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vp Tarif standard : 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 5 • Tarif de soutien : 10 N o 14 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 DOSSIER x INDUSTRIE PEURS ET PRÉCAUTION SCIENCE x UN DÉCOUPEUR QUI RÉVOLUTIONNE LA GÉNÉTIQUE par Michel Limousin TRAVAIL x L’ESSOR DE L’INTÉRIM par Anne Rivière ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x 100 % D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ? par Bertrand Cassoret IDÉES x LA SCIENCE, POUR LUTTER CONTRE LES OBSCURANTISMES par Jean-Pierre Kahane INTERVIEW x PIERRE-FRANCK CHEVET, président de l’Autorité de sûreté nucléaire

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10€

No 14 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

DOSSIER x

INDUSTRIEPEURS ET PRÉCAUTION

SCIENCE xUN DÉCOUPEUR QUI RÉVOLUTIONNELA GÉNÉTIQUEpar Michel Limousin

TRAVAIL xL’ESSOR DE L’INTÉRIMpar Anne Rivière

ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ x100 % D’ÉNERGIESRENOUVELABLES ?par Bertrand Cassoret

IDÉES xLA SCIENCE, POUR LUTTER CONTRE LES OBSCURANTISMES par Jean-Pierre Kahane

INTERVIEW x PIERRE-FRANCK CHEVET, président de l’Autorité de sûreté nucléaire

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SOMMAIRE2 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

ÉDITO Le progrès au cœur des campagnes Alain Tournebise...................................................................................................... 3

ENTRETIEN « La science pour lutter contre les obscurantismes » interview de Jean-Pierre Kahane par Anna Musso ......................... 4/6

DOSSIER : INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTIONUne industrie utile, propre et sûre Jean-Claude Cheinet ....................................................................................................................... 9Pour un développement industriel renouvelé Alain Obadia ........................................................................................................... 10L’industrie et la ville Yvette Veyret ........................................................................................................................................................ 12Environnement-risques et industrie : l’approche d’un industriel Gérard Ferréol .......................................................................... 142001-2015 : La prise en compte des risques industriels par l’État Gilbert Sandon ........................................................................16La sûreté des usines comme rapport de forces Jean-Claude Cheinet ............................................................................................ 19Loi Bachelot et PPRT : dédouaner de leurs responsabilités l’État et les industriels des sites à risques Michel Le Cler et Sylvestre Puech ................................................................................................ 21La chimie, un secteur essentiel à nos vies André Mondange .......................................................................................................... 23Vivre à côté du risque sans avoir peur l’exemple de Gonfreville-l’Orcher, près du Havre Jean-Paul Lecocq ....................... 24Derrière l’écologie, rentabilité et risques Rencontre avec Fabien Cros ............................................................................................. 25Le risque transport de matières dangereuses Michel Sacher et Éric Pourtain................................................................................... 27Irruption du privé sur les rails et sûreté : une bataille de classe! Robin Matta ............................................................................ 29Glossaire : des mots pour le dire Luc Foulquier ............................................................................................................................... 30

INTERNATIONALSOLIDARITÉ Jumelage entre syndicats français et cubains Bernard Andrieu .................................................................................. 31

BRÈVES ................................................................................................................................................................................. 32/35

SCIENCE ET TECHNOLOGIEGÉNÉTIQUE CRISPR-Cas9 : le découpeur qui révolutionne la génétique Michel Limousin ......................................................... 36HISTOIRE Le marégraphe de Marseille, origine des altitudes françaises continentales Jonathan Chenal ................................ 38ARTS ET TECHNIQUES Quand les techniques révolutionnent l’art pictural Bernard Roué .............................................................. 40

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIELUTTES Les syndicats allemands au front dans la lutte contre l’austérité et le nationalisme Bruno Odent .............................. 42PRÉCARITÉ L’intérim, un essor spectaculairement contradictoire Anne Rivière ............................................................................ 44

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉÉCOLOGIE scénarios 100 % énergies renouvelables. Que valent-ils? Bertrand Cassoret .............................................................. 46SÛRETÉ NUCLÉAIRE Le gendarme du nucléaire doit savoir résister aux pressions Interview de Pierre-Franck Chevet par Sylvestre Huet..................................................................... 48/51

Progressistes (Trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeur de la publication : Jean-François Bolzinger • Directeur scientifique : Jean-Pierre Kahane• Président du conseil de rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints :Aurélie Biancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Responsable des rubriques : Ivan Lavallée, Anne Rivière, Jean-ClaudeCheinet, Malou Jacob, Brèves : Emmanuel Berland • Vidéos et documentaires : Celia Sanchez • Livres : Delphine Miquel • Politique : Shirley Wirden • Jeux etstratégies : Taylan Coskun • Comptabilité et abonnements : Françoise Varoucas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua,Geoffrey Bodenhausen, Léa Bruido, Jean-Claude Cauvin, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Gabriel Laumosne, MichelLimousin, George Matti, Simone Mazauric, Hugo Pompougnac, Hervé Radureau, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Lise Toussaint, Françoise Varoucas •Conception graphique et maquette : Frédo Coyère • Expert associé : Luc Foulquier • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0917 G 93175 • Imprimeur : Public imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : (Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz).

CRÉDIT PHOTOS : P.11 Description Français : Usine abandonnée Date 2 mars 2013, 12:22:43 SourceTravail personnel Auteur Degrootelulu • P.20 Étang de Berre by SPOT Satellite Date 2003 Source : http://gallery.spotimage.com/product_info.php?pro-ducts_id=1293 Auteur Cnes - Spot Image • P.22 Italiano: Stazione ferroviaria di Seveso Date December 2010 Source Own work AuthorArbalete • P.23 Español: Vista del interior del hemiciclo de la Asamblea Nacional de Francia, imágenes de septiembre de2009. Date 22 September 2009 Source Own work AuthorRichard Ying et Tangui Morlier Other versions • P.29 Vue aérienne du Triage de Villeneuve-St-Georges, Val-de-Marne, France Date 24 August 2011 Source Own work Author Poudou99 • P.40Русский: Художественные масляные краски в тубах English: Oil paints Date 15 March 2010 Source Own work Author Дар Ветер • P.45 21:40, 8 April 2005 Rama (talk | contribs) *'''fr''' (original): Le bloc avant du Bâtiment de Projection etde Commandement (BPC) Mistral, après avoir quitté les chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire le 17 juillet, a été convoyé jusqu'à Brest. Ce bloc est alors entré au bassin 9

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

ÉDITORIAL

l’heure où le pays est engagé dans deuxcampagnes électorales essentielles pournotre avenir, notre revue, qui est aussi la

vôtre, doit prendre plus que jamais toute sa placedans le débat politique, avec l’approche originalequi est la sienne.La période de préparation des scrutins présiden-tiel et législatifs s’annonce comme un déferlementd’idées rétrogrades, aussi l’objectif de Progressistesest de promouvoir opiniâtrement, inlassablement,l’idée de progrès, de combattre pied à pied l’obscurantisme, les obscurantismes.

L’obscurantisme religieux, bien sûr, qui a si sou-vent, au cours de l’histoire – et pas seulement del’histoire contemporaine – fait montre de méprisà l’égard de l’humain et de haine de tout progrès.L’obscurantisme religieux ne se combattra pas endressant contre lui un autre obscurantisme reli-gieux, mais par les progrès de la connaissance et de la civilisation.L’obscurantisme economique aussi, qui voudrait,soutenu par un académisme intolérant et desmedias complaisants, imposer une pensee uniqueen erigeant abusivement en « science » une construc-tion partisane faite de raisonnements simplistesfondés sur des hypothèses chimériques.Et également cette forme d’obscurantisme, si pré-sente parmi les forces sociales, qui récuse le pro-grès des sciences au motif qu’il pervertirait lanature humaine, qu’il « multiplie nos égarements[et] accélère […] nos malheurs », comme l’écrivaitRousseau. Climatoscepticisme, demandes de sor-tie du nucléaire, décroissance en sont les mani-festations contemporaines les plus répandues.Leurs tenants – ils y croient, le plus souvent entoute bonne foi – ne sont pas nos adversaires : ilsne sont pas des exploiteurs. Mais nous pensonsqu’ils gagneraient à mieux s’informer sur les réa-lités et sur ce qu’une science democratisee, dontils seraient partie prenante, pourrait apportercomme solutions utiles à toute l’humanité. Et ilnous appartient de faire la clarté dans ce débat.

Nous avons confiance dans le progrès, non pasune confiance aveugle, certes, mais née de l’étude,de la réflexion. Les sciences, les technologies, leurmise en œuvre sont enjeu de luttes si l’on penseque toute avancée dans ce domaine devrait êtrepatrimoine de l’humanité et non propriété dequelques groupes industriels et de leurs action-naires. C’est donc un enjeu de classe. Elles sont,pour cela même, porteuses de dangers comme dechances d’un meilleur avenir.Rien n’est écrit. C’est un rapport des forces quifera que les technologies numériques, les bio -technologies, les nanotechnologies seront mises au service d’une vie meilleure ou de profits plussubstantiels pour certains.

C’est l’ambition première de notre revue que decontribuer à l’établissement d’un nouveau rap-port de force. Nos contributeurs – chercheurs,enseignants, ingénieurs, techniciens, syndica-listes… – sont tous des praticiens directementimpliqués dans ce combat. Mais cette ambitionrestera illusoire sans le soutien et le relais de seslecteurs, sans la diffusion des idées dont Progressistesest le vecteur.

Lire, faire lire, diffuser, populariser notre revue etles idées dont elle est porteuse, c’est à cette actionmilitante que nous appelons tous nos lecteurspour mettre le progrès au cœur des campagnespour les prochaines échéances électorales…et au-delà. n

ALAIN TOURNEBISE,DIRECTEUR

DE LA DIFFUSION DE PROGRESSISTES

Le progrès au cœur des campagnes

À

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Jean-Pierre Kahane, mathématicien de renommée mondiale,académicien des sciences, codirecteur de notre revue et mili-tant communiste, analyse, dans un entretien paru dansl’Humanité du 12 octobre 2016, les liens entre science, sociétéet politique. Il nous livre des pistes pour améliorer leur synergiedans une démarche progressiste.

ENTRETIEN RÉALISÉ,PAR ANNA MUSSO*,

échauffement climatique,pénurie de nouveauxantibiotiques, révolution

numérique galopante, déploie-ment des bio- et nanotechno-logies, dilemmes éthiques…Comment relever les défismajeurs actuels et futurs auxniveaux national et internatio-nal lorsque science, société etpolitique semblent en divorce ?Comment réussir en l’absenced’une volonté publique forte etsous la pression de coupes bud-gétaires ? Comment renouer ledialogue entre citoyens, cher-cheurs et décideurs pour ins-crire le progrès scientifique ettechnique dans une voie de pro-grès pour toute l’humanité ?Éclairer le grand public, débat-tre, encourager les scientifiquesà sortir de leurs laboratoires,coopérer entre les pays et sur-tout, surtout, se faire entendre

par le monde politique et leconvaincre d’agir dans unedémarche progressiste… Tellessont quelques-unes des entre-prises mises en chantier parl’Académie des sciences pourson 350e anniversaire.Réunis au Louvre, à Paris, unesoixantaine de représentantsd’académies des sciences dumonde entier se sont engagés,dans une déclaration commune,à réinvestir l’éducation et à contri-buer au bien-être de l’huma-nité. Une démarche prolongée,sous diverses formes, par la25e édition annuelle de la Fêtede la science, destinée à favori-ser les échanges entre chercheurset citoyens. Un événement impor-tant selon Jean-Pierre Kahane,qui insiste sur l’urgence de tis-ser de nouveaux liens deconfiance entre science et société.

Anna Musso : Que pensez-vous dela Fête de la science qui se dérouleen ce moment en France ? Ce ren-

dez-vous annuel est-il suffisantpour créer du lien entre scientifiqueset citoyens ?Jean-Pierre Kahane : La Fête dela science est importante pourdeux raisons : elle attire l’atten-tion du grand public, des jeuneset des médias et elle oblige lesscientifiques à sortir de leurcoquille pour transmettre leursavoir ! Aujourd’hui, les cher-cheurs savent que la vulgarisa-tion, le partage des connais-sances, fait partie de leur missionscientifique. Ce qui n’était pasle cas il y a trente ans : le termede « vulgarisation » était malperçu par la communauté scien-tifique, nous pouvions, à larigueur, parler de « popularisa-tion » des sciences. S’interrogersur les liens entre science etsociété n’était pas une préoc-cupation professionnelle. À maconnaissance, c’est la Sociétéeuropéenne de mathématiques,dans les années 1990, qui a étéla première à en faire un thèmede congrès. La Fête annuelle dela science est insuffisante, biensûr, mais elle ouvre la voie vers

une multitude d’initiatives quicréent du lien entre science etcitoyens. Je pense aux portesouvertes des musées et labora-

toires, aux conférences grandpublic, aux nouveaux livres devulgarisation scientifique, aufestival international des jeuxde mathématiques à Paris…

A. Musso : L’Académie des scien -ces, dont vous faites partie, célèbreson 350e anniversaire. À cette occa-sion, 58 académies des scien cesdu monde ont signé une décla rationcommune pour « exprimer leur déter-mination à travailler au sein de lasociété ». Comment considérez-vous ce texte ?J.-P. Kahane : J’aime le titre dece manifeste, « Science et

confiance », à contre-courantde l’atmosphère générale quiserait plutôt « Science etméfiance ». Dans son article du

« La science pour lutter contre les obscurantismes »

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SCIENCE ET TECHNOLOGIE4

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Aujourd’hui, les chercheurs savent que la vulgarisation, le partage des connaissances, fait partie de leur mission scientifique.

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6 octobre dans l’HumanitéDimanche, le secrétaire perpé-tuel de l’Acadé mie des sciences,Catherine Bréchignac, déve-loppe les raisons du divorce entrela société et la science. Par lasignature de cette déclarationcommune, les 58 représentantsd’académies des sciences affir-ment l’importance des liensentre science, société et poli-tique et s’engagent à les renouer.La dernière phrase du manifesteen est l’expression : « Les acadé-mies des sciences réunies renou-vellent leur confiance dans l’édu-cation et dans la capacité de larecherche scientifique à contri-buer au progrès de l’humanité. »

A. Musso : Cette déclaration insistesur la lutte contre les « obscuran-tismes », est-il particulièrementnécessaire de mener ce combat enpériode électorale ?J.-P. Kahane : C’est très impor-tant, dans tous les pays et quelleque soit leur situation politique.L’obscurantisme est une arme

électorale quand la politique dis-paraît de la pensée commune.On en voit un exemple avec lesélections américaines. Toute lacampagne de Trump est fondéesur l’obscurantisme ! Il dit n’im-porte quoi, mais toujours en rap-

port avec des préjugés ou desfausses sciences. D’ailleurs, auxÉtats-Unis, on enseigne toujoursle créationnisme dans les écoles…En quoi consistent les obscuran-tismes ? À trouver des réponsescourtes et simplistes à des ques-tions difficiles. Il existe une bataillemondiale entre l’obscurantismeet les Lumières, et l’erreur, plusfacile, plus flatteuse, plus diverse,arrive souvent avec une longueurd’avance dans l’opinion. Or les

fausses croyances empêchent lasociété d’avancer sur des ques-tions urgentes : je pense auréchauffement climatique, misen évidence dès les premiers rap-ports du GIEC… et dénigré parcertains.

A. Musso : Communiste depuis tou-jours, comment votre parcours mil-itant influe-t-il sur votre conceptionde l’enseignement des mathéma-tiques et leur rôle dans la cité ?J.-P. Kahane : Je suis communistedepuis soixante-dix ans, j’ai adhéréau PCF le jour de mes vingt ans.Je venais d’entrer à l’École nor-male supérieure pour faire desmathématiques. Mon père étaitcommuniste, j’ai toujours vécuavec ces valeurs, j’ai lu le Capital

pendant l’Occu pation… C’étaitdonc une adhésion à la fois affec-tive et réfléchie. J’étais seul dema promotion à être commu-niste, mais il y avait des cama-rades remarquables dans toutesles disciplines et un mouvementsyndical fort qui montait. Par lasuite, j’ai élargi mon horizon, ycompris ma vision des mathé-matiques, du fait de mon enga-gement politique. Enseigner, par-tager, cela faisait partie de mesdevoirs. Les mathématiques doi-vent constituer un entraînementde l’esprit. Il est très importantde les enseigner de façon acces-sible, ludique, intéressante.Condorcet voulait qu’on lesenseigne aux très jeunes enfants.Je cite, de mémoire, l’une de sesbelles formules : « Les chiffres etles lignes parlent plus qu’on ne lecroit à leur imagination nais-sante et c’est un moyen sûr del’exercer sans l’égarer.» L’importantpour un professeur est d’avoircomme objectif de développerl’esprit des enfants. Et Condorcetne parle pas de les exercer à larigueur, il insiste : « développerl’imagination sans l’égarer». C’estbien plus créatif, joyeux et épa-nouissant que d’appliquer desrègles à la lettre, sous le joug dela sévérité ou de la punition ! Ilfaut voir des mathématiques enrêve pour bien les apprendre.

A. Musso : Concernant les sciences,sont-elles suffisamment valoriséesen France ?J.-P. Kahane : En sciences, on nepeut pas, on ne doit pas, cher-cher à tout apprendre, l’essen-tiel est de faire sentir que, en met-tant son esprit en branle sur unproblème, on commence à avoirprise sur une quantité de conceptset de méthodes. Paul Bert, théo-ricien de l’enseignement, s’atta-chait à l’éducation des sciencesdès le primaire dans un certainordre : les sciences naturelles, laphysique et les mathématiques.Pourquoi ? Les premières servi-raient aux agriculteurs, ladeuxième aux artisans, les der-nières aux commerçants, et aufinal à toute la société… Mais laraison fondamentale est qu’en

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La Fête annuelle de la science est insuffisante, bien sûr, mais elle ouvre la voie vers une multituded’initiatives qui créent du lien entre science et citoyens.

La Fête de la science à l’Écolepolytechnique, édition 2016.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

acquérant des notions scienti-fiques, « les enfants exerceraientla discipline de l’intelligence »…et seraient donc beaucoup moinssujets aux supersti tions et auxpréjugés ! Les sciences dévelop-pent l’esprit critique. J’aimeraisque cet idéal des fondateurs del’enseignement public refassesurface. En effet, à l’heure actuelle,on ne pourvoit pas tous les postesd’enseignement et on emploie

des vacataires, des personnelstemporaires pas du tout formés.La solution serait le prérecrute-ment des enseignants, et un objec-tif à venir serait un prérecrute-ment universel : un salaire étudiantse justifierait parce que c’est unetâche sociale d’acquérir lesconnaissances accumulées et deles transmettre. Concrète ment,le prérecrutement garantit unsalaire pour l’existence, les jeunessont sûrs d’avoir un métier ausortir de leurs études. Et la garan-

tie de l’emploi est le meilleur fac-teur de mobilité. Ensuite, concer-nant l’enseignement, il manqueune orientation générale quirésulte du lien entre les scienceset la société. Par exemple, en bio-logie, la boussole serait l’histoirede la biologie et la théorie del’évolution ; et pour la physique-chimie, la théorie atomique…De façon générale, il s’agirait pourles enseignants de lier le métier

et la conscience sociale afin queprofesseurs et élèves s’entendentsur des repères et partagent uneambition commune.

A. Musso : Justement, quel est le rôle de l’Académie des scien -ces vis-à-vis des citoyens et despolitiques ?J.-P. Kahane :Celui de l’Académieest de maintenir la boussole dela recherche sans cadre ni limite.Actuellement, il faut bien qu’elleprenne le relais du Comité natio-

nal de la recherche scientifique,jeune et représentatif, mais tenuen laisse par les gouvernementsrécents. Ce n’est pas son rôlehis to rique, l’Académie dessciences a été créée en tantqu’Académie royale des sciencesafin de conseiller les autoritéspour l’exécution de tous les tra-vaux importants aux XVIIe etXVIIIe siècles.

A. Musso : À l’époque, les scien-tifiques étaient donc sollicités etentendus par les politiques ?J.-P. Kahane : Oui. Mais ce n’estplus le cas aujourd’hui. À l’ori-gine, les monarques n’étaientpas indifférents au développe-ment scientifique et technique.Même Louis XVI s’intéressait àla serrurerie… et c’est bien cequ’il y avait de meilleur en lui !

A. Musso : Actuellement, la volon-té politique et les moyens sont-ilsà la hauteur pour mener des travauxscientifiques et contribuer à desprogrès dans la société ?J.-P. Kahane :Non, ils ne sont passuffisants. S’il y a des domainesoù les autorités ont fait des efforts,je pense au CERN, le Centre euro-péen de recherche nucléaire, quia permis des découvertes commecelle du boson de Higgs, il manqueune plus forte coopération entre

la science et les citoyens, sou-vent peu ou mal informés, pourpousser les gouvernements àfournir les moyens. Et ce ne sontpas des superstructures impo-sées par le gouvernement, commela Comue [Communauté desuniversités et établissements]sur le territoire de Saclay d’Orsay,qui feront avancer la recherchefondamentale : leur conseil d’ad-ministration n’est pas occupéen majorité par l’université maispar les écoles soumises à desrègles ne leur autorisant pas uneliberté complète de recherche.S’il est utile que les universitésaient le souci des applicationset travaillent avec les industries,les travaux scientifiques ne peu-vent ni ne doivent être dirigéspar le privé. Par exemple, unepolitique publique du médica-ment est une urgence en facedes abus scandaleux qui se pra-tiquent dans les industries phar-maceutiques. Nous sommes faceà des enjeux mondiaux avec leréchauffement climatique, lasécheresse ou les inondationsselon les pays. Si le sujet étaitmis à l’étude au plan mondialet entraînait un mouvementinternational, ce serait un bonexemple d’union entre sciences,société et politique. Il faudrad’énormes moyens pour traiterles urgences et y faire face, et lavolonté politique est à créer. Maisl’avenir n’est pas fait unique-ment des urgences prévisibles.Le progrès ne résulte pas seule-ment de la réponse aux ques-tions posées. Le rôle historiquede la science est de dégager desvoies nouvelles par une explo-ration sans fin de tout ce quinous entoure, sans souci audépart d’applications. Le tempsdes grandes découvertes n’estpas révolu, heureusement pourl’humanité, et nous avons à luifrayer la voie. Le progrès dessciences est déjà impression-nant, sachons le transformer enun progrès d’avenir pour toutel’humanité. n

*ANNA MUSSO est journaliste à l’Humanité.

Le temps des grandes découvertes n’est pas révolu,heureusement pour l’humanité, et nous avons à luifrayer la voie. Le progrès des sciences est déjàimpressionnant, sachons le transformer en un progrèsd’avenir pour toute l’humanité.

Atelier d’observation du Soleil de la revue Progressistes à la fête de l’Humanité. Des centaines de jeunes peuventvoir les protubérances et les taches solaire chaque année… pourvu que le temps le permette.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

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N°13 JEUNESSE, REGARD SUR LE PROGRÈSDonner la parole à des étudiants commu-nistes de toute la France sur des sujets aussidivers et fondamentaux que l’écologie, lestransports, l’énergie, l’industrie, l’agroali-mentaire ou encore la révolution numérique.Dans ce numéro, on lira également « Linky,mythes et réalités sur un compteur élec-trique » de Valérie Goncalves, « Faut-il débat-tre des terroristes ou du terrorisme? » parNicolas Martin ou encore un article sur lesjeux d’échecs par Taylan Coskun.

No 12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEAprès un éloge de la simplicité dû à Jean-Pierre Kahane, ce numéro complète le no 5et prolonge la réflexion sur la révolutionnumérique dans la société, et plus particu-lièrement dans l’organisation du travail. Ildonne la parole à des experts et syndica-listes confrontés aux remises en cause desconquêtes sociales. Vous y trouverez lesrubriques habituelles, un article sur ce quinous lie aux vers de terre, un texte d’ÉdouardBrézin sur les ondes gravitationnelles…

No 11 LE PROGRÈS AU FÉMININLes femmes dans le monde du travail etdans les métiers de la science, sous l’an-gle des combats féministes qui contribuentau projet d’émancipation humaine. Vous ytrouverez des textes d’Hélène Langevin, deCatherine Vidal, Maryse Dumas, LaurenceCohen, Caroline Bardot… Dans ce numéro,une rubrique spéciale « Après la COP21 »et le point de vue de Sébastien Balibar,membre de l’Académie des sciences, ainsiqu’une contribution de Nicolas Gauvrit surles biais en psychologie.

No 10 UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENTAprès le gâchis industriel de l’entrepriseSanofi, sortir les médicaments du marchéet développer une filière industrielle s’im-pose. Ce dossier aborde aussi la néces-saire maîtrise publique du stockage de don-nées (big data) dans ce secteur. Il met enlumière les liens entre révolution numériqueet nouvelles industrialisations, sous la plumede Marie-José Kotlicki, mais également laproblématique du stockage des déchetsnucléaires grâce à Francis Sorin

No 9 COP21 (LES VRAIS DÉFIS)Humanité, planète, communisme et écolo-gie, même combat. Il va falloir prendre desmesures drastiques pour limiter le réchauf-fement climatique, mais il est lié au systèmede production et d’échange qui l’a créé. Quelssont les leviers sur lesquels agir? On lira aussidans ce numéro « La lutte contre le change-ment climatique passe par la bataille pourl’égalité » ; « L’écologie, une discipline scien-tifique et un métier », d’Alain Pagano un arti-cle de Sophie Binet « Ouvrir le débat en grandavec le monde du travail » et aussi « Raceset racisme » d’Axel Khan.

No 8 AGRICULTURESIl va s’agir de nourrir 11 milliards d’hu-mains. L’agriculture est au cœur de la ques-tion écologique. Nourrir les humains oufaire du profit ? Quelles conséquences ?De grands noms, comme Michel Griffonou Aurélie Trouvé, avancent des points devue novateurs. On lira aussi : « “Big pharma”et logiques financières », « Pour une poli-tique industrielle européenne : le cas del’énergie », et encore « Du “devoir de mau-vaise humeur” à la “défense du bien public” »par Yves Bréchet, de l’Académie des sciences.

No 7 ÉNERGIES RENOUVELABLESQuelle place dans le mix énergétique àvenir pour les énergies dites renouvela-bles ? Le scénario de l’ADEME est passéau crible, et le problème des matériauxrares, lié, est abordé. Claude Aufort, HervéNifenecker signent ces points de vue. Lasûreté industrielle et la technologie desréacteurs nucléaires à sels fondus, ainsique les dynamiques libérales du numé-rique, parmi d’autres, sont également abor-dées par Jean-Pierre Demailly, ainsi qu’uneréflexion d’Evariste Sanchez Palencia, tousdeux de l’Académie des sciences.

No 6 ÉCONOMIE CIRCULAIRERecyclage des déchets, produits agricoles,écoconception : la nécessité sociale et éco-logique d’une économie circulaire est évi-dente. Le système capitaliste s’épuise enpillant les ressources de la planète, le dos-sier de ce numéro balaye le greenwashing,éclaire le débat et évite les confusions.Les structures cristallines permettent d’abor-der les liens entre recherche et politique,les comètes sont au programme, et l’artaussi, avec des articles signés Jean-NoëlAqua, Jacques Crovisier ou Bernard Roué.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

9DOSSIER

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET,

actualité de l’automne 2016 nous rappelle la complexitédes liens existant entre nos sociétés et leurs industries.L’usine Alstom de Belfort est au cœur de la ville, et la

population se mobilise en masse pour la garder : des générationsde Belfortains y ont travaillé, elle fait partie de leur identité. Et àToulouse, au-delà de l’enlisement judiciaire, pour le quinzièmeanniversaire de l’explosion de l’usine AZF la population se sou-vient, mais trois défilés séparés ont lieu : celui des salariés et ceuxde deux associations dont les démarches sont différentes.Trois défilés… et une absente : la lutte pour une industrie sûre etpropre. Certes, la rencontre entre ces acteurs est difficile dansl’épreuve ; ce divorce dit qu’il est trop/bien tard : la convergencedes aspirations de chacun doit se bâtir bien en amont, dans lavigilance convergente des citoyens et des salariés pour maîtriserle danger, investir et perfectionner l’appareil industriel et déve-lopper des emplois stables.

Car l’industrie est un pilier incontournable d’une économiemoderne ; elle contribue au rayonnement d’un pays en mêmetemps qu’elle répond au besoin de produits dont nous aurionsdu mal à nous passer, et elle fournit un grand nombre d’emplois.Cela dit, l’industrie contemporaine concentrée en grandes uni-tés signifie aussi stockage et transformation de produits qui nesont pas toujours inoffensifs, qui peuvent même être dangereux.Contradiction il y a entre risques et nécessité. Sans chercher unesécurité qui serait un absolu, il y a moyen d’avoir une plus grandesûreté des installations afin que les risques soient maîtrisés. Et ily a lutte d’idées entre, d’une part, tenants du laisser-faire ou durefus intégral (plus jamais ça…) – unis dans l’idée qu’on n’y peutrien – et, d’autre part, ceux qui militant pour la sûreté progres-sive des installations font progresser l’idée de l’acceptabilité de l’industrie.

Il ne s’agit pas de présenter ici un tableau uniforme de préconi-sations, mais bien plutôt les visions de différents acteurs avecleurs convergences et leurs oppositions. Notre dossier juxtaposeles discours de différents contributeurs qui, paradoxalement, seretrouvent sur la démarche. À la vision assez lisse de l’adminis-

tration répondent la prise en compte assumée du marché parl’industriel, la vision plus rugueuse des syndicalistes et celle angois-sée des associations de riverains.

Au-delà se dégage une démarche qui, à travers des luttes de classes,des rapports de forces complexes et localement variables (d’au-tant que le libre-échange mondialisé rend tout plus difficile),construit des compromis que les lois codifient au gré de leursévolutions. Confrontations locales, compromis entre acteurs deterrain et, pour tous, contraintes globales liées à la gestion finan-ciarisée des grandes firmes qui détiennent ces usines.

Comment isoler les tenants d’une gestion qui fixe un objectif entaux de profit et non en satisfaction des besoins, et qui ce faisantnéglige les risques encourus ? Le quotidien du terrain donnematière à cette convergence ; les moteurs principaux sont évi-demment à chercher du côté des salariés, des riverains, de leursélus locaux. Des structures ont été progressivement mises enplace, il faut s’y engager, sans illusion car les décisions sont ail-leurs mais comme point d’appui. Les avancées se feront pied àpied, sans les dissocier d’une perspective générale qui les éclaire.

