lipome du lobe profond de la glande parotide : à propos d'un cas rarissime

4
CAS CLINIQUE Lipome du lobe profond de la glande parotide : à propos dun cas rarissime Deep lobe parotid gland lipoma: an extremely rare entity. A case report O. Trost a,b, * , I. Abu-El Naaj a,c , A. Danino a , N. Kadlub a , P. Trouilloud b , G. Malka a , M. Peled c a Service de chirurgie maxillofaciale, plastique, esthétique et réparatrice, chirurgie de la main, CHU de Dijon, 3, rue du Faubourg-Raines, BP 1519, 21033 Dijon, France b Institut danatomie normale, faculté de médecine, université de Bourgogne, 7, boulevard Jeanne-dArc, 21000 Dijon, France c Department of oral and maxillofacial surgery, Rambam medical center, Technion faculty of medicine, Haifa, Israel Reçu le 7 novembre 2005 ; accepté le 9 décembre 2005 MOTS CLÉS Glande parotide ; Lobe profond ; Lipome Résumé Les lipomes de la glande parotide sont rares, et ceux situés dans le lobe profond de la glande, exceptionnels. Les auteurs rapportent le cas dun lipome du lobe profond de la glande parotide. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Parotid gland; Deep lobe; Lipoma Abstract The incidence of lipoma in the parotid gland is very low, and lipomas in the deep lobe of the parotid are extremely rare and seldom considered in the differential diagnosis of deep lobe parotid gland tumours. A deep lobe parotid gland lipoma is presented and dis- cussed. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Les lipomes, tumeurs bénignes des tissus mous, sont locali- sés le plus souvent à la partie haute du dos, à labdomen et aux épaules [1]. Sur le plan histologique, ces tumeurs cor- respondent à une prolifération adipocytaire cloisonnée dans une capsule fibreuse. Le taux dincidence des lipomes de la glande parotide est très bas, représentant 1,5 % des tumeurs de cette région [2]. Les lipomes du lobe profond de la glande parotide sont encore plus inhabituels. Ainsi, sur la série de 32 lipomes parotidiens présentée par Walts et Perzik [3], aucun nétait Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 239242 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Trost). 0294-1260/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2005.12.008 available at www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/annpla

Upload: o-trost

Post on 04-Sep-2016

212 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 239–242

ava i lab le at www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.e l sev ier.com/locate/annp la

CAS CLINIQUE

Lipome du lobe profond de la glande parotide :à propos d’un cas rarissime

Deep lobe parotid gland lipoma:an extremely rare entity. A case report

O. Trost a,b,*, I. Abu-El Naaj a,c, A. Danino a, N. Kadlub a, P. Trouilloud b,G. Malka a, M. Peled c

a Service de chirurgie maxillofaciale, plastique, esthétique et réparatrice, chirurgie de la main, CHU de Dijon,3, rue du Faubourg-Raines, BP 1519, 21033 Dijon, Franceb Institut d’anatomie normale, faculté de médecine, université de Bourgogne, 7, boulevard Jeanne-d’Arc, 21000 Dijon,Francec Department of oral and maxillofacial surgery, Rambam medical center, Technion faculty of medicine, Haifa, Israel

Reçu le 7 novembre 2005 ; accepté le 9 décembre 2005

02do

MOTS CLÉSGlande parotide ;Lobe profond ;Lipome

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : otrost@ca

94-1260/$ - see front mattei:10.1016/j.anplas.2005.12.

ramail.c

r © 200008

Résumé Les lipomes de la glande parotide sont rares, et ceux situés dans le lobe profond de laglande, exceptionnels. Les auteurs rapportent le cas d’un lipome du lobe profond de la glandeparotide.© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSParotid gland;Deep lobe;Lipoma

Abstract The incidence of lipoma in the parotid gland is very low, and lipomas in the deeplobe of the parotid are extremely rare and seldom considered in the differential diagnosis ofdeep lobe parotid gland tumours. A deep lobe parotid gland lipoma is presented and dis-cussed.© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Les lipomes, tumeurs bénignes des tissus mous, sont locali-sés le plus souvent à la partie haute du dos, à l’abdomen et

om (O. Trost).

