitation soit

efficace, la séparation patrimoniale devra être maintenue lors de l’apparition de difficultés

financières (Chapitre II). Or, c’est ce que le législateur a tenté de mettre en place.

CHAPITRE I. LA STRICTE DETERMINATION DU GAGE DES

CREANCIERS EN PRESENCE D’UN PATRIMOINE AFFECTE IN BONIS

124. La limitation du risque d’entreprise suppose que les créanciers dont les dettes sont

nées d’une activité professionnelle aient pour seul gage les biens utilisés pour cette activité. Il

faut donc que les gages des créanciers soient strictement séparés durant l’exercice de l’activité

professionnelle. C’est ce à quoi le législateur a tenté de parvenir en établissant des règles

150

F. Terre. Préambule in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 9,

préc. n°15 : pour qui l’usage du mot responsabilité est trompeur car il est entendu par référence aux sous-

ensemble servant de garantie aux créanciers de l’EIRL et non comme une référence à la responsabilité de droit

civile telle que définie par l’article 1832 du Code Civil.

Page 55: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

50

instituant une stricte séparation des gages des différents créanciers (Section I) et une

protection contre les abus dans la détermination de ces gages (Section II).

Section I. Une stricte séparation des gages des différents créanciers.

125. Le législateur a tenté de mettre en œuvre une stricte séparation des gages des différents

créanciers en établissent des règles précises de détermination des gages (§1). Toutefois, il a

occulté un problème important : celui des sûretés entre les différents patrimoines de l’EIRL.

Mais, la nature du patrimoine affecté semble induire leur impossibilité (§2).

§1. La détermination des gages des différents créanciers.

126. Avant d’envisager les règles légales de séparation des gages mises en place (B), il

nous faut rechercher ce qui a permis de les établir. En effet, il semble que ce soit la nature

d’universalité juridique du patrimoine de l’EIRL (A).

A. L’influence de la nature d’universalité juridique de l’EIRL sur la

séparation des gages.

127. La déclaration d’affectation permet de créer un patrimoine affecté par dérogation aux

textes fondant le droit de gage général des créanciers151

. S’il est vrai que la limitation de

responsabilité de l’entrepreneur individuel est la conséquence de la double dérogation à ces

textes152

, il est intéressant de rechercher pourquoi une telle règle a pu être mise en place.

128. En matière de société unipersonnelle, la limitation de responsabilité est censée

découler de la création d’une nouvelle personne juridique. En l’absence de création d’une

personne morale153

, comment une telle séparation des gages est-elle possible ? Le caractère

affecté du patrimoine de l’EIRL n’est pas à même d’en être la cause. Les biens affectés ne

peuvent servir qu’à honorer les dettes issues de l’activité professionnelle ayant donné lieu à

l’affectation mais rien n’interdit les créanciers correspondants de saisir le patrimoine non

affecté qui conserve sa vocation de gage général de l’ensemble des créanciers. Il semble alors

151

A savoir les articles 2284 et 2285 du Code Civil. 152

E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979 : « Les créanciers auxquels la

déclaration d’affectation est opposable et dont les dettes sont nées à l’occasion de l’exercice de l’activité

professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour gage général le patrimoine affecté ; les autres

créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable ont pour seul gage général le patrimoine non

affecté ». 153

Article L 526-6 du Code de Commerce : « Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité

professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ».

Page 56: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

51

que ce soit la nature d’universalité juridique qui permette de justifier cette stricte séparation

des gages. En effet, la caractéristique d’une universalité juridique est que ses éléments actifs

et passifs sont indissociables. Ainsi, les dettes composant le passif ne peuvent être exécutées

que sur les actifs. Alors, l’universalité juridique dont le patrimoine affecté est constitutif va

acquérir une certaine autonomie au sein du patrimoine général dans lequel il se trouve. Les

créanciers de ce patrimoine affecté ne peuvent donc plus avoir comme gage que les actifs le

composant et perdent semble-t-il tout droit sur le patrimoine non affecté de l’entrepreneur.

129. Mais, le législateur a-t-il tiré toutes les conséquences légales de cette nature ? A-t-il

vraiment mis en place cette séparation des gages ?

B. Les conséquences légales sur la séparation des gages.

130. La séparation des gages des créanciers est inscrite à l’article L 526-12 alinéa 6 du

Code de Commerce154

. Toutefois elle est conditionnée à l’opposabilité de la déclaration

d’affectation. Or, cette déclaration est un acte juridique unilatéral où n’interviennent pas les

créanciers de l’entrepreneur155

. C’est pourquoi, afin que leur gage général ne puisse être limité

sans qu’ils puissent s’en défendre le législateur a accordé à certains d’entre eux un droit

d’opposition. Si l’affectation est opposable aux créanciers dont les droits sont nés

postérieurement au dépôt de la déclaration, car ils ont contracté en connaissant la limitation de

leur gage, elle n’est opposable aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à son

dépôt qu’à la condition que l’entrepreneur le mentionne dans la déclaration d’affectation et les

en informe. Mais, cette information est insuffisante en raison du caractère unilatéral de la

déclaration d’affectation. La loi leur accorde donc un droit d’opposition. Si cette opposition

est admise par décision de justice ou que l’entrepreneur individuel ne respecte pas les

conditions de son refus156

, le patrimoine affecté sera crée mais l’affectation sera inopposable

aux créanciers concernés. Ces derniers garderont comme gage général le patrimoine général

de l’entrepreneur. Par contre, en cas de rejet de l’opposition, les droits des créanciers

antérieurs étant estimés préservés malgré l’affectation, la séparation des gages s’imposera à

154

Article L 526-12 alinéa 6 du Code de Commerce : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code Civil,

1° Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de

l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour seul gage général le

patrimoine affecté ; 2° Les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général le

patrimoine non affecté ». 155

L. Leveneur. L’EIRL ou le triomphe paradoxal de la limitation de responsabilité par voie unilatérale ! in

Revue des procédures collectives, Juillet 2010, n° 4, alerte 21. 156

Article L 526-12 du Code de Commerce.

Page 57: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

52

eux. Ces solutions sont cohérentes car elles permettent d’assurer un équilibre entre la création

unilatérale d’une séparation de gages et la protection des droits des créanciers concernés.

131. Toutefois certaines règles du régime de l’EIRL risquent de mettre en péril ce fragile

équilibre car elles tendent à remettre en question l’étanchéité de la séparation des patrimoines

en cas d’abus dans leur mise en œuvre. Il s’agit d’abord de la possibilité pour l’entrepreneur

de déterminer les revenus de son patrimoine affecté qu’il versera dans son patrimoine non

affecté157

. Ces revenus semblent correspondre à la rémunération de l’entrepreneur en tant que

gérant de son patrimoine affecté158

. Mais, comme il les détermine lui-même, il sera

susceptible de commettre des abus quant à leur montant. Or, en l’absence de difficultés

financières, il semble peu probable que ces abus soient réprimés car les créanciers dont les

dettes son honorées ne s’y intéresseront pas. Alors, l’étanchéité des patrimoines risque d’être

mise à mal sans que cela ne soit sanctionné. Ensuite, il s’agit de la possibilité pour les

créanciers du patrimoine non affecté d’exercer leur droit de gage sur les bénéfices du dernier

exercice clos du patrimoine affecté en cas d’insuffisance du patrimoine non affecté159

.

L’ « insuffisance du patrimoine non affecté » fera débat entre les créanciers du patrimoine non

affecté et ceux du patrimoine affecté. Comme il s’agit d’une question de fait, il faut espérer

que les tribunaux en auront une appréciation similaire pour plus de sécurité juridique. Mais,

surtout, cette hypothèse permet dès lors de démontrer qu’on ne limite pas la responsabilité de

l’entrepreneur mais uniquement le droit de gage de ses créanciers.

132. Les règles mises en place permettent donc d’assurer une réelle séparation des gages,

donc limitation de responsabilité quand le patrimoine affecté est in bonis. Toutefois, le

législateur omis d’envisager le problème de la prise de sûretés entre les différents patrimoines.

§2. L’impossibilité de consentir des sûretés entre les différents patrimoines de

l’entrepreneur individuel.

133. La question des sûretés entre patrimoines ainsi que celle de renonciation partielle à la

déclaration d’insaisissabilité au bénéfice de certains créanciers avaient ôté une grande part de

leur intérêt à l’EURL, le gérant devant la plupart du temps garantir le crédit octroyé à la

société par son patrimoine personnel, et à la déclaration d’insaisissabilité, le constituant y

renonçant au profit de certains créanciers dès que le besoin de crédit se faisait trop pressant.

157

Article L 526-18 du Code de Commerce. 158

Cf. supra n° 63 159

Article L 526-12 dernier alinéa du Code de Commerce.

Page 58: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

53

En l’absence de législation sur ces questions (A), nous pourrions penser que l’EIRL sera

victime des mêmes travers. Toutefois, le caractère affecté du patrimoine semble permettre

d’interdire une extension des gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation (B).

A. L’absence de prévisions légales.

134. Le rapport Champaud préconisait que toute garantie donnée en faveur des dettes de

l’entreprise sur les biens non affectés soit déclarée nulle et sans effet160

, en contrepartie de

quoi serait mis en place un système assurantiel. La loi du 15 Juin 2010 ne prévoit rien de tel.

Toutefois, la question n’a pas été éludée puisqu’a été proposé le recours à des organismes de

garantie pour lutter contre la prise de garanties et de sûretés conventionnelles161

. Ainsi, nous

pouvons déduire de l’article L 313-21 du Code Monétaire et Financier le fait que le législateur

ne soit pas favorable à la prise de sûretés entre patrimoines affecté et non-affecté puisqu’il

privilégie le recours à ces organismes162

, tels Oséo. De même, il semble peu probable que le

législateur ait été favorable à la possibilité de renonciation partielle à l’affectation au profit de

certains créanciers puisque cela ruinerait la règle de séparation des gages établie.

135. Malgré l’absence d’interdiction légale, il semble que ni la constitution de sûretés ni la

renonciation partielle à l’affectation ne soit possible pour étendre le gage de certains

créanciers et ce, notamment à cause de la nature du patrimoine de l’EIRL.

B. La nature du patrimoine affecté de l’EIRL contraire à une extension des

gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation.

136. La renonciation partielle à l’affectation au profit d’un créancier particulier n’est pas

interdite. Mais, nous savons qu’elle est permise en matière de déclaration d’insaisissabilité, ce

qui altère considérablement l’utilité du dispositif mais est nécessaire pour l’obtention de

crédit. Faut-il alors l’admettre au risque d’altérer la limitation de responsabilité organisée par

l’EIRL ? Pour une partie des auteurs, les textes relatifs à l’EIRL constituent un ordre public

économique163

, ce qui irait dans le sens d’une prohibition de ces renonciations. Toutefois, un

160

C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier

l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579, préc. n° 30 et 64. 161

A-M Leroyer. Entrepreneur individuel à responsabilité limitée in RTD civ., 2010, p. 632. 162

Article L 313-21 du Code Monétaire et Financier : « l’établissement de crédit doit informer l’entrepreneur

individuel de la possibilité de prendre une sûreté sur ses biens professionnels ou de solliciter une garantie

auprès d’un autre établissement de crédit, d’une assurance habilitée à pratiquer des opérations de caution ou

après d’une société de caution mutuelle » 163

S. Piedelièvre. Recouvrement des créances et patrimoine d’affectation in Revue de droit bancaire et

financiers, 2010, n°5, comm. 185.

Page 59: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

54

établissement de crédit pourrait prévoir une condition résolutoire dans la convention de crédit

qui en permettrait la résolution en cas de création d’un patrimoine affecté.

137. Quant aux sûretés conventionnelles entre les patrimoines, certains invoquent l’idée

selon laquelle la règle de répartition des passifs164

fait partie d’un ordre public de protection

de l’EIRL interdisant l’extension du droit de gage des créanciers professionnels au patrimoine

non affecté par convention165

. Pour d’autres166

, l’interdiction spécifique du cautionnement

entre les patrimoines provient de l’article 2288 du Code Civil167

qui induirait que le débiteur

principal et la caution doivent être des personnes distinctes et duquel la jurisprudence aurait

déduit que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la

même obligation comme caution168

». Si ces idées paraissent justes, il nous semble que

l’interdiction de l’extension conventionnelle des gages peut simplement se justifier par la

nature du patrimoine affecté de l’EIRL. D’abord l’affectation interdit d’utiliser les biens

affectés à une autre fin que l’activité professionnelle à la source de l’affectation. Ainsi,

l’entrepreneur ne pourra ni cautionner le patrimoine non affecté grâce à eux, ni même prendre

une sûreté réelle dessus pour garantir une dette ressortant du patrimoine non affecté car cela

constituerait une violation de l’affectation169

. Quant a son conjoint il semble qu’il ne puisse

pas non plus engager les biens communs affectés car, ayant donné son accord à l’affectation,

il se doit de la respecter. Ensuite, la nature d’universalité juridique a induit des règles précises

de séparation des gages que l’entrepreneur est tenu de respecter. Ainsi, il ne pourra pas

cautionner son patrimoine affecté avec son patrimoine non affecté car ce dernier ne doit

supporter que des dettes non professionnelles. Quant à la sûreté réelle prise sur le patrimoine

non affecté pour garantir le patrimoine affecté, la question se pose de savoir si le droit réel

qu’elle donne sur le bien le fait entrer dans le patrimoine affecté. Dans l’affirmative, cette

sûreté serait permise car le bien intégrerait le patrimoine supportant les dettes

professionnelles. Mais, il en est autrement puisqu’en cas de réalisation du bien, son prix

restera dans le patrimoine non affecté par le jeu de la subrogation réelle. Il devra donc en

principe être réservé aux créanciers non professionnels. Enfin, des problèmes particuliers se

164

Article L 526-12 du Code de Commerce. 165

A-M Leroyer. Entrepreneur individuel à responsabilité limitée in RTD civ., 2010, p. 632. 166

S. Schiller. Quelle perméabilité contractuelle entre le patrimoine affecté et le patrimoine non affecté ? in Droit

et patrimoine, Avril 2010, n°191, p. 88 et 89. − S. Piedelièvre. Recouvrement des créances et patrimoine

d’affectation in Revue de droit bancaire et financiers, 2010, n°5, comm. 185. 167

Article 2288 du Code Civil : « Celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à

satisfaire cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ». 168

Cass. com., 28 Avril 1964, Bull. Civ. III, n° 215 ; RTD civ. 1965, p. 116, obs. J. Chevallier. 169

F. Roussel. EIRL et droit du crédit et des sûretés. Le financement in EIRL : L’entrepreneur individuel à

responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 110, préc. n°260.