Éviter que se reproduisent des divorces comme celui d’AZF, impo-ser des avancées pour une industrie plus utile, plus sûre, plus pro-pre, le dossier qui suit a pour ambition d’y contribuer.

INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTIONUNE INDUSTRIE UTILE, PROPRE ET SÛRE

L’

JEAN-CLAUDE CHEINET, membre du comité

de rédaction de Progressistes.

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e n6

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Les menaces qui pèsent sur le groupe Alstom comme la nouvelle vague de suppressions d’emplois à PSA ouà Airbus illustrent le déclin de notre appareil industriel. Pourtant, nous avons besoin des produits élaborés parles industries. Seules la transition écologique et de nouveaux critères de gestion et de décision permettrontd’allier la sûreté industrielle avec une production et des emplois industriels durables.

POUR UN DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL RENOUVELÉ

PAR ALAIN OBADIA*,

RÉGRESSION INDUSTRIELLE : NON-SATISFACTION DE NOS BESOINSLa courbe de la production indus-trielle française reste toujours à unniveau bas et inquiétant. Elle se situait,selon l’INSEE, à un indice 120 en2001, à 117 en 2008 ; elle n’était plusqu’à 104 au début de 2016. C’est lereflet d’une perte de substance graveet structurelle de notre appareil pro-ductif. Selon une étude récente ducabinet Trendeo, 887 sites industrielsont fermé leurs portes en Franceentre l’été 2012 et le printemps 2016,contre 609 inaugurés durant la mêmepériode, soit une perte nette de 278.Il est donc important de rappelerqu’il faut se battre pour que la Francedispose d’un secteur industriel fort,rénové et en phase avec les objectifsde la transition écologique devenueune priorité majeure.L’industrie constitue une part incon-testablement significative de la réponseaux besoins. Nos objets du quoti-dien, notre énergie, nos grands équi-pements comme les matériels indis-pensables au bon fonctionnementdes services publics sont, dans unelarge mesure, le produit de l’activitéindustrielle.Si nous sommes capables d’assurerune part suffisante de notre marchéintérieur, nous pouvons prétendreà une situation économique et socialeplus favorable. Si tel n’est pas le cas– et nous sommes de plus en plusdans cette configuration –, le payss’appauvrit, et sa population aveclui. En effet, consacrer une propor-tion grandissante de la richesse natio-nale à acquérir, par des importations,ce que nous ne sommes plus capa-bles de fabriquer par nous-mêmesconstitue une ponction extrême-ment lourde pour le pays. À titre d’il-lustration, en 2015, sur un déficit glo-bal des échanges extérieurs de

45,7 milliards d’euros, le déficit desseuls produits manufacturés pesaità hauteur de 36,9 milliards, soit plusde 80 %.Il n’est pas question ici de prétendreque nous devrions viser l’autosub-sistance et promouvoir la fermeturedes frontières. Les échanges com-merciaux sont indispensables. Ilspermettent d’avoir accès à des pro-ductions que nous ne réalisons pas.Ils contribuent ainsi à élargir noschoix en tant que consommateurs.

Ils contribuent également à ce queles produits made in France puissentêtre vendus à l’étranger. Plus large-ment, ils constituent un domaine decoopération précieux entre leshumains et entre les nations. Nousne devons donc pas avoir sur cettequestion une approche étroite.

DU DÉCROCHAGE INDUSTRIEL À LA SOUMISSIONEn revanche, une situation commecelle que nous vivons, dans laquelleles échanges restent structurellementdéséquilibrés entre les différents paysou groupes de pays, n’est ni souhai-table ni durable. Elle conduit à des

phénomènes de domination et desoumission dangereux pour l’avenir,aussi bien sur le plan économiqueque sur les plans social et politique.C’est ce à quoi nous assistons, avecle rôle de l’Allemagne en Europe parexemple. Les règles édictées parl’Organisation mondiale du com-merce (OMC), prolongées aujourd’huipar les tentatives d’imposer des trai-tés de libre-échange avec le Canada(CETA) et les États-Unis (TAFTA),aggravent cette situation.En tout état de cause, pour pouvoiratteindre une configuration satisfai-sante du commerce entre pays etentre zones, il faut être capable d’ap-porter une contribution effective auxéchanges.Or, dans de nombreux domaines,nous avons « décroché ». C’est le casdans le textile, les matériels électro-niques (à l’ère de la révolution numé-rique, quel gâchis !), l’ameublement,les produits métallurgiques et métal-liques. Nous avons en revanche desatouts dans l’aéronautique – maisdes informations préoccupantes necessent de nous parvenir concer-nant la stratégie d’Airbus –, dansl’agroalimentaire, dans les parfumset cosmétiques, les industries du luxeou encore la pharmacie (même si,là aussi, les stratégies financières desgrands groupes laissent mal augu-rer de l’avenir). Veillons à ne pas lais-ser mettre en cause ces atouts et agis-sons pour que le potentiel de créativitédu pays en matière de recherche etde développement d’activités nou-velles puisse être mis en valeur sur

Il faut se battre pour que la Francedispose d’un secteur industriel fort, rénové eten phase avec les objectifs de la transitionécologique devenue une priorité majeure.“ “

Consacrer une proportion grandissantede la richesse nationale à acquérir, par des importations, ce que nous ne sommesplus capables de fabriquer par nous-mêmesconstitue une ponction extrêmement lourdepour le pays.

“ “DOSSIER INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION10

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En France, en2015, sur undéficit global des échangesextérieurs de45,7 milliardsd’euros, le déficitdes seuls produitsmanufacturéspesait à hauteurde 36,9 milliards,soit plus de 80 %.

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la palette la plus large. Cette réflexionpose toutes les questions de la défi-nition et de la mise en œuvre d’unepolitique industrielle adaptée à notreépoque, indispensable pour releverles défis de l’emploi, et plus encorede l’emploi qualifié.Cette nouvelle politique industrielledoit évidemment accorder une placetoute particulière à la révolutionnumérique en cours. Cette dernièrene concerne pas les seuls domainesde l’électronique, de l’informatiqueou encore de la robotique. Elleconcerne, en fait, tous les secteursd’activité. La révolution numériqueest transversale. Elle agit avec lamême intensité sur l’industrie, lesservices ou l’agriculture. Elle marquetout autant les secteurs « de pointe »que les secteurs « traditionnels ». Elleest de nature à révolutionner des secteurs vieillissants.

POUR LA TRANSITIONÉCOLOGIQUE DANS L’INDUSTRIEAborder la transition écologiquecomme un impératif est une com-posante essentielle de notre démarche.Partant, le nouveau développementindustriel dont nous parlons n’estpas la simple relance d’une indus-trie conçue dans les mêmes termesque celle des années 1970 ou 1980.Nous nous inscrivons dans la logiqued’un nouveau paradigme industriel.Les raisons de cette approche renou-velée sont multiples. La productionutile n’est pas le productivisme d’hier.Dans une optique de durabilité, laréponse aux besoins ne doit plus pas-ser par l’exacerbation du consumé-risme mais par de nouveaux modesde consommation. La production etles services ne doivent pas être consi-dérés comme des univers s’oppo-sant. Bien au contraire, ils sont deplus en plus imbriqués et, dans cer-tains cas, inséparables.De surcroît, la croissance des activi-tés productives peut ne pas être syno-nyme de rejets de CO2 ou de sub -stances polluantes, d’épuisementdes ressources naturelles et des éco-systèmes. Les approches en termesd’écoconception, de réparabilité, demodularité et de recyclage visent àrépondre à ces impératifs.C’est évidemment un sujet majeur.En effet, de Bhopal à Fukushima, enpassant par AZF, les catastrophes

écologiques et humaines engendréespar une conception irresponsablede l’activité industrielle ont marquéles esprits. Dans la seconde moitiédu XIXe siècle et tout au long du XXe siè-cle, cette irresponsabilité a relevé dela boulimie de profits des grandsgroupes industrialo-financiers conju-guée à un état des connaissancescontribuant à occulter ou, au mini-mum, à sous-estimer les dégâts engen-drés par une certaine manière deconduire l’activité industrielle.

DE NOUVEAUX POUVOIRSD’INTERVENTIONAujourd’hui, même si nos connais-sances scientifiques ne sont pas sanslimites, nous savons que l’activitéhumaine peut provoquer des dégâts.L’urgence est donc de l’organiser dif-féremment. Dans cette perspective,les questions de la démocratie et descritères de gestion et de décision sontdéterminantes. Car dans nombre dedomaines les technologies commeles procédures existent pour réduireles risques à leur niveau minimal, tantles risques pour l’environnement queles risques pour les salariés. Ce qui,en revanche, continue à bloquer c’estque beaucoup de ces précautions –pourtant indispensables – restent

considérées par les entreprises commedes obstacles à leur compétitivité.Souvenons-nous : il a fallu douze ansde bataille acharnée contre les géantsde la chimie pour que la directiveREACH puisse voir le jour ! La pres-sion des actionnaires et des marchéspour les ratios de rentabilité consti-tue toujours un obstacle majeur à lasécurité industrielle.Promouvoir des critères de gestiondonnant un contenu véritable à lafameuse RSE (responsabilité socié-tale des entreprises) doit être ainsiconsidéré comme une bataille depremier plan. Il en va de même s’agis-sant de la création de nouveaux pou-voirs d’intervention des salariés etdu développement de véritables pro-cédures de dialogue, de concerta-tion, voire de consultation des citoyensimpactés par un projet.

Il est désormais vital d’interromprela spirale du déclin industriel. Il estindispensable, pour ce faire, d’offrirdes perspectives d’emploi et d’ave-nir à des millions de jeunes ; c’estd’autant plus nécessaire que désor-mais industrie, respect de la planèteet respect des humains peuvent allerde pair. Mais c’est l’enjeu d’un affron-tement politique de haut niveau. n

*ALAIN OBADIA est président de la Fondation Gabriel Péri.

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Les technologies comme les procéduresexistent pour réduire les risques à leur niveauminimal, tant les risques pour l’environnementque les risques pour les salariés.“ “

On assiste à un décrochage avec de nombreuses usines qui ont fermé dans le textile, les matérielsélectroniques, l’ameublement, les produits métallurgiques et métalliques…

La production utile n’est pas le productivisme d’hier. Dans une optique de durabilité, la réponse aux besoins ne doit plus passer par l’exacerbation du consumérisme mais par de nouveauxmodes de consommation.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

DOSSIER12 INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION

L’INDUSTRIE ET LA VILLE

PAR YVETTE VEYRET*,

ans les pays d’ancienneindustrialisation, villes etindustries se sont dévelop-

pées conjointement, notammentdepuis la fin du XVIIIe siècle, avec l’ex-ploitation minière (charbon, fer). AuXXe siècle les industries se sont dépla-cées vers les littoraux, pour réduireles coûts et les temps de transport.

LE COUPLE VILLE/INDUSTRIE, LA COHABITATIONDans les villes « historiques », il exis-tait des activités manufacturières(textile, verre, métaux, peaux…) prèsde la matière première, de la demandeet de la main-d’œuvre. Au cours dela phase d’industrialisation du XIXe siè-cle, industries et villes se dévelop-pent conjointement, ainsi le Creusot– bassin houiller, minerai de ferproche, canal de la Saône à la Loireet industriels entreprenants – passe-t-il de 2700 habitants en 1836 à 32000en 1896. Il en est de même dans leNord ou en Lorraine, où l’extractiondu charbon et du fer et les activitésindustrielles afférentes nécessitentune main-d’œuvre nombreuse. Dès1820 et jusqu’aux années 1870, onconstruit de longues barres de coronspuis des blocs de huit, six ou quatremaisons, souvent entourées de jar-dins. Les corons, habitat collectifhorizontal, favorisent les solidarités,mais permettent aussi aux compa-gnies minières de surveiller les tra-vailleurs. Dans la région textile duNord (Lille, Roubaix, Tourcoing), lescours, ou courées, sont nombreuses,composées de petites maisons acco-lées qui entourent une cour collec-tive avec installations sanitaires ;elles se multiplient au XIXe siècle,jusque vers 1920, lorsque se déve-loppent l’habitat pavillonnaire et,localement, des cités-jardins sur lemodèle anglais (cité Declercq àOignies, 1933).Un autre exemple de cité ouvrièreest fourni par le Familistère de Guise.

tallés dans la ville. La nomenclaturede classement périodiquement actua-lisée demeure aujourd’hui.

La ville englobe l’industrie, le risque industriel « n’existe pas »Dans la majorité des cas, les usinesont été implantées en périphérie desvilles (à Paris dans le faubourg de LaVillette, annexé à la ville en 1860),mais du fait de la croissance urbainedes XIXe et XXe siècles nombre d’en-tre elles se retrouvent intégrées autissu urbain.Au XIXe siècle, la municipalité deToulouse possède une poudrerie encentre-ville, qu’elle transfère en 1852à 3 km du centre, dans un espacenon bâti, l’île du Ramier ; une secondes’installe sur le site. Puis, en 1924,est implanté l’Office national indus-triel de l’azote (ONIA) ; l’usine devien-dra Grande-Paroisse en 1987, et AZFen 1990. Le pôle chimique de Toulousea compté jusqu’à 30 000 emploisdurant la Seconde Guerre mondiale ;en 1965, il n’en comptait que 3 200.Le développement urbain a progressédans le secteur. De nombreux ter-rains aux prix attractifs ont accueillidans de grands immeubles collec-

Jean-Baptiste Godin, fondateur del’usine de poêles en fonte qui por-tent son nom, bâtit à partir de 1860un « palais social ». Le Familistèreest établi sur le travail et la vie col-lective mais préserve la vie familiale :chaque famille a son propre appar-tement. Il se compose de cinq pavillonsd’habitation et d’équipements (lavoir-piscine, jardin d’agrément, école,théâtre) et a pour but de favoriserles relations sociales, l’éducation detous, le bien-être, la dignité et le pro-grès individuel.

DES USINES DANS LES VILLES, ET LE DÉBUT D’UNE LÉGISLATIONNuisances et décret de 1810Sous l’Ancien Régime, les nuisanceset les plaintes de voisinage liées auxusines étaient nombreuses. À Paris,elles étaient traitées par plusieursinstances de régulation, suppriméesou rendues inactives par la Révolutionet remplacées par la municipalité,laquelle concentre les anciens pou-voirs de police en matière de salu-brité et peut décider, pour favoriserl’industrialisation (pour répondreaux besoins des Révolutionnaires,pour la guerre), d’autoriser un éta-blissement nuisible sous conditiond’améliorations techniques.Au début du XIXe siècle s’amorce unepolitique publique de l’hygiène ; en1802 est créé le Conseil de salubritéde Paris, ressortissant au ministèrede l’Intérieur. L’État tente de jugu-ler les litiges entre industries et rive-rains : par le décret impérial de 1810,toutes les manufactures dégageantune odeur considérée comme nui-sible à la santé – les odeurs étaientalors considérées comme porteusesde miasmes – devront avant ouver-ture se munir d’une permission del’administration. Les manufacturesétaient regroupées en trois catégo-ries : celles à éloigner des habita-tions, celles dont l’éloignement n’étaitpas nécessaire mais dont le fonc-tionnement était à surveiller, enfinles établissements pouvant être ins-

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Les liens entre villes et industries ont changé au fil du temps en raison de l’émergence des questions de risques industriels et environnementaux : les citadins veulent un cadre de vie de qualité et sécuritaire. Faut-il alors déplacer les industries loin des villes ?

Source :http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/333/1200/installations-industrielles-risque-accidentel-seveso.html

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

tifs la population travaillant dans lachimie. Ces cités sont construitespar l’ONIA, EDF et l’office munici-pal d’HLM.La ZUP du Mirail est créée par arrêtéministériel (1960). Des lycées pro-fessionnels, l’université des sciences

humaines (1971), un dépôt de bus,de grands établissements commer-ciaux, des parcs d’activités s’y ins-tallent. La coexistence des lotisse-ments, des cités et des usines estconsidérée comme positive : le per-sonnel peut se rendre au travail àpied ou à vélo (CIEU, 2001).À Lyon l’industrie chimique, qui s’ins-talle en 1819 aux Brotteaux puis, dansle quartier de Perrache, suscite unevive opposition des riverains. Lesindustriels cherchent des terrainslibres à la périphérie de la ville etachètent 13 ha à Saint-Fons (hameaudu bourg de Vénissieux) pour démé-nager leurs ateliers. Dans la secondemoitié du XIXe siècle, les usines semultiplient au sud de Lyon, profi-tant de la voie d’eau, des routes etdu chemin de fer. Les activités atti-rent les hommes, ainsi Saint-Fons

finit par accéder au statut de com-mune indépendante en 1888 avecl’installation d’une populationouvrière. Certains industriels pren-nent en charge la construction delogements pour les ouvriers près desusines (cités Saint-Gobain en 1926).Saint-Fons devient une sorte de « ville-usine » et après 1945 on peut évo-quer le « couloir de la chimie », l’in-dustrie attirant l’industrie.Depuis la Seconde guerre mondiale,l’industrie a délaissé les vieilles régionsindustrielles (Nord) au profit des axesde transports et des littoraux (trans-ports plus aisés et moins coûteux :Fos-sur-Mer, Rouen, Nantes Saint-Nazaire…). En dépit de la désindus-trialisation qui caractérise la France,les grandes villes concentrent encoredes activités industrielles, parfoispotentiellement dangereuses, cer-taines pourraient aussi cumuler desdangers naturels et des dangers tech-nologiques par des effets dominos.

PRISE EN COMPTE DU RISQUE DANS LA RELATIONVILLE/INDUSTRIEAu XXe siècle encore, la prise en comptedes nuisances industrielles demeurebien ténue, les inspecteurs des ins-tallations classés ne se préoccupantpas de l’environnement de l’usine,pas plus que des populations instal-lées à proximité.La question de la cohabitationhabitat/industrie se pose avec acuitéaprès les catastrophes industrielles :Feyzin, 1966 ; Seveso, 1976 ; Bhopal,1984 ; Tchernobyl, 1986 ; port Édouard-

Herriot à Lyon, 1987 ; AZF, Toulouse,2001. La loi de 1976 relative aux ins-tallations classées pour la protectionde l’environnement permet le déve-loppement des mesures préventivesavec la mise en place d’études dedanger par les entreprises elles-mêmes. Puis la directive européenneSeveso 1 (1982), transcrite en droitfrançais, introduit de nouvelles obli-gations et distingue deux types d’éta-blissements selon la nature et la quan-tité de matières dangereuses sur lesite : les établissements Seveso seuilhaut (656 en France fin 2014) et lesétablissements Seveso seuil bas (515

En dépit de la désindustrialisation quicaractérise la France, les grandes villesconcentrent encore des activités industrielles,parfois potentiellement dangereuses, certainespourraient aussi cumuler des dangers naturelset des dangers technologiques par des effetsdominos.

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Le Familistère de Guise, dans l’Aisne : une architecture à la hauteur d’une utopie.

Coron à Lourches.

La cohabitationpopulation/risque industrielimplique que les acteurs(industriels, collectivitésterritoriales, État) réduisent le risque au minimum.

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DOSSIER14 INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION

ENVIRONNEMENT-RISQUES ET INDUSTRIE : L’APPROCHE D’UN INDUSTRIEL

PAR GÉRARD FERRÉOL*,

ne entreprise industrielle apour vocation de fournirdes produits à ses clients,

des produits qui doivent répondre àleurs besoins, notamment en termesde qualité et de coût. Ces dernierscritères s’apprécient surtout par rap-port à l’offre des concurrents. Poursurvivre, elle doit dégager une margelui permettant de rémunérer correc-tement ses salariés et ses action-naires, mais aussi d’investir afin desuivre l’évolution du marché et, si

possible, de se développer. Commentl’entreprise gère-t-elle sa cohabita-tion avec son environnement et lesrisques majeurs ?

LES ACTEURS ET LEURS MOTIVATIONSQuels sont les acteurs qui influentsur elle dans ce domaine et quellessont leurs motivations ?Les dirigeants de l’entreprise, commetout citoyen, veulent léguer à leursenfants une planète en bon état etne veulent pas être responsablesd’une catastrophe industrielle. La

survenance d’un tel événement estun échec pour l’ensemble des acteurs.Les administrations (européenne etfrançaise) produisent une abondanteréglementation qui fixe les objectifsà atteindre pour limiter l’impact del’entreprise sur son environnementau sens large.Les clients, lorsqu’ils prennent leurdécision d’achat, sont sensibles aucomportement de l’entreprise vis-à-vis de l’environnement. Les ventesde Volkswagen ont fortement chutélorsque la fraude sur les émissionsdes moteurs Diesel a été révélée ; lesventes de carburant d’un pétrolieront chuté lorsqu’il a été accusé demal se comporter dans la démoli-tion d’une plate-forme offshore.Les voisins des sites industriels deman-

Environnement-risques majeurs et industrie, nombreux sont ceux qui pensentque ce duo est incompatible. Ils ont probablement tort.

à la même date). Les obligations sontrenforcées par la directive Seveso 2puis par Seveso 3.La catastrophe d’AZF a posé la ques-tion de la pérennisation des usinesen ville ou de leur déplacement enzone rurale. La conjoncture écono-mique mondiale et les risques dechômage en cas de délocalisation,la difficulté d’installer des usines encampagne impliquant de nombreuxdéplacements de populations, eux-mêmes source de risques et de grandesréticences locales, rendent à peu prèsinapplicable l’idée de délocaliser enzone peu peuplée. Mais la cohabi-tation population/risque industrielimplique que les acteurs (industriels,collectivités territoriales, État) rédui-sent le risque au minimum. La loiBachelot de 2003, votée à la suite dela catastrophe de Toulouse, renforceles quatre piliers de la préventiondes risques industriels : réductiondu risque à la source par l’industriel,information préventive du public,organisation des secours, maîtrisede l’urbanisation, en jouant sur l’ur-banisation à venir et sur l’existant àtravers la mise en place de plans deprévention des risques tech no logiques(PPRT) et de trois instruments

d’intervention foncière dans les péri-mètres des PPRT (expropriation,délaissement, préemption). Les PPRT,obligatoires pour les installations lesplus dangereuses, permettent dedélimiter le périmètre d’expositionaux risques et les zones dans les-quelles devront être prises des mesuresde réduction du danger.En raison même de la localisationdes industries, les catastrophes indus-trielles affectent principalement desquartiers d’habitat social, pauvres àtrès pauvres, souvent peuplés par lessalariés et leurs familles. Or lesenquêtes effectuées après la cata -strophe d’AZF montrent que, si lestravailleurs de la chimie ont une trèsbonne connaissance du danger,

leur discours est le plus dénégateursur la dangerosité de leur activité (D. Duclos, 1987). Un tel constat estprobablement inévitable, il réduitl’angoisse et se sert du « risque pourconstruire une identité profession-nelle valorisante », mais ne facilitepas la gestion du danger. n

*YVETTE VEYRET est géographe.

POUR ALLER PLUS LOINLaure Bonnaud et Emmanuel Martinais, « Desusines à la campagne aux villes industrielles »,in Développement durable et territoires, dos-sier 4 | 2005, mis en ligne le 4 juin 2005 :URL : http://developpementdurable.revues.org/749

DOI : 10.4000/developpementdurable.749

Geneviève Massard Guilbaud, Histoire de lapollution industrielle en France, 1789-1914,Éditions de l’EHESS, Paris, 2010.

André Guillerme, la Naissance de l’industrie àParis. Entre sueurs et vapeurs : 1780-1830,coll. Milieux, Champ Vallon, Seyssel, 2007.

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La question de la cohabitationhabitat/industrie se pose avec acuité aprèsles catastrophes industrielles : Feyzin, 1966 ;Seveso, 1976 ; Bhopal, 1984 ; Tchernobyl,1986 ; port Édouard-Herriot à Lyon, 1987 ;AZF, Toulouse, 2001.

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L’explosion de l’usine AZF à Toulouse, une catastropheinscrite dans la ville.(Source : Mappemonde 2001,no 65, Centre interdisciplinaired’études urbaines ;http://www.mgm.fr/PUB/Mappemonde/M102/AZF.pdf)

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ronnementale et d’exposition dessalariés. Ses concurrents italiens etespagnols n’avaient pas les mêmesdemandes de leurs administrations.Finalement, l’entreprise a décidé degarder en France la mise au point(recherche et développement) et aconclu avec ses confrères italiens etespagnols des accords de processing,transférant la production dans cespays. Au niveau européen, la pro-duction et les émissions dans le milieunaturel n’ont pas changé… mais desemplois ont été transférés en Espagneet en Italie. Les salariés français nesont plus exposés, ce sont les sala-riés italiens et espagnols qui le sont.

EXISTE-T-IL UN CAS OÙ TOUS LES CRITÈRES, Y COMPRIS LE FINANCIER, SONT COMPATIBLES ?Oui. Lorsque l’on construit une uniténeuve, les meilleures technologiesdisponibles sont presque toujoursles meilleures en termes d’impactsur l’environnement, de qualité des produits fabriqués, de maîtrisedes risques, de performance écono-mique de la production et de coûtde l’investissement.En conclusion, pour les unités neuves,il faut travailler sur l’information etla transparence afin que la construc-tion de l’usine soit acceptée, car toutindividu a tendance à refuser ce quiest nouveau et qu’il ne connaît pas.Pour les unités anciennes, souventl’acceptabilité est bonne mais les per-formances sécurité et environnemen-tale peuvent être plus faibles et la miseau niveau des meilleures techno logiesdisponibles peut être un effort insup-portable techniquement et financiè-rement pour l’entreprise.N’oublions pas que chaque entre-prise arbitre en permanence entretous les projets d’investissementremontés par ses équipes. Pour sur-vivre, elle doit maintenir le total deses investissements dans une enve-loppe qui est fonction de sa perfor-mance économique.Toute décision étant un choix decompromis, il faut donc que tous lesacteurs s’entendent avec chacunleurs critères, parfois opposés entreeux. n

*GÉRARD FERRÉOL est présidentd’Environnement Industrie et ancien directeur d’Arkema Lavéra.

dent la transparence sur les résul-tats environnementaux de l’usine etsa politique de prévention des risques.La défiance des voisins peut conduireà une non-acceptation qui bloquerales investissements futurs de l’usinelors des consultations de la popula-tion. Lors d’un sondage réaliséquelques mois après la catastrophed’AZF, les voisins des sites industrielsrépondaient que le danger était impor-tant dans les usines, mais que le dan-ger était maîtrisé dans l’usine voi-sine qu’ils connaissaient depuislongtemps.

Les salariés qui refusent d’avoir honted’une usine ayant de mauvais résul-tats environnementaux et qui ontdes moyens légaux pour en bloquerle fonctionnement lorsque la sécu-rité interne et/ou externe est en jeu.A contrario, lorsqu’ils peuvent êtrefiers de leur usine, ils seront plusmotivés à bien la faire fonctionner.Les actionnaires, surtout les action-naires individuels, refusent d’avoirhonte de leurs placements et sedétournent des entreprises ayant demauvais résultats environnemen-taux. Quelques années après la cata -strophe de Bhopal, l’action d’UnionCarbide avait tellement chuté que lasociété a été rachetée très facilementpar Dow Chemical.Tous ces acteurs vont peser en faveurde la protection de l’environnementet de la maîtrise des risques lors deschoix de l’entreprise.

LES CRITÈRES QUALITÉ ET COÛTLes facteurs influant sur une limita-tion des actions en faveur de l’envi-ronnement et de la gestion des risquessont issus des critères qualité et coût.Lorsque l’on remplace des colorantsidentifiés comme toxiques par descolorants plus vertueux en termes de

protection de l’environnement maismoins stables dans le temps, les clientsse détournent des produits dont lacouleur se « fane ». La pérennité del’entreprise peut être en jeu si le phé-nomène dure trop longtemps. Aussifaudra-t-il améliorer la protectiondes salariés jusqu’à ce qu’un produitstable soit mis au point.Lorsque deux usines identiques dansdeux bassins hydrographiques dif-férents ont des redevances sur l’eaudifférentes de plus de 1 million d’eu-ros par an, la plus taxée se retrouvedevant le choix suivant : fermer etdélocaliser sa production ou inves-tir 30 millions d’euros pour réduireses rejets beaucoup plus que sesconcurrents et avoir 30 millions d’eu-ros de moins pour investir dans sondéveloppement.Lorsqu’une usine du sud de la Franceexporte des produits classés dange-reux vers la région de Milan et voitinterdire les autoroutes de la Côted’Azur aux camions qui les transpor-tent, bien qu’ils soient équipés desdernières technologies en matièrede prévention des risques, elle estremplacée par une entreprise alle-mande qui livrera en traversant laSuisse. Le risque sur les routesd’Europe n’a pas diminué, il a seu-lement été déplacé.Certaines décisions réglementairespeuvent avoir des effets pervers. Ilest courant dans les milieux indus-triels de dire, lors des transpositionsdes réglementations européennesen droit national, qu’en France onaime bien laver plus blanc que blanc.Une PME de la Côte d’Azur spécia-lisée dans la mise au point et la pro-

duction d’additifs pour le moulagedes minéraux de spécialités a consa-cré pendant plusieurs années tousses résultats à des investissementspermettant tout juste de suivre lesévolutions de la réglementation envi-

Lorsqu’une usine du sud de la Franceexporte des produits classés dangereuxvers la région de Milan et voit interdire les autoroutes de la Côte d’Azur aux camionsqui les transportent elle est remplacée par une entreprise allemande qui livrera en traversant la Suisse. Le risque sur les routesd’Europe n’a pas diminué, il a seulement été déplacé.

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Une PME de la Côte d’Azur spécialiséedans la mise au point et la production d’additifspour le moulage des minéraux de spécialités aconsacré pendant plusieurs années tous sesrésultats à des investissements permettant toutjuste de suivre les évolutions de laréglementation environnementale.

