le bouddhisme - levenson claude

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    QUE SAIS-JE ?

    Le bouddhisme

    CLAUDE B. LEVENSON

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    PREMIÈRE PARTIE

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    Chapitre I

    Le bouddhisme vu d’occident

    Chaque fois que la pensĂ©e de l’Occident se trouve aux prises avec des contradictionsqu’elle se demande oĂč la mĂšne la science, elle se tourne vers l’Inde, mĂšre des mythologiesdes disciplines spirituelles.

    Cahiers du Sud, 1940.

    ilosophie pour les uns, religion pour d’autres – pour ceux qui le pratiquent au quotidien

    uddhisme est d’abord une maniĂšre d’apprĂ©hender le monde, une façon d’ĂȘtre ou de devenmplicitĂ© apparente quand on le dĂ©couvre en ses terres attire, la logique de son approche sĂ©duiultiples facettes de son expression artistique fascinent. À croiser ou Ă  rencontrer quelques-u

    tĂ©moins d’aujourd’hui, le regard se pose et la vision s’élargit. Un sentier se dessine, mvient Ă  chacun de le passer ou de l’emprunter.

    ns l’AntiquitĂ© dĂ©jĂ , les chemins de l’Orient et de l’Occident s’étaient briĂšvement rapprochĂ©sĂšvement sans doute pour se comprendre ou se mesurer. Des pierres et des fragments d’ttestent, qui ne suffisent cependant pas Ă  donner une vue d’ensemble. Sans doute peut-on perc

    certains visages ou dans le drapĂ© du vĂȘtement des premiĂšres effigies connues de l’Éouddha), celles du Gandhara, des Ă©chos de sculpture grecque, comme les Questions dlinda datant du iie siĂšcle de l’ùre commune portent tĂ©moignage du dialogue entre le souveractriane, MĂ©nandre, et le sage NĂągasĂȘna. Les rĂ©ponses du moine conduisent le roi Ă  adhĂ©rarma, la loi du Bouddha.

    Les Ă©claireurs

    faudra attendre le xiiie siĂšcle pour avoir en Occident d’autres nouvelles du bouddhisme. AntĂ©rprĂšs de vingt ans Ă  l’épique pĂ©riple de Marco Polo, la mission exploratoire de Guillaumbrouck dĂ©voile des horizons inconnus. De 1252 Ă  1255, envoyĂ© par Saint Louis dont il a frĂ©qcour et partagĂ© le rĂȘve croisĂ©, ce franciscain Ă©rudit et polyglotte laisse sa curiositĂ© des utumes d’autrui le guider jusqu’à une autre cour, celle de Gengis Khan, Ă  Carakorum.servateur qu’ambassadeur, l’émissaire du roi de France recueille des informations, se rens

    les mƓurs, s’étonne des rencontres inattendues – des captifs teutons aux prĂȘtres nestorieute les visages et raconte les habits, dĂ©taille les habitudes. En quĂȘte des « chrĂ©tientĂ©s perd

    les qu’ardemment recherchĂ©es au temps des croisades, il croit mĂȘme, un instant, avoir touc

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    t.

    Ăšre Guillaume est le premier EuropĂ©en Ă  dĂ©crire les « idolĂątres » et leurs temples : il dĂ©couvrs autels des lampes et des offrandes, des « images ressemblant Ă  des Ă©vĂȘques », et relĂšve m’ils « rĂ©pĂštent sans cesse ces mots : “on mani battam” qui signifient “Dieu, tu connais” d’apduction que l’un d’eux lui aurait donnĂ©e. Nulle peine Ă  reconnaĂźtre dans cette forproximative le grand mantra tibĂ©tain « om mani pĂ©mĂ© hum », mĂȘme si le voyageur n’en apprs beaucoup plus, car, note-t-il, « quand je questionnais les Sarrasins sur les rites de ces gens-

    étaient scandalisés ».

    I. Les pionniersoins portĂ© sur ce genre d’indices, Marco Polo est aussi moins curieux : le VĂ©nitien se contenever au passage la prĂ©sence d’ « idolĂątres faiseurs de miracles » Ă  la cour de KublaĂŻ KhaĂšve remarque pouvant laisser supposer qu’il s’agissait de bonzes tibĂ©tains. Mais il en resns le sillage des Ă©claireurs – missionnaires italiens, catalans ou portugais et marchissaires d’un « nouvel ordre » – s’aventurent Ă©galement quelques excentriques cherc

    horizons moins courus. Et le monde indien fourmille de « nouveautés » plus intrigantes les uneautres, souvent sujettes à des interprétations assez fantaisistes.

    fait, la curiositĂ© europĂ©enne ne s’éveille vĂ©ritablement qu’à partir du xviii e  siĂšcle, ntrusion britannique sur ce qui allait devenir « le joyau de la couronne », l’empire des Indes. Gsoutien de Warren Hastings, gouverneur gĂ©nĂ©ral Ă  l’époque, Charles Wilkin avait publiĂ© en

    premiĂšre traduction anglaise de la Bhagavat-GĂźta hindoue, et William Jones, alors juge Ă  Calait fondĂ© la fameuse « Asiatic Society of Bengal ». En 1801-1802, Anquetil Dupeyron pubemiĂšre traduction française Ă  partir d’une version persane des Upanishad. Ainsi lancĂ©e, la vait apporter une riche moisson.

    Ă©tude des langues, du sanskrit notamment, s’accompagne dĂšs lors d’une collecte enfiĂ©vrnuscrits, bientĂŽt acheminĂ©s vers Londres et Paris. Un Anglais, Brian Hodgson, voyageant au N

    rs 1820, rĂ©unit sur place d’anciens textes bouddhiques, tandis qu’un Hongrois, Alexandre CKoros, recherche dans les monastĂšres tibĂ©tains les origines de sa propre langue. Une parti

    cuments recueillis par Hodgson aboutit entre les mains d’EugĂšne Burnouf, linguiste passionnskritiste distinguĂ©, versĂ© en pĂąli et en tibĂ©tain : il traduit le « SĂ»tra du Lotus » (Le Lotus nne Loi) et rĂ©dige dans la foulĂ©e une Introduction Ă  l’histoire du bouddhisme indien. La vosormais ouverte Ă  la satisfaction d’une certaine curiositĂ© europĂ©enne et Ă  l’imagination du pis Ă©galement Ă  l’étude approfondie et des langues vĂ©hiculant le bouddhisme et des textes ctrine.

    s lors, des Ă©changes se rĂ©tablissent, confinĂ©s nĂ©anmoins pour l’essentiel aux milieux intellecscientifiques, si bien que, vers 1880, des cercles d’études philologiques s’enracinent fermemglais, en français, en allemand, en russe et en danois. Les voyages vers les sources indiennghalaises du bouddhisme se multiplient, comme les quĂȘtes intĂ©rieures qui fleurissent au lon

    xe siĂšcle dans les milieux artistiques et littĂ©raires. D’éminents linguistes s’attellent Ă  la tradu

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    dmasambhava qui aurait prédit :

    Lorsque l’oiseau de fer volerarsque les chevaux galoperont sur des rouess gens du Pays de Bod seront Ă©parpillĂ©s Ă  traversmondemme des fourmis,le dharma abordera le continent de l’homme

    uge. »chant que les TibĂ©tains nomment leur terre « pays de Bod » et que nul ne semble avoir jaĂ©cisĂ© la signification de « continent de l’homme rouge », la coĂŻncidence ne laisse paprendre.

    dĂ©veloppement des moyens de transport aidant, entre la fin du xixe siĂšcle et les premiĂšres anxxe siĂšcle, des passionnĂ©s d’art se font dĂ©couvreurs, comme Émile Guimet, Ă  l’origine du m

    i porte son nom Ă  Paris, lieu mythique devenu pĂ©piniĂšre de maintes vocations. À la fois cur

    oureux et mĂ©ticuleux, ces hommes et ces femmes parcourent leur rĂ©gion d’élection – Japon, ine – dans des conditions souvent Ă©prouvantes, oĂč rencontres et dĂ©couvertes compensent largeeurs yeux les alĂ©as du voyage. Il est vrai que ces amateurs d’horizons Ă©largis prennent leur tque, Ă  cette Ă©poque, ils n’avaient pas besoin de visas, lettres de recommandation ou de chnt suffisantes, mĂȘme si parfois le pĂ©riple tournait Ă  l’aventure pas toujours plaisante. Ainuent des correspondances et des Ă©changes qui, aujourd’hui, complĂštent les objets de endides mais muets, des musĂ©es d’Europe et d’AmĂ©rique, en offrant de surcroĂźt des ap

    vélateurs sur les regards croisés de mondes en train de se découvrir.

    s voyageurs au long cours prennent des notes, s’astreignent Ă  des relations dĂ©taillĂ©es, nutieuses, des incidents, des obstacles et des rencontres qui tissent leur quotidien si loinntiers battus. Leurs observations servent Ă  baliser des chemins qui ne mĂšnent parfois nulle ptographier des parcours de riviĂšres ou de vallĂ©es ignorĂ©es, Ă  combler des blancs vastes co

    nconnu sur des mappemondes encore floues. NicolaĂŻ Prjevalsky, Louis de CarnĂ©, Williamckhill, Gabriel Bonvalot et Henri d’OrlĂ©ans, Charles-Eudes Bonin frayent la voie Ă  Victor SeGilbert de Voisins, Alexandra David-Neel, Nicolas Roerich, Giuseppe Tucci, AndrĂ© Migott d’autres qui marcheront ensuite sur leurs brisĂ©es. Cheminant comme en miroir invnbodjab Tsybikov le Bouriate ou Ekai Kawaguchi le Nippon se faufilent dans ces parag

    urnant des xixe  et xxe  siĂšcles, guidĂ©s par les souvenirs assoupis des rĂ©cits des studieux pĂšlnois Fa-Hsien, Sung-Yun ou HsĂŒan-Tsang, Ă  la recherche, dĂšs le vie siĂšcle, des sources premleur foi. Au fil des siĂšcles, la dĂ©marche n’est certes pas la mĂȘme : les uns s’inscrivent dan

    ĂȘte des commencements religieux ; les autres – plus rĂ©cents –, dans un dĂ©sir de connaistinĂ© de soif d’aventure. Tous en revanche, peut-ĂȘtre mĂȘme sans le vouloir, ont jetĂ© des passeris bĂąti des ponts : d’aucuns les empruntent aujourd’hui pour essayer de dĂ©couvrir si la flhier est diffĂ©rente, ou la mĂȘme qui brĂ»le encore...

    V. Les passeurs

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    s initiatives personnelles originales portent des fruits inattendus. Ainsi, un violoniste, Aeth, entre en 1903 dans un monastĂšre cinghalais et, en 1911, y Ă©tablit Island Hermitage

    meure un centre actif de traduction et d’études, voire de formation, pour qui s’intĂ©resĂȘravada. Une Dhammapada Society est fondĂ©e en 1922 Ă  Berlin pour les premiers pratiquantit VĂ©hicule, la Buddhist Society voit le jour Ă  Londres en 1924 avec pour but de « publier eux faire connaĂźtre les principes du bouddhisme, et d’encourager leur Ă©tude ainsi que leur praParmi ses plus fidĂšles supporters, un certain Francis Younghusband, l’ancien colonel qui nĂ© l’expĂ©dition britannique Ă  Lhassa en 1904...

    yages, Ă©tudes et recherches sont mis en veilleuse pendant les bouleversements qui dĂ©ferlenurope Ă  partir des annĂ©es 1930 et entraĂźnent les États-Unis dans la tourmente de la Seconde G

    ondiale. Pourtant, lors de la montée triomphale du nazisme, de hauts dignitaires du Reich trouvmps, les ressources et les hommes pour monter une expédition « secrÚte » en Himalaya

    herche de preuves de l’ « aryanitĂ© » allemande. Heinrich Harrer en savait quelque chose, qrtie de l’équipe choisie et, pour cette raison prĂ©cise, fut incarcĂ©rĂ© dans un camp britanniqde. Il s’en Ă©vada et gagna le Tibet, qu’il quitta lors de l’invasion chinoise. Au lendemain erre, son livre Sept ans au Tibet  fit rĂȘver, comme, Ă  la veille du conflit, celui de James Hilton

    rizons perdus, ensuite mis en images par Frank Capra. Peut-ĂȘtre voulait-on croire Ă  ces vccessibles oĂč l’homme vit heureux en harmonie avec la nature, les bĂȘtes, ses semblables eme. Mais pourquoi donc ce rĂȘve-lĂ  est-il souvent dans le regard occidental aux couleuuddhisme ?

