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Vaincre la crise alimentaire mondiale 2017 ⁄ Édition 10 e Anniversaire L’OBSERVATOIRE DU DROIT À L’ALIMENTATION ET À LA NUTRITION

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    2017

    Vaincre la crise alimentaire mondiale2017 dition 10e Anniversaire

    LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION

  • DITION

    La crise alimentaire mondiale et le droit l'alimentation*

    Qui contrle la gouvernance du systme alimentaire mondial ?

    Laccaparement de terres et la nutrition. Dfis pour la gouvernance mondiale

    Revendiquer les droits humains. Le dfi de la responsabilisation

    Qui dcide des questions d'alimentation et de nutrition l'chelle mondiale ?

    Les stratgies pour reprendre le contrle

    Alternatives et rsistance aux politiques gnrant la faim

    Retour sur les succs, les proccupations et les luttes l'occasion des dix ans

    des Directives sur le droit l'alimentation

    La nutrition des peuples nest pas un business

    Conserver les semences entre les mains des peuples

    Vaincre la crise alimentaire mondiale

    * En anglais seulement

    ANNE

    2008

    2009

    2010

    2011

    2012

    2013

    2014

    2015

    2016

    2017

    UNE DCENNIE DE LOBSERVATOIRE

    DU DROIT LALIMENTATION ET

    LA NUTRITION

  • CARTE DU MONDELA COUVERTURE GOGRAPHIQUE DE LOBSERVATOIRE SUR LA PRIODE 2008-2017

    Couverts dans les ditions prcdentes Couverts en 2017

  • 3

    CARTE DU MONDELA COUVERTURE GOGRAPHIQUE DE LOBSERVATOIRE SUR LA PRIODE 2008-2017

    AFRIQUEBninBurkina FasoCamerounGhanaGuineKenyaMalaisieMaliMozambiqueNigerSao Tom-et-PrincipeSomalilandSoudan du SudTanzanieTogoOugandaZambieZanzibarZimbabwe

    MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORDgypteBande de GazaSyrieSahara occidentalYmen

    AMRIQUES ArgentineBolivieBrsilColombiequateurGuatemalaHatiHondurasMexiqueNicaraguaParaguaytats-Unis

    ASIABangladeshCambodgeChineIndeIndonsieMalaysiaMongolieMyanmarNpal PakistanPhilippines

    EUROPEBelgiqueFranceAllemagneItalieNorvgeEspagneSude SuisseUkraine

    Depuis le lancement de la premire dition en 2008, l'Observatoire du droit l'alimentation et la nutrition a non seulement mis laccent sur les processus mondiaux, mais galement retrac les volutions importantes au niveau local, national et rgional, dcrivant comment les mouvements sociaux et la socit civile sorganisent, rsistent et se mobilisent pour un monde o le droit humain une alimentation et une nutrition adquates peut devenir une ralit pour toutes et tous.

    Fait incroyable, lors de cette dcennie, ces articles ont couvert prs de soixante pays, rgions autonomes et territoires travers le monde, reprsentant environ deux tiers de la population mondiale. Vingt autres articles ont analys les progrs et les dfis au niveau rgional, y compris en Amrique latine, dans l'Union europenne, en Afrique de l'Ouest et en Asie du Sud-Est.

    Au cours des dix prochaines annes, notre objectif est de continuer partager les rcits et les stratgies de mobilisation des peuples dans bien dautres pays et territoires travers le monde.

    Pays, rgions autonomes et territoires couverts sur la priode 2008-2017

    Vaincre la crise alimentaire mondiale

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 4

    LObservatoire du droit lalimentation et la nutrition est publi par un consortium compos de 26 organisations de la socit civile et mouvements sociaux. Il est aussi la publication phare du Rseau mondial pour le droit l'alimentation et la nutrition.

    CONSORTIUM DE LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017

    RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

    FIAN International Allemagne

    Organisation inter-glises de coopration au dveloppement (ICCO Coopration)Pays-Bas

    Pain pour le Monde Service protestant de dveloppement Allemagne

    MEMBRES

    Alliance mondiale des peuples autochtones mobiles (WAMIP)Inde

    Biowatch South AfricaAfrique du Sud

    Centro Internazionale CroceviaItalie

    Coalition internationale pour lhabitat (HIC)gypte

    Conseil international des traits indiens (CITI)tats-Unis

    Conseil cumnique des glises Alliance cumnique Agir Ensemble (COE-EAA)Suisse

    DanChurchAid (DCA)Danemark

    DejusticiaColombie

    HEKS/EPER (Entraide protestante suisse)Suisse

    Mouvement Populaire pour la Sant (PHM)Afrique du Sud

    Observatori DESC (Droits conomiques, sociaux et culturels)Espagne

    Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)Suisse

    Pakistan Fisherfolk Forum (PFF)Pakistan

    Plataforma interamericana de derechos humanos, democracia y desarrollo (PIDHDD)quateur

    REDSAN-CPLP (Rseau rgional de la socit civile pour la scurit alimentaire et nutritionnelle de la Communaut des pays de langue portugaise) Portugal

    Rseau africain pour le droit lalimentation (RAPDA) Bnin

    Rseau daction international des groupes daction pour lalimentation infantile (IBFAN)Suisse

    Right to Food CampaignInde

    Society for International Development (SID)Italie

    Terra Nuova Italie

    URGENCIFrance

    US Food Sovereignty Alliance (USFSA)tats-Unis

    World Alliance for Breastfeeding Action (WABA)Malaisie

    IMPRESSUM

    http://www.fian.org/fr/notre-travail/themes/monitoringreddition-des-comptes/le-reseau-mondial-pour-le-droit-a-lalimentation-et-a-la-nutrition/http://www.icco-cooperation.org/http://www.icco-cooperation.org/https://www.brot-fuer-die-welt.de/fr/pain-pour-le-monde/http://www.wamipglobal.org/http://www.wamipglobal.org/http://www.biowatch.org.za/http://www.croceviaterra.it/http://www.hlrn.org/french/index.php#.WWzSfYjyi00http://www.e-alliance.ch/fr/s/index.htmlhttp://www.e-alliance.ch/fr/s/index.htmlhttp://olarp.org.np/wp-content/uploads/2017/02/IPs-and-Land-tenurepractice_Contemprorary-Debate-and-Issues_A-Policy-Brief_COLARP_ILC_NES_Nepal2.pdfhttp://www.danchurchaid.org/http://www.dejusticia.org/https://www.eper.ch/http://www.phmovement.org/frhttp://observatoridesc.org/frhttp://observatoridesc.org/frhttp://www.omct.org/fr/http://www.pff.org.pk/http://www.pidhdd.org/http://www.pidhdd.org/dlc.dlib.indiana.edu/dlc/handle/10535/3837http://www.redsan-cplp.org/http://www.redsan-cplp.org/http://www.redsan-cplp.org/http://www.ibfan.org/http://www.ibfan.org/http://www.ibfan.org/http://www.righttofoodcampaign.in/http://www.sidint.net/http://www.terranuova.org/https://urgenci.net/french/http://www.usfoodsovereigntyalliance.org/http://www.waba.org.my/

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 5

    SEPTEMBRE 2017

    Conseil ditorial :Antonio Onorati, Centro Internazionale Crocevia Bernhard Walter, Pain pour le Monde Service protestant de dveloppement Emily Mattheisen, FIAN International Karine Peschard, Institut de Hautes tudes Internationales et du Dveloppement Manigueuigdinapi Jorge Stanley Icaza, Conseil international des traits indiens (CITI) Marcos Arana Cedeo, Rseau international des groupes daction pour lalimentation infantile (IBFAN) Nora McKeon, Collge universitaire international de Turin, Universit de Rome III et Terra Nuova Priscilla Claeys, Universit de Coventry et FIAN Belgique Stefano Prato, Society for International Development (SID)

    Coordination du projet :M. Alejandra Morena, FIAN International

    [email protected]

    Assistance au projet :Felipe Bley Folly, FIAN International

    [email protected]

    Traduction de langlais et de lespagnol vers le franais :Audrey Mouysset

    Relecture :Marie Delumeau

    Photographie de couverture :Photo de Krishnasis Ghosh. Cette photo a t prsente au concours photo de Bioversity International sur le thme les femmes et la biodiversit agricole .

    Mise en page :KontextKommunikation, Heidelberg/Berlin, Allemagne

    www.kontext-kom.de

    Impression : LokayDRUCK, Allemagne, sur papier certifi FSC

    Financ par :

    Direction du dveloppement et de la coopration (DDC-Suisse)

    FIAN International

    Hands on the Land for Food Sovereignty (HotL4FS)

    HEKS/EPER (Entraide protestante suisse)

    MISEREOR

    Pain pour le Monde Service protestant de dveloppement

    Cette publication a t ralise avec laide financire de la Commission europenne. Les articles quelle contient engagent la seule responsabilit de leurs auteurs et ne peuvent aucunement tre considrs comme refltant le point de vue de la Commission europenne. Le contenu de ce rapport peut tre cit ou reproduit condition que la source de linformation soit explicitement mentionne. Les organisations responsables de la publication souhaiteraient recevoir une copie des documents qui citent ou utilisent ce rapport. Tous les liens Internet cits dans cette publication ont t consults pour la dernire fois en juillet/aot 2017.