Page 60: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

55

poseront quant à la prise de garantie sur les biens communs non affectés. Pour que la sûreté

réelle ou que le cautionnement puisse porter sur ces biens, les articles 1422 et 1415 du Code

Civil exigent l’accord des deux époux. Donc, même si le conjoint donne son accord,

l’entrepreneur lui-même ne pourra le faire car il violerait les règles de l’affectation pour les

raisons sus-énoncées. Le conjoint de l’EIRL ne pourra donc engager que ses propres pour

garantir le patrimoine affecté170

. L’impossibilité de consentir des sûretés entre patrimoines et

de renoncer partiellement à l’affectation font alors ressortir une des faiblesses majeures du

recours au patrimoine d’affectation : la difficulté à trouver du crédit.

138. La stricte séparation des gages des différents créanciers de l’EIRL est correctement

assurée par les dispositions légales et par la nature d’universalité juridique affectée de son

patrimoine. Toutefois, cette séparation des gages étant décidée unilatéralement, le législateur

a prévu une protection des créanciers contre les abus dans sa détermination.

Section II. La protection des créanciers contre les abus dans la détermination de

leurs gages.

139. Le législateur a certes permis à un entrepreneur de limiter le gage de ses créanciers

professionnels de manière unilatérale mais sans autoriser de comportements abusifs. Malgré

cela, la protection mise en œuvre contre les abus dans la détermination des gages semble

restreinte (§1). Ces derniers devront alors recourir au droit commun pour l’accentuer (§2).

§1. La protection légale restreinte.

140. Le législateur a prévu des sanctions aux comportements abusifs dans la mise en place

de l’affectation consistant, même si leurs modalités sont différentes, en des décloisonnements

des gages respectifs des créanciers (A). Cependant, cette protection légale semble insuffisante

au regard de ce qui existe en matière de sociétés, notamment unipersonnelles (B).

A. Les hypothèses de décloisonnement des gages.

141. Le législateur a posé des limites d’intensité différente au cloisonnement patrimonial en

organisant des hypothèses de décloisonnements absolus mais aussi relatifs.171

170

F. Macorig-Venier. Observations sur l’EIRL et les sûretés in Bulletin Joly Sociétés, 1er

Mars 2011, n°3, p.

253. 171

E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979 : sur l’organisation de la

partition patrimoniale.

Page 61: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

56

142. Le dispositif de l’EIRL est une dérogation au principe du droit de gage général. La

reconstitution de ce droit de gage semble donc être la sanction naturelle du comportement de

l’entrepreneur qui tenterait d’en détourner la finalité ou n’en respecterait le fonctionnement.

C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article L 526-12 du Code de Commerce172

. Outre les

manœuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée des obligations résultant de la

législation fiscale ou sociale qui entrainent la reconstitution du gage général au profit des

créanciers fiscaux et sociaux, le législateur a sanctionné de décloisonnement absolu les

comportements de l’entrepreneur qui tendraient à ne pas respecter les règles de séparation des

gages. Quant à la fraude, le législateur n’en a pas précisé les contours. On songe alors

spontanément à la fraude paulienne car il est question de lutter contre les « abus d’affectation

patrimoniale » comme il existe des « abus de personnalité morale » en droit des sociétés173

.

Elle permettrait de sanctionner la constitution d’un patrimoine affecté dans l’unique but de

soustraire certains biens aux poursuites des créanciers privés. Mais, la sanction de la fraude se

distingue de celle de l’action paulienne puisqu’elle bénéficie à l’ensemble des créanciers. Il en

sera de même de la sanction des manquements graves aux règles de l’affectation ruinant

l’économie du système de séparation des gages et des manquements graves aux obligations

comptables de l’EIRL entrainant une confusion comptable entre les différents patrimoines.

143. A côté des décloisonnements absolus le législateur a crée plusieurs hypothèses de

décloisonnement relatif. Il s’agit de rendre l’affectation partiellement inopposable en ce que

l’inopposabilité ne concernera que certains biens. Il en sera ainsi en cas d’affectation d’un

bien indivis ou commun sans l’accord du co-indivisaire ou du conjoint, d’affectation d’un

immeuble sans respect des règles de publicité et de non respect des règles d’évaluation de

certains actifs174

. La relativité du décloisonnement peut alors s’expliquer par le fait que ces

règles ne soient pas des règles essentielles de constitution du patrimoine affecté.

144. Le législateur a donc tenté de limiter les abus dans l’utilisation du patrimoine affecté

en prévoyant des hypothèses de reconstitution du gage général comme sanction. Toutefois, en

comparaison avec le droit des sociétés, cette protection semble insuffisante.

172

Article L 526-12 du Code de Commerce : « l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable

sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas de manquement grave aux règles prévues au

deuxième alinéa de l’article L 526-6 ou aux obligations prévues à l’article L 526-13 ». 173

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 93, préc. n°167 : sur l’abus de la

personnalité morale et le droit privé. 174

Ces sanctions résultent respectivement des articles L 526-11, L 526-9 et L 526-10 du Code de Commerce.

Page 62: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

57

B. L’insuffisance de la protection légale.

145. Malgré ces mesures, l’EIRL semble être plus libre dans la gestion de son entreprise

que s’il avait crée une société unipersonnelle175

. Ne constituant pas une nouvelle personne

juridique, nous ne pouvons pas lui appliquer les sanctions pénales de l’article L 241-3 du

Code de Commerce relatif aux abus de biens sociaux ; sanctions qui s’appliquent pourtant

largement aux gérants d’EURL. De plus, aucune règle de contrôle de la gestion des

patrimoines n’est établie sauf hypothèse de la fraude. Or, si nous comparons l’EIRL avec le

dispositif équivalent de droit québécois qu’est la fiducie, nous constatons que le législateur a

pêché. Si le constituant est fiduciaire, il doit désigner un second fiduciaire ce qui est un

avantage puisque le contrôle est plus facile en présence de deux personnes. L’administration

de la fiducie est surveillée par le constituant, le bénéficiaire et les personnes désignées par la

loi si elle est d’utilité privée. Enfin, constituant, fiduciaire et bénéficiaire sont solidairement

responsables des actes faits en fraude des droits des créanciers et du patrimoine fiduciaire. Par

conséquent, en droit québécois, l’avantage est que la fiducie fait intervenir plusieurs

personnes ce qui facilite le contrôle de sa gestion. Cela fait apparaître un travers de la nature

particulière de patrimoine d’affectation reconnue à l’EIRL qui, en imposant l’unicité de

personne dans la gestion du patrimoine affecté, en entrave considérablement le contrôle.

146. Pour certains créanciers de l’EIRL, la protection de leur droit de gage pourra donc

sembler insuffisante. Toutefois, ils pourraient recourir aux droits communs pour l’accentuer.

§2. Le recours aux droits communs pour accentuer la protection des gages.

147. A défaut de disposer de moyens spécifiques au régime de l’EIRL pour protéger la

séparation, l’étendue, le contenu et la valeur de leurs gages, les créanciers peuvent tenter de

recourir aux droits communs. Si le recours au droit pénal semble difficile (A), l’action

paulienne, elle, apparait comme un instrument de protection civile plus qu’efficace (B).

A. Le difficile recours au droit pénal.

148. S’il n’existe pas de droit pénal spécial à destination de l’EIRL176

, ce dernier encourt

tout de même les sanctions du droit pénal général durant sa constitution et son

175

E. Dinh. L’EIRL, un hybride en droit français in JCP E 2010, n° 46, p.1979, préc. n°30 : qui évoque « le

desserrement des règles de police de la séparation des patrimoines». 176

J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,

2011 p. 189, préc. n°442 : Selon l’auteur, il existe plusieurs raisons à l’absence de protection pénale de la

séparation des gages. D’abord la tendance législative selon laquelle il faut dépénaliser le droit des affaires.

Page 63: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

58

fonctionnement. Alors, si pendant ces périodes l’EURL est susceptible de commettre les délits

de surévaluation des apports, non-libération des apports ainsi que de distribution de

dividendes fictifs, présentation de comptes infidèles et abus de biens sociaux177

, l’EIRL, lui,

pourrait être poursuivi pour faux et escroquerie. Les registres sur lesquels sont consignées la

déclaration d’affectation, l’affectation des immeubles ou la certification de valeur de certains

biens sont, au sens de l’article 441-1 du Code Pénal réprimant le faux en écriture, des actes

« qui ont pour objet (…) d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences

juridiques » ; en l’occurrence la limitation de responsabilité de l’entrepreneur. Si les

déclarations portées sur ces registres sont mensongères, elles seront constitutives du délit de

faux en écriture. Leur utilisation consommera le délit d’usage de faux. Concernant

l’escroquerie, son application est plus délicate. Selon l’article L 313-1 du Code de Commerce,

ce délit nécessite une manœuvre tendant à capter frauduleusement le consentement d’une

personne pour qu’elle remette des fonds, valeurs ou un bien quelconque, qu’elle fournisse un

service ou qu’elle consente à un acte opérant obligation ou décharge. Il s’agirait donc de

tromper un banquier pour obtenir un crédit. Or, selon la jurisprudence, un écrit ne constitue

pas à lui seul une manœuvre178

; le document utilisé doit receler une crédibilité renforcée par

la confiance qu’il inspire à une personne raisonnable179

. Cela est le cas d’un bilan ou de la

production d’un des registres visés à l’article L 526-7 du Code de Commerce. La production

de tels documents pourrait donc être constitutive d’escroquerie. Cette infraction pourrait

remplacer l’abus de biens sociaux dans une hypothèse : l’EIRL est régulièrement constitué

mais uniquement pour inspirer la confiance des tiers de détourner les biens affectés, à l’instar

de la constitution d’une société fictive. Toutefois, la difficulté sera de démontrer qu’il

s’agissait d’un projet délictueux depuis l’origine180

.

149. Le recours au droit pénal général permet de pallier l’absence de protection spéciale de

la séparation des gages. Mais, les créanciers pourront également utiliser le droit commun des

obligations, et notamment l’action paulienne, pour protéger la séparation de leurs gages.

Ensuite car la sanction de l’extension des gages des créanciers à la totalité du patrimoine serait suffisamment

efficace et parce que les notions de « fraude » et de « manquement grave » sur lesquelles elle est fondée sont

plus vagues donc plus efficaces qu’une incrimination pénale qui se doit de définir précisément la faute. 177

Ces délits sont respectivement prévus par les articles L 241-3.1°, L 241-1, L 241-3.2°, L 241-3. 3° et L 241-3.

4° et 5° du Code de Commerce. 178

Cass. Crim, 11 Février 1976, n° 75-91.806 ; Recueil Dalloz.1976, jurispr. p. 295, Rapp. B. Dauvergne. 179

P. Conte. Droit pénal spécial. Paris : Litec, 2007, p. 332, préc. n° 569. 180

J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,

2011 p. 192, préc. n°452.

Page 64: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

59

B. La protection civile par le recours à l’action paulienne.

150. Les créanciers de l’EIRL ont la possibilité de demander la reconstitution du gage

général en cas de fraude de l’entrepreneur181

. Nous pouvons donc nous demander quel serait

pour eux l’intérêt d’utiliser la fraude paulienne du droit commun.

151. D’abord, certains auteurs semblent considérer que la sanction de la fraude visée à

l’article L 526-12 du Code de Commerce ne peut être invoquée que par les créanciers

professionnels de l’EIRL182

. La fraude paulienne relevant du droit commun des obligations,

elle serait ouverte à l’ensemble des créanciers, y compris ceux non professionnel. Ensuite, les

sanctions prévues par les textes relatifs à l’EIRL semblent surtout sanctionner les actes passés

lors de la constitution du patrimoine affecté. Surtout, elles semblent difficilement applicables

à certains problèmes occultés par la loi tels que les désaffectations ou la vente d’un bien utile.

Alors, le recours à l’action paulienne permettrait d’assurer une sanction certaine de ces actes

lorsqu’ils seraient faits en fraude des droits des créanciers professionnels et s’il ne leur était

pas reconnu la faculté d’invoquer l’article L 526-12 du Code de Commerce. Toutefois, nous

pouvons noter que si le recours à la fraude paulienne permet d’accentuer la protection de la

séparation des gages en ce qu’elle peut être invoquée par l’ensemble des créanciers et étendre

le spectre des actes répressibles de l’entrepreneur individuel, son résultat sera différent de

celui de la fraude inscrite à l’article L 526-12 du Code de Commerce. Sa reconnaissance ne

permettra pas la reconstitution du gage général au bénéfice de l’ensemble des créanciers. Elle

rendra seulement inopposable au créancier demandeur l’acte fait en fraude de ses droits183

.

152. Conclusion du chapitre. Le législateur a donc mis en œuvre et garantit la séparation des

gages des créanciers de l’EIRL dans le but d’établir une véritable limitation du risque

d’entreprise. Toutefois, si cette limitation est louable en présence d’un patrimoine in bonis,

son efficacité est liée à son maintien en présence de difficultés financières.

181

Article L 526-12 du Code de Commerce. 182

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011, p. 49à51, préc. n°92. 183

F. Terre, P. Simler, Y. Lequette. Droit Civil : les obligations. Paris : Dalloz, 2010 p. 1126, préc. n° 1182.

Page 65: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

60

CHAPITRE II. LA LIMITATION DES RISQUES SUPPORTES PAR

L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL EN CAS DE DIFFICULTES

FINANCIERES.

153. Il ne sera possible d’affirmer la réussite de l’EIRL comme technique de limitation du

risque d’entreprise que si la séparation des gages est maintenue en présence de difficultés

financières184

. Or, il semble que cette tentative soit une réussite puisque le législateur a assuré

un renouveau du droit des entreprises en difficulté et du surendettement pour l’adapter à

l’EIRL (Section I) et qu’il a tenté de mettre en place une protection contre les abus que

l’entrepreneur pourrait commettre en soustrayant certains biens à la procédure (Section II).

