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Le syndrome de Stockholm
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Le syndrome de Stockholm
Mélodie dramatique en sept pistes
Fabien Campagne
Le syndrome de Stockholm
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Le syndrome de Stockholm
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Le pitch
La veille de son mariage, Marc rejoint ses amis Pierre, Nico et Adèle dans le manoir
familial de leur père Johnny Rose, une ex-star du rock, rangée des voitures depuis
l’invention de la techno. Rapidement rejoints par d’autres amis, les voici prêts à en
découdre avec quelques bonnes bouteilles, du bon son et un enthousiasme à casser
la baraque.
Les choses vont brusquement se compliquer quand Elise, ex petit amie de Marc, va
s’inviter à la partie avec un seul et unique but en tête : le récupérer !
Cette pièce est une comédie sentimentale spécialement conçue pour les amateurs
de soirées entre potes, de culture, de confiture, de bavardages, de badinages, de
Schrödinger, de chapeaux ronds, de pluies de Novembre et de digressions massives
autour du syndrome de Stockholm.
La durée
2h00 à 2h20.
La distribution
Le marié :
Marc : Marc est un type normal, un mec bien, un gars comme il faut. Les
pieds sur terre, il avance dans la vie avec joie et sérénité. Même son futur
mariage ne le fait pas flipper ! C’est vous dire s’il est cool…
Ses meilleurs amis sont Adèle, Thierry, Nico et Pierre.
Il a été en relation avec Elise pendant plusieurs années. Ils se sont séparés et
le regard de Marc s’est tourné vers celui de la douce Alice.
Les amis du marié :
Adèle : Working-girl à l’abandon, mère dépassée par les événements, elle est
obsédée par l’idée de ne pas pouvoir tout gérer dans sa vie. Elle a rangé le
mot « lâcher prise » dans le coffre-fort de ses angoisses.
Le syndrome de Stockholm
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Son boulot, c’est sa vie ! Esclave du smart-phone, épouse de Thierry, elle
n’attend plus grand-chose de son mariage mais voudrait bien une
augmentation.
Thierry : Eternel adolescent, baba-cool tendance geek, il enchaine les
diplômes et les études qui ne servent à rien. Marié à Adèle, il gère comme il
peut leurs deux enfants entre deux parties de Fifa sur Playstation.
Nico : Beau-gosse, dents blanches, coupe impeccable tiré à quatre épingles :
son dieu à lui s’appelle Gucci. Avec lui, on ne rigole pas avec le style !
Toujours entouré d’un nouveau mannequin « pot de fleur », il adore faire le
paon mondain dans les soirées. Sa réussite sociale n’a d’égale que sa
profonde détresse affective.
Adriana : Nouvelle compagne de Nico, bimbo tchèque virée de l’agence Elite,
pour excès de poids ou surabondance de neurones, elle est venue en France
poursuivre ses études de Lettres modernes.
Pierre : le petit frère de Nico habite dans la Lune. C'est-à-dire très très loin du
quartier d’affaires où sévissent les mâchoires de son aîné. Informaticien
pratiquant mais non croyant, il voudrait écrire des livres, monter des pièces de
théâtre et surtout que son père le regarde un peu plus. Mais ça non plus, il n’y
croit plus vraiment.
Elise : L’ex de Marc n’a qu’un seul but dans la vie : le reconquérir !
Les parents du marié :
Johnny : ex-star du rock, chanteur abandonné, il a tout réussi excepté son
rôle de père. Fier, autoritaire et particulièrement instinctif, il n’entend pas se
laisser marcher sur les pieds par qui que ce soit.
Carmen : tendre et effacée, elle est l’éternelle groupie du pianiste. Ancienne
chanteuse, elle a abandonné sa carrière pour élever ses enfants. Leur vouant
un amour infini, elle ne s’oppose à son mari que pour les défendre. Mystique
et délurée, elle croit dur comme fer aux horoscopes, tarots divinatoires et
autres fantaisies paranormales.
Au total : 4F + 5H
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Les décors
Un salon
Une table basse
Deux fauteuils
Un canapé
Un bar et chaises de bar
4 entrées : une côté jardin (donnant… sur la cour), deux à cour (donnant sur
une chambre et la salle de bain) + une pour l’entrée du salon (fond de scène).
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représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.
Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au
respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits
payés, même a posteriori.
Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit
s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer.
Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et
pour la structure de représentation.
Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes
amateurs.
Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours
profiter de nouveaux textes.
Le syndrome de Stockholm
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Acte 1 – Girls and boys – Blur (1994) ....................................................................... 10
Acte 1 – Scène 1 : Adriana et Thierry ................................................................... 10
Acte 1 – Scène 2 : Adèle et Thierry ...................................................................... 17
Acte 1 – Scène 3 : Adèle et Adriana ..................................................................... 19
Acte 1 – Scène 4 : Johnny, Carmen, Adèle et Thierry .......................................... 20
Acte 1 – Scène 5 : Carmen et Adèle. .................................................................... 23
Acte 1 – Scène 6 : Johnny et Thierry. ................................................................... 25
Acte 1 – Scène 7 : Adèle et Thierry. ..................................................................... 27
Acte 1 – Scène 8 : Adriana, Marc, Nico, Pierre, Thierry et Adèle. ......................... 28
Acte1 – Scène 9 : Adèle, Thierry et Pierre. ........................................................... 30
Acte 1 – Scène 10 : Marc, Johnny, Carmen, Nico et Adriana. .............................. 33
Acte 1 – Scène 11 : Pierre. ................................................................................... 36
Acte 1 – Scène 12 : Johnny, Carmen, Nico et Adriana. ........................................ 37
Acte 1 – Scène 13 : Pierre et Johnny. ................................................................... 38
Acte 1 – Scène 14 : Adèle, Pierre et Nico. + Adriana ............................................ 42
Acte 1 – Scène 15 : Marc, Adèle, Nico, Pierre et Adriana. .................................... 43
Acte 1 – Scène 16 : Elise, Marc, Adèle, Nico, Pierre, Adriana et Thierry. ............. 44
Acte 2 -Heart skipped a beat – The XX (2009) ......................................................... 47
Acte 2 – Scène 1 : Marc et Adèle. ......................................................................... 47
Acte 2 – Scène 2 : Marc, Adèle et Elise. ............................................................... 48
Acte 2 – Scène 3 : Elise. ....................................................................................... 50
Acte 3 – On s’en fout – Carmen Maria Vega (2013) ................................................. 51
Acte 3 – Scène 1 : Pierre, Marc et Nico ................................................................ 51
Acte 3 – Scène 2 : Adèle, Adriana et Elise ............................................................ 53
Acte 3 – Scène 3 : Pierre, Marc et Nico ................................................................ 53
Acte 3 – Scène 4 : Adèle, Adriana et Elise ............................................................ 54
Acte 3 – Scène 5 : Pierre, Marc et Nico ................................................................ 55
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Acte 3 – Scène 6 : Adèle, Adriana et Elise ............................................................ 56
Acte 3 – Scène 7 : Pierre, Marc et Nico ................................................................ 58
Acte 3 – Scène 8 : Adèle, Adriana et Elise ............................................................ 58
Acte 3 – Scène 9 : Pierre, Marc et Nico ................................................................ 60
Acte 3 – Scène 10 : Adèle, Adriana et Elise .......................................................... 61
Acte 3 – Scène 11 : Adèle et Thierry / Adriana et Marc / Elise et Pierre ............... 61
Acte 3 – Scène 12 : Elise et Marc ......................................................................... 64
Acte 4 – You can’t always get what you want – The Rolling Stones (1968) ............. 66
Acte 4 – Scène 1 : Elise, Adèle, Thierry, Pierre, Nico et Adriana .......................... 66
Acte 4 – Scène 2 : Adèle, Thierry, Pierre, Nico et Adriana.................................... 68
Acte 4 – Scène 3 : Thierry, Nico et Adriana .......................................................... 70
Acte 4 – Scène 4 : Thierry, Nico, Adriana, Adèle et Pierre .................................... 72
Acte 4 – Scène 5 : Thierry et Pierre ...................................................................... 77
Acte 4 – Scène 6 : Nico, Thierry, Adriana, Pierre et Adèle .................................... 80
Acte 5 – Qu’est ce qu’on attend? – NTM (1995) ....................................................... 83
Acte 5 – Scène 1 : Johnny, Carmen, Thierry, Adriana et Adèle ............................ 83
Acte 5 – Scène 2 : Thierry, Adriana et Adèle ................. Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 3 : Thierry, Adriana, Adèle, Nico et PierreErreur ! Signet non
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Acte 5 – Scène 4 : Thierry et Adèle ............................... Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 5 : Pierre, Thierry, Adèle et Nico ........... Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 6 : Thierry, Adriana, Adèle, Nico et PierreErreur ! Signet non
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Acte 5 – Scène 7 : Thierry, Adriana, Adèle, Nico, Pierre, Marc et Elise ........ Erreur !
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Acte 5 – Scène 8 : Pierre, Marc, Elise et Nico ............... Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 9 : Adriana, Pierre, Marc et Elise .......... Erreur ! Signet non défini.
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Acte 5 – Scène 10 : Thierry, Adèle, Adriana, Nico et PierreErreur ! Signet non
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Acte 5 – Scène 11 : Johnny, Pierre et Nico .................... Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 12 : Johnny, Thierry, Adèle et Adriana .. Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 13 : Johnny et Nico ............................... Erreur ! Signet non défini.
Acte 5 – Scène 14 : Johnny et Adriana .......................... Erreur ! Signet non défini.
Acte 6 – Le premier jour du reste de ta vie – Etienne Daho (2006)Erreur ! Signet
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Acte 6 – Scène 1 : Carmen ............................................ Erreur ! Signet non défini.
Acte 6 – Scène 2 : Carmen, Pierre, Adèle, Thierry et NicoErreur ! Signet non
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Acte 6 – Scène 3 : Carmen, Johnny, Pierre, Adèle et NicoErreur ! Signet non
défini.
Acte 6 – Scène 4 : Marc, Elise, Adèle, Adriana, Nico, Pierre, Carmen et Johnny
....................................................................................... Erreur ! Signet non défini.
Acte 6 – Scène 5 : Marc, Pierre, Thierry et Johnny ........ Erreur ! Signet non défini.
Acte 6 – Scène 6 : Adriana, Carmen et Johnny ............. Erreur ! Signet non défini.
Acte 6 – Scène 7 : Johnny et Thierry. ............................ Erreur ! Signet non défini.
Acte 7 (Outro) - Instant Crush – Daft Punk (2013) ............. Erreur ! Signet non défini.
Acte 7 – Scène 1 : Thierry .............................................. Erreur ! Signet non défini.
Acte 7 – Scène 2 : Adèle ................................................ Erreur ! Signet non défini.
Bonus Track – You’ve got the love – Florence + The Machine (2011) ..................... 86
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Acte 1 – Girls and boys – Blur (1994)
Acte 1 – Scène 1 : Adriana et Thierry
Adriana est seule. Elle lit un livre, assise nonchalamment dans le fauteuil, les pieds
posés sur les accoudoirs. Thierry fait son entrée à jardin en portant un grand carton
bourré de câbles et d’appareils électroniques.
Thierry (enthousiaste, passant rapidement de jardin à cour) : La vache ! Ce que
c’est lourd ! (Il pose le carton sur le bar et commence à en extraire le matériel) And
here we go : c’est parti pour la giga teuf !
Adriana (absente, toujours plongée dans la lecture de son livre) : C’est sûr que
ça risque d’être chaud…
Thierry pose son matériel sur le bar. Il reprend son souffle puis se tourne vers
Adriana.
Thierry (impatient) : J’ai hâte que Marc soit là ! (Il part à jardin pour guetter par la
fenêtre l’arrivée de ses amis)
Adriana (toujours dans sa lecture) : Pierre et Nico sont partis le chercher il y a une
bonne heure. A quelle heure arrivait son train déjà ? 16h30 ?
Thierry : 16h33.
Adriana : C’est cela.
Thierry (consultant sa montre) : … Et il est 16h47.
Adriana : Ils ne devraient donc plus tarder.
Thierry (Entamant un pas de danse) : Let’s groove tonight ! !
Adriana lève un regard amusé vers Thierry.
Adriana (contemplative) : Ce qui m’émeut le plus c’est de me dire que Marc et Alice
vont se marier demain ici même ; dans le manoir des Rose. Le manoir de Johnny
Rose. Tu te rends compte ?
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Thierry : Bof ! Ca je m’en fous bien !
Adriana : Enfin quand même : c’est un lieu culte ! Les Stones et les Beatles ont joué
ici !
Thierry : Et moi j’ai vomi une fois derrière le piano…
Adriana : Quel blasé ! On dirait que ça ne te fait rien. Je te parle de Johnny : LE
Johnny.
Thierry : J’en ai entendu parler. Je te rappelle que je suis marié avec sa fille. Tu sais,
moi, Johnny, je le fréquente depuis plus de dix ans. Alors, son manoir, tu vois, c’est
comme sa musique, je m’en tamponne.
Adriana : Tu n’as pas l’air de l’apprécier plus que ça. Je me trompe ?
Thierry : Non. Pas vraiment. Parlons d’autre chose, tu veux. Vous vous êtes
rencontrés comment avec Nico ?
Adriana (posant son livre sur ses genoux) : C’est compliqué… On s’est croisé de
nombreuses fois avant d’être réellement ensemble. A l’époque, j’habitais encore
Prague et pour tout te dire, je ne me souviens plus vraiment des détails. (Se
replongeant dans la lecture de son livre) De toute façon, il te racontera cela mieux
que moi.
Thierry (pleinement enthousiaste) : Ca pour sûr ; il a le talent pour te les raconter
les histoires ! Il faut dire qu’il lui arrive toujours des trucs incroyables ! Ce type – c’est
pas compliqué – c’est le pape du bon plan, le gentleman de la soirée VIP, le king de
la veste à paillette - que dis-je- c’est l’empereur galactique du dance-floor. Bref : un
détecteur à bons coups monté sur pattes !
Adriana lève un nouveau regard amusé vers Thierry.
Thierry (se rendant compte du double sens de sa dernière phrase) : « bon
coup », c’est une expression. Je veux dire, je n’étais pas en train de parler de toi,
bien sûr.
Adriana (tout sourire) : J’avais compris. Ne t’inquiète pas… Et puis, surtout, j’ai
l’habitude. Et toi, tu l’as connu comment ?
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Thierry : Dans une soirée qu’il avait organisée dans le quartier où nous vivions. A
l’époque, je connaissais déjà Pierre, le second frère d’Adèle, mais je n’avais jamais
eu la chance de rencontrer Nico, l’aîné, le plus furieux des trois. Adèle m’avait glissé
deux ou trois trucs sur lui mais il restait pour moi un genre de légende urbaine.
Bref, avant de déménager en banlieue, Adèle et moi, on habitait le quartier
République. C’est vrai que ça bouge pas mal dans ce coin. Ca me manque un peu
d’ailleurs… (Soupirs nostalgiques) Bref, dans l’appartement en face du nôtre, se
tenait au quatrième étage une espèce d’apocalypse sonore, une fête à tout casser,
une bringue de malade. Je ne te raconte pas le boucan d’enfer ! Les basses faisaient
secouer tous les bibelots du salon et on a failli perdre toute la collection de poupées
russes d’Adèle !
J’ai le sommeil plutôt lourd, donc, moi ça ne me dérangeait pas trop. Adèle, par
contre, venait juste d’accoucher et elle était plutôt à cran. Et quand je te dis à cran,
crois-moi, je suis très loin du compte. Bref, n’y tenant plus, elle m’envoie en mission
vers 1 heure du mat’ pour que j’essaie d’intervenir. Je traverse la rue. Je monte au
quatrième. Je sonne et c’est Nico, le frère d’Adèle en personne, qui m’ouvre.
Adriana : Et alors ?
Thierry : Je ne suis pas redescendu. Enfin, si, bien évidemment. Mais le lendemain
matin. Et seulement vers 11 heures.
Adriana rit.
Thierry : Je n’avais jamais vu un truc pareil ! Il y avait deux DJ, de l’alcool et des
filles à gogo. Et ces filles, mazette ! Waouh !!! Quelles filles ! Des mannequins en
grappe avec des seins partout. Avant ça, je croyais que ça n’existait que dans les
clips de Jay-Z.
Adriana (amusée) : Nico adore la compagnie des mannequins. Il apprécie surtout
leur conversation. Et Adèle, qu’a-t-elle dit ?
Thierry : Pas simple. C’est là qu’a débuté ma relation platonique avec le divan du
salon. (Silence pensif) On se recroise assez régulièrement d’ailleurs.
Adriana (rires) : Elle a du détester son frère pour ça alors ?
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Thierry : Au début, oui. Mais le surlendemain, je le croise par hasard. On échange
sur la soirée, on se marre en se remémorant - tant bien que mal – chaque détail,
chaque minuscule connerie faite. C’est là que j’en viens à lui parler d’Adèle et du fait
qu’elle ne m’adresse plus la parole depuis cette fameuse soirée. Tu sais ce qu’il a
fait ?
Adriana : Non.
Thierry : Il est allé la voir le jour même. Il s’est excusé et lui a proposé de
l’accompagner, le soir même, en backstage à un concert que donnait le groupe
Muse.
Adriana : Muse ? En backstage ? La classe ! Et qu’a-t-elle fait ?
Thierry : Elle y est allée, tu penses ! Et si ça ne suffisait pas, il nous a – ensuite -
offert un séjour d’une semaine à Marrakech pour s’excuser. On était dans un des
plus grands hôtels marocains de la côte. Le luxe ! On y a même croisé George
Clooney. What else ?
Enfin bon, tu vois le genre, je ne te raconte pas.