    Plus dinformations sur le site web de lObservatoire du droit lalimen-tation et la nutrition : www.righttofoodandnutrition.org/fr/content/observatoire

    Rejoignez-nous sur Facebook : www.facebook.com/RtFNWatch

    Suivez lactualit de lObservatoire via Twitter : #RtFNWatch

    ISBN :978-3-943202-39-7

    http://www.kontext-kom.dehttps://www.eda.admin.ch/deza/fr/home.htmlhttp://www.fian.orghttp://www.handsontheland.net/https://www.eper.ch/http://www.misereor.de/https://www.brot-fuer-die-welt.de/fr/pain-pour-le-monde/https://twitter.com/search?q=%23RtFNWatch&src=typd

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 6

    TABLE DES MATIRESPrface 8

    Introduction 12

    01 GROS-PLAN Dix ans aprs la crise alimentaire mondiale : relever le dfi du droit lalimentation 18 Sophia Murphy et Christina M. Schiavoni

    ENCADR 1.1 Brsil : entre tat de dnutrition politique et non-respect du droit lalimentation Srgio Sauer

    02 chos du terrain : les luttes sociales des peuples, antidote la crise des droits humains 32 Felipe Bley Folly, Andrea Nuila, Emily Mattheisen et Daniel Fyfe

    03 De lapproche marchande la centralit de la vie : un changement urgent pour les femmes 40 Marta Rivera et Isabel lvarez

    ENCADR 3.1 Les luttes des femmes en faveur de la souverainet alimentaire en Afrique : tmoignages de rsistances Connie Nawaigo-Zhuwarara

    04 Les luttes et les dfis inhrents la construction de nouveaux systmes agroalimentaires 48 Isabel lvarez

    ENCADR 4.1 Le mouvement des coopratives laitires au Somaliland, ou la reconqute de la souverainet alimentaire par les pastoralistes Fred Wesonga et Haileselassie Ghebremariam

    05 Les communs et les pratiques sociales communes : un argumentaire la fois ancien et nouveau pour 56 enrichir les revendications en faveur de la souverainet alimentaire et du droit lalimentation Tomaso Ferrando et Jose Luis Vivero-Pol

    ENCADR 5.1 La gouvernance responsable des rgimes fonciers applicables aux ressources naturelles : un tremplin vers la concrtisation du droit lalimentation et la souverainet alimentaire au Npal Katie Anne Whiddon et FIAN Npal

    ENCADR 5.2 Le moment est venu de changer la gouvernance foncire en Europe ! Attila Szcs-Boruss Mikls, Antonio Onorati, Federico Pacheco, Ivan Mammana et Giulia Simula

    ACRONYMESADPIC Accord sur les aspects des droits de proprit intellectuelle qui touchent au commerce

    ALNA Accord de libre-change nord-amricain

    ASEAN Association des Nations dAsie du Sud-Est

    BCAH Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies

    CDH Conseil des droits de lHomme des Nations Unies

    CSA Comit de la scurit alimentaire mondiale des Nations Unies

    ECVC Coordination europenne Via Campesina

    FAO Organisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture

    FIDA Fonds international de dveloppement agricole

    MSC Mcanisme de la socit civile pour les relations avec le Comit de la scurit alimentaire des Nations Unies

    OGM Organisme gntiquement modifi

    OIT Organisation internationale du travail

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 7

    06 Face la crise climatique, les peuples ont les solutions 72 Lyda Fernanda Forero et Martn Drago

    07 Les trois mga-fusions de lagroindustrie : larrt de mort de la souverainet des agricultrices et des agriculteurs ? 78 Mariam Mayet et Stephen Greenberg

    ENCADR 7.1 La lutte en faveur de la souverainet alimentaire fait souffler un vent nouveau sur une Argentine ravage par les pandages et les aliments malsains Marcos Ezequiel Filardi

    ENCADR 7.2 Lactalis, logre qui sasseyait sur les droits des paysannes et des paysans Victor Pereira et Federica Sperti

    08 Agir sur liniquit structurelle : les rgles du commerce international et leur impact sur la scurit 88 alimentaire et nutritionnelle Biraj Patnaik

    ENCADR 8.1 Lexprience de lIndonsie : les paysan-ne-s et la souverainet alimentaire, proies dun accord commercial Rachmi Hertanti

    09 Situations durgence : le droit lalimentation et la nutrition sur la bonne voie ? 94 Frdric Mousseau

    ENCADR 9.1 Protection des droits des enfants lalimentation et la nutrition dans les situations durgence : priorit aux solutions locales Marcos Arana Cedeo

    ENCADR 9.2 La violation collective du droit lalimentation au Ymen Martha Mundy

    ENCADR 9.3 Souverainet alimentaire et droit lalimentation dans les situations durgence en Hati Franck Saint Jean et Andrvil Isma

    10 Les pistes pour aller de lavant 112 Perspectives des mouvements sociaux et de la socit civile

    ACRONYMESOMC Organisation mondiale du commerce

    ONG Organisation non gouvernementale

    ONU Organisation des Nations Unies

    OSC Organisation de la socit civile

    PAM Programme alimentaire mondial

    PE Parlement europen

    PNUD Programme des Nations Unies pour le dveloppement

    SUN Initiative pour le renforcement de la nutrition

    TPP Accord de partenariat transpacifique

    UE Union europenne

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 8

    PRFACE

    Ctait le meilleur et le pire des temps, le sicle de la sagesse et de la folie, lre de la foi et de lincrdulit, la saison de la lumire et des tnbres,

    le printemps de lesprance et lhiver du dsespoir

    Un conte de deux villes, Charles Dickens

    Dix ans se sont couls depuis la crise des prix des denres alimentaires de 2007-2008, qualifie de tournant par de nombreuses personnes. ce moment-l, les cours internationaux de tous les principaux produits alimentaires de base atteignirent leur niveau le plus lev en prs de trente ans, portant le nombre de personnes souffrant de la faim un milliard et affaiblissant le droit humain une alimentation et une nutrition adquates de beaucoup dautres. Tout en semparant de ce tournant politique et du lexique de la crise, les mouvements sociaux et leurs allis insistrent sur le fait que la crise avait toujours t prsente : les vnements de 2007-2008 ne faisaient que rvler les fissures dun systme alimentaire non durable et dfaillant, forant les responsables de llaboration des politiques reconnatre ses insuffisances. Certains ont galement soulign quil sagissait (et quil sagit encore) dune crise pluridimensionnelle, lie lalimentation, aux carburants, la finance et au changement climatique, voire dune crise des droits humains, pointant du doigt les violations systmatiques du droit lalimentation et la nutrition et dautres droits humains.

    Dix ans plus tard, malgr quelques avances, nombre des problmes ayant conduit cette crise persistent encore. Les mouvements sociaux et les organisations de la socit civile (OSC) continuent de lutter sans relche pour transformer les systmes alimentaires. Ils exigent des transformations systmiques pour oprer une transition vers des modles de production, de distribution et de consommation durables, fonds sur la solidarit, la justice sociale, environnementale et de genre, et la garantie des droits lalimentation et la nutrition, leau, la terre et dautres territoires, ainsi que des droits la sant, la scurit sociale et un environnement sain. Pour y parvenir, la souverainet des peuples et les droits humains sont essentiels, tout comme le suivi et la reddition de comptes.

    Ce nest donc pas un hasard si la premire dition de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition a t lance par huit OSC il y a dix ans, au beau milieu de la crise, dans le but de renforcer le suivi et la reddition de comptes au regard du droit lalimentation et la nutrition. Cette premire dition fut loccasion dexaminer les implications de la crise des prix des denres alimentaires qui svissait alors et de prsenter les efforts de suivi raliss partout dans le monde, y compris dans certains pays nouveau mis en avant dans le prsent numro, comme le Brsil et Hati. loccasion du dixime anniversaire de la publication, le Consortium de lObservatoire et le Rseau mondial pour le droit lalimentation et la nutrition qui englobent dsormais chacun prs de trente OSC et mouvements sociaux dressent le bilan de la dcennie qui sest coule depuis la crise de 2007-2008 et envisagent les dfis et les opportunits qui semblent se profiler pour les annes venir.

    Au cours des dix dernires annes, environ 250 auteur-e-s du monde entier ont contribu cette publication, y compris des reprsentant-e-s de mouvements sociaux et de la socit civile, des expert-e-s des droits humains, des universitaires et des responsables de llaboration des politiques. Trois constats fondamentaux se dtachent. Tout dabord, lObservatoire a clairement expos la dynamique conflictuelle entre deux conceptions opposes de la vie, de la production et des relations sociales, conomiques et cologiques. Dun ct, celle propose par

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 9

    PRFACE

    la souverainet alimentaire et des systmes alimentaires locaux regorgeant de vie, axs sur les femmes et les hommes pratiquant la production vivrire petite chelle, qui considre lalimentation comme un droit humain fondamental et comme la pierre angulaire de nos identits, de nos moyens dexistence, de nos cologies, de notre biodiversit et de notre souverainet. lautre extrmit, le systme alimentaire mondial hgmonique, encourageant luniformisation, impuls par des socits transnationales toujours plus concentres et rduisant lalimentation une marchandise ngociable. Les campagnes sont le premier lieu o ce conflit se matrialise, souvent de manire violente, alors que, dans les milieux urbains, lincidence et la prvalence alarmantes des maladies non transmissibles lies lalimentation augmentent, partout dans le monde.

    La qute du droit lalimentation et la nutrition na donc rien voir avec la ralisation davances dans le domaine du dveloppement, mais plutt avec une lutte politique entre deux visions contraires du monde. Si elle ne rsulte pas dun choix politique dlibr, la persistance de la faim, de linscurit alimentaire et de la malnutrition sous toutes ses formes relve dune grave dfaillance au niveau des politiques. En effet, loin de combler le foss des ingalits, les stratgies de dveloppement contemporaines dominantes, la libralisation du commerce et le modle actuel de mondialisation conomique aggravent la situation. Dans ce contexte, le deuxime constat tir au fil des dix ans de publication de lObservatoire est le dmantlement de la protection sociale et la croissante privatisation des services de base et des communs. De mme, tous les chelons, y compris supranational, nous voyons apparatre une capture et une transformation de ltat par des lites conomiques cupides dont les intrts asseoir leur emprise sur le pouvoir sont en totale opposition avec les aspirations de leurs concitoyens. Les puissantes conomies politiques ont cr des discours abusifs qui cooptent et dnaturent les composantes de la vision alternative dans le but de faire avancer la justification morale des privilges. Le recours aux instruments normatifs et fiscaux renforce donc lemprise des socits sur lagriculture et une nouvelle forme de colonisation des systmes alimentaires.

    Le troisime constat qui vient lesprit en cet anniversaire est que la concrtisation du droit lalimentation et la nutrition exige des actions articules autour de plusieurs chelles, depuis les luttes locales pour rsister aux forces prdatrices et construire des alternatives durables jusquau regroupement des mouvements qui uvrent pour le changement lchelle suprieure, quelle soit infranationale, sous-rgionale, rgionale ou mondiale. tous ces niveaux, il est essentiel de garantir une participation critique au sein des institutions, dans les espaces de gouvernance nationaux et internationaux lgitimes, afin de redonner sens lintrt gnral, rorienter les stratgies en matire de dveloppement et promouvoir le changement politique. LObservatoire est fier davoir contribu relier les visions, les analyses, les actions et les stratgies ces diffrents niveaux.

    Alors que de nombreux dfis persistent pour raliser la souverainet alimentaire des peuples, lObservatoire a pu tre renforc en tant quoutil de partage et de co-production de connaissances, dexpriences et de stratgies. Les voix des mouvements sociaux et des groupes marginaliss figurent donc au cur de cette publication. Disponible en anglais, franais, espagnol et portugais et, pour certains articles, en arabe, allemand et italien, lObservatoire continue davoir pour objectif de cibler autant de lectrices et lecteurs, despaces et de rgions que possible. Il saura relever ce dfi, avec beaucoup dautres numros dterminants paratre au cours de la prochaine dcennie.