    stalgie sans doute d’un refuge ou dĂ©sir d’une nouvelle aurore aprĂšs une longue Ă©poque deurtriĂšre, on redĂ©couvre Siddharta, le roman de Hermann Hesse. Des ouvrages de moindre qis de large diffusion colportent miracles et merveilles charriĂ©s depuis la nuit des temps pntaines riviĂšres sacrĂ©es jusqu’aux pieds des sages et des initiĂ©s. Dans le cocon des bibliothĂš

    nouveau public encore restreint dĂ©couvre Ă  son tour d’enivrantes relations de voyages, des tstrus et des descriptions de paysages grandioses. Le rĂȘve d’Orient va dĂ©sormais au-delntiĂšres mĂ©diterranĂ©ennes, il dĂ©passe le Bosphore et remet au goĂ»t du jour les chemins chaotla CroisiĂšre jaune  ou les dangers du  DĂ©mon de l’Himalaya, s’éparpille Ă  la rose des ven

    nde, pousse jusqu’à Sri Lanka, traverse l’Afghanistan, la ThaĂŻlande, se heurte aux portes intela Birmanie, de la Chine, du Tibet ou du Bhoutan, s’aventure jusqu’au Japon et la CorĂ©e, et

    r Ă©chouer Ă  Katmandou. Il y a toujours un bouddha quelque part.

    courant inverse existe dĂ©jĂ  depuis bon nombre d’annĂ©es, limitĂ© cependant Ă  des « passeurs

    nom, maĂźtres connus et respectĂ©s dans leurs lointains monastĂšres invitĂ©s Ă  partager leur savoicolloques ou de sĂ©minaires avec de petits groupes intĂ©ressĂ©s en Europe ou aux Étatsncipalement. Toutefois, dans le sillage des turbulences de la dĂ©colonisation avec les gundochine, des rĂ©fugiĂ©s trouvent asile en France et en AmĂ©rique : ces dĂ©racinĂ©s se retrouvent a

    une tradition religieuse comme point de repÚre pour un nouveau départ.

    s communautĂ©s monastiques toujours vivantes dans certains pays asiatiques ne s’implaidement en Occident que vers la fin des annĂ©es 1960. Durant la dĂ©cennie qui suit, il s’en crgleterre, en France, en Suisse, en Italie, en Espagne, ralliant autour d’elles des sympathisants

    eptes et une foule croissante de pratiquants. L’exode tibĂ©tain de 1959 donne naissance, une di

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    annĂ©es plus tard, Ă  la formation de vĂ©ritables centres d’études bouddhistes sous la direenseignants chevronnĂ©s, qui s’installent dans d’anciens bĂątiments religieux dĂ©saffectĂ©s, couvenartreuses, voire manoirs campagnards abandonnĂ©s faute de moyens d’entretien. En marge de adine, paradoxalement, ces hauts lieux revivent par l’apport d’un sang neuf venu d’Orient.

    V. Les nouveaux venus

    ns le mĂȘme temps se constituent dans les villes de petits cercles oĂč se rencontrent rĂ©guliĂšres membres d’associations Ă  but culturel ou spirituel, dĂ©sireux de mieux connaĂźtre d’autres horut en aidant de lointains rĂ©fugiĂ©s et en donnant davantage de sens Ă  leur propre existence. Avsaffection envers les traditions religieuses europĂ©ennes, un air d’exotisme bien tempĂ©rĂ© aidauddhisme s’insinue dans le tissu de la vie quotidienne, sous l’Ɠil parfois Ă©tonnĂ© de villageorĂ©sidents peu au fait des subtilitĂ©s de cette foi venue d’ailleurs. Mais la cohabitation s’

    nĂ©ralement de bonne compagnie, pourvu que s’instaure un respect mutuel.

    t enracinement en douceur, peut-ĂȘtre provisoire, dans le terreau apparemment si diffĂ©rent ciĂ©tĂ© occidentale contemporaine, serait-il la seconde chance d’un rendez-vous manquĂ© il y angtemps, le temps de l’accomplissement d’une vieille prĂ©diction, ou plus simplement le signelaise beaucoup plus profond qu’il n’y paraĂźt ? Mieux vaut laisser les deux premiĂšres suggecĂŽtĂ© – elles n’ont sans doute pas davantage de pertinence que les dix fameuses questio

    atorze, disent les TibĂ©tains – auxquelles l’ÉveillĂ© s’est toujours refusĂ© de rĂ©pondre. La troisnvoie en revanche Ă  une impression qui va probablement au-delĂ  de l’air du temps.

    l faut donner du temps au temps de dĂ©cider si cette greffe inattendue prend ou non et si les pmmunautĂ©s bouddhiques laisseront des traces autres que des souvenirs, en un demi-siĂšcuddhisme, sous plusieurs visages, s’est crĂ©Ă© une place dans le paysage spirituel d’Occident. ce est modeste certes, mais ses adeptes suivent tranquillement leur voie et, Ă  l’occasion, n’hĂ©

    s Ă  s’afficher. Au-delĂ  de l’exotisme, d’aucuns y trouvent la satisfaction d’un pammunautaire qui peut aussi ressembler Ă  une multitude de solitudes dont la somme est supĂ©rier addition. D’aucuns dĂ©couvrent dans la pratique de la mĂ©ditation un meilleur Ă©quilibre

    ntrepoids au stress du quotidien. Certains se sentent simplement apaisĂ©s face Ă  un personnagesĂ©rĂ©nitĂ© n’égale que la force intĂ©rieure.

    lecture et l’étude en poussent d’autres, une minoritĂ© sans doute, vers des quĂȘtes intĂ©rieureule une discipline austĂšre sous la conduite d’un maĂźtre Ă©clairĂ© permet d’approfondir. Sncontres paraissent fortuites, les dĂ©cisions qui s’ensuivent, ou non, ne le sont pas. Nantis uveau savoir, ces pĂšlerins au long cours partagent au retour les connaissances acquises tants centres Ă  caractĂšre religieux de fondation rĂ©cente que dans le cadre d’établissemenseignement supĂ©rieur classiques.

    oi qu’il en soit, dans ses versions occidentales modernes, le bouddhisme fait montre dmarquable souplesse en se prĂȘtant Ă  des adaptations locales respectueuses du milieu ambiant. e est-ce en cela qu’il parvient Ă  s’attacher des loyautĂ©s aussi diverses, du chercheur scientifivedette de cinĂ©ma, de l’infirmiĂšre Ă  l’ingĂ©nieur en passant par le mĂ©decin ou l’activiste, l’a

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    le dĂ©vot, sans oublier tous ceux qui, engagĂ©s dans des associations de parrainage ou decte, trouvent dans ces Ă©changes l’occasion d’élargir leur horizon et se disent enrichis par pĂ©rience.

    l’heure oĂč le « village planĂ©taire » cher Ă  MacLuhan peine Ă  Ă©tablir sinon la paix, du moinpports de voisinage plus ou moins courtois entre ses multiples clans et tribus, Ă  force de dĂ©bns le bruit et la fureur des grandes mĂ©tropoles d’une urbanisation accĂ©lĂ©rĂ©e en nourrissant la erelle du « choc des civilisations », le temps fait dĂ©faut pour l’essentiel. Des villages nic

    mbre des forĂȘts tropicales aux hameaux haut perchĂ©s au sommet des montagnes, des sanctuitaires et des sites de pĂšlerinages courus depuis des siĂšcles, fleurs et offrandes au pieduddhas sous les cieux les plus divers le rappellent. Cela ne veut pas dire que l’omniprĂ©senmage du Bouddha soit une garantie contre les maux communs Ă  quiconque vit sur cette mplement, mĂȘme si les vicissitudes de l’existence ne leur sont pas Ă©pargnĂ©es, religieux ou mmes et femmes puisent dans ce sourire souvent Ă  demi esquissĂ© une raison de persĂ©vĂ©reait-ce que, parce que depuis tant de gĂ©nĂ©rations, la tradition de l’ÉveillĂ© leur a offert en pate Ă©tincelle de bontĂ©, de compassion, de sagesse ou de beautĂ© si nĂ©cessaire Ă  chacun, Ă  chaur cultiver la dignitĂ© humaine. À leur maniĂšre, tous les bouddhas du monde en sont les messag

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    Chapitre II

    D’oĂč vient le bouddhisme ?

    Chacun doit voir que le pouvoir crĂ©ateur de l’univers est en lui. Chacun crĂ©e la rĂ©alitĂ© et den assumer la responsabilitĂ©.

    Bouddha ShĂąkyamuni.

    estion piĂšge peut-ĂȘtre, tant les rĂ©ponses peuvent varier en fonction de qui les donne. Un faitpas moins avĂ©rĂ© : fils d’une civilisation indienne bien Ă©tablie parcourue d’une multitud

    urants souterrains, SiddhĂąrta Gautama ne surgit pas de nulle part – il ne monte au ciel niscend, il marche sur la terre et son enseignement concerne ses semblables. Son enversonnelle et la postĂ©ritĂ© de sa Loi lui confĂšrent une place d’exception, quand bien mĂȘme l’épil a vĂ©cu – vie-ve siĂšcle avant l’ùre courante – fut particuliĂšrement riche en fortes personnalit

    l’occident de la pĂ©ninsule indienne, un historien gĂ©ographe, HĂ©catĂ©e de Milet, consignait ses ns un « Voyage autour du monde » dont seuls des fragments nous sont parvenus, alorsrmĂ©nide spĂ©culait sur l’ĂȘtre en tant que tel. Si leurs Ă©crits n’ont pas franchi les siĂšcles, les idĂ©thagore et d’HĂ©raclite ont influencĂ© l’évolution philosophique des penseurs qui ont suivi. Le

    de PĂ©riclĂšs – 495-429 avant J.-C. – a vu fleurir une vie intellectuelle et artistique brillahĂšnes, d’oĂč le philosophe Anaxagore fut nĂ©anmoins banni pour avoir affirmĂ© que le soleil ns grand-chose Ă  voir avec le dieu HĂ©lios. Et Socrate dut boire la ciguĂ« sous prĂ©texte de corrula jeunesse. Il revient Ă  son disciple Platon d’avoir recueilli et transmis ses opinions.

    in Ă  l’orient des contrĂ©es indiennes, les Royaumes combattants n’en finissaient pas d’en dĂ©core eux sur les terres chinoises. Si le trĂšs fameux Y-King,  le  Livre des mutations,  attrib

    ythique empereur Fu Hsi, était déjà en usage comme instrument de divination, Maßtre Konnfucius (551-479), devait néanmoins le marquer durablement de son empreinte austÚre

    nversations avec ses disciples Ă©bauchent le confucianisme qui, avec des hauts et descompagne depuis lors l’évolution parfois tumultueuse de la sociĂ©tĂ© chinoise, poussantmifications jusqu’à la pĂ©ninsule corĂ©enne et les Ăźles nippones. Probablement plus fictive que rrencontre de Kung-tzu et de Lao-tseu, Ă  qui est prĂȘtĂ©e la paternitĂ© du Tao Te-ching, est l’occun tĂ©moignage de haute dĂ©fĂ©rence du premier au second. Hommage de la philosophie Ă  la sageoi qu’il en soit, les Ă©chos perçus encore aujourd’hui de ces temps rĂ©volus prouvent la vi

    une effervescence intellectuelle peu banale Ă  l’échelle humaine.

    tre ces deux pĂŽles de rĂ©flexion, l’Inde ne demeure pas en reste. Son histoire dĂ©jĂ  longue ind

    ux lignes de civilisation qui se cĂŽtoient – au sud, la dravidienne ; au nord, l’indo-aryenne. MĂȘ

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    prĂ©cision chronologique n’est pas le fort d’une sociĂ©tĂ© qui semble incliner davantageternitĂ© que vers la mĂ©ticulositĂ© du quotidien, les vestiges de Mohendjo-Daro et de Haellent l’anciennetĂ© de l’hĂ©ritage sans doute partagĂ© d’une civilisation encore mal connue, allast mĂ©diterranĂ©en aux plaines gangĂ©tiques : Hittites, Scythes, SumĂ©riens, voire IbĂšres para

    oir eu nombre de choses en commun. Le bouillonnement des idĂ©es n’est pas moindre endienne quand va naĂźtre celui qui deviendra l’ÉveillĂ©.