Adriana (en se levant pour aller ranger le livre dans la bibliothèque à cour) :
Inutile en effet. Le pire, c’est que cela ne m’étonne même pas de la part de Nico.
Thierry : Oui. Il n’y a pas plus généreux que lui.
Adriana se détourne, ne répond pas et range le livre dans la bibliothèque.
Thierry (en commençant à déplier ses câbles) : Tu lisais quoi ?
Adriana : Dostoïevski. « Le joueur ». Tu connais ?
Thierry : J’ai un peu honte mais non.
Adriana : C’est un roman très particulier dans l’œuvre de Dostoïevski. Très
personnel. Quasi autobiographique. Tu savais que comme le personnage principal,
l’auteur a été fortement dépendant au jeu ?
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Le roman nous renvoie à nos propres mensonges et à la manière dont on se
construit – en bien ou en mal – dans notre relation aux autres. (Silence admiratif de
Thierry) Bref, c’est un bon bouquin.
Elle se lève et le repose pour de bon dans la bibliothèque.
Thierry : Je suis bluffé.
Adriana (dos à thierry) : Qu’est ce qui te bluffe ? Que Dostoïevski ait été un joueur
compulsif ou qu’un mannequin sache lire ?
Thierry (essayant de se rattraper) : Non. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
Adriana (amusée, fière d’avoir touché juste) : Mais tu l’as pensé.
Thierry (bredouillant et finissant par avouer) : Non… Enfin, j’avoue, un peu quand
même, oui. (Essayant de se rattraper) Et… Et, tu lis ça un peu pour la nostalgie. Ca
te rappelle tes origines, en fait. (Hésitant) C’est bien cela ?
Adriana : Dostoïevski est russe. Il est né à Moscou. Je suis tchèque. De Prague. Il y
a approximativement 2000 kilomètres entre les deux capitales et il faut traverser
deux pays pour rejoindre ces deux villes.
Thierry (faussement étonné) : Ha oui ?
Adriana (amusée par la situation) : Non. Et puis, si j’avais voulu jouer la carte
nostalgie. J’aurais plutôt cité Soljenitsyne – bien qu’il soit russe lui aussi. Rapport à
son exil politique. Tu me suis ?
Thierry (dissimulant son mal aise) : C’est évident.
Adriana (se rapprochant de lui en jouant la carte de la séduction) : Tu vois, tu
continues à être étonné qu’une fille comme moi puisse citer des personnes connues
autrement que pour avoir fait la couverture de Gala, Closer ou Paris-Match.
Thierry (Rires nerveux. essayant de s’en sortir par une pirouette) : Oui. Et puis
ils étaient morts depuis longtemps. Ils n’ont pas pu connaître ces revues.
Adriana (se retournant à nouveau vers la bibliothèque) : Soljenitsyne s’est éteint
en 2008 à la suite d’une insuffisance cardiaque. Par contre – et je te rejoins sur ce
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point – sa biographie ne dit pas si il a accordé un jour une interview en string à
Closer.
Thierry rit.
Thierry : Tu es incroyable. Mais comment sais-tu toutes ces choses ?
Adriana (lui faisant à nouveau face) : C’est mon métier. Enfin, ce devrait l’être,
pour être plus précis. J’étudie la littérature et plus particulièrement les lettres
modernes depuis une dizaine d’années. Je passe le doctorat cette année.
Thierry : Tu m’as bien eu.
Adriana (se servant un verre au bar) : Tu n’as pas eu besoin de mon aide : tu t’es
fait avoir tout seul. C’est toi qui m’as rangé dans une case sans même me connaître.
C’est mal de juger les personnes sur leur apparence.
Thierry : C’est vrai et je m’en excuse.
Adriana : J’avoue que j’en ai un peu profité. C’était assez jouissif de te voir
t’enfoncer tout seul comme un grand.
Thierry : A un moment, j’ai failli sortir les rames. Mais dis-moi, Nico m’a bien dit que
tu étais mannequin ?
Adriana : Je l’ai été.
Thierry : Tu as arrêté ta carrière ?
Adriana : Mon agence l’a fait pour moi. J’ai été virée. Je ne rentrais plus dans les
critères. Trop ronde et puis surtout trop âgée par rapport à la concurrence des
nouvelles gamines.
Thierry : Trop ronde ? Probablement l’excès de neurones.
Adriana : C’est mieux comme cela. Ca m’a obligé à rebondir et à me concentrer sur
ma vraie passion : la littérature.
Thierry (faisant son fier) : C’est amusant. En fait, tu sais, que professionnellement,
nous sommes assez proches, en fait, toi et moi.
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Adriana (lointaine) : Que veux-tu dire ?
Thierry (même jeu) : On va faire un petit jeu. Tu veux ?
Adriana : Je te préviens, je suis plutôt du genre mauvais perdant.
Thierry (amusé) : Essaie de deviner dans quelle branche, je travaille ?
Adriana : Voyons-voir. (Elle le toise longuement en tournant autour de lui)
Chemisette froissée entrouverte sur un T-shirt Metallica, jeans baggy mal taillé,
baskets imitation Converse. Quarantaine mal assumée. Hum… Tes traces de
lunettes sur l’arête du nez témoignent de nombreuses heures de présence devant
les livres et des recherches tardives sur Internet. (Elle lui prend les mains et les
retourne pour les observer plus attentivement) Fais-voir tes mains… Ca confirme ce
que je pensais, tu es tout sauf un manuel. Tes pouces semblent, en outre, très
agiles. Je dirais que tu passes pas mal de temps sur les consoles de jeu. De plus,
tout à l’heure, j’ai vu dépasser de tes pantalons un smartphone – iPhone forcément –
protégé par une pochette Pokemon. Tu es donc plutôt dans la tendance Geek
lourde. (Elle prend un peu de recul avant de dévoiler son verdict) Hum… Après un
parcours chaotique dans le privé, je dirais que tu as rejoins l’enseignement, où tu es
actuellement chercheur surdiplômé en nouvelle technologie. Passionné de jeux
vidéo, tu donnes des cours à l’université qui te permettent de préparer une pseudo
thèse sociétale sur l’influence bénéfique de tous ces trucs.
Thierry : En fait, il s’agit de traiter d’une projection réaliste relative à l’impact des
sports virtuels plus communément appelés – je te l’accorde – jeux vidéos.
Adriana (elle sort une cigarette de son sac) : Si tu veux. J’ai donc vu juste ?
Thierry : Et bien – dans les grandes lignes – je dois dire que tu as plutôt visé juste.
Précisément, je suis physicien-chercheur spécialiste dans les nanotechnologies.
Comment as-tu deviné ?
Adriana (froidement en le toisant de haut en bas) : Il n’y a qu’à te regarder.
Thierry (vexé) : Et bien. Pour quelqu’un qui prétend que c’est mal de juger les
personnes sur leurs apparences, on peut dire que tu ne t’en prives pas.
Adriana : Ne sont-ce pas les cordonniers les plus mal chaussés, comme on dit ?
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Thierry (énervé) : Et les prophètes en leur pays, tant que tu y es ! Qu’est ce que
c’est que cette histoire de godasses ? Tu dis qu’il ne faut pas juger les gens et tu me
dépeins froidement en deux clichés de merde !
Silence gêné. Elle s’avance lentement vers lui.
Adriana (charmeuse) : Je t’ai fait marcher. C’est Nico qui m’a dit que tu es
chercheur.
Thierry (redescendant d’un coup) : Ha…
Adriana (présentant sa cigarette à ses lèvres) : Tu as du feu ?
Thierry (gêné à son tour) : Non. J’ai arrêté de fumer.
Adriana : Tant pis. J’en ai vu un posé dehors sur la table de jardin. De toute façon, je
ne vais pas fumer ici et un peu d’air me fera le plus grand bien.
Thierry hoche la tête en signe d’acquiescement. Elle sort fumer sur la cour (côté
jardin). Thierry pose une platine disque sur le bar et reprend ses branchements.
Acte 1 – Scène 2 : Adèle et Thierry
Adèle surgit par la porte principale en hurlant.
Adèle (en furie) : Ha Ha ! Cette fois, tu ne m’échapperas pas !
Elle s’avance rapidement à jardin sur le proscenium. Elle sort son téléphone portable
et commence à pianoter sur l’écran.
Adèle : Je te tiens, salope !
Thierry : Qu’est ce qui te prend ?
Adèle : Ce qui me prend c’est que j’ai enfin trouvé le moyen de coincer notre
feignasse de baby-sitter.
Thierry (las) : Tu ne vas pas remettre ça !
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Adèle : Je vais me gêner ! Au prix qu’elle nous coûte, je vais lui faire passer l’envie
d’inviter son petit ami quand je lui confie nos filles à cette truie mal frisée. En plus, je
suis sûr que c’est une voleuse.
Thierry : Tu exagères !
Adèle (se retournant vers lui furieuse) : Je n’exagère rien du tout ! En plus de son
boy-friend, je ne vais quand même pas la laisser se taper mon fric.
(Silence)
J’ai placé des micros dans la chambre où elle est sensée dormir ce soir. J’ai bien
l’intention d’accumuler des preuves contre elle. Cette application sur i-Phone me
permet, à tout moment, d’enregistrer toutes ses conversations.
Thierry : Pour faire quoi ? Tu veux la faire chanter ?
Adèle (énervée) : La faire chanter ? Tu me prends pour qui ? Un membre du jury de
la Nouvelle Star ?
Thierry (essayant d’être plus clair) : Mais non ! La faire chanter, Adèle !
Adèle (froide et sèche) : Rien à voir. Seulement, je déteste qu’on se foute de ma
gueule. (Elle remonte à nouveau dans les tours) Et ça dure depuis trop longtemps
avec cette gamine !
Thierry : T’en fais des tonnes. On n’a qu’à la virer et en prendre une nouvelle, voila
tout !
Adèle (de plus en plus énervée) : Tu sais très bien qu’on ne peut pas ! C’est la fille
de ma meilleure amie. Je ne vais quand même pas me fâcher avec elle.
Thierry : Et si…
Adèle (furieuse) : Et si quoi ?
Thierry : Non. Rien. (Silence) Je retourne terminer de décharger le camion.
J’aimerais avoir tout fini avant que Marc, Pierre et Nico ne soient là.
Adèle : C’est ça. (Il sort) Et ne traine pas en chemin : papa et maman vont débarquer
d’une minute à l’autre.
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Thierry quitte la pièce en croisant Adriana.
Acte 1 – Scène 3 : Adèle et Adriana
Adèle se retourne pour voir qui vient d’entrer. Voyant qu’il s’agit d’Adriana, l’amie de
Nico, elle retourne à ses occupations sur son téléphone portable.
Adriana (empathique, cherchant à établir le contact) : Ca va ?
Adèle (elle ne la calcule pas) : Ca va.
Adriana (ironique) : Si mal que ça ?
Adèle : De quoi j’me mêle ?
Adriana (faisant la moue en repartant à cour vers la bibliothèque) : OK…
Silence lourd.
Adèle (se rendant compte qu’elle a répondu trop séchement) : Je te demande
pardon. Je me trompe de colère : ce n’est pas à toi que j’en veux.
Adriana (désignant Thierry coté jardin) : Ton mari, alors ?
Adèle (l’interrompant) : Même pas. (Elle part s’asseoir milieu de scène) Je crois
que c’est ce week-end qui me stresse.
Adriana (se rapprochant) : Un week-end entre potes, ça te stresse toi ?
Adèle : Oui… Non… C’est pas ça. C’est juste que… Je n’ai plus vingt ans. On va se
coucher à pas d’heure. Crevés, bourrés. Et je sais que je vais encore ramer toute la
semaine prochaine pour rattraper. J’ai une tonne de taf, en plus. Ca m’fait chier !
Adriana : je vois…
Adèle : Ca veut dire quoi ça « je vois » ?
Adriana : Rien. Je comprends, c’est tout.
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Adèle : Tu ne comprends rien du tout ! J’ai deux filles et un troisième gosse qui me
sert de mari. Je suis crevée ! Faut que je m’occupe de tout : les courses, le ménage,
même la route ! J’ai conduit toute la sainte journée pour venir m’enterrer ici.
Silence lourd.
Adèle (gênée, fou rire) : Excuse-moi.
Adriana (empathique) : Je crois en effet que tu as besoin d’un bon week-end entre
potes.
Adèle (ironique) : Toi, t’es un sacrée connasse !
Adriana (ironique) : Je sais.
Adèle : Et j’aime ça.
Adriana : Ca aussi, je le sais.
Acte 1 – Scène 4 : Johnny, Carmen, Adèle et Thierry
Johnny, Thierry et Carmen, entrent dans le salon les bras chargés de victuailles. Ils
disposent un ensemble de plats variés, composés de sandwiches, salades, tapas et
autres pintxos à plusieurs endroits de la scène.
Johnny (souriant) : Salut la jeunesse ! On vous apporte de quoi tenir un siège.
Adèle se précipite inquiète vers Thierry.
Adèle (marchant avec hâte) : Je compte sur toi pour te tenir à carreau : pas de
gaffe avec mon père… Et pas un mot à ma mère… En fait, le mieux serait que tu la
boucles complètement.
Thierry : J’ai le droit de dire bonjour quand même ?
Adèle le fusille du regard.
Thierry (soupirant) : Pigé.
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Adèle (Souriante) : Papa ! Maman ! (Elle les embrasse puis s’arrête un instant pour
mieux les observer) Laissez-moi vous contempler : vous êtes superbes ! Maman,
tout particulièrement…
Johnny (à Carmen sur l’air de « Paroles, Paroles ») : C’est vrai qu’elle est
splendide.
Tu es mon rêve défendu, mon seul tourment et mon unique espérance. Tu es pour
moi la seule musique qui fait danser les étoiles sur les dunes.
Carmen (à Johnny) : Encore des mots, toujours des mots.
Adèle : Fantastique !
Johnny (Souriant) : Merci. Cela dit, je te rends le compliment, ma fille (il la fait
tourner sur elle-même). Tu es splendide ! (S’adressant à Thierry) Ce n’est pas parce
que c’est ma fille qui est à votre bras Thierry, mais je pense que vous êtes un
homme heureux et particulièrement chanceux.
Thierry (en lui tendant la main) : Une chance de cocu !
Visiblement gênée, Adèle éclate d’un rire bruyant.
Adèle (rires gênés) : Ha ! Ha ! Sacré Thierry ! (Changeant de sujet)
Johnny (changeant de sujet) : Mais où sont mes petites filles ?
Adèle : Nous les avons laissées dans la petite salle à l’entrée avec la baby-sitter.
Johnny : Il me tarde d’aller les embrasser.
Adèle : Et toi, maman, comment vas-tu ?
Carmen (visiblement stressée) : Bien. Très bien.
Thierry : Vous êtes surs ? Parce qu’on ne dirait pas.
Johnny prend sa fille a part.
Johnny (ignorant la remarque de Thierry) : Ta mère a replongé.
Adèle (furieuse) : Quoi ?!? Maman, dis-moi que t’as pas fait ça !
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Thierry (inquiet) : Cigarettes ? Alcool ? … Hashish ?
Johnny : Pire.
Thierry : Drogue dure?!?
Johnny : Tarot divinatoire.
Thierry (après un temps) : Pardon ? (à lui-même) Ca se fume ça ?
Adèle : Maman a été pendant très longtemps une accro à tout ce qui avait trait à la
médiumnité, les délires métaphysiques et autres conneries de ce genre ! Papa avait
réussi à la faire décrocher.
Thierry : Je vois. Enfin d’un autre côté, ce n’est quand même pas un crime que de
lire son horoscope de temps en temps.
Johnny : Vous n’y êtes pas. Chez elle, c’était pathologique. Elle ne pouvait pas sortir
sans son tarot dans la poche. Poche dans laquelle se trouvaient, pêle-mêle, grigris,
pendules, bondieuseries et autres marabouteries.
Thierry : C’est comme moi. J’ai toujours une épingle qui traine au fond d’une poche
de pantalons. (Faisant mine de se piquer) Aïe ! (Silence) Continuez…
Johnny (légèrement en colère) : Je suis sérieux, là ! A une époque, elle ne pouvait
pas prendre une décision sans consulter les astres.
Adèle : Elizabeth Tessier, à côté, c’était un enfant de cœur.
Johnny : Enfin bref, je pensais l’avoir sortie de tout ça. Jusqu’à ce qu’hier…
Carmen s’avance doucement vers eux.
Carmen (stoïque) : Tu peux dire ce que tu veux. Il va se passer quelque chose ici.
Thierry : Un mariage, peut-être ? Un homme va en prendre pour trente ans !
Adèle (en aparté à son oreille) : Tais-toi !
Carmen (souriante) : Moquez-vous ! (Elle observe la salle et fait quelques pas) Il y a
des signes, de l’électricité, je ne sais pas, mais je le sens.
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Johnny (brusquement violent) : Effectivement, il va y avoir un meurtre !
Adèle (terrorisée) : Papa !
Johnny se dirige vers sa femme, la dépasse et s’empare d’un bouquet de fleurs posé
sur la table.
Johnny : Je vais tuer ce fleuriste ! J’avais demandé des roses rouges ! Rouges !
(Épelant le mot) R.O U.G.E.S !?! Ce n’est quand même pas compliqué !
Adèle (prenant une fleur au hasard) : Enfin, papa, elles sont très bien ces roses...
(Après contemplation) rouges.
Johnny (lui arrachant la rose des mains) : Parce que tu appelles ça du rouge, toi ?
Adèle (hésitante) : Euh oui…
Johnny : Carmin à la rigueur. Mais certainement pas rouge (il jette la fleur au sol).
Thierry (en ramassant la fleur pour l’offrir à son épouse) : Soudain un inconnu
vous offre des fleurs… euh… pourpres ?