Section I. Le renouveau du droit des entreprises en difficulté et du

surendettement.

154. Le législateur ayant renvoyé à une ordonnance pour traiter de ce problème185

, il

semble que le gouvernement ait répondu aux attentes des entrepreneurs en mettant en place un

principe d’application distributive des procédures collectives et de surendettement par

patrimoine (§1) ce qui aura pour conséquence pratique de limiter véritablement les risques

d’entreprise encourus par l’entrepreneur et sa famille (§2).

§1. Le principe : l’application distributive des procédures collectives et de

surendettement par patrimoine.

155. Lors de la publication de la loi du 15 Juin 2010, les auteurs s’étaient prononcés en

faveur d’une application des procédures patrimoine par patrimoine186

. C’est ce que

l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 Décembre 2010 a consacré en prévoyant l’application des

procédures au patrimoine lui-même (A). Toutefois, certaines difficultés soulevées avant la

prise de l’ordonnance187

restent non résolues concernant l’articulation des procédures (B).

184

F-X Lucas. EIRL, le casse-tête pour les procédures collectives in L’ESSENTIEL Droit des entreprises en

difficulté, 1er

Juillet 2010, n°7, p. 1. 185

Article 8. I de la loi n° 2010-658 du 15 Juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. 186

V. Legrand. L’EIRL pourra-t-il prétendre à une procédure de surendettement ? in Recueil Dalloz, 2010, p.

2385. 187

Ibidem – M. Douaoui-Chamseddine. L’adaptation et l’articulation délicates des procédures d’exécution à

l’EIRL in Revue de droit bancaire et financier, Septembre 2010, n°5, étude 23.

Page 66: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

61

A. L’application des procédures au patrimoine lui-même.

156. Répondant favorablement aux inquiétudes des praticiens, l’ordonnance du 9 Décembre

2010 a tiré toutes les conséquences de la création d’un patrimoine affecté en prévoyant une

application des procédures de traitement des entreprises en difficulté patrimoine par

patrimoine188

. Dorénavant, chaque patrimoine aura sa procédure189

. Ce principe d’étanchéité

des procédures peut être constaté tant lors de leur ouverture que pendant leur déroulement.

Lors de l’ouverture, le surendettement sera apprécié au regard des dettes non professionnelles

concernant le patrimoine non affecté et n’intéressera que le passif du patrimoine non

affecté190

. Quant aux procédures de traitement des entreprises en difficultés, leurs conditions

d’ouverture seront appréciées patrimoine par patrimoine en cas d’affectations multiples ou

d’exercice de plusieurs activités avec ou sans affectation. Ainsi, le principe « procédure sur

procédure ne vaut » ne sera pas applicable à l’EIRL puisque plusieurs procédures pourront

être ouvertes si elles concernent des patrimoines différents. En cours de procédure, toutes les

mesures prises et les pouvoirs des éventuelles personnes nommées seront cantonnées au seul

patrimoine concerné et à ses créanciers. Toutefois, que se passera-t-il si l’affectation cesse en

cours de procédure ? Il faut distinguer. Si la procédure concerne le patrimoine affecté et que

l’affectation cesse, elle sera continuée indépendamment du patrimoine non affecté de

l’entrepreneur. Par contre, si la procédure est ouverte à l’encontre du patrimoine non affecté et

que l’affectation cesse, il faudra faire la différence comme le fait l’article L 526-15 du Code

de Commerce. S’il n’y a pas eu cessation d’activité, la procédure ouverte contre le patrimoine

non affecté s’étendra au patrimoine affecté. En cas de cessation d’activité, la procédure ne

pourra pas atteindre l’ancien patrimoine affecté car sa liquidation intervient de manière

autonome191

. C’est ce qu’a précisé l’article L 680-5 du Code de Commerce. La cessation

d’affectation sans cessation d’activité crée donc un nouveau cas d’extension de la procédure.

157. En respectant le principe d’application des procédures patrimoine par patrimoine, le

législateur permet à l’EIRL d’atteindre son but en créant une véritable limitation des risques

d’entreprise même en cas de difficultés financières car la procédure ne risque plus de toucher

son patrimoine « personnel ». Toutefois, quelques difficultés pratiques restent non résolues.

188

Article L 680-A du Code de Commerce. 189

J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du

droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in

Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2. – P-M Le Corre. L’heure de vérité de l’EIRL : le

passage sous la toise du droit des entreprises en difficulté in Recueil Dalloz, 2011, p. 91. 190

Article L 333-7 du Code de la Consommation. 191

Ibidem.

Page 67: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

62

B. Les problèmes d’articulations entre les procédures.

158. Si procédure de surendettement et procédure de traitement des entreprises en difficulté

peuvent dorénavant être cumulées, rien n’a été prévu quant à leur articulation. Avant la

parution de l’ordonnance du 9 Décembre 2010, selon H. Novelli, le bénéfice de la procédure

de surendettement devait être subordonné au maintien d’une activité professionnelle viable192

.

Le problème était de définir « l’activité professionnelle viable193

». Etait-t-elle caractérisée par

l’insolvabilité ou l’état de cessation des paiements du patrimoine affecté ? Malgré l’adaptation

du droit des entreprises en difficultés au principe du patrimoine d’affectation, les textes de ce

droit spécial sont restés inchangés. Conformément à l’article L 631-1 du Code de commerce,

l’ouverture du redressement judiciaire est donc conditionnée à l’existence d’un état de

cessation des paiements qui sera apprécié au jour du jugement. Il s’agira donc de comparer

l’actif affecté disponible avec le passif exigible afférent au même patrimoine. L’ordonnance

n’ayant rien prévu à propos d’une articulation avec la procédure de surendettement, nous

pourrions conclure qu’elle pourrait être ouverte au bénéfice du patrimoine non affecté dès lors

que l’entrepreneur de bonne foi sera dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble

de ses dettes non professionnelles exigibles194

et à échoir et ce, sans considération de la santé

de son ou ses patrimoines affectés. Le gouvernement a tenté d’apporter une réponse à cette

question. Ainsi, lorsque la procédure collective sera ouverte en cas de cessation des paiements

d’un patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel aura l’obligation de prévenir la commission

de surendettement pour son patrimoine non affecté195

.

159. Le principe d’application distributive des procédures par patrimoine a donc été

clairement consacré par le législateur. En pratique, cela permettra de limiter véritablement la

limitation des risques encourus lors de l’exercice de l’activité professionnelle.

192

H. Novelli : « L’ordonnance à venir respectera les principes suivants : l’entrepreneur aura droit de recourir,

en ce qui concerne son patrimoine personnel, au dispositif applicable en cas de surendettement si son activité

professionnelle demeure viable ; en cas de faillite, le patrimoine professionnel sera liquidé. Le régime prévu en

la matière se rapprochera de la liquidation simplifiée déjà en vigueur » in Rapport n° 2298 de la commission

des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à l’EIRL, 10 Février 2010,

http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r2298.asp#P164_24569, consulté le 8 Juillet 2011. 193

M. Douaoui-Chamseddine. L’adaptation et l’articulation délicates des procédures d’exécution à l’EIRL in

Revue de droit bancaire et financier, Septembre 2010, n°5, étude 23. 194

Article L 330-1 du Code de la Consommation. 195

Article L 333-7 du Code de la Consommation.

Page 68: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

63

§2. Conséquences : la limitation des risques en pratique, véritable innovation de

l’EIRL.

160. Le législateur a maintenu la séparation des gages en cas de difficultés financières de

l’EIRL. Il existe donc une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur

individuel (A) qui, en plus, va indirectement bénéficier à son conjoint (B).

A. Une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur

individuel.

161. La limitation du risque d’entreprise n’aurait eu aucune portée si elle avait été limitée

au patrimoine affecté in bonis. Réserver des biens à des créanciers n’apporte aucune

innovation tant que le débiteur peut honorer ses engagements. Par contre, en présence de

difficultés financières cette limitation prend tout son sens. Si l’entrepreneur n’est plus à même

de satisfaire ses créanciers sur son patrimoine affecté, la limitation du risque d’entreprise

impose qu’il n’ait pas à le faire sur son patrimoine non affecté. Le contraire démontrerait

l’inefficacité de la limitation. Or, avec la consécration du principe d’application des

procédures patrimoine par patrimoine, ce résultat a été atteint. Dorénavant, un entrepreneur

tenant une comptabilité irréprochable ne pourra plus voir ses créanciers saisir son patrimoine

personnel à la suite d’une déconvenue professionnelle. Les sanctions pouvant conduire à

l’extension de la procédure au patrimoine non affecté sont liées soit à une confusion des

patrimoines lors de la gestion de son activité professionnelle par l’entrepreneur, soit à la

reconnaissance de sa responsabilité personnelle en tant que gérant ; responsabilité s’imputant

sur son patrimoine personnel. Elles ne remettent donc pas en cause le principe de limitation de

responsabilité de l’EIRL. D’ailleurs ce principe va également bénéficier à son conjoint.

B. Le bénéfice retiré par le conjoint de l’entrepreneur individuel.

162. En droit positif, lors de l’ouverture d’une procédure collective, le débiteur marié

commun en biens est dessaisi de tous ses biens, même communs. Les créanciers personnels de

son conjoint sont donc soumis à la procédure collective. De même, quand les deux époux sont

entrepreneurs et qu’on ne sait pas du chef duquel sont nées les dettes, une seule procédure

sera ouverte pour les deux. Nous pouvons penser que, l’EIRL mettant en place une séparation

des patrimoines, le conjoint serait plus facilement éligible à une procédure de surendettement

car seuls les biens communs affectés seront intégrés à la procédure collective. Mais, rien n’est

moins sur. Concernant les biens communs non affectés, a priori le conjoint de l’EIRL pourrait

Page 69: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

64

les inclure dans sa procédure de surendettement et serait donc plus à même d’en bénéficier.

Mais s’il demande l’ouverture d’une procédure de surendettement incluant des biens

communs non affectés, il n’aura pas à prévenir la commission d’une éventuelle procédure

collective ouverte au bénéfice du patrimoine affecté de l’EIRL. Or, ce dernier ayant un droit

sur ces biens devra-t-il le faire sous peine de leur retrait de la procédure de surendettement de

son conjoint ? La nature de patrimoine d’affectation pose donc des problèmes d’articulation

entre les procédures ouvertes à l’encontre des différents patrimoines ; risquent d’aboutir à un

résultat en contradiction avec la volonté du législateur tendant à la préservation maximale du

patrimoine personnel de l’entrepreneur et de son conjoint.

163. La mise en place d’un patrimoine d’affectation a renouvelé le droit des entreprises en

difficulté et du surendettement en permettant une application par patrimoine des procédures.

Toutefois les problèmes de court-circuit entre procédures peuvent faire réfléchir à la nécessité

d’une simplification du traitement des patrimoines insolvables et pourquoi pas, à la mise en

place d’une procédure unique196

. Mais, malgré ces nouveaux principes, le législateur a

maintenu une protection des créanciers contre les abus dans le déroulement de ces procédures.

Section II. La protection des créanciers contre les abus.

164. Le droit des entreprises en difficulté étant entièrement applicable au patrimoine affecté

de l’EIRL, le gage des créanciers professionnels est protégé contre les abus que pourrait

commettre l’entrepreneur individuel lors de la procédure (§1). Cependant, un problème reste

posé : celui de la possibilité de verser des revenus dans le patrimoine non affecté (§2).

§1. La protection du gage des créanciers professionnels.

165. Malgré sa volonté de faire produire toutes ses conséquences au patrimoine

d’affectation dans le droit des procédures collectives, le gouvernement a su raison garder en

ne remaniant pas l’ensemble de la matière. Les créanciers du patrimoine failli bénéficient

donc des mêmes protections contre les abus que s’ils étaient créanciers d’une société

unipersonnelle. Ainsi pourront-ils invoquer les nullités de la période suspecte (A) et

bénéficier de possibilités d’extension de la procédure (B).

196

M. Sénéchal. Le patrimoine affecté à l’épreuve du droit des procédures collectives in Droit et patrimoine,

Avril 2010, n°191, p. 90 – S. Piedelièvre. Qualité du débiteur et ouverture de la procédure in Revue de droit

bancaire et financier, Juillet 2010, n°4, comm. 147 : « L’instauration d’une procédure unique aurait permis

d’avoir une vue intégrale de la situation patrimoniale de cet entrepreneur ».

Page 70: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

65

A. Les nullités de la période suspecte.

166. L’entrepreneur individuel a presque toute latitude dans la détermination de la

composition de son patrimoine affecté. Il était donc impératif pour les créanciers que

l’intangibilité du périmètre de la procédure soit assurée197

. L’article L 680-6 du Code de

Commerce198

vient donc prohiber les changements d’affectation dont il résulté une diminution

de l’actif du patrimoine visé par la procédure une fois cette dernière ouverte.

167. Cette intangibilité du périmètre de la procédure va trouver un écho dans les « nullités

de la période suspecte ». Afin de garantir la conservation du gage des créanciers touchés par

la procédure collective, le débiteur est soumis à une discipline stricte qui se traduit par

l’interdiction de passer certains actes une fois la cessation des paiements déclarée. Ces

nullités, de droit199

ou facultatives200

, ont pour finalité de combattre les actes par lesquels le

débiteur en cessation des paiements organiserait ou augmenterait frauduleusement son

insolvabilité et de rétablir un traitement égalitaire des créanciers201

. Or le législateur y a inclus

une interdiction rappelant celle de l’article L 680-6 du Code de Commerce. Sous réserve du

versement des revenus du patrimoine affecté dans le patrimoine non affecté, toute affectation

ou modification de l’affectation entrainant un appauvrissement du patrimoine contre lequel

est ouverte la procédure sera annulée202

. Toutefois, si la désaffectation se produit avec une

contrepartie équivalente, il semble peu probable que l’appauvrissement soit caractérisé.

168. Les nullités de la période suspecte sont une première technique pour garantir aux

créanciers la consistance du patrimoine dont ils disposeront lors de la procédure collective.