    L’Inde ancienner le terreau dĂ©jĂ  fertile et millĂ©naire de la civilisation de l’Indus, une invasion dite aryenne boulĂ© du septentrion irano-afghan aux alentours du xe  siĂšcle avant l’ùre courante et boulerdre Ă©tabli, apparemment sans rĂ©sistance. À noter que le terme Ăąryen ne s’applique nulleme race ou Ă  un peuple dĂ©terminĂ©, il signifie Ă  l’origine simplement « noble », voire « fidĂšle ».

    pendant, d’aprĂšs les derniĂšres donnĂ©es scientifiques et surtout grĂące aux techniques dotographie satellitaire, nombre d’idĂ©es reçues sont remises en question. Historiens, archĂ©oloĂ©ontologues et autres chercheurs indiens engagĂ©s dans ces domaines pluridisciplinaires dĂ©gtableau diffĂ©rent des recherches en cours, qui mettent en lumiĂšre autour de Mohenjo-Darappa une civilisation aux contours encore mal dĂ©finis dans la vallĂ©e de l’Indus. La rĂ©appales nouvelles cartographies du lit assĂ©chĂ© de la SarĂąsvati, riviĂšre mythique si prĂ©sente da

    Ă©rature ancienne, tend Ă  conforter l’hypothĂšse d’un brusque changement climatique plutĂŽune quelconque invasion ayant eu raison d’une culture en pleine floraison.

    thĂ©orie d’une conquĂȘte venue du Nord serait nĂ©e de rĂ©flexions hĂątives de pionniers occide

    essés au xviii

    e

     siĂšcle. Le regard indien contemporain sur le lointain passĂ© du sous-continent vablir la continuitĂ© historique logique de sa civilisation dans l’espace et le temps, cessairement recourir Ă  des affirmations dĂ©passĂ©es, contredites par des fouilles et des dĂ©couvus rĂ©centes. Les prĂ©tendus conquĂ©rants se seraient assez peu distinguĂ© des populations localcroire les donnĂ©es archĂ©ologiques, cette culture relativement Ă©voluĂ©e intĂ©gra une bonne partiet coutumes rĂ©gionaux.

    est essentiellement par les textes que cette histoire nous est connue. Les VĂ©das, ou livres sacrnde, reprĂ©sentent un vaste corpus de savoir, ou science : une « connaissance vue » par les r

    voyants Ă  qui la « rĂ©vĂ©lation » a Ă©tĂ© donnĂ©e au cours de mĂ©ditations et de pratiques yogiquetradition veut qu’elle soit « crĂ©ation des dieux », transmise d’abord oralement, cette littĂ©rmmence Ă  ĂȘtre couchĂ©e par Ă©crit probablement vers le viiie siĂšcle avant l’ùre courante et peu difiĂ©e dans une langue archaĂŻque. Grammairiens et sĂ©manticiens des siĂšcles suivants, dont Yanini sont les plus connus, en façonneront la « langue parfaite », ou « complĂšte », le sanskrit, lacrĂ©e du brahmanisme. Ainsi fixĂ©e depuis ces temps anciens, elle a franchi les siĂšcles et pasnĂ©ration en gĂ©nĂ©ration ce qui reste la vĂ©ritable ossature de l’histoire indienne.

    le sanskrit demeure jusqu’à maintenant la langue par excellence des brahmanes et de la liturg

    gage populaire a naturellement Ă©voluĂ© en parallĂšle en parlers divers – les prĂąkrit d’abord,nt issus les idiomes ayant cours aujourd’hui. Le  Rig-VĂ©da,  le Yajur-VĂ©da  et le SĂąma-VĂ©da

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    ure de textes premiers, l’ Atharva-VĂ©da vient s’y ajouter un peu plus tardivement, vers le ve sant J.-C. Dans le droit fil du traditionnel foisonnement indien, ils ont donnĂ© naissance Ă etons par milliers, commentaires et interprĂ©tations dont la complexitĂ© exprime assez prĂ©cisĂ©nextinguible soif d’une quĂȘte spirituelle.

    s « Écritures » rĂ©gissent l’ensemble d’une vie sociale oĂč le sacrifice, hommage aux dieux, e place centrale. Le panthĂ©on ancien, on s’en doute, est d’une richesse exceptionnelle essions divines sont Ă  la mesure de ces personnifications des forces de la nature associĂ©es

    ation du monde, ou des mondes. Afin que cette crĂ©ation ne perde pas son Ă©quilibre, l’orthommande aux hommes de suivre scrupuleusement le rituel qui en est le garant. Pour les prĂȘtreres souvent considĂ©rĂ©s comme d’essence divine servaient d’abord de manuels permettalisation sans erreur des cĂ©rĂ©monies d’offrandes ne nĂ©cessitant mĂȘme pas, au dĂ©but, de tempsanctuaire : hĂ©ritage d’un nomadisme ancestral, un lieu purifiĂ© et consacrĂ© pour l’occas

    ffisait.

    mme il existait une hiĂ©rarchie sacerdotale, chaque catĂ©gorie disposait de son propre recueil.rĂ©citant chargĂ© de convier les dieux aux rĂ©jouissances, le  Rig-VĂ©da  rassemble les hymn

    mules consacrĂ©s. Pour le chanteur accompagnant la prĂ©paration des offrandes et du soma,  l’crĂ©, le SĂąma-VĂ©da  sert d’aide-mĂ©moire. Celui qui accomplit le rite proprement dit a position le Yajur-VĂ©da. Petit dernier tardif, l’ Atharva-VĂ©da Ă©tait destinĂ©, en premier lieu, au

    ĂȘtre superviseur de l’ensemble des opĂ©rations, puis plus particuliĂšrement aux prĂȘtres du feirent par acquĂ©rir la prĂ©sĂ©ance. Ces antiques ouvrages reprĂ©sentent des textes d’une longues supĂ©rieure Ă  celle de la Bible, et, mĂȘme si l’exĂ©cution des rites s’est simplifiĂ©e au fil du teVĂ©das  en demeurent le socle. « Il n’y a qu’une VĂ©ritĂ©, mais les sages lui donnent des

    fĂ©rents » : c’est peut-ĂȘtre dans cette assertion du Rig-VĂ©da que se trouve la clef de la multipdivin en terre indienne.

    mise en forme des grandes gestes, notamment le MĂąhabhĂąrata et le RĂąmĂąyana, date Ă©galemete Ă©poque. Dans la cĂ©lĂšbre bataille des Kaurava et des PĂąndava du premier poĂšme Ă©piqueut percevoir l’écho Ă  la fois de querelles de familles – les adversaires sont cousins – et peuluttes de pouvoir entre royaumes, seigneuries et fiefs concurrents du nord au sud de la pĂ©ninronique historique aussi en un sens, ces textes classiques de valeur universelle constitueritables monuments littĂ©raires dĂ©clamĂ©s dans les cours princiĂšres par des bardes ambulants dĂ©mps du Bouddha. Il n’est pas rare non plus, aujourd’hui, d’assister Ă  de telles reprĂ©sentations

    campagnes indiennes, quitte Ă  s’interroger en passant sur la notion d’analphabĂ©tisme dĂšs lor

    n a affaire Ă  des acteurs et danseurs ne sachant souvent ni lire ni Ă©crire. En revanche, les mssent des jours et des nuits d’affilĂ©e Ă  rĂ©citer par cƓur des pans entiers de ces Ɠuvres classins se tromper d’une intonation ou d’un distique...

    I. Le brahmanismesion en quelque sorte du védisme et des religions pré-ùryennes, le brahmanisme tend à se ritu

    mesure que s’accentue le rĂŽle capital des brahmanes comme maĂźtres du sacrifice, indispensablnne marche du monde et de la sociĂ©tĂ©. Il est malaisĂ© de tracer une frontiĂšre nette

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    ahmanisme et hindouisme, en fait deux aspects complĂ©mentaires d’une vision analogue. D’ailnotion mĂȘme de brahmanisme n’a guĂšre cours parmi les principaux intĂ©ressĂ©s, qui se dĂ©finx-mĂȘmes en tant qu’hindous. Le glissement d’un terme Ă  l’autre s’est fait pour ainsiurellement, certains aspects d’un principe inconnaissable – sans commencement ni fin – in

    r des divinitĂ©s diverses accĂ©dant Ă  la prĂ©Ă©minence tandis que d’autres s’estompaient danmbes vĂ©diques. Trois grandes figures du divin manifestĂ© Ă©mergent de cette multitude :  Brahm

    e, Shiva qui dĂ©truit et Vishnou qui conserve. Si BrahmĂą est le CrĂ©ateur par excellence, prere ses pairs, Shiva joue un rĂŽle double de crĂ©ateur/destructeur et Vishnou reprĂ©sente le moteu

    t Ă©voluer cette crĂ©ation dont les ĂȘtres, humains ou non, sont les acteurs.

    la diffĂ©rence des conceptions monothĂ©istes, l’hindouisme, ou l’ « Ă©ternelle loi » commfinissent ses fidĂšles, a de tout temps fait grand cas des shakti, l’énergie fĂ©minine sous les foplus variĂ©es. Il s’agit des forces dynamiques des dieux, « Ă©pouses » ou parĂšdres, sans lesqur pouvoir est inopĂ©rant. Les noms de ces divinitĂ©s fĂ©minines changent selon leur fonctio

    oment : PĂąrvati, ShrĂź, KĂąli, DĂ»rga, KundalinĂź, RĂądhĂą, d’autres encore – toutes en dernier res ou reflets de DevĂź, la DĂ©esse ou l’Énergie, qui s’offre parfois le luxe d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e codivinitĂ© suprĂȘme... Inutile de prĂ©ciser que, dans cette vaste cohue colorĂ©e et remuante, chac

    acune a de quoi alimenter sa foi, sans oublier non plus les avatarĂą ou incarnations multiplesvinitĂ© « descendus » sur terre afin d’aider ceux qui y vivent Ă  remettre un peu d’ordre danciĂ©tĂ© somme toute assez turbulente.

    n’empĂȘche : dĂšs ces temps reculĂ©s, il existe un Ă©ventail trĂšs large d’écoles philosophiquesurant principal – plus de 70 Ă  en croire les textes, dont quelques-unes considĂ©rĂ©es comrĂ©tiques ». Parmi ces Ă©coles, le jaĂŻnisme a dĂ©jĂ  pris ses marques, avec, selon sa traditionnĂ©e d’une vingtaine de tĂźrthakara,  ou « passeurs de guĂ© », dont le vingt-quatriĂšme, le rdhamĂąna, dit MahavĂźrĂą ou « Grand hĂ©ros », Ă©tait un contemporain de SiddhĂąrtha. Dans leur

    rituelle, les deux hommes auraient mĂȘme, un temps, suivi ensemble l’enseignement de GoĂšte renommĂ© de l’époque, dont les disciples contestaient le systĂšme des castes mis en placee sociĂ©tĂ© brahmanique de plus en plus rigide.

    II. Le jaĂŻnismens ĂȘtre franchement hĂ©rĂ©tique, le jaĂŻnisme n’en est pas moins non orthodoxe en ce qu’il rĂ©cudas, tandis que ses adeptes ne se rĂ©clament ni ne vĂ©nĂšrent aucun dieu au sens de « crĂ©ateur ».do repose sur trois principes majeurs – la vue droite, la connaissance droite et la conduite ddernier dĂ©coule de l’observance des deux premiers, qui se fondent, eux, soit sur l’intu

    ecte, soit sur l’étude des enseignements de maĂźtres, soit sur la perception validĂ©e des sens. prĂ©hension du monde tient compte de la pratique, du langage et de son interprĂ©tation d’une vilosophique complexe, minutieusement Ă©laborĂ©e autour de concepts tels que la structure atomla matiĂšre, l’espace et le temps constituĂ©s d’une substance immobile et inerte, tandis que l

    dividuelle est sujette Ă  la transmigration jusqu’à atteindre la perfection entraĂźnant une libĂ©finitive.

    ut en se démarquant du brahmanisme et sans lui ménager des critiques, le jaïnisme lui fai

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    prunts non nĂ©gligeables et reste solidement enracinĂ© dans le terreau indien. Ses fidĂšles dopĂ©rativement respecter un code moral basĂ© sur l’engagement de ne nuire Ă  aucun ĂȘtre vĂ©viter la faussetĂ© et le vol, l’inconduite physique et l’attachement aux biens matĂ©riels : aĂ©lĂ©ments qui font Ă©cho Ă  l’approche bouddhiste du monde et s’inscrivent d’ailleurs dantinuitĂ© de la pensĂ©e indienne. L’extrĂȘme sophistication de la lecture jaĂŻna du monde l’empĂȘconnaĂźtre le succĂšs populaire du bouddhisme, mais la fidĂ©litĂ© Ă  sa tradition lui a permis de n

    ccomber au temps qui passe et de développer une vaste littérature tant philosophique que propeu en marge du courant majoritaire hindou.

    nos jours, les jaĂŻns forment une communautĂ© modeste en nombre (environ 5 millions), dustrieuse et prospĂšre, Ă©conomiquement importante dans l’Inde moderne. À leurs yeux et conseignent leurs anciens sages, toute vie est sacrĂ©e, assujettie au karma et destinĂ©e Ă  « francĂ© » de l’ignorance Ă  la plĂ©nitude spirituelle de l’ñme. Les pratiquants les plus rigoureux portensques de gaze mĂ©dicale sur la bouche et prĂ©fĂšrent marcher pieds nus pour Ă©viter d’avaler tiner par inadvertance le moindre insecte. Adeptes d’un strict rĂ©gime vĂ©gĂ©tarien, ils s’abstie

    nĂ©ralement de consommer des Ɠufs, voire certains lĂ©gumes Ă  bulbe ou racine, considĂ©rĂ©s comvants » puisque se dĂ©veloppant dans le sein de la terre.