Adèle (lui arrachant la fleur et la reposant sur la table) : Tais-toi !
Carmen se dirige côté jardin pour quitter la scène. Adèle tente de la rattraper. Thierry
et Johnny continuent de discuter.
Acte 1 – Scène 5 : Carmen et Adèle.
Adèle : Attends-moi, maman !
Carmen (pressée) : Qu’est ce qu’il y’a encore ?
Adèle : Rien… Rien. Je voulais juste te parler, un peu.
Carmen : Alors, fais vite ! J’ai une montagne de choses à organiser pour le mariage
de votre ami. Qu’as-tu à me dire ?
Adèle : Rien. Je te l’ai déjà dit. Je veux juste qu’on discute comme mère et fille. Ca
fait presque un an qu’on ne s’est pas vues.
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Carmen (dans l’empathie) : Je comprends. Ne m’en veux pas. Je veux que ce soit
parfait pour ton ami. Tu comprends : Marc est un peu comme un fils pour nous. C’est
le meilleur ami de Nicolas et Pierre. (Elle s’avance vers la fenêtre donnant sur le
jardin). Je me souviens, enfants, vous jouiez tous les quatre dans ce parc. Les
garçons jouaient à cache-cache. Toi, ma chérie, tu usais tes robes sur la balançoire
près du grand tilleul. Chaque parcelle de ce jardin est remplie de souvenirs. Souvent,
je le contemple avec nostalgie en pensant à vous. A vous quatre. Je veux que le
mariage de Marc et Alice soit parfait. Tu comprends ?
Adèle : Ca le sera. Comme d’habitude.
Carmen : Comme d’habitude, comme d’habitude : (Un temps) Le rôti était un poil
trop cuit à Pâques, non ?
Adèle (mentant mal) : Euh ! C’est possible, je ne me souviens pas bien. (Changeant
de sujet) Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas que tu stresses pour ce soir.
Carmen : Tu es adorable, bienveillante, pleine d’attention. (Elles s’enlacent) Quoi
qu’il en soit : je sens qu’il va se passer quelque chose. (Elle sort un pendule) Tu vois,
toutes ces mauvaises ondes qui agitent mon pendule !
Adèle : Maman : c’est juste un morceau de verre accroché au bout d’une ficelle.
Carmen : Impie ! On dirait ton père. A ce sujet – ne lui répète pas – j’ai fait déplacer,
spécialement pour l’événement, un expert fen-shui pour qu’il analyse la salle et
m’aide à faire le plan de table.
Adèle : Tu as fait venir quoi ?
Carmen : Qui : un expert en fen-shui. (Adèle la regarde interloquée. Elle ne
comprend visiblement pas) Un spécialiste du zen, si tu préfères.
Adèle (en riant) : Ce que je préférerais, c’est ne pas avoir entendu ce que tu viens
de dire. Et alors, il en dit quoi de notre manoir maître Chi-Fu ?
Carmen : Il dit qu’un grand évènement va se produire ce soir.
Adèle (ironique) : Sans déconner ? Pas besoin de boule pour voir ça : demain Marc
et Alice se marient ici même.
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Carmen : Pas demain. Un événement va se produire ce soir. Il nous reste peu de
temps pour agir.
Carmen s’apprête à partir. Adèle la retient.
Adèle : Que veux-tu qu’il arrive ? C’est un mariage. Comme on en célèbre depuis
des milliers d’années… Tout se passera bien, maman. Fais-moi confiance.
Carmen : Dans le doute, j’ai quand même placé quelques bâtonnets d’encens aux
quatre coins de la pièce.
Adèle : C’était donc ça l’odeur de patchouli…
Carmen : Ca reste entre nous. Pas un mot à ton père. (Elle embrasse sa fille et se
sauve) Bon, allez, faut que je me sauve : j’ai du travail en cuisine.
Adèle embrasse sa mère.
Acte 1 – Scène 6 : Johnny et Thierry.
Carmen quitte la scène. Elle sort côté jardin.
Johnny : Dites-moi, Thierry, ça marche toujours pour l’installation de la sono ce
soir ?
Thierry : Tout est sorti du camion, il n’y a plus qu’à brancher. Salsa, Tango, Techno :
DJ Titi, au garde à vous, comme chaque année ! Enfin, pour être plus précis : (sur
l’air de la chanson) comme d’habitude.
Johnny : Justement. Allez-y mollo sur le Claude François. Tatie Jacquotte a failli se
démettre une vertèbre sur « Magnolia forever » l’an dernier.
Thierry (sur l’air d’un tube des années 80) : Hé, Johnny : ce n’est pas à vous que
je vais l’apprendre. Une musique sans accord majeur, c’est comme une piste sans
danseur.
Johnny : …
Thierry : Laissez-tomber.
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Johnny : Et vous, sinon, votre… (Cherchant ses mots) thèse ? Vous en êtes où ?
Thierry (blagueur) : Et bien… Ca progresse. J’ai déjà trouvé le titre. Comme on dit,
entre nous, enseignants-chercheurs, c’est 80% du boulot (il se force à rire mais
constate que ça ne fonctionne pas). Je l’ai déjà faite cette blague, non ?
Johnny (froid, sévère) : C’est possible, oui. Je ne les retiens pas toutes vos
blagues.
Thierry (se reprenant) : Plus sérieusement, j’ai réuni tous les éléments
bibliographiques. Je commence l’étude sur un panel de gamers très prochainement.
Johnny : un panel de quoi ?
Thierry : Des gamers : des personnes qui pratiquent activement les jeux vidéo, si
vous préférez.
Johnny : Je vois. Vous m’avez bien eu. A un moment, j’ai cru que vous aviez
vraiment trouvé un travail.
Thierry : Mais je travaille.
Johnny : Non, vous ne travaillez pas. Regarder des détraqués - des« gamers » (il
mime les guillemets avec ses doigts) - passer leurs journées à jouer aux jeux vidéos,
ce n’est pas un travail. Ma fille travaille : elle se donne sans compter pour la réussite
de son entreprise, elle anime des réunions, encadre des collaborateurs, et surtout
elle ramène un salaire décent qui VOUS permet de vivre.
Thierry : C’est injuste !
Johnny : Quand est-ce que vous allez vraiment commencer à travailler ?
Thierry (s’énervant à son tour) : Je vous l’ai déjà dit : je travaille ! Je ne compte pas
mes heures. J’ai à peine le temps de rentrer pour m’occuper des devoirs des enfants
et des repas. Une fois les filles couchées, je retourne immédiatement bosser. C’est
pas compliqué, on ne se voit quasiment plus Adèle et moi. C’est vous dire !
Johnny (soudain compréhensif) : Et vous en souffrez ?
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Thierry (à nouveau moqueur) : C'est-à-dire que mon assistant a bien placardé des
calendriers et des filles en poster dans le vestiaire du labo, mais ça ne remplace pas
une épouse.
Johnny (choqué) : C’est délicat.
Thierry (constatant que personne n’a compris qu’il s’agissait d’une blague) :
C’était une blague ! Je blaguais… Je veux dire ; vous aviez compris que c’était
blague ? (Léger silence, puis en aparté) Il n’a pas compris. Putain, Adèle va me tuer !
Johnny (à nouveau sévère) : Vous devriez faire attention à votre langage quand
vous évoquez ma fille. A présent, pardonnez-moi. Je dois aller faire une bise à mes
petites filles et préparer l’arrivée des autres invités.
Johnny sort côté jardin en laissant Thierry en plan.
Thierry : Au secours ! Quelqu’un pour m’aider s’il vous plait !
Acte 1 – Scène 7 : Adèle et Thierry.
Adèle le rejoint inquiète.
Adèle : Ca va ? Tout s’est bien passé avec papa ?
Thierry (mentant mal) : Oui.
Adèle (voyant qu’il ment) : Qu’est ce que tu as encore fait ?
Thierry (gêné et tentant de minimiser la situation) : Il est possible que j’ai fait une
petite blague qu’il n’ait pas complètement appréciée.
Adèle (fâché) : T’es incroyable ! (Un temps) Je savais que je n’aurais pas dû te
laisser seul !
Thierry : Tu exagères. Ce n’était jamais qu’une petite blague.
Adèle (furieuse) : Oui. Très précisément. Une blague de plus ! Je te rappelle que
vous n’avez pas franchement le même humour !?!
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Thierry (suppliant) : Sois cool avec moi. Je te promets que j’essaie de faire de mon
mieux pour plaire à tes parents. Au reste, j’ai l’impression que le courant passe plutôt
bien avec ta mère.
Adèle (en baissant les yeux) : Oui. Enfin avec elle, c’est toujours plus simple.
Thierry (Il lui prend les mains et l’oblige à le regarder) : C’est exactement cela :
c’est plus dur avec ton père… D’ailleurs, je sais que tu ne le sais que trop bien.
Adèle (enfin souriante) : Oui. Je dois avouer que tu as raison. Il ne faut pas m’en
vouloir. Je suis toujours nerveuse quand je suis chez mes parents. Je veux qu’il soit
fier de moi.
Thierry : Mais ils le sont ! (En lui faisant un bisou tendre sur le front) Allons,
essayons de passer un bon moment avec tes frères. Les filles sont gardées par la
baby sitter…
Adèle : Super cochonne ?
Thierry : Oui. En personne. Ce n’est pas si souvent qu’on se retrouve que toi et moi.
Adèle : C’est vrai.
Thierry : Alors, profitons-en ! Tu veux ?
Adèle : L’idée est séduisante…
Il reste devant elle sans bouger.
Adèle : Qu’est ce que tu as ? Qu’est ce que tu veux ?
Thierry : Rien. J’attends mon bisou.
Ils s’enlacent tendrement.
Acte 1 – Scène 8 : Adriana, Marc, Nico, Pierre, Thierry et Adèle.
Adriana accourt vers la porte en criant.
Adriana (enjouée) : Venez vite ! Pierre, Nico et Marc sont arrivés.
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Adèle et Thierry se rapprochent de l’entrée. Adriana ouvre la porte. Un homme en
costume noir et lunettes noires se tient droit derrière celle-ci. Il s’agit de Nico, le frère
ainé d’Adèle et Pierre. Il tient un gros poste-cassette – façon ghetto blaster 80’s - sur
l’épaule. Il fait un pas vers la scène avant de rentrer dans la lumière. Les autres
s’écartent pour le laisser passer.
Nico : And now, ladies et gentlemen…
Nico appuie sur un gros bouton situé sur le poste-cassette. La chanson « Jump » de
Van Halen retentit dans la pièce.
Nico (façon animateur télé) : … Marc !
Marc entre suivi de Pierre. Adèle et Thierry se précipitent pour embrasser Marc.
Adriana danse avec Nico. Pierre les rejoint. Gros moment de complicité.
Après un court instant, Marc part baisser le son.
Marc (souriant) : Tu ne veux pas arrêter ta musique de dingue, Nico ?
Nico : Il va falloir t’y habituer. (Il le rejoint et passe son bras autour de son cou) A
partir de maintenant, chaque seconde de cette soirée sera inoubliable,
exceptionnelle… légendaire !
Pierre (taquin) : Voila qu’il devient lyrique.
Nico : Je ne plaisante jamais quand il s’agit de faire la fête ! (il écarte Marc du
groupe côté cour) Imagine : dans quelques minutes, un hélicoptère vient nous
chercher au milieu du jardin et nous décollons directement pour Tunis au large de
laquelle un Yacht spécialement affrété par mes soins compte ce qui se fait de plus
sexy en matière de top-modèles.
Adèle (boudeuse) : Je sens que je vais m’éclater…
Nico : Le tout assuré en pur open-bar…
Thierry (enjoué) : Là, c’est moi qui vais m’éclater !
Nico : Aux platines : les meilleurs DJs. Martin Solveig, David Guetta, Miss Kittin et
peut-être même les Daft Punk en personne…
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Thierry (déçu) : Une seconde : on n’avait pas dit pour la musique que c’était moi qui
organisais tout ?
Nico (après un léger silence) : Open-bar, Girls à gogo ; franchement, alors, qu’est
ce que t’en dis?
Marc: Ce que j’en dis c’est que les seules personnes avec qui j’ai envie de danser,
de discuter, avec qui j’ai envie de partager une soirée sont réunies ici.
Adriana : Ca c’est joliment dit !
Pierre : C’est surtout moins con…
Nico : Tu es sûr ?
Marc : Certain !
Tous se réunissent autour de Marc et se serrent très fort et très affectueusement.
Acte1 – Scène 9 : Adèle, Thierry et Pierre.
Pierre rejoint Adèle et Thierry tandis que Nico et Marc continuent à discuter off.
Pierre : Alors, ça va, soeurette ?
Adèle : Yes !
Pierre (souriant) : Qu’est ce que tu fiches encore avec ton portable ?
Adèle (concentrée) : Boulot !
Pierre (incrédule) : Un vendredi soir ?
Adèle : Oui. Enfin, je donne un coup de main à Jean-Pierre.
Silence gêné.
Adèle (s’apercevant que tous les regards sont sur elle) : Je ne vous ai pas parlé
de Jean-Pierre ?
Thierry (moqueur) : Ca me dit quelque chose : c’est pas le mari de ma sorcière bien
aimée ?
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Adèle (lasse) : Tu ne veux pas aller voir au fond de la salle s’ils n’ont pas des
pintxos, des chips ou même des cacahuètes. Je meurs de faim.
Thierry : Ils vendent des chips sur l’aire d’autoroute près de la bretelle principale. Ce
sera suffisamment loin pour que je ne te fasse pas trop honte ?
Adèle (en clignant des yeux, petite moue séductrice) : S’il te plait, mon chaton.
Thierry (reprenant le sourire) : Je préfère ça !
Thierry part et rejoint Nico à Jardin. Là, ils commencent à discuter off en faisant leurs
emplettes de tapas et autres pintxos.
Adèle (reprenant son explication) : C’est un collègue de boulot. Il doit travailler ce
week-end pour préparer la réunion commerciale de lundi avec les managers.
Pierre : C’est pas de bol !
Adèle : Oh ! Il est drôle – enfin, moi, il me fait mourir de rire. (S’avançant en
rougissant vers Pierre) Tu verrais : il est branché cul !
Pierre : Ha ! Ca devient intéressant ! (se redressant face public) Un peu glauque
aussi pour Thierry, non ?
Adèle (hilare) : Il n’arrête pas de raconter des histoires de fesses !
Pierre (interloqué) : Des histoires de fesses ?
Adèle : Oui. Des histoires de cul, quoi !
Pierre (hilare à son tour) : J’avais compris. Et ça ne te met pas mal à l’aise, toi
qui…
Adèle (légèrement offusquée) : Moi qui quoi ?
Pierre (gêné, essayant de se dépatouiller comme il peut) : Enfin, toi, qui
d’habitude… Tu vois ce que je veux dire.
Adèle : Bon, au début, ça ne me plaisait pas trop. Et puis, au fur et à mesure…
Pierre : Tu t’es prise à son jeu…
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Adèle : C’est ça.
Pierre : …Et il est devenu ton ami.
Adèle (insistant sur le mot « grand ») : Mon grand ami ! (silence) Oui, vraiment, je
l’adore ! (nouveau silence) On est tout le temps ensemble : au boulot bien sûr, mais
aussi au repas du midi et puis le soir, je ne me couche pas sans lui avoir envoyé un
SMS.
Pierre : Et tu ne trouves pas ça un peu bizarre ?
Adèle (surprise) : Qu’est ce qu’il y’a de bizarre ? On est pote, rien de plus.
Pierre : Le genre potes de régiment qui se tapent sur la cuisse ?
Adèle : Non, quand même pas. Quelque chose de plus soft…
Pierre : … le genre qui s’envoient des textos avant d’aller au lit. T’en as discuté avec
Thierry ?
Adèle : Thierry ? Il est tellement pris avec sa thèse à la con qu’on a à peine le temps
de se croiser. (Pensive) C’est à peine s’il me regarde… (Sortant de ses pensées)
D’ailleurs, quand on se croise, c’est toujours en coup de vent. Comment veux-tu qu’il
me regarde ? (Changeant de sujet en s’adressant à Pierre) Bon, et si on parlait un
peu de toi.
Pierre : Et bien – que dire ? – toujours dans la même SS2I depuis bientôt deux ans.
Adèle : Tu t’y plais ?
Pierre (franc et sincère) : Oui. Je m’y plais.
Adèle : Crois-moi. C’est bien l’essentiel (elle referme son portable).
Pierre : Ce n’est pas de l’avis de tous.
Adèle : Papa, t’a encore fait des réflexions. (Se lançant dans une imitation) Genre
« un peu d’ambition mon fils !! »
Pierre : Oui. C’était quelque chose dans ce goût là.
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Adèle (cherchant ses mots) : Il ne faut pas lui en vouloir. C’est quelqu’un qui a
toujours eu à cœur de nous élever avec une certaine...
Pierre : Autorité ?
Adèle : Tu m’ôtes les mots de la bouche.
Pierre : Tu te souviens de ces livres sur l’éducation anglaise au XIXème siècle ?
Adèle : On l’a échappé belle. Il aurait pu remonter plus loin dans l’histoire.
(Changeant de sujet) Et les pièces de théâtre que tu écris ?
Pierre : Elles ne sont pas encore jouées mais, elles commencent doucement à
tourner.
Adèle : Ne sois pas modeste.
Pierre : C’est vrai que pas mal de troupes amateur m’ont contacté récemment. Elles
se sont montrées intéressées. Cela dit, tu sais, le théâtre, c’est un peu n’importe
quoi. L'auteur écrit une pièce, les acteurs en jouent une autre et le public en
comprend une troisième. (Ils rient) Je dois avouer que le fait que Nico ait accepté de
me publier m’a beaucoup aidé.
Adèle (sourire compréhensif) : Ca aide d’avoir un frère dans le show-biz !