Mais cette protection va également passer par des possibilités d’extension de la procédure.

197

C. Saint-Alary-Houin. L’application du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL in Gazette du Palais, 19

Mai 2011, n° 139, p. 33. 198

Article L 680-6 du Code de Commerce : « Le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de

redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, jusqu'à la clôture de la procédure

ou, le cas échéant, jusqu'à la fin des opérations du plan, interdiction pour tout débiteur d'affecter à une activité

professionnelle un bien compris dans le patrimoine visé par la procédure ou, sous réserve du versement des

revenus mentionnés à l'article L. 526-18, de modifier l'affectation d'un tel bien, lorsqu'il en résulterait une

diminution de l'actif de ce patrimoine ».

Tout acte passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du

ministère public dans le délai de trois ans à compter de sa date. » 199

Article L 632-1 du Code de Commerce. 200

Articles L 632-1. II et L 632-2 du Code de Commerce. 201

A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 349, préc. n° 591. 202

Article L 630- 1. 11° du Code de Commerce : « Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à

responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l'affectation d'un bien, sous réserve du versement

des revenus mentionnés à l'article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la

procédure au bénéfice d'un autre patrimoine de cet entrepreneur ».

Page 71: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

66

B. Les possibilités d’extension de la procédure.

169. Le nouvel alinéa 3 de l’article L 621-2 prévoit deux hypothèses d’extension de

procédure. Jusqu’au 1er

Janvier 2013 cette extension aura pour conséquence que l’EIRL sera

traité comme un débiteur personne physique lambda qui subit la procédure sur son patrimoine

en entier. A partir de cette date, l’extension pourra se faire sur un ou plusieurs patrimoines

affectés tout en préservant, le cas échéant, le reliquat.

170. L’extension peut avoir pour première origine une confusion des patrimoines. En

l’absence de précisions légales sur ce terme203

, il faudra appliquer la jurisprudence de la Cour

de cassation sur ce sujet204

. Ainsi en cas de non respect de l’affectation et de création de

relations financières anormales entre le patrimoine affecté et un autre patrimoine de l’EIRL,

les différents patrimoines seront soumis à une procédure unique afin de ne pas léser les

créanciers. Seulement, si la Haute Juridiction est stricte quant à l’admission de la confusion de

patrimoines entre des personnes différentes, il n’est pas sûr qu’elle adopte la même démarche

dans notre cas. En effet, des relations normales entre deux personnes juridiques distinctes

pourraient paraître anormales en présence de deux patrimoines détenus par la même personne.

La jurisprudence sera donc sans doute amenée à évoluer sur ce point205

.

Mais, l’extension peut aussi résulter d’une sanction à l’égard de l’entrepreneur

individuel. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a crée trois cas d’extension de procédure

sanctionnant le non-respect du régime de l’EIRL : le manquement grave aux règles de

constitution de l’affectation, le manquement grave aux règles de comptabilité et enfin, la

fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par

la procédure. Ces cas d’extension font écho aux sanctions des articles L 526-12 du Code de

Commerce. Ils permettent de sanctionner le comportement abusif de l’entrepreneur individuel

par la déchéance de la limitation du risque d’entreprise. Si elles sont proches de la confusion

des patrimoines, ces sanctions sont toutefois plus sévères car elles ôtent une grande partie de

son pouvoir d’appréciation à la Cour de cassation206

. La protection du gage des créanciers

203

J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du

droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in

Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2, préc. n° 29. 204

Cass. com., 19 Avril 2005, n° 05-10.094, affaire Métaleurop, Bulletin Joly Sociétés 2005, p. 690, note C.

Saint-Alary-Houin. 205

Voir sur ce point : F. Reille. La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures

collectives. Paris : Litec, 2006, n° 588 et suivants. 206

J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du

droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in

Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2, préc. n° 30à34.

Page 72: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

67

semble donc accrue face au patrimoine d’affectation et au contraire du recours à la technique

sociétaire. D’une part les gérants de société ne respectant pas les obligations comptables

n’encourent aucune extension de procédure à leur patrimoine personnel et, d’autre part, les

règles de constitution du patrimoine affecté étant plus strictes que celles de constitution d’un

patrimoine sociétaire, l’entrepreneur individuel risquera d’y commettre plus facilement un

manquement grave.

171. Les possibilités d’extension de la procédure sont donc une autre technique de

protection des créanciers contre les conséquences de la limitation du risque d’entreprendre.

Dans de telles hypothèses, « le rêve est fini et la princesse EIRL redevient Cendrillon,

entrepreneur individuel (ordinaire) »207

. Toutefois, l’EIRL fait figure d’objet inédit du droit

des entreprises en difficulté puisqu’une règle lui est propre: celle du maintien du libre

versement des revenus produits par le patrimoine affecté dans le patrimoine non affecté.

§2. Le problème des revenus librement versés dans le patrimoine non affecté.

172. Le versement de revenus du patrimoine affecté dans le patrimoine non-affecté n’est

constitutif ni d’un acte interdit par l’article L 680-6 du Code de Commerce, ni d’un acte nul

au titre des nullités de la période suspecte. L’entrepreneur semble pouvoir continuer de les

prélever librement tant que le plan de redressement ou de liquidation n’a pas été établi.

Toutefois, nous pouvons nous demander s’ils ont une utilité particulière lors de la procédure

collective justifiant la liberté de leur prélèvement car cette dernière porte considérablement

atteinte aux droits des créanciers du patrimoine failli. Pour certains auteurs, ces revenus

serviront en quelque sorte de monnaie d’échange. Ils seraient la seule façon pour

l’entrepreneur individuel de sauver de la nullité un changement d’affectation prohibé par

l’article L 680-6 ou l’article L 632-1 du Code de Commerce. Ne pas prélever ces revenus

générés par l’activité du patrimoine soumis à procédure permettrait de compenser

l’appauvrissement subi en cas de retrait de bien, donc d’écarter l’application de la sanction

prévue aux textes précités208

.

173. La question de l’utilité du libre prélèvement des revenus du patrimoine affecté failli

est donc liée à leur nature. Si la nature de ces revenus avait été clairement définie par le

législateur, un parallèle aurait pu être fait avec le droit des sociétés quant à leur utilisation. Si

207

Ibidem, préc. n° 28. 208

M. Menjucq. EIRL et droit des procédures collectives in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité

limitée. Paris : Litec, 2011, p. 111. Voir actualisation de l’article sur http://www.droit360.fr , p. 13, préc. n°60.

Page 73: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

68

nous considérons qu’ils correspondent à une rémunération de la gérance du patrimoine

affecté209

, alors peut être aurait-il fallu interdire leur prélèvement en l’absence de bénéfices

tant qu’une procédure collective restreignant l’entrepreneur dans ses pouvoirs de gestion

n’était pas ouverte. Une fois cette procédure ouverte par contre, nous pouvons estimer que

l’entrepreneur n’aura plus de pouvoir quand à la détermination de ces revenus. S’ils

correspondent à une rémunération en tant que gérant, il faudra leur appliquer l’article L 631-

11 du Code de Commerce. Alors il reviendra au juge commissaire de fixer la rémunération

afférente aux fonctions de l’entrepreneur210

. Cependant, il s’agit de suppositions car la nature

de ces revenus n’est, en l’absence de décision de jurisprudence, pas certaine. Mais, si nous

considérons qu’ils servent à l’entretien de l’EIRL, un lien apparait avec la personne de

l’entrepreneur. L’EIRL est à la fois entrepreneur et gérant du patrimoine affecté. A ce dernier

titre, on peut se demander s’il ne peut pas être responsable de ses fautes sur son patrimoine

personnel à l’instar de tout gérant de société.

174. Conclusion du chapitre. Le gouvernement a réussi à donner toute son envergure

au dispositif de l’EIRL en maintenant la partition patrimoniale au sein des procédures

collectives. Le droit français a donc rejoint le droit des faillites internationales211

ou le droit

européen des procédures d’insolvabilité212

en admettant la pluralité de procédures collectives

contre le même débiteur. Cela permet dorénavant à l’entrepreneur de bénéficier d’une réelle

limitation du risque d’entreprendre. Toutefois, le législateur a sur raison garder en permettant

aux créanciers du patrimoine failli de défendre la consistance de ce patrimoine ; ce qui

s’avérait être une nécessité au vu de la limitation de leur gage à ce même patrimoine.

175. Conclusion du titre. Malgré des incertitudes sur le régime de l’EIRL, l’introduction du

patrimoine d’affectation dans le droit des entreprises en difficulté et les conséquences qui en

ont été tirées ont permis de créer une véritable limitation du risque d’entreprise. Toutefois,

cette limitation ne correspond qu’à une séparation de gage et non à l’exonération de

responsabilité depuis longtemps attendue. Nous pouvons donc nous demander si, lorsqu’il

agit en qualité de gérant du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel peut engager sa

responsabilité personnelle sur son patrimoine personnel, non affecté, en cas de faute commise

dans cette gestion.

209

Cf. supra n° 63. 210

Cf. supra n° 67. 211

M. Menjucq. Droit international et européen des sociétés. Paris : Montchrestien, 2008, p. 457 et suivantes,

préc. n° 469. 212

Règlement européen n° 1346/2000, 29 Mai 2000, articles 3 et 27 à 37 − M. Menjucq. Droit international et

européen des sociétés. Paris : Montchrestien, 2008, p. 512 et suivantes, préc. n° 518 et suivants.

Page 74: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

69

TITRE II. LE MAINTIEN D’UNE RESPONSABILITE MINIMALE DE

L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL EN QUALITE DE GERANT.

176. L’EIRL doit gérer son patrimoine affecté ou déléguer cette gérance à un tiers par le

biais d’un mandat213

. Si ce tiers commet des erreurs dans sa gestion, il en sera responsable sur

son patrimoine personnel en vertu du droit commun du mandat. Si l’entrepreneur gère lui-

même son patrimoine affecté, nous pourrions donc légitimement penser qu’il devra répondre

d’une responsabilité similaire. De plus, la séparation des gages créée par l’affectation à un

patrimoine n’ôte pas la responsabilité personnelle du constituant214

. C’est ainsi que dans le

droit des entreprises en difficulté, le législateur a permis d’engager la responsabilité

personnelle de l’EIRL mauvais gérant de son patrimoine affecté (Chapitre I). Un tel constat

nous amènera à rechercher un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur

individuel sur son patrimoine non affecté (Chapitre II), principe qui serait fondé sur la

responsabilité civile de droit commun.

CHAPITRE I. L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE

PERSONNELLE DE L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL DANS LE DROIT

DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE.

177. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a prévu différentes responsabilités personnelles de

l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté. Il pourra être responsable civilement (Section I)

mais aussi pénalement (Section II) en tant que gérant du patrimoine affecté. Ces

responsabilités permettront de s’interroger sur l’existence d’un principe général de

responsabilité de l’EIRL sur son patrimoine non affecté.

Section I. La responsabilité civile en tant que gérant d’un patrimoine affecté.

178. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 a simplement adapté le droit des entreprises en

difficulté à l’introduction du patrimoine affecté au sein de la matière. Elle maintient donc les

sanctions traditionnellement applicables aux gérants de sociétés, notamment personnelles,

213

Cf. supra n° 88. 214

Ainsi, en matière de fiducie l’article 2026 du Code Civil dispose t-il que « le fiduciaire est responsable, sur

son patrimoine propre, des fautes qu’il commet dans l’exercice de sa mission »

Page 75: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

70

contre l’entrepreneur individuel. Ainsi, il sera responsable sur son patrimoine en cas de

faillite personnelle (§1) ou de responsabilité pour insuffisance d’actif (§2).

§1. La faillite personnelle.

179. La faillite personnelle n’est encourue qu’en cas d’ouverture d’une procédure de

redressement ou de liquidation judiciaire215

. L’EIRL n’est pas expressément visé par les

textes relatifs à cette sanction mais il entre dans la catégorie des personnes citées par l’article

L 653-1. I. 1° du Code de Commerce216

. Cette sanction est encourue pour des faits

caractérisant une mauvaise gestion, entrainant une responsabilité personnelle de

l’entrepreneur.

180. Le prononcé de la faillite personnelle suppose que l’entrepreneur ait commis des actes

déterminés aux articles L 653-3 à L 653-6 du Code de Commerce tels que la dissimulation

d’une partie de l’actif ou l’augmentation frauduleuse du passif. Lorsque le débiteur est un

EIRL, l’ordonnance du 9 Décembre 2010 a crée des actes caractérisant les risques dus à la

spécificité de l’organisation de son entreprise217

. L’article L 653-3 II du Code de

Commerce218

réprime des faits caractéristiques d’une gestion peu diligente voire abusive du

patrimoine soumis à procédure collective tels que le fait d’avoir disposé des biens du

patrimoine visé par la procédure comme s’ils étaient compris dans un autre de ses

patrimoines. Ne rentrant pas dans la gestion courante de l’entreprise, il est logique que leur

auteur en soit responsable personnellement. Ainsi, tout comme les dirigeants de sociétés ne

peuvent se cacher derrière l’écran de la personnalité morale, les EIRL ne peuvent se cacher

derrière la séparation patrimoniale pour échapper à leur responsabilité personnelle.

215

Article L 653-1 I du Code de Commerce. 216

Selon l’article L 653-1 I. 1° du Code de Commerce, l’EIRL ferait partie des « personnes physiques exerçant

une activité commerciale ou artisanale, agriculteurs et toute autre personne physique exerçant une activité

professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire

ou dont le titre est protégé ». 217

J. Vallansan. L’EIRL en difficulté .Les principes de l’ordonnance du 9 Décembre 2010 portant adaptation du

droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’EIRL in

Revue des procédures collectives, Janvier 2011, n°1, étude 2. 218

Article L 653-3. II du Code de Commerce : « Peuvent en outre, sous la même réserve, être retenus à

l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée les faits ci-après : 1° Avoir disposé des biens du

patrimoine visé par la procédure comme s'ils étaient compris dans un autre de ses patrimoines ; 2° Sous le

couvert de l'activité visée par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un

intérêt autre que celui de cette activité ; 3° Avoir fait des biens ou du crédit de l'entreprise visée par la

procédure un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une personne

morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ».