    V. L’heure du bouddhisme

    r les terres de l’actuel Bihar, dans les rĂ©gions de Patna et de Gaya, le Magadha des vie-ve siant l’ùre courante est partie prenante dans cette effervescence intellectuelle autour d’une qundamentale – quelle est la cause enchaĂźnant les ĂȘtres vivants au  samsĂąra ? – alors que le syss castes est dĂ©sormais bien Ă©tabli et que d’aucuns commencent Ă  le contester. Le rĂŽl

    ahmanes ne va plus autant de soi : des doctrines hĂ©tĂ©rodoxes, matĂ©rialistes, voire agnostiquer apparition. Un puissant brassage d’idĂ©es balaie le nord de la rĂ©gion gangĂ©tique, oĂč les royaKoshala et de VĂźdeha s’étaient constituĂ©s avant la montĂ©e en puissance du Magadha. Aux ml’ñryanisation consolidĂ©e du cĂŽtĂ© du Penjab, MithĂźla, capitale du VĂźdeha, devait peu Ă  peu decentre de dĂ©veloppement des Upanishad,  ces traitĂ©s et commentaires philosophiques issu

    hanges entre ascĂštes souvent itinĂ©rants, formant de petits cĂ©nacles de discussions au hasardncontres. Le principal titre de gloire du Koshala reste cependant d’avoir donnĂ© naissance Ă  R d’un souverain local et hĂ©ros du RamĂąyana.

    stinĂ©e commune Ă  toute entreprise humaine, royaumes et principautĂ©s en Inde comme aimposent, puis disparaissent dans les remous de l’histoire des hommes. Dynastes et hiĂ©radent les rĂȘnes Ă  des conseils plus ou moins aristocratiques dans des sociĂ©tĂ©s en quĂȘte de rĂ©foant que princes ou guerriers remontent la pente pour se tailler des empires Ă  la mesure de bitions. Des confins surgissent parfois des personnalitĂ©s assez fortes pour porter le changemnsi en est-il de MahĂąvira, qui naĂźt Ă  Vaishali et assoit vĂ©ritablement la doctrine jaĂŻna. Un peunord, dans les contreforts himalayens, non loin de Kapilavastu dans le TeraĂŻ aujourd’hui nĂ©p

    ns les jardins princiers de Lumbini Siddharta Gautama voit le jour au sein du clan kshatriyaerriers, des ShĂąkya. Une fois dĂ©chirĂ© le voile ultime de l’ignorance, il deviendra le Bouddha

    curieux paradoxe, mais ce n’est nullement le seul en pĂ©ninsule indienne oĂč fourmillenntrastes, si les noms des puissants de son Ă©poque, Ă  quelques exceptions prĂšs, ne sont plus co

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    e des spĂ©cialistes, le sien a traversĂ© les millĂ©naires en marquant d’une empreinte indĂ©lĂ©bnscience d’une partie importante de l’humanitĂ©. Plus de vingt-cinq siĂšcles aprĂšs son passage

    terre, les traces de son itinéraire subsistent et son approche de la réalité du monde aide enmmes et femmes en nombre à vivre.

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    DEUXIÈME PARTIE

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    Chapitre III

    L’éveil d’un homme

    Ainsi va l’homme, paissant son troupeau ou labourant le sol, seul avec ses pensĂ©es, seul avses priĂšres.

    Bouddha ShĂąkyamuni.

    aprĂšs la tradition indienne, nous sommes aujourd’hui dans le temps du  Kali-yuga, la derniĂšratre grandes Ăšres cosmiques, celle oĂč Ă  peine un quart des enseignements de droiture surviven

    ladies, rĂ©bellions, famines, dĂ©sespoirs et autres maux font partie du quotidien – bref, loin deor ! Ces flĂ©aux auraient surgi dĂšs l’époque du MahĂąbharata qui s’en ferait implicitement lviron trois mille ans avant le Christ. Ils perdurent encore, d’autant qu’en cette Ă©poque de tĂ©numanitĂ© n’a plus guĂšre de but ni de connaissances spirituelles permettant de sortir du bourbiedu moins le sentiment exprimĂ© dans les livres sacrĂ©s de l’Inde.

    s premiers effets de cette dĂ©cadence sont dĂ©jĂ  perceptibles aux vie-ve  siĂšcles avant J.-C. Eercheurs de vĂ©ritĂ© arpentent les sentiers de l’Inde, en quĂȘte de rĂ©ponse Ă  leurs interrogastentielles. C’est dans ce contexte que s’inscrit une existence humaine pas tout Ă  fait comm

    res, et pourtant dans un sort commun analogue. Sa singularitĂ© essentielle rĂ©side en uneermination intĂ©rieure, qui finit par dĂ©verrouiller les portes de la connaissance, ou de la sĂ©rchemin est long, ardu, et la voie sans doute Ă©troite – mais l’exemple tend Ă  montrer qu

    ssible de s’y engager, voire de le parcourir.

    s textes anciens indiquent 624 avant l’ùre courante pour la naissance de SiddhĂąrta, les Cinghnnent 543 pour sa mort, les Chinois et Japonais – 549. Des recherches plus rĂ©centes placerainue au monde plutĂŽt entre 558 et 540, et un dĂ©part vers 480. En 1964, des reprĂ©sentants de t

    Ă©coles bouddhistes du monde se sont rĂ©unis en Inde pour marquer le 2 500e  anniversaiveillĂ©, naissance et mort confondues, ce qui dĂ©boucherait sur 546 pour l’une et 466 avant

    urante pour l’autre, Ă  supposer qu’il ait vĂ©cu jusqu’à 80 ans comme le veut la tradition. AprĂšste querelle de dates reste assez secondaire, l’essentiel demeurant un hĂ©ritage qui imprĂšgne ee partie du monde.

    la lĂ©gende se charge des enjolivures et des miracles, des dĂ©couvertes archĂ©ologiques corrobindĂ©niable passage Ă  un moment approximatif sur une terre prĂ©cise d’un homme qui est allĂ© n que possible dans l’accomplissement d’un destin exemplaire. Les principaux repĂšres jaloterritoire dĂ©terminĂ© entre la naissance dans les jardins de Lumbini, non loin de la ca

    pilavastu de la principautĂ© des ShĂąkya, et la mort – ses adeptes disent  parinirvĂąna

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    shĂźnagara, alors capitale du royaume voisin des Malla, Ă  proximitĂ© de Gorakhpur dans l’adesh d’aujourd’hui, lors de la pleine lune d’avril-mai, d’autres disent de novembre... Sa ayadevĂź meurt sept jours aprĂšs la naissance de son fils, qu’elle confie Ă  MahĂąprajapati, sa dette.

    L’enfance princiùre

    s de prince, SiddhĂąrta a une enfance choyĂ©e, protĂ©gĂ©e dans un superbe palais oĂč son moindre un ordre aussitĂŽt satisfait, pourvu que rien ne le contrarie. Il est Ă©levĂ© dans la beautĂ©, l’aisanplaisirs, reçoit une Ă©ducation soignĂ©e de guerrier conformĂ©ment Ă  son statut social de ksha

    ouse Ă  16 ans sa jolie cousine YashodharĂą conquise de haute lutte lors d’un tournoi d’honneurus ses prĂ©tendants. La belle princesse lui donne un fils, RahĂ»la, ce qui le comble de bonheuain de sable pourtant est en place, en attente.

    rs de la naissance de SiddhĂąrtha, qui portait sur lui les signes annonciateurs de la perfection, AKaladĂȘva selon les sources, un ermite vĂ©nĂ©rĂ©, avait quittĂ© sa grotte de mĂ©ditation pour

    iciter le roi Shuddhodhana de l’arrivĂ©e de ce rejeton. L’ascĂšte avait alors prĂ©dit Ă  son interloce l’enfant Ă©tait destinĂ© Ă  devenir un chakravartin, Â« maĂźtre de la roue », c’est-Ă -dire un grante et bon dotĂ© de toutes les qualitĂ©s, soit un bouddha, l’ÉveillĂ©. Il va de soi que le roi prĂ©ir ce fils continuer la lignĂ©e familiale, ce qui explique le soin vigilant mis Ă  lui Ă©viter tout coec les rĂ©alitĂ©s de la vie humaine au quotidien.

    pendant, le karma,  ou destin Ă  la maniĂšre orientale, Ă©tant ce qu’il est, aprĂšs tant d’ansouciance et de plaisirs, Ă  29 ans, le jeune prince dĂ©cide un beau jour d’aller au-delĂ  des muais en compagnie de son cocher. Interviennent alors les quatre rencontres qui dĂ©cident d

    enir : un vieillard dĂ©charnĂ©, un malade gĂ©missant, un cadavre menĂ© au bĂ»cher et un moine itins dĂ©tails varient quant Ă  ce tournant dĂ©cisif : les uns disent que tout se passa en une seule sautres affirment que le jeune prince enfreignit par quatre fois l’ordre paternel de ne pas le lanchir l’enceinte de la maison royale, ce qui ne change rien au rĂ©sultat. ConfrontĂ© de plein foueux communs de l’existence terrestre, SiddhĂąrta rĂ©flĂ©chit Ă  la condition humaine et Ă  son devenend trouver une issue Ă  ce drame. Et le voilĂ  qui quitte de nuit son Ă©pouse bien-aimĂ©e, son ea cage dorĂ©e qui faisaient Ă©cran entre lui et le monde de ses semblables.

    I. Le dĂ©but de la quĂȘtemmence alors la quĂȘte. Elle durera six bonnes annĂ©es, comme il se doit d’abord entamĂ©e auprĂźtres renommĂ©s – ArĂąda Ă  VaishalĂź, puis Rudraka le yoguin Ă  RĂąjagriha. Mais les prat

    cĂ©tiques ne suffisent pas Ă  convaincre SiddhĂąrta d’ĂȘtre sur la bonne voie, la libĂ©ration uffrance lui paraissant toujours aussi Ă©loignĂ©e. Il prĂ©fĂšre bientĂŽt chercher en solitaire la rĂ©alisrituelle et s’en va, accompagnĂ© de cinq condisciples comme lui, Ă  la recherche d’une cerritĂ©. De grotte en ermitage forestier, de ville en hameau, poursuivant une discipline austĂšre, le

    oupe finit par arriver prĂšs de GayĂą, oĂč une jeune villageoise, SĂ»jata, offre un bol de ri

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    emineaux.

    sormais certain que jeĂ»ne et mortifications ne sont pas la panacĂ©e pour se libĂ©rer des mauxistence, SiddhĂąrta accepte de se nourrir. ChoquĂ©s, ses compagnons s’éloignent et se dirigenrĂąnasi afin de poursuivre leur ascĂšse. AprĂšs un bain bienfaisant, SiddhĂąrta croise un paysin de faucher un champ d’herbe kousha,  utilisĂ©e dans les rituels vĂ©diques, qui lui en offreassĂ©e. Le candidat Ă  l’éveil se rend au pied d’un pippal, ou figuier des temples, en fait sept fur et s’installe sur son coussin d’herbe, bien dĂ©cidĂ© Ă  n’en plus bouger jusqu’à ce qu’il ait a

    n but, Ă  savoir, trouver le remĂšde imparable Ă  la douleur, Ă  la souffrance – bref, au mal de vrmement ancrĂ© dans sa dĂ©termination, il entre en mĂ©ditation, dans l’attente d’une nuit qui estune lune pleine.

    encore, le temps se joue de lui-mĂȘme : s’agit-il de la nuit qui suit le jour de sa dĂ©cision, ole qui clĂŽt un cycle de sept fois sept jours d’introspection ininterrompue ? Les sources divergis quoi qu’il en soit, elles s’accordent sur une nuit de pleine lune, aprĂšs une longue bataillerci avec MĂąra et ses lĂ©gions. MĂąra, dieu, ou dĂ©mon, celui qui rĂ©git le monde des dĂ©sirs, maila sorte dans les rets des renaissances sans commencement ni fin les humains pris Ă  ses pi

    structeur, il symbolise aussi les passions, tout ce qui est attache ou lien. Voyant SiddhĂąrta aul’éveil, donc d’une prise de conscience totale et dĂ©finitive, MĂąra craint qu’il ne donumanitĂ© souffrante les moyens d’échapper Ă  cette ronde folle : il dĂ©pĂȘche contre lui d’abor

    mĂ©es de dĂ©mons, puis ses escouades de jolies filles. Rien n’y fait : le mĂ©ditant en parfaite pote de marbre, prend dans un geste cĂ©lĂšbre – main droite touchant le sol prĂšs du genou – la t

    moin de ses réalisations antérieures et aborde sereinement la nuit décisive. Vaincu, Mùra se re

    II. L’Éveilnuit venue, au premier palier mĂ©ditatif, l’esprit dĂ©barrassĂ© de toute Ă©motion et de toute spĂ©cuellectuelle, SiddhĂąrta balaie du regard intĂ©rieur l’infini du temps et de l’espace, la multitudes aux prises avec les cycles des vies et des morts. Au deuxiĂšme palier, c’est l’ouverture dl divin », qui perçoit des univers sans nombre, d’innombrables existences passĂ©es et Ă  venirr cortĂšge de maux, de misĂšres, de douleurs Ă  rĂ©pĂ©tition. Comment s’en sortir ? Au-de

    ntelligence raisonnante, en un Ă©lan de bienveillance Ă©tayĂ© par la puissance de l’intuition crĂ©atroisiĂšme palier de mĂ©ditation profonde est pour lui celui de l’éveil : le dĂ©sir mĂšne le mtes, mais le dĂ©sir Ă©goĂŻste pousse Ă  la roue d’une naissance Ă  l’autre, d’une vie Ă  l’autre,

    ort Ă  l’autre. DĂšs lors, maĂźtriser le dĂ©sir, c’est dĂ©tenir la clef pour s’en libĂ©rer.

    tte libertĂ© ainsi acquise, l’ÉveillĂ© sait du mĂȘme coup que cette connaissance est incommunicels mots pour la dĂ©crire, alors que la pensĂ©e est limitĂ©e par le langage et que l’expĂ©riencransmissible ? « La vie n’est pas un problĂšme Ă  rĂ©soudre, c’est une expĂ©rience Ă  vivre », aurclarĂ© un jour en guise de rĂ©ponse Ă  ces fameuses questions sans rĂ©ponse qui font partie du « siBouddha »... L’aube d’un jour nouveau point Ă  Bodh GayĂą, et au pied de l’arbre dit de la bod

    prenti sage est dĂ©sormais devenu un jĂźvan-mukhta, un « libĂ©rĂ© vivant » selon la tradition indiquĂȘte est achevĂ©e, un autre chapitre doit s’ouvrir.