Acte 1 – Scène 10 : Marc, Johnny, Carmen, Nico et Adriana.
Johnny et Carmen reviennent côté cour. Ils rejoignent Marc et Nico côté jardin.
Carmen : Marc ! Quel plaisir de te revoir !
Elle le serre dans ses bras affectueusement comme s’il s’agissait de son fils.
Johnny : Salut Marc. Alors, pas trop angoissé à l’idée de te marier ?
Marc : Pas le moins du monde. Au contraire, j’ai terriblement hâte !
Johnny : C’est incroyable : le nombre de condamnés qui se laissent passer la corde
au cou sans broncher (Regard complice et taquin avec Carmen).
Carmen (à Johnny) : Tais-toi ! (A Marc) Alice va bien ?
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Johnny : Très bien. Elle a hâte aussi ! Elle ne devrait plus tarder à arriver.
Carmen : Tu sais que nous lui avons réservé à elle et sa famille l’autre aile du
manoir ? Ils s’y sentiront à l’aise, tu verras. C’est la partie de cette maison que je
préfère ; la vue sur le jardin y est magnifique.
Marc : Nico m’a tout expliqué. Je ne sais pas comment vous remercier pour tout ce
que vous faites pour nous.
Carmen : Ce n’est rien. C’est toi qui nous honore en acceptant notre invitation.
Marc embrasse Carmen chaleureusement.
Marc (à Johnny) : Dites-moi. Et vous, la musique ? Quand est-ce que vous faites un
nouvel album ? Mes parents adoraient ce que vous faisiez. Ils nous passaient
toujours vos disques.
Johnny : C’est bien le problème : j’ai plus d’enfants de fans que de fans tout court.
Et puis, tu sais, moi, depuis que les machines sont capables de vendre des disques,
il n’y a plus beaucoup de place pour les vieux rockers comme moi.
Carmen : Ca fait plus de place pour lui à mes côtés.
Marc : Enfin, quand même, c’était génial ! C’était la grande époque du rock n’ roll !
Johnny : Face à René la taupe, je ne pèse pas bien lourd.
Ils rient.
Johnny (s’adressant à Nico en ignorant Pierre, médusé, sur son passage) : Et
voici mon fils ! Mon grand fils ! Viens là que je te serre dans mes bras.
Nico : Papa !
Marc (ému par les retrouvailles entre père et fils) : Je vous laisse en famille. Je
vais installer mes affaires dans ma chambre.
Ils s’étreignent longuement. Marc sort.
Johnny : Laisse-moi te contempler ! (S’adressant à toute la salle) Ma plus grande
fierté (à ces mots Pierre se retourne vers le bar) !
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Nico se défait de l’étreinte de son père et part embrasser chaleureusement sa mère.
Nico : Ma chère maman ! Tu es resplendissante.
Carmen (en observant Adriana) : Pas autant que ta nouvelle fiancée !
Johnny (lui embrassant la main) : A qui avons-nous l’honneur ?
Nico : Papa, Maman, j’ai l’honneur de vous présenter Adriana. Nous nous sommes
rencontrés lors d’un séminaire professionnel que j’ai récemment eu la chance
d’animer en Pologne.
Johnny : L’ex bloc-communiste a de beaux restes !
Adriana (avec un fort accent) : Bonjour monsieur et madame Rose.
Johnny : Vous pouvez nous appeler Johnny et Carmen.
Pierre (à Adèle et Thierry qui l’ont rejoint au bar et suffisamment fort pour être
entendu) : Voire même Michel ! Johnny, c’était bon pour la scène
Adriana (charmeuse) : Vous pouvez me tutoyer, vous savez.
Johnny (charmeur) : Avec plaisir, Adriana. J’ai l’impression de te connaître. On s‘est
déjà croisés, non ?
Nico (répondant rapidement pour elle) : Adriana a été mannequin. Tu l’as sans
doute vue dans un magazine de mode ou dans un défilé.
Johnny (suspicieux) : C’est étonnant. La plupart des filles sont sur-maquillées dans
les défilés de mode. Impossible de les distinguer les unes des autres. On les confond
toutes. Quant aux magazines, elles sont tellement retouchées par Photoshop qu’on
ne les reconnaîtrait pas, même s’il s’agissait de sa propre fille.
Adriana (gênée) : Je ne vois pas où cela pourrait être ailleurs ?
Johnny (se reprenant) : Vous avez probablement raison. (Revenant, avec grandeur
et fierté, à Nico) Quelles sont les nouvelles qu’apporte mon grand fils ?
Nico (en mode « paon ») : Par où commencer ? Tu sais que l’industrie du disque ne
se porte pas très bien.
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Johnny (ironique) : J’en ai vaguement entendu parler.
Nico : Cela dit, nous réagissons en essayant de rebondir sur le marché du
numérique. A ce sujet, nous venons récemment de signer un partenariat avec HBO
et Warner aux Etat-Unis. Ceci nous permettra de développer pleinement une
majeure partie de notre activité sur tout le continent américain. En parallèle, on
continue à développer l’off-shore fortement délocalisé sur la production de disque -
même si nos activités sur les centres de service en Asie et notamment en Inde ne
nous ont pas donné entière satisfaction. On essaye aussi d’être présents en support
des majors sur des one-shots autour des émissions de télé-crochets façon Starac et
compagnie. Ca commence à présenter des retours intéressants sans compter le…
Acte 1 – Scène 11 : Pierre.
Pendant toute la scène Nico, Carmen et Johnny continuent d’échanger sans qu’on
les entende. La scène est animée par Pierre. Il s’adresse à ses amis, puis au public
mais on comprend que tout ce qui suit se passe plutôt dans sa tête.
Pierre (à Thierry et Adèle) : Stop ! On est obligé de supporter ça ? Chaque fois,
c’est le même tralala : Nico par ci, Nico par là ! Il n’y en a que pour lui !!!
Non mais, il s’écoute quand il parle ? C’est quoi ce putain de langage de dégénéré à
la con? One-shot, majors, off-shore: c’est quoi ces anglicismes de merde ! Jeanne
d’Arc : reviens, t’as pas fini le boulot !?!
Prenant à présent le public à témoin
Et, honnêtement, vous l’avez regardé ? Non mais, franchement, ne dirait-on pas la
parodie improbable d’une publicité pour un shampoing à la con ?
Il s’avance côté cour et s’amuse à doubler ce que Nico explique à Johnny et Carmen
sous le regard attendri d’Adriana.
Pierre (parodiant Nico dans une publicité célèbre) : Même quand je dirige une
équipe à l’autre bout du monde, je trouve toujours le temps, le matin, pour ma lotion
capillaire. Je tiens trop à mes cheveux ! Chaque matin, une bonne friction, ça tonifie
Le syndrome de Stockholm
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le cuir chevelu et c’est à base de produit naturel ! Les cheveux à problème et les
pellicules : c’est pas pour moi !
Parodiant Adriana avec un accent tonique très appuyé.
Woah Nico ! Quelle tignasse de ouf !
Pierre marque un long silence.
Il me fatigue…
Las, il fait un geste de dépit et retourne au bar.
Silence. Puis, comme, s’adressant à la régie.
Bon allez, enchaîne : achève moi !
Acte 1 – Scène 12 : Johnny, Carmen, Nico et Adriana.
Nico (même jeu que sur les deux actes précédents) : … et c’est la raison pour
laquelle nous sommes sûrs d’emporter ce marché et donc de gagner là où la
concurrence a toujours échoué.
Johnny (fier) : Ha, mon fils ! Comme il est bon de t’entendre parler !
Carmen : Félicitations pour cette nouvelle réussite !
Nico : Tu sais que j’ai toujours aimé les challenges.
Carmen (changeant de sujet) : Et tu vas pouvoir te reposer un peu cette année ?
Johnny (faussement scandalisé) : Et pourquoi faire ? Il aura bien le temps de se
reposer quand il sera retraité !
Nico : Et encore, ce n’est même pas sûr. Tu sais bien que ce n’est pas dans ma
nature.
Johnny (prenant son fils par les épaules) : Dans NOTRE nature !
Le syndrome de Stockholm
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Carmen (timide et inquiète) : Oui, mais, il faudra bien qu’il se pose un peu si il veut
fonder un jour une famille. (Regardant Adriana avec tendresse) J’aimerais avoir des
petits enfants, moi.
Nico (rire « bidon ») : Ha ! Ha ! (Prenant sa mère dans ses bras) Je t’aime maman.
(Enserrant affectueusement Adriana) On se connaît à peine avec Adriana. Laisse-
nous donc le temps de nous découvrir.
Carmen : Tu me sors chaque année la même excuse ! (S’apercevant de son écart)
N’en prenez pas ombrage très chère, mais vous n’êtes pas la première que Nico
nous présente.
Adriana (non choquée) : Je suis au courant.
Johnny : Ils sont jeunes ! Ils ont encore le temps.
Carmen (en désaccord) : Le temps ? C’est vite dit. L’horloge commence à tourner
pour Nico.
Johnny : Le temps, ça ne compte pas pour un homme. De ce côté là, du moins.
Regarde-nous : je n’étais pas tout jeune quand nous avons eu Nico. Et puis, Adriana
a l’air d’avoir tout ce qu’il faut là où il faut.
Carmen : Un peu étroite de bassin, quand même…
Nico (presque choqué) : Etroite ? La discussion devient un peu bizarre, là, non ?
Adriana : Laisse : elle m’amuse.
Carmen : A ce train, Pierre sera papa avant toi.
Johnny (parlant fort et distinctement) : Il faudrait déjà qu’il se trouve une femme.
Et pour cela : une vraie situation !
Acte 1 – Scène 13 : Pierre et Johnny.
Pierre (face au bar, dos à Johnny et Nico) : Je t’ai entendu, papa !
Long silence. Carmen, sentant la situation tourner au vinaigre, emmène Adriana à
l’écart.
Le syndrome de Stockholm
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Johnny (sourire ironique, amusé de l’effet qu’il vient de produire) : Oh ! Ne fais
pas ta vierge effarouchée : tu sais que j’aime te taquiner.
Pierre (se retournant lentement façon western vers Johnny et Nico) : Le genre
« qui aime bien, châtie bien ». C’est ça ?
Johnny (vexé à son tour) : Si tu préfères.
Nico prend de la distance. Lourd silence dans la salle.
Pierre (soutenant toujours le regard de son père) : Qu’est ce que tu lui reproches
à ma situation ?
Johnny (ferme) : Je ne lui reproche rien et tu le sais très bien.
Pierre : C’est mon absence de stock options qui te pose problème ?
Johnny (très ferme) : C’est ton attitude, jeune homme !
Nouveau silence.
Johnny (s’avançant lentement vers Pierre) : Ton frère et toi avez choisi deux
parcours différents. Lui opte pour un parcours professionnel et toi pour quelque
chose de plus… (Cherchant ses mots pour ne pas le heurter) personnel.
Pierre : T’as toujours ton mot à dire. Si on ne fait pas ce que tu veux, on n’existe pas.
On est comme mort !!!
Johnny : Ce que je tente de t’expliquer, c’est que même si tu y consacrais toutes tes
journées tu ne percerais jamais dans le milieu artistique.
Pierre : Tu y es bien arrivé, toi. Nico également : Il est patron d’une major, non ?
Johnny : Nico produit des artistes et vend des disques. Il est manager, pas auteur.
Et dans la musique, pas dans le (avec dédain)… théâtre.
Pierre : Tu reproches quoi au théâtre ?
Johnny : Tout le monde s’en fout du théâtre ! L’heure est à l’internet, au
téléchargement, au plaisir immédiat. Le spectacle vivant est mort et, crois-moi, j’en
Le syndrome de Stockholm
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sais quelque chose. C’est pas demain la veille qu’une de tes pièces se retrouvera
visible sur une tête de gondole de supermarché.
Pierre (froid) : Laisse les gondoles à Venise, tu veux. J’écris parce que ça me plait.
Pas pour le fric. Je ne veux pas me lever un matin en me disant que j’aurais d'abord
écrit pour l'amour de la chose, puis pour quelques amis, et à la fin, pour de l'argent.
Johnny : Dans ce métier, soit on se corrompt, soit on meurt.
Pierre : Ce que tu proposes ressemble à de la prostitution. La vérité, c’est que ça te
défrise que je parvienne à faire ce dont j’ai envie et non ce que, toi, tu désires. C’est
comme pour Maman. Tu l’as empêché de poursuivre sa carrière pour pouvoir
continuer la tienne !
Johnny (touché et furieux) : Espèce de sale petit égoïste ! Ta mère ne s’est pas
sacrifiée pour moi mais pour vous. C’est elle qui vous a élevés, qui vous a nourris,
blanchis et torchés. Tu lui dois le respect !
Je respecte ton choix et tes goûts mais je t’interdis fermement de nous juger, ta mère
et moi. (De la folie dans le regard) Et encore moins de juger ton frère...
Nouveau silence.
Johnny (presque nez à nez avec Pierre) : Est-ce bien clair ?
Long et lourd silence. Finalement, Pierre capitule et baisse les yeux.
Pierre (las) : Oui, papa. (Il relève la tête) Je vous demande pardon à tous les trois.
Je me suis trompé de colère. C’est le syndrome de Stockholm.
Silence. Nico et Johnny se regardent intrigués.
Nico : Le quoi ?
Pierre : Le syndrome de Stockholm. (Un temps) Nous sommes tous des otages ici
bas, captifs de quelque chose. Moi, c’est de votre reconnaissance. Comme le
terroriste retenant des civils pour arriver à ses fins, tu es mon bourreau, papa. Je
dépends de ton bon vouloir et en même temps, comme ces prisonniers, je ne peux
pas m’empêcher de m’attacher à toi, de t’aimer. Pourquoi crois-tu que je veuille
percer dans cette voie ?
Le syndrome de Stockholm
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Johnny : Je ne te ferai pas la charité. Tu devras te débrouiller seul !
Pierre : Amen.
Nico lui pose une main amicale et virile dans le dos. Se forçant à sourire, Pierre cite
Montherlant.
Pierre : « La pire colère d'un père contre son fils est plus tendre que le tendre amour
d'un fils pour son père. ».
Johnny : Très chouette ! C’est de toi ?
Pierre : Non. C’est de Montherlant.
Johnny (prenant l’assemblée à témoin) : C’est dommage, t’aurais pu le coller dans
tes pièces de théâtre ! (Se forçant d’un rire et d’une profonde voix de gorge et
prenant la salle à témoin) Ha ! Ha ! Il mériterait encore que je lui inflige quelques
petites corrections, ce p’tit con !
Johnny s’apprête à quitter la salle. Il salue les convives et se dirige vers l’entrée
principale.
Pierre : Jérôme Deschamps va produire mon premier spectacle !
Silence. Johnny s’arrête net. Il se retourne lentement vers Pierre. Nico recule d’un
pas.
Johnny : Jérôme Deschamps ? LE Jérôme Deschamps ? Celui de la troupe
Deschamps-Makeïeff ?
Pierre : Le papa des Deschiens en personne. Je l’ai croisé dans un salon pendant
une séance de dédicace. Je lui ai demandé de signer sur un de mes textes. Il a
trouvé ça gonflé. Du coup, il a exigé que je lui laisse mon travail. Au lieu de le mettre
à la poubelle, il l’a lu. Ca lui a plu : il m’a rappelé dès le lendemain pour le monter.
Carmen : C’est formidable !
Johnny (admiratif) : Et bien, mon fils, c’est une nouvelle qui change beaucoup de
choses à notre conversation. Si ce n’est le respect que tu me dois. Je suis fier de toi,
jeune homme. J’ai hâte de voir le résultat de ton travail. Toutes mes félicitations !
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Carmen : Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé avant ?
Johnny : C’est un homme de théâtre. Il sait ménager ses effets.
Il se tourne vers Carmen.
Tu viens, chérie ? Laissons-les entre eux. Ils doivent avoir beaucoup à se dire.
Johnny et Carmen quittent la scène
Acte 1 – Scène 14 : Adèle, Pierre et Nico. + Adriana
Adèle : C’est fantastique ! Ta mère a raison. Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé
avant ?
Pierre (honteux) : Parce que j’ai menti.
Nico s’avance doucement vers Pierre qui est resté avant-scène.
Nico : Tu peux nous expliquer ce que tu viens de nous faire ?
Pierre : C’est un petit mensonge, rien de plus.
Nico : Un petit mensonge ? Il n’y a pas de petit mensonge !
Adriana : Parce que ça ne t’est jamais arrivé de mentir ?
Pierre : Je voulais voir sa réaction. Voir à quoi ressemble l’affection dans son regard.
Nico (pris au dépourvu) : Je… Je crois que tu ne sais pas à qui tu as à faire !
Quand papa se rendra compte que tu lui as menti, il va te massacrer.
Adèle : Nico a raison. Pourquoi as-tu fait ça ?
Pierre : J’ai craqué, putain ! (silence) Nico par ci, Nico par là ! Je suis jaloux, merde !
C’est humain : moi aussi, je veux mon heure de gloire ! Quel mal y a-t-il à cela ? Si
j’avais dit que c’était toi qui me produisais, c’est encore toi qui aurais eu droit aux
louanges. Il ne me serait resté que les miettes… et les réprimandes. Je l’entends
d’ici : « incapable de se débrouiller seul. Heureusement que son frère est là ».
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(Il fait un pas vers Nico) Dans la famille Rose, je voudrais Nico, le fils prodigue, et
Johnny, le père tyrannique. (Tournant son regard vers Adèle) Si t’as pas, tu pioches
ou tu passes ton tour. (Silence) Moi, J’ai les deux en main. Double peine. Elles
pèsent lourdes ces cartes : foutu jeu ! (Silence) Certains doivent se faire un prénom.