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DOSSIER INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION16

DATE LIEU ÉTABLISSEMENT, NATURE CARACTÈRE ET CONSÉQUENCES

1794 Grenelle (Paris) Poudrière Explosion : 1000 morts

1906 Courrières (Pas-de-Calais) Houillères Coup de grisou : 1000 morts

1917 Halifax (Canada) Port (navire le Mont-Blanc) Explosion : 2000 morts

1942 Benxi (Chine) Houillères Explosion : 1500 morts

1959 Malpasset (Var) Barrage Effondrement : 420 morts

1963 Longarone (Italie) Barrage sur le Piave Effondrement : 2100 morts

1966 Feyzin (Rhône) Raffinerie Explosion : 18 morts

1967 Manche Pétrolier Torrey Canyon Naufrage : marée noire

1968 Minamata (Japon) Usine chimique Rejets toxiques : 3000 morts en trente ans

1976 Seveso (Italie) Usine chimique Explosion : contamination des sols

1978 Los Alfaques (Espagne) Transport par camion Explosion : 220 morts

1979 Three Mile Island (États-Unis) Réacteur nucléaire Fusion partielle

1984 Bhopal (Inde) Usine chimique Fuite de gaz toxiques : 8000 morts sur le coup ; 20000 décès ensuite

1986 Tchernobyl (Ukraine) Centrale nucléaire Explosion d’un réacteur, nombre de morts controversés

1986 Bâle (Suisse) Usine chimique Sandoz Incendie : émanation de gaz toxiques ; contamination du Rhin

1987 Port fluvial Édouard-Herriot (Lyon, Rhône) Dépôt d’hydrocarbures Incendie suivi d’explosions

1992 La Mède (Bouches-du-Rhône) Raffinerie Explosion : 8 morts

2001 Toulouse (Haute-Garonne) Usine chimique AZF Explosion : 30 morts ; 2500 blessés ; 100000 demandes d’indemnisation

2011 Fukushima (Japon) Réacteur nucléaire Fusion partielle : rejets aériens

2013 Dacca (Bangladesh) Usine textile Effondrement du bâtiment : 1500 morts

2015 Tianjin (Chine) Dépôt de produits chimiques Explosion : 200 morts

VINGT DATES MARQUANTESLa conquête de la sécurité industrielle est marquée en creuxpar des accidents dont voici quelques-uns des principaux.

Explosion de lapoudrerie de Grenelle,31 août 1794 (gravuredu XIXe siècle).

2001-2015 : LA PRISE EN COMPTE DES RISQUESINDUSTRIELS PAR L’ÉTATLe 21 septembre 2001, l’accident de l’usine AZF de Toulouse a provoqué un véritable traumatisme social.Ce n’était malheureusement pas le premier, mais il fit de nouveau prendre conscience de la très grandedangerosité de certaines usines et, plus encore, de la gestion hasardeuse de l’urbanisme autour d’elles.

PAR GILBERT SANDON*,

L’USINE ET SES ALENTOURSLes usines dangereuses, en généralloin des habitations lors de leur créa-tion, ont vu la population s’en rap-procher du fait de la pression fon-cière, avec les conséquences que l’onconnaît aujourd’hui.Des accidents comme celui deToulouse sont plutôt rares (explosionà la raffinerie de Feyzin près de Lyonen 1966, incendie du dépôt pétrolier

du port fluvial Édouard-Herriot àLyon en 1987, explosion à la raffine-rie Total de la Mède en 1992…). Malgréune première série de mesures régle-mentaires prises à la fin des années1980 – à la suite de la première direc-tive Seveso – pour empêcher que leshabitations ne se rapprochent encoredavantage de ces usines, il faut bienconstater que, dans de nombreuxcas, le mal était déjà fait.Ce terrible accident a eu pour consé-quences la volonté de prendre au

plus vite des mesures techniques etréglementaires adaptées : « plusjamais ça ! », et le brutal réveil desconsciences sur les « erreurs » dupassé en matière d’aménagementdu territoire et sur la méconnais-sance des dangers de ces installa-tions dans le public.

LA LOI DU 30 JUILLET 2003Il fallut toutefois près de deux anspour que cette loi, dite « loi Bachelot »,permette de traiter le premier point

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EXEMPLE DE CARTOGRAPHIE RELATIVE À UN PPRT (plan de prévention des risques technologiques)

Les zones rouge foncéindiquent les zones trèsexposées dans lesquellesdes expropriations pourrontêtre mises en œuvre.Dans les zones rouge clair,un peu moins exposées,des mesures de délaissement peuventêtre mises en œuvre.Dans les zones aux couleurs bleues, les logements existantsdevront faire l’objet de renforcements tandisque les nouvellesconstructions serontrégulées, notamment par des normes de construction résistantesaux accidents.

en contraignant les industriels concer-nés à revoir complètement l’analysedes risques générés par leurs instal-lations au travers de nouvelles étudesde danger et en les obligeant à met-tre en place des mesures de sécuritésupplémentaires, voire à modifier lesinstallations ou les procédés de fabri-cation, pour réduire ces risques à lasource et améliorer globalement lasécurité. Ce lourd travail a occupénombre d’ingénieurs et technicienspendant une bonne dizaine d’années.Cette loi a par ailleurs instauré denouvelles mesures de maîtrise del’urbanisation au travers des plansde prévention des risques techno-logiques (PPRT), à établir au cas parcas pour chacune de ces usines afinqu’ils se substituent aux documentsd’urbanisme pour les zones concer-nées, après approbation par le pré-fet de département. Mais les textesd’application ne furent disponiblesque fin 2005. Ensuite, un lourd tra-vail a été nécessaire, qui n’est pastotalement achevé pour certainesusines complexes situées en milieuurbain.Elle a enfin, dans un contexte deméfiance accrue à l’égard des indus-triels, rendu obligatoire l’informa-tion et la concertation sur les risquesencourus pour permettre aux popu-

lations concernées de s’impliquerdans la démarche d’amélioration dela sécurité, d’accéder plus facilementaux informations disponibles, d’apporter un regard critique sur lesaffirmations et démonstrations pré-sentées, de mieux connaître les ins-

tallations et celles ou ceux qui lesfont fonctionner ou les contrôlent.Si cette loi a été considérée commeun progrès lors de sa promulgation,sa mise en application pratique,quelques années plus tard, se révélaplus difficile sur le plan technique,et surtout sur le plan social comptetenu des conséquences, principale-ment pécuniaires, que le législateurn’avait pas forcément prévues pourcertains riverains trop proches deces installations. En effet, l’un desprincipes de base de cette nouvelleloi consiste à corriger les « erreurs »du passé en faisant supporter le coûtimportant de ce nouveau dispositifpar l’ensemble des acteurs concer-

nés, considérant que la collectivitédans son ensemble avait été respon-sable des démarches et décisionsantérieures.Cela va de soi quand on demandeaux industriels à l’origine du risquede financer les améliorations de leursinstallations. C’est déjà moins évi-dent lorsqu’on souhaite la partici-pation financière des collectivitéslocales (commune, département,région) pour compléter celle de l’État.Et cela devient carrément ingérablelorsqu’on sollicite les riverains afinqu’ils se protègent eux-mêmes etengagent des travaux de conforte-ment de leur habitation, dont unepart du coût doit rester à leur charge,le crédit d’impôt partiel prévu à ceteffet ne couvrant pas les dépensesafférentes. Ce sujet a souvent rendules discussions très conflictuelles, etce travail encore plus long et diffi-cile dans un climat suspicieux peupropice à la concertation.Délocaliser ces usines a parfois étéévoqué avec véhémence dans les dis-cussions, mais ce n’était certaine-ment pas la voie envisagée par lelégislateur, conscient, d’une part, del’importance économique pour notrepays des industries concernées et,d’autre part, que déporter les pro-blèmes dans des pays souvent moins

Cela va de soi quand on demande aux industriels à l’origine du risque de financer les améliorations de leurs installations. C’est déjàmoins évident lorsqu’on souhaite la participationfinancière des collectivités locales.“ “

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DOSSIER18 INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION

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exigeants sur le plan réglementairen’est pas responsable.

LA PRÉVENTION DES RISQUESL’exploitant d’un site industriel estbien entendu le premier responsa-ble de ce qui s’y passe. Il doit en maî-triser le fonctionnement en toutescirconstances et en cas d’incident,voire d’accident, avoir prévu toutesles dispositions pour revenir au plusvite à un fonctionnement normal etpour en limiter les conséquences surle site, et avant tout à l’extérieur. Lesplans particuliers d’intervention(PPI), mis en place par le préfet pourcoordonner les moyens de secoursexternes et protéger la population,constituent seulement la barrièreultime pour limiter les conséquencesdes accidents graves.L’industriel doit donc avoir prévudès la conception de ses installationstous les moyens de détection du mau-vais fonctionnement des installa-tions, d’alerte des opérateurs, deretour à un régime de fonctionne-ment normal ou d’intervention encas de dérive anormale pour arrêterau plus vite et en toute sécurité lesinstallations en cause. Cela doit s’ac-compagner d’une maintenanceconstante – au-delà de la mainte-nance des installations à assurer pourgarantir leur bon fonctionnement –de ces dispositifs pour garantir enpermanence leur opérabilité.Les études de danger, exigées par laréglementation, constituent le nœudde la démarche d’analyse des risques.Établies par les industriels sous leurresponsabilité, elles doivent décriredans le détail les installations, leursparamètres de fonctionnement, lesproduits mis en jeu et leur dangero-sité, les conséquences physiques desdifférents accidents potentiels envi-sagés et les moyens mis en place pourdétecter au plus vite les dysfonction-nements et y remédier.Mais l’exercice d’inventaire des acci-dents potentiels reste très difficile.L’introduction, dans la nouvelle loi,de la notion de probabilité d’occur-rence des accidents a rendu ce travailencore plus compliqué. D’abord, enthéorie cela obligeait à une analyseexhaustive et systématique de tousles accidents potentiels, à en déduireleur probabilité d’occurrence et lesconséquences, tant sur le site pour

définir les effets dominos pouvantaggraver la situation qu’à l’extérieurdes limites de l’usine pour détermi-ner avec précision les riverains poten-tiellement impactés. Travail de béné-dictin pour des installations trèscomplexes comme une raffinerie.Ensuite, à l’usage, ce fut un pointd’intenses discussions entre indus-triels et administration faute de retourd’expérience ou de bases de don-nées crédibles et fiables pour cesindustries-là, contrairement à ce quiest couramment utilisé dans l’indus-trie nucléaire ou l’aviation civile.

Cette notion était indispensable pourréaliser la cartographie des PPRTfondée, pour chaque point du terri-toire situé dans l’aire d’influence del’usine, sur le couple probabilité/inten-sité des effets de chacun des acci-dents identifiés et étudiés. Ce lourdtravail a permis d’identifier de nou-veaux points faibles des installationset d’étudier les éventuelles modifi-cations ou mesures de sécurité com-plémentaires à mettre en place pourréduire le risque à l’extérieur du site,d’en préciser la faisabilité et d’enchiffrer le coût.Ce fut donc un progrès substantieldans la connaissance du risque etde ses conséquences, et donc un outilde prévention très performant.Toutes ces études de danger ont étéanalysées par les inspecteurs de laDRIRE-DREAL1, aidés dans des castrès complexes par des experts exté-

rieurs mandatés pour cela. Ce tra-vail a conduit à de nombreuses cor-rections ou itérations afin de s’assu-rer que la démarche de maîtrise etde réduction du risque à la sourceavait bien été menée à son terme etque, dans le cas contraire, les meil-leures techniques disponibles étaientbien déjà mises en œuvre ou propo-sées. La démarche d’élaboration duPPRT a pu ensuite être engagée surla base d’une cartographie du risquerésiduel établie par l’État, dans lescas où le risque résiduel était jugéinacceptable d’après la grille proba-bilité/gravité proposée par le légis-lateur. Soulignons à cet égard quec’est la première fois qu’un risqueacceptable, non nul, a été défini parcette grille pour des accidents deprobabilités d’occurrence très fai-bles et des conséquences relative-ment réduites, en précisant bienentendu ces deux notions.Cette cartographie permet de visua-liser les secteurs impactés en déli-mitant sept zones, allant du risque« très fort » au risque « faible », enfonction de l’importance du risquecumulé de l’ensemble des accidentsétudiés ayant des conséquences àl’extérieur du site. Elle permet doncde confronter le risque induit par lesinstallations avec l’usage des lieuxconcernés (urbanisation, activité,loisir, transport…).Ces cartes permettent d’engager laconcertation avec tous les acteursconcernés. Il faut préciser que lespremières cartes PPRT obtenues ontsouvent conduit l’administration àdemander à l’industriel de revoir sacopie, face aux enjeux impactés etau risque de blocage des discussionsfutures. La présentation de ces pre-mières cartes aux élus concernés apermis, au travers des réactions enre-gistrées, d’avoir un aperçu du longchemin qu’il restait à parcourir.

LA CONCERTATIONAssocier tous les acteurs concernésapparaissait comme une évidencecompte tenu des enjeux sociaux etfinanciers. Mais sur un tel sujet, àfortes composantes techniques, il abien fallu essuyer les plâtres fautede retour d’expérience. L’instaurationofficielle des CLIC2 fut une premièreétape pour clairement identifier lesinterlocuteurs concernés (représen-

Périmètre du PPRT de Lavéra. Source : EDD desétablissements.

L’exploitant d’un site industriel est bienentendu le premier responsable de ce qui s’y passe. Il doit en maîtriser le fonctionnement en toutes circonstances et en cas d’incident,voire d’accident.“ “

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tants des riverains, des syndicats,des industriels, des collectivités localeset de l’État). Trouver des représen-tants « représentatifs » des riverainsconcernés ne fut pas toujours choseaisée.Le nombre et la diversité des pré-sents ont fait des CLIC un lieu d’écoute,a permis de préciser les enjeux duterritoire. Face aux prises de posi-tion musclées, il fallut en fait beau-coup d’habileté pour, tout en res-pectant la position de chacun, voircomment l’intégrer dans la réflexionet avancer.Rappelons aussi que les CLIC devaientnormalement être présidés par lepréfet ou son représentant. Dans lesBouches-du-Rhône, on préféra confierla présidence à des élus locaux, carplus proches des préoccupationslocales, une manière de les impli-quer plus directement dans cettedémarche dont les principales déci-sions relèvent de l’État.Pédagogie, patience et compréhen-sion ont rarement suffi pour bienfaire comprendre l’« usine à gaz »mise en œuvre pour délimiter lesnouvelles zones à risque prises encompte dans ces nouveaux PPRT. Lanotion de probabilité a été encoreplus complexe à expliquer et à faireadmettre aux riverains concernés,beaucoup voyant là un moyen deminimiser artificiellement les risques

à peu de frais. Génératrice de douteet de suspicion, la présentation tar-dive des cartes n’était pas une bonnesolution. A contrario, essayer d’as-socier l’ensemble des interlocuteurstrès tôt, dès l’analyse des études dedanger, pour bien montrer le sérieuxet l’honnêteté de la démarche s’est

avéré très compliqué du fait desniveaux techniques différents despersonnes en présence. Toutefois,faire au sein de la CLIC des pointsréguliers sur l’avancement de cetteanalyse a parfois permis de mettreen évidence des points obscurs àapprofondir ou à préciser pour anti-ciper les futurs obstacles. Il est bien difficile de retranscrireprécisément l’ambiance de ces réu-nions ; dire qu’elle fut studieuse seraitexcessif, mais l’attention était sou-tenue, les questions nombreuses, lesdébats animés. Il fallait s’attendre àce que les riverains demandent auxindustriels de cantonner les risquesdans les limites de leur clôture, ouqu’ils refusent de participer au finan-

cement des travaux de renforcementde leur habitation. Ces prises de posi-tion très fermes et les multiplesmenaces de contentieux ultérieursont conduit à faire progressivementévoluer la doctrine réglementaire età proposer aux riverains des aidescomplémentaires.Il faut aussi rappeler que la loi Bachelotavait imposé une échéance ferme àfin 2008 pour la mise en œuvre detous ces PPRT. Ce délai n’a pas puêtre respecté, et en 2016 seulement90 % des PPRT requis sont approu-vés. Il reste encore les plus difficiles,ceux pour lesquels les mesures fon-cières sont délicates à mettre enœuvre. Mais tout cela progresse grâceà la volonté de chacun de trouver lesmeilleures solutions pour parvenirà atteindre l’objectif visé, qui restede mieux protéger les populationsexposées à ces risques.La concertation y a très largementcontribué.

*GILBERT SANDON a été responsable de l’unité territoriale DRIRE-DREAL des Bouches-du-Rhône de 2000 à 2012.

1. DRIRE : direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement.DREAL : direction régionale del’environnement de l’aménagement et du logement. Instance créée en 2009 par fusion des DRE, DIREN et DRIRE.2. CLIC : comité local de l’information et de la coordination.

La notion de probabilité a été encore plus complexe à expliquer et à faire admettre aux riverains concernés, beaucoup voyant là un moyen de minimiser artificiellement les risques à peu de frais.“ “

LA SÛRETÉ DES USINES COMME RAPPORT DE FORCESDans l’accident industriel, les premiers concernés sont les salariés. Et de revendication essentiellement syn-dicale dans un tête-à-tête patronat/salariés plus ou moins normé par la loi, la gestion des risques prend uneautre dimension plus complexe dans les années 1970.

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

UNE PERCÉE AUTOUR DE L’ÉTANGDE BERRE-GOLFE DE FOSAprès 1968, une union de la gauchese cherche, le Larzac est occupé pardes opposants au camp militaire.Qui dominera l’opposition ? Onconnaît alors l’ampleur des pollu-tions de Minamata ( Japon) et on

découvre celles du golfe de Fos. Laprotestation de masse s’y organiseavec grèves, accès au port barré parles pêcheurs, et même tocsin ! Elleest exprimée par syndicats et éluscommunistes de la zone. Qui cata-lysera au plan politique la protesta-tion qui monte dans le pays ?Le gouvernement décide alors, en1971, de prendre les devants avec la

création, sous l’autorité du préfet,d’un Secrétariat permanent pour laprévention des pollutions industrielles(SPPPI) autour du golfe de Fos. Aucours de réunions périodiques, lesindustriels exposent leurs résultatsenvironnementaux devant l’admi-nistration et les élus. Très vite, ceux-ci forcent la porte et se font accom-pagner de syndicalistes puis

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DOSSIER20 INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION

d’associations, dont la participationest par la suite reconnue. Une concer-tation pluripartite se met en place…Elle est prolongée par la création d’as-

sociations spécialisées : Airfobep poursurveiller les pollutions aériennes,puis le Cyprès pour informer préven-tivement la population sur les risques.Ces structures sont elles aussi pluri-partites, et l’État en est partie pre-nante. Elles s’ajoutent aux conquê -

tes proprement syndicales : CHS,CHSCT, délégués…, dont la consé-cration par la loi tient du contexted’avancées en cette période. Si surcertains aspects la zone Fos-étang deBerre a pris les devants, depuis toutesles régions de France ont, avec desvariantes locales, imité cet édifice.La soif citoyenne de transparence aconduit les industriels du pourtourde l’étang de Berre à s’en saisir. Déjàune commission locale d’informa-tion (CLI) associative à Rognac et,surtout, à Martigues une « commis-sion extra-municipale » – sous l’au-torité d’un élu, ouverte aux syndi-cats, associations, industriels,administration (sous-préfecture etdirections régionales de l’environ-nement, de l’aménagement et dulogement [DREAL]), mais aussi à lapresse et au public intéressé – disaient

l’urgence. Pour n’être pas débordée,chaque direction d’usine a alors voulusa CLIE (E pour « échanges »), où lesriverains sont invités à des présen-tations de l’usine par l’industriel lui-même. Enfin, pour ne pas être enreste, l’État organise depuis ces années,périodiquement, à Douai des assisesnationales des risques industriels :discours général loin du terrain quipeut servir d’alibi…

AZF : GÉNÉRALISATION DELA CONCERTATION… JUSQU’OÙ ?L’accident de AZF de 2001 a permisà l’État de légiférer en étendant etunifiant ces structures, devenuesCLIC (comités locaux d’informationet de concertation) puis CLIS (comi-tés locaux d’information et surveil-lance), mais placées à nouveau sousl’autorité du préfet, qui en désigne

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Vue satellitaire de l’étang de Berre, haut lieu d’une mobilisation des populations, syndicats et élus pour lutter contre les pollutions industrielles etimposer des structures d’information et de concertation.

Création d’associations spécialisées :Airfobep pour surveiller les pollutions aériennes,puis le Cyprès pour informer préventivement la population sur les risques. Elles s’ajoutent aux conquêtes proprement syndicales : CHS, CHSCT, délégués…

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les participants. Parfois, comme dansles Bouches-du-Rhône, elles sontplacées par le préfet sous la prési-dence d’un élu. La construction dela sûreté et ses moyens sont assezvite oubliés ou écartés : les débatsne tardent pas à tourner autour del’application de la loi de 2003 et desPPRT (plans de prévention des risquestechnologiques).Était-ce encore trop ? Depuis, dansun contexte politique de régression,ces structures sont devenues CSS(suivi de site) ; un ordre du jour infla-tionniste permet d’écarter des ques-tions comme la sûreté des instal -

lations ou les rejets polluants ;n’évoquant pratiquement que lesPPRT, elles se dessèchent dans unrôle strictement consultatif avec desréunions de plus en plus rares. Lesreprésentants des riverains sont dési-

gnés – et non élus –, les salariés syn-dicalistes ne voient pas leur partici-pation favorisée, les industriels déci-dent en dernière instance de ce quiest « économiquement acceptable »,le rôle des élus reste flou, entre spec-tateurs et payeurs, et in fine le pré-fet décide.

Reste la question de la constitution-nalité de cette loi de 2003 qui privedes riverains de la pleine jouissancede leur bien (atteinte à la propriété)et refuse « une juste et préalable »indemnisation à ceux à qui sontimposés des travaux ou sont expul-sés (cf. Déclaration des droits del’homme et du citoyen, 1789).Enfin la directive Seveso 3, entrée enapplication en 2015, dans son arti-cle 5, « Obligations générales de l’ex-ploitant », est parfaitement explicite :« Les États membres veillent à ce quel’exploitant soit tenu de prendre toutesles mesures qui s’imposent pour pré-venir les accidents majeurs et pourlimiter les conséquences pour la santéhumaine et l’environnement. » La res-ponsabilité de l’exploitant, qui estdéjà dans la tradition législative fran-çaise, s’en trouve confortée, mais laloi de 2003 l’atténue malgré la direc-tive et nos lois antérieures. De plus,elle fait porter l’essentiel des dépenses

par les collectivités et les riverains.Par ailleurs, l’État a imposé un regrou-pement régional des organisationsde surveillance de la pollution (surle modèle de ce qui existe pour l’air)et leur contrôle est plus serré. Replisur un rôle régalien ? Car, ultralibé-ralisme aidant, de partie prenantequ’il était l’État s’est retiré des autresstructures pluripartites qu’il secontente de subventionner (de moinsen moins, et jusqu’à quand ?) et desurveiller mais qui peu à peu n’ontplus qu’un rôle associatif d’échanges.Sur le terrain des problèmes concrets,salariés, élus, riverains, administra-tion pensent naturellement à dessolutions, tandis qu’une directiond’usine a du mal à les ignorer. Cesstructures sont des lieux où circu-lent des informations qui permet-tent d’affiner les propositions deluttes et de bâtir des convergencesd’action. Les évolutions globales tien-nent du rapport de forces ; or cesstructures ont ouvert une voie pourune autre gestion des risques. Et unrapport de forces évolue dans unsens ou dans l’autre selon le dyna-misme des acteurs… n

*JEAN-CLAUDE CHEINET est géographe,ancien maire adjoint de Martigues et ancienprésident du Cyprès.

L’accident de AZF de2001 a permis à l’État delégiférer en étendant et unifiantces structures devenues CLIC(comités locaux d’informationet de concertation) puis CLIS(comités locaux d’informationet surveillance).

“ “LOI BACHELOT ET PPRT : DÉDOUANERDE LEURS RESPONSABILITÉS L’ÉTAT ET LES INDUSTRIELS DES SITES À RISQUESEn France, il existe 650 sites Seveso seuil haut, et 7 millions de citoyens sont riverains de cessites et exposés aux risques industriels ; en outre, le danger augmente pour les salariés pré-sents dans les installations. Une loi de 2003 prétend en réduire ces risques. Faut-il éloignerles riverains, dont beaucoup sont d’anciens ou d’actuels salariés de ces entreprises, ou recréerdes emplois pour renforcer la sécurité ? Et qui doit payer ?

MICHEL LE CLER ET SYLVESTRE PUECH*,

n réaction à l’émoi suscité parl’explosion de l’usine AZF enseptembre 2001, la loi no 2003-

699 du 30 juillet 2003 relative à laprévention des risques technolo-giques, communément appelée loi

DES INTENTIONS AUX RÉALITÉSÀ l’étude de danger, réalisée par leseul industriel, doivent désormaisêtre adjointes par l’exploitant despropositions de travaux afin de réduireles risques à la source. Mais la notionde travaux « économiquement accep-tables » ajoutée par le législateur vient

Bachelot, a été votée. Cette loi intro-duit les plans de prévention desrisques technologiques (PPRT) quivisent « à améliorer la coexistence dessites industriels à hauts risques avecleurs riverains, en améliorant la pro-tection de ces derniers tout en péren-nisant les premiers ».

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DOSSIER22 INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION

limiter considérablement l’objectifde réduction des risques à la source,d’autant que cette limite est laisséeà la seule appréciation de l’exploi-tant. Dès lors, de nombreuses optionstechniques sont écartées, sans dis-cussion, au seul motif de leur coût.Pour éloigner les riverains du dan-ger, l’ensemble aboutit alors à desmesures d’urbanisme imposées auxriverains, avec expulsion ou travauxà la clé. Il en résulte dans les faits untransfert des charges financières versles riverains, les collectivités localeset l’État.Source de mécontentement, l’orga-nisation des PPRT se met en place àpas feutrés. Il faut beaucoup de déter-mination et de pugnacité aux rive-rains pour obtenir les informationsrelatives aux dangers existants sur

les sites Seveso seuil haut auxquelsils sont confrontés et autant de volontépour intégrer les instances officiellestels les POA (personnes et organismesassociés), les CLIC (comités locauxd’information et de concertation),devenus CSS (commissions de suivide site). Il est d’ailleurs intéressantde constater que le « comité locald’information et de concertation »n’est plus qu’une « commission desuivi de site », nuance qui en dit longsur la volonté de transparence dulégislateur.À cette réalité s’ajoute la sous-repré-sentativité des riverains dans ces dif-férentes instances, ce qui tient au faitqu’ils ne disposent ni de temps ins-titutionnel ni de moyens financierspour assumer pleinement leur man-dat de représentants des riverains.

ENSEMBLE POUR QUE LES INDUSTRIELS PRENNENTLEURS RESPONSABILITÉSFace aux impacts des PPRT sur lespopulations des zones économiquesriveraines des sites Seveso, les asso-ciations de défense des riverains de

leur secteur ont constitué, le 12 février2012, à Donges, la Coordination natio-nale des associations riveraines des

sites Seveso, un outil qui leur permetd’échanger et d’agir collectivement.Tout en rappelant leur attachementà l’emploi et à son développement,qui ne peut pas se faire à n’importequel prix, les participants déclarentl’industriel responsable des risques,demandent la création d’une régle-mentation l’obligeant à « réduire lesrisques à la source » et de ne pas lais-ser la primauté au principe « d’éco-nomiquement acceptable ».Dans le même temps, ils veulent mul-tiplier les démarches auprès de tousles élus, quel que soit leur niveau deresponsabilité, afin de les sensibili-ser aux difficultés liées à la mise enplace des PPRT. Conséquemment,ils réclament le gel de tous les PPRTet un moratoire sur leur mise en place.

Plusieurs élus revendiquent une « miseà plat de la loi Bachelot », voire sonabrogation. Or le discours a évoluéétrangement pour se focaliser sur leseul financement de travaux de ren-forcement du bâti, que la Coordinationconsidère toujours comme inadap-tés, inefficaces et coûteux.

Notons que le financement desmesures annoncées est principale-ment supporté par les collectivitésterritoriales et l’État (donc par lecontribuable) et que l’industriel res-ponsable des risques n’est concernéque pour un quart des dépenses !La Coordination nationale des asso-ciations riveraines des sites Sevesos’interroge toujours sur les raisonsde cette modification du discours.Est-ce pour se donner bonneconscience ? Y a-t-il volonté de faireoublier la responsabilité de l’indus-triel ? Les lobbies du pétrole sont-ilssi influents au sein des différentesinstances officielles, notamment auParlement, pour empêcher touteinflexion gouvernementale ? S’agit-il d’un manque de courage politique?La santé, la vie des riverains, leursécurité, sont-elles considérées commenégligeables comparativement auxprofits financiers espérés par lesgroupes industriels ?Il est singulier de remarquer que lesystème mis en place, hormis le faitqu’il contraint le riverain à se proté-ger de risques dont il n’est pas res-ponsable et à prioriser des travauxlorsque ceux-ci dépassent 10 % dela valeur vénale du bien ou 20 000 €,revient de fait à dédouaner l’État etl’industriel de leurs responsabilités.

UN ENGAGEMENT POLITIQUE EN DEÇÀ DES ATTENTESIl faut attendre l’engagement de plu-sieurs parlementaires du Front degauche pour qu’un projet de résolu-tion relative à un moratoire sur lamise en œuvre des PPRT soit déposésur le bureau des résolutions del’Assemblée nationale le 12 septem-bre 2013, et du Sénat le 18 octobre2013. Nous tenons à les en remercier.Ce texte sera présenté au Sénat le11 décembre 2014 devant un par-terre… d’une demi-douzaine desénateurs.Pourtant, aucun parlementaire à cejour ne peut affirmer « Je ne savaispas »: trop nombreuses sont les inter-ventions écrites et orales des mem-bres de la Coordination pour toutesles citer. Nous avons le sentimentprofond que la sécurité des riverainsimpactés par un PPRT n’est pas lesouci premier des élus.Le 15 juin 2016, à l’occasion d’unecommission d’information organi-

Les plans de prévention des risquestechnologiques (PPRT) visent « à améliorer la coexistence des sites industriels à hautsrisques avec leurs riverains, en améliorant la protection de ces derniers tout en pérennisantles premiers ».

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La directive Sevesotient son nom de la ville italienneoù unecatastrophe provoquée par un accidentindustriel dans une usinechimique survinten 1986.