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    Ăšs probablement cette nuit entre toutes les nuits est-elle celle qui a immĂ©diatement succngagement d’aller jusqu’au bout de la recherche quel qu’en soit le coĂ»t : sinon, comment juslong silence qui a suivi, les sept semaines de rĂ©flexion silencieuse Ă  Bodh-GayĂą avant de dĂ©la conduite Ă  tenir dĂ©sormais ? Ayant perçu d’un seul regard la totalitĂ© des mondes dans un t

    oli par l’expĂ©rience de l’éveil, revenir dans le temps des hommes n’était pas une mince aftte dĂ©couverte si ardemment voulue est d’abord trĂšs personnelle mais, en mĂȘme tempsncerne tout un chacun puisqu’elle rompt dĂ©finitivement le cycle des renaissances sans fin et sasorte les fondements de l’ordre Ă©tabli. La preuve est apportĂ©e par l’exemple que briser les ch

    l’existence ne dĂ©pend ni des dieux ni des brahmanes, la libertĂ© passe par la conquĂȘte deme...

    tte connaissance, cette certitude d’avoir saisi le mĂ©canisme fondamental qui fait se mouvonde, liant causes et effets, implique une responsabilitĂ© : le partage, car nombreux sonercheurs de vĂ©ritĂ© qui continuent de tĂątonner dans les replis de l’ignorance. L’ascĂšse n’y suffisacrifice et les rites sont inopĂ©rants – reste Ă  trouver en soi les ressources nĂ©cessaires busquer la brĂšche qui dĂ©bouche au-delĂ . Les semaines de rĂ©flexion Ă  Bodh-GayĂą ne sont pp afin de peser le pour et le contre – dire ou ne pas dire, expliquer au risque d’effrayer ou d

    ompris, songer à soi ou se soucier d’abord d’autrui, telles sont quelques-unes des questions quddha examine avec attention en solitaire durant ce temps des interrogations muettes.

    est jusqu’aux dieux dans leur sĂ©jour cĂ©leste qui s’inquiĂštent de ce mutisme, et la lĂ©gende pre BrĂąhma le SuprĂȘme vient en personne exhorter le Bouddha en ces termes : « Ouvre-nous, ĂŽ porte de l’éternitĂ©, fais-nous entendre ce que tu as dĂ©couvert. Abaisse ton regard sur l’humuffrante qu’éprouvent la naissance et la vieillesse. ÉlĂšve ta voix, ĂŽ MaĂźtre, beaucoup comprenparole. » À cette priĂšre trois fois rĂ©pĂ©tĂ©e par le dieu le sage acquiesce et par compassion esemblables entreprend Ă  35 ans une longue marche qui s’achĂšvera, pour cette Ă©tape, quarante

    s plus tard. Mais la doctrine, ou le dharma â€“ la Loi, cette petite lumiĂšre allumĂ©e autrefois, pebrille d’une pertinence singuliĂšre.

    s lors, il devient encore plus malaisĂ© de faire la part des choses entre faits authentiques et antaisistes relevant de l’imaginaire, voire du miracle : tel est le lot de ceux qui, justement, sorte, sans toutefois dĂ©libĂ©rĂ©ment ignorer que l’ascĂšse aiguise les sens et que la pratique du veloppe parfois des qualitĂ©s considĂ©rĂ©es comme magiques par le commun des mortels. Souvdition indienne prĂȘte aux sages, aux voyants et aux ermites des « pouvoirs » rarement utili

    ujours à bon escient. Le Bouddha ne fait pas exception. Et c’est tout naturellement qu’aprùs l’

    rĂšs mĂ»re rĂ©flexion, il reprend sa route afin d’offrir Ă  qui est en mesure de l’entendre le fruit dpĂ©rience. Le changement en lui se manifeste mĂȘme au physique : il Ă©mane de sa personne comyonnement, on l’approche pour voir de plus prĂšs la mĂ©tamorphose, et la rumeur a tĂŽt fait de c

    les sentiers des moines, des ascĂštes et des pĂšlerins.

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    V. Une vie de sage engagĂ©Bouddha n’en a cure, comme il a dĂ©cidĂ© il chemine. ConfortĂ© par une premiĂšre collation de miel aprĂšs son long jeĂ»ne, offerte par deux riches marchands de passage impressionnĂ©s pĂ©nitĂ© qu’irradie ce moine solitaire au pied de l’arbre de la bodhi, il se dirige d’abord vers lnte de VĂąrĂąnasĂź. Non loin de lĂ , l’ÉveillĂ© rejoint ensuite Ă  SĂąrnĂąth dans le « bois aux gazelles

    q compagnons qui l’avaient quittĂ© quand il avait abandonnĂ© l’ascĂšse. D’abord dubitatifmarquent rapidement quelque chose de changĂ© chez leur ancien condisciple : son expreaisĂ©e dĂ©note une victoire, mais laquelle ?

    riguĂ©s, les cinq moines interrogent respectueusement et Ă©coutent : c’est ce que la tradition ape discours (ou sermon) de BĂ©narĂšs », ou encore « la mise en branle de la Roue de la Loi ». Dur la premiĂšre fois, l’ÉveillĂ© explique « les quatre Nobles VĂ©ritĂ©s » et Ă©bauche « l’Octuple Squi mĂšne Ă  la libĂ©ration du cycle des renaissances, du  samsarĂą. Ses auditeurs sont convainculogique de l’argumentation et deviennent aussitĂŽt les premiers disciples religieux du Bouddh

    cle sur lequel va s’édifier le nouveau sangha.

    en sera ainsi jusqu’à la fin de la vie terrestre de l’ÉveillĂ©. Il sillonne les chemins du Maglie Ă  sa Bonne Loi ceux qui l’entendent – mendiants ou rois, paysans ou artisans, ascĂštes et ciples, religieux ou laĂŻcs, femmes et hommes. Il touche par son langage clair qu’il sait adap

    ux qui l’écoutent, mettant chacun sur la voie de la rĂ©flexion Ă  son niveau : d’innombrables histestent son habiletĂ© Ă  faire passer son message, quitte Ă  recourir parfois Ă  des miracles – maiprĂȘte-t-on pas aux saints hommes qui tissent la trame de l’histoire spirituelle indienne ? Les rigneurs ou marchands, lui offrent demeures et terres ; les pauvres, des fleurs et une hu

    votion. Tous trouvent auprĂšs de lui ou dans son sillage une raison d’espĂ©rer, sachant dĂ©so

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    ’il est possible, mĂȘme si ce n’est pas facile, de se libĂ©rer de la souffrance de vivre, de la pemort.

    s annĂ©es passent tandis que le Bouddha sĂšme Ă  la volĂ©e les graines d’une apprĂ©hension nouire rĂ©volutionnaire, des rĂ©alitĂ©s du monde. Il remet en cause la croyance en la toute-puissancux, questionne la notion d’un « moi » immuable, interroge l’éternitĂ©, prĂ©cise la notion de kalĂšve contre le systĂšme des castes et prĂŽne la responsabilitĂ© individuelle pour un bienrmonieux partagĂ© avec tous les ĂȘtres vivants. Au fil du temps, Ă  mesure que croĂźt le no

    adeptes et que la confrĂ©rie religieuse s’étoffe, les moines mendiants se sĂ©dentarisent Ă  demls ne possĂšdent rien personnellement, la communautĂ© en tant que telle voit sa vie matĂ©sormais confortablement assurĂ©e.

    tour du Bouddha, les royaumes se font et se dĂ©font, les fils de clans rivaux guerroient, cemendent et se font propagateurs de la parole nouvelle, les hauts faits de l’ÉveillĂ© et ses ceptionnels conquiĂšrent les foules, la doctrine s’enracine, il accepte la formation mmunautĂ© monastique fĂ©minine – mais le poids des ans se fait inĂ©luctablement sentir quandme il demeure fidĂšle Ă  la stricte discipline monacale. La maladie ne l’épargne pas, et lor

    nt ses forces dĂ©cliner, qu’il pressent Ă  prĂšs de 80 ans l’approche du moment de passer sur l’e, il reprend son bĂąton de pĂšlerin. De l’ermitage des Bois de bambous prĂšs de RĂądjagriha ossĂ© la retraite de la saison des pluies, il veut se rendre Ă  KapilavastĂ» oĂč il Ă©tait nĂ©. La traditie, en remontant vers le septentrion, le Bouddha souhaitait revoir une derniĂšre fois l’Himalaya s’en aller dĂ©finitivement. Il n’ira pas jusque-lĂ . En chemin, une crise, probablement de dysenffaiblit et le retient Ă  VaishĂąli. C’est au cours de cette brĂšve halte forcĂ©e qu’il confie ces cĂ©lroles Ă  Ananda, son disciple le plus proche : « Me voici devenu un vieillard dĂ©bile, je suis auma route, ma vie est Ă  son terme, c’est seulement quand je demeure en mĂ©ditation que mon Ă  l’aise. Ainsi donc, ĂŽ Ananda, soyez Ă  vous-mĂȘme votre propre flambeau... »

    unissant les moines qui l’accompagnent, l’ÉveillĂ© rĂ©pĂšte : « En vĂ©ritĂ©, ĂŽ moines, je vous leutes les choses de la terre sont pĂ©rissables. Le terme de ma vie est proche (...) je m’en vais, meurez (...). Celui qui sans chanceler vit fidĂšle Ă  la parole de vĂ©ritĂ©, celui-lĂ  s’arrachessance et Ă  la mort, et arrive d’emblĂ©e au terme de la souffrance. » Cependant, dĂšs qu’il seeux, il repart avec ses disciples, fait Ă©tape dans le jardin d’un forgeron qui lui offre de partageas. La nourriture ne lui convient pas, mais la rĂšgle interdit de refuser une offrande : malghute et les douleurs physiques, la petite troupe gagne KushinĂągara, derniĂšre Ă©tape de l’exisrestre du Bouddha. AllongĂ© sur une couche d’herbes entre deux arbres qui dĂ©versent sur lu

    uies de fleurs, Ă  l’aurore suivant une nuit de pleine lune (de mai ou de novembre ?) environ qnt cinquante ans avant l’ùre courante, le Sage silencieux des Shakya accĂšde enfin au niribĂ©rĂ©ment diffĂ©rĂ© afin d’aider autrui. DĂ©sormais commence une autre histoire, celluddhisme.

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    Chapitre IV

    L’octuple sentier et ses ramifications

    Le silence du Bouddha n’est pas une connaissance, mais ce qu’il y a au-delà de connaissance : une sagesse.

    Octavio Paz.

    est Ă  ses anciens compagnons d’ascĂšse dĂ©pitĂ©s par son abandon temporaire des austĂ©ritĂ©s quddha rĂ©serve ses premiĂšres instructions aprĂšs l’éveil. Les ayant rejoints au Bois des Gaze

    rnĂąth oĂč son omniscience les avait localisĂ©s, une fois accomplies les civilitĂ©s d’usage, il rĂ©prs interrogations et s’adresse Ă  eux non plus en condisciple, mais en maĂźtre :

    Voici, ĂŽ moines, la vĂ©ritĂ© de la souffrance : la naissance est souffrance, la mort est souffranladie est souffrance, l’union avec ce que l’on n’aime pas est souffrance, la sĂ©paration d’ave l’on aime est souffrance, l’insatisfaction du dĂ©sir est souffrance ; en fait, les cinq sortes d’oattachement Ă  la vie (corps, sensations, reprĂ©sentations, pensĂ©es et savoir qui constituent lnt souffrance.

    Voici, ĂŽ moines, la vĂ©ritĂ© sur l’origine de la souffrance : c’est le dĂ©sir de l’existence qui mĂšnaissance en renaissance, le dĂ©sir de plaisir, le dĂ©sir de dĂ©sir, le dĂ©sir de l’éphĂ©mĂšre (rien nrnel ici-bas).

