lymphome malin non-hodgkinien testiculaire bilatéral

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Ann Urol 2002 ; 36 : 217-22 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-4401(02)00102-X/FLA Organes génitaux externes Lymphome malin non-Hodgkinien testiculaire bilatéral Abdellatif Benchekroun , Hassan Jira, Elhassan Kasmaoui, Mohamed Zannoud, Zakaria Belahnech, Mohamed Faik Service d’Urologie « A », Hôpital Ibn Sina, Rabat, Maroc RÉSUMÉ Les lymphomes malins non-Hodgkiniens (LMNH) testi- culaires du sujet jeune sont rares. L’atteinte testiculaire bilatérale se voit dans 5 à 20 % des cas et elle est de mau- vais pronostic. Les auteurs rapportent une observation de LMNH testiculaire bilatéral chez un patient de 35 ans. Le patient est décédé au bout de six mois après le diagnostic. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bilatéral / LMNH / testicule ABSTRACT Bilateral non-Hodgkin’s lymphoma of the testis. Non Hodgkin’s lymphoma (NHL) of the testis in young patient are rare. Bilateral involvement varies from 5 to 20% of cases and has a negative prognosis. The authors report a case of bilateral non Hodgkin’s lymphoma of the testis in a 35 year old man. The patient died six months after the diagnosis. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bilateral / NHL / testis 1. INTRODUCTION Les lymphomes malins non-Hodgkiniens (LMNH) de l’appareil urogénital sont secondaires dans plus de 90 % des cas [1, 4]. Le type B est la forme histo- logique la plus fréquente. Les lymphomes primitifs du testicule chez l’homme jeune sont rares et réputés de mauvais pronostic [2]. Les deux testicules peu- vent être atteints simultanément de façon synchrone ou asynchrone. Correspondance et tirés à part. Nous rapportons une observation de LMNH testi- culaire bilatéral chez un patient de 35 ans avec une revue de la littérature. 2. OBSERVATION Mr. G. Ali. . . , âgé de 35 ans, marié, père de deux enfants, sans antécédents pathologiques notables, admis au service pour grosses bourses aiguës fé- briles. Sa symptomatologie remontait à deux mois auparavant par l’apparition de douleurs testiculaires bilatérales, associées à une baisse de l’état général avec asthénie et amaigrissement estimé à 8 kg. À l’examen clinique, on trouve un patient fébrile à 38 . Le scrotum est tendu avec de gros testicules d’allure tumorale (Fig. 1). L’abdomen est souple sans masse palpable, les aires ganglionnaires sont libres. La face antérieure de la jambe gauche est le siège d’un nodule sous cutané rougeâtre. L’échographie abdominale et la radiographie pul- monaire sont normales ; alors que l’échographie scrotale révèle deux gros testicules d’échostructure hétérogène présentant de multiples zones hypoécho- gènes et mesurant 16 × 7 × 6 cm à gauche et 14 × 6 × 6 cm à droite. La TDM thoraco-abdominale est nor- male. La numération de la formule sanguine mon- trait une hyper leucocytose à 11 400 éléments/mm 3 , avec 17 % de lymphocytes. Les marqueurs tumoraux (Alphafoetoprotéine, BHCG et Antigène carcino- embryonnaire) sont normaux. Une exploration chirurgicale a été faite par voie inguinale gauche, le testicule gauche est tumoral,

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Page 1: Lymphome malin non-Hodgkinien testiculaire bilatéral

Ann Urol 2002 ; 36 : 217-22 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003-4401(02)00102-X/FLA

Organes génitaux externes

Lymphome malin non-Hodgkinien testiculaire bilatéral

Abdellatif Benchekroun∗, Hassan Jira, Elhassan Kasmaoui, Mohamed Zannoud,Zakaria Belahnech, Mohamed Faik

Service d’Urologie « A », Hôpital Ibn Sina, Rabat, Maroc

RÉSUMÉLes lymphomes malins non-Hodgkiniens (LMNH) testi-culaires du sujet jeune sont rares. L’atteinte testiculairebilatérale se voit dans 5 à 20 % des cas et elle est de mau-vais pronostic. Les auteurs rapportent une observation deLMNH testiculaire bilatéral chez un patient de 35 ans. Lepatient est décédé au bout de six mois après le diagnostic. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

bilatéral / LMNH / testicule

ABSTRACTBilateral non-Hodgkin’s lymphoma of the testis.Non Hodgkin’s lymphoma (NHL) of the testis in youngpatient are rare. Bilateral involvement varies from 5 to 20%of cases and has a negative prognosis. The authors reporta case of bilateral non Hodgkin’s lymphoma of the testisin a 35 year old man. The patient died six months afterthe diagnosis. 2002 Éditions scientifiques et médicalesElsevier SAS

bilateral / NHL / testis

1. INTRODUCTION

Les lymphomes malins non-Hodgkiniens (LMNH)de l’appareil urogénital sont secondaires dans plusde 90 % des cas [1, 4]. Le type B est la forme histo-logique la plus fréquente. Les lymphomes primitifsdu testicule chez l’homme jeune sont rares et réputésde mauvais pronostic [2]. Les deux testicules peu-vent être atteints simultanément de façon synchroneou asynchrone.