Notons que le financement des mesuresannoncées est principalement supporté par les collectivités territoriales et l’État (donc par le contribuable) et que l’industrielresponsable des risques n’est concerné que pour un quart des dépenses !

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sée dans la salle du Développementdurable à l’Assemblée nationale, cettetendance s’est malheureusementconfirmée : la Coordination natio-nale souhaitait la mise en place d’« unemission d’information sur la loiBachelot et les PPRT » afin d’enten-dre les réponses politiques aux inquié-tudes et propositions émises par lesriverains.Récemment (juillet 2016), un députédes Pyrénées-Atlantiques a posé unequestion essentielle à la ministre del’Environnement, de l’Énergie et de

la Mer. S’appuyant sur les argumentsdéveloppés par la Coordination, illui demande si les conditions de miseen œuvre des PPRT pour les activi-tés économiques riveraines des sitesà risques visant à apporter des adap-tations nécessaires à la loi de 2003,en application de l’ordonnance du22 octobre 2015 et du projet de loi laratifiant en février 2016, permettentde répondre aux attentes des rive-rains (les habitations sont soumisesà des obligations dont sont dispen-sées les entreprises de la zone).

Il ne peut y avoir deux lectures d’unmême texte : des règles adaptablespour les activités économiques rive-raines des sites Seveso, et contrai-gnantes pour les habitants riverainsde ces mêmes sites.

POUR PLUS D’ÉQUITÉEn conclusion, la Coordination natio-nale et les associations qui la com-posent réaffirment la nécessité deréviser la loi Bachelot. Ensemble, ellesconsidèrent que des adaptations légis-latives et réglementaires du disposi-tif restent possibles afin qu’il soit plusfavorable aux riverains et plus res-pectueux de leurs exigences.Elles insistent également sur l’indis-pensable équité qui doit être la règledans la mise en place des plans visantà assurer la sécurité des habitants.Enfin, elles souhaitent plus d’écoutede la part des élus politiques auxdemandes et propositions formu-lées par les citoyens responsables. n

*MICHEL LE CLER et SYLVESTRE PUECHsont des responsables de la Coordinationnationale des associations riveraines dessites Seveso.

LA CHIMIE, UN SECTEUR ESSENTIEL À NOS VIESAffirmation osée et péremptoire au vu des catastrophes que l’industrie chimique a pu provoquer dans l’his-toire, aussi bien en France que dans le reste du monde ? Certes, la chimie est une industrie à risques, maisabsolument nécessaire à la vie. Et le zéro risque n’existe pas.

PAR ANDRÉ MONDANGE*,

a plus grande plate-forme deproduction chimique de Francese situe à Roussillon, dans la

vallée du Rhône, avec 1 800 salariésà l’œuvre. La problématique de lasécurité et de la protection de l’en-

vironnement est le souci prioritairedes salariés de cette industrie ; faut-il rappeler que, se trouvant en pre-mière ligne, en cas de problème cesont eux qui seraient les premièresvictimes ?À l’origine de la plate-forme deRoussillon est le groupe RhônePoulenc. Lorsque le groupe dispa-raît par suite de ventes et cessions,celle-ci a été réorganisée, et ce n’estpas moins de 17 entreprises indé-pendantes, dont 6 classées Seveso,qui y sont présentes. Un groupementd’intérêt économique (GIE, 280 sala-riés), dans lequel je suis salarié, a étécréé, avec pour vocation de vendredes prestations (laboratoires, fluides,inspections, magasinage, santé, main-

tenance, instrumentation électricité,santé au travail, sureté-sécurité-envi-ronnement, etc.) aux différentesentreprises productrices installéessur la plate-forme – des prestationsobligatoires et des prestations option-nelles. La santé au travail, la sûreté,la sécurité et l’environnement sontdes prestations obligatoires pourtoutes les entreprises de la plate-forme (service sécurité 43 salariés,dont 36 pompiers permanents, ser-vice environnement 6 salariés).Cette organisation de mutualisationdes moyens, qui a maintenant unevingtaine d’années, s’est avérée judi-cieuse, efficace et sans nul douteoptimale en termes de sécurité, desûreté et de protection de l’environ-

Les organisations syndicales et les CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et de conditions de travail) ont souvent dûlutter pour garder et développer les moyensnécessaires en termes de salariés compétents,matériels et investissements pour la sécuritéde tous.

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nement. Elle est une référence danstoute l’industrie chimique française– qui devrait faire école – et a été unargument majeur pour la venue en2016 de l’entreprise Hexcel, fabri-cant de fibres de carbone (200 mil-lions d’investissement et création de120 emplois directs), avec l’objectifde créer une deuxième unité dansquelques années.Cela ne s’est pas fait tout seul, biensûr : les organisations syndicales etles CHSCT (comité d’hygiène, de

sécurité et de conditions de travail)ont souvent dû lutter pour garder etdévelopper les moyens nécessairesen termes de salariés compétents,matériels et investissements pour lasécurité de tous. Depuis trente-septans que je suis salarié sur cette plate-

forme, j’ai connu plusieurs conflitsavec grève dans ce cadre-là. Dansles années 1980, nous avons eu unincendie important : un bâtiment destockage de produits chimiques quia provoqué une pollution du Rhône;à la suite de cela, nous avons enfinobtenu ce que nous exigions depuislongtemps : un bassin « grand sinis-tre » (bassin de rétention, 15 000 m3)et une station d’épuration. La population a souvent du mal àavoir une vue objective de l’indus-trie, et tout particulièrement de l’in-dustrie chimique: on ne parle d’elleque lorsqu’elle pue, pollue, exploseet tue. Et pourtant elle soigne, sou-lage, guérit… Elle est indispensableà la vie. C’est à nous, citoyens, qu’ilrevient de choisir si nous la mettonsau service de la mort ou de la vie. Les

organisations syndicales avec lesCHSCT de l’industrie chimique sontla référence et l’outil indispensablepour un développement durable ethumain face à des patrons action-naires avant toutes autres considé-rations, et aussi parfois à des écolosintégristes qui parlent beaucoup avecune très mauvaise connaissance duterrain. Malgré tout, la populationqui vit depuis des décennies autourde l’industrie chimique, qui y a par-fois travaillé, en mesure, elle, les risques,les inconvénients, les avantages à leurjuste valeur, et surtout elle constateque le territoire a trouvé un équilibreharmonieux de développement entrel’industrie, l’arboriculture et le res-pect de la biodiversité.Dans un pays comme la France, quia une vocation industrielle avec unsystème où l’argent fait souvent loi,nous devons nous poser ces ques-tions fondamentales: De quelle crois-sance avons-nous besoin et au ser-vice de qui ? Voulons-nous produireet consommer autrement et dansquelle condition ?

*ANDRÉ MONDANGE est syndicaliste.

DOSSIER INDUSTRIE : PEURS ET PRÉCAUTION24

Les organisations syndicales avec lesCHSCT de l’industrie chimique sont la référenceet l’outil indispensable pour un développementdurable et humain face à des patronsactionnaires avant toutes autresconsidérations.

“ “dienne et vie industrielle est néces-saire, l’industrie concourant à la viesociale, à la vie économique, à lavitalité d’un territoire, à commencerpar les emplois qu’elle génère ?C’est la voie de la coexistence soumiseà des règles de protection drastiquesque la commune de Gonfreville-l’Orcher (10000 habitants aux portesd’un Havre de 180 000 âmes), terred’accueil de la plupart des entrepri -ses classées à risque sur l’estuaire de la Seine, a choisi, de concert avecses habitants.Le chemin est long et parsemé d’em-bûches, entre finances publiques

rationnées pour servir d’autres des-seins bien plus éloignés de l’intérêtgénéral et décalages fréquemmentconstatés entre bonnes intentionsgouvernementales et réalités desdécisions.Mais cette volonté publique et poli-tique portée unanimement en régionhavraise a trouvé son prolongementdans l’attitude de plusieurs entre-prises à risque qui ont décidé de join-dre la parole aux actes.Ainsi la multinationale Chevron a-t-elle remplacé, au prix de pertes surplusieurs exercices, l’un de ses processles plus dangereux par un autre dont

VIVRE À CÔTÉ DU RISQUE SANS AVOIR PEURL’EXEMPLE DE GONFREVILLE-L’ORCHER, PRÈS DU HAVRESeveso, AZF, Bhopal… La liste est longue des accidents à travers le monde liés aux dérives de sociétéschimiques ou pétrolières qui, pour accroître leurs marges bénéficiaires, ont joué avec la vie de leurs salariéset des populations voisines. À rebours de ces drames, la ville de Gonfreville-l’Orcher fait figure d’exemple.

PAR JEAN-PAUL LECOCQ*,

i toute production industriellecomporte sa part de risqueet si le zéro risque est un mythe,

faut-il considérer que ces produc-tions doivent s’éteindre en oubliantqu’il ne peut y avoir de développe-ment durable sans développementtout court? Faut-il considérer qu’ellesdoivent trouver refuge aux confinsde contrées isolées, dépourvues depopulation, quitte à accroître lestransports, eux-mêmes générateursde dangers ? Ou faut-il considérerque la coexistence entre vie quoti-

À Roussillon, 1800 salariés

travaillent sur laplus grande plate-forme industrielle

de France.Comment y est

assurée lasécurité ?

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la principale qualité est de réduireconsidérablement l’étendue du cer-cle de danger. Cette approche envi-ronnementale lui a servi depuis à voirson chiffre d’affaires augmenté.Cette responsabilité portée ensem-ble par les élus, les industriels, les syn-dicats et les représentants de l’État aété à l’origine de multiples mesuresde protection, dont la plus specta -culaire trouve actuellement son abou -tissement dans le plan de préventiondes risques technologiques (PPRT).Ce PPRT, nous l’avons voulu iciimpératif, et pas seulement indicatifcomme ce fut le cas dans d’autresrégions avec des conséquencesfâcheuses sur la valeur des biensimmobiliers et la complexificationdes aides. Le danger existe, il doitdonc donner lieu à des aménage-ments adéquats sur les logements,le tout payé intégralement par l’État,la communauté d’agglomération et

les industriels… la commune prenantégalement sa part de financement.Ce sera le cas en région havraise, etprincipalement dans la communede Gonfreville-l’Orcher.Bien d’autres actions concrètes ontété mises en œuvre, du renforcementdes dispositifs d’information et d’alerte(les habitants sont désormais équipésà domicile d’une AlertBox®, système

d’alerte instantanée des populationsexposées directement à la zone indus-trialo-portuaire) au développementde politiques éducatives, dès l’écolematernelle, autour de l’environ-nement et des risques majeurs, enpassant par des programmes de rachatd’habitations trop vulnérables.

Il faut mentionner également le tra-vail considérable, en réseau, au seindes associations comme Amaris ou des instances de concertation, àl’image de la Commission de sécu-rité des sites sensibles ou, locale-ment de l’ORME (Office des risquesmajeurs de l’estuaire de la Seine),agence fondée pour prévenir lesrisques industriels, ou encore l’im-portance capitale des associationsde riverains ou des associations devictimes qui contribuent chaquejour à faire avancer les choses.Mais ce qu’il convient de retenir,avant tout, c’est un état d’esprit àl’origine de cette dynamique. Vivrele danger potentiel sans avoir peurmais sans l’oublier. Ne jamais mégot-er sur les moyens financiers à mobilis-er pour protéger les populationscomme l’environnement. Considérerque les industriels à l’origine des nui-sances et de risques – qui par ailleurscontribuent à leur activité, donc àleurs bénéfices – doivent payer lejuste prix à la communauté.Considérer que ce qui prime c’estl’humain, pas les chiffres, pas les sta-tistiques et autres ratios. n

*JEAN-PAUL LECOCQ est maire de Gonfreville-l’Orcher, conseillerdépartemental, vice-président de la communauté d’agglomération havraise(Codah) en charge des risques majeurs.

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L’explosion de l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001 a entraîné la mort de 31 personnes, des blessurespour des milliers de personnes et de lourds dégâts matériels.

tion, donc des emplois, et au déclin.Image dont ne veulent ni la popula-tion ni les salariés, pour lesquels l’in-dustrie doit répondre à des besoins,et la sûreté des installations maîtri-sable. Mais la division n’est-elle pasune arme dans la lutte des classes ?

Progressistes: L’usine de La Mède, encoretrès importante pour l’économie régionaleet nationale, a une longue histoire mar-quée par une réduction considérable desemplois, mais aussi des accidents, dontcelui de 1992 et celui de 2009…

F. Cros: Pour les employés entrés dansle groupe ces quinze dernières années,l’accident de 1992 (six morts) estmoins présent dans les mémoires.En effet, pour que son quotidien soitsupportable, l’humain a tendance àoublier ou, à l’image d’un conduc-teur de voiture, à minimiser le risque.C’est pour ces raisons que nous, mili-tants, nous devons faire en sorte deconserver cette mémoire pour empê-cher Total de retomber dans ses tra-vers. En revanche, l’histoire ayanttendance à se répéter, l’accident de

RENCONTRE AVEC FABIEN CROS*,

es industriels font évoluerleurs usines (outils,machines… et salariés), et ils

savent utiliser l’argument écologique(réduction de l’activité, et donc dudanger) pour gagner les populationsà leurs projets et isoler une éven-tuelle résistance de leurs salariés. Cefaisant, ils créent une image – et cer-tains « décroissants » y adhèrent –assimilant l’écologie à un recul desdangers par un recul de la produc-

Si toute production industrielle comporte sa part de risque et si le zéro risque est un mythe, faut-il considérer que ces productions doivent s’éteindre en oubliant qu’il ne peut y avoir de développement durablesans développement tout court ?

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Un salarié travaillant à l’usine de raffinage et pétrochimie Total de La Mède, syndicaliste, élu aucomité central d’entreprise du groupe, parle des risques industriels, de sécurité revendiquée,des luttes pour le maintient de l’emploi.

DERRIÈRE L’ÉCOLOGIE, RENTABILITÉ ET RISQUES

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2009 (un mort) reste très présentdans les esprits, d’autant que Totalvient d’être condamné pour sa res-ponsabilité dans la mort de deuxjeunes opérateurs sur le site de Carling-Saint-Avold1.D’un côté, la direction de Total rap-pelle souvent dans sa communica-tion les grands principes de sécu-rité ; mais, sur le terrain, c’estl’obligation de résultats et les pres-sions de la hiérarchie en ce sens quil’emportent. Or la sûreté des unitéset la réduction des dangers sont pos-sibles, mais cela passe par la main-tenance de l’installation et des moyenspour y parvenir. Les outils existentpour moderniser, accroître encorela sûreté et réduire en même tempsles impacts sur l’environnement.Mais ces investissements-là ne sontmis en œuvre que sous la contraintedes services de l’État, jamais demanière naturelle.Bien que cette usine contribue à l’in-dépendance énergétique de la Franceet ait toute sa place dans le paysageindustriel français, Total préfère trans-former le site sous des prétextes fal-lacieux et courts-termistes de ren-tabilité, laissant le doute s’installerdans l’esprit des riverains sur sa dan-gerosité, arguant que cela coûteraittrop cher de le remettre à niveau etcréant, donc, une opposition vir-tuelle entre salariés voulant défen-dre leurs emplois et population envi-ronnante.

Progressistes : Certes, Total a annon-cé des suppressions d’emplois, maisaussi sa volonté de reconvertir cette usineen une unité de production écologique…F. Cros:Cette transformation de l’usines’accompagne d’une suppression de250 des 500 postes de salariés orga-niques Total ; à cette perte de sub -stance il faut ajouter, près de 1 500sous-traitants qui seront touchés etle quartier de La Mède qui verra sesactivités commerciales très proba-blement menacées : fermetures descommerces de proximité suivies,

comme cela s’est fait ailleurs, deréductions des services publics. Carau-delà de ce qui est façade sédui-sante et médiatisée par la direction,il y aura bien une baisse de 80 % desactivités traditionnelles (raffinage etpétrochimie) du site, et cela avec unprocess presque identique pour cequi subsiste; en parallèle seront déve-loppées des activités de stockage et

de négoce de produits pétroliers finisimportés (comme à DPF [Fos-sur-Mer], au dépôt des Flandres ou à CIMau Havre) et un centre de forma-tion… Mais cela ne demande quepeu d’emplois stables.La part du process restante consis-tera à fabriquer des produits abusi-vement appelés « biocarburants ».En effet, il s’agira d’importer en Francedu gazole fabriqué dans une raffine-rie gigantesque du Moyen-Orient,avec les risques liés au transport quecela représente (pour mémoire: Erika,Exxon Valdes…) et d’y injecter 7 %d’huile de palme directement en pro-venance de Malaisie. Dans unedeuxième phase, dont la date resteà ce jour incertaine, il est prévu detraiter aussi les huiles usagées etrécupérées (de cuisine, etc.) pourune quantité totale de 100 000 t. Lesquestions sur ce projet viennent vite,d’autant qu’il n’y a pas en France defilière structurée et solide de récu-pération de ces huiles usagées, dont

la production se limite à l’heureactuelle à 30 000 t. À remarquer queles cercles de dangers définis dansle PPRT seront certes réduits pourles riverains mais que, d’un autrecôté, la demande en huile de palmen’est pas écologiquement neutre :elle peut être « agrocarburant » ici,mais déforestation en Indonésie etdans les pays tropicaux humides !Où est globalement le gain ?Cette transformation a pour but avanttout de « verdir » l’image d’un groupeà la réputation de pollueur et à ven-dre des certifications « bio » pour lessous-produits qui découleront decette fabrication (biogaz, donc bio-plastiques, biokérosène…), commele permet et l’encourage l’Unioneuropéenne. L’usine devient doncplus une vitrine et une plate-formed’importation qu’un outil de pro-duction répondant aux besoins dela population.

Progressistes : Quelle est votre actiondans cette période cruciale ?F. Cros : Outre la défense de l’emploi,notre action vise à dégager des pers-pectives d’avenir. Nous mettons enavant l’intérêt d’une usine de raffi-nage et de pétrochimie pour l’indé-pendance énergétique de la Franceet pour répondre aux besoins en car-burants différenciés. Mais aussi lefait qu’une usine modernisée avecde nouveaux process moins polluantset plus sûrs pourrait se développerà côté de l’ancienne, en fin de vie.Ces propositions de transition versde nouvelles activités permettraientde sauvegarder l’emploi et le poten-tiel industriel. Notre usine a de l’ave-nir si nous imposons les investisse-ments nécessaires à son évolutiondans l’intérêt général, et non danscelui exclusif des actionnaires.

Propos recueillispar JEAN-CLAUDE CHEINET.

1. L’accident s’est produit le 15 juillet 2009.Le 13 juin 2016, le tribunal correctionnel de Sarreguemines condamna la société une amende (200000 €). Total renonçafinalement à faire appel.

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Il s’agira d’importer en France du gazolefabriqué dans une raffinerie gigantesque du Moyen-Orient, avec les risques liés autransport que cela représente (pour mémoire :Erika, Exxon Valdes…) et d’y injecter 7 %d’huile de palme directement en provenancede Malaisie.

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Cette transformation a pour but avanttout de « verdir » l’image d’un groupe à la réputation de pollueur et à vendre des certifications « bio » pour les sous-produitsqui découleront de cette fabrication.

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Mobilisation des salariésautour de la défense du site de La Mède, usinedu groupe Total.

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PAR MICHEL SACHER,ET ÉRIC POURTAIN*,

QU’EST-CE QUE LE RISQUE TMD?Les consommateurs que nous som -mes exigent une variété de produits

toujours plus importante et en quan-tité toujours plus grande. Un lieu deproduction ne pouvant être à prox-imité de chaque lieu de consom -mation, pour des raisons évidentesde rentabilité et d’espace, le trans-port de marchandises est donc indis-pensable et inévitable.Les vecteurs de transport de matièresdangereuses (TMD) sont nombreux,disposent de réglementations spé-cifiques et se partagent ce marché :routes (76 %), voies ferrées (16 %),fluviales et maritimes (4 %), canali-sations (4 %) et, dans une moindremesure, la voie aérienne (moins de1 %). Dans tous les cas, le risque estconsécutif à un accident se pro-duisant lors du transport lui-même,et le principal danger de ce trans-port est lié aux matières transportées.Selon le ministère de l’Écologie etdu Développement durable, « unematière est classée dangereuselorsqu’elle est susceptible d’entraî nerdes conséquences graves pour la pop-ulation, les biens et/ou l’environ-nement, en fonction de ses propriétésphysiques et/ou chimiques, ou bienpar la nature des réactions qu’ellepeut engendrer ».Les matières dangereuses ne sontpas uniquement des produits haute-ment toxiques, explosifs ou pol luants;ce sont également tous les produitsutilisés au quotidien, comme les car-burants, le gaz ou encore les engrais

(solides ou liquides). Les matièresdangereuses peuvent avoir quatreeffets distincts : thermiques (com-bustion, explosion d’un produitinflammable), mécaniques (surpres-sion résultant d’une explosion), toxi -ques (irritation, corrosion, etc., parinhalation, contact ou ingestion) etradioactifs (rayonnements ionisants).Quel que soit le mode de transport,les matières sont classées en fonc-tion de leur danger principal dansl’une des neuf catégories suivantes,signalées sur le moyen de transportlui-même :

LA MAÎTRISE DES RISQUES DE TMDLa maîtrise de ce type de risquespasse par quatre types d’actionsconsi dérées comme les quatre piliersde la prévention : réduction desrisques à la source (surveillance),information préventive des citoyens,maîtrise de l’urbanisation, planifi-cation et anticipation des crises.

Mais cela dépend du mode de trans-port : canalisations, camions, cheminde fer, transport maritime ou trans-port aérien présentent des risquesdifférents et ont des réglementationsspécifiques. En dehors des canalisa-tions, pour lesquelles les règles deprévention et de réduction du risqueà la source sont proches de celles desrisques industriels, pour les autresmodes de transport les règles sontessentiellement liées à l’indentifica-tion claire des marchandises trans-portées avec des étiquetages codi-fiés (fig. ci-dessus).S’y ajoutent, notamment pour lestransports par route, des règles destationnement, des interdictions de circulation et des limitationsde vitesse, parfois des itinéraires contraints, des chauffeurs et person-nels obligatoirement formés.

La maîtrise de l’urbanisationEn dehors des canalisations de trans-port, il n’existe pas de mesure d’ur-banisme spécifique. Dans le cas descanalisations de transport, des servi-tudes d’utilité publique interdisenttoutes constructions à proximité etréglementent tous travaux dans unrayon de 100m. Par ailleurs, des mesuresde protection des populations peu-vent être adjointes dans le cadre del’analyse d’un projet d’aménagement(nouveau ou modification), de type« établissement recevant du public »(ERP) de plus de 100 personnes ou« immeubles de grande hauteur ».

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LE RISQUE TRANSPORT DE MATIÈRES DANGEREUSESWagons-citernes sur des voies des gares de triage à l’accès facile, camions stationnant sur les parkingsau pied des immeubles… Il faut s’interroger sur ces transports de matières dangereuses que la gestion desentreprises en flux tendu conjuguée au tout-camions rend plus nombreux et plus massifs.

SIGNALÉTIQUE APPLIQUÉE AU TRANSPORT DE MARCHANDISES DANGEREUSES

Code de danger

Indique la naturedu danger

Code matière (no ONU)

Identifie la matièretransportée

Les matières dangereuses ne sont pasuniquement des produits hautement toxiques,explosifs ou polluants ; ce sont également tous les produits utilisés au quotidien, commeles carburants, le gaz ou encore les engrais(solides ou liquides).

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La préparation aux situations d’urgenceParfois, dans une gare de triage, unport…, des plans de sûreté permet-tent de définir un ensemble demesures à prendre pour réduire auminimum la mise en danger des per-sonnes, des biens ou de l’environ-nement. Ce sont les plans de surveil-lance et d’intervention (PSI), élaborés

par les exploitants de canalisations ;les plans «marchandises dangereuses»(PMD) de la SNCF ; le protocoleTransaid, signé entre le ministère del’Intérieur et l’Union des industrieschimiques (UIC), qui prévoit d’ap-porter aux autorités et responsablesdes secours : aide, expertise et assis-tance technique spécialisée lors d’ac-cidents de TMD ; des dispositionsOrsec, élaborées et mises en œuvrepar le préfet de département; le plande secours spécialisé TMD (PSS TMD)pour tous les modes de transport,hors fluvial et maritime ; le planPollution marine (Polmar) ; le plancommunal de sauvegarde (PCS),élaboré et mis en œuvre par le ou lesmaires des communes.

Si elle permet de le combattre, l’abon-dance de plans ne supprime pas lerisque.

L’information préventive des citoyensConformément aux réglementationsfrançaises et européennes, toute per-sonne susceptible d’être exposée àdes risques majeurs doit être infor-mée de la nature des risques et desmoyens mis en œuvre pour éviter lesaccidents ainsi que des consignesgénérales de bonne conduite à sui -vre en cas d’accident. Le préfet et lemaire partagent les actions d’infor-mation préventive, semblables pourtous les risques, destinées aux citoyens,aux scolaires et aux professionnels.

LA PROBLÉMATIQUE POSÉE PAR LE TMDMême si les risques sont similairesà l’exploitation d’installations Seveso,la principale particularité du TMDest sans conteste liée à la mobilité.Entrent en ligne de compte la topogra-phie des territoires traversés, la qua -lité des infrastructures routières etferroviaires, la signalétique tant entermes de transit que de dessertelocale, l’accessibilité des secours, larécupération des fluides, la proxi mitéd’établissements recevant du public(écoles, stades…) et le stationnementdes véhicules (chargés ou vides nondégazés). Les difficultés de circula-tion au moment des heures de pointeet des entrées et sorties des ERP sontdes éléments de dangerosité.Les territoires et leurs institutions

respectives pensent rarement à cesaspects. On constate souvent uneabsence ou une mauvaise prépara-tion aux situations de crise du faitdu caractère diffus de ce risque, pour-tant bien réel.De plus, contrairement aux autresrisques majeurs, pour lesquels lesrecommandations de gestion et lessupports d’accompagnement sontnombreux, l’administration localedu TMD reste peu encadrée. Le plussouvent, les collectivités localessouhaitant s’engager dans une poli-tique responsable du TMD ne peu-vent compter que sur leurs propresressources pour aboutir.Dès lors, il arrive fréquemment qu’unou plusieurs véhicules transportantdes matières dangereuses se retrou-vent dans des bouchons à des heuresde pointe, passent devant une écoleà l’heure d’entrée des enfants ou, ayanttraversé toute l’Europe, cherchent leurroute et se retrouvent en cœur de villeou de village ou encore stationnentdans des endroits inadaptés dans l’at-tente de l’ouverture d’une entreprisepour charger/décharger ou simple-ment parce que le chauffeur a atteintune période de repos réglementaireaprès plusieurs heures de conduite.En région Provence-Alpes-Côte d’Azur,cette problématique a été posée parl’ensemble des partenaires de lachaîne logistique du TMD, avec laparticipation des collectivités locales,des services de secours et des ser -vices de l’État. Une réponse a étéapportée avec la création d’un guideméthodologique de gestion du TMDdans les communes, et plusieurs ter-ritoires l’on déjà mis en œuvre entout ou partie, c’est le cas des com-munes de Nice, Grasse, Marseille etMontpellier.Ainsi, quel que soit le mode de trans-port, le risque peut être plus ou moinsaggravé par une foule de circon-stances particulières. Et pour lestransports routiers, un élément dedangerosité supplémentaire peutêtre apporté par les difficultés de cir-culation au moment des heures depointe. La difficulté est d’anticiperpour prévenir les risques et en lim-iter les conséquences.

*MICHEL SACHER est directeur du Cyprèset ÉRIC POURTAIN est responsable du pôleRisques technologiques.

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Il arrive fréquemment qu’un ou plusieursvéhicules transportant des matières dangereusesse retrouvent dans des bouchons à des heuresde pointe, passent devant une école à l’heured’entrée des enfants ou, ayant traversé toutel’Europe, cherchent leur route et se retrouvent en cœur de ville ou de village.

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PAR ROBIN MATTA*,

UNE CULTURE PROFESSIONNELLEMISE À MAL PAR LA PRIVATISATIONLa lutte pour le développement dela sécurité ferroviaire a constitué unenjeu majeur de la bataille syndicaledepuis les débuts du chemin de fer.Le monde cheminot s’est progres-sivement forgé une culture de sécu-rité, débouchant sur une réglemen-tation extrêmement précise etrigoureuse que les nouveaux chemi -nots doivent apprendre à leur em -bauche dans les écoles de formationinternes de la SNCF. Cette cultureprofessionnelle permet de transmet-tre les instructions de sécurité dansun langage commun entre différentsmétiers (aiguilleurs, conducteurs,agents de gare, etc.).

Le fret ferroviaire a été ouvert à laconcurrence entre 2003 et 2006.Différentes entreprises ferroviaires(EF) utilisent les installations de laSNCF : c’est la « concomitance desactivités ». Ces EF privées ne sontpas assujetties aux mêmes « contrain -tes » que la SNCF : pour des presta-tions équivalentes, on y trouve deseffectifs moindres, une large poly-valence des métiers, une formationet des droits sociaux au rabais.Dans le même temps, l’État patronorganise la « désintégration » de laSNCF en entreprises distinctes, cha-cune avec son budget et son fonc-tionnement propres, amenant lescheminots à désapprendre leur culture de métier et à s’adapter à lalogique de concurrence, y comprisinterne. Dans de nombreux éta -blissements internes de la SNCF(InfraLog, Direction du matériel [ser-vice maintenance]), le recours à l’ex-ternalisation (Colas Rail, Eiffage Rail,etc.) et à une sous-traitance précaire,avec l’emploi massif de travailleursdétachés, se généralise.