Me concernant, ce sera à peine suffisant.
Adèle : Du calme, frangin ! On va faire en sorte que papa ne s’en rende pas compte.
Nico : Et on fait comment, grosse maligne ?
Adèle : Qui c’est que t’appelles grosse, trouduc ?
Adriana : On se calme ! Primo ; Adèle n’est pas grosse (Adèle tire la langue à son
frère). Secundo : l’important c’est que ton spectacle soit monté. On pourra toujours
inventer un pipeau de dernière minute autour de Jérôme Deschamps. Un
désistement, un changement de prod, un truc quoi !
Nico (à son frère) : On trouvera. Adriana a raison : tu t’occupes de la pièce, je
m’occupe de la scène.
Acte 1 – Scène 15 : Marc, Adèle, Nico, Pierre et Adriana.
Marc entre dans la pièce.
Marc : Qu’est ce que vous complotez ?
Tous sauf Pierre : Rien du tout.
Marc : Je viens de recevoir un texto à l’instant. Alice est arrivé ! (Il sort son téléphone
portable) Ca vous dirait qu’on lui fasse un coucou collectif ?
Adriana : Génial !
Adèle : Excellent idée !
Marc : Alice, ma chérie ? C’est moi, mon ange. Tu as fait bonne route ? (…) Oui, moi
aussi j’ai hâte d’être demain et qu’on se marie. Je t’aime. A partir de demain, on ne
se quitte plus.
Adriana (en aparté à Thierry) : y’a de l’amour dans l’air…
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Thierry : C’est inexact.
Adriana : ?
Thierry : Scientifiquement, seul l’hydrogène, l’oxygène et le dioxyde de carbone se
retrouvent dans la composition de l'air.
Incrédule, Adriana tourne son regard vers celui d’Adèle.
Adèle (froide, les bras croisés) : Non. Non, il ne fait même pas exprès.
Marc : Tu es bien installée ? (…) Je suis d’accord avec toi : c’est un endroit magique
pour se marier. (…) Les parents de Pierre, Adèle et Nico sont passés tout à l’heure
mais je n’ai pas encore eu le temps de les remercier vraiment.
Oui… Moi, aussi, je t’aime. Tu me manques, mon amour.
Pierre (à Nico) : « Celui qui est passionnément amoureux devient inévitablement
aveugle aux défauts de l’objet aimé, bien qu’en général il recouvre la vue huit jours
après le mariage ».
Nico (regard dubitatif) : ???
Pierre : Emmanuel Kant.
Nico (hochement de tête admiratif et approbateur) : ;)
Marc : Tout le monde est là. Ils vont tous très bien.
Nico : Salut, ma belle. On a hâte de te revoir.
Acte 1 – Scène 16 : Elise, Marc, Adèle, Nico, Pierre, Adriana et Thierry.
La porte principale s’ouvre. Elise, l’ex de Marc entre. Adèle se retourne en deux
temps sur elle.
Adèle (paniquée) : Elise ? Qu’est ce que tu fais là ?
Elise (calme) : Ca va Adèle ? Moi aussi, je vais très bien merci.
Adèle : Qu’est ce que tu FOUS là ? Qui t’a invitée ?
Le syndrome de Stockholm
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Elise : Personne. J’ai appris que vous étiez tous là. J’ai eu envie de vous faire un
petit coucou en passant.
Adèle : Arrête ton cirque ! On n’est pas là uniquement pour admirer les tapisseries et
les Grammy Awards de mon père. On est là pour préparer le mariage d’Alice et
Marc. Ton ex. Tu me suis ?
Elise (ingénue) : Ah, Marc est là ? Je ne l’avais pas vu.
Adèle (sévère) : Elise, arrête de te foutre de ma gueule et dis-moi ce que tes miches
fichent ici.
Elise (même ton qu’Adèle) : C’est le mariage de mon ex. Vous êtes tous invités
sauf moi ! (Silence) Tu veux savoir ce que je fais : je m’invite à la fête !
Thierry : Elise ? Qu’est ce que tu fais là ?
Elise (levant les bras aux ciels) : C’est pas possible, c’est une maladie. Moi aussi,
je vais bien. Ca fait plaisir de te revoir Thierry.
Adèle : Ecoute-moi bien ; il faut que tu t’en ailles vite ! Marc est au téléphone avec
Alice. Tu n’es pas sensée être ici et il n’y a pas plus jalouse qu’elle ; si elle apprend
que tu es venue faire la fête avec Marc la veille de son mariage, c’est la catastrophe !
Beyrouth à côté, ce sera Disneyland !
Adriana (arrivant à son tour) : Salut, enchantée, je m’appelle Adriana. Je suis la
nouvelle copine de Nico. Et toi ?
Elise (en léger aparté) : Alléluia ! Enfin quelqu’un de normal : j’ai cru qu’on avait
effacé la politesse de ce monde ! (A Adriana) Enchantée également, je suis Elise,
l’ex de Marc (se tournant vers Adèle) et je ne partirais qu’après avoir dit bonjour et
trinqué avec chacun d’entre vous.
Adriana (hystérique) : L’ex de Marc ? Tire-toi d’ici rapidement, espèce de salope !!!
Elise : Elle me fait quoi la bimbo hystérique ? Je retire ce que je viens de tire : en fait,
ils sont tous malades dans ce manoir !
Marc reprend son tour de table.
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Marc : Oui, Pierre est là aussi. Il va très bien et te salue.
Pierre : Salut Alice : tu nous manques ici.
Marc : Et puis, il y a Adèle, Adriana la nouvelle fiancée de Nico, Thierry, Elise. (Se
rendant brusquement compte de la présence de son ex) Elise ? Qu’est ce que tu…
(Reprenant la conversation avec Alice) Il semblerait qu’Elise nous ait rejoints.
(Subitement inquiet) Non, je te promets que ce n’était pas prévu. (…) Evidement
qu’elle n’était pas invitée ! (…) (Légèrement excédé par la réaction de sa fiancée)
Alice, je t’en prie. Tu peux essayer de m’écouter et me faire un peu confiance, non ?
(…) Puisque je te dis que je n’y suis pour rien !
(Las, regardant Elise) Ca suffit. Je te rappelle plus tard…
Il raccroche.
(Noir)
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Acte 2 -Heart skipped a beat – The XX (2009)
Acte 2 – Scène 1 : Marc et Adèle.
Le rideau est fermé. Marc est seul sur le proscenium. Adèle le rejoint en franchissant
le rideau par le centre.
Adèle (soulagée de l’avoir trouvée) : Ah ! T’es là ! On te cherche partout.
Marc : Je viens de raccrocher avec Alice. Elle est furieuse. Elle m’a interdit de la
rappeler tant qu’Elise n’aura pas franchi la porte du manoir de tes parents.
Adèle : Tu ne me surprends pas.
Marc : Elle a quand même brandi la menace d’une annulation du mariage.
Adèle : D’accord ! (Silence) Je me demande encore ce qu’Elise est venue faire ici ?
On voit Elise passer le bout de son nez côté cour. Elle espionne la conversation.
Marc : Je ne lui en veux pas. On a été amis avant d’être amants. Si la situation avait
été inversée, j’aurais probablement agi de la même manière. (Silence) Ca me désole
qu’on en soit arrivé là. Tu comprends : j’aimerais que nous puissions rester bons
amis.
Adèle : Mais tu sais très bien que c’est impossible !
Marc : Je le sais. Et ça m’attriste profondément.
Adèle : Je ne te comprends pas.
Marc : Qu’est ce que tu ne comprends pas ?
Adèle :: Si je devais me séparer de Thierry, ce ne serait sûrement pas pour
continuer à le fréquenter.
Marc : Je trouve ça injuste. Et stupide. Je ne comprends pas qu’on m’ordonne
d’ignorer celle qui a partagé ma vie pendant plus de cinq ans. Qu’on le veuille ou
non, si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est aussi en partie grâce à elle.
Nouveau silence.
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Adèle : Je comprends. Mais, Marc, tu dois ouvrir les yeux : tu te maries demain avec
Alice. Tu dois d’abord penser à sauver ton mariage. Ensuite, je suis sûre que tu
trouveras les mots pour convaincre Alice qu’Elise et toi pouvez rester amis sans que
cela mette en péril votre couple.
Acte 2 – Scène 2 : Marc, Adèle et Elise.
Elise manque de tomber. Marc et Adèle se retournent sur elle.
Adèle : Je vous laisse. (Autoritaire) Pas de connerie ! A tout à l’heure ; (en aparté à
elle-même tout en sortant son téléphone portable) Il faut que je raconte tout ça à
Jean-Pierre.
Elise et Adèle se croisent en se regardant mais sans se parler.
Elise : Marc, je…
Marc : Non, ne dis rien.
Elise : Mais, je n’ai encore rien dit.
Marc (sévère) : Je te connais par cœur. Je sais exactement ce que tu es venu faire
et ce que tu allais dire.
Elise (timide) : Je t’en…
Marc (doux) : Tu étais sur le point de t’excuser pour ce que tu avais fait, n’est-ce
pas ?
Elise (surprise par la réaction de Marc) : …
Marc : Ne t’excuse pas.
Elise : Mais…
Marc : Tu n’as pas à t’excuser d’être là. C’est plutôt moi qui devrais m’excuser.
Elise (se rapprochant encore plus) : Mais de quoi ?
Marc : De devoir faire comme si tu n’existais pas. (Silence) Pour Alice, tu es plus
qu’une ex. Tu es la référence à battre.
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Elise (faussement modeste) : Il ne faut pas exagérer…
Marc : Il n’empêche que, pour lui faire comprendre que je suis passé à autre chose,
j’évite naturellement de parler de toi. Crois-moi, ça n’est pas toujours facile. A force
de les pincer, je commence à avoir les lèvres gercées.
Elise rit. Marc s’avance vers elle et lui prend les mains. Elle cesse instantanément de
rire.
Marc : Ce n’est pas Alice qui a refusé de t’inviter à ce mariage. C’est moi qui me le
suis interdit.
Il fait quelques pas côté cour sur le proscenium.
Marc : J’aime Alice. Je veux l’épouser, fonder une famille et avoir des enfants avec
elle. Je n’ai aucun doute là-dessus. Mais pour cela, il faut que je parvienne à
t’oublier. (Silence) Je n’y arrive pas.
Elise (s’avançant vers lui et lui prenant la main) : Je comprends.
Marc : C’est cruel d’être adulte. De devoir faire ses choix. C’était plus simple quand
on était enfant. Tu te souviens, on avait onze ans. On se promenait main dans la
main, comme aujourd’hui, dans ce parc.
Deux enfants font leur entrée à jardin. Habillés de blanc, ils avancent comme des
fantômes en se tenant par la main.
Marc : Tout paraissait lointain et en même temps aussi accessible qu’une pomme
accrochée à cette branche. On ne se posait pas toutes ces questions : que dois-je
faire ? Comment me tenir en société ? Où aller ? Et pourquoi faire ? On courrait ; on
s’amusait ; on jouait ; on s’aimait. Cela suffisait à notre bonheur.
Dis-moi, Elise, comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Tu crois qu’Alice voudra
encore de moi ?
Les deux enfants disparaissent derrière un élément de décor.
Elise : Je suis sûr que tu vas trouver une solution. Tout va bien se passer. Je serais
toi, j’irais boire un coup avec mes copains. Tu as besoin de penser à autre chose.
Va, je te rejoins. Je vais me fumer une cigarette et je rentre.
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Acte 2 – Scène 3 : Elise.
Marc sort à cour. Elise est seule. Elle sort une cigarette, la porte à ses lèvres,
l’allume et tire une bouffée.
Elise (faisant face au public dans une posture très glamour, très sûre de son
effet) : Ce soir, je récupère mon mec !
(Noir)
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Acte 3 – On s’en fout – Carmen Maria Vega (2013)
Le rideau est ouvert. Thierry est aux platines. Fond musical Funky. Marc, Pierre et
Nico sont en grande discussion autour d’un cocktail. Les filles discutent entre elles
appuyées sur le bar.
Acte 3 – Scène 1 : Pierre, Marc et Nico
Marc : Il parait que tu vas monter ta première pièce ?
Pierre : Yep !
Nico (fière et noble) : Et c’est moi qui vais la produire !
Marc : C’est génial !
Nico : Je ne te raconte pas comment je suis fier !
Marc : Justement, j’aimerais que ça soit lui qui raconte !
Pierre : Que veux-tu que je te dise ?
Marc : « Que veux-tu que je te dise ? ». Voila qu’il fait son fier à présent !
Nico (renchérissant sur un ton médiéval ironique) : Que dire ? Que dire, jeune
homme ? J’essaie mais en vain, car – en vérité - je ne puis !
Pierre : Bien. Ca raconte l’histoire d’une bande de potes.
Marc (après un silence) : Et ?
Nico : Maintenant, tu comprends mieux pourquoi je te dis qu’il a besoin d’un
impresario ?
Pierre (ignorant la remarque de Nico) : C’est l’histoire d’une bande de potes –
disais-je - qui, réunis dans une même pièce, de conversations en conversations, vont
être amenés, pour la première fois de leur vie, à devoir tout se dire.
Marc : Tout ?
Le syndrome de Stockholm
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Pierre : Oui. Le meilleur comme le pire. Surtout le pire. Ce qui m’intéresse, c’est la
manière de dépeindre les relations entre chaque protagoniste. Comment ils en
arrivent là. Le long processus qui va les amener à s’engueuler et pour certains à se
détruire.
Marc : Woah ! Ca a l’air terrible. En tout cas – quand toutefois tu t’y mets - t’en parles
vraiment avec passion et enthousiasme.
Nico : Et encore, pour le moment, il est à peu près sobre. Tu le verrais parler de sa
pièce après quatre Tequilas.
Marc : Je suis sûr que ça va cartonner ! En tout cas – comme on dit – tu le vends
bien. Ca m’a donné envie d’aller la voir. C’est ta première pièce ?
Pierre : Oui. J’essaye d’y attacher beaucoup de style. Un premier roman, c'est
souvent une gueule de bois soulagée par la syntaxe. Là, ce qui m’intéresse, c’est de
coller au plus près des personnages. Le théâtre, c’est la vie ; avec les emmerdes en
moins.
Nico : Ce n’est pas parce que je suis son frère, mais, personnellement, j’adore son
style et son écriture. Je trouve même qu’il devrait être plus ambitieux. On devrait
écrire pour le cinéma. Qu’est ce que t’en penses ?
Pierre : Terminons d’abord cette pièce. On verra pour la suite.
Nico : Le cinéma, ce serait d’enfer. Ca me fait penser : j’ai vu un film horrible l’autre
soir à la télé.
Marc : Raconte !
Nico : Un type voit sa femme tuée sous ses yeux par un tueur en série récidiviste. Il
élève seul son gosse paralysé d'un bras jusqu'au jour où ce dernier est enlevé. Du
coup, il se lance dans une course poursuite effrénée avec une femme complètement
folle.
Marc : Terrible ! C’est quoi le titre ?
Nico (sourire en coin) : Le monde de Nemo.
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Acte 3 – Scène 2 : Adèle, Adriana et Elise
Elise : Et alors, donc, toi tu fais des études de Lettres. C’est bien cela ?
Adriana : C’est cela !
Adèle : Je suis sûr que c’est la première fois de ta vie que tu croises une bombe
atomique lettrée.
Adriana (faisant la belle) : Je suis un genre d’intello sexuelle.
Adèle : Je ne pourrais jamais faire ce que tu fais. Déjà que je m’endors au bout de
trois pages le soir quand je bouquine au pieu. Alors, tu imagines : engloutir des
tonnes de livres. Jamais de la vie !
Elise : Rassure-moi, tu ne lis pas que des trucs chiants ?
Adriana : Encore faudrait-il définir ce que tu entends par « trucs chiants ». Pour
répondre à ta question, je lis vraiment de tout. J’ai adoré Twilight par exemple.
Adèle : Twilight ? Cette bluette pour adolescents ?
Elise : Je ne sais même pas ce que c’est. De quoi ça parle ?
Adèle : C’est l’histoire de Bella, une pétasse qui emménage dans une ville bien
glauque. Elle tombe croc love d’Edward, un de ses camarades mystérieux et ultra
bogoss. Problème, les deux ne peuvent consommer, rapport que ce dernier est un
vampire comme toute sa famille et son meilleur pote – à Bella pas Edward – est un
loup-garou du nom de Jacob.
Elise : Ca donne envie…
Adriana : Ce n’est pas de la grande littérature mais ça fonctionne bien. J’ai rarement
lu livre capable de te reconnecter autant avec ton adolescence. Ca donne envie de
se taper un lycéen !
Acte 3 – Scène 3 : Pierre, Marc et Nico
Nico : Ca ne te fait pas trop peur ?
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Marc : De quoi ?
Nico : Tu sais bien : faire le grand saut, te marier ?
Marc : Et pourquoi aurais-je peur ?
Pierre : « Le mariage est la cause principale de divorce.»
Nico : Drôle.
Marc : Mais très con.
Pierre : T’iras raconter ça à Oscar Wilde.
Acte 3 – Scène 4 : Adèle, Adriana et Elise
Adèle : Et tu le savais depuis quand ?
Elise : Je savais quoi ?
Adèle : Que le père Noël n’existe pas… (Elle repose son verre sur le comptoir) Que
Marc se marie, andouille !
Elise : Depuis trois mois.
Adriana : Ça t’a fait un choc ?
Elise : Oui. Ça m’a fait un choc. Cependant, c’était normal qu’il veuille tourner la
page. Après tout, c’est pour ça qu’on a rompu. Il voulait fonder une famille. Avoir des
enfants, tout ça. Je trouvais ça trop tôt et préférais privilégier mon travail. A la fin, on
s’engueulait tellement, qu’on ne savait même plus pourquoi on était fâché.