6 Elsevier SAS. Tous droits réservé

aux épaules [1]. Sur le plan histologique, ces tumeurs cor-respondent à une prolifération adipocytaire cloisonnée dansune capsule fibreuse. Le taux d’incidence des lipomes de laglande parotide est très bas, représentant 1,5 % destumeurs de cette région [2].

Les lipomes du lobe profond de la glande parotide sontencore plus inhabituels. Ainsi, sur la série de 32 lipomesparotidiens présentée par Walts et Perzik [3], aucun n’était

s.

O. Trost et al.240

situé dans le lobe profond ; seuls 12 cas de lipomes du lobeprofond de la glande parotide ont été rapportés dans la lit-térature à ce jour [4–10].

Les auteurs rapportent à la communauté scientifique unnouveau cas de lipome du lobe profond de la glande paro-tide afin de documenter cette rareté.

Cas clinique

Une femme de 47 ans consultait pour une masse préauricu-laire gauche asymptomatique évoluant depuis un an. Cettelésion ne semblait pas avoir augmenté de taille récemment.L’examen clinique révélait une tuméfaction élastique, indo-lore, de 2 × 2 × 1 cm, s’étendant du lobule de l’oreille àl’angle mandibulaire gauches (Fig. 1). La patiente ne pré-sentait aucun signe de paralysie faciale.

Au scanner, on mettait en évidence une masse unilobu-laire hypodense, homogène, parfaitement cloisonnée,située dans le lobe profond de la glande parotide. Aucuneadénopathie cervicale suspecte n’était retrouvée (Fig. 2).

Figure 1 Patiente de 47 ans présentant une tuméfactionpréauriculaire gauche de 2 × 2 × 1 cm.

Figure 2 Tomodensitométrie mettant en évidence cettetumeur homogène bien délimitée du lobe profond de la glandeparotide gauche.

Une ponction–biopsie percutanée à l’aiguille fine avaitconclu en faveur d’un lipome.

La patiente avait refusé l’intervention à cette époque,mais consulta à nouveau deux ans plus tard car la masseavait augmenté de volume. L’examen clinique révélaitalors une masse indolore de 3 × 2 × 2 cm et moins élastiqueque lors du premier examen. Un nouveau scanner mettaiten évidence une lésion polylobée envahissant tout le lobeprofond de la glande parotide et s’étendant vers l’espaceparapharyngé gauche, et dont la densité évoquait unlipome. Une nouvelle ponction–biopsie percutanée à l’ai-guille fine menait aux mêmes conclusions. La patienteacceptait alors l’intervention.

Après la parotidectomie superficielle et réclinaison desbranches du nerf facial, une masse jaunâtre apparaissaitsous les rameaux buccal et mandibulaire du nerf facial(Fig. 3). Son exérèse en bloc a été réalisée jusqu’à l’espaceparapharyngé gauche. Les suites opératoires ont été sim-ples.

Macroscopiquement, la lésion se présentait comme unetumeur jaunâtre bien délimitée de 6 × 5 × 5 cm ; l’examenanatomopathologique retrouvait une prolifération adipocy-taire distincte du parenchyme parotidien dont elle étaitséparée par une capsule fibreuse. Le diagnostic final étaitdonc celui de lipome du lobe profond de la glande parotidegauche.

Figure 3 Abord chirurgical de la lésion.

Lipome du lobe profond de la glande parotide : à propos d’un cas rarissime 241

Discussion

Les lipomes cervicocéphaliques, qui représentent 13 % deslipomes, surviennent électivement dans le triangle cervicalpostérieur et la face. Ils sont le plus souvent superficiels,sous-cutanés. Les lipomes de la glande parotide sontrares : ils représentent entre 0,6 et 4,4 % de toutes lestumeurs bénignes de la glande parotide [8,11]. La survenued’un lipome dans le lobe profond de la glande parotide estexceptionnelle : en effet, jusqu’à ce jour, seul 12 cas ontété recensés dans la littérature [4–10]. Leur rareté faitqu’ils ne sont souvent pas cités dans les diagnostics diffé-rentiels des tumeurs parotidiennes [6].