LA DESTRUCTION DES MÉTIERS ET DES SAVOIR-FAIRELe triage de Miramas gère une grandepartie de wagons de marchandisesdangereuses (chlore, essence, matièresradioactives). Une faille dans la bouclede sécurité (erreur de communica-tion, avarie matérielle…) peut entraîn-er une chaîne de conséquences poten-tiellement dramatiques pour lestravailleurs, les riverains et l’environ-nement. Pour répondre à toutes lessituations dangereuses, la SNCF aétabli un plan d’urgence interne (PUI)avec pour « objectif de garantir quele transport de matières dangereusesne pénalise en rien la vie ou la sécu-rité des opérateurs ou des riverainsdu site exploité », ce plan correspondà la logique de service public, maisles moyens nécessaires pour attein-dre cet objectif ne sont pas réunis.Par exemple, garantir la mise en sécu-rité de l’ensemble des travailleurs aucours d’une évacuation générale estimpossible dans la mesure où la listedes agents des multiples entrepris-es (SNCF, EF, prestataires, sous-trai-tants, intérimaires) n’est pas établieen temps réel dans des circonstancesoù des vies humaines sont en jeu.La sécurité ferroviaire est aussi étroite-ment liée aux conditions de travaildes agents : les documents régissantl’organisation du temps de travail(RH077 et RH677) encadraient stricte-ment les horaires atypiques et décalés,le travail posté, le travail isolé. Ilsconstituaient aussi une garantie pourles usagers.Le démantèlement du statut descheminots se poursuit. La directionSNCF souhaite maintenant prati-quer le dumping social entre filièreset spécialités. C’est l’abandon du« dictionnaire des filières », cettevieille revendication de l’UTP (brancheferroviaire du Medef). Les cheminots,eux, soutiennent que leur « diction-naire des filières » doit rester le seul

texte définissant les tâches essen-tielles (sécurité et autres) correspon-dant à la qualification des agents. Ladirection souhaite transformer rapi-dement l’ensemble des métiers descheminots en affichant une volon-té de polyvalence accrue dans la pro-duction. La polyvalence, avec desformations au rabais et une flexibil-ité augmentée, c’est la destructiondes métiers et des savoir-faire garan-tissant une réelle sécurité.

L’INCOMPATIBILITÉ AVECLES LOGIQUES DE RENTABILITÉNous faisons l’analyse suivante : ilest impossible de garantir la sécu-rité des circulations et des infrastruc-tures dans un cadre concurrentieldans lequel la recherche de margesde rentabilité s’oppose par natureaux impératifs de sécurité, d’autantque la vétusté actuelle du réseau,causée par quarante ans de désen-gagement de l’État et de politiquedu tout-TGV, s’accentue.La logique de sécurité au travail, deréduction des risques à la source, estpar nature opposée à la logique duprofit capitaliste.À l’inverse, statuts, conditions de tra-vail, sécurité ferroviaire et monopolepublic sont des éléments indissocia-bles : c’est le sens des luttes contrele quatrième « paquet » ferroviaireen 2014 et de la revendication en2016 d’un décret socle et d’une conven -tion collective nationale applicablesaux EF privées comme à la SNCF àla hauteur du statut cheminot.À contre-courant des politiques coor-données par l’Union européenne, lareconquête du monopole public parle rattachement des EF privées à laSociété nationale des chemins de ferfrançais est la bataille du rail duXXIe siècle. n

*ROBIN MATTA est délégué syndical CGTCheminots, membre du CHSCT.

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Les transports jouent un rôle essentiel dans la production moderne et parmieux, malgré restrictions et empiètements, les transports par fer. Or ils sontparmi les plus sûrs, ce qui est un atout considérable pour le transport de produits dangereux. Cette sûreté est-elle remise en cause ?

IRRUPTION DU PRIVÉ SUR LES RAILS ET SÛRETÉ : UNE BATAILLE DE CLASSE !

Vue aérienne duTriage de Villeneuve-Saint-Georges, dansle Val-de-Marne,France.

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ALÉA :Probabilité qu’un phénomène naturel dangereux ouun accident technologique puisse produire à un momentindéterminé des effets dont on a précédemment caractériséle niveau de gravité (on a parlé aussi de menace).L’aléa peut désigner l’événement lui-même, par exemple uneinondation ou un glissement de terrain pour les milieux natu-rels ou la défaillance d’un procédé ou encore un incidentindustriel dans le monde de la technologie.

DANGER :Propriété d’une substance, d’un organisme, d’unphénomène, d’une situation, d’un processus ou d’un système technique, qui en fait la source de dommages potentiels, pour l’homme, les siens ou l’environnement indépendamment de leur probabilité.

ÉTUDE DE DANGER :Étude précisant l’ensemble des risquesauxquels se trouvent exposés, lors d’un accident d’origineinterne ou externe, les personnes et les biens situés à l’inté-rieur ou à proximité d’une installation, ainsi que les dom-mages qui en résultent pour l’environnement (Journal offi-ciel du 12 avril 2009).

PRINCIPE DE PRÉCAUTION : Principe selon lequel l’éven-tualité d’un dommage susceptible d’affecter l’environne-ment de manière grave et irréversible appelle, malgré l’ab-sence de certitudes scientifiques sur les risques encourus, lamise en œuvre de procédures d’évaluation des risques etl’adoption de mesures provisoires et proportionnées au dom-mage envisagé (Journal officiel du 12 avril 2009).

PRINCIPE DE PRÉVENTION : Principe selon lequel il estnécessaire d’éviter ou de réduire les dommages liés aux risquesavérés d’atteinte à l’environnement, en agissant en prioritéà la source et en recourant aux meilleures techniques possi-bles (Journal officiel. du 12 avril 2009).

RISQUE : Éventualité de subir des dommages en s’expo-sant à un danger, évaluée en fonction de sa probabilité d’oc-currence et de la gravité de ses conséquences potentielles.Il faut donc intégrer à cela l’aléa et la perception du danger.

• ANALYSE DES RISQUES : Démarche visant à identi-fier les phénomènes dangereux et l’étendue des risques.Elle permet de distinguer plusieurs types de risques.

• RISQUE ACCEPTABLE : Le terme définit ce qu’unesociété tolère en fonction de ses conditions et de sa per-ception de la vie ou d’un danger dont la probabilité demanifestation est très faible. C’est toute la question de laperception du risque (exemples : cigarette, rayonnements,accidents de voitures…).

• RISQUE MAJEUR : Possibilité que se produise un évé-nement naturel ou technique ayant des conséquencesgraves pour les populations et l’environnement (exem-ples : Bhopal, Tchernobyl…).

Les acceptions présentées ici ont été adoptées en mai 2010par l’Académie française à la suite des travaux de la commis-sion spécialisée de terminologie et de néologie du ministèrede l’Environnement ; certaines avaient auparavant fait l’ob-jet de publication au Journal officiel de la République fran-çaise (source rappelée entre parenthèses).

Par LUC FOULQUIER, ingénieur chercheur en écologie.

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DES MOTS POUR LE DIRE

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PAR BERNARD RIEU*,

À TRAVERS LES OBSTACLESIl est de bon ton de dénigrer le« socialisme à la cubaine » enguettant sa disparition, maisl’honnêteté veut qu’on revienneaux années 1990 et au blocusimposé à la Grande Île. Au regardde cette situation et dans lecadre de la lutte pour sa levée,la FNME (Fédération nationaledes mines et de l énergie) CGTd’Aquitaine a créé des jume-lages avec les syndicats des éner-géticiens cubains de Santiagode Cuba.Des différentes rencontres quej’ai eues avec des syndicalistes,des directions d’entreprises, desresponsables de CDR (comitésde défense de la Révolution) etavec la population en général, ilressort que les Cubains veulentun avenir national, des perspec-tives de développement, ont defortes motivations politiques, idéo-logiques et morales, de profondesraisons de vivre, de construire, departiciper, de lutter.Sans préjuger du sens et desrésultats des expériences et des réformes en cours, ce quifrappe à Cuba, c’est l’étonnanteca pacité d’innovation de sonsocialisme.Après la disparition du campsocialiste, Cuba semblaitcondamnée : perte de 85 % deson commerce extérieur, chutede 35 % de son PIB, fermetured’usines. Pour la population,cela avait signifié le retour dela libreta (carnet de rationne-ment), le casse-tête du quoti-dien, les apagones (coupuresd’électricité), les transportsparalysés. La consommationquotidienne de calories étaitpassée en moyenne de 3 000 à1 900 par jour, le seuil critiqueselon l’OMS.

Mais Cuba a maintenu son pro-jet social : l’éducation gratuite,la culture généralisée, la recherchepionnière et cette médecine soli-daire qui lui a valu les remercie-ments de l’ONU, notammentlors de l’épidémie d’Ebola enAfrique.

UNE AIDE MULTIFORMENous avons organisé avec nosamis cubains six voyages d’éner-géticiens français et une bri-gade de jeunes afin que ces der-niers découvrent la réalitécubaine ; nous avons envoyédifférents matériels scolaires,des médicaments, des moyensde transport.Nous avons gazéifié le quartierpauvre El Polvorín, à Santiagode Cuba (800 personnes concer-nées), nous avons participé àtrois congrès du syndicat deSantiago, nous avons reçu à troisreprises des militants cubains.En l’an 2002, nous avons élec-trifié le quartier de La Granjita,

dans la municipalité de Guama(plus de 1 000 personnes concer-nées). La même année, nousavons reçu huit Cubains en for-mation professionnelle à Gazde Bordeaux afin qu’ils soienten capacité de former à leurtour l’ensemble des gaziers del’île. En 2004, nos sections syn-dicales des retraités CGT deBayonne et de Santiago de Cubaont signé une convention dejumelage et organisé septvoyages.Pour l’année 2006, nous avonsfinalisé un projet d’accès à l’éner-gie dans le village de Santa Rosade Sevilla, dans la province

de San tiago de Cuba (plus de150 personnes), et commencédes échanges culturels. Récem -ment, nous avons organisé enpartenariat avec le CCAS qua-tre voyages solidaires de jeunes.

UNE SOLIDARITÉ QUI AMÈNE À RÉFLÉCHIR SUR NOUS-MÊMESIl s’agit là de dépasser le stadede l’humanitaire pour dévelop-per des solidarités qui serventnos propres luttes. Aider les éner-géticiens du monde, et en par-ticulier cubains, c’est aussi lut-ter contre les privatisations enFrance. Cuba a résisté. La ques-tion qui nous concerne est :Comment ont-ils fait ? Qu’y a-t-il à apprendre d’eux ? Cuba n’estpas une société parfaite. C’estun pays qui cherche, qui tâtonne,qui vit, se trompe parfois, le payeet rectifie. Surtout, c’est un paysqui refuse de se vendre et de deve-nir une étoile de plus sur la ban-nière des États-Unis.

Parce que tous les pronosticssur le devenir de la révolutioncubaine se sont révélés jusqu’àprésents inexacts, on peut rai-sonnablement en conclure qu’ilss’appuyaient sur des analyseserronées.Les armes de destructions mas-sive de la « dictature » cubainece sont 65 000 Cubains coopé-rant dans 89 pays dans les sphèresde la santé et de l’éducation. Cesont les 68 000 techniciens de157 pays qui ont été formés gra-tuitement à Cuba, dont 30 000dans le secteur de la santé.On se félicite aujourd’hui de laréouverture des ambassades…

et il faut sans cesse expliquerque le blocus n’est toujours paslevé. L’actualité passe sous silencela victoire cubaine que signifiece changement de la politiquedes États-Unis à l’égard de l’île.Alors, la question n’est pas Castroou pas Castro mais de savoir s’ilest permis à une société de faireles choses différemment, de pen-ser hors de la pensée unique etde se frayer une voie loin des railsd’un néolibéralisme inhumain.L’enjeu est là, et il est gros d’ave-nir bien au-delà de Cuba.L’histoire de la révolution cubaineest avant tout l’histoire d’unevolonté farouche de changer lemonde, confrontée à la déter-mination de ceux qui ont vouluétouffer cet espoir.Nous n’aidons pas Cuba, c’estCuba qui nous aide à compren-dre, à lutter, à vivre. Notre jume-lage avec nos camarades cubains,expression de la nécessaire soli-darité internationale, nous aapporté ce message. n

*BERNARD RIEU est ingénieur,retraité EDF.

n SOLIDARITÉ

INTERNATIONAL 31

Voilà plus de vingt ans que des syndicats cubains et français d’énergéticiens ont mené unjumelage. Une expérience de la réalité cubaine s’en dégage à travers ce témoignage.

Après la disparition de Fidel

Jumelage entre syndicats français et cubains

Ce qui frappe à Cuba, c’est l’étonnante capacitéd’innovation de son socialisme.

L’accès à l’énergie, unepréoccupation majeure pour lapopulation cubaine.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

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SÉGOLÈNE ROYAL ET L’HONNÊTETÉ« Il faut savoir regarder les choses positivement,même si ça dérange. » C’est un pavé dans lamare ce 3 décembre, quand l’envoyée du prési-dent de la République française, la ministre del’Environnement Ségolène Royal, numéro trois dugouvernement, fait part sans langue de bois deson appréciation de la politique menée par FidelCastro, mort le 25 novembre 2016.Pour la ministre, « grâce à Fidel Castro, les Cubainsont récupéré leur territoire, leur vie, leur destin ».« Ils se sont inspirés de la Révolution françaisesans pour autant connaître la terreur qu’il y a eupendant la Révolution française », a-t-elle encoresouligné.

Alliant l’art de la communication à une sincéritérare à ce niveau de carrière et de poids politiques,Mme Royal a suscité une bronca générale chez lesanticastristes français, chez ceux qui ont réper-cuté les mensonges diffusés par Washington etqui ont fermé les yeux devant plus de 600 ten-tatives d’assassinats du « méchant dictateurcubain » alimentant l’anticommunisme le plus pri-maire, sinon la haine. Ils semblent ignorer laprouesse d’avoir mené, bon an mal an, un payssous embargo et sous la pression géopolitiquede toutes les puissances capitalistes du monde.Un beau moyen de ne pas évoquer les actes etréalisations : l’accès gratuit et universel à des ser-vices publics de santé et d’éducation, et ce jusqu’àl’université ; le contrôle des loyers, la répartitiondes logements et l’éradication des bidonvilles ; lamise en place de services sociaux ; la fin des dis-criminations raciales. On mentionnera égalementl’augmentation de l’espérance de vie de 50 à 80 ans, alors qu’elle recule aujourd’hui aux États-Unis ou en Allemagne par exemple, et la recherchemédicale à la pointe avec, entre autres, la fin dela transmission du VIH de la mère à l’enfant. Lesmissions humanitaires cubaines, réputées et nom-breuses ont été également occultées sous un tor-rent d’indignations politiciennes. n

Pic de pollution à Paris :ce pourrait être pireL’épisode atmosphérique de décembre 2016 en région parisienne a fait la unede l’actualité car il contribua à une concentration de particules fines et autrespolluants – on sait qu’elles ont de graves conséquences pour la santé et l’envi-ronnement – qui aurait pu être cata strophique. D’où vient une telle pollution ?À 50 %, du pétrole (transport par automobiles et camions, no tam ment) ; le reste,des activités agricoles et du chauffage au bois des habitations. C’est donc bien à cause de notre dépendance au pétrole pour les transports que nous rencontrons encore ce genre de situation. Heureusement, grâce au nucléaire,la France a réduit à la portion congrue le recours au charbon pour la produc-tion d’électricité.Imaginons un instant que, comme en Allemagne, les centrales au charbonconstituent la source principale de production d’électricité (46 % de la produc-tion en 2013). Alors la pollution serait bien plus grave – de l’ordre du doublepour les mesures des particules fines ! – car il faudrait ajouter au transport lesparticules et autres poisons issus d’une bonne dizaine de centrales au char-bon qui entoureraient Paris pour satisfaire sa demande d’électricité.Par ailleurs, si nous voulons transformer une bonne partie des véhicules àpétrole en véhicules propres, à propulsion électrique par exemple (car on nepourra pas se passer complètement de la voiture, les besoins de mobilités spé-cifiques et les infrastructures existent), deux pistes conjointes sont à travailler :le renforcement du service public de transport collectif et l’exploitation de nou-velles sources de production d’électricité, donc qui ne soient ni le charbon ni le pétrole, sinon on ne ferait que déplacer la pollution de quelques dizainesde kilomètres.De fait, en excluant par impératif écologique le charbon, c’est le gaz ou lenucléaire qui peuvent faire face à ce type de demande énergétique à l’échelled’un pays (surtout quand, pendant des semaines, il n’y a pas de vent, en pleinhiver). Les autres énergies renouvelables, dans un scénario optimal, pourraientcouvrir au mieux 15 à 20 % des besoins conventionnels.Le choix du nucléaire, allié à la généralisation de la gratuité des transportsurbains – dont on a soudainement, les jours de pollution, découvert qu’elle estpossible – sont des pistes sérieuses pour répondre durablement à l’urgence cli-matique et de santé. Comme le souligne l’Agence européenne pour l’environ-nement, la pollution de l’air nuit à la santé de 85 % des habitants des villes enEurope. Chaque année, elle est à l’origine d’un demi-million de morts préma-turées sur le continent. n

En Europe, on estime le nombre de morts prématurées à cause de la pollution à près d’un demi-million de personnes.

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LE PROJET DU THIRTY METERTELESCOPE DANS L’IMPASSE L’excellent Pierre Barthélémy, teneur de la plate-forme passeursdesciences.blog.lemonde.fr, quifête haut la main ses cinq ans, relate les retardsdu projet scientifique international du télescope.Lancé en 2003 par une alliance nord-américaineentre Canadiens et États-Uniens, le projet du ThirtyMeter Telescope (TMT) rassemble aujourd’hui deséquipes scientifiques chinoises, japonaises etindiennes. Parallèlement au défi technique relevé, il fallaittrouver un site géographique idoine pour cetteinfrastructure internationale hors norme. C’est surle volcan Mauna Kea, à Hawaï, que le choix futarrêté il y a sept ans, étant données les caracté-ristiques du lieu : altitude, bonne qualité de l’air,absence de turbulences atmosphériques.Le TMT devait y rejoindre d’autres observatoires.Mais voilà, le lieu est sacré pour plusieurs com-munautés locales, considéré comme un pont entrel’île et les cieux. En 2015, la Cour suprême del’État d’Hawaï donne raison aux associations indi-gènes qui veulent protéger les dizaines de sanc-tuaires qui parsèment l’espace ciblé pour laconstruction du télescope. En considérant que lepermis n’a pas été délivré dans les règles, la Courhawaïenne met ainsi un coup d’arrêt au TMT. Leprojet scientifique s’est pris les pieds dans de lagéopolitique locale bien terrestre.À tel point qu’en octobre 2016 Henry Yang, ledirecteur du conseil d’administration du TMT, aaffirmé que « l’observatoire du Roque de LosMuchachos sur l’île de La Palma aux Canaries[était une] première solution alternative ». Cechoix forcé de repli en urgence sur le site de l’ac-tuel Gran Telescopio Canarias ne concentre cepen-dant pas les qualités de Mauna Kea.À ce revers s’ajoutent les retards et un budget enhausse. Sur le plan scientifique, la résolution dutélescope, en particulier dans l’infrarouge – la lon-gueur d’onde dans laquelle sont étudiés les cen-tres des galaxies –, souffrira de ce choix de secondemain. Pour l’anecdote, c’est le télescope géanteuropéen dénommé E-ELT (European ExtremelyLarge Telescope) de l’European Southern Observatory(ESO) qui occupera dans la cordillère des Andes,avec le télescope international Magellan, le meil-leur repli qui aurait pu être trouvé pour le TMT.Une ultime alternative, coûteuse et logistique-ment complexe, existe bien dans l’Himalaya indien,mais le dantesque TMT semble bel et bien condamnéface aux revendications des Hawaïens. n

À Paris, quel nom pour une rue :Steve Jobs ou Ada Lovelace ?

C’est dans le cadre de la réhabilitation de la halle Freyssinet, dans le XIIIe arron-dissement parisien, que les voies périphériques du futur lieu de l’innovationet de l’informatique Paris 13e doivent être baptisées. Et le débat fait rage. Lemaire d’arrondissement a proposé les noms d’Alan Turing, Eugène Freyssinet,Grace Murray Hopper et… Steve Jobs.Une partie significative de la majorité a fait le même choix que les élus com-munistes : s’opposer au choix du créateur d’Apple.Le vœu du maire pour le fondateur de la marque àla pomme est donc passé avec les voix de la droite.Derrière cette bagarre qui pourrait sembler futilese jouent plusieurs symboles.La parité d’abord, qui est ici non respectée. Souventgommées, oubliées au profit des hommes, les femmessemblent marquer l’histoire mais pas les plaquesde rues. Pour réparer cette injustice, les élus com-munistes ont fait une proposition paritaire en rem-plaçant Steve Jobs par Ada Lovelace, pionnière del’informatique, connue pour avoir créé le premierprogramme informatique. Une véritable ruptureconceptuelle qui a contribué à l’avènement de l’informatique plus d’un siècle après.Mais c’est bien le choix de Steve Jobs qui est pro-blématique, tant l’héritage qu’il laisse est sombre.Un héritage fait de conditions de travail dans des usines sous-traitantes chi-noises connues pour abuser de salaires insuffisants et d’heures supplémen-taires forcées. Son héritage c’est aussi la pratique d’« optimisations » fiscalesillégales massives, comme l’a révélé la très libérale Commission européenne :13 milliards que la firme à la pomme doit payer aujourd’hui pour compenserle taux d’imposition scandaleux de 0,005 % en Irlande. À l’heure où les peuplespayent l’austérité dans leur quotidien et par leurs impôts, ce vol en bande orga-nisée ne mérite pas les honneurs éternels d’une rue parisienne.Avec un pactole de près de 178 milliards de dollars de liquidité, Apple a tout le loisir d’acheter sa réputation à coups de publicité vantant la qualité de sesproduits, pas celui d’être encensé benoîtement par les pouvoirs publics. n

POUR EN SAVOIR PLUS sur Ada Lovelace, voir le no11 de Progressistes (https://revuepro-gressistes.files.wordpress.com/2016/03/revue-progressiste-nc2b0111.pdf ).

Thomas Pesquet, envoyé spatial avec la mission Proxima

C’est sur l’air de Trava ou Doma (« l’Herbe dela maison »), une chanson populaire russe desannées 1960 qui accompagne les cosmonautessur le départ, que Thomas Pesquet et ses coéqui-piers, le Russe Oleg Novitski et l’États-UniennePeggy Whitson ont embarqué à bord de SoyouzMS-03. L’équipage, qui a décollé le 17 novem-bre 2016 pour accomplir la mission Proxima,sera l’hôte de la Station spatiale internationalejusqu’en mai 2017. n

POUR ÉCOUTER LA CHANSON :

https://www.youtube.com/watch?v=jpne8fCwFJ8

POUR EN SAVOIR PLUS sur la mission Proxima :https://proxima.cnes.fr/

Ada Lovelace : femme etpremière programmeuse

de l’histoire.

Tous les n° sont téléchargeables sur Le blog ! revue-progressistes.org et sur revueprogressistes

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L’ADMINISTRATION TRUMPS’ATTACHE LES SERVICES DES PLUS DOUTEUXL’équipe du nouveau président états-unien seprécise. L’inventaire fait froid dans le dos. Unsuprémaciste notoire comme conseiller, un anciende Goldman Sachs et ex-patron de fonds spécu-latif à l’Économie, un évangélique homophobe

au Logement, un magnat surnommé « roi desfaillites » au Commerce, un anti-IVG à la Santé…et un dirigeant de chaîne de restauration rapideà la tête du département du Travail.C’est en effet Andy Puzder qui devient ministredu Travail. P-DG de CKE Restaurants, il est uncombattant farouche de toute avancée sociale.Il est notamment opposé au relèvement du salaireminimum, énorme sujet de débat et de luttessociales aux États-Unis. C’est d’ailleurs une desrevendications phares des syndicats et du mal-heureux impétrant aux primaires démocrates, le« socialiste » Bernie Sanders. L’opposition du businessman ministre porte aussisur l’amélioration des conditions de travail dessalariés… dans la restauration justement. AndyPuzder a aussi la couverture santé généraliséedans le collimateur. Une touche supplémentaireau portrait du personnage : il déclarait au prin-temps 2016 sa flamme pour les machines qui« sont toujours polies, n’arrêtent pas de faire dubusiness, ne prennent jamais de vacances, nesont jamais en retard, ne sont pas victimes d’ac-cident et il n’y a jamais de cas de discriminationselon l’âge, le sexe ou la race ».Côté environnement, c’est Scott Pruitt, lobbyisteproche des compagnies pétrolières, qui prend encharge l’Environnement. Il était responsable dela justice dans l’Oklahoma, État qui tire 50 % deses richesses de l’exploitation pétrolière. ScottPruitt a été le fer de lance de la bataille juridiquemenée contre les réformes engagées par BarackObama pour contribuer à la lutte contre le réchauf-fement climatique.C’est sur ce point que plus de 2 300 scientifiques,dont 22 lauréats du Nobel, ont publié une lettreouverte s’inquiétant des orientations du futur gou-vernement états-unien concernant l’environne-ment, l’indépendance de la recherche et sa bonneconduite. n

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Uber contraint de reconnaîtreses chauffeurs

Fait historique, un tribunal du travail britannique a condamné le géant états-unien le 28 octobre 2016. Uber est sommé de reconnaître ses chauffeurs commedes employés, et non comme de simples autoentrepreneurs. Le constat a étéfait par le tribunal que le contrat que l’entreprise fait signer aux chauffeurs estfantaisiste, tant il est truffé de mots détournés de leur sens et use d’une termi-nologie entièrement nouvelle : un licenciement est une « désactivation », unchauffeur est un « client », et une embauche est un « enrôlement »… Les termessont crus.Ainsi, la société qui concurrence les taxis traditionnels va devoir piocher dansses 62 milliards de valorisation pour leur payer le salaire minimum, le droit àdes pauses régulières et des congés payés. Pour le syndicat GMB à l’origine dece procès, l’heure est à élargir son action judicaire : des poursuites se prépa-rent contre neuf entreprises, dans la construction ou la logistique notamment.Aux États-Unis, plusieurs sociétés fondées sur le modèle d’Uber ont déjà étésanctionnées. En France, l’absence d’action de groupe fait de ce type de pro-cédure une rareté.La loi « travail » opère des rapprochements entre le statut d’autoentrepreneur etle salariat. L’article 60 prévoit ainsi que la plate-forme numérique doit prendreen charge l’assurance accident du travail et la contribution pour la formationprofessionnelle ; elle autorise aussi les travailleurs à arrêter le travail, ce sans fautecontractuelle. Se regrouper en syndicat est également rendu possible. Il demeure que loin de libérer le travailleur de l’exploitation salariale, cettefacette de l’économie collaborative version capitaliste l’enferme dans une formenouvelle en le privant de protections. n

LE POINT SUR UN HOAX PARMI D’AUTRES…

L’énergie solaire chilienne n’est pas ce qu’on dit

« Le Chili a tellement d’énergie solaire qu’il la distribue gratuitement », titrait enmilieu d’année l’Express dans un de ses articles en ligne. Le procédé, simple,est rodé : un titre choc et assertif qui laisse trois options : soit enregistrer lanouvelle sans aller plus loin ; soit la partager sur les réseaux sociaux, car c’estune information détonante – dans ce cas de figure nombre d’utilisateurs opte-ront pour reproduire le comportement, l’enregistrer et/ou la partager ; soit lalecture de l’article, ce qui n’est pas systématique, surtout sur Internet. Ce futpourtant notre choix.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

LA PAUVRETÉ INFANTILE EN ALLEMAGNELa pauvreté chez les enfants allemands aug-mente massivement. Ainsi, sur l’année 2015,les statistiques de la Bundesagentur für Arbeit,l’Agence fédérale pour l’emploi, évaluaient à1,9 million les jeunes âgés de moins de 18 ansqui vivaient dans un foyer bénéficiant d’alloca-tions chômage, soit près de 15 % des enfantsallemands. Une augmentation de 52 000 indivi-dus par rapport à l’année 2014.Pour les associations humanitaires, si les étudesprenaient en compte les enfants dont les parentsgagnent moins de 60 % du salaire moyen, c’est3 millions d’enfants qui seraient considérés commepauvres dans la première puissance économiquede l’Union européenne (le PIB allemand est deplus de 3 milliards d’euros).Les enfants pauvres sont plus fréquemment iso-lés socialement, manquent de matériel et sonten moins bonne santé, ils ne peuvent pas sepayer les transports ni les activités extrascolaires,et pour eux les vacances représentent un luxe,souligne la fondation Bertelsmann, qui a étudiéles statistiques fédérales.On connaissait le pays pollueur, voici que l’onvoit maintenant comment il prépare l’avenir deses jeunes générations. n

CAHUC-ZYLBERBERG : LA PENSÉEÉCONOMIQUE ALTERNATIVEQUALIFIÉE DE NÉGATIONNISMELe brûlot choc de Pierre Cahuc et d’André Zylberberg,le Négationnisme économique et comment s’endébarrasser, est une charge d’une violence inouïecontre les économistes « hétérodoxes ».Pour les auteurs, il n’existe qu’un remède, qu’unepensée : la saignée, c’est-à-dire la baisse conti-nuelle du « coût » des bas salaires, donc de leursmontants. Si ces remèdes néolibéraux, carica-turaux, ne vous séduisent pas, vous faites preuvede « négationnisme », terme dont la définitionstricte ne devrait autoriser aucun glissement, rap-pellent les Économistes atterrés, collectif d’éco-nomistes critiques et « hétérodoxes ».Il est sûr que l’objectif de travail d’analyse cri-tique et de mise en débat auprès des citoyensdes propositions de politique économique et desalternatives possibles ne plaît pas. La purge idéo-logique n’est pas nouvelle. En 2014, dans unelettre à destination de l’ancienne secrétaire d’Étatà l’Enseignement supérieur Geneviève Fioraso,Jean Tirole (prix de la Banque de Suède ensciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel,dit « Nobel d’économie », 2014) tirait à bouletsrouges sur tout enseignement un tant soit peualternatif de l’économie. Il avait alors dans sonviseur le projet d’une deuxième section d’éco-nomie dans les universités françaises, baptisée« Institutions, économie, territoire et société »,qui introduisait largement des sciences socialeset politiques : auréolé de son prix, Jean Tiroleavait eu gain de cause. n

Donc, le Chili déborderait d’énergie solaire au point qu’elle serait gratuite ?C’est bien plus compliqué.Sous l’impulsion du gouvernement Bachelet, l’offre privée d’énergie solaires’est certes déployée dans le pays. Cependant, le développement de la filièresolaire a été envisagé à court terme, sans planification industrielle ni écolo-gique. Ce qui provoque aujourd’hui une saturation, une inadéquation des infra-structures et une trop grande concentration des promoteurs solaires sur unmême espace du pays. Car en parcourant l’article on apprend que « le Chilipossède deux réseaux de transmission de l’énergie, un au centre et un au nord,qui ne sont pas connectés entre eux, ce qui signifie qu’il n’est pas possible de com-penser les manques d’une région avec les excédents de production de l’énergiesolaire d’une autre, fréquents notamment dans les régions du nord du réseaucentral ». C’est pour connecter les réseaux que le gouvernement chilien envi-sage pour 2017, à grand frais et en urgence, la construction d’une ligne de trans-mission de 3 000 km.Si cet essor du photovoltaïque s’explique par une période de croissance éco-nomique (extraction minière soutenue, croissance du PIB…), force est de consta-ter que les ingrédients de la soutenabilité écologique ne sont pas au rendez-vous. Le cri triomphal « Voilà une alternative énergétique écologique, fiable,pérenne et gratuite ! » en prend un sérieux coup.Quant à la gratuité, elle n’est pas magique. Elle a bien, dans quelques zones,concerné 113 jours en 2016, mais cela masque, d’une part, la contribution finan-cière publique à un boom économique privé du secteur énergétique solaire ;d’autre part, la problématique financière engendrée : alors que la croissanceéconomique chilienne stagne, que les prix de l’énergie baissent, les banquesne vont pas accompagner en espèces sonnantes et trébuchantes l’aventuresolaire du pays. n

Apple et l’obsolescence programmée

Unilatéralement et tranquillement, Apple arendu obsolète lundi 31 octobre 2016 soniPhone 4, lancé en 2010. Il n’est désormais pluspossible de le réparer ni de le mettre à jourofficiellement. Plus de support logiciel, plusde pièces détachées ? Cette stratégie commer-ciale s’appelle « l’obsolescence programmée» et consiste en la planification de la fin de viedes objets. L’hypocrisie est totale car les clientssont abandonnés et les exigences environne-mentales méprisées. Ces smartphones sont donc condamnés à

rejoindre d’autres anciens portables, et les chargeurs qui les accompagnent.Ce gâchis apparaît comme une évidence quand on remonte la chaîne de fabri-cation : les appareils sont assemblés dans des pays émergents par une main-d’œuvre sous-payée ; nécessitent des minéraux rares, comme le lithium deChine ou d’Amérique du Sud ; sont acheminés principalement en Amériqueet en Europe pour inonder le marché… Et quantité de portables dorment dansles tiroirs parce qu’ils ne sont plus utilisés ou réparables. Donc, chaque foisqu’on pousse à l’acquisition d’un appareil neuf, il faut prendre en compte tout un processus, de la fabrication à l’utilisation, qui a des impacts sociaux et environnementaux importants. Le capitalisme semble ne plus pouvoir se passer de l’obsolescence program-mée, car les smartphones d’Apple ne sont qu’un exemple des biens de consom-mation courants qui sont touchés par ce phénomène : combien d’appareils,comme par magie, ne fonctionnent plus quelques semaines après la fin de lagarantie ! Il arrive aussi, de manière très décomplexée, qu’on présente des objets« conçus pour 400 cycles de charge uniquement ». On comprend la limite tech-nologique de la charge des batteries au lithium, mais est-il responsable, socia-lement et pour l’environnement, de souder ou de noyer dans de la colle lescomposants et la batterie de nombreux appareils au point de les rendre irrem-plaçables ? n

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Nous l’avons déjà évoqué1 : les biotech-nologies posent autant de questions surl’avenir de l’homme qu’elles portent d’es-poir dans le progrès. Mais ce qui est nou-veau, c’est la rapidité de leur développe-ment. Elles ne sont pas l’avenir, elles sontle présent et le CRISPR-Cas9 en est unexemple stupéfiant.