    Voici, ĂŽ moines, la vĂ©ritĂ© sur la suppression de cette souffrance : l’extinction de cette soibolition complĂšte du dĂ©sir par le bannissement, la renonciation, la dĂ©livrance sans lui lacune place.

    Voici, ĂŽ moines, la vĂ©ritĂ© sur la voie menant Ă  la cessation de la souffrance : c’est l’Oc

    ntier, dont les branches sont la foi juste, la volontĂ© juste, le langage juste, l’action juste, les moexistence justes, l’application juste, la mĂ©moire juste et la mĂ©ditation juste. »

    lle est l’essence de la lecture du monde proposĂ©e par le Bouddha Ă  ses anciens confrĂšres,ultat est convaincant : un Ă  un, ils deviendront aussitĂŽt ses premiers adeptes, Ă©bauchant ain

    emier groupe qui deviendra bientĂŽt le  sangha, la communautĂ© monastique. C’est aussi la mice des « Trois Joyaux », qui constituent le noyau de cette aventure peu banale : le Bouddhme, le dharma ou doctrine, et le  sangha. Tous les bouddhistes du monde, de quelque obĂ©dils soient, se retrouvent dans ces trois Ă©lĂ©ments fondateurs.

    qui frappe d’emblĂ©e dans ces propos, c’est la luciditĂ© du constat et la concision de l’expres

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    mment s’étonner, dĂšs lors, que l’ veillĂ© soit considĂ©rĂ© comme « le grand mĂ©decin » : aprĂšs lexion (six ans d’ascĂšse et des semaines de mĂ©ditation sous l’arbre de la bodhi), il est parvconclusion de sa recherche, il pose le diagnostic et propose le remĂšde. À partir de lĂ , c’estient », c’est-Ă -dire Ă  ceux qui cherchent, et au-delĂ , Ă  quiconque rĂ©flĂ©chit Ă  l’humaine condil indique une voie. Mais c’est Ă  chacun, Ă  chacune, de faire son choix et de cheminer... mĂȘiver au terme de cette quĂȘte peut exiger plusieurs vies.

    r il ne faut pas s’y tromper : le Bouddha s’inscrit d’abord et avant tout dans la logique

    ilisation indienne, donc de la notion de transmigration, et dans son temps, c’est-Ă -dire une Ă©peffervescence intellectuelle et spirituelle oĂč le questionnement des valeurs Ă©tablies est intensest qu’aprĂšs coup, aprĂšs sa disparition physique de la scĂšne des hommes, que sa stature autres dimensions : durant sa vie, il est certes un maĂźtre renommĂ© et Ă©coutĂ©, mais c’est daage de sa mort que se bĂątit vĂ©ritablement sa lĂ©gende et qu’évolue sa doctrine pour deve

    nsĂ©e foisonnante qui a traversĂ© les siĂšcles jusqu’à nos jours.

    ces « Quatre Nobles vérités » ainsi exposées pour la premiÚre fois dans leur forme laccincte et la plus connue découle la quantité de commentaires, interprétations et exégÚses qu

    richesse d’une lecture du monde ajustĂ©e aux couleurs particuliĂšres des territoires qu’eguĂ©s. Pour peu, l’on serait d’accord avec le vieil adage tibĂ©tain selon lequel « chaque gourouctrine », tout en invoquant l’autoritĂ© du MaĂźtre, ce qui du reste n’est sans doute pas faux. Scle solidement ancrĂ© dans la vision prĂ©cise de la rĂ©alitĂ© pratique de l’existence humaindifier au fil du temps et des personnalitĂ©s qui s’y consacreront un dĂ©cryptage du monde Ă  mulettes, car les ĂȘtres, s’ils ont tous les mĂȘmes besoins fondamentaux, n’ont pas tous le mĂȘme intsir le pourquoi passer par cette expĂ©rience commune, ou l’à-quoi-bon y passer ?

    s le moment oĂč il dĂ©cide de faire part de ses dĂ©couvertes Ă  quiconque lui en fait la deman

    uddha est parfaitement au fait que, pour le comprendre, il ne suffit pas de l’écouter. Ceux qnt dĂ©jĂ  posĂ© des questions et ont acquis une certaine maĂźtrise Ă  la fois de la pensĂ©e et du corpmeilleures chances de saisir le sens de ses instructions. Mais leur application est a

    assiduitĂ© individuelle. Pour les autres, la grande majoritĂ©, il convient de trouver l’expliccessible et de prĂȘcher par l’exemple tout en donnant les clefs d’une rĂ©flexion personnelle – cea de cesse de faire jusqu’à la fin de ses jours.

    ujours attentif Ă  autrui quelle que soit la solennitĂ© ou la familiaritĂ© de l’instant, il n’enseigne pmĂȘme maniĂšre selon l’auditoire ou la personne Ă  qui il s’adresse. Ses propos ne dĂ©vient cepe

    s des principes de base clairement Ă©noncĂ©s d’emblĂ©e : prendre vĂ©ritablement conscience quĂ©phĂ©mĂšre, que le moi est illusion et que la souffrance est une fidĂšle compagne constitonnaissance des trois caractĂ©ristiques de l’existence (impermanence, insubstantiali

    nditionnement). C’est aussi le dĂ©but de la voie bouddhique menant hors du cycle d’un deessant, de naissance en renaissance, ou  samsĂąra  : rien ne sert de se contenter d’une at

    autruche face Ă  ces rĂ©alitĂ©s, elles sont le lot commun de tous les ĂȘtres, le sage des ShĂąkmpris.

    La compassion agissante

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    rt de son expĂ©rience susceptible de servir d’encouragement, sinon d’exemple, Ă  d’autres, l’ vmĂ©nage pas sa peine et, en bon pĂ©dagogue, met Ă  profit chaque occasion pour stimuler la rĂ©fletĂąche est d’autant plus aisĂ©e que, il ne faut pas l’oublier, l’enseignement se transmet verbale

    que l’oralitĂ© permet le suivi dans l’échange. En fait, comme pour parer au plus pressĂ©, en mĂ©sĂ© soucieux d’allĂ©ger la douleur en attendant de guĂ©rir le patient, le remĂšde qu’il conseil

    abord une discipline – plus exactement, une Ă©thique. Sans doute est-il secourable Ă  autrui, mampassion est agissante, dĂ©nuĂ©e de toute miĂšvrerie. À prĂȘter attention Ă  son discours – et il ac-mĂȘme une attention sourcilleuse Ă  ce qu’il dit –, la simplicitĂ© apparente de la voie relĂšve d

    servation constante des activitĂ©s du corps, de la parole et de l’esprit, sans laisser place au moart. L’exercice est bien moins aisĂ© qu’il n’y paraĂźt, tant la nature humaine se laisse facilerasiter.

    but de l’Octuple Sentier est prĂ©cisĂ©ment de stopper ce parasitage, Ă  commencer par mettme Ă  l’ignorance. Celle-ci est, c’est-Ă -dire qu’elle existe sans dĂ©but ni fin – il y a toujoumporte quel niveau de l’existence, une part d’ignorance si l’on en croit ce propos du Bouddhe limite antĂ©rieure de l’ignorance ne se peut dĂ©couvrir ; de mĂȘme que l’alternance rĂ©pĂ©tĂ©e

    aine et de la plante, de la poule et de l’Ɠuf, de mĂȘme le cycle des existences s’étend Ă  perte de

    À la fois cause et raison d’ĂȘtre de l’existence – c’est par ignorance que prend naissance le dĂ©e est point Ă  la fois de dĂ©part et d’arrivĂ©e des origines interdĂ©pendantes – autrement dit, la ccause Ă  effet.

    ns la doctrine de l’ÉveillĂ©, l’ignorance est au premier chef la mĂ©connaisance des Quatre NritĂ©s, et donc – cause et effet ! – des notions de base d’impermanence, de non-egnterdĂ©pendance. En un mot comme en cent, ce qui « fait » le monde et sa reprĂ©sentation, ce nes des entitĂ©s stables et immuables, ni un crĂ©ateur suprĂȘme d’ordre divin, c’est un flux perpĂ©tuns qui se font et se dĂ©font, une mĂ©tamorphose permanente : un devenir. Ignorer ce constat,

    rer de plain-pied dans la souffrance.

    rtir de ce cercle vicieux, stopper le monde : les huit embranchements du Noble Sentier indipistes de cet affranchissement. Vue et volontĂ© justes relĂšvent de l’ontologie, puisqu

    nnaissance (son acquisition) mĂšne Ă  la suppression de l’ignorance. Des moyens concrets perms’entraĂźner Ă  cette fin : exercer l’attention, pratiquer la mĂ©ditation de plus en plus profon

    rsĂ©vĂ©rer dans l’effort. Une attitude Ă©thique complĂšte la panoplie et n’est pas moins importgage et action justes, moyens d’existence justes. Sans jamais perdre de vue qu’une discentive du corps constitue la base de l’entraĂźnement bouddhique : la vĂ©ritĂ© n’est pas donn

    xtĂ©rieur, l’éveil selon cette conception n’est possible que dans un corps humain dounscience, condition indispensable pour s’engager dans la quĂȘte.

    I. Le refugel s’est ouvert de son expĂ©rience en premier auprĂšs de religieux, c’est que le Bouddha est conelle n’est pas Ă  la portĂ©e de tout un chacun : renoncer au monde est un choix qui a son pr

    ercher la vĂ©ritĂ© sans feu ni lieu n’est pas forcĂ©ment de tout repos. Pourtant, sans mĂȘmeplication sommaire, l’ÉveillĂ© a dĂ©jĂ  convaincu deux adeptes laĂŻcs par sa seule prestance

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    rchands qui lui ont offert sa premiĂšre collation sous l’arbre de la bodhi, et qui ont intuitivesi qu’ils se trouvaient devant un maĂźtre authentique en se plaçant spontanĂ©ment sous sa protefaisant, ils ont Ă©tĂ© les premiers Ă  « prendre refuge » en l’ÉveillĂ©, premier Ă©lĂ©ment de la cĂ©

    mule d’adhĂ©sion des « Trois Joyaux » que rĂ©pĂštent aujourd’hui encore les nĂ©ophytes dĂ©semprunter ce chemin de vie.

    e prends refuge en le Bouddha, le dharma (sa loi) et le sangha (la communautĂ©) » Ă©quivaugagement ferme pour les adeptes de toutes les Ă©coles bouddhiques de ne pas faillir Ă  cinq prin

    e pas tuer, ne pas prendre ce qui n’est pas donnĂ© (ne pas voler), pas d’inconduite sexuelle, nntir, ne pas prendre de produits pernicieux (boissons fermentĂ©es ou stupĂ©fiants). Ces prĂ©cnt une rĂšgle de base unanimement reconnue aussi bien par les laĂŻcs que par les clercs, auxjoutent pour les moines des dispositions extrĂȘmement prĂ©cises qui se multiplient Ă  mesure issance de la communautĂ© monastique.

    ns les premiers temps de ce nouveau chapitre de la vie du Bouddha, pas grand-chose ne chr rapport aux annĂ©es d’ascĂšse : certes, il a obtenu en solitaire ce qu’il cherchait avec tant d’aris il reprend l’existence errante de ceux qui, selon l’expression consacrĂ©e, « ont quittĂ© la mai

    ur se vouer Ă  la recherche spirituelle. Avec ses proches disciples, il arpente routes et senndie sa nourriture, s’abrite en forĂȘt ou dans des grottes et chemine Ă  la rencontre des aentĂŽt, cependant, sa rĂ©putation le prĂ©cĂšde et en harmonie avec la tradition, on se bouscule dans

    milieux pour l’accueillir, l’écouter ou entrer dans sa communautĂ©. Il accepte, mais prĂ©ousement son quant-Ă -soi.

    est aussi Ă  qui dotera le mieux cette troupe de moines ambulants porteuse d’un remĂšdeuffrance humaine. Des lieux de retraite pour la saison des pluies sont amĂ©nagĂ©s sur des teferts par souverains et seigneurs, marchands et artisans pourvoient Ă  la nourriture, les offra

    ccumulent – en Ă©change de quoi les moines Ă©tudient, se consacrent Ă  la quĂȘte spirituelle uddha enseigne sans se lasser. Le  sangha  s’enrichit, mais Ă  titre communautaire les relipectent leur engagement de sobre rĂ©serve – tout au moins tant que l’ÉveillĂ© reste parmi eux :

    ailleurs lui qui veille au grain, et la lĂ©gende rapporte qu’il ne passe aucune incartade Ă  qui qt. À ses yeux, l’exemple personnel vaut tous les prĂȘches et, pour ĂȘtre valables, les instrucivent ĂȘtre mises en pratique et expĂ©rimentĂ©es. Comme s’il Ă©tait intimement convaincu que pĂ©rience, celle de l’éveil a fortiori, est intransmissible, Ă  moins d’ĂȘtre pleinement vĂ©cue...

    ur quelqu’un professant l’inexistence fondamentale du « moi », force est de constater nĂ©anm

    e l’ÉveillĂ© Ă©tait une personnalitĂ© d’exception sachant en imposer Ă  quiconque, simple cuepte, contestataire ou adversaire : il suffit souvent de sa seule prĂ©sence pour convaincrradoxe n’est qu’apparent, Ă  se souvenir qu’il n’a jamais prĂ©tendu ĂȘtre autre chose qu’unmain qui a cultivĂ© une volontĂ© d’airain pour atteindre le but qu’il s’était fixĂ©. Sa lĂ©gendegĂ©e et embellie plus tard, en fonction des interprĂ©tations des gĂ©nĂ©rations qui ont suivi et tran

    n enseignement avec plus ou moins de fidélité.