(Changeant de conversation, à Adèle) Et toi, comment ça va ?
Adèle (répondant vaguement) : Et bien, les filles poussent tranquillement. De mon
côté, je suis pas mal prise par mon boulot et Thierry est à fond sur sa thèse.
Adriana : Bref, ils n’ont pas baisé depuis 6 mois !
Elles rient. Adèle sort son portable et commence à pianoter sur son écran.
Elise : Qu’est ce que tu fais ?
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Adèle : J’envoie un SMS à Jean-Pierre.
Adriana : Encore ? C’est déjà le troisième depuis le début de la soirée !
Elise : Dis-moi : vous êtes super intimes tous les deux.
Adèle : On se raconte tout. J’essaie aussi de lui redonner un peu le moral. En ce
moment, ça ne marche pas très fort avec sa femme. Lui est à Paris, elle à Bordeaux
et il ne sait pas si il doit la rejoindre ou lui demander de venir. Tu comprends : partir
pour Bordeaux, c’est rejoindre celle qu’il aime mais c’est aussi quitter ceux que lui
aime. (Silence) Bref, je fais ce que toute bonne amie fait dans ces cas là : j’essaie de
le soutenir du mieux que je peux.
Elise : Ca me donne surtout l’impression que tu te préoccupes davantage de ton
Jean-Pierre que de ton mari.
Adèle (fataliste) : Oh lui ? Je ne suis pas inquiète ! Et puis sa « thèse » (elle mime
les guillemets avec les doigts) l’occupe pleinement, alors…
Elise (dépitée) : Ta sollicitude est particulièrement touchante.
Adèle (presque hilare) : Quelle pétasse !
Elise (offusquée) : C’est sympa, merci !
Adèle (surprise, puis réalisant) : Hein quoi ? Mais non pas toi. C’est Jean-Pierre. Il
te conseille de tenter le tout pour le tout pour récupérer Marc. Et de mon côté - quitte
à créer un esclandre - de balancer mon mec dès aujourd’hui. Il est pire qu’une garce
celui là !
Adriana (à Elise) : De plus en plus glauque !
Acte 3 – Scène 5 : Pierre, Marc et Nico
Nico : On a tous vu le film, Marc : l’amitié entre homme et femme est impossible !
Marc : Je trouve ça triste.
Nico : C’est peut-être triste mais c’est la réalité.
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Pierre : Nico a raison. Les hommes et les femmes ne sont pas sur Terre pour se
taper sur la cuisse en buvant des bières devant des matchs de foot. Nous venons de
Mars et elles de Venus. Si on avait des trucs à se dire, ça se saurait. Regarde autour
de toi. Les filles sont d’un côté et nous de l’autre.
Marc : Et l’amour, t’en fais quoi ?
Pierre : L'amour? C'est n'importe quoi: un coup tu sors, un coup tu rentres. Il faudrait
voir à se décider une bonne fois pour toutes !
Acte 3 – Scène 6 : Adèle, Adriana et Elise
Adèle : Quand je pense que ce grand couillon va se marier demain.
Adriana : Quel mal, y a-t-il à cela ?
Adèle : Presque tous. Le mariage, c’est un long repas terne où le dessert est servi
en premier.
Adriana : Ca ne veut rien dire. C’est joli mais ce ne sont que des mots posés les uns
derrière les autres.
Elise (sur l’air de la chanson de Dalida) : Encore des mots, toujours des mots, les
mêmes mots.
Adèle (terminant son verre et s’en réservant un autre sans attendre) : Le
mariage tient effectivement du pathos : du pathétique autant que du pathologique.
C’est quoi cette envie à la con qu’on a tous – presque tous – de fonder une famille ?
Et puis après, une fois qu’on réalise qu’on n’est pas si bien ensemble, de faire des
bébés ? C’est comme ça qu’on se retrouve, une corde au coup et un boulet au pied,
à changer des couches à 3 heures du matin en se remémorant des vacances à
Cabourg – c’était quand déjà ? – où main dans la main et yeux dans les yeux on se
jurait : « on n’est pas bien tous les deux ? ».
Elise (à Adriana) : Elle en est à combien de verres pour commencer à parler comme
ça ?
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Adriana (ignorant la remarque d’Elise) : C’est l’instinct peut-être. L’anuptaphobie,
La peur du célibat, est sans doute davantage liée à la survie de l’espèce plutôt qu’à
la stricte phobie sociale.
Adèle : Ca valait vraiment le coup d’avoir subi plusieurs millions d’années d’évolution
pour en arriver là.
Adriana : Ce qui signifie que nous faisons donc toutes trois partie des survivantes
sur l’échelle de Darwin.
Adèle (en trinquant contre le verre d’Elise et d’Adriana) : Sur l’échelle de Richter,
par contre, on n’est pas loin du 9 : c’est le chaos absolu.
Elise : Oui. On est pas toutes sorties d’affaire. Je vous rappelle que la seule à être
casée, en couple avec enfants, c’est Adèle. Toi, tu es en sursis dans les bras d’un
gigolo. Quant à moi, je passe plutôt pour la femelle en rut en manque de mâle.
Adèle (à Elise) : Moque-toi, ma belle. (A Adriana) Quant à toi, espèce de petite
garce des Carpates, crois-moi, le bonheur familial est peut-être encore plus
pathétique qu’un flan d’histoires salaces racontées par une abrutie avinée à (en
regardant sa montre)… MERDE !!! il n’est que 21 heures ! Putain, j’en tiens déjà une
bonne !?!
Adriana : La vérité, c’est que nous, les nanas, ne sommes que de grosses connes !
Adèle : Parle pour toi, poufiasse !
Adriana (fâchée) : On se calme, ma grande ! Qui c’est que tu traites de poufiasse ?
Adèle : Personne. Quand je commence à avoir un coup dans le nez, je déprime sur
mon mariage en disant des gros mots et en insultant tout le monde autour de moi.
Dont acte. (Les autres la regardent en silence. Elle sent le poids des regards autour
d’elle) Quoi ? Qu’est ce t’as ? Tu veux ma photo ?
Elise (ignorant la réplique d’Adèle) : On disait quoi au juste ?
Adriana (encore fâchée) : Que nous sommes trop connes : on passe notre vie à
chercher la perle rare…
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Elise (déprimée) : … et à côté, on se plaint que les hommes sont tous les mêmes !
Pas très cohérent en effet…
Longs soupirs d’Elise et Adriana.
Adèle (finissant son verre et haussant les épaules) : Et après vous faites les
étonnées quand je vous traite de poufiasses !
Acte 3 – Scène 7 : Pierre, Marc et Nico
Nico (à Marc) : Le mieux, ce serait que tu l’oublies.
Pierre (à Nico) : Le mieux, ce serait que tu fermes ta gueule ! Comment veux-tu qu’il
l’oublie ? Il a passé plus de la moitié de sa vie avec Elise : ils ont fait le collège, le
lycée et la fac ensemble.
Marc : Nico a raison cependant. Je me marie demain, ce n’est vraiment pas le
moment de retomber amoureux d’Elise.
Pierre (ironique) : T’as raison : garde les yeux bien fermés. Un conseil, par contre :
ne te goure pas devant monsieur le Maire ; Ca pourrait faire désordre ! Elise, Alice,
tout ça, ça se ressemble quand même un petit peu.
Acte 3 – Scène 8 : Adèle, Adriana et Elise
Adriana : Vous les françaisvous parlez du mariage avec une telle distance ! Chez
nous, il n’y a pas si longtemps – et c’est encore vrai dans certains villages – on nous
mariait de force et à des inconnus.
Adèle : Et bien, ça ne fait qu’apporter de l’eau à mon moulin. Le mariage, c’est juste
de la merde avec de la dentelle autour pour faire beau.
Adriana : Comment oses-tu ? Tu me parles de peine et de punition : si tu es aussi
malheureuse, tu peux toujours divorcer !
Adèle : Bonjour la thérapie de comptoir à trois zlotys ! Et puis d’abord, je n’ai pas dit
que j’étais malheureuse…
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Adriana : Alors, cesse de te plaindre !
Elise : Stop les filles ! On arrête le match de boxe. Et puis… (Se passant la main
dans les cheveux), Marc n’est pas encore marié.
Adriana : Comment cela ?
Adèle : Elise a raison. Alice n’a pas trop apprécié d’apprendre la présence (en
désignant Elise) de « mademoiselle » en ces lieux. Elle a mis la pression sur Marc et
même brandi la menace d’une annulation de mariage.
Elise : Oui, et puis (Elle se repasse la main dans les cheveux), je crois qu’il a encore
des sentiments pour moi.
Adèle : Evidemment qu’il en a : vous avez quand même passé plus de la moitié de
votre vie ensemble avant de rompre. Quand on y regarde de près, je n’aimerai pas
être à la place d’Alice.
Elise : On a discuté dans le parc tout à l’heure (Elle se repasse la main dans les
cheveux).
Adriana (l’interrompant) : C’était quoi ça ?
Elise (toujours la main dans les cheveux) : ça quoi ?
Adriana (l’imitant en se passant la main dans les cheveux) : Et bien ça !
Elise (faussement naïve) : Rien. Je me passe la main dans les cheveux.
Adriana : Toi, tu as un plan derrière la tête…
Adèle : Des poux, tout au plus : elle vient de se gratter le cuir chevelu.
Adriana : J’ai suivi quelques cours d’analyse comportemental à l’université de
Prague.
Adèle : Ca y’est : on est reparti dans la psychothérapie de comptoir ! (faussement
intéressée) Et c’était comment ? C’était bien ?
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Adriana : A chier ! Mais le prof était super craquant. Bref, il nous a enseigné à
identifier les gestes qui trahissent. Les gestes anodins qui, conscients ou
inconscients, peuvent faire passer des messages.
Adèle : Et il y a quoi dans la lettre à Elise ?
Adriana : Elle s’est passé trois fois de suite la main dans les cheveux en nous
parlant de Marc.
Adèle : Génial ! Ca fait plus d’une demi-heure qu’on ne parle que de lui. Cette fois-ci,
elle l’a fait avec une main dans les cheveux. Si elle l’avait fait avec une main dans la
culotte, là oui, le message aurait été plus explicite !
Adriana : Cela traduit un acte préparatif. Un rituel de séduction. On fait toutes le
même geste. Ce soir, cette jeune femme passe à l’attaque !
Acte 3 – Scène 9 : Pierre, Marc et Nico
Marc : Vous me faites marrer avec vos conseils. Vous parlez d’Amour, mais au final,
qu’est ce que vous y connaissez vraiment ?
Nico (en sortant son portable) : Tu veux que je sorte mon carnet d’adresse ? Elite,
Cosmopolitan, j’ai le numéro de téléphone de la plupart des mannequins de la Terre,
toutes agences confondues.
Pierre : T’as pas l’agence tout risque ?
Marc : Tu changes de fille, comme tu changes de costume. Cela n’a rien à voir avec
l’Amour. Plutôt avec le sexe.
Nico : Je croyais que c’était la même chose. (Ironique) Vous pouvez faire d’autres
trucs avec une fille, vous ?
Marc : Le meilleur cadeau que tu pourrais faire aux femmes ça serait que tu
deviennes pédé!
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Acte 3 – Scène 10 : Adèle, Adriana et Elise
Elise : N’importe quoi ! Je ne suis pas ici pour récupérer Marc.
Adriana : Je suis sûre que si. Sinon, pourquoi serais-tu venue ?
Elise (balbutiant) : Et bien, je…
Adèle (A voix haute mais pour elle-même) : Et pourquoi pas ?
Adriana : Qu’est ce que tu racontes ?
Adèle (de plus en plus éméchée) : Jamais pu encadrer Alice ! Montrons à cette
salope comment, Elise, (le bras autour de ses épaules) ma grande copine, récupère
ce qu’on lui a volé.
Adriana : Volé ? Elle n’a rien volé du tout ! Elise lui a laissé sa place ! Le genre :
« qui va a la chasse perd sa place ».
Adèle : Changeons de disque ! Le genre : « qui va à la pêche, la repêche ! ».
Adèle les quitte, elle se dirige vers Thierry. Ils échangent quelques mots en off.
Adriana : Tu joues gros si tu fais ça.
Elise : Je sais.
Adriana : Il y a une citation d’Henry James, un auteur anglais, que j’affectionne
particulièrement. Ca dit qu’on est « orgueilleux quand on a quelque chose à perdre,
et humble quand on a quelque chose à gagner ». Dans ton cas, je ne sais pas si tu
fais partie de la race des orgueilleux, des humbles ou plus probablement des deux à
la fois.
Elise : Pour tout te dire, je ne sais pas vraiment où je vais.
Acte 3 – Scène 11 : Adèle et Thierry / Adriana et Marc / Elise et Pierre
Thierry quitte les platines pour rejoindre ses amis. Les premières notes d’Angie des
Rolling Stones envahissent l’espace. Tout le monde se regarde.
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Elise (inquiète) : Un slow ? Elle nous fait quoi la working girl dépressive ?
Adèle (derrière les platines) : Changement de rythme. Chacun se trouve un
partenaire.
Pierre (à Elise, charmeur) : Vous dansez, mademoiselle ?
Elise (prenant) : Mal. Mais tu me sauves la vie ! Je ne sais pas ce que ta sœur a
dans la tête, mais ça ne fait pas partie de mes plans.
Adriana rejoint Marc.
Adriana : Salut, beau brun.
Marc : Tu ne préfères pas danser avec Nico ?
Adriana : Oh lui, c’est plutôt le genre Funk et Disco à paillettes.
Marc : C’est vrai qu’avec lui, tant que les premières notes d’Ottawan et de YMCA
n’ont pas résonnées, on a peu de chance de le voir sur la piste de danse.
A quelques pas de là…
Thierry (charmeur) : Ton père est un voleur.
Adèle (pas crédule pour deux sous) : Je sais: il a dérobé toutes les étoiles du ciel
pour les mettre dans mes yeux. Bonjour les clichés!
Thierry : Non. C'est juste un voleur. Et un fils de pute aussi. Ce salopard m’a encore
taclé au sujet de ma thèse.
Adèle : Elle est nulle ta thèse ! Et puis, si c’est pour me sortir des saloperies sur mes
parents, ce n’est pas la peine de m’inviter à danser !
Thierry : N’inverse pas les rôles : c’est toi qui m’as invité ! D’ailleurs pourquoi as-tu
mis des slows.
Adèle : Laisse-toi faire, mon chaton ! Maman a un plan…
A un pas de bourrée de là…
Elise : Comment va Marc ?
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Pierre : Tu veux dire depuis que la fée Elise s’est décidée à refaire apparition dans le
monde des vivants ?
Elise : N’exagère pas ! C’est vous qui m’avez laissé tomber.
Pierre : Quand Marc et toi vous êtes séparés. Il a fallu faire un choix. Tu nous vois
vous inviter tous les deux dans la même soirée ? Bref, on a opté pour celui qu’on
connaissait depuis le plus longtemps.
Elise : Je comprends.
Pierre : Pour revenir à Marc, c’est plutôt une énigme scientifique.
Elise : Qu’est ce que tu racontes ?
Pierre : On dit que le cœur est l’organe de l’Amour. On nous brise le cœur. On a le
cœur gros, le cœur en cendres. On parle à cœur ouvert. J’en passe et des meilleurs.
Concernant Marc, je pense que l’Amour est davantage lié à ses poumons. A sa
capacité à respirer, si tu préfères. D’ailleurs, personnellement, je pense que le
poumon est l’organe le plus romantique qui soit : tous les amants attrapent la
tuberculose. Regarde Chopin, Tchekhov, Orwell... Et la Dame aux Camélias ? C’est
quand même pas un infarctus du myocarde qui l’a mise à genou !
Elise : Impressionnant ! Ton cuba libre semble plus serré que le mien.
Pierre : C’est normal : c’est moi qui me les sers.
Elise : Pour l’instant, c’est toi qui me serre.
Pierre : Je ne te lâcherai que quand tu auras entendu la suite. Crois-moi, seuls les
arrivistes stressés ont bobo à leur petit cœur engraissé par l’accumulation de bouffe
et l’absence d’exercice physique. Les sentiments éperdus, eux, ont besoin
d’oxygène.
Elise : Et les vampires ?
Pierre : Ils craignent ! Les loups garous les boufferont tous !
Elise : Et Marc ?
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Pierre : Lui, c’est quand tu es là qu’il respire le mieux.
Acte 3 – Scène 12 : Elise et Marc
Nouveau changement de rythme. Nico se place derrière les platines et passe « Time
of my life » la BO du film Dirty Dancing.
Marc s’avance vers Elise et l’invite dans une danse endiablé. Ils refont sous les yeux
de leurs amis la chorégraphie du film. Jusqu’au porté final… Elise se retrouve dans
les bras de Marc.
Elise (haletante) : Marc, je…
C’est le moment que choisit le portable de Marc pour sonner. Foutue technologie à la
con !
Marc (pétrifié) : C’est Alice ! Qu’est ce que je dois faire ?
Elise tourne les talons. Elle se dirige vers Pierre et les autres. Marc la rattrape.
Marc (mort de trouille) : S’il te plait ! S’il te plait ! Reste : j’ai besoin de toi. Je n’ai
aucune idée de ce que je dois lui dire.
Cette demande de Marc résonne comme une sanction dans la tête d’Elise. Elle
comprend que les sentiments de Marc pour Alice sont sincères et qu’elle ne peut
plus rien y faire.
Elle fait un pas en arrière pour se dégager de l’étreinte de Marc.
Elise : Dis-lui… (Dans un souffle, les yeux fermés) Dis-lui que tu es heureux
d’entendre sa voix. Que tu attendais son appel.
Marc (à Elise) : Oui ! C’est bien, ça !