    Nous souhaiterions remercier toutes celles et ceux qui ont contribu cette dition anniversaire de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition, y compris les quelque quarante auteur-e-s, pour leurs excellents apports, ainsi que les

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 10

    membres du conseil ditorial pour leurs prcieux conseils. Un merci tout particulier la coordinatrice de lObservatoire, M. Alejandra Morena, pour son excellent et admirable travail, et Felipe Bley Folly, assistant au projet de lObservatoire, pour son dvouement et son engagement. Nous souhaiterions galement exprimer notre sincre gratitude envers les responsables de rdaction, les traductrices et traducteurs, relectrices et relecteurs, rviseuses et rviseurs.

    Enfin, nous voudrions ddier ce numro toutes les femmes et tous les hommes du monde dont le droit humain une alimentation et une nutrition adquates est bafou, ainsi qu toutes celles et ceux qui luttent sans relche pour la souverainet des peuples et les droits humains, rsistent et sopposent aux rgimes autoritaires et aux menaces actuelles la dmocratie poses par la xnophobie, lultra-nationalisme et le populisme de droite.

    Bien vous,Bernhard Walter, Pain pour le monde Service protestant de dveloppementSofa Monsalve Surez, FIAN InternationalMarijke de Graaf, ICCO Coopration

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 11

    PRFACE

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 12

    Les grandes occasions mritent dtre clbres comme il se doit et la parution du dixime numro de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition ne fait pas exception. Pour marquer cet anniversaire, ldition 2017 de lObservatoire, intitule Vaincre la crise alimentaire mondiale comporte dix articles principaux, illustrs par dix images. En ouverture, deux articles de cadrage se penchent sur les origines et les consquences de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008 et de la crise des droits humains qui continue de svir aujourdhui. Viennent ensuite plusieurs articles thmatiques abordant certaines des questions et des volutions les plus dcisives pour le droit humain une alimentation et une nutrition adquates, agrments de tmoignages et dexpriences concrets tirs des luttes menes par les mouvements sociaux dans toutes les rgions du monde, de lArgentine au Npal, en passant par le Somaliland, le Ymen ou la France. Dans tous les cas de figure, des tensions dialectiques de divers types oprent : entre les chelons mondiaux et locaux, et au sein mme de ces derniers, entre perspectives mergentes et traditionnelles, entre rsistance et construction. La section finale examine quant elle les pistes pour aller de lavant.

    Le premier article, Dix ans aprs la crise alimentaire mondiale : relever le dfi du droit lalimentation , nous transporte vers la dcennie ayant suivi la crise des prix des denres alimentaires de 2007-2008, anne de publication inaugurale de lObservatoire. Cette crise a impos les questions dalimentation et dagriculture au premier rang des priorits politiques internationales. Elle a conduit, entre autres mesures, la rforme du Comit de la scurit alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies, le transformant en principale plate-forme internationale ouverte pour traiter des questions dalimentation sous langle du droit lalimentation et la nutrition. Si lintrt port la remise en tat des systmes alimentaires dfaillants semble tre en train de smousser, il est essentiel que les responsables de llaboration des politiques examinent plus particulirement les principaux domaines problmatiques. Larticle prsente trois grands dbats en cours. Tout dabord, le type de systmes alimentaires dans lesquels investir, avec des modles de production agrocologique unis des marchs territoriaux en concurrence avec une agriculture industrielle haute technologie et des systmes dapprovisionnement mondiaux dirigs par les grandes entreprises et soutenus par des partenariats public-priv. Ensuite, les meilleurs moyens de garantir laccs une alimentation adquate dun point de vue nutritionnel, en soulignant la ncessit de mettre en place des filets de protection sociale efficaces, de se prmunir contre les chanes de distribution du secteur priv vendant des aliments malsains et de faire preuve de crativit au moment dutiliser les politiques publiques dans des domaines tels que les achats institutionnels et la dtention de stocks alimentaires. Enfin, les approches les plus efficaces pour garantir des prix justes et stables, en posant comme alternative lintgration sur les marchs internationaux le soutien la production nationale pour les marchs locaux et en abordant la question des moyens par lesquels rglementer la financiarisation des produits agricoles et des ressources naturelles.

    Le deuxime article de cadrage, chos du terrain : les luttes sociales des peuples, antidote la crise des droits humains , analyse la manire selon laquelle les droits humains sont dtourns par les entreprises transnationales et dautres acteurs privs, coups des ralits humaines et transforms en un discours moral. Suivant cette logique, le droit lalimentation et la nutrition se retrouve aussi envisag sous langle manipulateur de la responsabilit sociale des entreprises, confortant ces acteurs dans leur course au profit. Des exemples concrets nous montrent comment

    INTRODUCTION 1

    1 Nous souhaitons remercier Nora McKeon (Collge universitaire international de Turin, Universit de Rome III et Terra Nuova) et M. Alejandra Morena (FIAN International) davoir rdig ce texte.

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 13

    les mouvements sociaux et les organisations de la socit civile orchestrent leurs luttes et se mobilisent pour revendiquer les droits des peuples. Enfin, cet article explique pourquoi seule une radicalisation de cette crise, travers les luttes sociales des peuples, est en mesure doffrir les fondations dun modle de socit au sein duquel lhumain, et non les entreprises avides de profit, constitue lacteur dterminant notre avenir.

    Larticle De lapproche marchande la centralit de la vie : un changement urgent pour les femmes met en vidence linvisibilit du travail ralis par les femmes, bien que ces dernires nourrissent le monde. Ses auteures montrent que les politiques axes sur le march continuent de reproduire les ingalits, et quil sera impossible damliorer la situation des femmes sans une remise en cause la division sexuelle du travail et sans la pleine reconnaissance de leur travail et de leurs droits. Il est donc ncessaire et urgent dintgrer la vision fministe, en plaant laccent sur la centralit de la vie et non sur les intrts commerciaux. Lencadr annexe illustre, quant lui, comment les femmes sorganisent, rsistent et dfendent leurs droits la terre dans trois contextes africains diffrents : au Zimbabwe, en Tanzanie et en Guine.

    Larticle suivant, Les luttes et les dfis inhrents la construction de nouveaux systmes agroalimentaires , dbute par une dnonciation du paradigme du dveloppement pervers dominant, lequel a engendr des personnes affames aussi bien daliments que dhumanit . Cet article suggre une srie dactions cls mener pour transformer les systmes alimentaires. Nous devons rsister aux approches multi-parties prenantes , qui placent un mme niveau les citoyen-ne-s et les entreprises, montrer clairement que la production paysanne et les marchs territoriaux fournissent la plupart et les plus nutritifs des aliments consomms lchelle de la plante, nous opposer aux conceptions de lurbanisation qui nient la dpendance des villes vis--vis des territoires o elles se situent, reconnatre les femmes en leur qualit de piliers des systmes alimentaires et, enfin, renouer avec une vision collective et communautaire dans laquelle les systmes alimentaires sont btis partir des droits humains, depuis le bas. Cet article est complt par un encadr sur les coopratives laitires au Somaliland illustrant comment les actions collectives des pastoralistes, plaant les femmes en premire ligne, peuvent garantir un approvisionnement durable en lait et protger le pays de la domination des transnationales car ces actions sont bases sur la confiance et font appel une culture et des valeurs communes.

    Larticle Les communs et les pratiques sociales communes : un argumentaire la fois ancien et nouveau pour enrichir les revendications en faveur de la souverainet alimentaire et du droit lalimentation , invite rflchir sur lapproche fonde sur les communs . Il dcrit ce concept non pas en termes purement conomiques, mais comme une association entre des ressources communes, des pratiques sociales partages institutionnalises pour gouverner ces ressources, et un but commun pour leur gestion collective. Lapproche fonde sur les communs, affirment les auteurs, permet de dpasser le clivage entre la nature et lhumain introduit dans la culture occidentale au sicle des Lumires et ayant permis le contrle et la conversion de la nature en marchandise. Cette appropriation sest accompagne des notions de proprit publique et prive, qui lgitiment toutes deux lide selon laquelle les tres humains peuvent semparer de ce qui les entoure leur propre avantage. Comme dans le cas de la production paysanne et des marchs territoriaux, le paradigme dominant sest attach cacher la ralit. Les ides et les pratiques sortant de la logique binaire public-priv sont ignores, comme le fait que la survie de deux milliards de personnes travers la plante dpende des communs. Leurs systmes collectifs autonomes, faisant coexister les tres humains et les ressources naturelles, ne sont lis ni des mcanismes du march ni la rglementation de ltat. Trouvant

    INTRODUCTION

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 14

    leur source dans des traditions millnaires, ils reprsentent un changement de paradigme en direction des devoirs collectifs vis--vis dautrui et de la plante en opposition flagrante avec le systme alimentaire industriel dominant, dont la plupart des composantes sont valorises et organises en tant que biens privs. Les auteurs concluent que considrer lalimentation comme un commun peut renforcer le mouvement pour la souverainet alimentaire et enrichir les revendications en faveur du droit lalimentation et la nutrition, en recourant un argumentaire transformateur qui associe des discours et des pratiques fonds sur des valeurs la fois anciennes et nouvelles.

    Cet article saccompagne de deux encadrs abordant la question de laccs au foncier dans deux contextes trs diffrents. Le premier examine comment les Directives sur le foncier, adoptes par le CSA en 2012, sont utilises par les communauts coutumires et les peuples autochtones auto-organiss du Npal pour dfendre leurs droits non-crits sur les zones de pturage, les fleuves et les produits forestiers non-ligneux. Le second, quant lui, met en scne lEurope, continent o les luttes pour garantir laccs des paysan-ne-s aux terres et aux autres ressources naturelles, ainsi que leur contrle sur ces dernires, associent mobilisations locales et plaidoyer rgional auprs du Parlement europen.

    Larticle intitul Face la crise climatique, les peuples ont les solutions dnonce les faux remdes proposs pour lutter contre le changement climatique, dcids dans les instances onusiennes et qui visent maintenir les structures conomiques et politiques en vigueur, gnrant des conflits socio-environnementaux au niveau des territoires. La rsolution de cette crise passe par une transformation du modle capitaliste vers des modles fonds sur la solidarit, la justice sociale, environnementale et de genre, le respect des diffrentes manires dapprhender le monde quont les peuples et la garantie de leurs droits. La transition vers ces modles doit tre engage par le biais de politiques publiques rpondant ce besoin urgent.