PAR MICHEL LIMOUSIN*,

ui a-t-il derrière ce nombizarre ? Déve lop pée parla Française Emma -

nuelle Charpentier, directricede recherche au Max-PlanckInstitut de Berlin, et l’États-Unienne Jennifer Doudna,

de l’université de Berkeley(Californie), le CRISPR-Cas9 estune technique rapide, efficaceet peu onéreuse qui permet uneaction sur l’ADN, et donc sur legénome. Cas9 (CRISPR associa-ted protein 9) est une enzymespécialisée pour couper l’ADNavec deux zones de coupe actives,une pour chaque brin de la dou-ble hélice. Cette enzyme peutêtre utilisée pour modifier faci-lement et rapidement le génomedes cellules. Cas9 est présentedans la nature : elle est associéeaux séquences CRISPR (cluste-red regularly interspaced palin-dromic repeats ou « courtes répétitions palindromiquesregroupées et régulièrementespacées ») dans l’immunitéadaptative d’un microbe bienconnu : Streptococcus pyogenes.

En effet, cette bactérie utilisecet outil pour détecter et détruirel’ADN étranger (par exemplelors de l’invasion de son pro-pre génome par de l’ADN debactériophages ou de l’ADNplasmidique) et ainsi se proté-ger. Cas9 découpe alors cet ADNinvasif.

Passant d’une fonction natu-relle d’origine bactérienne dansl’immunité à une fonction tech-nologique, la protéine Cas9 estutilisée par l’homme commeun outil du génie génétique pourinduire des cassures double brindans l’ADN. Ces ruptures peu-vent conduire à l’inactivationcomplète d’un gène ou à l’intro-duction de nouveaux gènes. Leurcaractère pratique et peu oné-reux en fait un véritable outil dumécano génétique d’aujourd’hui.

APPLICATIONS ET PERSPECTIVESLes premières applications ontété réalisées sur des animaux,et notamment des primates.Grâce à CRISPR-Cas9 et à soncoût de développement réduit,des scientifiques ont déjà créé

des applications qui peuventelles-mêmes poser question.Un exemple : on a créé des vachessans cornes, qui donc ne se bles-sent pas entre elles. Autre exem-ple : une équipe états-uniennea réussi à rendre un moustiquerésistant au paludisme, et pré-voit de le libérer dans la naturepour qu’il transmette ce gènede résistance à l’ensemble del’espèce et ainsi lutter contrecette pathologie. L’imaginationdes chercheurs va ouvrir deschamps extraordinaires d’ap-plications que nous ne déve-lopperons pas ici (mucovisci-dose, diabète, cancer, sida,peut-être Alzheimer). La porteest ouverte non seulement à

des modifications individuellesdu génome dont on pourraitespérer qu’elles permettent desguérisons de maladies géné-tiques, mais aussi à des modi-fications du génome de l’espècehumaine (via les gamètes) trans-missibles aux générations sui-vantes. C’est bien ici que se

posent les problèmes éthiques.Ainsi le 18 avril 2015, des cher-cheurs de Canton ont publié unarticle dans Protein & Cellannon-çant avoir utilisé la techniqueCRISPR-Cas9 pour modifiergénétiquement des embryonshumains. Selon Junjiu Huang,qui a dirigé ces recherches, cetarticle aurait été refusé parScience et Nature à cause desproblèmes éthiques que de tellesrecherches posent. Autre évé-nement : en janvier 2016, laGrande-Bretagne a autorisé lamanipulation génétique sur desembryons humains à l’InstitutFrancis Crick de Londres. Celapermettrait d’étudier le débutdu développement de l’em-

bryon et d’identifier ce qui pro-voque la réussite ou l’échecd’une fécondation in vitro maisrelance, néanmoins, le débatsur la finalité de telles études.

DES PROBLÈMES D’ÉTHIQUEEn décembre 2015, au vu desmultiples questions de sécurité

CRISPR-Cas9 : le découpeur qui révolutionne la génétique

n GÉNÉTIQUE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE36

Q

Une équipe états-unienne a réussi à rendre un moustique résistant au paludisme, et prévoit de le libérer dans la nature pour qu’il transmette ce gène de résistance à l’ensemble de l’espèce etainsi lutter contre cette pathologie.

Des applications qui peuvent elles-mêmes poserquestion : on a créé des vaches sans cornes, qui donc ne se blessent pas entre elles.

La française Emmanuelle Charpentier, directrice de recherche au Max-Planck Institut de Berlin, et l’États-Unienne Jennifer Doudna, de l’université de Berkeley (Californie).

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

et d’éthique, une réunion orga-nisée par l’Académie améri-caine des sciences et de la méde-cine, l’Académie chinoise dessciences, et la Société royale deLondres a recommandé unmoratoire. Malgré cela, repous-sant les accusations d’eugé-nisme, des bioéthiciens et desscientifiques ont soutenu quesi des anomalies dans des gènesparticuliers causant des condi-tions fatales et débilitantes pou-vaient être corrigées dans unembryon, alors elles devaientl’être. Les inventeurs de cettetechnique se sont prononcéspour le moratoire.

La France a pris position : l’Officeparlementaire d’évaluation deschoix scientifiques et techno-logiques (OPECST) s’est saiside la question en 2016 (audi-tion publique à l’Assembléenationale le 7 avril), l’Académiedes sciences en a fait de même(publication de sa position offi-cielle le 29 avril). La crainte portesur un développement de l’eu-génisme sur l’embryon et lescellules germinales.

LES DIFFICULTÉS DE L’HEUREDistinguons à ce stade de laréflexion deux problèmes. Lepremier est que cette tech-nique n’est pas encore déve-loppée avec suffisamment desécurité pour que des muta-tions non voulues, « hors cible »,ne soient introduites malen-contreusement dans le génome.Ce serait la porte ouverte à descatastrophes génétiques nonprévisibles. Le second pro-blème est que, même si ceserreurs techniques étaient cor-

rigées par un progrès techno-logique à venir, le risque demodification du génome deshumains est réel. Le Conseilconsultatif national d’éthiqueprésidé par le docteur Jean-

Claude Ameisen s’est égale-ment saisi de ces questions.

Le seul texte internationalcontraignant est la Conventionsur les droits de l’homme et dela biomédecine établie en 1997à Oviedo, Espagne. Le principeposé dans l’article 13 est quetoute modification introduitedans le génome d’un individuà des fins thérapeutiques nepeut être transmise au génomede la descendance. La Francea ratifié ce texte, mais les États-Unis, la Grande-Bretagne et laChine ne l’ont pas fait. Le comitéd’éthique de l’INSERM a émisune recommandation pour quela recherche, y compris sur l’em-bryon, soit poursuivie pour faireprogresser la connaissance. Une

première entreprise françaised’« édition du génome », nom-mée Cellectis, a déjà été créée.Les enjeux financiers n’ont pastardé à montrer le bout de leurnez. Et aussitôt des bagarres

pour la propriété des brevetssont enclenchées par les États-Unis.Dernier élément de réflexion :une application de cette tech-nique au problème du sida aété tentée2. En effet, si les trai-

tements actuels du sida fontdisparaître la présence du virusdans le sang et font par là mêmedisparaître les symptômes dela maladie, il n’en reste pas moinsque le virus continue à « secacher » de façon permanentedans le génome des cellules, etdonc garde la possibilité de serépliquer. La guérison complètedes patients ne sera possibleque lorsque ce virus caché dansleur ADN sera éliminé. L’idéed’utiliser cette nouvelle tech-nique de neutralisation deséquence virale a été tentée enintroduisant une mutation duvirus le rendant inopérant. Lesexpériences in vitro sur des cultures de cellules infectéespar le virus ont montré unebaisse de la production de virus(donc, ça marche) mais aussi

que certaines cellules conti-nuaient à produire le virus (donc,ça ne marche pas complète-ment). On a pu démontrer queles mutations introduites s’ac-compagnent de mutations sup-plémentaires non prévues etqu’ensuite, du fait de ces muta-tions imprévues, le virus ainsimodifié n’est plus reconnu etque la découpe ne peut alors sefaire. Il en résulte alors que levirus modifié légèrement conti-nue à se reproduire.

QUEL AVENIR ?Tout cela montre la complexitéde la technique, les erreurs pos-sibles, la non-maîtrise totaledes effets secondaires parasites,et justifie, en tout cas pour moi,la nécessité de rester prudentsur les manipulations généti -ques transmissibles aux géné-rations à venir. Mais peut-onfaire confiance à l’Homme ? Va-t-on pouvoir résister au désirde modifier l’être humain ?Surtout si les intérêts financiersou individuels s’en mêlent…

Ne faut-il pas mettre en placedes règles éthiques claires etincontournables ? Ne devrait-on pas, par exemple, recenserde façon exhaustive la liste desmodifications introduites chezles individus identifiés pour sui-vre la situation de générationen génération ?Quid du principe de précau-tion ? Autrement dit, qui vadéfendre les intérêts supérieursde l’humanité ? n

*MICHEL LIMOUSIN, docteur en médecine, est rédacteur en chefdes Cahiers de santé publique et de protection sociale.

1. M. Limousin, « La révolution desbiotechnologies », in Progressistes,no 10, octobre 2015, p 8.2. Zhen Wang et all., Cell Reports, 15,481, 2016.

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Va-t-on pouvoir résister au désir de modifier l’être humain ? Surtout si les intérêts financiers ou individuels s’en mêlent…

Des champs extraordinaires d’applications :mucoviscidose, diabète, cancer, sida, peut-être Alzheimer…

scq

Structure de l’enzyme Cas9 décritepar M Jinek dans la revue Science(« Structural rendition wasperformed using UCSF Chimerasoftware », 2014).

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

PAR JONATHAN CHENAL*,

e marégraphe de Mar -seille, qui appartient àl’Institut national de l’in-

formation géographique et fores-tière (IGN), est à la fois le bâti-ment et l’appareil qu’il héberge,appareil ayant servi à la déter-mination de l’origine des alti-tudes françaises continentalesentre 1885 et 1897.

BIEN PLUS QU’UNE RÉPONSEÀ DES BESOINS CONCRETSAu cours du XIXe siècle, les préoc-cupations d’adduction de l’eauet de son évacuation ainsi quele développement du rail ontamené la puissance publique àéquiper le pays d’un réseau denivellement, lequel est consti-tué d’un ensemble de repèresmétalliques scellés sur la façadede bâtiments pérennes dont onconnaît très bien l’altitude. Celle-ci est une grandeur, homogèneà une longueur, donnant la dis-tance à une surface particulière,appelée géoïde : il s’agit duniveau moyen des océans pro-longés sous les continents. Cettesurface est celle qu’aurait celle

des océans en l’absence de cou-rants, de marées, etc. Le sys-tème d’altitude définit ainsi lespoints en haut et les points enbas : l’eau doit couler des pre-

miers vers les seconds.Le premier réseau de nivelle-ment systématiquement ins-tallé en France (les travaux s’éta-lèrent de 1857 à 1864) est dû àPaul Adrien Bourdalouë, célè-bre pour avoir démontré que le calcul des ingénieurs deBonaparte relatif à la déniveléeentre la Méditerranée et la merRouge était faux, et qu’il étaitpossible, dès lors, de creuser uncanal entre les deux sans « vider »une des mers dans l’autre. Sonréseau avait une origine, un« niveau zéro », déterminée parl’échelle de marée installée aufort Saint-Jean, à Marseille, donton savait l’imprécision. De sur-croît, à la fin des années 1870,ce réseau s’était fortement

dégradé. Enfin, les cartes topo-graphiques de l’époque, dites« d’état-major », n’avaient pasd’origine verticale homogène :chacune avait la sienne propre.

De façon à rétablir un réseaude nivellement homogène et dequalité sur le territoire hexa -gonal, le ministère des Travauxpublics mit sur pied une com-mission du nivellement géné-ral de la France, chargée derefonder le nivellement natio-nal. Parmi ses préconisationsfigurait la construction d’unnouveau marégraphe, de façonà déterminer avec précision unenouvelle origine pour les alti-tudes françaises. Le dispositiffut installé à Marseille, encore,pour plusieurs raisons : d’abord,la proximité avec l’origine duréseau Bourdalouë facilitait lescomparaisons entre les deux ;ensuite, la Méditerranée étantune mer pratiquement fermée,les marées y sont faibles, etpuisque l’enjeu de la destina-tion du marégraphe n’était pasl’observation des marées en tantque telles mais de leur niveaumoyen, ce choix s’imposa natu-rellement ; enfin, au regard desconnaissances de l’époque, onestimait qu’à Marseille le niveaude la mer était le plus bas de lacôte méditerranéenne française,ce qui conduisait donc à desaltitudes en France exclusive-ment positives. L’emplacementprécis du marégraphe fut sug-

géré par l’ingénieur Jean-JacquesBouquet de la Grye : il s’agit del’anse Calvo, à proximité duquartier d’Endoume, le long dela corniche. Le bâtiment conçupar Auguste Sébillotte, qui avaitété le concepteur du phare duPlanier, fut achevé en 1884.

L’INSTALLATION DU MARÉGRAPHEIl ne restait plus qu’à disposerd’un appareil pour l’équiper.C’est là qu’intervint le vérita-ble « père » du marégraphe et du nivellement général de la France refondé : CharlesLallemand. Polytechnicien, ingé-nieur du corps des Mines, il étaitencore jeune lorsqu’il fut inté-gré à la commission du NGF. Ilcontacta F.H. Reitz, concepteurd’un appareil totalisateur : celui-ci non seulement enregistre leniveau instantané de la mer,mais en plus permet d’en cal-culer le niveau moyen sur unintervalle de temps donné. Grâceà cette innovation, le fastidieuxtravail de saisie manuelle duniveau de la mer était écono-misé, ainsi que celui du calculde sa moyenne, et le risque d’er-reur pour ces deux opérationss’en trouvait limité au mini-mum. Reitz conseilla à Lallemandde s’adresser à la maisonDennert-Pape, installée à Altona,en Allemagne. Deux exemplairesde cet appareil avaient alors étéinstallés, à Cadix puis sur l’îled’Helgoland, à l’époque anglaise,en mer du Nord.En dépit du climat de méfiancerégnant entre la France etl’Allemagne à cette époque post-guerre de 1870, ces échangesfructueux amenèrent Lallemand

La longueur des observations du maregraphe de Marseille(plus de cent trente ans) en fait une reference de premier choix pour l’etude longue du niveau de la mer.

n HISTOIRE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE38

Un parcours à la fois historique et technique pour présenter la façon dont les sys-tèmes de repérage et des conventions internationales se sont mis en place pour unecompréhension globale des indications cartographiques.

Le marégraphe de Marseille, origine des altitudes françaises continentales

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Le marégraphe de Marseille vu depuis la corniche.

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à visiter ses homologues ; l’ap-pareil de Reitz arriva à Marseilleà la fin de l’année 1884, etDennert vint lui-même l’ins-taller. Le niveau moyen fut déter-miné sur la base d’observationsde 1885 à 1897. Le zéro des alti-tudes ne fut pas matérialisé,essentiellement pour des rai-sons pratiques ; en revanche,un repère dit « fondamental »fut scellé, au sec, et son altitudefut déterminée à 1,659 7 m.Lallemand conçut le marégraphecomme un véritable observa-toire : il y testa des appareilsplus simples et moins onéreux

de mesure du niveau de la mer(les médimarémètres, qu’il géné-ralisa dans de nombreux portspour observer le niveau de lamer), et institua la saisie desdonnées météorologiques parles gardiens qui vécurent aumarégraphe (de 1884 à 1988).Lorsqu’il prit sa retraite, en 1928,il était couvert d’honneurs : com-mandeur de la Légion d’hon-neur, membre de l’Académiedes sciences, premier présidentde l’Union géodésique et géo-physique internationale crééeen 1919… Il mourut en 1937.

ÉVOLUTION ET USAGES DANS LA LONGUE DURÉEÉtablissement alors indépen-dant, le Nivellement général dela France fut intégré en 1940,sous la houlette de Jean Vignal,au tout nouvel Institut géogra-phique national, lui-même issudu Service géographique desarmées. Le marégraphe connutdes hauts et des bas, mais il futsans cesse un lieu d’expérimen-tation et d’innovation. Ainsi,c’est là que l’ingénieur Vande Casteele mit au point sontest de fonctionnement de marégraphe, encore utiliséaujourd’hui. Intégrée à la géo-désie, l’activité de nivellement,à laquelle est associé le maré-graphe, continua de se déve-lopper. Dans les années 1960,

Jean-Jacques Levallois instauraen France une nouvelle défini-tion de l’altitude inspirée decelle des travaux du SoviétiqueMolodenski. Si l’origine des alti-tudes françaises demeurainchangée, celle du repère fon-damental augmenta de 1,3 mm,à 1,661 m.Dans les années 1980, cepen-dant, le marégraphe commençad’être considéré comme super-flu, alors même que, paradoxa-lement, les missions spatialesd’observation du niveau desmers requéraient son maintienimpératif. En effet, si la préci-

sion intrinsèque ainsi quel’exhaustivité de la couverturegéographique de ces missions(ERS, Envisat, Topex-Poseidon,la série Jason, etc.) leur confè-rent un avantage évident sur lesmarégraphes, ceux-ci, confinésaux côtes et principalement dansl’hémisphère nord, ont le béné-fice de l’ancienneté : ils sontdonc indispensables à l’étudedu niveau de la mer à long terme.Ainsi, les marégrammes, cesrouleaux de papier sur lesquelsle niveau de la mer avait été ins-crit, furent numérisés.En 1996, le Comité national fran-çais de géodésie et géophysiqueformula une recommandationvisant à valoriser le marégraphe ;la même année, ainsi que la sui-vante, précisément, celui-ci tou-chait le fond puisque des voyous,profitant du fait qu’il n’y avaitplus de présence humaine per-manente depuis 1988, s’y intro-duisirent et le saccagèrent. Cesincidents sonnèrent commeune prise de conscience géné-rale : l’appareil fut réparé, lebâtiment sécurisé et, en 2002,classé monument historique.En 2007, les travaux demandéspar l’IGN lui redonnèrent sonaspect d’origine. En parallèle,une station permanente de géo-désie spatiale y fut installée, quicapte désormais les signaux dessystèmes GPS, Glonass, Galileo ;

l’étude de la stabilité de sa posi-tion permet de s’assurer de celledu marégraphe et, donc, de véri-fier que c’est bien la mer quimonte et non le sol qui descend.Un point de référence gravimé-trique y est installé depuis 2011.Par ailleurs, si les valeurs dutotalisateur sont toujours régu-lièrement relevées et transmisesaux services nationaux et inter-nationaux d’observation duniveau de la mer, le niveau dela mer y est aussi observé parun marégraphe numérique opérédepuis 1998 par le Service hydro-graphique et océanographiquede la marine ; l’appareil, initia-lement à infrasons, fonctionnedepuis 2009 avec un radar. Il estdésormais intégré à tous les pro-grammes d’observations duniveau de la mer, nationaux etinternationaux : SONEL et GLOSSnotamment.La longueur des observationsdu marégraphe de Marseille(plus de cent trente ans) en faitune référence de premier choixpour l’étude longue du niveaude la mer ; sa pérennité pourl’avenir est la garantie que lesobservations du niveau de lamer pourront s’inscrire dans lacontinuité de celles réaliséesdepuis 1885. Il constitue unesource de données fondamen-tale pour l’étude de l’évolutiondu niveau de la mer sur le longterme et la réponse à cette ques-tion : la hausse du niveau desocéans s’accélère-t-elle ? Depuissa construction, le niveau de lamer s’y est élevé de 16 cm defaçon quasi linéaire ; mais est-

ce le cas au niveau mondial ?Seule l’étude des données obte-nues par satellites, couplées àcelles venant des marégraphes,permet d’y répondre.Une autre illustration de résul-tat obtenu par l’usage des maré-graphes et le nivellement résidedans le constat que la mer n’estpas à la même altitude sur toutle littoral ; ainsi, l’Atlantique yest en moyenne 15 cm plus hautqu’à Marseille. La marégraphie,le nivellement et la géodésieparticipent à l’observation desévolutions du système Terre, cequi les rend particulièrementnécessaires à l’heure du chan-gement global. Quoi qu’il ensoit, les altitudes continentalesfrançaises demeurent, parconvention, toutes expriméespar rapport au niveau moyenobservé entre 1885 et 1897 : le zéro est donc aujourd’hui pratiquement en permanencesous l’eau ! n

*JONATHAN CHENAL est ingénieurde recherche.

POUR EN SAVOIR PLUS :Jonathan Chenal, « La géodésie spa-tiale : mesurer la Terre au millimètre »,in Progressistes, no 5, juillet-août-septembre 2014.Alain Coulomb, le Marégraphe de Marseille.De la détermination de l’altitude au suivides changements climatiques : 130 ansd’observation du niveau de la mer, Pressedes Ponts, 2014.– « Le marégraphe de Marseille : patri-moine et modernité », in XYZ, no 118,1er trimestre 2009.IGN,http://geodesie.ign.fr/index.php?page=mare-graphe_de_marseille (page consacréeau marégraphe de Marseille).

Le maregraphe connut des hauts et des bas, mais il futsans cesse un lieu d’experimentation et d’innovation.

L'appareil totalisateur du marégraphe.

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PAR BERNARD ROUÉ*,

ne découverte n’est pos-sible et n’arrive quelorsque la société en

est à un stade donné de sondéveloppement qui en permetl’émergence.Par rapport à cette assertion,qu’en est-il de la rupture qu’opè-rent certains peintres dans lecourant du XIXe siècle ?Deux inventions peuvent ici êtreconsidérées : dans le gigan-tesque, l’imposant, les machinesà vapeur et les débuts du che-min de fer avec ces monstrestechnologiques que sont leslocomotives ; à l’inverse, dansle tout petit, plus proche duconcours Lépine, l’inventiondu tube de peinture.

PRÉPARATION ET CONSERVATION DE LA PÂTE DE PEINTURE Jusqu’à l’invention du tube sou-ple, la préparation des pâtespicturales, le broyage, s’effec-tuait dans les ateliers des maî-tres qui détenaient leurs pro-pres recettes tenues secrètes.Les jeunes disciples commen-çaient leur long apprentissagepar ce fastidieux travail quiconsistait à râper (d’où leur sur-nom de « rapins »), concasser,piler… les produits minérauxou végétaux, base des colorants,pour les réduire en poudre. Unefois la finesse désirée obtenue,ces poudres étaient mélangéesà des produits (eau, huiles…)qui assuraient la qualité de lapâte. Ces opérations, qui nepouvaient se réaliser que dansl’atelier, empêchaient des sor-

ties dans la nature en absencede contenant fiable et léger.De plus, au niveau esthétique,et surtout philosophique depuisles pythagoriciens, la prédomi-nance était donnée au dessinet à la composition réglés mathé-matiquement (le fameux nom-bre d’or : (1+√5)/2 = 1,618…,qui régit quantité de toiles),symboles de la voie vers la divi-nité, au détriment de la couleurqui représentait la part d’om-bre, l’émotion pure, directe,

incontrôlable, proche du démon.Il faut aussi savoir que le pay-sage était considéré comme unthème mineur, au regard de lahiérarchie des sujets : la pein-ture d’histoire, le portrait, lesscènes de genre, le paysage et,tout en bas, la nature morte.Durant toute la période qui pré-cède le XIXe siècle, le paysage,même s’il pouvait être croquésur le vif, était recomposé,repensé intellectuellement enatelier pour le faire entrer dansle système des proportions géo-métriques réglant la composi-tion générale et servait de cadreà un fait historique ou mytho-logique. Le paysage n’était jamaispeint pour lui-même.Dès le XVIIIe siècle, le peintreChardin (1699-1779) confia en1720 à Charles de Laclef (ancê-

tre de la famille Lefranc, tou-jours grand fabricant de maté-riels pour artistes), le soin delui confectionner ses peintures.C’est une grande rupture. Cemoment correspond à l’affai-blissement du système des ateliers avec le maître et ses« compagnons » élèves. La main-d’œuvre propre à cette méthoded’organisation du travail dispa-raît petit à petit. Il fallait donctrouver un substitut à celle-ci,ce furent les fabricants de pein-

ture. Les vessies de porcs serontle premier récipient des pâtesconservées. Ce fut une réelleavancée, mais la conservationétait relativement courte.

L'INVENTION DU TUBE DE PEINTURE En 1822, James Hams, peintreanglais, réalise des tubes enverre en forme de seringues àvis avec un capuchon pour lefermer. Ce procédé, fragile ettrop coûteux, ne sera paspérenne. En 1841, l’artiste états-unien John Goffe Rand déposeun brevet pour un contenanttubulaire en plomb qui se fer-mait par une pince. L’avantageétait qu’on pouvait le rouler aufur et à mesure de l’utilisationet ainsi chasser l’air, ce qui pro-tégeait le colorant de toute alté-ration. Le plomb s’avéra nocifau contact avec certains com-posés chimiques des colorants,ce qui conduisit les Britanniquesà le remplacer définitivementpar l’étain. En 1859, une autregrande avancée est faite parAlexandre Lefranc : il améliorele système en mettant sur lemarché un tube à fermetureétanche, par un bouchon à vis.La peinture devient donc faci-

Durant toute la période qui précède le XIXe siècle, le paysage, même s’il pouvait être croqué sur le vif,était recomposé, repensé intellectuellement en atelierpour le faire entrer dans le système des proportionsgéométriques réglant la composition générale.

n ARTS ET TECHNIQUES

SCIENCE ET TECHNOLOGIE40

Les sciences, les techniques et les arts sont tributaires d’un moment de l’histoire dessociétés. L’art pictural n’échappe pas à cette règle, à travers deux inventions majeuresapparemment sans lien entre elles : le chemin de fer et le tube de peinture.

Quand les techniques révolutionnent l’art pictural

U

Le tube de peinture et le chevalet portable (inventé vers 1857) ont mis la nature à la portée des artistes.

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lement transportable hors del’atelier, et le tube ouvre la pos-sibilité d’aller « sur le motif »,selon le terme consacré, autre-ment dit directement dans lanature. Munis de leur boîte detubes et d’un chevalet porta-ble, inventé vers 1857, la natureétait à disposition des artistes.Encore fallait-il pouvoir se dépla-cer. C’est là que le chemin defer achève cette révolution.