    II. Histoire de karma

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    que le Bouddha s’attache en prioritĂ© Ă  faire comprendre Ă  ses semblables, c’est que, au-deactĂšre de chacun, de la personne qui pense et agit, il n’y a pas de « moi » – Ăąme, espr

    nscience, quel que soit le nom qu’on lui donne – permanent ou immuable : il ne s’agit en faun assemblage particulier et Ă©phĂ©mĂšre de composants divers façonnant une individualitĂ© inns le flux du devenir et, en tant que telle, vouĂ©e Ă  disparaĂźtre puisque nĂ©e pour un laps de tnnĂ© bien qu’imprĂ©cis. Vue sous cet angle, la perspective bouddhiste diffĂšre radicalemeĂąhmanisme fondĂ© sur l’existence d’un Ăątman, principe et rĂ©ceptacle de l’énergie vitale qui traune enveloppe charnelle Ă  l’autre, au grĂ© du cycle de transmigration, ou des renaissances.

    tte grille de lecture est Ă©galement rĂ©volutionnaire en ce qu’elle s’attaque Ă  la racine mĂȘmgoĂŻsme, clef du dĂ©sir qui mĂšne le bal du monde : si le « moi » n’existe pas, Ă  quoi bon la bari sĂ©pare des autres et se rĂ©vĂšle source de conflits, alors que par-delĂ  la fraternitĂ© – ou la sorode l’espĂšce humaine il y a une communautĂ© Ă  partager avec tout ce qui vit ? D’oĂč l’imporssi de la notion d’interdĂ©pendance, liant non seulement cause et effet pour le sujet agissant, ssi rĂ©percussion par ricochet sur la totalitĂ© de l’ensemble. Ainsi Ă©largi, le champ de l’exismaine acquiert un horizon plus vaste, frĂŽlant la dimension cosmique.

    loi de causalitĂ©, ou « loi des actes », connue sous le vocable de karma, est gĂ©nĂ©ralement commme principe de rĂ©tribution morale : toute cause produisant un effet, la vie de l’individu n’esolte de ce qu’il a semĂ© lors d’existences antĂ©rieures, mĂȘme si le souvenir en est effacĂ©. QuenterprĂ©tation sans nul doute, qui fait de l’ « accumulation des mĂ©rites » l’ordinaire de la prapulaire dans les pays oĂč le bouddhisme fait toujours partie du quotidien. D’aucuns, nettoins nombreux, voient dans cette loi de causalitĂ© universelle davantage l’effet de l’intentionuelle l’acte est commis plutĂŽt que l’acte lui-mĂȘme : l’action reste sans consĂ©quence karmi

    ndition de se rĂ©aliser, ou non, en dehors de toute intention – de convoitise, de haine, de possede bien faire. Ce n’est pas un dĂ©terminisme non plus, il est censĂ© produire une situation do

    is en laissant place au libre arbitre Ă  partir de celle-ci. Quoi qu’il en soit, l’ÉveillĂ© ne s’est ndu sur le sujet, estimant peut-ĂȘtre plus urgent de porter remĂšde Ă  la souffrance ordinaire e de s’égarer en dissertations mĂ©taphysiques parfois oiseuses visant Ă  connaĂźtre l’inconnaissab

    ur casser cette chaĂźne de dĂ©pendance, l’Octuple Sentier propose trois Ă©tapes : par la connaissfinir avec l’ignorance ; s’exercer avec persĂ©vĂ©rance afin de supprimer la souffrance ; enfin, p

    ode de vie Ă©thique, atteindre au nirvĂąna, c’est-Ă -dire ne plus ĂȘtre soumis Ă  renaĂźtre.

    vue juste se résume à comprendre le plus clairement possible les trois traits fondamentaux

    phĂ©nomĂ©nale telle que l’apprĂ©hendent les sens : la souffrance (dukkha), l’impermanence (anl’absence d’ego (anatta). Une fois assimilĂ©es ces trois notions de base et constatĂ©e l’univerla souffrance, on s’attache Ă  dresser en quelque sorte sa carte personnelle de ce qu’il est con

    nĂ©ralement d’appeler le « moi » : les cinq Ă©lĂ©ments (skandhas) comprenant la forme matĂ©riellnsations, les perceptions, les formations mentales et la conscience. Ils sont interdĂ©pendantuvant exister que liĂ©s entre eux dans la mesure oĂč les quatre premiers ne sauraient ĂȘtre conçbsence du dernier.

    ur autant, ces Ă©lĂ©ments constitutifs sont eux aussi Ă©phĂ©mĂšres, inscrits qu’ils sont dans le

    mmun de la transformation incessante du devenir. Dans cette maniĂšre de voir les chvidence de l’impermanence s’applique Ă©galement Ă  l’ego, qui ne saurait faire exception da

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    onde oĂč seul le changement se perpĂ©tue. Sans doute la continuitĂ© intellectuelle et la mĂ©mnnent-elles Ă  la rescousse pour renforcer l’illusion d’un « moi » qui serait permanent, maisister Ă  un examen attentif : elles se rĂ©vĂšlent intransmissibles et tout autant frappĂ©es au sceaugilitĂ© universelle. Que ce soit du point de vue strictement corporel ou mental, aucun Ă©lĂ©messemblage perçu comme une entitĂ© solide et relativement permanente n’existe en soi, pame. Emprunter l’Octuple Sentier implique d’abord rĂ©aliser ce travail sur soi-mĂȘme, ouvrant voie Ă  une recherche plus poussĂ©e dans d’autres domaines.

    V. Responsable de sa vieissant de cĂŽtĂ© Ă©pisodes Ă©difiants et spĂ©culations approximatives, Ă  s’en tenir aux textes lesciens tardivement recueillis aprĂšs sa mort, le Bouddha se montre essentiellement pragmatiqnde son enseignement sur l’expĂ©rience la plus commune, celle d’une vie humaine. Il a cependaantage sur ses semblables : en poussant le raisonnement et la logique de l’intelligence dans imes retranchements, il sait dĂ©sormais que l’ĂȘtre humain est l’artisan, le responsable de sa vissimisme ni nihilisme dans ce constat, simplement une luciditĂ© qui Ă©carte aussi bien l’intervevine que la prĂ©tention Ă  la vĂ©ritĂ© unique.

    tre athĂ©isme et agnosticisme, fort de sa propre expĂ©rience, l’ÉveillĂ© insiste sur la voie mĂ©dut-ĂȘtre la plus difficile Ă  suivre, entre les tentations des extrĂȘmes : elle exige la constanffort pratique, la rĂ©flexion individuelle et le choix personnel. S’il fallait rĂ©sumer sa position,truction d’une clartĂ© convaincante l’exprime : « Ne croyez rien parce qu’un sage l’a dit, on le croit gĂ©nĂ©ralement, parce que c’est Ă©crit, parce que c’est rĂ©putĂ© divin ou parce qu’un auit. Ne croyez que ce que vous-mĂȘme jugez ĂȘtre vrai. » La mise en garde toutefois n’est pas

    ur juger soi-mĂȘme, il convient de scruter avec une attention soutenue, de regarder de nterroger et de s’interroger inlassablement – bref, de procĂ©der comme « l’orpailleur qui ra

    ns cesse et recommence jusqu’à obtenir l’or le plus fin ».

    nsi dĂ»ment averti, il n’y a plus qu’une chose Ă  faire, c’est se mettre en route en vue de parcouries de la connaissance, de la mĂ©ditation et de l’éthique bouddhiques, sans jamais oubliererdĂ©pendance. Une vie entiĂšre y suffit-elle ? Oui, rĂ©pondrait peut-ĂȘtre le Bouddha, puisque llisĂ©. Pas vraiment, diraient sans doute ses disciples et tous les adeptes Ă  venir, qui ont enursuivi une quĂȘte recommencĂ©e Ă  chaque gĂ©nĂ©ration, voire avec chaque recrue.

    obstacle majeur Ă  surmonter dĂšs le dĂ©part pour saisir dans sa profondeur, et pas seuleellectuellement, ce qu’impermanence veut dire rĂ©side dans l’attachement nĂ© du dĂ©sir. Autre, d’acteur devenir en quelque sorte spectateur, en dĂ©nouant patiemment les liens courants, mampliquant malgrĂ© tout par le biais de l’attention Ă  autrui. Renoncer Ă  l’attachement n’est pasant synonyme d’indiffĂ©rence : ĂȘtre dĂ©tachĂ©, c’est porter un regard lucide sur la sociĂ©tĂ© et le m

    ut en demeurant reliĂ© par la compassion Ă  ses semblables, Ă  tout ce qui vit et partage une pli, elle non plus, n’est pas Ă©ternelle. C’est Ă  ce prix que l’on peut espĂ©rer parvenir Ă  se libĂ©reaĂźnes de renaissances aveugles, forgĂ©es par le puissant dĂ©sir de durer et un attrait instinctif poatoiement de la ronde des apparences. Toujours est-il que, de son vivant, l’ÉveillĂ© sembontrer beaucoup plus soucieux de solutions immĂ©diates et concrĂštes afin de se faire rĂ©elle

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    mprendre que de rĂ©ponses Ă  des supputations qu’apparemment il considĂšre comme stĂ©riles.

    un disciple qui insistait pour savoir si oui ou non le Bouddha existait aprĂšs la mort, le sage mplement dĂ©clarĂ© que la question n’était pas pertinente, n’ayant rien Ă  voir avec la doctrine

    nant Ă  l’apaisement des passions, Ă  la sagesse ou au nirvĂąna. Une maniĂšre de dire peut-ĂȘtrreilles interrogations relĂšvent d’une agitation mentale que la maĂźtrise de soi vise prĂ©cisĂ©mder : c’est aussi toute la diffĂ©rence entre le monde phĂ©nomĂ©nal accessible Ă  tout un chacuntitude de savoir, vĂ©cue dans la sĂ©rĂ©nitĂ© d’une expĂ©rience assumĂ©e, mais dont la singularitĂ© en

    partage ou la transmission.

    V. ExpĂ©rience et mĂ©ditations lors, puisque partager et transmettre se rĂ©vĂšle si alĂ©atoire, pour connaĂźtre l’ExpĂ©rience ilĂšre d’autre possibilitĂ© que de la tenter. À cette fin, la meilleure clef, celle qui a Ă©tĂ© passnĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, c’est la mĂ©ditation. L’idĂ©e n’est certes pas nouvelle en Inde, oĂč atique est attestĂ©e depuis longtemps parmi les rishis â€“ les voyants, les dieux, les yogis, les erles ascĂštes, cette troupe hĂ©tĂ©roclite et bigarrĂ©e de chercheurs en quĂȘte de vĂ©ritĂ©. C’est lĂ  peue la dĂ©marche se corse. L’exercice requiert Ă  la fois effort, attention et durĂ©e : l’introspectiodue, tĂąche de longue haleine Ă  accomplir soi-mĂȘme, sous la direction d’un maĂźtre qui ne peuder le nĂ©ophyte.

    combat, si combat il y a, est d’abord avec ou contre soi-mĂȘme, les habitudes et les idĂ©es ren de vaincre des penchants aussi naturels que la nonchalance ou la paresse, la distractiogitation, le doute. C’est dire qu’il s’agit d’une attention de chaque instant, et qu’elle doit perdelĂ  du moment consacrĂ© Ă  l’exercice proprement dit pour s’étendre Ă  l’étude, Ă  la rĂ©flexionivitĂ©s et aux gestes du quotidien. Et c’est un apprentissage qui demande du temps pour porteits : pas de coup de baguette magique ou de bouton sur lequel appuyer pour faire jaillir la lumxemple de l’ÉveillĂ© en tĂ©moigne.

    quelque sorte, la mĂ©ditation se trouve au cƓur de l’hygiĂšne de vie bouddhiste. Si elle fait pant que l’étude, du quotidien des moines de toutes les Ă©coles, elle n’est pas moins importantelaĂŻc. Chez soi, Ă  la pagode ou au temple, l’adepte y consacre gĂ©nĂ©ralement un moment choisimoins long, au cours de la journĂ©e. Mise en train ou rĂ©capitulatif, il permet de faire le calm

    dans et de rĂ©flĂ©chir Ă  l’écart de l’agitation coutumiĂšre. MĂ©nager un retour sur soi donne Ă©galeccasion de s’ouvrir davantage Ă  autrui en prenant un peu de recul, peut-ĂȘtre d’ĂȘtre plus effns les activitĂ©s courantes une fois l’attention recentrĂ©e sur un but dĂ©terminĂ©.

    ur le pratiquant bouddhiste, s’identifier Ă  un objectif prĂ©cis et s’y tenir est dĂ©jĂ  un dĂ©but, unrĂ©ussite. Tout dĂ©pend ensuite de la volontĂ© mise en action et de la qualitĂ© de l’intention, voi

    fin visĂ©e. Au jour le jour, c’est l’affaire de chacun ou chacune de prendre le temps Ă  sa convenur ces instants de rĂ©pit. Il va de soi que, dans les pays oĂč le bouddhisme demeure une prĂ©urante, il a fini par imprĂ©gner une bonne partie des mƓurs et des traditions, tissant ainsi la tme de l’existence dite profane.