∗ Correspondance et tirés à part.

Nous rapportons une observation de LMNH testi-culaire bilatéral chez un patient de 35 ans avec unerevue de la littérature.

2. OBSERVATION

Mr. G. Ali. . . , âgé de 35 ans, marié, père de deuxenfants, sans antécédents pathologiques notables,admis au service pour grosses bourses aiguës fé-briles. Sa symptomatologie remontait à deux moisauparavant par l’apparition de douleurs testiculairesbilatérales, associées à une baisse de l’état généralavec asthénie et amaigrissement estimé à 8 kg.

À l’examen clinique, on trouve un patient fébrileà 38◦. Le scrotum est tendu avec de gros testiculesd’allure tumorale (Fig. 1). L’abdomen est souplesans masse palpable, les aires ganglionnaires sontlibres. La face antérieure de la jambe gauche est lesiège d’un nodule sous cutané rougeâtre.

L’échographie abdominale et la radiographie pul-monaire sont normales ; alors que l’échographiescrotale révèle deux gros testicules d’échostructurehétérogène présentant de multiples zones hypoécho-gènes et mesurant 16×7×6 cm à gauche et 14×6×6 cm à droite. La TDM thoraco-abdominale est nor-male. La numération de la formule sanguine mon-trait une hyper leucocytose à 11 400 éléments/mm3,avec 17 % de lymphocytes. Les marqueurs tumoraux(Alphafoetoprotéine, BHCG et Antigène carcino-embryonnaire) sont normaux.

Une exploration chirurgicale a été faite par voieinguinale gauche, le testicule gauche est tumoral,

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218 A. Benchekroun et al.

Figure 1. Photographie montrant deux grosses bourses avec un scrotum tendu.

necrotico-hemorragique, envahissant la peau scro-tale et les corps caverneux. L’examen extemporanéa révélé un processus malin. Une orchidectomie bi-latérale avec exérèse du nodule sous cutané de lajambe ont été réalisées. Les pièces d’orchidectomiedroite et gauche pèsent respectivement 230 et 240 g.

À la coupe, on observe une tumeur d’aspect hété-rogène avec des zones blanchâtres, de couleur blancgrisâtre et de consistance molle, ainsi que des zoneshémorragiques d’allure nécrotique sans structurestesticulaires résiduelles visibles (Fig. 2). Cette tu-meur est manifestement maligne se caractérisant parune nappe cellulaire diffuse faite d’éléments lym-phomateux à cytoplasme peu abondant, basophileset mal délimités. Les noyaux sont augmentés de vo-lume, arrondis ou ovalaires, hyper chromatiques etmacro voire plurinucléolés. Les mitoses sont nom-breuses. Il existe une discrète flexion plasmocytaire(Fig. 3). Ces cellules expriment fortement l’anti-gène LAC (CD45) et partiellement l’antigène PANB (CD20) (Fig. 4). Les cordons spermatiques sontsains. Cet aspect histologique correspond au lym-

phome malin à grandes cellules de type centrofol-liculaire grade 2.

L’examen histologique de la biopsie cutanée mon-tre la même forme du lymphome qu’au niveau dutesticule.

Le patient est décédé au bout de six mois dansun tableau de cachexie et d’infiltration cutanéeaprès avoir reçu trois cycles de chimiothérapie àbase de méthotrexate, doxorubicine, vincristine etprednisone.

3. DISCUSSION

Le LMNH du testicule est une tumeur relativementrare. Il représente 1 à 9 % de l’ensemble des tumeursmalignes du testicule [1, 2, 4]. C’est la tumeurtesticulaire maligne la plus fréquente des tumeursnon germinales chez le sujet âgé de plus de 50ans [4]. Il reste rare chez l’homme jeune ou ilne constitue que moins de 2 % de l’ensemble destumeurs testiculaires [2]. Des cas sporadiques ont étérapportés chez l’enfant [11]. L’incidence de l’atteinteprimitive bilatérale varie entre 5 et 20 % [4].

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Figure 2. Coupe de la pièce opératoire montrant une tumeur hétérogène, nécrotico-hémorragique blanc-grisâtre, sans structurestesticulaires individualisables.