Page 76: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

71

Toutefois, la faillite personnelle, au même titre que l’interdiction de gérer219

, ont une

nature particulière. Il s’agit de sanctions professionnelles220

. Elles n’ont donc pas pour but de

réparer un préjudice donc d’engager la responsabilité civile de l’entrepreneur. Mais, elles

n’ont pas non plus la nature d’une sanction pénale. La Cour de Cassation les a d’ailleurs

qualifiées de « mesures d’intérêt public »221

. La faillite personnelle ne ressort donc pas de la

responsabilité civile de l’entrepreneur individuel en qualité de gérant.

181. L’application de cette sanction ne peut donc, seule, justifier l’idée selon laquelle

l’entrepreneur individuel serait responsable personnellement de la mauvaise gestion qu’il fait

du patrimoine affecté sur son patrimoine non affecté en l’absence de difficultés financières.

Mais l’existence d’une responsabilité pour insuffisance d’actif, elle, pourrait y parvenir.

§2. La responsabilité pour insuffisance d’actif.

182. La responsabilité pour insuffisance d’actif permet de sanctionner le responsable des

difficultés financières de son entreprise car il a commis certaines fautes de gestion. Avant la

création de l’EIRL, elle était une sanction applicable uniquement aux dirigeants d’une

personne morale. L’ordonnance du 9 Décembre 2010 est venue l’ouvrir aux EIRL en

modifiant l’article L 651-1 du Code de Commerce222

. De l’étude des conditions de cette

responsabilité, nous déduirons qu’elle n’est pas exactement une responsabilité civile de droit

commun. Toutefois, sa nature et ses conséquences permettront d’appuyer l’idée selon laquelle

il est nécessaire d’entreprendre une réflexion sur l’existence éventuelle d’une responsabilité

civile de l’entrepreneur en tant que gérant même lorsque son patrimoine affecté est in bonis.

183. L’article L 651-2 du Code de Commerce, en ce qu’il exige une « faute de gestion

ayant contribué à cette insuffisance d’actif », pose les trois conditions traditionnelles de la

responsabilité civile223

à la reconnaissance de la responsabilité pour insuffisance d’actif : une

insuffisance d’actif, une faute de gestion et lien de causalité entre les deux. L’insuffisance

d’actif sera appréciée au regard du seul patrimoine soumis à la procédure. Il s’agit en quelque

219

Article L 653-8 du Code de Commerce. 220

A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 609, préc. n° 1082. 221

Cass. com., 16 Octobre 2007, n° 06-10.805, D 2007 p. 2666, note A. Lienard. 222

Article L 651-1 du Code de Commerce : « Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux

dirigeants d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective, ainsi qu'aux personnes

physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales et aux entrepreneurs individuels à

responsabilité limitée ». 223

Ces trois conditions sont : un fait, un dommage et un lien de causalité les reliant.

Page 77: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

72

sorte du préjudice maximum réparable224

subi par le patrimoine failli. La faute de gestion,

elle, n’a pas été légalement définie. L’appréciation de son existence relèvera des juges du

fond qui, en principe, devront la déduire du comportement passé du dirigeant par comparaison

avec le comportement du « bon dirigeant de société ». Il en sera de même avec l’appréciation

du comportement de l’EIRL. Si la jurisprudence a une conception large de cette faute de

gestion, la difficulté semble être la détermination du seuil de gravité à partir duquel « l’erreur

dans l’appréciation des opportunités de gestion commise lors de la prise de décision, […],

devient une faute de gestion au titre de la responsabilité civile des dirigeants 225

». Mais

surtout, la responsabilité de l’entrepreneur individuel sera conditionnée à la démonstration

d’un lien de causalité particulier entre l’insuffisance d’actif et la faute de gestion. En effet, la

faute doit avoir simplement « contribué » à l’insuffisance d’actifs. Ainsi la Cour de cassation

décide-t-elle en matière de sociétés que « le dirigeant d’une personne morale peut être

déclaré responsable […] même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des

causes de l’insuffisance d’actif et qu’il peut être condamné à supporter la totalité des dettes

sociales, même si sa faute n’est à l’origine que d’une partie d’entre elles 226

». Il y a alors tout

lieu de penser qu’une telle appréciation du lien de causalité s’appliquera également à l’EIRL.

En raison de ce lien de causalité apprécié de manière lâche, la responsabilité pour insuffisance

d’actif parait être une responsabilité civile de droit commun particulière227

. Si ces trois

conditions sont remplies, l’entrepreneur individuel pourra être condamné à combler

l’insuffisance d’actif. La somme mise sa charge s’imputera sur son patrimoine non affecté228

.

Ses éventuels autres patrimoines affectés n’auront donc pas à supporter sa dette de

responsabilité civile229

sauf cas d’extension de procédure pour confusion des patrimoines.

Dans ce cas, la sanction sera plus sévère pour l’EIRL. En effet, dans une telle hypothèse, un

dirigeant de société ne peut avoir à supporter les dettes d’une autre personne morale. Il semble

que cela sera possible pour l’EIRL qui sera directement responsable des dettes des deux

patrimoines causées par sa mauvaise gestion car il en est le seul gérant. L’unité de personne

présidant la division patrimoniale jouera alors en la défaveur de l’entrepreneur. Par contre,

lorsque la procédure sera ouverte à raison d’une activité exercée dans le cadre du patrimoine

224

A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 598, préc. n° 1065. 225

A. Jacquemont. Droit des entreprises en difficulté. Paris : Litec, 2011 p. 599, préc. n° 1066. 226

Cass. com., 30 Novembre 1993, n° 91-20.554, Bulletin Joly Sociétés, 1994, p. 410, obs. P. Pétel. 227

P-M Le Corre. Droit et pratique des procédures collectives. Paris : Dalloz, 2009, coll. Dalloz action 2010-

2011. 228

Article L 651-2 alinéa 2 du Code de Commerce. 229

S. Piedelièvre. L’EIRL et le droit des procédures collectives in Petites affiches, 4 Février 2011, n°25, p. 7.

Page 78: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

73

non affecté, la responsabilité pour insuffisance d’actif ne pourra grever le patrimoine affecté,

qui s’en trouvera protégé230

.

184. La responsabilité pour insuffisance d’actif est pas une responsabilité civile de droit

commun particulière en ce que le lien de causalité qu’elle requiert est apprécié de manière

lâche. Mais reste une responsabilité personnelle à raison d’une faute de l’EIRL dans la gestion

de son patrimoine affecté. Or, cette faute personnelle va s’imputer sur son patrimoine non

affecté. La responsabilité pour insuffisance d’actif conforte donc l’idée selon laquelle la

séparation patrimoniale n’ôte pas toute responsabilité personnelle à l’individu gérant des

patrimoines distincts. Cette idée est renforcée par l’existence de sanctions pénales applicables

à l’EIRL qui vont aussi s’imputer sur son patrimoine non affecté.

Section II. La responsabilité pénale en tant que gérant d’un patrimoine affecte.

185. Le droit des entreprises en difficulté prévoit également que l’entrepreneur individuel

peut être pénalement responsable de sa mauvaise gestion sur son patrimoine non affecté. S’il

semble difficile de le condamner pour organisation frauduleuse d’insolvabilité (§1), il est

certain qu’il encourra les sanctions du délit de banqueroute (§2).

§1. L’organisation frauduleuse d’insolvabilité.

186. Le patrimoine affecté de l’EIRL est protégé par certaines infractions du droit pénal

général tel que l’escroquerie ou le faux231

. Mais, elles permettent plus de protéger la

détermination du gage des créanciers que de réprimer l’EIRL pour sa mauvaise gestion. Pour

sanctionner cette mauvaise gestion, nous pourrions recourir au droit pénal général et

notamment au délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité232

, même si ce délit n’est pas

propre au droit des entreprises en difficulté. En effet, le nom de cette incrimination est

prometteur233

car il peut faire penser qu’elle permet de réprimer un entrepreneur individuel

qui organiserait frauduleusement l’insolvabilité de son patrimoine affecté en difficultés

financières. Toutefois sa réalisation pratique semble difficile.

230

P. Pétel. L’adaptation des procédures collectives à l’EIRL in JCP E 2011, n°5, p. 1071, préc. n°15. 231

Cf. supra n°148. 232

Article 314-7 du Code Pénal. 233

J-H Robert. EIRL et droit pénal in EIRL : L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec,

2011 p. 192, préc. n°453.

Page 79: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

74

187. Pour que cette infraction soit constituée, il faut que l’agent ait fait l’objet d’une

condamnation ou redoute une condamnation de nature patrimoniale par une juridiction

répressive ou, en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments. Or, un entrepreneur

individuel tentant d’organiser l’insolvabilité de son patrimoine affecté cherchera la plupart du

temps à se soustraire à des dettes contractuelles. Son patrimoine affecté étant réservé à

l’exercice d’une activité professionnelle donnée, il ne supportera pas les dettes d’aliment qui

s’imputeront sur son patrimoine non affecté. Quant aux dettes délictuelles et quasi

délictuelles, un doute pourra naitre quant à leur imputation sur tel ou tel patrimoine si elles

sont consécutives à une faute professionnelle rattachable à l’activité à l’origine de

l’affectation234

. Si le patrimoine affecté n’a pour effet que de limiter le risque d’entreprise,

ces dettes s’imputeront sur le patrimoine non affecté, donc ne correspondront plus aux dettes

visées à l’article 314-7 du Code Pénal car elles ressortiront d’un patrimoine étranger à celui

concerné par le délit. Par contre, si le patrimoine affecté crée une véritable limitation de

responsabilité, ces dettes ressortiront du patrimoine affecté et permettront donc la

caractérisation de la condition préalable de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité. Aux

premiers abords, ce délit semble donc difficilement applicable à l’EIRL. Toutefois, si cette

condition préalable était remplie, il serait caractérisé dans les cas où l’entrepreneur aurait

augmenté le passif, diminué ou dissimulé l’actif et les revenus de son patrimoine affecté.

Alors, l’amende encourue s’imputerait sur son patrimoine non affecté, la responsabilité pénale

étant strictement personnelle. Toutefois nous pouvons effectuer la même remarque que

précédemment : si le patrimoine affecté constitue une véritable limitation de responsabilité,

ces dettes, même pénales, devraient s’imputer sur le patrimoine affecté concerné.

188. Le droit pénal général n’apparaît pas adapté à la situation de l’EIRL. Il faut donc

rechercher dans le droit pénal spécial s’il existe un délit engageant la responsabilité pénale de

l’entrepreneur sur son patrimoine non affecté. Il semble que oui : la banqueroute.

§2. La banqueroute.

189. Le délit de banqueroute235

sanctionne les manœuvres ou pratiques visant à retarder ou

à dissimuler la constatation de l’état de cessation des paiements d’une entreprise. Les

éléments constitutifs de ce délit, autant que ses conséquences permettent d’affirmer que cette

responsabilité pénale est personnelle.

234

Cf. infra n° 204 à 210. 235

Articles L 654-1 et suivants du Code de Commerce.

Page 80: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

75

190. Malgré l’absence d’adaptation de ses textes, cette infraction peut être réalisée par

l’EIRL car il fait partie des personnes visées à l’article L 654-1.1 du Code de Commerce236

.

La constitution de cette infraction requiert l’ouverture d’une procédure de redressement ou de

liquidation judiciaire. L’entrepreneur simplement en difficulté ou faisant l’objet d’une

procédure de sauvegarde judiciaire n’encourt donc aucun risque au titre de cette infraction. Si

cette condition préalable est remplie, l’article L 654-2 du Code de Commerce réprime cinq

comportements237

qui relèvent tous de fautes de gestion intentionnelles et frauduleuses. Nous

constatons donc que l’infraction de banqueroute sanctionne une responsabilité personnelle de

l’auteur en ce sens que ce dernier ne peut s’en extraire en se retranchant derrière l’écran de

son activité professionnelle. D’ailleurs, les sanctions de ce délit viennent conforter cette idée.

En effet, il semble logique que l’amende encourue s’impute sur le patrimoine non affecté

puisque la responsabilité est personnelle. Toutefois, l’imputation de cette amende permettra

de savoir si le patrimoine affecté n’est qu’une limitation du risque d’entreprise ou s’il s’agit

d’une réelle limitation de responsabilité. Dans le second cas, cette dette devrait s’imputer sur

le patrimoine affecté concerné alors que, dans le premier, elle s’imputera sur le patrimoine

non affecté répondant de l’ensemble des fautes personnelles de l’entrepreneur car il constitue

son patrimoine « général ». Nous pouvons d’ailleurs privilégier cette dernière solution

puisqu’au titre des peines complémentaires, l’entrepreneur encourra, entre autres, une

interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été

commise, la faillite personnelle ou une interdiction de gérer238

. Or, ces sanctions sont

personnelles et, pour les deux dernières, non limitées au patrimoine visé par la procédure.

191. Conclusion du Chapitre. Il existe donc une responsabilité personnelle sur son

patrimoine non affecté de l’EIRL en droit des entreprises en difficulté, que cette

responsabilité soit civile ou pénale. Cela prouve que la création d’un patrimoine affecté n’ôte

pas à l’entrepreneur sa responsabilité personnelle pour ses comportements délictueux. Nous

236

Article L 654-1. 1° du Code de Commerce : « Les dispositions de la présente section sont applicables : 1° A

toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur et à toute personne physique

exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut

législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ». 237

Article L 654-2 du Code de Commerce : « (…) 1° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture

de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente

au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ; 2° Avoir détourné ou

dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ; 3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ; 4°

Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la

personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;

5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales ». 238

Article L 654-5 du Code de Commerce.

Page 81: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

76

pouvons donc nous demander si en l’absence de textes spéciaux, donc lorsque le patrimoine

affecté est in bonis, il est possible d’engager la responsabilité personnelle de l’EIRL pour des

fautes de gestion et de la faire s’imputer sur son patrimoine non affecté. Dans l’affirmative,

preuve serait faite de ce que le recours au patrimoine affecté ne peut permettre de répondre

aux attentes d’exonération de responsabilité des professionnels et du législateur.