Le diagnostic clinique de lipome parotidien est très dif-ficile à établir. Aucun signe clinique ne le distingue en effetdes autres tumeurs bénignes de la glande parotide. Ils sonten général asymptomatiques en dehors de la déformationdu relief préauriculaire. Lorsqu’ils deviennent volumineux,des douleurs fugaces sont décrites, liées probablement auxtensions dans la loge parotidienne [12]. Plus anecdotiqueest ce cas atypique de lipome parotidien (mais du lobesuperficiel) occasionnant une paralysie faciale segmentaire[13] !

La tomodensitométrie de haute résolution (scanner spi-ralé multibarrette avec acquisition hélicoïdale) apporte uneaide précieuse au diagnostic car le tissu parotidien normal aune densité similaire au tissu musculaire strié alors que lelipome se caractérise par un tissu homogène, bien enca-psulé et de densité négative entre –50 et –100 unités Houns-field. Selon Koreantager [14], le diagnostic scanographiqueest confirmé dans tous les cas par l’anatomie pathologiquedans sa série de huit lipomes parotidiens. Mais, cette étudeest ancienne et les données récentes de la littérature fontpréférer l’imagerie par résonance magnétique dont la sen-sibilité et la spécificité sont supérieures [15–17]. Il noussemble toutefois que la tomodensitométrie garde son inté-rêt lorsque obtenir un rendez-vous d’IRM est difficile.

Le diagnostic préopératoire peut être aidé par ponction–biopsie percutanée à l’aiguille fine [8,22]. Mais, cette tech-nique a un taux élevé de faux négatifs et l’interprétationdes prélèvements est parfois délicate [18]. En effet, Lay-field montrait que sur une série de neuf tumeurs bénignesde la parotide, quatre avaient eu un diagnostic préopéra-toire correct par ponction–biopsie [19].

Le traitement chirurgical des lipomes du lobe profond dela glande parotide n’est pas consensuel. Une majorité d’au-teurs défendent la parotidectomie superficielle avec dis-section du nerf facial et exérèse du lipome à travers cesbranches [1,2]. Selon les auteurs, le taux de paralysiefaciale postopératoire varie de 8 à 65 % dans la chirurgiedes tumeurs bénignes de la glande parotide [20] ; ce tauxs’élève à 80 % pour les lipomes du lobe profond [4]. D’au-tres approches thérapeutiques sont l’énucléation ou latumorectomie avec une marge de tissu sain [5,6,13]. Letaux de récidive des lipomes intraparotidiens, toutes loca-lisations et toutes techniques confondues, est de l’ordre de5 % [12].

Sur le plan histologique, ces lipomes correspondent àune prolifération adipocytaire encapsulée dans une gainefibreuse [21]. Parfois, l’encapsulement est moins net [8].Il a enfin été suggéré que ces lipomes des régions cervico-

céphaliques profondes sont assimilables à des liposarcomesbien différenciés qu’il convient de traiter par excision large[6]. Les liposarcomes parotidiens prouvés histologiquementsont extrêmement rares (deux cas rapportés dans la littéra-ture) et doivent être distingués des lipomes. L’IRM permetle diagnostic différentiel en séquences pondérées T2 [23].

Conclusion

Les lipomes du lobe profond de la glande parotide sont doncdes lésions bénignes exceptionnelles dont le diagnosticpréopératoire est difficile à établir. Le scanner et surtoutl’imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent étayerle diagnostic. Leur traitement est chirurgical, ces modalitéssont très controversées. Ils doivent être évoqués lors dudiagnostic différentiel des tumeurs bénignes de la glandeparotide.

Références

[1] Baker SE, Jensen JL, Correll RW. Lipomas of the parotid gland.Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1981;52:167–71.