LE RÔLE DU CHEMIN DE FER Le XIXe siècle voit le développe-ment des industries lourdes etl’énorme accumulation du capi-tal par l’exploitation du prolé-tariat issu de l’exode rural etœuvrant à très bas coût dans

les usines. Pour les possédants,la circulation des productionsdevient vitale. Le développe-ment du chemin de fer répond,entre autres, à ce moment historique.La première ligne, en France,relie en 1828 Saint-Étienne àAndrézieux pour acheminer lecharbon de cet important bas-sin houiller. Ensuite la voie audépart de Paris jusqu’à Saint-Germain-en-Laye, en 1837, pré-lude à la couverture rayonnantede et vers Paris de toutes lesgrandes lignes. La nécessitécommerciale de relier la capi-tale aux grands ports de Rouen(1843) et du Havre (1847) vadonner naissance à la ligne versla Normandie, qui à Colombes,à l’arrivée à Paris, se connecteà celle de Saint-Germain. Lalocomotive qui accomplit letrajet, une Buddicom type 120,servira de modèle au romand’Émile Zola la Bête humaine,du cycle des Rougon-Macquart,écrit en 1890.

En 1857, le train qui relie Parisà Lyon puis à Marseille (PLM,Paris-Lyon-Méditerranée) des-sert Melun et Fontainebleau.Avant l’arrivée du train, la dili-gence desservait ces localitésen pratiquement une journéepleine. Ce train permet à dejeunes artistes de travailler horsde Paris en pleine nature, àChailly-en-Bière et dans sonhameau, Barbizon. De la garede Melun, ils s’y rendaient àpied ou empruntant la voiturepostale (la patache). C’est Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) qui découvre ce lieu et lefait connaître à ThéodoreRousseau (1812-1867) et à Jean-François Millet (1814-1875).

L’auberge Ganne à Barbizon(devenue un musée), ancien-nement épicerie, sera leur pointde ralliement, leur offrant à bascoût le logement et la nourri-ture. Ensuite, de nombreuxartistes les rejoindront et ferontde ce lieu un centre d’émula-tion artistique. Ils fuient tous lamodernité que représente laville qui s’agrandit rapidementpar l’arrivée massive des rurauxvers les usines et son bruit, pourse plonger à l’instar de leursaînés, les peintres britanniquesTurner (1775-1851) et Constable(1776-1837), dans la sérénité dela nature encore préservée. Lesrochers, les arbres, les paysanset leurs animaux seront leursmodèles.

Les peintres impressionnistesreprésentent la générationsuivante. Ils viendront dansces lieux et prendront lesconseils de Théodore Rousseauqui leur préconisait : « Éclair-cissez votre palette. »

Cette nouvelle génération d’ar-tistes profitera des lignes de che-min de fer allant vers la Norman -die et qui desservaient Chatou,Argenteuil, Gennevilliers, Poissy,Vétheuil…, ou encore les plagesnormandes, pour partir avectoiles, chevalets et boîtes depeintures à l’épaule aussi biendans la campagne environnanteque sur les bords de Seine, voire

sur le fleuve. Monet établiramême son atelier dans un canot.Cependant, à l’opposé des pein-tres de l’école de Barbizon, quifuyaient la modernité, les impres-sionnistes vont choisir d’autresmotifs. Deviendront leurs sujetsde prédilection les trains, lesgares emplies de fumées, lesports, les nouveaux ponts métal-liques, les rues animées autourde la cathédrale de Rouen, parexemple, mais aussi le peuple(ce qui est nouveau) venu sedistraire dans les guinguettesdes bords de fleuve. À l’exem-ple de Boudin et de Jongkind,qui peu avant eux réalisaient

des toiles depuis les plagesd’Honfleur et du Havre, d’Étre-tat…, ils s’intéresseront aussi àces sujets. Ils s’inscrivent dansla modernité de leur époque.Le PLM, de son côté, va permet-tre à certains de ces peintres departir vers la Méditerranée etla Côte d’Azur à la découvertede la lumière et de la couleurexaltées par le climat et le soleil.

Leur palette s’en trouvera tota-lement modifiée, avec des tonsplus saturés, des bleus, des jauneset des rouges plus éclatants.L’atmosphère de ces toilesdevient moins évanescentequ’avec les brumes et lesambiances plus douces deslumières de la Normandie et dela vallée de Seine.Ainsi, il faut toujours considé-rer, lorsque nous parlons d’art,la nature de la société danslaquelle il apparaît et l’état dessciences et des techniques aumême moment. n

*BERNARD ROUÉ est artiste peintre.

La peinture devient donc facilement transportable hors de l’atelier, et le tube ouvre la possibilité d’aller « sur le motif », selon le terme consacré, c’est-à-dire,directement dans la nature.

À l’opposé des peintres de l’école de Barbizon, quifuyaient la modernité, les impressionnistes vont choisird’autres motifs. Deviendront leurs sujets de prédilectionles trains, les gares emplies de fumées, les ports, les nouveaux ponts métalliques.

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J.M.W. Turner, Pluie, Vapeur et Vitesse - le Grand Chemin de fer de l’Ouest, 1844, huile sur toile.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE42

n LUTTES

PAR BRUNO ODENT*,

ous ceux qui refusent etla poursuite de l’Europeaustéritaire et son abou-

tissement sous forme de régres-sion nationaliste pourront ytrouver une source d’encoura-gement : au cœur même du« modèle » ordo-libéral alle-mand, les syndicats montenten puissance dans des résis-tances non dissociables à l’aus-térité et au nationalisme. LaConfédération des syndicatsallemands (le DeutscherGewerkschaftsbund [DGB]), laplus grande centrale européenne(6 millions d’adhérents) sedémarque de plus en plus ouver-tement du consensus de lagrande coalition CDU-SPD. Elleen appelle à une Europe libé-rée du carcan des politiquesd’austérité et des « réformes destructure » – entendez cesmesures destinées à baisser le« coût du travail » et à renfor-cer la flexibilité – qu’AngelaMerkel recommande si forte-ment à ses partenaires sous cou-vert qu’elles constitueraient le seul moyen d’accroître leurcompétitivité.

LA GRÈCE COMME RÉVÉLATEURLorsque Syriza arrive au pou-voir en Grèce en janvier 2015,les dirigeants de toutes les fédé-rations qui forment le DGB ontsigné un texte solennel décla-rant que l’avènement d’un gou-vernement antiaustérité en

Grèce ne constituait « pas undanger mais au contraire unechance pour l’Europe ». Et deprévenir dans le même docu-ment, comme s’ils anticipaientles pressions et les chantagesqui allaient bientôt être déployéscontre Athènes: « La défaite élec-torale des responsables de la poli-tique conduite antérieurementen Grèce constitue une décisiondémocratique qui doit être res-pectée au niveau européen.1 »Quelques semaines plus tard,la tension est à son comble entreBerlin et les nouvelles autori-tés grecques. Une campagne depresse vilipende ces « Grecscupides » (Bild Zeitung) qui nechercheraient qu’à profiter des

aides allemandes. WolfgangSchäuble, le ministre allemanddes Finances, n’hésite pas lui-même à en rajouter à ces cli-chés racistes en offrant de met-tre « à disposition d’Athènes500 spécialistes [de son minis-tère] pour mieux faire rentrerl’impôt ».Ce climat antigrec va alimen-ter – bien avant l’été 2015 et ladécision de Berlin d’ouvrir sesfrontières aux réfugiés venusdu Moyen-Orient – la montéeen puissance du parti d’extrêmedroite Alternative für Deuts ch -

land (AfD) qui réussissait, dèscette époque, une série de percées électorales. ReinerHoffmann, le président du DGBréagit immédiatement etcondamne sans détour la cam-pagne raciste comme les pro-pos du ministre des Finances.Il proclame : « Il faut en finir enAllemagne avec le populisme.Stop à la légende du Grec pares-seux. » Et le dirigeant syndicalannonce que, lui, il manifesterasa solidarité concrète avec lepeuple grec en se rendant le30 mars 2015 à Athènes pour yrencontrer Alexis Tsipras. Bravantles quolibets d’une bonne par-tie de la presse, il sera la seulepersonnalité du mouvement

social européen à le faire. Ensortant de son entretien avecle Premier ministre, il plaidecontre les rationnements as -sassins imposés à la Grèce. Ilénumère quelques-uns desimmenses « besoins d’investis-sements » du pays « en matièrede formation, de services publicset de protection de l’environne-ment », et il souligne finalementcombien les partenaires euro-péens auraient « le plus grandintérêt » à soutenir un « vraiplan d’aide » permettant de réa-liser ces investissements.

Le dirigeant syndical fonde sadémarche sur les propositionseuropéennes alternatives avan-cées depuis le début des années2010 par le DGB. Rassembléesdans un document intitulé « Unplan Marshall pour l’Europe »,elles prennent l’exact contre-pied de la normalisation aus-téritaire promue par Berlin,Paris et Bruxelles. Pour finan-cer ce projet de développementdu continent, la confédérationinvoque la création d’unebanque publique européennequi puisse prêter à un taux quasinul (après s’être refinancéeauprès de la BCE) de l’argentaux États ou aux acteurs régio-naux élus. Claus Matecki, ex-dirigeant confédéral et cheféconomiste du DGB, auteur deces « résolutions » du syndicat,confiait à l’Humanité2 que cetteméthode permettrait de « répon-dre à l’urgence » sans attendreune éventuelle modificationde traités qui interdisent toutfinancement direct des Étatspar la BCE. Le truchement d’unebanque publique européenneoffrirait le moyen de contour-ner l’obstacle en faisant l’éco-nomie d’un processus – forcé-ment long et à l’issue incertaine– de changement du cadre légaleuropéen. Il y a là, d’évidence,matière à construire de fortesconvergences avec les propo-sitions alternatives d’autresforces progressistes euro-péennes pour mettre en chan-tier d’ores déjà la refondationde l’Europe.

La plus grande centrale européenne (6 millionsd’adhérents) se démarque de plus en plus ouvertementdu consensus de la grande coalition CDU-SPD.

T

Les syndicats allemands au front dans la lutte contre l’austérité et le nationalismeLa Confédération des syndicats allemands (DGB) se démarque de sa vieille culturedu « partenariat social » en faisant preuve d’un net regain de combativité contrel’austérité, ce qu’elle associe à son engagement antinationaliste. Un formidablepoint d’appui, au nord du continent et au cœur du « modèle » ordo-libéral, pour larefondation de l’Europe.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

VERS UN SYNDICALISMECOMBATIF…L’engagement « grec », solidaire,antiraciste et antinationalistedu DGB, rompt avec le taboud’une traditionnelle réservesyndicale à l’égard du politiquesi fermement ancrée dans laculture de la République fédé-rale. Comme elle met en lumièrela détérioration des transmis-sions entre le parti social-démo-crate (SPD) et la centrale syn-dicale, pourtant tout aussitraditionnellement intégrées

au fonctionnement de l’orga-nisation. Le clivage entre le syn-dicat et la direction du SPD estalors manifeste. Dans la mêmepériode, le parti présidé parSigmar Gabriel, ministre del’Économie et vice-chancelier,affichait, au sein de la grandecoalition, la même intransi-geance implacable que le cou-ple Merkel-Schäuble.Cet épisode ne constitue quel’une des marques les plus spec-taculaires d’une évolution deplus en plus sensible au seindu mouvement syndical ger-manique. La « modération sala-riale » – il y a peu de tempsencore si consensuelle parceque considérée comme répon-dant à l’intérêt supérieur del’économie – est désormaisouvertement battue en brèche.Des mouvements très comba-tifs ont fait leur apparition dansplusieurs secteurs (conducteursde locomotives, transportaérien), en rupture ouverte avecla vieille culture dite du « par-tenariat social ».Ces luttes aussi rassembleusesque déterminées se sont tra-duites par de retentissants suc-cès. Ainsi les conducteurs delocomotives ont-ils obtenu àl’été 2015, après un mouvement

historique (une série de neufgrèves en moins d’un an), defortes hausses de salaires (5,1 %sur vingt mois) et quelque400 créations d’emplois dansla société publique des cheminsde fer fédéraux (DB). Ce qui aeu, au passage, pour effet detirer vers le haut toutes les autrescatégories de cheminots.Ces grèves, qu’une partie desmédias a tenté de discréditer enles présentant classiquementcomme le fait de « corporationsprivilégiées [qui prendraient] les

clients de grandes entreprises deservices publics en otage », onteu un retentissement considé-rable sur l’ensemble du mouve-ment syndical, bien au-delà desfrontières des entreprises concer-nées. Dans les traditionnellesnégociations annuelles de bran -che, les différentes fédérationsdu DGB s’en laissent beaucoupmoins conter par les partiespatronales ou gouvernemen-tales et placent désormais le cur-seur de leurs revendications àun niveau nettement plus élevé.Et ce non sans quelques résul-tats : 4,8 % d’augmentations surdeux ans obtenues, après plu-sieurs grèves d’avertissementtrès suivies, au printemps 2016dans la métallurgie et 4,75 %dans la fonction publique.Cette irruption d’un syndica-lisme plus combatif repose surdes ressorts internes. L’aspirationà changer de méthode a grandi,depuis la base, en même tempsque s’approfondissait une véri-table crise du modèle syndical,effet secondaire incontestabledes lois antisociales inscrites àl’agenda de Gerhard Schröder.Le DGB et ses fédérations onten effet été associés à l’instal-lation de ces réformes par lebiais de multiples « pactes tri-

partites » (patronat-syndicats-gouvernement). Les lois Hartzet autres mesures de flexibili-sation du marché du travail ontfait pulluler les contrats aty-piques. Plus des deux tiers del’ensemble des salariés, d’aprèsles derniers chiffres officiels,sont contraints de fonctionnersous divers statuts précaires ousous clause d’exemption « mai-son » de l’accord tarifaire debranche (convention collective)auquel ils devraient appartenir.D’où l’isolement d’une largepartie du monde du travail ousa désaffection, voire sa défianceà l’égard des syndicats.

… EN TIRANT LES LEÇONS DE L’HISTOIRELe DGB a perdu en un peu plusde vingt ans la moitié des 12 mil-lions d’adhérents qu’il comp-tait en 1990. Le taux de syndi-calisation, qui s’élevait à prèsde 40 % de la population de l’ex-Allemagne fédérale, estaujourd’hui de 17,5 %. Ce niveau,certes encore élevé si on le com-pare aux désastreuses contre-performances françaises, tra-duit une perte de pouvoirs etd’influence considérable.Confrontés à ce qui ressemblaità une sorte de garantie d’effa-cement progressif, les syndi-cats se devaient de réagir. Et lespartisans d’un syndicalismeplus revendicatif et combatifont pu avoir davantage voix auchapitre. D’autant qu’au mêmemoment, à gauche, Die Linkeconfortait son assise sur l’échi-quier politique du pays. Il fautcertes se garder de conclusionstrop hâtives. On est encore loind’une sorte de métamorphosedu syndicalisme allemand.Néanmoins, un processus detransformation est en marche.L’engagement de tous les ins-tants du DGB contre les traitésde libre-échange transatlan-tiques (TAFTA, CESA) et de libé-ralisation des services (TISA)en est l’ultime révélateur.Les différentes fédérations syn-dicales ont joué un rôle clé dansle succès des rassemblementsde masse contre ces traités outre-

Rhin. Si une multitude d’asso-ciations et d’organisations pro-gressistes appelaient ainsi le17 septembre 2016 à défiler dansles rues des sept plus grandesvilles du pays, c’est l’implica-tion totale des syndicats, de ladirection confédérale à la pluspetite section locale, qui a per-mis à la mobilisation d’attein-dre un niveau record (près de400000 manifestants). Là encorel’expérience douloureuse deslois Hartz et autres réglemen-tations antisociales de la périodeantérieure explique la force etla détermination de l’engage-ment de la confédération dansce combat. En effet, les syndi-calistes se sont rappelés lecontenu de ces négociationssecrètes et le douloureux pré-cédent de ces réformes libéralescensées apporter une prospé-rité générale. À leur menu nefigurent-ils pas l’alignement desstandards sur le moins-disantsocial au nom de la compétiti-vité ou une offensive destinéeà renforcer encore l’« ordo » dulibéralisme, pour donner lesmoyens aux multinationales decontester juridiquement les pro-tections des salariés, même vali-dées par une représentationnationale ? n

*BRUNO ODENT est journaliste.

1. Texte rendu public le 2 février 2015par la direction de la Confédération dessyndicats allemands (DGB).2. L’Humanité du 22 décembre 2011.

La confédération invoque la création d’une banquepublique européenne qui puisse prêter à un taux quasi nul (après s’être refinancée auprès de la BCE) de l’argent aux États.

Europe, état d’urgence, Bruno OdentLe Temps des cerises, 2016, 230 p.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

Du « remplacement » à la précarisation… quelle réplique à la transformation du système d’emploi ? La sécurité sociale professionnelle est à portée de lutte.

PAR ANNE RIVIÈRE*,

lus de 9 embauches sur 10se font en CDD ou encontrats d’intérim. 2 mil-

lions d’intérimaires occupentprès de 600 000 équivalentstemps plein. La rotation de lamain-d’œuvre est quintupléedepuis trente ans, concentréesur certains métiers. Le raccour-cissement des missions (de 30à 15 jours ou une semaine) etdes CDD traduit une évolutionprofonde du mode d’utilisationde ces formes d’emplois, hyper-

précarisés par les utilisateurs,avec le renfort de l’assurancechômage, en « difficulté » ouconfisquée et celui des exoné-rations de cotisations socialessur les bas salaires.Le chiffre d’affaires du secteurremonte en 2014 à 17 milliardsd’euros, les intérimaires ayantservi d’amortisseurs après 2008.

QUI SONT LES INTÉRIMAIRES?En majorité, ce sont des hommesjeunes, peu qualifiés, desouvriers, à 70 % dans l’indus-trie et le bâtiment. Le poids desmoins de 25 ans révèle leur placeparticulière dans le systèmed’emploi global. Le travail quileur est confié est souvent d’unequalité médiocre, répétitive oudifficile et pénible.Loin d’être des sujets passifs, lesintérimaires sont en recherched’un capital d’expériences pourexercer un choix ou pour retrou-

ver, pour les plus qualifiés, uneforme d’autonomie dans la maî-trise de leur temps, recherchesouvent illusoire. Ils ne sont paségaux et bon nombre peuvent yrester « enfermés » plusieursannées.

L’INTÉRIM, TRAPPE OU TREMPLIN?Le contrat d’intérim repose surune relation triangulaire et ladisjonction opérée entre travailet emploi externalisé : l’agenced’intérim paie le salaire, s’oc-cupe des fiches de paie, des

aspects administratifs, et de laformation. L’entreprise utilisa-trice bénéficie d’un contrat,révocable, de mise à disposi-tion du salarié, si toutefois lalégalité de recours au contratd’intérim est respectée, au moinssur le papier.L’intérim a divers visages, liésau niveau de la formation ini-tiale lors de la prise de poste. Àl’âge de fin d’études, ce niveauest déterminant pour l’avenirdu salarié et sa liberté de choix.Le marché du travail tend versun modèle segmenté entre sala-riés « stables » et « instables »,prisonniers d’une trappe invi-sible (étude Picart, INSEE, 2014).Les chances d’occuper un CDIun an après un intérim, ou unCDD, diminuent : en 2014, unjeune est 4 fois plus souventintérimaire qu’en 1982. La situa-tion des seniors se dégrade aussi,à 50 ans, après une perte d’em-

ploi en CDI, ils enchaînent descontrats courts jusqu’à la retraite.Le CDI restait en 2011 la formedominante du contrat de tra-vail, elle concernait 87 % dessalariés du secteur privé. Maisil est dans la ligne de mire, parconversion croissante d’em-plois stables en formes d’em-plois précaires. Les « créationsd’emplois » souvent alléguéesne sont que des leurres, avecréembauches chez l’ancienemployeur, à 70 %. Les sites deconstructions automobiles lowcost, ne sont-ils pas peuplésd’intérimaires ?

UN PEU D’HISTOIRE POUR ÉCLAIRER LES ENJEUX ACTUELSL’intérim, venu des États-Unisvers 1950, est vivement dénoncécomme illégal, synonyme de« zéro droit » et d’une précaritétotale.Dans les années 1960, il va néan-moins séduire des ouvriers hau-tement qualifiés, en proposantdes salaires un peu plus élevés,une liberté – relative – de choix

des missions, mais des droitssociaux et une protection socialeinexistante. Pour asseoir sa légi-timité, Manpower va conclureun premier accord avec la CGTen 1969, base de la première loisociale sur le travail temporaireen 1972.

Les années 1980 et le tournant de la rigueurLa faiblesse d’investissementsdans l’industrie explique les dif-ficultés économiques de laFrance tandis que s’installe le chômage de masse.L’intérim, avec art, élargit sesdomaines d’intervention, jusqu’àempiéter sur les fonctions desservices de ressources humaines.Il va se rendre indispensablepour « sécuriser » des recrute-ments fiables, former et testerles jeunes intérimaires sur longuepériode, et aussi améliorer leur« employabilité ».

Le travail-marchandise : l’atout du facteur tempsL’intérim permet aux donneursd’ordre de résoudre, avec le lean

L’intérim, un essor spectaculairement contradictoire

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE44

n PRÉCARITÉ

P

SANTÉ ET SÉCURITÉ : UNE URGENCE POUR LE TRAVAIL TEMPORAIREJuillet 2015, Picardie : un intérimaire tombe dans du métal en fusion ;Clichy, Hauts-de-Seine : mort d’un intérimaire sur un chantier ; il faudra des mois de mobilisation pour que l’accident soit déclaré… Et la liste estlongue, trop longue.L’intérim est, avec le BTP, le secteur le plus dangereux pour les salariéstemporaires : deux fois plus d’accidents qu’en CDI sur un même poste ;sans compter que leurs troubles musculosquelettiques (TMS) sont sous-déclarés.La CGT mène depuis février 2014 un combat essentiel et difficile pour une vraie négociation sur la santé au travail : 34 848 accidents du travail en 2013, pour 764 848 intérimaires, 67 morts.En agence manquent des vérifications de postes ou du matérield’équipement : la sinistralité vient de l’urgence et du défaut de formation.Or la sécurisation de la vie professionnelle est réalisable. Tout de suite,avec un statut social de haut niveau pour tous : les moyens existent,largement, d’abolir la spirale de précarisation générale.

L’intérim a divers visages, liés au niveau de la formation initiale lors de la prise de poste. À l’âge de fin d’études, ce niveau est déterminant pour l’avenir du salarié et sa liberté de choix.

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rençant l’ex-ANPE sans en avoirles charges de service public, eten tirent bénéfice. Quelle justi-fication à cette privatisation dela gestion de l’emploi ?

L’EXCEPTION FRANÇAISE :ABOLIR L’INTÉRIM PAR LA CONQUÊTE DE DROITS?Les multiples luttes de la CGTpour bâtir un statut et conqué-rir de droits pour les plus dému-nis, isolés et précarisés (commel’illustrent les luttes des sans-papiers) – mal perçus des sala-riés stables – répondent à ce quiapparaît comme un terribleparadoxe : lutter pour l’inter-diction de l’intérim et, en mêmetemps, conquérir pied à piedles droits des intérimaires à untraitement égal à celui des sala-riés stables. Ce faisant, il s’agitde déboucher sur des avancéeset des questions qui intéressenttout le salariat, notamment cellesd’une véritable sécurisation pro-fessionnelle, sans mystification.Renchérir le recours à la main-d’œuvre temporaire et bâtir unnouveau statut du travail sala-rié, c’est défendre aussi le CDI,indirectement. Alors le patro-nat invente un « CDI intéri-maire » en 2013, qu’il chercheà imposer par voie d’accord avecles centrales syndicales, et quela CGT a refusé de signer : enéchange d’une promesse de20 000 CDI, il échappe à la sur-taxation des CDD à répétition(indolore en réalité) qui ruinentl’assurance chômage. Ce n’estpas un franc succès. Les intéri-maires « pointus » n’en ont pasbesoin et les agences n’y voientpas d’intérêt financièrement.

LES MOUSQUETAIRES DE LADÉFENSE DES INTÉRIMAIRESL’Union syndicale de l’intérim-CGT est une organisation uniqueen France et en Europe par sadémarche ; elle entend nouerdes liens de coopération avec

les syndicats des entreprisesutilisatrices et les territoires,pour rompre les isolements etinformer les salariés de leursdroits (à cet égard, l’exempledes chantiers de Saint-Nazaireest éloquent).Cette démarche opiniâtre etcourageuse, parfois mal com-prise, fait de la France une pion-nière. En Europe, l’intérim estsynonyme de négation totaledes droits des intérimaires (pourpreuve, la question des travail-leurs « détachés »). Notre inté-rim serait « trop réglementé »,d’où la floraison de nouveauxinstruments : autoentrepre-neurs, portage salarial, groupe-ments d’employeurs, CDD moinscontraignants, et, dernier ava-tar : la loi El Khomri, totalementrégressive. De quoi, après d’in-tenses batailles judiciaires surle recours illégal et abusif à l’in-térim, démasquer l’ingéniositépatronale dans sa volonté d’ac-croître la flexibilité, comme dansl’automobile pour chaque lan-cement d’un nouveau véhicule,même si son développements’étale sur dix ans. Dans la mêmelogique de quête de flexibilité,Prim’emploi (patronat de l’in-térim) veut abolir le délai decarence entre deux missions, etélargir les cas légaux de recoursà l’intérim !Une remise à plat est nécessairepour que l’assurance chômagene soit plus détournée de sonobjet. La flexibilité ne crée pasl’emploi, au contraire. n

*ANNE RIVIÈRE, membre du comitéde rédaction de Progressistes, est juriste.

POUR EN SAVOIR PLUSConsulter le site de l’Union syndicalede l’intérim (www.uci-cgt.fr).La Mèche, no 5 (hors série),septembre 2015.Dominique Glaymann, l’Intérim, La Découverte, 2007.

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en toute légalité, des exigencesélevées et des rémunérationsfaibles : trop de jeunes travail-lent en dessous de leur qualifi-cation, briment leur créativitéà faire leurs preuves dans l’es-poir d’un CDI, qui ne vient quetrès rarement. Le coût macro-économique de la formationdes jeunes ne reçoit pas un retournormal.Plus préoccupant est le risquede leur démotivation.

LES ATTRAITS DE L’OUTILINTÉRIM POUR LE PROFITLa main-d’œuvre intérimairene fait pas partie de la massesalariale : c’est une fourniture,très rentable par ailleurs. Eneffet, avoir des salariés isolés,pour des durées courtes, ne pou-vant s’organiser ni s’allier avecles « stables », qui voient en eux

des « paratonnerres », présentele gros avantage supplémen-taire, lors les restructurations,de permettre de contourner leslicenciements économiques.Les actionnaires n’y trouventdonc rien à redire.En 2005, avec la loi Borloo, l’in-térim est consacré par son ins-cription au sein du service publicmême de l’emploi. L’ex-ANPE,devenue Pôle emploi, va coo-pérer avec les agences d’inté-rim, leur envoyer directementdes chômeurs, dont elle contrô-lera la situation et le suivi demissions.Les « agences d’emploi » devien-nent le premier recruteur privéde France en CDD et CDI, concur -

et le flux tendu, les problèmesinhérents à la période post -fordiste d’irrégularité des cyclesde production liée à la concur-rence et aux caprices des mar-chés. Il fournit des solutions« gain de temps », ingrédientsde la production de jour ou denuit. L’intérim se développepour les ouvriers spécialisés, enconcomitance avec le chômageet la précarité. Et un remode-lage profond de l’économie etdes entreprises est opéré par latechnique de la sous-traitance.Les sous-traitants sont facile-ment pressurables via un contrat« commercial », fiction quimasque les dépendances éco-nomiques, gomme les respon-sabilités et ignore le droit dutravail.Les entreprises d’intérim four-nissent des millions d’heures

de travail aux grands groupesdu BTP, de l’agroalimentaire, del’industrie et des services, selonla règle du moins-disant. Lesintérimaires, eux, subissent laprécarité, les intermissions etleurs attentes anxieuses, et,après les négociations de 2014avec l’UNEDIC, des pertes derevenus sensibles.La fonction publique territo-riale et hospitalière ne se privepas non plus d’y recourir.

Le sous-emploi des jeunesPour le sociologue DominiqueGlaymann, avec l’intérim semaintient un sous-emploi « invi-sible », qui ne reconnaît pas lesqualifications réelles. Il impose,

Les « agences d’emploi » deviennent le premier recruteurprivé de France en CDD et CDI, concurrençant l’ex-ANPE sansen avoir les charges de service public, et en tirent bénéfice.

Nouer des liens de coopération avec les syndicats des entreprisesutilisatrices et les territoires, pour rompre les isolements et informer les salariés de leurs droits : à cet égard, l’exemple des chantiers de Saint-Nazaire est éloquent.

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Des politiques et journalistes l’affirment : il serait possible, en France, de passer à 100 %d’énergies renouvelables. Mais est-il vraiment possible de se passer des énergies fossileset nucléaires, même avec une réduction drastique de la consommation d’énergie ?

PAR BERTRAND CASSORET*,

ÉLECTRICITÉ OU ÉNERGIE?L’affirmation qu’il serait possi-ble de passer à 100 % d’énergiesrenouvelables s’appuie généra-lement sur une étude de l’Agencede l’environnement et de la maî-trise de l’énergie (ADEME) parueen 2015 portant sur une Francealimentée à 100 % en électricitérenouvelable. Or l’électricitéreprésente moins de 23 % de laconsommation finale d’énergiefrançaise. Avec une électricité100 % renouvelable, on sortiraitdu nucléaire, mais on résoudraitmoins du quart du problèmeénergétique.Pourquoi serait-il souhaitablede n’utiliser que des énergiesrenouvelables? Parce qu’elles nemanqueront jamais, et aussiparce qu’elles émettent peu depolluants atmosphériques dan-gereux pour la santé et peu deCO2, qui réchauffe le climat. Lesénergies fossiles sont responsa-bles, par la pollution qu’ils génè-rent, de centaines de milliers demorts dans le monde chaqueannée : elles représentent, ennombre de morts, des centainesde Tchernobyl par an, sans par-ler des conséquences du réchauf-fement climatique. L’importantest donc de se passer des éner-gies fossiles, c’est-à-dire dupétrole, du gaz, et du charbon.Or, en France, ces énergies ser-vent très peu à produire de l’élec-tricité, elles servent essentielle-ment au transport et au chauffage.Il paraît donc souhaitable deremplacer les automobiles àpétrole par des automobiles élec-triques, les camions à pétrolepar des trains de marchandises

électriques, les chauffages augaz ou au fioul par des pompesà chaleur électriques, les pro-cessus de chauffage industrielsau charbon, fioul ou gaz par dessystèmes électriques… Mais celadevrait logiquement faire aug-menter la consommation d’élec-tricité. Il faut donc regarder leproblème énergétique dans sonensemble, et pas seulement sousle prisme de l’électricité.