    Larticle Les trois mga-fusions de lagroindustrie : larrt de mort de la souverainet des agricultrices et des agriculteurs ? traite de lemprise des entreprises sur les systmes alimentaires en retraant la prise de contrle du systme agricole mondial par celles-ci. Cette volution soumet de plus en plus les tats la logique de laccumulation du capital, et aboutit la financiarisation du systme de production. Les mga-fusions entre les six gants des semences et de lagrochimie sont un cas despce. En outre, la trajectoire technologique dominante, axe sur la spcialisation, nie les capacits dinnovation des paysan-ne-s et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et les convertit en simples rcepteurs passifs dinnovations imposes. Cependant, les petites productrices et les petits producteurs slvent contre la consolidation de lhgmonie des entreprises et se battent pour maintenir la diversit et accrotre la rsilience au changement climatique. La bataille fait rage aussi bien au niveau des luttes locales que dans les ngociations mondiales impliquant les groupes de la socit civile, telles que celles visant ladoption dune Dclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.

    Mettant en vidence les impacts du pouvoir des entreprises, le premier encadr compltant cet article montre comment La lutte en faveur de la souverainet alimentaire fait souffler un vent nouveau sur une Argentine ravage par les pandages et les aliments malsains . Les faits sont stupfiants : plus de soixante pour cent de la superficie de terres cultives en Argentine sont occupes par du soja rsistant au glyphosate, ce qui a contribu une augmentation de 850 % de la consommation de produits agrotoxiques entre 2003 et 2015. Alors que les consquences ngatives sur la sant humaine, les ressources naturelles et les communs sont amplement documentes, ltat a t infiltr par les intrts des acteurs qui tirent profit du systme alimentaire dominant. Nanmoins, une large rsistance, varie et organise,

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale 15

    INTRODUCTION

    runissant des peuples autochtones, des communauts, des mdecins, des juristes, des universitaires et des assembles socio-environnementales est en train de sintensifier.

    Cap sur lEurope, ensuite, avec le second encadr ax sur lItalie et la France, qui dnonce les graves impacts des activits des transnationales sur les vies des petites productrices et des petits producteurs de lait et des paysan-ne-s. Le gant Lactalis qui dtient 33 % du march du lait en Italie et plus de 20 % de celui des produits frais en France suit la logique du profit et de lexpansion des marchs. Face la concurrence internationale, de nombreux producteurs sont forcs de mettre fin leur activit, tandis que les producteurs restants nont dautre choix que lindustrialisation de llevage, provoquant ainsi une dgradation des qualits du lait produit. Dans cette filire, il est crucial de conduire des actions collectives, en lien avec celles menes par les pouvoirs publics et les gouvernements, pour une meilleure organisation des marchs, en rquilibrant les pouvoirs de force en faveur des producteurs indpendants, de sorte leur permettre de dfendre le fruit de leur travail.

    Larticle Agir sur liniquit structurelle : les rgles du commerce international et leur impact sur la scurit alimentaire et nutritionnelle , critique les rgles inquitables dfinies par lOMC, qui permettent lEurope, aux tats-Unis et dautres pays riches de maintenir leurs rgimes de subventions, tout en limitant fortement les marges de manuvre politiques et fiscales des pays asiatiques et africains. Lauteur ajoute que, si les rpercussions des rgles commerciales inquitables sur la faim et la dnutrition sont dj relativement bien comprises et documentes, ce nest quaujourdhui que lon mesure pleinement leurs impacts sur la malnutrition sous toutes ses formes (y compris lobsit). De nouveaux lments de preuve indiquent que les rgles commerciales menacent ltat nutritionnel dans de nombreux pays, partout dans le monde. Pour que les choses changent, les tats membres du CSA doivent jouer un rle plus actif dans la redfinition de l'architecture de la gouvernance mondiale de la scurit alimentaire et nutritionnelle, en incluant dans leur mandat les rgles inquitables du commerce international qui aggravent le double fardeau de la malnutrition.

    Lencadr complmentaire sur lIndonsie souligne le problme du rtrcissement de la marge de manuvre rserve la politique intrieure : la faveur des luttes menes par les organisations paysannes, les politiques alimentaires du pays ont impos que les besoins alimentaires nationaux soient satisfaits par des produits horticoles et dorigine animale issus de la production nationale, limitant ainsi les importations. Cependant, suite un diffrend lopposant la Nouvelle-Zlande et aux tats-Unis devant lOMC, lIndonsie a t contrainte de rajuster sa politique alimentaire et de la mettre en conformit avec la dcision rendue par cette dernire. Ce cas est un autre exemple illustrant la prvalence des rgles inquitables du commerce international sur la souverainet alimentaire, les droits des paysan-ne-s et les systmes alimentaires locaux. Cet encadr dmontre galement limpact des activits menes par les entreprises transnationales, y compris la criminalisation des paysan-ne-s suite la lgalisation du monopole des entreprises en matire de proprit des semences permise par les rglementations relatives la protection des brevets de lOMC.

    Le dernier article thmatique sinterroge si le droit lalimentation et la nutrition dans les situations durgence est sur la bonne voie. Une question laquelle lauteur apporte une rponse partage. Les pratiques des pays donateurs en matire daide alimentaire ont volu dans le bon sens, dlaissant lcoulement de leurs excdents pour privilgier lachat local ou rgional daliments, y compris en ce qui concerne les tats-Unis. Dans un mme temps, la rponse des donateurs intervient encore trop tard par rapport la mortalit des personnes vulnrables en situation

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 2017 16

    de crise, et le traitement de la malnutrition coup de produits menace de freiner le dveloppement dapproches ascendantes, diriges au niveau local et fondes sur les droits humains. Par-dessus tout, la communaut internationale se montre rticente dautres types dinterventions pouvant savrer plus efficaces que laide alimentaire, telles que la rgulation du march ou lutilisation de stocks publics. Les causes profondes de linscurit alimentaire ne sont souvent pas traites. Le cas de lthiopie illustre parfaitement le problme en jeu : en effet, alors que le pays sollicitait laide internationale pour nourrir prs de 18 millions de personnes en situation dinscurit alimentaire en 2016, il offrait des millions dhectares de terre des investisseurs trangers pour y installer des plantations.

    Un encadr complmentaire, intitul Protection des droits des enfants lalimentation et la nutrition dans les situations durgence : priorit aux solutions locales , offre une analyse des utilisations et des risques lis aux aliments prts lemploi dans les cas de malnutrition. Lauteur prvient quil est fondamental doprer une distinction entre le traitement mdical vital et la mdicalisation de la nutrition, laquelle dissocie les solutions des systmes alimentaires. En effet, ces produits ont stimul lessor dune industrie qui cible les situations durgence des fins commerciales, sans le moindre scrupule. Afin de concrtiser le droit lalimentation et la nutrition dans les situations durgence, les maigres ressources disponibles devraient tre investies en grande partie dans des mesures locales manant de la base, contribuant renforcer la rsilience et rtablir la capacit des individus se nourrir par leurs propres moyens.

    Les tmoignages relatifs au Ymen et Hati approfondissent cette discussion sur les situations durgence. La crise qui secoue actuellement le Ymen reprsente sans doute la violation la plus grave du droit lalimentation et la nutrition dans le monde. Selon les estimations, sept millions de Ymnites sont au bord de la famine, tandis que prs dun demi-million denfants souffrent de malnutrition aigu, dans ce que le BCAH qualifie de plus grande crise dinscurit alimentaire au monde . Lencadr analyse les causes de la crise : la politique agricole des cinquante dernires annes ainsi que les bombardements ariens et le blocus conomique caractrisant cette guerre soutenue par la communaut internationale.

    Lencadr suivant nous emmne dans le petit tat insulaire dHati, lun des pays du monde les plus vulnrables au changement climatique. Au lendemain du sisme de 2010 et aprs le passage de louragan Matthew en 2016, le pays a d recourir laide humanitaire internationale. Cependant, la communaut internationale continue de mettre en place cette aide sans considration pour le renforcement de la production agricole nationale. Suite aux ravages causs par le passage de louragan, la distribution massive de riz, une denre externe, a entran un changement des habitudes alimentaires, une dpendance alimentaire, des problmes de nutrition, ainsi que la marginalisation des productrices et des producteurs. Comme lont montr les articles prcdents, le cas dHati illustre la ncessit de modifier laide afin de garantir la valorisation du potentiel productif de la rgion ; autrement, laide continuera daggraver la situation et dempcher les victimes de sriger en actrices de la reconstruction de leurs communauts.

    La section clturant ldition 2017 de lObservatoire est consacre aux pistes pour aller de lavant. Puisant en grande partie dans les contributions des mouvements sociaux, des peuples autochtones et des OSC recueillies par le biais de questionnaires et dentretiens en face--face, ce travail collectif dresse le bilan des opportunits et des dfis quentrevoient ces acteurs concernant les luttes des peuples pour la souverainet alimentaire et le droit lalimentation et la nutrition. En 2008, le premier numro de lObservatoire tait consacr lvaluation de la crise alimentaire qui frappait alors le monde. Dix ans aprs, il est opportun de se

  • demander o nous en sommes aujourdhui et quelles sont les pistes pour aller de lavant. Sil nexiste pas de rponse simple ces questions, il ne fait aucun doute que les solutions mergeront de lexprience de la base et de lexpertise politique des mouvements sociaux.

    Vaincre la crise alimentaire mondiale 17

    INTRODUCTION

  • 18

    01 GROS-PLAN DIX ANS APRS LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE : RELEVER LE DFI DU DROIT LALIMENTATION

    Sophia Murphy et Christina M. Schiavoni

    Sophia Murphy prpare un

    doctorat lUniversit de

    British Columbia (UBC) et est

    conseillre pour les questions

    commerciales auprs de

    lInstitute for Agriculture and

    Trade Policy (IATP). LIATP

    travaille au niveau local et

    mondial lintersection de

    la pratique et de la politique

    afin de garantir des systmes

    durables et justes en matire

    dalimentation, dagriculture et

    de commerce.

    Christina M. Schiavoni

    est chercheuse et prpare

    un doctorat lInstitut

    international dtudes sociales

    (IIES) de La Haye (Pays-Bas).

    https://www.ubc.ca/https://www.ubc.ca/http://www.iss.nl/http://www.iss.nl/

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale19

    Pour garantir que nous ayons les moyens de nous alimenter lavenir, il est urgent de construire des systmes alimentaires rsilients lchelle locale et rgionale et de remdier lextrme concentration du pouvoir sur les marchs nationaux et internationaux .