(Répétant dans le combiné) Je suis heureux d’entendre ta voix, mon amour.
J’attendais ton appel avec impatience.
Elise (en reculant) : Je ne peux pas vivre sans toi… Je ne supporterais pas une
nouvelle rupture.
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Marc répète une à une les paroles d’Elise. Le visage de celle-ci s’assombrit au fur et
à mesure que celui de Marc s’illumine.
Elise (se trouvant maintenant à plus d’un mètre de Marc) : (en jetant un regard
rapide à Pierre) C’est à tes côtés que je respire le mieux. Chaque seconde passée
loin de toi est la plus atroce des punitions qui soit.
Je sais que ça n’a aucun sens. Mais, je n’arrive pas à me défaire à l’idée que nous
allons bien ensemble.
Y’a-t-il une seule partie de toi qui aimerait réessayer ?
Léger silence. Marc se retourne en levant un pouce en l’air : ça marche ! Elise fait
semblant d’être heureuse. Elle sort côté cour dans la pénombre. La seule lumière
émane d’une douche positionnée sur le visage de Marc qui prolonge sa conversation
téléphonique avec Alice.
(Noir)
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Acte 4 – You can’t always get what you want – The Rolling Stones
(1968)
Acte 4 – Scène 1 : Elise, Adèle, Thierry, Pierre, Nico et Adriana
Elise, Adèle, Thierry, Pierre, Nico et Adriana sont assis sur et autour du canapé. Ils
se passent une bouteille de rhum et s’échangent un joint d’herbe.
Adèle : Alors, c’est comme ça que ça se termine ?
Elise : Tu voulais quoi comme autre fin ?
Adèle : Je ne sais pas, moi ; le genre Humphrey Bogart et Lauren Bacall fuyant,
main dans la main, le port de l’angoisse.
Adriana (en tirant sur le joint) : Et pour aller où ? Ouvrez les yeux : Marc et Alice se
marient demain. Vous vouliez quoi, nom de Dieu : que leur mariage capote à la
dernière minute ?
Nico (outré) : Ah ça non ! (en aparté à Thierry) J’ai fais venir un super groupe
d’Electro-Jazz pour le mariage. Directement de Londres. Je les adore. Je vais en
profiter pour les auditionner gratis pour mon label. Le business reste le business !
Adèle : Non, bien sûr… Enfin, j’aurais préféré que ça se termine autrement.
Elise : Et bien, rassure-toi, tu l’as ton autre fin : c’est celle du Titanic !
Nico (en aparté, concentré sur son idée) : Ou au pire, je les fais jouer quand
même…
Thierry (tirant sur le joint) : Le truc avec les deux couillons à l’avant du navire ? « I
am the king of the world », tout ça ?
Elise (en buvant une lampée de Rhum) : Je pensais surtout à la fin. Le bateau
coule et chacun rentre chez soi en pleurant.
Nico (toujours concentré sur son idée) : Et pourquoi pas un show-case tout
simplement ? Façon happening sauvage… Ouais, c’est bon, ça… (Se rendant
soudain compte qu’il parle tout seul) Quoi ?
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Adriana : On est en train de parler d’autre chose. Ca te dérangerait de suivre un peu
la conversation ?
Thierry : Votre histoire me fait davantage penser à un western.
Pierre : Sauf que dans les westerns, le héros embrasse le cheval, jamais la fille.
Adèle : Dans ce cas, c’est Alice le cheval. Avec ses ratiches de rosbif mal blanchies,
c’est au poil !
Nico : C’est pas Hitchcock qui disait que les acteurs devraient être traités comme du
bétail ? Un cheval (une jument ?) en fiancée du jeune premier ; ça colle, non ?
Thierry (légèrement éméché, joint à la main) : Le problème c’est qu’il ne peut pas
y avoir de seconde fin. Vous vous foutez de ma gueule avec ma thèse sur les jeux
vidéos, mais c’est vous qui bloquez sur le boss de fin de niveau ! Vous pensez qu’on
peut changer les choses, qu’on peut revenir en arrière et changer son présent ?
Dans la vraie vie, il n’y a pas de sauvegardes automatiques ou d’option permettant
de rejouer un niveau qu’on aurait raté. Quand c’est game-over, c’est que la partie est
finie. (Un temps) Et la partie est finie Adèle, je suis désolé.
Pierre (dans ses pensées) : La partie n’est pas finie. La partie n’est jamais finie.
Thierry : Arrête-ton cirque, tu veux ?
Adèle : Au contraire, laisse-le continuer.
Pierre : Cette histoire n’a rien à voir avec un western ou une partie de jeux vidéo.
(De plus en plus passionné) Nous jouons une partie d’échec très particulière : une
prise d’otages sentimentale pour être précis.
Adriana : Tu… Tu peux développer ?
Nico : C’est son problème – je l’ai toujours dit – il a besoin d’un impresario sérieux
qui puisse défendre ses idées.
Pierre (à lui même) : Les sentiments que Nico a pour Elise jouent en sa faveur…
(Comme une illumination) C’est le syndrome de Stockholm…
Elise : Le syndrome de quoi ?
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Thierry (pédagogue) : Le syndrome de Stockholm. (Un temps. Puis voyant
l’incompréhension autour de lui). C’est un phénomène social observé lors des prises
d’otages. Au bout de quelques heures, on raconte qu’une vague d’empathie se forme
au sein du groupe entre ravisseurs et otages. Les terroristes viennent à l’écoute des
civils, leur apportent de l’eau, des soins, etc… Certains civils finissent même par
défendre les idées de leurs ravisseurs.
Adèle : Comprends pô…
Thierry (à Adèle) : Je suppose qu’il compare la relation amoureuse à une forme de
prise d‘otage sur le point de basculer…
Adèle : Comprends toujours pô…
Elise (à Pierre) : Et, dans ce cas, dis-moi, qu’est ce que je viens foutre dans ta prise
d’otage ?
Pierre : Le ravisseur, c’est toi. Et Marc est ton otage. Tu ne dois pas lâcher l’assaut,
pas maintenant. Il a changé. Tu l’as observé toi-même. Tu peux encore le faire
basculer de ton côté !
Elise : Et si j’échoue ?
Pierre : Il n’y a qu’un remède à l’amour : aimer davantage. C’est si tu restes ici que
tu échoues. Si tu le rejoins, tu auras d’ores et déjà gagné.
Elise (elle se lève) : J’ai compris. A plus tard les amis : je pars me taper une
banque !
Elle sort.
Acte 4 – Scène 2 : Adèle, Thierry, Pierre, Nico et Adriana
Nico : Tu l’envoies au casse-pipe !
Pierre : Je ne pense pas…
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Thierry (révolté, de plus en plus éméché, bouteille à la main) : N’empêche que je
trouve dégueulasse ce que vous faites ! Vous êtes invités dans un mariage et vous
ne cessez de comploter contre la fiancée depuis tout à l’heure.
Pierre (brusque) : Tu te goures ; je ne complote pas contre Alice. (Un temps) Je
donne un coup de pouce à Elise. C’est différent. Elle… Elle a trop subi.
Thierry : Et après ? On subit tous ! On baisse la tête et on se relève comme on peut.
Pierre : C’est des conneries ! Moi, je ne veux plus subir.
Adriana : Qu’est ce que tu veux dire ?
Pierre : D’aussi loin que tu te souviennes, quel est le souvenir le plus marquant que
tu gardes de tes parents ?
Adriana : J’en sais rien… Des vacances chez ma grand-mère, des coups de règles
sur les doigts quand je ramenais des mauvaises notes, d’autres petits riens, des
détails, dont j’aurais oublié l’existence, bref des trucs sans importance…
Pierre (froid) : Je n’ai jamais passé de vacances avec mon père. Il était tout le
temps entre deux avions. Sa maison se situait à plus de trois mille mètres au dessus
de nos têtes.
Parfois, trop rarement, il nous emmenait, Adèle, Nico et moi, dans ses concerts. Mais
c’était toujours pour une seule chose ; nous demander de le regarder chanter. Nous
transpirions avec lui dans la chaleur suffocante des poursuites mais jamais dans la
lumière. Maman nous tenait la main et il fallait l’entendre des heures durant se faire
acclamer par des connasses humides transies d’excitation à la vue de son moule-
burnes à paillettes. Sans se faire voir.
A cette époque là, la presse lui avait trouvé un surnom : l’idole des jeunes. Tu
imagines le désastre si on apprenait que Johnny était papa ? Ensuite, il fallait repartir
se cacher. J’ai subi ce manège jusque l’âge de mes seize ans. Jusqu’à ce que ses
disques se vendent moins bien. Voir plus du tout et qu’il décide de mettre en terme à
sa carrière.
Adriana : Et votre mère ?
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Adèle : Avant qu’ils ne se rencontrent, maman était connue comme une future
grande chanteuse de Fado. On lui prédisait un grand destin et une carrière
internationale. Et puis, Nico est né. Il fallait choisir entre la carrière de maman et celle
de papa. Papa a demandé à maman de tout arrêter. Il voulait qu’elle se consacre à
nous. Leurs deux carrières étaient incompatibles, disait-il.
Adriana : Et alors ?
Adèle : Alors ? Rien. Elle a accepté. Sans broncher. Personne ne s’oppose à mon
père.
Pierre : Voila pourquoi je ne veux plus subir. Je veux rester libre de mes choix et
qu’Elise assume les siens. Quitte à me planter.
Thierry : Sauf que si tu te plantes, Elise se plante avec toi.
(Long silence)
Nico (pour changer de sujet) : Et si on mettait un peu de musique. ?
Thierry (prenant la balle au bond et se levant) : Excellente idée !
Acte 4 – Scène 3 : Thierry, Nico et Adriana
Pierre et Adèle se sont légèrement écartés pour discuter off. Thierry passe un disque
au hasard. Il s’agit de « Life on Mars ? » de David Bowie.
Nico : « Life on Mars » ? Bonjour l’ambiance !
Thierry : Je me suis gouré. Je voulais mettre « Let’s dance ».
Nico : Ca pour t’être gouré, tu t’es bien planté !
Adriana : Laisse ! J’adore cette chanson !
Nico (ironique) : Radio suicide, il est presque 23 heures. On retrouve tout de suite
« Life on Mars » de David Bowie et juste après, le roi de la fête : Benjamin Biolay.
Adriana : Tu n’as vraiment aucun goût ! C’est magnifique Biolay !
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Nico : Peut-être mais c’est chiant ! Dans « enterrement de vie de garçon », ce qu’on
retiendra au moment de se coucher ce sera surtout le mot « enterrement ».
Thierry : Vas-y ! Mets un truc si t’es si balaise !
Nico : Je vais me gêner !
Nico se lève et met un disque de Patrick Sebastien.
Adriana : Ca c’est de la transition !
Nico (faisant la danse de l’épaule) : Qu’est ce qui vous dérange chez Patrick
Sebastien ?
Adriana (ironique) : Voyons-voir… Par où commencer ?
Thierry (complice) : Tu peux le critiquer sur ce que tu veux, mais pas sur les
vêtements. On avait dit : pas les vêtements !
Nico : Marrez-vous ! Allez-y : marrez-vous !
Adriana (ironique) : Mais on en peut plus là. Ca ne se voit pas ?
Nico : Au moins, lui, il a refusé de se prendre la tête ! C’est peut-être des chansons
de merde, mais au moins, elles sont parfaitement assumées et sans aucune
prétention. (A Adriana) Si tu suis mon regard…
Adriana : La musique de Biolay n’est pas prétentieuse. Elle est ambitieuse.
Nico (jouant à fond la mauvaise foi) : C’est la même chose !
Thierry : Enfin, quand même, Patrick Sébastien, ce n’est pas d’une très grande
profondeur !
Nico : Ca veut dire quoi la profondeur ? Quand c’est trop profond, on n’a plus pied et
on se noie. J’emmerde les chanteurs qui font la gueule sous prétexte que ça fait
« artiste ». Et puis, écoute bien les paroles : c’est plus puissant que tu ne crois.
Thierry : « Ah ! C’qu’on est serré au fond de cette boite… ». Qu’est ce que ça a de
profond ?
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Nico : Tu ne comprends pas ? Ca parle de la solitude des night-clubers, de leurs
vaines errances nocturnes à la recherche d’autres âmes égarées. Tout ça, pour finir,
trempés de sueur, cuits, bourrés, au fond d’une boite de nuit sordide qui pue l’huile
d’olive et la morue. (Se rendant compte de son jeu de mots et insistant lourdement, il
se lance dans une imitation de reportage animalier) « Mes chers amis, avançons
prudemment et observons ce spécimen tout particulier de morue des dance-floors.
Admirez comment sa transpiration sous les spots lights fait parfaitement reluire son
poil... ».
Adriana : Ah ouais ! Vu sous cet angle.
Nico : Je vous l’avais dit que je vous ferais aimer Patrick Sébastien. On monte le
son ?
Adriana (en passant le joint à Thierry) : Faut pas déconner non plus…
Acte 4 – Scène 4 : Thierry, Nico, Adriana, Adèle et Pierre
Thierry : Nico a raison. On ne prête pas assez d’attention aux paroles des chansons.
Nico : Mais grave !
Thierry : Il y en a une qui reste une énigme pour moi.
Nico : Vas-y envoie : on est chaud comme la braise ; on va trouver sa signification.
Thierry : C’est « les chapeaux ronds ».
Adriana : « Les chapeaux ronds » ?
Nico : Je vois pas.
Thierry : Mais si ! Vous savez (il commence à chanter) « Ils ont des chapeaux ronds,
vive la Bretagne ! Ils ont des chapeaux ronds, vive les bretons ».
Nico (comprenant brusquement) : Ah ! « Les chapeaux ronds » !
Adriana : Je ne vois toujours pas. C’est connu ?
Le syndrome de Stockholm
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Nico. Très. Il s’agit d’un truc de folklore breton. C’est une région de France très jolie.
Il faudra que tu visites. (Revenant à Thierry) Revenons à nos moutons celtes : qu’est
ce que tu trouves de compliqué dans cette chanson ?
Thierry : Ca n’est pas compliqué, c’est juste que je m’interroge sur le sens des
paroles. Et notamment celles d’un couplet. Ecoute ça : « A l’enterrement de ma
grand-mère, j’étais devant. J’étais derrière. J’étais derrière. J’étais devant. J’étais tout
seul à l’enterrement. » (Il lève les bras aux ciels).
Nico (l’imitant en levant également les bras aux ciels) : Et alors ?
Thierry (toujours les bras levés) : Comment ça : « et alors » ?
Nico : C’est quoi le problème ?
Thierry (s’emportant) : Le problème, putain ! La grand-mère de ce type meurt – la
grand-mère, la doyenne, la mémoire du village : c’est pas rien quand même ! J’suis
pas en train de raconter n’importe quoi ! – et personne ne vient à ses funérailles ! Tu
trouves ça normal ? PERSONNE ! Tu te rends compte !?! Devant, derrière :
PERSONNE !
Nico : Thierry – comment te dire ? - c’est une chanson humoristique.
Thierry (très premier degré) : Humoristique ? Ah bravo (il applaudit des deux
mains) ! Franchement, c’est très drôle. (Ironique) Non, non vraiment ; c’est très
réussi. (Reprenant son calme et pointant un doigt accusateur mais rendu
particulièrement instable par l’alcool et le joint) Non mais, c‘est quoi cette mentalité
de merde ? Une personne meurt et on en fait une chanson à boire ? C’est du grand
n’importe quoi, non ? (faisant un pas vers Nico) Je vais te dire ce que j’en pense,
moi. (Il termine son verre d’un trait, puis, explosant, furieux) Mais, ma parole, les
Bretons c’est des ENCULES !
Nico (à Adriana) : J’espère qu’il n’y a pas trop de bretons dans le quartier, sinon on
est mort.
Thierry : Putain ! Mais c’est quoi cette région de tarés ? Une veille dame meurt et
personne ne vient lui rendre un dernier hommage ? C’est comme ça qu’on traite ses
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ainés chez Nolwenn Leroy ? Mais j’hallucine complètement ; dans quel pays vivent-
ils ? A force de tutoyer les elfes, ils doivent avoir les fils qui se touchent ces abrutis ?
Adèle : Qu’est ce qui lui prend tout à coup à cet idiot ?
Thierry : Ou alors…
Nico (faisant une prière) : Merci mon Dieu. Il a été touché par la grâce.
Thierry : Ou alors, il s’agit d’un complot anti-bretons.
Nico : Voila autre chose…
Adèle (à Pierre) : il me fait honte.
Pierre (à Adèle) : Fous-lui la paix : laisse-le un peu se lâcher, tu veux !
Thierry : Imaginez un type, genre jacobin pur sucre, écrivant une chanson dans
laquelle il glisse deux ou trois saloperies sur les purs beurre et mine de rien les fait
passer pour des salopards incapables de respecter leurs patriarches.
Pierre (faisant signe au bar à un serveur imaginaire) : Barman ? La même chose
que cet homme s’il vous plait !
Thierry : La chanson circule de génération en génération, et, insidieusement,
pénètre le cerveau de chaque individu.
Nico (jouant son jeu) : Et cette région, maintes fois opprimée par le passé, se
retrouve à nouveau, par le joug jacobin, victime de l’opprobre et devient la risée de
tout un état.
Adriana (hilare) : Complètement à l’ouest !
Thierry (rire diabolique) : Ah ! Ah ! Les gars, si ca trouve, on vient de déjouer un
complot diabolique !
Nico : Et sauver une magnifique région de la diffamation !
Pierre : Oui, et fiers comme tout, nous pourrons aller pisser sur les dolmens en
clamant : j’y étais !
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Adriana (à Adèle) : Je crois que les gars commencent à être sérieusement
attaqués !