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    ne s’étonnera pas que la vie de la communautĂ© monastique ait Ă©tĂ© codifiĂ©e et rĂ©glementĂ©e acet axe central qu’est la mĂ©ditation en ses diverses variantes d’expression. MĂȘme pratiqu

    mmun dans les halls d’assemblĂ©e des monastĂšres, c’est une dĂ©marche qui se fait en solitairepeut mĂ©diter Ă  la place du pratiquant. Sans doute une ambiance idoine peut-elle favoris

    ncentration et la rĂ©flexion, mais le travail est personnel. Et c’est justement cette expĂ©rimendividuelle qui en fait le prix et la richesse, l’originalitĂ© aussi.

    en sûr, il existe une marche à suivre générale et des indications précises balisent un chemi

    est pas sans embĂ»ches pour s’orienter pas Ă  pas vers le but recherchĂ©. La maĂźtrise du soufflebase de cette dĂ©construction subtile des perceptions, des sentiments et des pensĂ©es parospection de plus en plus soigneusement approfondie, qui par paliers affine les Ă©tanscience pour dĂ©boucher sur une contemplation dĂ©nuĂ©e de forme, libĂ©rĂ©e des conditionnemuels et des dualitĂ©s ordinaires. SĂ©rĂ©nitĂ©, savoir ou connaissance, rares sont ceux qui, unevenus de ces lointains horizons, sont Ă  mĂȘme de les dĂ©crire ou d’en faire partager la saautant qu’il importe aussi, en cours de route, de se garder des mirages miroitant sur les bas-cĂŽ

    vie monacale est sans doute plus propice à suivre la voie bouddhique, et c’est parm

    nonçants que l’ÉveillĂ© a trouvĂ© ses premiers adeptes. Les rangs de la nouvelle communautĂ© sepidement Ă©toffĂ©s jusqu’à la fin de sa vie, mais c’est aprĂšs sa disparition qu’elle s’est vĂ©ritableucturĂ©e et enracinĂ©e. L’adhĂ©sion Ă  la doctrine des souverains du Magadha du temps du Bouis de fils de famille, de seigneurs et de familles fortunĂ©es a jouĂ© un rĂŽle non nĂ©gligeable dansolution, tandis que la personnalitĂ© du grand roi Ashoka (269-232 av. J.-C.) se rĂ©vĂ©la par laerminante dans la propagation et l’affermissement des idĂ©es bouddhistes. Les Ă©dits de pierregraver et planter sur toute l’étendue de son empire tĂ©moignent d’un zĂšle quasi missionnaire

    ntrainte toutefois, Ă  rĂ©pandre une bonne parole lui permettant implicitement de maintenir laĂ©rieure sur ses terres. C’est grĂące Ă  ces repĂšres qu’il est possible, aujourd’hui encore, de suiv

    Ús les routes du bouddhisme dans la péninsule indienne et au-delà.

    VI. Aprùs le Bouddhamme l’on pouvait s’y attendre cependant, la disparition physique du Maütre n’a pas ma

    entraĂźner des disputes parfois vives parmi ses fidĂšles. Plusieurs raisons l’expliquent. InhĂ©renxistence humaine, mesquineries, jalousies et autres rivalitĂ©s n’épargnent pas le  sangha. Les pouvoir ne pouvaient que s’exacerber aprĂšs son dĂ©part, nul parmi ses disciples n’ayan

    vergure pour s’imposer sans coup fĂ©rir. D’ailleurs, le Bouddha n’avait dĂ©signĂ© aucun successen que plusieurs de ses proches pouvaient s’estimer en droit de prĂ©tendre Ă  l’hĂ©ritage. D’autresangha Ă©tait formĂ© de petits groupes Ă©parpillĂ©s, encore souvent sinon errants, du moins nomi se retrouvaient en congrĂ©gations plus importantes uniquement lors de la saison des pluiecroĂźt, la diffusion de la doctrine s’était Ă©tendue Ă  des couches plus vastes bien que plus modla population menant une existence sĂ©dentaire et pour qui la pratique du dharma s’insĂ©rait

    u dans la routine quotidienne. D’oĂč les changements apportĂ©s Ă  la fois Ă  l’esprit et Ă  la lettrecessitĂ© de fixer ce que l’ÉveillĂ© avait rĂ©ellement dit.

    e fois traversĂ© le courant  par l’ÉveillĂ© ainsi parvenu sur l’autre rive, il ne reste aux fidĂšles

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    vre le dharma,  la Loi telle qu’il l’a enseignĂ©e, pour l’y rejoindre. D’oĂč son ultime messagssage il y a, Ă  des disciples Ă©plorĂ©s : « Soyez Ă  vous-mĂȘme votre propre flambeau. » Â« Travcourant » et « parvenir sur l’autre rive » sont deux expressions fondamentales du bouddhismenifient avoir atteint le nirvĂąna. Il ne s’agit ni d’anĂ©antissement, ni de nĂ©ant, ni de dissolutio

    ailleurs de paradis Ă  la mode monothĂ©iste, simplement – peut-ĂȘtre – d’un Ă©tat au-delĂ  des ms explications qu’il revient Ă  chacun, Ă  chacune, d’identifier pour s’y diriger en connaissanuse. Le Dhammapada, brĂ©viaire du bouddhisme ancien, ne prĂ©cise-t-il pas : « Quand vous votre but, attachez-vous y fermement » ? Prendre la route et marcher, seul l’ĂȘtre humain, gr

    sixiùme sens qu’est l’intellect ou la conscience pour les bouddhistes, est en mesure de le faire

    ns ces conditions, aprĂšs l’accomplissement de l’ĂȘtre, ce « devenir », par le Bouddha, son exepeut qu’inspirer Ă  le suivre. Et les chemins n’ont pas tardĂ© Ă  diverger, quand bien mĂȘme l’Ocntier reste la voie royale, celle du milieu. Au lendemain de la crĂ©mation du Sage silencieuĂąkya sur un bĂ»cher de santal Ă  Kushinagar, ses cendres avaient Ă©tĂ© vivement disputĂ©es et finaleparĂ©es en huit – chiffre sacrĂ© pour les bouddhistes – afin d’ĂȘtre placĂ©es au cƓur de huit  spidement vouĂ©s Ă  la vĂ©nĂ©ration des fidĂšles.

    n pas que le MaĂźtre ait en quoi que ce soit encouragĂ© ce genre de manifestations, mais, toacun ne pouvant consacrer sa vie Ă  la mĂ©ditation et Ă  l’étude, il importait que toute perssireuse de le faire puisse rendre hommage Ă  l’ÉveillĂ©. Il ne faut d’ailleurs pas s’y tromper, mparfois l’expression populaire ressemble Ă  s’y mĂ©prendre Ă  une priĂšre : on ne prie pas le Boul’honore, lui et son enseignement. Les priĂšres et les ex-voto s’adressent Ă  ses disciples dev

    r la suite des arhats ou des saints, mais ils n’intercĂšdent pas auprĂšs du Sage, ils viennent en aux ou celles qui les sollicitent. Ces tendances nouvelles se dĂ©veloppent Ă  mesure que s’éteyonnement de la doctrine, que passent les siĂšcles et que le dharma  subit les mutations olution Ă  la fois territoriale et temporelle.

    communautĂ© est d’autant plus dĂ©semparĂ©e qu’elle perd d’un coup la tĂȘte et le cƓur : sa vie duveillĂ© a toujours Ă©tĂ© le point focal de rĂ©fĂ©rence et de recours. Autour de lui, ses plus prociples l’accompagnaient, mais, au-delĂ , le  sangha  n’était pas structurĂ© pas plus que le dh

    Ă©tait systĂ©matisĂ© : on est bien en terre indienne, oĂč l’instinct grĂ©gaire n’est pas un trait saiux des fidĂšles parmi les fidĂšles en tĂ©moignent : Ananda, portĂ© par la compassion et le dĂ©voueMaha-KashyapĂą, enclin Ă  l’austĂ©ritĂ© et la retenue. Le premier incarne en quelque sorte la dĂ©vpulaire, le deuxiĂšme est plus proche des moines, en attendant que SĂąripĂ»tra prĂȘte un visageajnĂą,  la connaissance, et que MaudgalyĂąna figure les  siddhi,  ou pouvoirs extraordinaire

    atuor reprĂ©sente les quatre courants majeurs inscrits en filigrane dans la conception d’ensembuddhisme.

    VII. Codification de la doctrineur tenter de mettre un semblant d’ordre dans ce foisonnement, il fallait rapidement conseignement, Ă©pars parce qu’énoncĂ© au grĂ© des occasions et du moment, des auditoires adhĂ©sion Ă  la nouvelle doctrine de nombreux aspirants issus du brĂąhmanisme et de hautes codifie petit Ă  petit le mode de vie du  sangha,  oĂč se retrouve dĂ©sormais un peu du sent

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    stocratique propre aux ascĂštes et aux chercheurs de vĂ©ritĂ© hors normes. Maha-KashyapĂą prrĂ©unir une assemblĂ©e de quelque 500 disciples – de « haut niveau », selon l’expre

    aujourd’hui – Ă  RĂąjagrĂźha afin de coucher sur papier la parole de l’ÉveillĂ©, de fixer le dharregrouper les Ă©crits. Tel est le noyau autour duquel s’organise le Canon pĂąli, le plus an

    éservé dans sa forme pratiquement originelle en Asie du Sud.

    pendant, l’ambiance plutĂŽt bon enfant et largement dĂ©mocratique, ouverte Ă  tous, oĂč se retrooines et laĂŻcs en un troc naturel pour l’époque – enseignement contre offrandes, gĂźte et co

    gal – cĂšde bientĂŽt devant la rigiditĂ© des structures dĂ©sormais mises en place, favorisant la core communautĂ© monastique et monde profane. Plusieurs Ă©coles commencent Ă  se dĂ©finir, quidiversifiant Ă  mesure que leurs chemins et ceux qui les empruntent s’éloigneront dans l’espatemps des lieux d’origine. Ce trĂšs long voyage dĂ©bute, bien entendu, dans les terri

    oisinants.

    siĂšcle plus tard, c’est Ă  VaishĂąli que se rĂ©unit le IIe  Concile bouddhique, oĂč se rĂšglenmptes doctrinaux entre les deux principales branches constituĂ©es, Ă  propos d’un poincipline. Il en rĂ©sulte une vraie cassure, un schisme, d’oĂč se dĂ©veloppe d’abord la doctrine dit

    ciens, le Theravada ou Petit VĂ©hicule, toujours bien vivant aujourd’hui et sans discontinuitĂ© ds, en particulier dans l’üle de Ceylan et dans la pĂ©ninsule indochinoise. L’autre branche, quicore Ă  l’époque (iiie siĂšcle av. J.-C.) qu’une jeune pousse incertaine, donnera naissance vurnant du millĂ©naire Ă  l’école dite du MahĂąyĂąna, le Grand VĂ©hicule, et prendra ensuite un nsidĂ©rable en gagnant l’Asie centrale par la Bactriane et la route de la soie Ă  travers le terrnois jusqu’en CorĂ©e et au Japon, en escaladant un peu plus tard l’Himalaya pour s’installer s

    uts plateaux tibétains.

    ndant que la loi nouvelle imprÚgne de plus en plus les territoires sur lesquels elle se répand,

    monde profane guerres, empires et rois se succĂšdent. Sous le rĂšgne d’Ashoka, le IIIe Concunit Ă  PĂątalipĂ»tra (l’actuelle Patna) et rĂ©dige pour de bon le Tripitaka, ou Les Trois Corbeillement le Canon pĂąli : le vinaya, ou discipline monastique ; les sĂ»tras, ou paroles du Bouddhbhidharma,  ou doctrine bouddhique. L’empereur donne une impulsion sans doute dĂ©cisivenne Loi en mandant dans les quatre directions des Ă©missaires, d’autant plus efficaces qu’ilscifiques, diffuser ces prĂ©ceptes. Cette fin de millĂ©naire avant le Christ bouillonne apparemdĂ©es, d’échanges et de discussions, mais peu de traces en ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es hormis les