CHAPITRE II. LA RECHERCHE D’UN PRINCIPE GENERAL DE

RESPONSABILITE PERSONNELLE DE L’ENTREPRENEUR SUR SON

PATRIMOINE NON AFFECTE.

192. La loi du 15 Juin 2010 n’a prévu que des cas de responsabilité spéciale en cas de

mauvaise gestion, notamment de non respect de l’affectation. Nous pouvons donc nous

demander s’il existe un principe général de responsabilité de l’EIRL sur son patrimoine non

affecté. Il s’agira alors de démontrer que la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine

affecté ne peut être que maintenue (Section I), puis d’en tirer les conséquences sur la

répartition des dettes de responsabilité entre les différents patrimoines de l’EIRL (Section II).

Section I. Le maintien de la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine

affecté.

193. Nous pensons que la responsabilité personnelle du gérant de l’EIRL doit et ne peut

qu’être maintenue malgré la partition patrimoniale créée par la constitution d’un patrimoine

d’affectation (§1). Alors, la seule possibilité de parvenir à une limitation de responsabilité

serait de cumuler le patrimoine affecté avec une déclaration d’insaisissabilité (§2), qui

rendrait certains biens du patrimoine non affecté définitivement insaisissables par les

créanciers du patrimoine affecté.

§1. L’impossibilité de supprimer la responsabilité personnelle d’un gérant par la

création d’un patrimoine d’affectation.

194. La suppression de la responsabilité personnelle sur son patrimoine « personnel » non

affecté d’un « gérant- EIRL » semble impossible. D’une part car il n’existe aucun exemple

d’une telle suppression et d’autre part car, si le législateur a fait de l’EIRL et de son régime

Page 82: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

77

une dérogation aux textes fondant le droit de gage général des créanciers, il n’en a pas fait une

dérogation aux principes et aux règles de la responsabilité civile.

195. Il n’existe aucun exemple dans lequel un individu gérant un patrimoine séparé de son

patrimoine « personnel » n’est pas responsable de ses fautes de gestion sur ce dernier. Les

textes relatifs au mandat prévoient la responsabilité personnelle du mandataire lorsqu’il

n’exécute pas le mandat ou qu’il commet des fautes dans sa gestion239

. Cette responsabilité

s’imputera sur le patrimoine personnel du mandant. De même, en droit des sociétés, les

dirigeants sont civilement responsables de leurs fautes de gestion envers la société, les

associés et également les tiers240

. Certes, à l’égard des tiers le dirigeant social ne sera

responsable que de la faute détachable de ses fonctions241

mais, il en reste responsable sur son

patrimoine personnel. La partition entre faute détachable des fonctions et faute simple de

gestion démontre simplement l’exigence d’un certain degré de gravité pour que la

responsabilité personnelle soit engagée. Le droit des sociétés est donc la preuve de ce que la

responsabilité personnelle ne peut jamais être totalement abolie. Enfin, en matière de fiducie,

« le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans

l'exercice de sa mission242

». Cet exemple démontre que malgré l’affectation patrimoniale, le

gérant du patrimoine affecté reste personnellement responsable des fautes qu’il commet dans

sa gestion. Enfin, même le rapport Champaud envisageait de maintenir cette responsabilité

pour les fautes les plus lourdes commises par l’entrepreneur individuel243

.

196. La suppression absolue de toute responsabilité personnelle de l’EIRL semble donc

impossible. Cette idée peut être corroborée par son régime. L’EIRL constitue une dérogation

aux articles 2284 et 2285 du Code Civil fondant le droit de gage général des créanciers. Pour

autant, nous ne pouvons en déduire que cela entraine également une dérogation aux articles

1382 et suivants du Code Civil fondant la responsabilité civile de droit commun. D’ailleurs,

nous pouvons noter que la séparation des gages résulte d’une décision unilatérale. Or, le droit

des obligations, s’il permet les clauses limitatives, voire exonératoires de responsabilité, ne

les permet que de manière contractuelle. Il semble alors inconcevable qu’une personne, par

239

Ces responsabilité sont respectivement prévues aux articles 1191 alinéa 1 et 1992 alinéa 1 du Code Civil. 240

Article 1850 du Code Civil. 241

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 161à165, préc. n°s281à286 : sur

la faute détachable des fonctions. 242

Article 2026 du Code Civil. 243

C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier

l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD com., 1979, p. 579, préc. n°31.

Page 83: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

78

simple déclaration, puisse agir sans assumer pleinement les conséquences de ses actes car elle

est obligée de réparer les dommages qu’elle cause à autrui par son fait ou sa faute244

.

197. La constitution d’un patrimoine affecté ne permet donc pas à l’EIRL de s’exonérer de

toute responsabilité civile personnelle. Son maintien est inéluctable. Le seul moyen de s’en

extraire serait alors de cumuler patrimoine d’affectation et déclaration d’insaisissabilité.

§2. L’éventualité d’un cumul avec la déclaration d’insaisissabilité.

198. Théoriquement, rien n’empêche l’EIRL constituant de cumuler patrimoine affecté et

déclaration d’insaisissabilité (A) pour limiter au maximum l’emprise des créanciers du

patrimoine affecté sur les biens de son patrimoine non affecté. Cependant en pratique, ce

cumul se révèlera inutile car il entrainera l’anéantissement de son crédit (B).

A. La possibilité théorique.

199. La déclaration d’insaisissabilité ne devait pas être maintenue245

. Pour certains auteurs,

cette suppression allait de soi car la déclaration d’insaisissabilité constituait une sorte de

résurgence des « biens de famille » qui n’était due qu’au désir du législateur d’éviter la

consécration du patrimoine d’affectation tout en palliant son absence246

. Toutefois, la loi du

15 Juin 2010 n’a pas supprimé ce dispositif. Il serait donc possible pour un entrepreneur de

créer un patrimoine affecté et de procéder à une déclaration d’insaisissabilité sur les biens

immobiliers restant dans son patrimoine non affecté. De plus, l’affectation et la règle de

répartition des passifs ne s’opposent en rien à ce cumul puisqu’il permet d’assurer l’étanchéité

de la séparation patrimoniale en garantissant que les créanciers du patrimoine affecté ne

244

F. Terre. La personne et ses patrimoines : des pépins par milliers in JCP G 2010, n° 52, p. 1328 : « S’il est

vrai que le droit des obligations accorde une place importante aux clauses limitatives, voire exonératoires de

responsabilité, c’est parce que cet aménagement se situe normalement dans le cadre de relations contractuelles.

Tout autre est la situation dans laquelle une personne physique, par son comportement et ses affirmations,

prétendrait agir, tout en s’employant à ne pas assumer pleinement les conséquences de ses faits et gestes, car il

lui incombe l’obligation de réparer les dommages qu’elle cause à autrui par sa faute, voie par son fait. En

réalité, l’usage du mot responsabilité est, à ce titre, trompeur, car il est entendu essentiellement par références à

la délimitation des ensembles ou plutôt sous-ensembles de biens servant de garantie première aux tiers amenés à

être en affaire avec l’entrepreneur individuel ». 245

A. Pando. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : les contours du projet de loi in Petites affiches,

28 Janvier 2010, n° 20, p. 3 − Projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) n°

2265 – Etude d’impact, 27 Janvier 2010, http://www.assemblee-nationale.fr, consulté le 8 Juillet 2011 : La

suppression de ce dispositif était préconisée pour trois raisons : il n’a jamais eu le succès escompté, l’absence de

cumul des deux dispositifs est un facteur de simplicité et enfin, le dispositif EIRL est plus abouti et plus complet

que celui de l’insaisissabilité dont l’extension aurait été problématique 246

C. Champaud. Sociétés ou pas société ? Patrimoine affecté à une entreprise individuelle. Projet d’EIRL.

Innovation législative. SARL, EPRL, EURL, EIRL à quel Saint se vouer ? in RTD com, 2010, p. 349.

Page 84: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

79

pourront pas recourir contre les biens du patrimoine non affecté visés dans la déclaration

d’insaisissabilité. Mais surtout, EIRL et déclaration d’insaisissabilité réalisent toutes deux des

affectations. La première à l’activité professionnelle, la seconde indirectement au patrimoine

personnel en soustrayant des biens aux créanciers professionnels. La même technique est

alors utilisée pour assurer la permanence de ces affectations : l’insaisissabilité247

. La

constitution d’un patrimoine affecté rend insaisissables de manière relative les biens du

patrimoine non affecté à ses créanciers car il existe des exceptions à l’insaisissabilité. La

déclaration d’insaisissabilité, elle, leur rend insaisissables de manière absolue les immeubles

du patrimoine non affecté car ce sont des créanciers professionnels. Elle vient donc bien

renforcer l’insaisissabilité créée par le patrimoine affecté en l’absolutisant.

200. Un tel cumul permettrait donc à l’EIRL, sinon de créer une véritable limitation de sa

responsabilité envers les créanciers de son patrimoine affecté, au moins d’obtenir quasiment

les mêmes effets en les empêchant de saisir les biens immobiliers de son patrimoine non

affecté. Cependant, il est possible de douter de l’utilité de ce montage car il en résultera un

anéantissement quasi-total du crédit de l’entrepreneur individuel.

B. L’inutilité pratique du cumul : l’anéantissement du crédit de l’EIRL.

201. En pratique, le cumul d’un patrimoine affecté et d’une déclaration d’insaisissabilité

risque d’ôter au patrimoine affecté tout crédit aux yeux des créanciers. Non seulement ce

montage pourra éveiller la méfiance des créanciers mais en plus, il rajoutera au problème

majeur de l’EIRL : l’obtention de crédit. L’entrepreneur peinera à trouver du crédit dans le

cas où son patrimoine affecté ne serait pas assez consistant, le patrimoine non affecté ne

pouvant lui servir de garant. Nous pourrions rétorquer que, le consentement de sûretés entre

les différents patrimoines étant impossible, déclarer insaisissables par les créanciers du

patrimoine affecté les biens fonciers à usage non professionnel ne changerait pas leur

situation face à ces biens sur lesquels ils n’auraient aucun droit. Toutefois, il faut écarter cet

argument car, à supposer que l’entrepreneur soit responsable de sa gestion sur son patrimoine

non affecté, les créanciers du patrimoine affecté devraient pouvoir en saisir les actifs. Or la

déclaration d’insaisissabilité permettrait de soustraire une grande partie de ces biens

composant à leur emprise.

247

S. Guinchard. L’affectation des biens en droit privé français. Paris : LGDJ, Bibliothèque de droit privé, Tome

CXLV, préf. R. Nerson, p. 190 et suivantes : sur les techniques de permanence de l’affectation des biens – p.

260à275, préc. n°308à322 : sur la technique de l’insaisissabilité.

Page 85: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

80

202. Ainsi cumuler une déclaration d’insaisissabilité à la constitution d’un patrimoine

affecté risquerait d’affecter fortement la viabilité de ce dernier. Mais, EIRL restera toujours

personnellement responsable de sa gestion sur son patrimoine non affecté. Dans ce cas,

comment les dettes de responsabilité devront-elles se répartir entre les différents patrimoines ?

Section II. La répartition des dettes de responsabilité entre les différents

patrimoines de l’EIRL.

203. Si nous admettons que l’EIRL est personnellement responsable de ses fautes de

gestion encore faut-il déterminer l’étendue de cette responsabilité. Pour cela, il nous faut

rechercher le critère de la responsabilité personnelle du gérant « EIRL » (§1). Il apparaitra

que, selon les solutions retenues, le dispositif de l’EIRL remplira plus ou moins son rôle

exonératoire de responsabilité. Nous pourrons en déduire que ce n’est pas le recours au

patrimoine d’affectation qui permet réellement de limiter la responsabilité mais le régime que

lui donne le législateur (§2).

§1. La recherche d’un critère de responsabilité personnelle du gérant « EIRL ».

204. Si nous admettons un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur

individuel sur son patrimoine non affecté, il nous faut en déterminer l’étendue. Or, nous

pouvons hésiter entre la responsabilité pour faute simple de gestion et la responsabilité pour

faute détachable des fonctions de « gérant-EIRL »(A). Ce choix est important car il aura des

conséquences sur la répartition des dettes des responsabilités entre les différents passifs (B).

A. L’hésitation entre faute simple de gestion et faute détachable des

fonctions.

205. Au lieu de prévoir ponctuellement la responsabilité de l’entrepreneur, le législateur

aurait pu le déclarer responsable sur son patrimoine non affecté des fautes commises dans la

gestion de son patrimoine affecté en précisant le degré de gravité de la faute sanctionnée248

.

Procéder ainsi aurait permis à l’entrepreneur de connaitre l’étendue de sa responsabilité

personnelle. Il nous faut donc rappeler ce que sont les deux degrés de faute envisageables.

248

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 57et58, préc. n°102.

Page 86: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

81

206. La faute simple de gestion est constituée par toute erreur de gestion, même légère, qui

aurait pu préjudicier au patrimoine affecté249

ou à un tiers. Cette faute pourra consister en une

faute d’action250

ou d’omission251

. Quant à la faute détachable des fonctions, sa définition a

posé plus de problèmes. En droit administratif, il s’agissait de faire peser la responsabilité sur

l’Etat en cas de simple faute de service de l’agent mais sur l’agent lui même en cas de faute

détachable de ses fonctions car alors, le lien le reliant à sa mission de service public dont

l’accomplissement justifiait une exonération de responsabilité se trouvait rompu. Malgré

certaines critiques252

, cette solution a été transposée en droit des sociétés. Ainsi considérait-on

que la faute commise par un dirigeant de société pesait sur cette même société lorsqu’elle était

simple car elle constituait une faute pouvant être commise par tout bon dirigeant de la société.

Par contre, en cas de faute détachable de ses fonctions au dirigeant, l’écran sociétaire tombe et

le dirigeant est responsable personnellement. Quoiqu’il en soit, la notion de faute détachable

elle-même a suscité des controverses quant à sa définition. Pendant longtemps, la Cour de

cassation ne l’a admise que restrictivement puisque ni le dol du dirigeant dans l’exécution

d’un contrat253

, ni un dépassement de pouvoir254

ne suffisaient à caractériser cette faute. En

résultait une large irresponsabilité des dirigeants sociaux. Ce n’est que récemment que la

Haute Juridiction est revenue sur son indulgence en considérant que la faute détachable

ressortait d’une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de

fonction sociales et commise intentionnellement par le dirigeant255

. Nous pouvons considérer

que cette faute se rapproche de la faute lourde ou inexcusable de droit civil.