    La crise des prix des denres alimentaires de 2007-2008 a t un tournant. Dix ans plus tard, malgr une srie dinitiatives importantes visant modifier certains aspects du systme alimentaire, nombre des problmes ayant conduit cette crise persistent encore. Il reste beaucoup faire.

    Le gros de la crise dbuta fin 2007 et dura environ six mois, priode pendant laquelle les cours internationaux de tous les principaux produits alimentaires de base atteignirent leur niveau le plus lev en prs de trente ans 1. Cela eut pour consquence de porter le nombre de personnes souffrant de la faim un milliard et daffaiblir le droit humain une alimentation et une nutrition adquates de beaucoup dautres 2. Pour essayer de compenser laugmentation des prix, bon nombre dindividus, en particulier les femmes, neurent dautre choix que de prendre un travail supplmentaire, souvent dans des conditions dangereuses et favorisant lexploitation, dclenchant des effets de ricochet sur dautres aspects de leurs vies 3. La flambe des prix des denres fora aussi de nombreuses personnes diminuer la quantit et la qualit des aliments quelles consommaient 4. La crise a eu des rpercussions profondes sur les vies et les moyens dexistence des populations, leur rapport la nourriture, mais aussi sur la sant publique et le tissu social des communauts, des effets qui se ressentent encore aujourdhui.

    AUX ORIGINES DE LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE

    La crise fut le rsultat de la conjugaison de plusieurs facteurs court et long termes qui dstabilisrent les marchs alimentaires internationaux et, en consquence, les marchs alimentaires nationaux 5. Nombre de ces facteurs relevaient de problmes anciens, sinon largement cachs, au sein des systmes alimentaires : stagnation de la productivit des rendements agricoles ; hausse de lincidence de la scheresse et des inondations, en lien avec la dforestation et le changement climatique ; intensification de la demande en aliments dorigine animale ainsi quen fruits et lgumes dans certaines rgions forte densit de population, entranant une pression accrue sur les superficies cralires cultives alors que la dpendance de nombreux pays pauvres vis--vis des importations de ces crales de base augmentait. Dans le mme temps, la dcision prise par plusieurs grands pays exportateurs de cesser ou de rduire la dtention de stocks publics eut pour effet de contraindre rapidement lapprovisionnement destin aux marchs dexportation des rcoltes mauvaises et insuffisantes, tandis que la financiarisation des produits agricoles de base dsorientait les signaux du march au niveau de loffre et de la demande en raison dintrts spculatifs trs court terme. La financiarisation dsigne le processus par lequel la finance cesse dtre un instrument facilitant la production et les changes commerciaux (par exemple, les prts adosss des garanties foncires) pour devenir un moyen de gagner de largent grce aux activits financires en tant que telles (par exemple, les instruments drivs reposant sur ces prts). Son dveloppement spectaculaire fut en partie rendu possible grce la drglementation des marchs

    Remerciements

    Merci Saulo Araujo (WhyHunger) pour sa participation la conception initiale du prsent article. Merci Nora McKeon (Collge universitaire international de Turin, Universit de Rome III et Terra Nuova), Stefano Prato (Society for International Development, SID) et Marcos Arana Cedeo (Rseau international des groupes daction pour lalimentation infantile, IBFAN) pour leur aide la rvision du prsent article.

    Photo

    Les argentines manifestent dans la capitale (Buenos Aires, Argentine, 2016). Image de Pablo Ernesto Piovano.

    1 Headey, Derek, et Fan, Shenggen, "Reflections on the global food crisis. How did it happen? How has it hurt? And how can we prevent the next one?", IFPRI Research Monograph 165, Washington DC : International Food Policy Research Institute, 2010.

    2 De Schutter, Olivier, et Cordes, Kaitlin Y., "Accounting for Hunger: An Introduction to the Issues", dans : De Schutter, Olivier, et Cordes, Kaitlin Y. (dir.), Accounting for Hunger: The Right to Food in the Era of Globalisation 1-24, Oxford : Hart Publishing LTD, 2011.

    3 Scott-Villiers, Patta, Chisholm, Nick, Wanjiku Kelbert, Alexandra, et Hossain, Naomi, Precarious Lives: Food, Work and Care After the Global Food Crisis, Brighton : IDS, 2016. opendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/123456789/12190/1/ PrecariousLives_Online.pdf (en anglais)

    4 Ibid.

    5 Wise, Timothy A., et Murphy, Sophia, Resolving the Food Crisis, Boston et Minneapolis : Global Development and Environment Institute et Institute for Agriculture and Trade Policy, 2012. p. 38. www.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/rp/ ResolvingFoodCrisis.pdf (en anglais)

    opendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/123456789/12190/1/PrecariousLives_Online.pdfopendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/123456789/12190/1/PrecariousLives_Online.pdfopendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/123456789/12190/1/PrecariousLives_Online.pdfwww.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/rp/ResolvingFoodCrisis.pdfwww.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/rp/ResolvingFoodCrisis.pdf

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 201720

    bancaires et terme de produits agricoles de base, principalement aux tats-Unis, ce qui donna aux spculateurs une marge de manuvre considrable pour influencer les prix des produits agricoles de base. Par-dessus tout, les mandats visant accrotre la production et lutilisation dagrocarburants dans plusieurs pays galement grands exportateurs de crales (surtout les tats-Unis) gnrrent des attentes aux effets dstabilisateurs quant lutilisation future des terres et des crales. Si, lpoque, peu de crales taient, en ralit, utilises dans la production dagrocarburants, ces mandats firent anticiper une expansion (qui sest en partie confirme au cours des annes ultrieures), poussant les prix nettement la hausse. Cet effet fut encore amplifi par la brusque augmentation des cours du ptrole, survenue au mme moment que lenvole des prix des denres alimentaires 6.

    Daucuns ont qualifi cet ensemble de facteurs de tsunami silencieux 7, cest--dire, un concours, rare, mais dvastateur, de plusieurs circonstances. Mais dautres, dont beaucoup issu-e-s du mouvement pour la souverainet alimentaire, soulignrent que la crise couvait dj depuis des annes et que les vnements de 2007-2008 ne faisaient que rvler les fissures dun systme alimentaire non durable. Les observateurs aviss avaient dj remarqu ce caractre intenable dans lexploitation systmatique de la main-duvre agricole, dans la pollution persistante des ressources naturelles, dans la concentration du pouvoir conomique et des richesses, plongeant les femmes et les hommes pratiquant lagriculture vivrire dans un endettement chronique, ou dans les ingalits croissantes au niveau de laccs aux aliments et aux ressources productives. Les mouvements sociaux et leurs allis semparrent de ce tournant politique et du lexique de la crise, mais insistrent sur le fait que la crise avait toujours t prsente, le droit humain une alimentation et une nutrition adquates profondment nglig, et que la flambe des prix des denres alimentaires obligeait les dcideurs politiques reconnatre, au minimum, lchec dsastreux des systmes alimentaires.

    Cette crise imposa galement les questions dalimentation et dagriculture au premier rang des priorits politiques internationales, dont lillustration la plus manifeste fut la rforme, en 2009, du Comit de la scurit alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies. Depuis longtemps, le Comit tait peru comme un lieu de bavardage sans aucun effet. Avec la rforme, il devint la principale plate-forme internationale ouverte tous en matire dalimentation comptant avec la participation active de la socit civile, particulirement des secteurs les plus touchs par la crise 8. Or, dix ans plus tard, la scurit alimentaire est en passe dtre rtrograde au bas de la liste des priorits. Par exemple, le niveau daide accord la scurit alimentaire dans les budgets de la coopration internationale a diminu. Loffre cralire a retrouv des niveaux levs, et si les prix demeurent instables, ils se situent nanmoins une moyenne infrieure par rapport aux annes prcdentes. Il existe un risque bien rel que les systmes alimentaires dfaillants soient laisss en ltat, dans lattente dun nouveau tsunami.

    Pour uvrer au renforcement des systmes alimentaires, les responsables politiques doivent dcider de ce qui caractrise les vritables problmes. Clairement, des possibilits intressantes soffrent laction politique en matire de production, de distribution et de consommation alimentaires. Le prsent article examine trois grands dbats en cours. Le premier a trait au type dagriculture que les gouvernements devraient soutenir : lagrocologie ou la nouvelle rvolution verte ? Chacun de ces modles ncessite des structures sensiblement diffrentes en matire dinvestissements dans les infrastructures, dintrants, de droits de proprit

    6 Op. cit., note 1.

    7 Entretien avec Josette Sheeran, alors Directrice excutive du PAM. Centre dactualits de lONU, 2008. www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=16390& Kw1=Josette+Sheeran&Kw2=&Kw3

    8 McKeon, Nora, "Are Equity and Sustainability a Likely Outcome When Foxes and Chickens Share the Same Coop? Critiquing the Concept of Multistakeholder Governance of Food Security", Globalizations, vol. 14, n 3, 2017, pp. 379-398.

    www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=16390&Kw1=Josette+Sheeran&Kw2=&Kw3www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=16390&Kw1=Josette+Sheeran&Kw2=&Kw3www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=16390&Kw1=Josette+Sheeran&Kw2=&Kw3

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale21

    et de gouvernance. Le deuxime porte sur laccs lalimentation, qui soulve des questions lies la qualit nutritionnelle, la provenance des aliments et les types de filets de scurit les mieux placs pour appuyer la concrtisation du droit une alimentation et une nutrition adquates. Le troisime dbat concerne les modalits de stabilisation des prix des denres alimentaires : comment les gouvernements devraient-ils grer les investissements continus dans la production nationale, le dveloppement des marchs locaux et les stocks publics alimentaires ? Comment ces aspects doivent-ils tre grs conjointement avec les marchs internationaux ?

    LINVESTISSEMENT DANS LAGRICULTURE : LE POINT DAFFRONTE-MENT ENTRE DEUX MODLES DE SYSTME ALIMENTAIRE

    La crise des prix des denres alimentaires suscita un regain dintrt pour les femmes et les hommes pratiquant la production vivrire petite chelle, dont le rle avait t nglig pendant des dcennies par les programmes dajustement structurel. Les dcideurs politiques prirent conscience de la relle quantit daliments fournis par ces femmes et ces hommes aux quatre coins du globe et que, paradoxalement, ces petites productrices et petits producteurs daliments (engag-e-s dans lagriculture, la pche, le pastoralisme, mais aussi les travailleuses et travailleurs agricoles) constituaient la majorit des personnes pauvres et souffrant de la faim dans le monde 9. La crise permit aussi une sensibilisation plus large au fait que les femmes, en particulier, sont exposes la faim de faon disproportionne malgr le rle essentiel quelles jouent dans lapprovisionnement alimentaire 10. En mme temps, les entreprises dintrants agricoles, comme Monsanto ou Yara, se servirent de la crise pour plaider en faveur dun dveloppement massif de la production alimentaire afin dviter les pnuries lorigine de son dclenchement. Le message transmis par lOrganisation des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO), relay par de nombreux acteurs, mit laccent sur la ncessit daccrotre la production vivrire de 70 % (ou plus) dici 2050 pour rpondre aux besoins de la population mondiale, un argument qui minimisait le fait que pendant toute la dure de la crise il y avait bien assez daliments pour rpondre la demande et que le problme tenait davantage au fait que laccs de la population loffre ne bnficiait daucune protection 11.