Adèle : J’en connais un qui va ronfler cette nuit !
Adriana (enthousiaste) : On refait le monde ou quoi ?
Adèle (lasse) : On n’irait pas plutôt danser ?
Adriana (suppliante) : D’accord, mais on refait un peu le monde, d’abord !
Pierre (tirant sur le joint) : Si vous deviez supprimer une chose sur Terre, ce serait
quoi ?
Nico (sans hésiter) : La gravité.
Adèle : La gravité ? Qu’est ce que tu entends par « la gravité » ? Les trucs chiants,
les types graves ?
Nico (ne comprenant pas ce qu’elle ne comprend pas) : Non. La gravité.
Adèle (à elle-même) : Ca ne m’aide pas beaucoup ça.
Adriana : Tu veux dire la gravité terrestre ?
Nico (ne comprenant pas ce que les autres ne comprennent pas) : Oui. La
gravité.
Thierry (offusqué) : Mais enfin : qu’est que tu racontes ? La gravité est
indispensable à notre survie.
Nico : A la tienne peut-être. Mais pas à la mienne.
Thierry (essayant d’être pédagogique) : L’homme de science que je suis ne peut
pas te laisser dire ça. Tout être, toute chose, toute molécule, tout électron est soumis
à la gravité.
Nico (lyrique, se lançant dans un réquisitoire à l’encontre des pots de
confiture) : Justement. Il est l’heure de se rebeller contre cette forme de soumission
qui n’a que trop duré. Y’en a marre que, quand j’ouvre mon frigo le matin, le pot de
confiture mal refermé de la veille tombe et s’écrase à dix centimètres de mes
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chaussures italiennes à 800 euros la paire et dégueule son contenu gélatineux dans
un rebond improbable de fruits mêlés de sucre sur mon costume Armani taillé sur
mesure par les plus grands couturiers et que, à présent souillé par une mélasse
qu’aucun teinturier ne parviendra à rattraper, je sois obligé in-extremis de changer de
tenue pour partir travailler. Pourquoi les pots de confiture ne pourraient-ils pas flotter
ou voler tranquillement comme les oiseaux dans le ciel au lieu de s’écraser au sol
comme des merdes ?
Adèle (à Pierre) : Les oiseaux subissent la pesanteur aussi, non ?
Pierre (à Adèle) : Yep ! Mais moins puisqu’ils volent, non ?
Thierry (énervé mais patient) : Vous racontez tous n’importe quoi, et en plus vous
ne m’avez pas compris.
Adriana (faussement attendrie) : Oh le pauvre scientifique chou trop mignon :
personne ne le comprend…
Thierry (essayant de continuer à être pédagogique mais commençant à perdre
patience) : C’est juste une question de vie ou de mort : on ne peut pas faire sans. Le
phénomène de gravitation est universel. Il nous permet de tenir sur le sol mais
également aux astres d’assurer leur rotation de manière harmonieuse. Sans
l’attraction du soleil nous serions tous projetés à l’autre extrémité de la galaxie.
Nico : Moi, ça me va. Quand je suis attiré par un truc, je fonce dessus.
Pierre : Et, dans ce cas, si on était projeté dans une galaxie lointaine, très lointaine,
tu crois que j’aurais moyen de faire signer un autographe à Yoda ?
Thierry : Les gars, putain, je suis sérieux, là !
Nico (après un temps de réflexion, le temps de finir son verre) : La gravité, ça
craint !
Adriana (en tirant sur le joint) : Et si tout n’était qu’illusion et que rien n’existait ?
Nico : Dans ce cas, j’aurais vraiment payé mon tapis beaucoup trop cher.
Tous rient sauf Adèle.
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Adèle (à nouveau suppliante) : Bon, on va danser, ou quoi ?
Adriana : Oui ! Allons danser en boite !
Pierre (hilare) : Et on y va comment ? On est tous trop bourrés pour conduire, là !
Adèle (un verre à la main) : Moi ça va.
Adriana : Avec ce que tu t’es enfilé depuis cet après-midi ? Moi, je ne te file pas mes
clés de bagnole !
Thierry : Adriana a raison. Le fait que tu tiennes encore debout tient davantage du
miracle que de tes origines vendéennes. (A lui-même) Quoique, les deux réunis…
Nico : La formule deux en un !
Adèle : Bon, on fait comment alors ?
Nico : J’ai ma petite idée. Allez vous préparer, je m’occupe du reste.
Tous sauf Thierry : Ok.
Acte 4 – Scène 5 : Thierry et Pierre
Tous sortent sauf Thierry et Pierre.
Pierre : Tu ne viens pas ?
Thierry : Je ne sais pas trop…
Pierre : Qu’est ce qu’il y a : on t’a vexé avec nos conneries sur la gravité tout à
l’heure ?
Thierry : Non. Ca n’a rien à voir. Je sais bien que vous déconniez pour me faire
chier… Je n’aime pas trop les boites de nuit, voilà tout.
Pierre : On s’en fout : moi non plus, je n’aime pas ça. On y va juste pour se marrer
sans se prendre la tête.
Thierry : Et puis la musique est vraiment très forte. On ne peut pas discuter !
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Pierre : C’est sûr, qu’en boite, on y va rarement pour discuter. Et il y’a peu de chance
qu’on entende ça…
Pierre met un disque de Randy Crawford.
Thierry : « Street Life ». C’est bon ça !
Pierre : Yeah, man !
Thierry : Tu vois, c’est ça aussi qui ne va pas. C’est moi qui était sensé mettre la
musique et passer des disques ce soir. Pas le DJ d’une boite miteuse !
Pierre : Je comprends.
Thierry : Il y a tout qui foire autour de moi ! Personne ne me prend jamais au
sérieux. Tu vois, c’est comme pour ma thèse. Tout le monde s’en branle ou fait
exprès de ne rien y comprendre ! Au mieux, les gens me demandent pourquoi je
m’intéresse à un tel sujet. « Les jeux vidéo, tu te rends compte, à son âge ! ». A
choisir, je préfère encore ce mépris à la stricte ignorance.
Pierre (moqueur) : C’est comme pour moi. Au début, tout allait bien. J'étais le
meilleur spermatozoïde. Premier sur l’ovule. Je ne m'explique pas ce qui s'est passé
depuis.
Thierry : Je suis sérieux, là, Pierre !
Pierre (rires) : Excuse-moi, je n’ai pas pu m’en empêcher. Tu sais, j’écris des pièces
de théâtre donc je comprends très bien ce que tu entends par mépris ou ignorance.
(Un temps) Tu sais ce qu’on va faire en attendant que les autres se préparent ? Tu
vas me passer des disques ! Attention : pas n’importe lesquels : que des morceaux
que tu adores et on va triper tous les deux sur ton son avant d’aller se détruire les
feuilles en boite sur de la techno. Tu veux ?
Thierry : OK !
Pierre : Alors, par quoi on commence.
Thierry : Par ça !
On entend les premières notes de « The Magnificient Seven » des Clashs.
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Thierry : « The magnificient seven ». On commence à remuer la tête et les pieds dès
les premières notes. Ce titre n’apparait pas ni sur « The clash », ni sur « London
Calling », leurs deux albums les plus connus. On le trouve sur le double
« Sandinista », moins connu mais tout aussi bon. Les Clashs sont musiciens avant
d’être Punk. On est à 3000 années lumières des Sex-Pistols !
Pierre : Ca date de quand déjà ?
Thierry : Début des années 80.
Pierre : Ca ne nous rajeunit pas…
Thierry : Pas autant que ça !
Début du riff de « Back in black » !
Pierre : Yesssss !
Pierre et Thierry hochent la tête d’avant en arrière au rythme de la musique.
Thierry : Tu savais que les Daft Punk s’étaient inspirés du son de Hells Bells pour
leur single « Aerodynamic » sur l’album « Discovery » ?
Pierre : Tais-toi et kiffe !!!
Pierre se lance dans un air-guitar endiablé.
Pierre : J’adoooooore !
Thierry : Alors, essaye-ça !
Première notes de « Sabotage » de Beasty Boys !
Pierre: Beasty Boyyyyyyyyyyys!!!!!
Thierry et Pierre se mettent à danser en sautant pieds joints sur scène. Puis ils
reprennent les paroles de la chanson. Thierry repasse derrière les manettes. Il met
« l’aventurier » du groupe Indochine. Nico et Adriana les rejoignent. Ils commencent
à danser pieds joints façon french new-wave en reprenant les paroles. S’ensuit une
série de titres enchainés très rapidement et interprétés par nos amis façon play-
back : « walk this way », « Just like heaven », “Groove is in the heart“, “Unfinished
Le syndrome de Stockholm
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sympathy”, “Violently happy”, “Wonderwall”, “Nothing compares 2 U”, “Seven nation
army” et “Crazy in love”.
Acte 4 – Scène 6 : Nico, Thierry, Adriana, Pierre et Adèle
Ils se congratulent après le titre de Beyoncé. On entend les premières notes de
« November rain » de Guns n’ Roses.
Nico : « November rain » ? Tu déconnes !
Thierry (offusqué) : J’adore Guns n’ Roses !
Nico: Moi aussi, c’est pas ça le problème! Mets-moi « Paradise City », « Sweet child
O’ mine », « Double talkin’ jive », tout ce que tu veux mais pas cette niaiserie
sirupeuse.
Thierry : C’est mon côté midinette ! Je n’y peux rien, j’ai toujours adoré ce morceau.
Nico : Ce n’est pas midinette, du tout : Les midinettes ont le cœur pur. Elles kiffent
Robbie Williams et écoutent « Feel » en fermant les yeux. Comme moi. Ca, c’est
beaucoup trop gluant pour la midinette. C’est plutôt du registre de la pucelle en
chaleur au bal de fin d’année !
Adriana : N’importe quoi ! Il est magnifique ce morceau. Personne ne veut danser ?
Pierre : Je me souviens du clip avec le top-modèle en robe de mariée.
Nico : Stéphanie Seymour. C’est le seul truc qui sauve la chanson.
Adèle (s’impatientant) : Bon, on y va ?
Thierry : Et le solo de Slash ? T’en fais quoi ?
Nico (se collant deux doigts dans la bouche en faisant semblant de vomir) :
Suis-je assez clair ?
Pierre : Limpide. Si ce n’est que je te trouve un peu dur toutefois : « November rain »
est une bonne chanson.
Adriana (s’impatientant à son tour) : Personne pour danser ?
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Nico (directif) : Allez hop ! Tous en boite !
Adèle (soulagée) : Enfin !
Nico : J’ai sorti les vélos qui étaient dans la grange. Ils sont gonflés et en bon état. Il
faudra toutefois faire attention aux freins.
Pierre : Tu veux qu’on y aille en vélo ?
Nico : Ouais !
Pierre (un peu ironique) : Je sens qu’on va se marrer !
Adèle : Ca fait au moins dix ans que je ne suis pas montée sur ces vélos. Je pourrais
avoir le rose ? C’est celui que j’avais quand j’étais gamine.
Pierre : Je te préviens : on a retiré les roulettes à l’arrière.
Adèle tire la langue à Pierre.
Adriana (un peu tiste) : On n’attend pas la fin de la chanson ?
Ils commencent à sortir. Restent Thierry et Adriana.
Adriana (à Thierry) : Tu danses ?
Thierry (bégayant) : Euh… Oui, pourquoi pas ?
Adriana et Thierry commencent à danser. Thierry est un peu pataud.
Adriana : Ne vas pas trop vite. Laisse-toi faire.
Adriana mène la danse. Ils prennent doucement leur rythme. Adriana pose sa tête
sur l’épaule de Thierry visiblement troublé. La danse se prolonge une trentaine de
secondes.
Pierre : Bon, alors, vous venez ? On vous attend !
Adriana (se détachant brusquement) : J’arrive !
Elle sort.
Pierre (à Thierry) : Qu’est ce que tu fais ? Tu ne viens pas alors ?
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Thierry (bégayant) : Non. Je… Je suis un peu fatigué. Et puis, tu sais, les petites se
lèvent tôt demain. Il faut qu’il y ait quelqu’un…
Pierre (terminant sa phrase) : …Et comme Adèle tient tout particulièrement à aller
en boite…
Thierry : …Je préfère rester ici.
Pierre : Tu en es vraiment sûr ?
Thierry (souriant) : Ne t’en fais pas pour moi.
Pierre commence à partir. Il se retourne brusquement avant de franchir la porte.
Pierre : Ah ! Au fait : merci pour ce set. C’était une super séquence de DJing ; on
s’est bien marré !
Thierry : Merci à toi. C’était ton idée.
Pierre sort en le saluant une dernière fois. Thierry reste seul sur scène. Il fait
quelques pas, puis s’arrête sur le proscenium. Il fixe le fond de salle, pensif et
légèrement haletant.
(Noir)
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Acte 5 – Qu’est ce qu’on attend? – NTM (1995)
Acte 5 – Scène 1 : Johnny, Carmen, Thierry, Adriana et Adèle
Le lendemain matin.
Thierry est seul sur scène. Enfoncé dans le divan, perdu dans les coussins, il joue
seul sur une console de jeu portable.
Carmen entre côté jardin. Elle ne l’a pas vu. A partir de maintenant et jusqu’à ce que
Thierry se décide enfin à parler, tout se passera comme si il était invisible.
Elle arpente la scène de long en large en frappant sur un mini gong tibétain. Quand
le son ne lui convient pas, qu’elle ne le trouve pas suffisamment harmonieux, elle
sort de sa poche une petite fiole, verse deux gouttes sur le sol puis vérifie l’accord.
Thierry la regarde les yeux écarquillés. Il n’en perd pas une miette mais n’ose pas la
déranger dans son « exorcisme ».
Enfin, elle s’assoit sur le fauteuil, écarte le cendrier, rempli de mégots de joints, posé
sur la table basse et sort un jeu de tarot. Elle débute sa lecture divinatoire.
Carmen : Le pendu… Cela confirme mes prédictions : quelque chose d’anormal s’est
passé ici cette nuit. Un changement ou une rupture… Aie ! La mort ! Rupture net :
pas de retour possible.
Johnny entre dans le salon.
Johnny : Carmen ? Qu’est ce que tu fais là ?
Carmen : C’est à toi que je devrais poser cette question. Où est-ce que tu étais cette
nuit ?
Johnny : Tu m’as entendu me lever ?
Carmen : Je t’ai entendu te coucher et te lever toutes les nuits depuis que nous
sommes ensemble, mon chéri. Une épouse aimante ne dort jamais complètement
quand son mari est loin d’elle.
Le syndrome de Stockholm
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Johnny : Je ne parvenais pas à m’endormir. Je suis allé déambuler dans le manoir
pour y retrouver le sommeil.
Carmen : Et ça a marché ?
Johnny (fatigué) : Pas vraiment. (Agacé) Tu fais quoi avec tes cartes ?
Carmen : Il s’est passé quelque chose ici cette nuit.
Johnny : Tu ne vas pas remettre ça !
Carmen : J’ai recommencé mon tirage trois fois de suite. Les cartes ne mentent pas !
il s’est passé quelque chose ici cette nuit.
Thierry les interpelle.
Thierry : Qu’est ce qui s’est passé ici cette nuit ?
Ils se retournent vers lui.
Carmen : Vous êtes là depuis longtemps ?
Thierry : Une heure environ ;
Carmen (baissant la tête) : Ha…
Johnny : Carmen tire les cartes. Vous qui êtes scientifique, vous ne voulez pas lui
expliquer combien cela est stupide ?
Thierry : Il y a des sujets et des causes auxquelles je refuse de m’attaquer ! En tout
cas, jamais avant mon café…
Carmen : Nous allons vous laisser.
Thierry : Prenez votre temps. (Alors que Johnny et Carmen sortent) Ah ! Au fait !
Encore merci pour hier soir.
Johnny : Ce n’est rien.
Thierry (à Carmen) : Quand les autres sont partis en boite de nuit, les filles se sont
réveillées et là ; pas moyen de les rendormir. J’avais beau les bercer ou leur chanter
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des chansons ; rien à faire : soit elles pleuraient, soit elles riaient, en tout cas, elles
ne voulaient pas retourner au lit.
Carmen : Et la baby-sitter ?
Thierry : Elle s’était empaffée. Il a fallu la réveiller.
Johnny : Bref, je passais par là comme je t’ai expliqué tout à l’heure. J’ai proposé à
Thierry d’emmener les filles dans une autre chambre.
Carmen : Et où sont-elles ?
Johnny : Dans la pièce au fond du couloir. Tu sais, celle où j’entasse mes vieilles
guitares.
Thierry : Johnny en a profité pour leur jouer une petite ballade country. Vous avez
de beaux restes.
Johnny : Merci. Elles se sont rendormies direct. (A lui-même) Cela dit, je ne sais pas
comment je dois le prendre ?
Ils rient. Carmen et Johnny sortent. Ils croisent Adèle et Adriana.
Carmen : Bonjour ma fille, Bonjour Adriana. Petite nuit ?
Adèle : Je te réponds plus tard. Je suis sur boite vocale.
Que s’est-il passé la nuit dernière ? Quelles nouvelles aventures attendent nos
amis ? Pour le savoir – et accessoirement connaitre la liste des prochaines victimes
du syndrome de Stockholm – rien de plus simple : il suffit de m’adresser un mail à
[email protected] et je vous enverrai le texte intégral.
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Bonus Track – You’ve got the love – Florence + The Machine (2011)
Merci à mon épouse pour son soutien, son écoute, ses conseils et sa patience
durant l’écriture de cette pièce. Je t’aime.
Merci aux fidèles relecteurs de la troupe des Débarqués et aux copains d’abord.
Du même auteur :
Promenons-nous dans les bois (2011)
Cinq heures moins vingt cinq avant la fin du monde (2012)
Le plein de Supers ! (2013)