207. Sachant ce que recouvrent les notions de faute simple de gestion et faute détachable

des fonctions, il nous faut nous envisager les conséquences de chacun sur la répartition du

passif entre les différents patrimoines de l’entrepreneur individuel.

B. Les conséquences sur la répartition du passif entre les différents

patrimoines de l’entrepreneur individuel.

208. Le choix entre faute simple et faute détachable des fonctions de « gérant-EIRL » aura

des conséquences sur les dettes que devront supporter les passifs des patrimoines affecté et

249

Alors le patrimoine affecté pourra s’en prévaloir s’il rencontre des difficultés financières via la responsabilité

pour insuffisance d’actif. 250

Par exemple : témérité, investissements démesurés, entêtement dans une diversification sans résultats. 251

Par exemple : défaut de surveillance des salariés, lancement d’opérations sans études sérieuses préalables. 252

G. Wicker. Personne morale in Rép. Civ, 1998, n° 78. 253

Cass. com., 28 Avril 1998, n° 96-10.253 ; Bulletin Joly Sociétés 1998, p.888, note P. Le Cannu. 254

Cass. com., 20 Octobre 1998, n° 96-15.418 ; JCP 1998, p. 2025, note A. Couret. 255

Cass. com., 20 Mai 2003, n° 99-17.092 ; Recueil Dalloz 2003, p. 2623, note B. Dondero.

Page 87: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

82

non affecté de l’entrepreneur. Cela posera des problèmes en cas d’imputation d’une de ces

dettes sur le mauvais patrimoine.

209. Si nous retenons la faute simple, l’ensemble des fautes de gestion de l’entrepreneur

s’imputeront sur son patrimoine non affecté. Cela aura pour conséquence de doublement

préjudicier à ses créanciers. En effet, cela préjudiciera d’abord aux créanciers de son

patrimoine non affecté qui verront leur concurrence sur ce patrimoine augmentée par l’arrivée

des créanciers du patrimoine affecté lésés. Ensuite, cela préjudiciera aux créanciers du

patrimoine affecté qui ne pourront semble-t-il pas se payer sur le patrimoine affecté pour cette

dette spéciale. Ils auront donc intérêt à faire qualifier la faute de gestion d’une des fautes pour

lesquelles les textes relatifs à l’EIRL prévoient la reconstitution du patrimoine affecté à titre

de sanction. Par contre, si nous retenons la faute détachable, seules les fautes lourdes,

inexcusables pèseront sur le patrimoine non affecté. Alors, risquent de naitre de nombreuses

actions en justice qui tendront à faire qualifier de faute simple ou de faute détachable le

comportement de l’entrepreneur en fonction de la consistance de chaque patrimoine. Par

conséquent, quelque soit le choix que les juges du fond opéreront, des difficultés

d’application et de répartition entre les passifs risquent de se poser. Que se passera-t-il, alors,

si une dette de gestion est imputée au mauvais patrimoine ? Nous pouvons imaginer que

seront créées des actions récursoires entre les patrimoines. Seulement, le recours au

patrimoine d’affectation arrivera alors à sa limite puisqu’il sera plus difficile de mettre en

place des actions entre les patrimoines d’une même personne. Des conflits d’intérêts

irrésolubles naitront nécessairement de l’unité de personnalité juridique à la tête de cette

dualité patrimoniale.

210. Le choix entre faute simple et faute détachable va donc avoir des conséquences

importantes sur le passif qu’auront à supporter les patrimoines de l’entrepreneur individuel.

Or, l’affectation patrimoniale est sans incidence sur ce choix. Il semble que ce ne soit qu’une

question de politique juridique. Cette idée va d’ailleurs se renforcer en étudiant les

conséquences d’un tel choix sur la limitation de responsabilité de l’entrepreneur individuel.

§2. Les conséquences sur la limitation de responsabilité de l’entrepreneur

individuel.

211. Le choix du critère de la responsabilité personnelle va influer sur l’étendue de la

limitation de responsabilité. Il sera donc un des facteurs de réussite ou d’échec de l’EIRL.

Page 88: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

83

212. Il semble que seul le critère de la faute détachable de l’exercice de l’activité

professionnelle puisse aboutir à une véritable limitation de la responsabilité de l’entrepreneur.

Dans ce cas, même les fautes simples de gestion seraient assumées par le patrimoine affecté.

Au contraire, faire peser toutes les fautes de gestion, même les plus légères, sur le patrimoine

non affecté, reviendrait à ruiner l’utilité du dispositif de l’EIRL qui ne consisterait alors plus

qu’en une simple séparation de gage, qu’une limitation du risque d’entreprise. Suivant la

volonté du législateur de faire de l’EIRL une technique de protection du patrimoine personnel

des entrepreneurs et la règle de séparation des passifs selon laquelle seul le patrimoine affecté

supporte les dettes nées de l’activité professionnelle, sans distinction de leur nature, il

semblerait logique de ne retenir leur responsabilité civile qu’en cas de commission d’une

faute détachable de leur activité professionnelle. La faveur pour la faute simple de gestion

signerait en quelque sorte l’arrêt de mort de l’EIRL puisqu’il n’apporterait définitivement rien

de plus qu’une société unipersonnelle, voire même semblerait plus dangereux, le gérant de

l’EURL n’engageant sa responsabilité personnelle qu’en cas de faute détachable de son

activité professionnelle. D’ailleurs, le rapport Champaud prévoyait une responsabilité

personnelle simplement pour les fautes lourdes256

.

213. Toutefois, il est possible de prendre parti pour le maintien d’une responsabilité

personnelle de l’EIRL en cas de simple faute de gestion. En effet, nous pourrions effectuer la

même critique que celle faite concernant la responsabilité des dirigeants sociaux257

et selon

laquelle la quasi-irresponsabilité entraînée par la responsabilité pour faute détachable n’est

pas justifiée d’une part parce que la gestion des personnes morales de droit privé n’est pas

soumise aux contraintes du service public et d’autre part parce qu’une société n’est pas

toujours solvable contrairement à l’Etat. Ensuite, nous pourrions considérer que la gestion du

patrimoine affecté par l’entrepreneur se rapproche plus de celle du patrimoine fiduciaire258

.

Or, le fiduciaire est personnellement responsable en cas de simple faute de gestion. De même

si la gestion du patrimoine affecté était confiée à un mandataire, il serait responsable

personnellement des fautes simples de gestion. Il semble donc logique que la responsabilité de

l’entrepreneur soit identique s’il décide de gérer lui-même son patrimoine affecté. Enfin, la

responsabilité pour faute simple permet d’avoir à éviter de classer les différentes fautes que

pourrait commettre l’entrepreneur. En effet, en cas d’infraction à la législation du travail ou

256

C. Champaud. L’entreprise personnelle à responsabilité limitée : Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier

l’E.P.R.L. dans le droit français in RTD Com., 1979, p. 579, préc. n°31. 257

M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 161, préc. n°281, note (21). 258

En effet, patrimoine affecté de l’EIRL et patrimoine fiduciaire du fiduciaire sont tous deux des patrimoines

d’affectation.

Page 89: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

84

de la commission d’infractions pénale, se posera nécessairement la question de savoir si ces

infractions constituent des fautes simples ou détachables de l’activité professionnelles259

.

214. Le choix entre faute simple de gestion et faute détachable de l’activité professionnelle

sera donc crucial. Toutefois, ce problème a le mérite de démontrer qu’en lui-même, le recours

au patrimoine affecté ne permet pas une limitation certaine de responsabilité. Il est certain

qu’il constituera toujours une limitation de gage mais c’est le régime juridique que lui

donneront le législateur et les juges qui, seul, permettra d’exonérer l’entrepreneur d’une partie

de sa responsabilité. L’exonération de responsabilité est donc une question de politique

juridique plus que de technique juridique utilisée pour y parvenir.

215. Conclusion du Chapitre. Il semble donc qu’il soit impossible d’anéantir toute

responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel malgré le recours au patrimoine

d’affectation. Certes, des responsabilités civiles telles la responsabilité du fait des produits

défectueux pourront continuer logiquement à s’imputer sur le patrimoine affecté260

, mais en

cas de faute de gestion, l’entrepreneur devra en répondre personnellement. Tout l’enjeu

résidera alors dans la détermination de la gravité de la faute qui engagera la responsabilité

personnelle de l’entrepreneur individuel sur son patrimoine non affecté.

216. Conclusion du Titre. La question de l’étendue de la responsabilité de l’EIRL est une

question de politique juridique. Le régime du patrimoine d’affectation s’adaptant à la finalité

pour laquelle il est utilisé, cette technique seule ne peut entrainer une exonération de cette

responsabilité. Le présenter comme salvateur du problème de limitation de responsabilité

connu par l’EURL était donc un leurre. Tout dépendra de la volonté politique et judiciaire lors

de la mise en œuvre de ce dispositif.

217. Conclusion de la partie. Nous pouvons alors conclure que le recours la création d’un

patrimoine d’affectation permet d’obtenir une séparation de gage qui sera maintenue même en

présence de difficultés financières. Sur ce point, l’EIRL semble constituer un progrès comparé

à l’EURL en ce qu’il permet une application « par patrimoine » et non « par débiteur » des

procédures de traitement des entreprises en difficultés. Toutefois, en présence d’un

259

Cette question suscite également des débats au sein de la jurisprudence en droit des sociétés. Voir sur ce

point : M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy. Droit des sociétés. Paris : Litec, 2010 p. 163, préc. n°284. 260

B. Mallet-Bricout. L’affectation d’un patrimoine : fonctionnement et cessation in EIRL : L’entrepreneur

individuel à responsabilité limitée. Paris : Litec, 2011 p. 58, préc. n°103.

Page 90: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

85

entrepreneur tenant une comptabilité rigoureuse, aucune extension de procédure ne se

produira et alors, EIRL et EURL apparaitront comme aussi protectrices. Ainsi, seul le

comportement irréprochable et vertueux des entrepreneurs, et non la technique de protection

patrimoniale à laquelle ils recourent, semble pouvoir le protéger de ses déconvenues

professionnelles. Cependant, l’entrepreneur ne pourra jamais s’exonérer totalement de sa

responsabilité civile personnelle s’imputant sur son patrimoine non affecté. Quelque soit

l’intensité de la faute requise pour engager sa responsabilité, il restera responsable de sa

gestion sur son patrimoine personnel. Mais, cette question relevant de la politique juridique,

nous ne pouvons donc pas conclure que le recours au patrimoine affecté permet

« nécessairement » une exonération de responsabilité personnelle. Sur ce point, il ne présente

donc aucun avantage par rapport aux outils déjà mis à disposition des entrepreneurs.

CONCLUSION GENERALE

218. « Au royaume de l’insécurité juridique, l’EIRL est reine261

». Tel aurait pu être le sous

titre de cette étude sur « l’EIRL et la notion de patrimoine d’affectation ».

Nous avons tenté de démontrer que le régime de l’EIRL possède de nombreuses

lacunes auxquelles la notion de patrimoine d’affectation ne peut pas systématiquement

apporter de réponses. Tant que ces réponses ne seront pas apportées par la jurisprudence ou le

législateur, le recours à ce patrimoine d’affectation sera synonyme d’insécurité juridique pour

l’entrepreneur individuel et ses créanciers. A ce stade, le recours à la technique sociétaire, et

notamment à l’EURL, apparait donc comme plus sûr. En effet, l’EIRL n’a pas tenu les

promesses de simplicité et de sécurité juridique auxquelles s’était engagé le législateur quant

à son organisation. Il ne les a pas tenues non plus quant à la finalité de l’EIRL : la limitation

de la responsabilité de l’entrepreneur. En effet, si le recours au patrimoine affecté permet une

séparation patrimoniale qui sera maintenue en cas d’ouverture d’une procédure de traitement

des entreprises en difficultés, il ne peut permettre d’exonérer l’entrepreneur mauvais gérant de

toute responsabilité personnelle. Il est alors apparu que c’est le comportement de

l’entrepreneur et non la technique utilisée qui pouvait lui permettre de cantonner l’imputation

de ses déconvenues professionnelles à son patrimoine « professionnel ».

Ainsi, le législateur aurait-il peut-être mieux fait d’améliorer l’étanchéité des gages au

sein de l’EURL ou de relancer les dispositifs déjà existant en en faisant la promotion. Ou,

peut-être aurait-il dû aller plus loin et reconnaitre l’existence d’une pro-personnalité comme le

261

R. Mortier. Les mutations de l’EIRL in Droit et Patrimoine, Avril 2011, n°202, p. 78.

Page 91: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

86

proposait le 106ème

Congrès des Notaires qui s’était tenu à Lille en 2009. Cette personnalité,

d’exception par rapport au principe que resterait la personnalité civile, permettrait à

l’entrepreneur de n’engager que les biens utilisés pour son activité professionnelle lorsqu’il

agit à ce titre. Cependant, nous pouvons effectuer le même grief que celui porté au recours au

patrimoine d’affectation. En effet, ce concept n’a été envisagé que dans sa possibilité. Sans la

construction d’un régime solide, complet et adapté, les mêmes incertitudes se poseront et la

sécurité juridique ne pourra être garantie.