[2] Houston GD, Brannon RB. Lipoma of the parotid gland. OralSurg Oral Med Oral Pathol 1985;60:72–4.

[3] Walts AE, Perzik SL. Lipomatous lesions of the parotid area.Arch Otolaryngol 1976;102:230–2.

[4] Ulku CH, Uyar Y, Unaldi D. Management of lipomas arisingfrom deep lobe of the parotid gland. Auris Nasus Larynx2005;32:49–53.

[5] Janecka IP, Conley J, Perzin KH, Pitman G. Lipomas presentingas parotid tumours. Laryngoscope 1977;87:1007–10.

[6] Weiner GM, Pahor AL. Deep lobe parotid lipoma: a casereport. J Laryngol Otol 1995;109:772–3.

[7] Sueda N, Takeshita M, Chijiwa H, Hara T, Hirakawa N, Iwa-mura N. A case of lipoma in the deep lobe of the parotidgland. Otol Fukuoka 1999;45:211–4.

[8] Kimura Y, Ischikawa N, Goutsu K, Kitamura K, Kishimoto S.Lipoma in the deep lobe of the parotid gland: a case report.Auris Nasus Larynx 2002;29:391–3.

[9] Ozcan C, Unal M, Talas D, Gorur K. Deep lobe parotid glandlipoma. J Oral Maxillofac Surg 2002;60:449–50.

[10] Hosnuter M, Kargi E, Babuccu O, Yenidunya S. A case of lipomaof the deep lobe of the parotid gland. Kulak Burun Bogaz IhtisDerg 2003;10:167–70.

[11] Barnes L. Tumours and tumour like lesions in head and neck.In: Surgical pathology of head and neck, vol. 1. New York:Marcel Dekker Inc.; 1985. p. 747–58.

[12] Enzinger FM, Weiss SW. In: Benign lipomatous tumours. 3rd ed.St Louis, Missouri: Mosby; 1995. p. 381–430.

[13] Srinivasan V, Ganesan S, Premachandra J. Lipoma of the paro-tid gland presenting with facial palsy. J Laryngol Otol 1996;110:93–5.

[14] Korentager R, Noyek AM, Chapnik JS, Steinhardt M, Luk SC,Cooter N. Lipoma and liposarcoma of the parotid gland:high-resolution preoperative imaging diagnosis. Laryngoscope1988;98:967–71.

[15] Atsunobu T. Lipoma in the peritonsillar space. J Laryngol Otol1994;108:693–5.

[16] Som PM, Braun IF, Shapiro MD, Reede DL, Curtin HD,Zimmerman RA. Tumours of the parapharyngeal space andupper neck: MR imaging characteristics. Radiology 1987;164:823–9.

[17

[18

[19

[20

[21

[22

[23

O. Trost et al.242

] Som PM, Sacher M, Stollman MD, Biller HF, Lawson W. Commontumours of the parapharyngeal space: refined imaging diagno-sis. Radiology 1988;169:81–5.

] Lau T, Balle VH, Bretlau P. Fine needle aspiration biopsy insalivary gland tumours. Clin Otolaryngol 1986;11:75–7.

] Layfield LJ, Glasgow BJ, Lufkin R. Lipomatous lesions of theparotid gland: potential pitfalls in fine needle aspirationbiopsy diagnosis. Acta Cytol 1991;35:553–6.

] Mehle ME, Kraus DH, Wood BG, Benninger MS, Eliachar I,Levine HL. Facial nerve morbidity following parotid surgery

for benign disease: the Cleveland Clinic Foundation exoe-rience. Laryngoscope 1994;104:1487–94.

] Kim YH, Reiner L. Ultrastructure of lipoma. Cancer 1982;50:102.

] Stewart CJ, MacKenzie K, MacGarry GW, Mowat A. Fine needleaspiration cytology of salivary gland: a review of 341 cases.Diagn Cytopathol 2000;22:139–46.

] Stewart MG, Schwartz MR, Alford BR. Atypical and malignantlipomatous lesions of the head and neck. Arch OtolaryngolHead Neck Surg 1994;120:1151–5.