    Cette question de savoir sil fallait produire davantage daliments, et par quels moyens, souleva de vifs dbats sur linvestissement agricole : linvestissement pour et par qui, sous quelles conditions et quelles fins ? Ces dbats (y compris ceux mens au sein du CSA, de 2010 2014, sur linvestissement agricole responsable ) cristallisent parfaitement laffrontement de deux cadres paradigmatiques lis la transformation des systmes alimentaires. Les militant-e-s de la souverainet alimentaire, dun ct, insistent sur le fait que les petites productrices et petits producteurs daliments sont ceux qui investissent le plus dans la production alimentaire et mritent, ce titre, reconnaissance et soutien 12. loppos, le modle dinvestissement plus fortement capitalis et particulirement influent sur le plan politique passe par des approches davantage centralises et descendantes, reposant souvent sur des partenariats public-priv (PPP) et des oprations de cession foncire grande chelle 13. Ce genre dinvestissement constitue un lment moteur de ce que certains appellent laccaparement des terres, qui voit les petites productrices et petits producteurs daliments expropri-e-s de leurs terres par des projets commerciaux de grande envergure et/ou englouti-e-s par des oprations plus larges en tant que main duvre sur les plantations ou cultivateurs sous contrat,

    9 Op. cit., note 2.

    10 Banque asiatique de dveloppement, Gender Equality and Food Security: Women's Empowerment as a Tool Against Hunger, Mandaluyong City, Philippines : Banque asiatique de dveloppement, 2013. www.fao.org/wairdocs/ar259e/ar259e.pdf (en anglais)

    11 Ibid.

    12 Pour en savoir plus sur les petites productrices et petits producteurs daliments, voir larticle Les luttes et les dfis inhrents la construction de nouveaux systmes agroalimentaires dans la prsente dition de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition.

    13 McMichael, Philip, "The Land Question in the Food Sovereignty Project", Globalizations, vol. 12, n 4, 2015, pp. 434-451.

    01 GROS-PLAN DIX ANS APRS LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE : RELEVER LE DFI DU DROIT LALIMENTATION

    http://www.fao.org/wairdocs/ar259e/ar259e.pdfhttp://www.fao.org/wairdocs/ar259e/ar259e.pdf

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 201722

    bien souvent dans des conditions favorisant lexploitation 14. Malgr laccumulation de preuves indiquant que ces investissements nont pas tenu leurs promesses et quils ont ouvert la voie aux violations des droits humains, dix ans plus tard, loin davoir seulement persist, ils sont en fait consolids et largis 15. Citons, titre dexemple, la Nouvelle alliance du G8 pour la scurit alimentaire et la nutrition en Afrique 16. Lance en 2012, cette initiative encourage linvestissement agricole grande chelle sur le continent africain par le biais de mcanismes tels que le Couloir de croissance agricole du sud de la Tanzanie (Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania), qui couvre un tiers du territoire continental de ce pays. Qui plus est, ces investissements sont non seulement raliss au nom de la scurit alimentaire, mais galement, de plus en plus, sous prtexte de lattnuation du changement climatique, linstar du programme REDD+, de lagriculture intelligente face au climat (AIC) et dune myriade grandissante de programmes portant sur le carbone vert et bleu crant des liens financiers entre terres agricoles, forts, pches et marchs mondiaux du carbone.

    Face la pousse des modles agricoles industriels, les mouvements sociaux ont propos des rponses articules autour de plusieurs axes et plusieurs chelles, allant des confrontations directes sur le terrain contre les mga-projets loccupation des espaces politiques au niveau international. Les organisations luttant pour la souverainet alimentaire jouissent aujourdhui dune visibilit indite au sein de plusieurs espaces de gouvernance mondiale, en premier lieu au CSA, suite sa rforme en 2009. Cette visibilit est le fruit dune mobilisation de longue haleine en dehors de ces espaces, bien antrieure la crise des prix des denres alimentaires. Aujourdhui, elle est maintenue travers des stratgies daction au sein et lextrieur de ces instances, soigneusement mises au point. Bien que les dsquilibres dans le rapport de force posent un dfi permanent, les mouvements et leurs allis ont su utiliser ces espaces de faon stratgique 17. cet gard, lune des grandes victoires fut ladoption, en 2012, des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des rgimes fonciers applicables aux terres, aux pches et aux forts dans le contexte de la scurit alimentaire nationale (ci-aprs, les Directives sur le foncier) par le CSA. Au terme de ngociations difficiles auxquelles participa la socit civile, les Directives sur le foncier sont aujourdhui utilises par les acteurs locaux partout dans le monde comme outil au service de la lutte pour les droits sur les ressources naturelles 18.

    La crise alimentaire persistante (que certains qualifient aussi de pluridimensionnelle au sens o elle porte sur lalimentation, les carburants, la finance et le changement climatique) a galement servi de tremplin aux mouvements luttant pour la souverainet alimentaire pour proposer des alternatives, au centre desquelles lagrocologie. Entendue comme science, ensemble de pratiques et mouvement en faveur dune production alimentaire travaillant avec la nature 19, lagrocologie constitue lun des piliers de la souverainet alimentaire. En franche opposition aux modles industriels de production gourmands en intrants externes, coteux sur le plan conomique et environnemental, et sources dimportantes quantits de dchets ainsi que de problmes sociaux et environnementaux, lagrocologie suscite un intrt et jouit dune visibilit sans prcdent, y compris auprs de certains gouvernements. Cela, dautant plus que lagriculture industrielle fait face un nombre croissant de dfis dus lintensification des perturbations induites par le climat. Lanne 2015 a t un jalon dans la promotion de lagrocologie, avec la tenue dun forum international sur cette question organis par les mouvements sociaux au Mali et un niveau dengagement indit de la part de la FAO en la matire. En effet,

    14 De Schutter, Olivier, "The Green Rush: The Global Race for Farmland and the Rights of Land Users", Harvard International Law Journal, vol. 52, n 2, 2011, pp. 503-559. www.harvardilj.org/wp-content/uploads/ 2011/07/HILJ_52-2_De-Schutter1.pdf (en anglais)

    15 Wise, Timothy A., "Land Grab Update: Mozambique, Africa Still in the Crosshairs", Food Tank, 31 octobre 2016. foodtank.com/news/2016/10/land-grab-update-mozambique-africa-still-in-the-crosshairs/(en anglais)

    16 Pour en savoir plus sur les consquences ngatives du programme, voir : FIAN International et FIAN Allemagne, G8 New Alliance for Food Security and Nutrition in Africa: A Critical Analysis from a Human Rights Perspective, Heidelberg : FIAN International, 2014. www.fian.org/ fileadmin/media/publications_2015/2014_G8NewAlliance_screen.pdf (en anglais) ; et Pschorn-Strauss, Elfrieda, La souverainet alimentaire en Afrique : reconnatre le rle des femmes et des semences quelles conservent , lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition, 2016, pp. 51-53. www.righttofoodandnutrition.org/ fr/node/119

    17 Op. cit., note 8.

    18 Pour en savoir plus sur la faon dont les mouvements sociaux et les peuples autochtones partout dans le monde utilisent les Directives sur le foncier, voir : Strapazzn, ngel, Vers un bilan de la mise en uvre des Directives sur le foncier, un outil de lutte pour les mouvements sociaux , lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition, 2016, pp. 29-33. www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/116 ; Franco, Jennifer, et Monsalve Surez, Sofa, "Why Wait for the State? Using the CFS Tenure Guidelines to recali-brate the political-legal terrain in struggles for human rights and democratic control of land, fisheries and forests". paratre.

    19 Food First, Issue Primer: Agroecology, Oakland : Food First, 2011. foodfirst.org/ wp-content/uploads/2014/04/FF_primer_Agroecology_Final.pdf (en anglais)

    http://www.harvardilj.org/wp-content/uploads/2011/07/HILJ_52-2_De-Schutter1.pdfhttp://www.harvardilj.org/wp-content/uploads/2011/07/HILJ_52-2_De-Schutter1.pdfhttp://foodtank.com/news/2016/10/land-grab-update-mozambique-africa-still-in-the-crosshairs/http://foodtank.com/news/2016/10/land-grab-update-mozambique-africa-still-in-the-crosshairs/http://foodtank.com/news/2016/10/land-grab-update-mozambique-africa-still-in-the-crosshairs/http://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2015/2014_G8NewAlliance_screen.pdfhttp://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2015/2014_G8NewAlliance_screen.pdfhttp://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2015/2014_G8NewAlliance_screen.pdfhttp://www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/119http://www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/119http://www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/116http://www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/116http://foodfirst.org/wp-content/uploads/2014/04/FF_primer_Agroecology_Final.pdfhttp://foodfirst.org/wp-content/uploads/2014/04/FF_primer_Agroecology_Final.pdfhttp://foodfirst.org/wp-content/uploads/2014/04/FF_primer_Agroecology_Final.pdf

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale23

    cette dernire y a consacr, entre 2015 et 2016, une srie de runions rgionales auxquelles participrent les organisations de la socit civile, et administre aujourdhui une plate-forme en ligne de connaissances en agrocologie, entre autres formes dengagement soutenu 20.