Page 92: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

87

A/

Aliénation

- Biens utiles

- Biens nécessaires

- Patrimoine affecté

Abus

Action oblique : 52

Action paulienne : 150, 151

Affectation

- à une activité professionnelle : 18

- caractère commun du patrimoine

de l’EIRL et du patrimoine

sociétaire : 19,

- liberté d’affectation : 24, 25

- modalités d’affectation : en toute

propriété, en jouissance, en nue-

propriété, en usufruit : 22

Apport

- en industrie : 19

- en nature : 19

- en numéraire : 19

B/

Banqueroute : voir responsabilité pénale

Bénéfice de discussion : 2

Bénéfices : voir droits, procédure collective

Biens communs et indivis

- modalités d’affectation : 21

- accord exprès : 37

- aliénation : 105

- constitution de sûretés : 137

Bien nécessaire

- définition : 25

- liberté d’affectation : 25

Bien utile :

- définition : 25

- liberté d’affectation : 25

C/

Cautionnement : voir sûretés

Co-exploitation : 96

Commissaire aux comptes : 33

Comptes annuels : 33

D/

Déclaration d’affectation : 33, 95

Déclaration d’insaisissabilité : 2

Décloisonnement du gage

- absolu : 142

- relatif : 143

Désaffectation : voir mutations

Droits :

- des créanciers du patrimoine non

affecté sur le patrimoine affecté : 52

- de propriété : 49, 86

INDEX (les numéros renvoient aux paragraphes numérotés)

Page 93: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

88

- politiques

définition : 85

absence : 86

- aux bénéfices

existence : 56

régime : 59

- aux revenus

absence d’encadrement du

droit : 62 et suivants

articulation avec le droit aux

bénéfices : 65 à 67

définition : 63

E/

Escroquerie : 148

EURL : 2

Evaluation des biens : 33

Extinction du patrimoine affecté

- par décès de l’EIRL : 116 et 117

- par renonciation à l’affectation :

118

F/

Faillite personnelle : voir responsabilité civile

Faute

- simple de gestion

- détachable des fonctions

Faux : 148

Fiducie : 2

Formalisme : 30 à 39

- condition de l’opposabilité de

l’affectation : 35 à 37

- connaissance de l’étendue de

l’affectation : 32 à 34

I/

Indivision : 96

Insuffisance d’actif : voir responsabilité civile

L/

Limitation de responsabilité :

- finalité de l’EIRL : 29

- risque d’entreprise : 124

- limitation du risque d’entreprise en

cas de difficultés financières :

au bénéfice de l’EIRL :

161

au bénéfice du conjoint de

l’EIRL : 162

M/

Mandat : 88 et 89

Mutations

- affectation de nouveaux actifs : 95

- aliénation des actifs: 102, 103

- désaffectation : 96

- extinction : voir extinction

- protection des créanciers contre les

aliénations : 105

- transmission du patrimoine affecté

régime : 109 à 111

articulation avec le droit

des régimes matrimoniaux

et des successions : 112 et

113

O/

Opposabilité

- déclaration d’affectation : 33

- utilité : 75 à 77

Page 94: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

89

Organisation frauduleuse d’insolvabilité :

voir responsabilité pénale

P/

Patrimoine

- cumul du patrimoine affecté et de

la déclaration d’insaisissabilité :

198 à 202

- notion : 4

- différentes conceptions : 5

Personnalité morale

- indifférence pour la gestion du

patrimoine affecté : 73

- utilité pour les sociétés : 74

Procédure collective

- application distributive : 155, 156

- articulation entre les procédures :

158

- cumul avec la procédure de

surendettement : 156

- nullités de la période suspecte :

166 à 168

- possibilités d’extension de la

procédure

confusion des

patrimoines : 170

sanction : 170

- revenus : 172, 173

Pro-personnalité : 218

R/

Redressement judiciaire

Renonciation à partielle à l’affectation : 133

à 137

Représentation :

- conception classique : 79

- évolution de la conception : 81

- conséquences sur les contrats

conclus avec soi-même : 82

Responsabilité civile

- en matière de procédure

collectives

faillite personnelle : 179 à

181

responsabilité pour

insuffisance d’actif : 182 à

184

Responsabilité pénale :

- banqueroute : 189, 190

- organisation frauduleuse

d’insolvabilité : 186 à 188

Responsabilité personnelle :

conséquences sur la limitation de

responsabilité : 211 à 214

conséquences sur la répartition des

dettes : 208 à 210

faute détachable des fonctions : 205 à

207

faute simple de gestion : 205 à 207

maintien : 193 à 197

recherche d’un critère : 204

Revenus : voir droits, procédure collective

S/

Séparation des gages

- étanchéité : 131

- organisation : 130

- maintien en cas de difficultés

financières : 153, 161

Subrogation réelle : 95

Surendettement : voir procédure collective

Sûretés : 133à 137

Page 95: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

90

T/

Titres sociaux : 42 et suivants

- cause de l’absence : 43

- nature : 44

Transmission universelle

- conséquence de la nature

d’universalité juridique : 48

- fusions : 109

U/

Universalité juridique

- influence sur la séparation des

gages : 128

- nature du patrimoine affecté : 47

Page 96: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

91

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2009 (Dalloz action 2010-2011).

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1976, jurispr. p. 295.

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p. 390.

DONDERO (B). Note sous Cass. com., 20 Mai 2003, n° 99-17.092. Recueil Dalloz , 2003, p.

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LE CANNU (P). Note sous Cass. com, 28 Avril 1998, n° 96-10.253. Bulletin Joly Sociétés

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SAINT-ALARY-HOUIN (C). Note sous Cass. com., 19 Avril 2005, n° 05-10.094. Bulletin

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VI. RESSOURCES INTERNET.

http://www.assemblee-nationale.fr

http://www.minefe.gouv.fr

http://www.droit360.fr

http://www.justice.gouv.qc.ca

Page 103: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

98

Table des matières

Liste des abréviations ......................................................................................................................... III

Sommaire ............................................................................................................................................. IV

Introduction. ..........................................................................................................................................1

PARTIE I. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET ORGANISATION DE L’EIRL. ...................8

Titre I. Les particularités de l’organisation de l’affectation des biens par l’EIRL. ....................8

Chapitre I. L’encadrement strict de l’affectation des biens. ............................................................8

Section I. L’encadrement du contenu du patrimoine affecté à l’EIRL. .........................................

§1. L’affectation, notion commune aux patrimoines sociétaires et au patrimoine

d’affectation. ..................................................................................................................9

A. Une véritable affectation au même titre que tout patrimoine sociétaire. ......9

B. L’identité de la nature des actifs « affectables » à l’EIRL et aux sociétés. 10

§2. La liberté d’affectation, l’opposition de l’affectation du patrimoine de l’EIRL et

des patrimoines sociétaires. ..........................................................................................12

A. Les contraintes dans les biens à affecter à l’EIRL. ..................................12

B. La raison des contraintes : la finalité de l’EIRL. .....................................14

Section II. Le respect du formalisme, condition de l’efficacité de l’affectation. ......................15

§1. Le formalisme, condition de la connaissance de l’étendue de l’affectation. .........15

§2. Le formalisme, condition de l’opposabilité de l’affectation. ..................................18

Chapitre II. Les incertitudes sur les contreparties à l’affectation. .................................................20

Section I. L’absence de contre-valeur au bénéfice du patrimoine non affecté lors de la

constitution de l’EIRL. .............................................................................................................20

§1. L’absence de titres intégrant le patrimoine non affecté de l’entrepreneur. ............20

§2. L’incertitude de la nature juridique du patrimoine d’affectation. ..........................21

A. La question d’un droit portant sur le patrimoine d’affectation ...................21

B. L’éventuel exercice du droit portant sur le patrimoine affecté par les

créanciers. .......................................................................................................23

Section II. Les prélèvements sur les revenus du patrimoine affecté lors de son fonctionnement.

........................................................................................................................................................24

§1.Le droit aux bénéfices. ...........................................................................................24

A. La déduction d’un droit aux bénéfices des dispositions de la loi du 15 Juin

2010 . ..............................................................................................................24

Page 104: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

99

B. L’application du droit des sociétés. ............................................................25

§2. Le droit à un revenu prélevé sur le patrimoine affecté. .........................................26

A. Les problèmes posés par l’absence d’encadrement du prélèvement. .........26

B. L’articulation du droit aux bénéfices et du droit aux revenus. ...................27

Titre II. Les particularités de l’organisation de la gestion du patrimoine affecté ......................29

Chapitre I. Les particularités du mode de gestion du patrimoine affecté de l’EIRL. ....................29

Section I. La gestion d’un patrimoine sans personnalité morale. .............................................29

§1. L’indifférence de l’absence de personnalité morale quant à la gestion de l’EIRL.29

A. L’utilité de la personnalité morale pour les sociétés. .................................30

B. L’existence de moyens d’opposabilité dans le cadre de l’EIRL. ...............31

§2. L’évolution de la notion de représentation. ...........................................................32

A. La conception classique de la représentation : représenter autrui. .............32

B. L’évolution de la conception de la représentation. .....................................33

Section II. La gestion directe du patrimoine affecté par l’entrepreneur individuel. .................34

§1. L’absence de droits politiques du gérant du patrimoine affecté. ...........................34

§2. L’utilisation du mandat hors de la structure de l’EIRL. ........................................35

Chapitre II. Les particularités des mutations du patrimoine d’affectation. ...................................36

Section I. La mutation des actifs du patrimoine affecté. ..........................................................36

§1. La modification de l’affectation. ...........................................................................37

A. L’affectation de nouveaux actifs au patrimoine affecté. ............................37

B. La désaffectation des actifs du patrimoine affecté. ....................................39

§2. L’aliénation des actifs du patrimoine affecté. ........................................................40

A. L’aliénation des biens nécessaires et utiles. ................................................40

B. La carence de la protection des créanciers face aux aliénations. . ..............41

Section II. La mutation du patrimoine affecté. .........................................................................42

§1. La transmission du patrimoine affecté. ..................................................................42

A. Le régime de la transmission du patrimoine affecté. .................................42

B. L’articulation du régime de la transmission du patrimoine affecté avec le

droit des successions et le droit des régimes matrimoniaux. ..........................45

§2. L’extinction du patrimoine affecté. .......................................................................46

A. L’extinction par décès de l’entrepreneur individuel. .................................46

B. L’extinction par la renonciation à l’affectation ..........................................47

PARTIE II. PATRIMOINE D’AFFECTATION ET LIMITATION DE RESPONSABILITE ..49

Titre I. La limitation du risque d’entreprise. ...............................................................................49

Page 105: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

100

Chapitre I. La stricte détermination du gage des créanciers en présence d’un patrimoine affecté in

bonis. .............................................................................................................................................49

Section I. Une stricte séparation des gages des différents créanciers. ......................................50

§1. La détermination des gages des différents créanciers. ...........................................50

A. L’influence de la nature juridique de l’EIRL sur la séparation des gages. 50

B. Les conséquences légales sur la séparation des gages. ...............................51

§2. L’impossibilité de consentir des sûretés entre les différents patrimoines de

l’entrepreneur individuel. .............................................................................................52

A. L’absence de prévisions légales. ................................................................53

B. La nature du patrimoine affecté de l’EIRL contraire à une extension des

gages par sûreté ou renonciation partielle à l’affectation. ...............................53

Section II. La protection des créanciers contre les abus dans la détermination de leurs gages 55

§1. La protection légale restreinte. ...............................................................................55

A. Les hypothèses de décloisonnement des gages. ..........................................55

B. L’insuffisance de la protection légale. .......................................................57

§2. Le recours aux droits communs pour accentuer la protection des gages. ..............57

A. Le difficile recours au droit pénal. .............................................................57

B. La protection civile par le recours à l’action paulienne. ............................59

Chapitre II. La limitation des risques supportés par l’entrepreneur individuel en cas de difficultés

financières ......................................................................................................................................60

Section I. Le renouveau du droit des entreprises en difficulté et du surendettement. ..............60

§1. Le principe : l’application distributive des procédures collectives et de

surendettement au patrimoine. .....................................................................................60

A. L’application des procédures au patrimoine lui-même. .............................61

B. Les problèmes d’articulation entre les procédures. ....................................62

§2. Conséquences : la limitation des risques en pratique, véritable innovation de

l’EIRL. .........................................................................................................................63

A. Une véritable limitation du risque d’entreprendre pour l’entrepreneur

individuel. .......................................................................................................63

B. Le bénéfice retiré par le conjoint de l’entrepreneur individuel. .................63

Section II. La protection des créanciers contre les abus. ..........................................................64

§1. La protection du gage des créanciers professionnels. ............................................64

A. Les nullités de la période suspecte. ............................................................65

B. Les possibilités d’extension de la procédure. .............................................66

§2. Le problème des revenus librement versés dans le patrimoine non affecté. ..........67

Page 106: L'EIRL ET LA NOTION DE PATRIMOINE D'AFFECTATION

101

Titre II. Le maintien d’une responsabilité minimale de l’entrepreneur individuel en qualité de

gérant. ...............................................................................................................................................69

Chapitre I. L’engagement de la responsabilité personnelle de l’entrepreneur individuel dans le

droit des entreprises en difficulté. .................................................................................................69

Section I. La responsabilité civile en tant que gérant d’un patrimoine affecté. ........................69

§1. La faillite personnelle. ...........................................................................................70

§2. La responsabilité pour insuffisance d’actif. ...........................................................71

Section II. La responsabilité pénale en tant que gérant d’un patrimoine affecté. ....................73

§1. L’organisation frauduleuse d’insolvabilité. ...........................................................73

§2. La banqueroute. .....................................................................................................74

Chapitre II. La recherche d’un principe général de responsabilité personnelle de l’entrepreneur

sur son patrimoine non affecté. .....................................................................................................76

Section I. Le maintien de la responsabilité personnelle du gérant du patrimoine affecté. ........76

§1. L’impossibilité de supprimer la responsabilité d’un gérant par la création d’un

patrimoine d’affectation. ...............................................................................................76

§2. L’éventualité d’un cumul avec la déclaration d’insaisissabilité. ...........................78

A. La possibilité théorique. ..............................................................................78

B. L’inutilité pratique du cumul : l’anéantissement du crédit de l’entrepreneur

individuel. .......................................................................................................79

Section II. La répartition des dettes de responsabilité entre les différents patrimoines de

l’EIRL. ......................................................................................................................................80

§1. La recherche d’un critère de responsabilité personnelle du gérant « EIRL ». .......80

A. L’hésitation entre faute simple de gestion et faute détachable des fonctions.

.........................................................................................................................80

B. Les conséquences sur la répartition du passif entre les patrimoines de

l’entrepreneur individuel. . ..............................................................................81

§2. Les conséquences sur la limitation de la responsabilité de l’entrepreneur

individuel. . ..................................................................................................................82

Conclusion Générale ............................................................................................................................85

Index ......................................................................................................................................................87

Bibliographie .........................................................................................................................................91