LES SCÉNARIOS DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUELe scénario Négawatt prévoitbien de se passer quasi entière-ment du nucléaire, mais pas tota-lement des énergies fossiles, quireprésenteraient encore 10 %.Ce scénario prévoit surtout une

réduction drastique de la consom-mation d’énergie primaire, de66 %. Le scénario Greenpeaceaboutit à une baisse similaire dela demande énergétique (63 %)sans sortir complètement desfossiles.Pour réduire la consommation,parmi les propositions deNégawatt, de Greenpeace et del’association Virage Énergie :baisse de 70 % de la consomma-tion de vêtements, de 50 % desproduits de ménage, de 50 % descosmétiques et produits de toi-lette, de 50 % de la consomma-tion de viande, de 50 % des sèche-linge, lave-vaisselle, congélateurs,

équipements audiovisuels, réduc-tion de 50 % de la taille des réfri-gérateurs, utilisation de lave-linge collectifs, baisse de latempérature de confort des loge-ments, réduction de la taille deslogements (qui devraient pour-tant être collectifs), hausse dunombre d’habitants par foyer,disparition du véhicule tel quenous le connaissons aujourd’hui,réduction du tourisme longuedistance et des voyages en avion,baisse des hébergements enhôtels… On peut considérer ceschangements comme néces-saires, mais ils sont absolumentincompatibles avec la croissanceéconomique recherchée par l’im-mense majorité des politiques.L’ADEME a publié en 2013 des

scénarios de transition énergé-tique (« Contribution de l’ADEMEà l’élaboration de visions éner-gétiques 2030-2050 »). Ils n’abou-tissent pas du tout à la conclu-sion qu’on peut se passeraisément du nucléaire et des fos-siles. Ils préconisent dans le scé-nario « médian » une baisse de47 % de la consommation d’éner-gie finale. Les énergies renou-velables fourniraient alors dequoi couvrir 55 % des besoins,le reste étant assuré par le pétrole,le gaz et le nucléaire, qui auraientun rôle non négligeable. Selonles scénarios la productionnucléaire irait de 251 à 670 TWh

par an (elle a été en 2015 de417 TWh).L’Agence nationale de coordi-nation de la recherche pourl’énergie a publié en 2013 troisscénarios qui permettraient dediviser par 4 les rejets de CO2 àl’horizon 2050 : tout en déve-loppant largement les énergiesrenouvelables et sans sortir dunucléaire, les baisses de consom-mation d’énergie finale iraientde 27 à 41 % grâce à des effortssoutenus d’efficacité énergé-tique.Le scénario Négatep de l’asso-ciation Sauvons le climat pré-voit une division par 4 des rejetsde CO2 malgré une baisse deseulement 18 % environ de laconsommation d’énergie finale.Les énergies fossiles seraienttrès largement remplacées parles énergies renouvelables(+ 150 %) et aussi nucléaire(+ 46 %) capables de produirede l’électricité décarbonée, dontla production augmenterait de61 %.Aucun scénario français ne pré-tend donc qu’il est possible deremplacer les énergies fossileset nucléaires par des renouve-lables, même en diminuant dras-tiquement la consommation.

Quant au scénario « Wind WaterSun », de l’université Stanford,en Californie, il prétend pouvoircouvrir tous les besoins énergé-tiques mondiaux avec des renou-velables, et ce sans baisse deconfort. Le projet est tellementambitieux que les critiques surson réalisme ne manquent pas.Au niveau français, trop peu dedétails sont donnés pour qu’onpuisse bien comprendre par quel

Scénarios 100 % énergies renouvelables.Que valent-ils ?

Aucun scénario français ne prétend donc qu'il est possiblede remplacer les énergies fossiles et nucléaires par desrenouvelables, même en diminuant drastiquement laconsommation.

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

n ÉCOLOGIE

46 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

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miracle il serait possible de fairece que les études françaises neprétendent pas pouvoir faire.Les potentiels de production uti-lisés sont supérieurs à ceux detous les autres scénarios fran-çais, les problèmes d’intermit-tence et de stockage de l’électri-cité solaire et éolienne semblentnettement sous-estimés. Et aurythme actuel d’installation d’éo-liennes terrestres en France (envi-ron 1 GW par an), il faudrait plusde 150 ans pour atteindre la puis-sance requise par ce scénario,alors que la durée de vie d’uneéolienne ne dépasse pas 25 ans.

UNE ÉLECTRICITÉ 100 % RENOUVELABLE?Si le but n’est pas de lutter contrela mortelle pollution atmosphé-rique et le dangereux réchauf-fement climatique mais de sepasser du nucléaire, alors la ques-tion de savoir si, en France, onpeut produire la quantité d’élec-tricité que l’on consomme actuel-lement uniquement avec desrenouvelables est pertinente.L’étude de l’ADEME « Un mixélectrique 100 % renouvelable »,parue en 2015, n’est pas un scé-nario de transition, puisqu’ellen’explique pas comment passerdu système actuel à ce nouveausystème. Il s’agit d’un travail « àcaractère prospectif et explora-toire ». Il me semble que l’en-thousiasme qu’a suscité cetteétude peut être modéré, car elleconsidère dans son scénario deréférence:– une consommation d’électri-cité en baisse à 422 TWh par an, contre environ 440 TWh(consom mation nette) en 2015,et ce malgré 10 millions de véhi-cules électriques (sur 38 mil-lions de véhicules actuellementen France), malgré aussi la crois-sance démographique et sansdoute économique ;– l’utilisation de bois ou de bio-gaz pour produire de l’électri-cité. Ces sources d’énergie seraientalors moins disponibles pour lechauffage;– des moments où il faudraitimporter de l’électricité depuisl’étranger, non forcément pro-

duite par des renouvelables ;– du stockage par batteries, dontle bilan environnemental estmédiocre: il faudrait plusieursmillions de tonnes de batteries,d’autant que leur durée de vieest limitée;– une augmentation du nombrede stations de transfert d’éner-gie par pompage (lacs artificielsou barrages permettant unstockage indirect de l’électricité),sans qu’il soit précisé où construirede nouvelles immenses retenuesd’eau. Rappelons la forte oppo-sition qu’a rencontrée la construc-tion du barrage de Sivens;

– un important stockage parpower to gas, technique permet-tant de transformer de l’électri-cité en gaz (hydrogène ouméthane) puis, éventuellement,celui-ci en électricité. Cette tech-nique est prometteuse maisencore balbutiante et sans réelretour d’expérience. Elle n’existeactuellement que sous formeexpérimentale ; compter lar -gement dessus est donc assezambitieux;– un énorme développement del’éolien, dont la production seraitde 303 TWh par an, alors qu’elleétait au maximum de 160 TWhdans le rapport publié par

l’ADEME en 2013. La produc-tion éolienne a été en France de21 TWh en 2015, il faudrait aumoins 10 fois plus d’éoliennesqu’aujourd’hui ;– un facteur de charge optimistede l’éolien terrestre de 31 %, alorsqu’il n’est actuellement que de23 % (le facteur de charge est lerapport entre la puissancemoyenne réelle et la puissanceinstallée ; il rend compte du faitque le vent ne souffle pas tou-jours suffisamment) ;– une puissance éolienne ins-tallée de 96 GW, contre 10 GWen 2015. Sachant qu’on a ins-

tallé en France moins de 1 GWpar an ces dernières années, ilfaudrait 86 ans au même rythmepour arriver à cette puissance,mais la durée de vie d’uneéolienne est au maximum de25 ans;– d’importants reports de consom-mation (60 TWh) des usines, dechauffage des maisons, de chauf-fage de l’eau ou d’usage d’appa-reils électroménagers. Il faudrait,essentiellement, en fonction duvent, parfois décaler leur miseen marche lorsque la produc-tion ne suffit pas. Il s’agit doncd’une tendance vers un moin-dre confort, puisqu’il faudrait

parfois décaler les horaires detravail des salariés, éviter dechauffer son logement lorsqu’ilfait froid, de faire la cuisinelorsqu’on a faim…;– un ajustement offre/demandemodélisé trop peu finement, lesauteurs soulignant eux-mêmesque la gestion de la stabilité duréseau électrique n’est pas trai-tée dans l’étude.

Indépendamment des problèmesd’intermittence et de stockage,cette étude précise que le pro-ductible maximal théorique desrenouvelables est, en France, de1268 TWh. Mais l’ADEME sou-ligne que « rien ne garantit l’adé-quation, à chaque instant, entreproduction et demande». Ce chif-fre ne signifie donc pas que l’onpuisse disposer de toute cetteénergie: il faudrait lui soustraireles inévitables pertes de trans-port et de stockage, et surtoutce que l’on ne serait pas capa-ble de stocker car pas forcémentproduit au moment où l’on ena besoin. Ce chiffre de 1268 TWh,bien que paraissant assez opti-miste, reste nettement inférieurà la consommation d’énergiefrançaise (1900 TWh en énergiefinale payée par le consomma-teur, presque 2900 TWh en éner-gie primaire avant toute trans-formation) et ne fait que confirmerla conclusion précédente: il fau-drait considérablement dimi-nuer notre consommation d’éner-gie pour sortir des fossiles et dunucléaire.Historiquement, on n’a jamaisconnu de croissance économiqueassociée à une baisse de laconsommation d’énergie, et cedécouplage semble très impro-bable. Les politiques qui préco-nisent le remplacement des éner-gies fossiles et nucléaires par desrenouvelables doivent donc com-mencer par expliquer commentils vont gérer le chômage, lesdéficits publics, la santé, lesretraites, l’éducation, la sécu-rité, les aides sociales… en décrois-sance économique. n

*BERTRAND CASSORET est maîtrede conférences en génie électrique.

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Le scénario Négatep de l’association Sauvons le climatprévoit une division par 4 des rejets de CO2 malgré unebaisse de seulement 18 % environ de la consommationd’énergie finale. Les énergies fossiles seraient trèslargement remplacées par les énergies renouvelables(+ 150 %) et aussi nucléaire (+ 46 %).

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

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Il faut près de 4500 éoliennes pour produire l'équivalent d'un seulréacteur nucléaire de 1400 MW.

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L’arrêt provisoire de plusieurs réacteurs pour des contrôles exigés par l’Autorité desûreté nucléaire pourrait exposer la France à des risques d’approvisionnement enélectricité. Pour les détracteurs du nucléaire, ces mesures confirmeraient la nécessitéd’abandonner ce mode de production d’énergie, qui serait trop coûteux, peu sûr etinefficient. Alors, la sûreté nucléaire n’est-elle qu’un mythe ? Sylvestre Huet1, journaliste

scientifique, a interrogé, loin de tout dogmatisme, Pierre-Franck Chevet sur les décisions prises par l’organisme qu’il pré-side et démystifie pour nous les enjeux de sûreté dans la filière.

Interview parue le 25 novembre sur le blog {Sciences²} du site lemonde.fr, et publiée avec l’autorisation de son auteur, Sylvestre Huet.

action de l’Autorité desûreté nucléaire (ASN)est au cœur de la « crise

du jus ». Ses décisions récentesexigeant des vérifications surdes générateurs de vapeur équi-pant des centrales nucléairesvont en effet provoquer des arrêtsimprévus de production, au pointde mettre sous tension le sys-tème électrique français durantl’hiver. Comment l’ASN, érigéeen autorité administrative indé-pendante par la loi relative à latransparence et la sécurité enmatière nucléaire de 2006, vit-elle cette crise ? Quelles leçonsen tirer pour le contrôle de l’in-dustrie nucléaire française ?Autant de questions auxquellesa répondu Pierre-Franck Chevet,qui la préside depuis 2012, lorsd’un entretien au siège de l’ASNle 24 novembre 2016.

Sylvestre Huet : Vos décisionsrécentes imposant à EDF des arrêtsde réacteurs nucléaires pour des

opérations de vérifications in situde générateurs de vapeur vontentraîner des baisses de produc-tion importantes en plein cœur del’hiver. En cas de vague de froidcomme celles de de 2012 ou de

1987, cela pourrait exposer le sys-tème électrique au risque d’unepénurie de production, selon Réseaude transport d’électricité (RTE).Regrettez-vous vos décisions à cetégard ?Pierre-Franck Chevet : Non. Ce sontdes décisions qui concernent lasûreté et relèvent de notre mis-sion de protection des popula-tions contre un potentiel acci-dent, même si nous n’en sommespas là. Ces décisions s’impo-saient, elles étaient nécessairespour réaliser les contrôles desgénérateurs de vapeur concer-nés. Par ailleurs, nous sommesconscients des difficultés quecela entraîne pour l’approvision-nement en électricité. Noussommes en liaison étroite avecRTE, le responsable de l’équili-bre du réseau, pour qu’il puisse

faire ses anticipations de lamanière la plus réaliste possi-ble en fonction du calendrier del’instruction de ces sujets.S. Huet : Ces décisions vont pesera minima plusieurs centaines de

millions d’euros de pertes pour EDF.Cet élément a-t-il été pris en comptepar l’ASN ?P.-Fr. Chevet : Les décisions desûreté peuvent avoir des consé-quences financières importantes,mais il faut les assumer. D’ailleurs,la direction d’EDF qui a été for-mellement consultée lors de laprise de décision, selon les règlesétablies, nous a fait savoir qu’elles’engageait à arrêter de manièreanticipée les cinq réacteurs encoreen fonctionnement pour cesvérifications.

S. Huet : Votre sévérité s’explique-t-elle uniquement par des considé -rations techniques de sûreté ou ladécouverte de falsifications de PVde fabrication destinées à l’ASN –ou de décisions de poursuivre lesopérations malgré la constatation

d’anomalies – a-t-elle pesé dansvos décisions ?P.-Fr. Chevet : Ce sont deux ques-tions très séparées. D’un côté,nous avons un problème tech-nique : des teneurs en carbonetrop élevées dans l’acier de géné-rateurs de vapeur, une anoma-lie générique puisqu’elle concerneplusieurs réacteurs simultané-ment. Problème qui a conduit àla décision de vérifier ces pièces,si nécessaire en arrêtant des réac-teurs en fonctionnement. L’aciernormal, standard selon l’indus-trie elle-même, c’est 0,2 % decarbone. Sur la cuve de l’EPR deFlamanville, on a mesuré 0,3 %.J’avais qualifié cet écart d’« ano-malie sérieuse », ce qui m’a valuquelques noms d’oiseaux en pro-venance de gens visiblementbien renseignés sur le contenuprécis des dossiers des indus-triels. Lorsque le contrôle desgénérateurs de vapeur a com-mencé, nous avons trouvé desanomalies allant jusqu’à 0,4 %.Donc, il fallait vérifier les der-niers générateurs de vapeur ins-tallés dans les centrales nucléaires.D’un autre côté, nous avonsdécouvert des irrégularités dansdes dossiers de fabrication del’usine Creusot-Loire, voire desfalsifications de documents.

S. Huet : Ces pratiques sont illé-gales. Les avez-vous signalées àla justice ? Y aura-t-il un procès afin

Le gendarme du nucléaire doit savoir résister aux pressions

Ce sont des décisions qui concernent la sûreté etrelèvent de notre mission de protection des populationscontre un potentiel accident, même si nous n’en sommespas là. Ces décisions s’imposaient, elles étaientnécessaires pour réaliser les contrôles des générateursde vapeur concernés.

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

n SÛRETÉ NUCLÉAIRE

48 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

L’

Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire.

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d’établir les responsabilités per-sonnelles et d’entreprises en cause ?P.-Fr. Chevet : Oui, nous les avonssignalées dans la seconde quin-zaine d’octobre en applicationde l’article 40 du Code de pro-cédure pénale, qui en fait obli-gation à tout fonctionnaire dé -couvrant quelque chose quis’apparente à un acte illégal.Nous sommes en contact avecle procureur de Chalon pour le

tenir au courant de l’évolutiondu dossier. Ce sera à la justicede décider ce qu’il en est et s’ildoit y avoir procès.

S. Huet : Ces pratiques vous sem-blent-elles avoir été ignorées d’EDFet d’Areva, qui disposaient dereprésentants à l’usine de Creusot-Loire ? Et si oui, cette ignorance nemet-elle pas en cause les respon-sabilités légales du constructeur-réparateur Areva ?P.-Fr. Chevet : Je n’ai pas d’indica-tion que les directions d’EDF etd’Areva aient été au courant despratiques de la direction deCreusot-Loire sur ce point. MaisEDF est responsable de son four-nisseur Areva, et Areva est res-ponsable de son forgeron. Pourma part, je suis responsable ducontrôle. Or cette chaîne de res-ponsabilité et de contrôle a étéprise en défaut par ces pratiqueset falsifications. Il faut donc ana-lyser cela et l’améliorer. Nousavons engagé une réflexion internesur ce point. Dans quelques moisnous ferons des propositions.

S. Huet : Dans les critiques qui voussont opposées, il est souvent affir-mé que le contrôle que vous exerceza dérivé vers une bureaucratie, letraitement sur papier, alors qu’àl’époque de la construction du parcde réacteurs les inspecteurs duservice de contrôle des fabricationsd’EDF allaient en usine et connais-saient la métallurgie. Toutefois, lesfalsifications découvertes remon-tent jusqu’à cette époque…

P.-Fr. Chevet : Il se trouve que j’aiconnu cette époque-là. J’étais àla direction de l’ASN qui contrôleces équipements. J’ai entendudire que les anomalies de car-bone relevées sont uniquementformelles, on parle même d’« ano-malie réglementaire ». Mais si àcette époque elles avaient étérepérées, nous les aurions trai-tées comme aujourd’hui. Ce quia changé, au plan réglementaire,

c’est que nous avons demandédes mesures de ces taux de car-bone sur de nouveaux pointsdes pièces, avec des vérificationsplus nombreuses. Cette ano -malie n’est pas réglementaire,elle contrevient avant tout auxrègles de l’art métallurgique.Quant aux falsifications de docu-ments, moi-même je ne les aipas vues à l’époque, ce qui estlogique puisque leurs auteursles dissimulaient.

S. Huet : Quelles conclusions en tirez-vous sur les modes de contrôle ?P.-Fr. Chevet : Nous allons exa-miner ce qui se fait à l’étrangerde ce point de vue. J’ai en têteen tout premier lieu l’idée defaire réaliser certains essais etcontrôles lors de la productionpar des laboratoires distincts,agréés, et qui disposeront d’undouble de tous les documentsoriginaux.

S. Huet : EDF et Areva assurent queles écarts de fabrication au regardde la norme révisée – sur le pour-centage de carbone dans l’acierdes pièces – ne vont pas dépas -ser les marges de sécurité priseslors de la conception. Êtes-vousprêts à accepter un tel raisonnement,et donc à ne pas appliquer stricte-ment cette norme sur les équipementsen service ?P.-Fr. Chevet : Nous analysonsles argumentaires des indus-triels sur ce point. Les codes etla réglementation portent surl’obligation de faire « le maxi-

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

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Notre métier de gendarme du nucléaire c’est aussi de savoir résister aux pressions, d’où qu’elles viennent.

Schéma d’un générateur de vapeur (doc. ASN).

La production électrique française le 7 novembre 2016

s

PV falsifié à Creusot-Loire.

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mum possible » pour la qualitéde fabrication des pièces. Là,on sait qu’on est en deçà de cemaximum possible technique-ment. Si une marge de sécuritésubsiste, nous pouvons l’appré-cier pour voir si elle reste suffi-sante. S’il ne reste pas de marge,les équipements ne pourrontpas être utilisés.

S. Huet : Disposez-vous d’assezd’experts en métallurgie, à l’IRSN,l’l’Institut de radioprotection et desûreté nucléaire, et à l’ASN, pourêtre indépendants des industrielssur ce point ?P.-Fr. Chevet : Sur ce point d’ex-pertise, l’IRSN comme l’ASN dis-posent depuis longtemps d’ex-perts de très haut niveau, à raisonmême que les réacteurs concer-nés fonctionnent à très hautepression.

S. Huet : Ne faudrait-il pas réécrirecette norme, puisque certains expertsexpliquent qu’elle n’est ni réali sabledans les opérations de forgeage ninécessaire au regard des perfor -mances thermomécaniques deman -dées aux équipements ?P.-Fr. Chevet : Certains industrielssemblent y parvenir. Et cettenorme sur le carbone provientdes industriels eux-mêmes. Maisle point clé est que la vérifica-tion de cette norme n’était pasfaite en tous points, mais seule-ment sur ceux considérés commeles plus sensibles en termes defabrication.

S. Huet : Ces écarts aux normes defabrication concernent d’autresexploitants nucléaires à l’étranger,en particulier pour les clients dujaponais JCFC. Avez-vous déjà desréactions de vos homologues ?

P.-Fr. Chevet : Sur les deux sujets,cela peut concerner d’autrespays qui ont été informés rapi-dement via nos homologues encharge de la sûreté. Il leur fautidentifier les pièces suscepti-bles d’être concernées. Nousrestons en contact, une réunionavec les autorités américaineet japonaise est programmée àcourt terme, un séminaire inter-national sur ces points pour-rait également être organisédans les prochains mois.

S. Huet : Vous n’avez toujours obtenuque 30 des 200 postes supplé-mentaires que vous réclamez depuisdeux ans au moins pour l’IRSN etl’ASN, cette crise va-t-elle per met-tre de les créer ?P.-Fr. Chevet : J’ai entendu direque notre expression forte surles sujets dont nous venons de

parler serait liée à cette demande.Non, ce qui nous a conduits àdemander des moyens supplé-mentaires ce sont des enjeuxde long terme, comme la pro-longation de la durée de vie duparc de réacteurs ou les construc-tions neuves. Nous faisons faceà une intensification de nos acti-vités sur le moyen terme.

S. Huet : Dans cette crise, l’ASN,certes indépendante du gouverne-ment puisque vous êtes irrévoca-ble, a nécessairement entretenudes contacts avec lui. Avez-vousété soumis à des pressions ?P.-Fr. Chevet : Le gouvernementn’a pas été passif. En revanche,je n’ai pas senti de pressionssur mon jugement concernantla sûreté et mes décisions. Mêmesi j’ai bien sûr senti une cer-taine tension relative au pas-

n SÛRETÉ NUCLÉAIRE

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016

50 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

n feu vert cligno-tant. » C’est ainsique Pierre-Franck

Chevet, le président de ASN, aannoncé une décision concer-nant la crise ouverte par la décou-verte d’anomalies de fabrica-tion sur des générateurs devapeur installés sur dix-huitréacteurs d’EDF. Une crise carl’ASN avait décidé de réagir –avec une trop grande vigueuraux yeux de certains milieuxproches de l’industriel – en exi-geant des contrôles rapides surces équipements. Et si néces-saire en arrêtant la productionde certains réacteurs lorsqueles périodes prévues d’arrêtsprogrammés lui semblaient tropéloignées.La décision de l’ASN fait suiteà la remise par EDF de dossiersétudiant en détail les consé-

quences des découvertes : cer-tains générateurs de vapeur,surtout ceux fabriqués au Japonpar la société JCFC, présententen certains points des teneursen carbone allant jusqu’à 0,39 %,contre les 0,22 % que cet acierdoit afficher. Pour s’assurer deces teneurs avec précision, EDFa fait réaliser de nombreusesmesures in situ : en faisant s’éva-porer des minuscules quanti-tés d’acier et en mesurant le carbone dans le gaz émis ; enprélevant de non moins minus-cules copeaux d’acier pour desanalyses encore plus précises ;en vérifiant l’absence de défautsdans l’acier d’une taille supé-rieure à ceux qui sont pris encompte dans les codes de cal-culs pour s’assurer qu’ils nepourraient pas être à l’origined’une fissure se propageant sous

l’effet d’un choc thermique.Une fois précisé les teneurs etvérifiée l’absence de défauts, lescodes de calculs ont été soumisaux ordinateurs pour vérifier quela ténacité de l’acier – sa capa-cité à résister à un choc ther-mique – était toujours conformeaux attentes malgré cet écart defabrication. C’est ce qui a, pourl’essentiel, été fait.Tous les dossiers et calculs d’EDFont été vérifiés par les équipesde l’Institut de radioprotectionet de sûreté nucléaire, expliqueson directeur, Jean-ChristopheNiel. Lequel n’a pas manqué desouligner que l’expertise métal-lurgique et en matière de codede calcul de ses ingénieurs les aconduits à faire quelquesremarques à EDF, soulignant iciet là des lacunes et des calculsà compléter.

GÉNÉRATEURS APTES AU SERVICEL’avis de l’IRSN, en conclusion,est que les générateurs de vapeursont aptes au service ; ça, c’estpour le feu vert. Mais sous cer-taines conditions : vérifier queles détails de chaque générateurentrent bien dans la démons-tration faite pour l’ensemble, etque les pratiques d’exploitation– comme la vitesse de refroidis-

Feu vert sous conditions pour les réacteurs d’EDF

ÉPILOGUE

«ULa centrale nucléaire de Cattenom (EDF).

s

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Progressistes

sage de l’hiver pour l’approvi-sionnement en électricité, cequi est normal au regard desresponsabilités du gouverne-ment. Notre métier de gen-darme du nucléaire c’est ausside savoir résister aux pressions,d’où qu’elles viennent.

S. Huet : Cette crise vous semble-t-elle susceptible de provoquer uneréflexion dans les milieux politiquessur la nécessité d’un système élec-trique plus résilient devant un telproblème ?P.-Fr. Chevet : Nous avions sou-ligné, il y a deux ans, la néces-sité de donner plus de margesau système électrique, par laproduction comme par laconsommation. Cette crise lemontre à nouveau. Mais unemauvaise interprétation seraitd’y voir une critique de la stan-

dardisation du parc de réac-teurs nucléaires. Cette standar-disation est plutôt un avantagepour la sûreté, mais elle sup-pose que le système électriquedispose de marges pour faireface à un problème générique.

S. Huet : Mediapart a exposé lesproblèmes que vous avez avec unde vos inspecteurs du travail àFlamanville, qui estime être entravédans son activité de contrôle du droitdu travail sur le chantier de l’EPRpar la direction locale et la directiongénérale. Que se passe-t-il ?P.-Fr. Chevet : Nous n’avons passouhaité nous exprimer publi-quement sur le sujet. Non parpudeur, mais parce que nousdevons aussi protéger cette per-sonne. L’article de Mediapartnous accuse de complaisancevis-à-vis d’EDF… Je ne suis pas

certain que la période actuelleet tout ce dont nous venons deparler accrédite l’idée d’uneASN « complaisante ». Les ins-pecteurs de l’ASN ont très bientraité la question du droit dutravail sur le chantier de l’EPR.Le résultat est là, puisque les

manquements et fautes ontdonné lieu à plainte et procès. n

1. Cette interview, avec le texte quil’accompagne, a été publiée dans le blog {Science2}, de Sylvestre Huet, blog hébergé par le Monde(http//:huet.blog.lemonde.fr).

sement d’un réacteur – serontamendées pour réduire au mini-mum les chocs thermiques ; cela,c’est pour le clignotant. Car ilfaudra que cette décision géné-rique se traduise par une auto-risation de redémarrage pourchacun des sept réacteurs concer-nés. « La procédure habituelle »,souligne Pierre-Franck Chevet,puisque cette autorisation estrequise quelle que soit la causede l’arrêt.

En outre, il reste cinq réacteursà contrôler – Fessenheim 1,Tricastin 2, Gravelines 4, Saint-Laurent B1, Civaux 1 – lorsqu’ilsseront arrêtés à cet effet, mêmesi personne ne s’attend à ladécouverte d’anomalies diffé-rentes. Du coup, EDF a tentéun coup pour essayer d’atté-nuer la menace d’une pénurieau cœur de l’hiver, en deman-dant à l’ASN d’allonger d’unmois et demi le délai pour réa-liser les mesures sur ces cinqréacteurs actuellement en fonc-tionnement. Prudent, Pierre-Franck Chevet s’est contentéd’affirmer qu’il « vient de rece-voir le dossier de demande », etdonc n’a pas encore d’avis surla question.Le système de contrôle du risquenucléaire a en tout cas démon-tré une nouvelle fois sa force etsa détermination, non sans sou-lever des protestations dans lesmilieux pronucléaires, quijugeaient que ses décisions étaientinjustifiées. Autre notation inté-ressante : le couple Chevet-Nielfonctionne fort bien, chacun

dans son rôle – décisionnairemais aussi expert pour l’ASN,expertise forte et indépendantepour l’IRSN – dans une coopé-ration sans domination etexempte des tiraillements pro-voqués par les fortes personna-lités des prédécesseurs à la têtedes deux institutions.

VERS UN EFFET SALUTAIRE ?Cette crise pourrait avoir un effetsalutaire dans la mesure où ellepousserait à prendre en comptetous les paramètres de la pro-duction et de la consommation,ainsi que les aléas climatiques,et d’en tirer les leçons. En effet,en novembre 2016, la mise à l’ar-rêt de nombreux réacteurs aumoment où les températurescommençaient à chuter, entraî-nant l’augmentation des consom-mations d’électricité en raisondu chauffage, a mis sous tensionle système électrique. Ainsi, pen-dant près de trois semaines, laFrance a dû régulièrement impor-ter de l’électricité, jusqu’à plusde 6 000 MW. Un avant-goûtd’une crise potentielle plus grave,

qui surviendrait en cas de vaguede froid, et qui va planer commeune menace au moins jusqu’àmi-janvier 2017 ? La journée du30 novembre 2016, par exem-ple, fut tendue malgré un parcde centrales à gaz et à charbonsollicité presque à son maximum(3000 pour le charbon, près de11000 pour le gaz). Un exemplequi montre par ailleurs que l’ap-port de l’éolien et du solairedemeure dépendant de l’heureet de la météo, ce jour-là assezdéfavorable.Cette tension s’est répercutéesur le marché électrique euro-péen. La moindre disponibilitédes centrales françaises a pro-voqué des pics de prix sur le mar-ché « spot » allant jusqu’à prèsde 800 € le mégawattheure à lapointe du soir en Grande-Bretagne. Et fin novembre lesBritanniques affichaient encore343 €un lundi à 18 heures. Maistout l’argent du monde ne peutacheter une électricité non produite… n

SYLVESTRE HUET

Opération de remplacement d’un générateur de vapeur.

(EDF).

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NOUVEAUX TARIFS (voir p. 7)

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