    Les tensions nont pas pargn ces processus. Les dfenseurs de lagrocologie savent bien que la conjugaison de bonnes ides une voix politique extrmement ingale peut entraner la cooptation. Cest pourquoi les militant-e-s de la souverainet alimentaire se mfient des expressions comme agriculture intelligente face au climat (AIC), quils jugent intentionnellement vagues, car elles permettent aux dcideurs politiques et au secteur priv dutiliser de faon slective le registre de lagrocologie tout en laissant la porte ouverte des pratiques conventionnelles maquilles de vert 21. Du point de vue de la souverainet alimentaire, lchec de lAIC rside dans son incapacit inclure les lments centraux et constitutifs de lagrocologie et de la souverainet alimentaire qui sont les plus propices la transformation, comme la justice 22. Nanmoins, ainsi que le remarque Jahi Chappell, un chercheur engag, [s]i la cooptation est une menace, le simple fait que cette menace existe montre que lagrocologie est dsormais devenue quelque chose qui, aux yeux de certains acteurs du systme alimentaire, offre un certain pouvoir, revt une certaine utilit et insuffle une certaine dynamique 23. Ainsi, laction la plus puissante engage par les mouvements contre la cooptation est leur refus de cder le concept. Des coles dagrocologie fleurissent un peu partout dans le monde, en particulier sur le continent latino-amricain, tandis que de nouveaux exemples dagrocologie se diffusent et font boule de neige. De louest de lAfrique au nord de lAmrique, de nouveaux rseaux en faveur de lagrocologie voient le jour et des liens se tissent entre chercheurs et praticiens, contribuant ainsi la dissmination et ladoption des pratiques agrocologiques.

    LAMLIORATION DE LACCS AUX ALIMENTS PASSE PAR LA PROTECTION SOCIALE, LINTERVENTION SUR LES MARCHS ET UNE ALIMENTATION ADQUATE SUR LE PLAN NUTRITIONNEL

    En plus de poser la question des moyens par lesquels les pays devraient produire plus daliments pour les marchs locaux, la crise des prix des denres alimentaires imposa galement sur la table des discussions le sujet de la protection sociale et celui des barrires structurelles entravant laccs aux aliments. Olivier De Schutter, ancien Rapporteur spcial des Nations Unies sur le droit lalimentation, dont le mandat (2008-2014) concida avec la flambe des prix et ses consquences, souligna que la faim est rarement le fruit dune production alimentaire insuffisante, mais plutt celui de la pauvret 24. Lautoproduction et les achats constituent les deux canaux par lesquels les populations exercent leur droit humain une alimentation et une nutrition adquates ; ce titre, ils illustrent bien limportance de laccs aux ressources productives, et de leur contrle, celle de prix stables et justes pour les productrices et les producteurs, et de salaires minimums vitaux pour les travailleuses et les travailleurs. Laccs aux aliments met galement en avant limportance de la protection sociale et dune bonne nutrition. La crise des prix des denres alimentaires encouragea plusieurs expriences permettant aux autorits locales, rgionales et nationales de voir comment utiliser les programmes dachats institutionnels dans le but de renforcer les marchs locaux, mettre en relation producteurs et consommateurs, et amliorer la qualit nutritionnelle des

    20 Pour en savoir plus, voir : www.fao.org/agroecology/fr/.

    21 Chappell, M. Jahi, "Looking back from Paris to Senegal: What the FAO Regional Agroecology Meeting had to say on Climate-Smart Agriculture", IATP Blog, 22 dcembre 2015. www.iatp.org/blog/201512/looking-back-from-paris-to-senegal-what- the-fao-regional-agroecology-meet-ing-had-to-say- (en anglais)

    22 Pimbert, Michel, "Agroecology as an Alternative Vision to Conventional Development and Climate-smart Agriculture", Development, vol. 58, n 2-3, 2015, pp. 286-298 ; Borras, Saturnino Jr., et Franco, Jennifer, "Climate smart land politics in the era of the global land rush? Land redistribution, recognition and restitution for agrarian and climate justice". paratre.

    23 Chappell, M. Jahi. Courriel envoy aux auteures le 11 avril 2017.

    24 Op. cit., note 2.

    01 GROS-PLAN DIX ANS APRS LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE : RELEVER LE DFI DU DROIT LALIMENTATION

    http://www.fao.org/agroecology/fr/http://www.fao.org/agroecology/fr/http://www.iatp.org/blog/201512/looking-back-from-paris-to-senegal-what-the-fao-regional-agroecology-meeting-had-to-say-http://www.iatp.org/blog/201512/looking-back-from-paris-to-senegal-what-the-fao-regional-agroecology-meeting-had-to-say-http://www.iatp.org/blog/201512/looking-back-from-paris-to-senegal-what-the-fao-regional-agroecology-meeting-had-to-say-http://www.iatp.org/blog/201512/looking-back-from-paris-to-senegal-what-the-fao-regional-agroecology-meeting-had-to-say-

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 201724

    aliments distribus dans les tablissements scolaires. Dans lensemble, on relve un changement notable au niveau des politiques publiques pour rpondre au besoin damliorer la nutrition et lalimentation saine, mme si de nombreux problmes restent toujours sans rponse.

    Sagissant des prix justes et st ables pour les producteurs vivriers, la situation sur les marchs internationaux de lexportation a peu chang puisque les oprateurs multinationaux occupent une position dominante et que les producteurs vivriers ont peu ou pas de possibilit dexiger des prix rmunrateurs pour leur production. Si le commerce quitable a gagn en popularit, il demeure cependant une niche dote dune capacit limite pour parvenir une transformation structurelle du systme alimentaire dans son ensemble. Dun autre ct, plusieurs initiatives notables engages dans diffrentes rgions du monde ont cherch garantir une tarification plus juste lchelle locale et nationale, notamment par le biais de politiques dachats institutionnels et de vente directe. Concernant la question des salaires minimums vitaux, les groupes reprsentant les travailleuses et les travailleurs, comme lUnion internationale des travailleurs de lalimentation, de lagriculture, de lhtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA), ainsi que dautres acteurs, comme le Rapporteur spcial sur le droit lalimentation, ont dfendu limportance du salaire minimum vital au moment de concrtiser le droit humain une alimentation et une nutrition adquates 25, y compris au niveau du CSA. Si les salaires minimums vitaux sont encore une aspiration plutt quune ralit, la question a bnfici dun regain dintrt politique, en particulier de la part de certains gouvernements, et fait lobjet de nombreux dbats publics. Souvent, ces derniers traitent galement du concept de revenu de base ou de revenu minimum universel et sans conditions garanti par ltat aux citoyen-ne-s, une ide dailleurs mise lessai dans plusieurs pays, dont le Brsil, lInde ou la Namibie.

    La question du revenu universel de base soulve le problme plus gnral de la protection sociale. Le Groupe dexperts de haut niveau du CSA (HLPE) dfinit la protection sociale comme un ensemble de mcanismes institutionnels visant lutter contre la pauvret et la vulnrabilit grce lassistance sociale, lassurance sociale et lintgration sociale 26. La crise des prix des denres alimentaires a dmontr de faon tragique que toute augmentation, aussi infime soit-elle, de ces prix peut avoir des rpercussions considrables sur les centaines de millions de personnes vivant tout juste peine au-dessus du seuil de pauvret 27. De la mme faon que les crises prolonges enseignaient aux responsables de laction humanitaire que les rponses devaient tre rapides et progressives au lieu dattendre larrive de catastrophes pour intervenir, la crise alimentaire a clairement montr que les filets de scurit, aussi modestes soient-ils, permettent aux populations de continuer travailler et investir dans leurs activits de production au lieu de devoir consacrer des revenus supplmentaires lachat de nourriture. Le sujet de la protection sociale, y compris les transferts montaires directs, reut de plus en plus dattention dans les annes conscutives la crise et fut le thme dun dbat majeur loccasion de la 39e session du CSA, en 2012. Sur cette question, la crise des prix des denres alimentaires a permis de tirer plusieurs leons : limportance dune dmarche holistique en matire de protection sociale qui prvoie des mesures de protection contre les fluctuations brutales des prix des denres, la protection des travailleuses et travailleurs ainsi que des moyens dexistence, et la protection des valeurs sociales lies lalimentation et des dispositions sociales

    25 Pour en savoir plus sur la question du travail et du droit lalimentation, voir le rapport de la premire mission denqute mene par le Rseau mondial pour le droit lalimentation et la nutrition en 2015. www.fian.org/fileadmin/media/publications_2016/Reports_and_guidelines/FFMReport_June_2016.pdf (en anglais)

    26 Groupe dexperts de haut niveau sur la scurit alimentaire et la nutrition (HLPE), La protection sociale pour la scurit alimentaire. Un rapport du Groupe dexperts de haut niveau pour la scurit alimentaire et la nutrition du Comit de la scurit alimentaire mondiale, Rome : CSA HLPE, 2012, p. 11. www.fao.org/3/a-me422f.pdf

    27 Groupe dexperts de haut niveau sur la scurit alimentaire et la nutrition (HLPE), Volatilit des prix et scurit alimentaire. Un rapport du Groupe dexperts de haut niveau pour la scurit alimentaire et la nutrition du Comit de la scurit alimentaire mondiale, Rome : CSA HLPE, 2011. www.fao.org/3/ a-mb737f.pdf

    http://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2016/Reports_and_guidelines/FFMReport_June_2016.pdfhttp://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2016/Reports_and_guidelines/FFMReport_June_2016.pdfhttp://www.fian.org/fileadmin/media/publications_2016/Reports_and_guidelines/FFMReport_June_2016.pdfhttp://www.fao.org/3/a-me422f.pdfhttp://www.fao.org/3/a-mb737f.pdfhttp://www.fao.org/3/a-mb737f.pdf

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale25

    en relation avec la nourriture 28, ce qui prsente de nombreux points de recoupe avec les luttes en faveur de la souverainet alimentaire.