Les états immunodépressifs (Sida, traitements im-munosuppresseur, tuberculose, etc.) constituent desfacteurs favorisants [1, 11]. Certains patients ont desantécédents de pathologies scrotales telle que le trau-matisme ou l’infection [15]. Nonumura [19] a mon-tré dans une étude immunohistologique, qu’aucunchangement inflammatoire chronique testiculaire n’aété retrouvé comme facteur étiologique de l’atteintelymphomateuse testiculaire. La majorité des lym-phomes de l’adulte sont associée à un réarrangementdu gène bcl2 produit par la translocation chromoso-mique t(14 ; 18) (q32 ; q21). Il en résulte une hyperexpression de la protéine bcl2 dont la conséquenceest une inhibition de l’apoptose aboutissant à l’accu-mulation des cellules et à la formation tumorale [18].

La présentation clinique est celle d’une augmen-tation indolore du volume testiculaire qui se fait àbas bruit [1]. Cependant, certains symptomes nonspécifiques tels que l’amaigrissement, l’anorexie, lafièvre et la faiblesse ; sont indicatifs de la nature sys-témique de cette pathologie. Les patients présentantces signes généraux ont des formes agressives [1].

Les lymphomes du testicule envahissent locale-ment les structures adjacentes (épididyme, reté testiset cordon) ; les ganglions régionaux des chaînes ré-tropéritonéales et entrainent des métastases dans dessites extraganglionnaires particuliers (SNC, peau ettissus mous, poumons et anneau de waldeyer). Alt-man et Winkelmann [16] ont rapporté que 36 % deleurs patients porteurs de LMNH testiculaire, avaientune atteinte cutanée. Celle ci est souvent associée àun mauvais pronostic. Notre patientprésente une forme agressive comme en témoigne,la masse tumorale testiculaire importante, les signesgénéraux, l’envahissement des corps caverneux et laprésence de l’atteinte cutanée au moment du diag-nostic.

Dans les formes bilatérales, l’atteinte symétriquedes deux gonades représente environ le tiers desLMNH testiculaires [15]. Cette atteinte peut êtresynchrone ou asynchrone [1, 7]. Cette dernière estplus fréquente et apparaît quelques mois à quelquesannées après l’orchidectomie controlatérale [1]. Ledeuxième testicule peut être atteint par une autre

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Figure 3. Histologie : (G× 400). Nappe cellulaire diffuse faite d’éléments lymphomateux aux noyaux volumineux, hyperchromatiqueset macronucléolés avec une discrète inflexion plasmocytaire.

forme histologique du LMNH. Notre patient pré-sente une atteinte bilatérale et synchrone, car lesdeux testicules sont infiltrés de la même façon etpar le même type histologique de lymphome. Notonsl’envahissement contigu de la peau scrotale et descorps caverneux qui est rarement décrit [12]. La plu-part des lymphomes testiculaires (90 %) sont de typeB à grande cellules de haut grade de malignité ou àcellules intermédiaires [3, 4]. Deux cas de LMNHtype T ont été décrits récemment [5, 13]. Ce type delymphome est souvent associé avec le virus d’Ep-stein Bar et a tendance à la dissémination précoce[5].

Le LMNH testiculaire est la seule localisationlymphomateuse uro-génitale qui relève de la chirur-gie d’exérèse [1 – 3]. L’orchidectomie permet d’ob-tenir le diagnostic, surtout lorsque l’atteinte estprimitive par une analyse anatomopathologique op-timale ; et elle constitue également une composanteessentielle du traitement car le testicule est peu ac-cessible à la chimiothérapie et représente un sitefréquent de rechute. L’orchidectomie seule n’est pas

recommandée même dans les stades localisés de lamaladie [4] du fait de la présence de métastases oc-cultes.

Le traitement repose actuellement sur une polychimiothérapie à base d’anthracyclines [8, 14] dontles indications dépendent du stade évolutif. Cettechimiothérapie adjuvante peut être associée ou nonà une radiothérapie [3]. Chez les sujets jeunes por-teurs d’un lymphome localisé (stade I.E.) de hautgrade, certains auteurs [2, 4] conseillent une polychimiothérapie agressive de courte durée incluant leméthotrexate ou la doxorubicine. Les résultats de laradiothérapie pelvienne et lomboaortique sont déce-vants (70 % de rechutes) pour une tumeur présuméeradio sensible [14].

Le pronostic du LMNH est pauvre avec 15 % à50 % de survie à 5 ans [1, 3, 4, 14] et ce malgréune polychimiothérpie. Les facteurs de gravité sontceux des localisations extra ganglionnaires des lym-phomes : âge supérieur à 60 ans, masse tumorale> 10 cm, stade III et IV d’Ann Arbor, taux élevéde LDH et deβ2 microglobuline [2, 14].

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Figure 4. Immunohistochimie : les cellules expriment fortement l’antigène LAC (CD45) et partiellement l’antigène PAN B (CD20).

4. CONCLUSION

Les LMNH testiculaires bilatéraux du sujet jeunesont rares. Les signes généraux et l’atteinte cuta-née représentent des signes de mauvais pronostic. Letraitement repose sur l’orchidectomie et la chimio-thérapie adjuvante. La survie à cinq ans dépend dustade et du type histologique.

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