    Le regain dattention pour laccs aux aliments a port sur laspect non seulement quantitatif, mais galement qualitatif, permettant de mettre en avant lenjeu de la nutrition 29. Lune des consquences majeures de la crise des prix des denres alimentaires fut que les populations faible revenu durent se serrer la ceinture, y compris rduire la quantit et/ou la qualit de la nourriture quelles consommaient, des tendances qui se prolongent jusqu aujourdhui 30. cet gard, les femmes sont touches de faon disproportionne, car, en priode de pnurie, elles mangent souvent moins, voire pas, pour permettre aux autres membres de la famille de salimenter. Paralllement, les grandes chanes de distribution ont poursuivi leur stratgie de pntration des espaces urbains et ruraux, renforant ainsi lomniprsence des aliments hautement transforms, produits par de grandes marques, et parfois plus abordables que les aliments traditionnels issus de la production locale. tayes par des campagnes de communication et de publicit de masse, ces tendances remodlent les rgimes alimentaires en faveur des produits issus des chanes de valeur industrielles/mondiales. En raction, un rapprochement important au sein de la socit civile a t opr entre celles et ceux qui travaillent sur les questions de production et de consommation, bien souvent au-del de la dichotomie urbain-rural. Et la souverainet alimentaire tient de plus en plus compte du volet nutritionnel.

    limage des discussions sur linvestissement, la nutrition demeure un sujet contest au sein des espaces internationaux daction politique. Alors que ses dfenseurs poussent en faveur de lintgration de la nutrition adquate dans le cadre gnral visant transformer le systme alimentaire, les acteurs du secteur priv avancent des propositions bases sur le dnomm nutritionnisme , dfini comme un ensemble dides et de pratiques visant mettre un terme la faim non pas en luttant directement contre la pauvret, mais en donnant la priorit la fourniture des composants molculaires individuels prsents dans les aliments aux personnes souffrant de carences 31. La biofortification 32, qui recourt au gnie gntique, et les approches expressment axes sur la nutrition constituent les marques de fabrique de ce cadre paradigmatique promu par plusieurs initiatives telles que lInitiative pour le renforcement de la nutrition (SUN) 33, soutenue par le secteur priv, ou la Nouvelle Alliance du G8, toutes deux vigoureusement dnonces par les OSC en raison de leur approche technique de la nutrition et de leur vocation lucrative 34. Les OSC ont port ces critiques lattention de la Deuxime Confrence internationale sur la nutrition (CIN2), en 2014, dans le cadre du puissant message contenu dans leur dclaration, qui, notamment, appelait ce que le CSA soit reconnu en tant quespace essentiel au sein duquel mener le travail de cohrence entre les politiques en matire de scurit alimentaire et de nutrition. Il est prvu que le HLPE publie un rapport sur la nutrition et les systmes alimentaires lautomne 2017 35.

    L intervention sur les marchs (mediated markets, en anglais) figure parmi les mesures politiques faisant le lien entre prix justes, salaires minimums vitaux, protection sociale, nutrition et accs aux aliments. Cette mesure est conue pour mettre le pouvoir du march au service de la protection du bien-tre social et cologique 36. titre dexemple, citons les politiques dachats institutionnels adopts par un nombre croissant de pays, qui viennent appuyer le dveloppement conomique rgional, notamment en donnant la prfrence la production vivrire locale dans les programmes de cantines scolaires. En 2010, le Brsil a modifi sa

    28 Op.cit., note 3, p. 52.

    29 Pour savoir comment les approches suivant le modle dfini par les entreprises ont abouti une sparation artificielle entre la nutrition et les systmes alimentaires durables, voir ldition 2015 de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition La nutrition des peuples nest pas un business . www.righttofoodandnutrition.org/fr/la-nutrition-des-peuples-nest-pas-un-business

    30 Op. cit., note 3.

    31 Patel, Raj, Bezner Kerr, Rachel, Shumba, Lizzie, et Dakishoni, Laifolo, "Cook, eat, man, woman: understanding the New Alliance for Food Security and Nutrition, nutritionism and its alternatives from Malawi", The Journal of Peasant Studies, vol. 42, n 1, 2015, p 22.

    32 Op. cit., note 30.

    33 Pour en savoir plus sur linitiative SUN, voir : www.unscn.org/en/sun-scaling-up/ (en anglais.) Voir galement : Schuftan, Claudio, et Greiner, Ted, Linitiative pour le renforcement de la nutrition (SUN) , lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition, 2013, pp. 26-27. www.righttofoodandnutrition.org/files/Watch_2013_Full_Watch_FR.pdf#page=26

    34 Schieck Valente, Flavio L., "Towards the Full Realization of the Human Right to Adequate Food and Nutrition", Development, vol. 57, n 2, 2014, pp. 155-170.

    35 Prato, Stefano, et Bullard, Nicola, "Editorial: Re-embedding Nutrition in Society, Nature and Politics", Development, vol. 57, n 2, 2014, pp. 129-134.

    36 Wittman, Hannah, et Blesh, Jennifer, "Food Sovereignty and Fome Zero: Connecting Public Food Procurement Programmes to Sustainable Rural Development in Brazil", Journal of Agrarian Change, vol. 10, n 1, 2015, pp. 1-32.

    01 GROS-PLAN DIX ANS APRS LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE : RELEVER LE DFI DU DROIT LALIMENTATION

    http://www.righttofoodandnutrition.org/fr/la-nutrition-des-peuples-nest-pas-un-businesshttp://www.righttofoodandnutrition.org/fr/la-nutrition-des-peuples-nest-pas-un-businesshttp://www.unscn.org/en/sun-scaling-up/http://www.righttofoodandnutrition.org/files/Watch_2013_Full_Watch_FR.pdf#page=26http://www.righttofoodandnutrition.org/files/Watch_2013_Full_Watch_FR.pdf#page=26

  • LOBSERVATOIRE DU DROIT LALIMENTATION ET LA NUTRITION 201726

    constitution pour y inclure le droit lalimentation et adopt un dcret largissant le champ dapplication de la Loi de 2006 sur la scurit alimentaire (Lei Orgnica da Segurana Alimentar et Nutricional, LOSAN) de sorte intervenir directement sur lvolution des conditions agricoles pour le secteur de lagriculture familiale. Au titre du Programme national dalimentation scolaire (Programa Nacional de Alimentao Escolar, PNAE), un repas par jour est servi chacun des 45 millions dlves brsilien-ne-s inscrit-e-s dans les tablissements scolaires publics du pays. Le programme prvoit que ces repas donnent la priorit aux prfrences alimentaires traditionnelles et rgionales, incluent obligatoirement des lgumes et fruits frais et limitent lutilisation daliments transforms. Plus important encore, trente pour cent du budget du PNAE est prsent directement et lgalement affect lachat daliments issus du secteur de lagriculture familiale au niveau local, en privilgiant la production biologique ou agrocologique 37. Au moment de la rdaction du prsent article et au regard de la tempte politique qui secoue le Brsil, lon espre que ces programmes, devenus une rfrence dans le monde, soient maintenus 38.

    LA STABILISATION DES PRIX DES DENRES ALIMENTAIRES : INTGRATION AUX MARCHS INTERNATIONAUX OU STIMULATION DE LAUTOSUFFISANCE NATIONALE ?

    Les prix des aliments de base demeurent volatiles et suprieurs leurs niveaux davant crise. Les personnes ayant vcu linscurit alimentaire tendent adapter leur comportement de sorte minimiser le risque dy tre nouveau confrontes 39. Lune des consquences dune volatilit leve des prix des denres alimentaires est que les personnes raffectent leurs revenus la protection de leur accs aux aliments au lieu de les investir dans les moyens dexistence, lducation ou la sant. Aussi, la stabilit des prix des denres alimentaires constitue-t-elle un lment important en matire de scurit alimentaire. La plupart des pays sefforcent datteindre des prix stables en appliquant plusieurs politiques lies la production nationale et au commerce, lexportation des excdents et limportation pour pallier les dficits ou donner plus de choix au consommateur. Le dosage de politiques varie, celles en faveur de la mondialisation encourageant une intgration plus importante au niveau des marchs internationaux, tandis que beaucoup de gouvernements restent galement sensibles la demande des consommateurs pour une stabilit des prix des denres alimentaires et, dans une moindre mesure, aux demandes des producteurs pour protger les prix la production.

    Lutilit des marchs ouverts est quils permettent dquilibrer loffre et la demande de faon plus ractive que les prix fixes, ce qui aide viter les ajustements plus importants et moins prvisibles auxquels sont sujets les prix contrls par ltat (ainsi que la liquidation des stocks sur les marchs internationaux, qui peut perturber les prix pour les producteurs et les consommateurs dans dautres pays). Toutefois, les marchs ouverts ne peuvent fonctionner sans rglementation : le pouvoir de march a tendance se concentrer et les prix ne ragissent plus aussi nettement loffre et la demande. Par ailleurs, la production agricole nest pas rgulire tout au long de lanne et demeure, en grande partie, imprvisible (car tributaire des prcipitations, sujette aux infestations parasitaires, entre autres). Par consquent, les forces luvre sur les marchs ouverts vont, de faon priodique, entraner des changements brusques et rapides au niveau des cours, avec des consquences dsastreuses pour laccs aux aliments des consommateurs faible

    37 Sidaner, Emilie, Balaban, Daniel, et Burlandy, Luciene, "The Brazilian school feeding programme: an example of an integrated programme in support of food and nutrition security", Public Health Nutrition, vol. 16, n 6, 2013, pp. 989-994.

    38 Pour en savoir plus sur la situation au Brsil, voir : Encadr 1.1 Brsil : entre tat de dnutrition politique et non-respect du droit lalimentation dans la prsente dition de lObservatoire du droit lalimentation et la nutrition.

    39 Maxwell, Simon, "Food security: a post-modern perspective", Food Policy, vol. 21, n 2, 1996, pp. 155-170.

  • Vaincre la crise alimentaire mondiale27

    revenu faute de mesure dattnuation de la part des pouvoirs publics. Si lintgration au sein des marchs internationaux tend diminuer la frquence de ces chocs, ils sont cependant plus spectaculaires. Gnralement, la production nationale (surtout dans les pays faible revenu) connat des variations importantes danne en anne, gnrant la fois une volatilit des prix et des pnuries rcurrentes (voire chroniques) au niveau de loffre, ce qui, en retour, provoque une hausse des prix des denres alimentaires. Peu de pays disposent dune production vivrire varie en quantit suffisante permettant de satisfaire exactement, de manire constante, les besoins de la population 40. Mais la crise des prix des denres alimentaires rappela que linstabilit des prix peut aussi provenir des marchs internationaux et que certains aspects de la mondialisation (comme la prsence accrue de la finance internationale tous les niveaux de la production des produits agricoles de base) ont ajout de nouvelles causes linstabilit.

    Les marchs internationaux nont cess de jouer un rle important dans lapprovisionnement des pays les plus pauvres en aliments de base : les pays du Sud sont passs dexportateurs importateurs nets de produits agricoles vers 1990, tandis que la dpendance des pays les moins avancs (PMA) a connu une augmentation particulirement rapide 41. Or, les rglementations encadrant les marchs internationaux sont bien plus contraignantes pour les pays importateurs quelles ne le sont pour les exportateurs. Pendant la crise, beaucoup de gouvernements figurant parmi les grands pays exportateurs de produits alimentaires choisirent de taxer ou de limiter les exportations pour rpondre des objectifs politiques nationaux, aggravant ainsi les effets de la crise pour les pays importateurs et sapant la confiance sur les marchs internationaux 42. Malgr les lments de preuve avancs pendant la crise dmontrant la ncessit de rglementer les taxes et les interdictions frappant les exportations, et en dpit de la recommandation formule par le G20 appelant examiner cette question, lasymtrie persiste.

    Les tats membres de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) se s