le bouddhisme et les bonzes au sud-vietnam

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LE BOUDDHISME ET LES BONZES AU SUD-VIETNAM Des événements récents viennent de placer les Bouddhistes du Sud-Vietnam en vedette, bien contre leur gré sans aucun doute car leur vocation leur fait préférer J'effacement. Les Occidentaux, même après de longs séjours dans le pays, ne connaissent guère ces religieux que l'on appelle les bonzes, et dont la vie semble entourée de mystère ou d'obscurité. Les études sur le Bouddhisme sont nom- breuses ; ellles ont produit une somme immense de livres et d'articles de revues ; et cependant la vie religieuse, la réalité bouddhique, semblent n'avoir que rarement intéressé les auteurs. Il est vrai que dans ce domaine, il n'est pas possible de se contenter de travaux d'érudition ni de notions exotiques ou pittoresques. Un sujet aussi complexe et aussi peu exploré exige de joindre à la connaissance des textes la pratique courante de la langue locale qui permet les contacts sans interprète, et la confiance amicale des religieux, obtenue par de longues années de fréquentation. Pour notre part, durant plus de trente années nous avons pu étudier la vie boud- dhique à Saïgon et dans ses environs immédiats. Nous pouvons ainsi essayer de donner sur ces religieux quelques vues exactes, dans l'espoir que, malgré la simplification indispensable, elles permettront au lecteur de suivre avec plus d'intérêt le déroulement des événements actuels. Ces religieux ne sont pas tous vêtus de la même façon. Les uns, sur le chemin de leur quête quotidienne, s'en vont par troupes voyantes, en file indienne, drapés dans leurs écharpes jaune d'or ou safran. Ce sont les adeptes du Hinayana (Petit Véhicule, Boud-

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LE BOUDDHISME ET LES BONZES

AU SUD-VIETNAM

Des événements récents viennent de placer les Bouddhistes du Sud-Vietnam en vedette, bien contre leur gré sans aucun doute car leur vocation leur fait préférer J'effacement. Les Occidentaux, même après de longs séjours dans le pays, ne connaissent guère ces religieux que l 'on appelle les bonzes, et dont l a vie semble entourée de mys tè re ou d 'obscur i té . Les é tudes sur le Bouddhisme sont nom­breuses ; ellles ont produit une somme immense de livres et d'articles de revues ; et cependant la vie religieuse, la réal i té bouddhique, semblent n 'avoir que rarement intéressé les auteurs. I l est v ra i que dans ce domaine, i l n'est pas possible de se contenter de travaux d 'é rudi t ion n i de notions exotiques ou pittoresques. U n sujet aussi complexe et aussi peu exploré exige de joindre à la connaissance des textes la pratique courante de la langue locale qui permet les contacts sans in te rprè te , et la confiance amicale des religieux, obtenue par de longues années de f réquenta t ion . Pour notre part, durant plus de trente années nous avons pu é tudier l a vie boud­dhique à Saïgon et dans ses environs immédia t s . Nous pouvons ainsi essayer de donner sur ces religieux quelques vues exactes, dans l'espoir que, malgré la simplification indispensable, elles permettront au lecteur de suivre avec plus d ' in térê t le déroulement des événements actuels.

Ces religieux ne sont pas tous vê tu s de la même façon. Les uns, sur le chemin de leur quê te quotidienne, s'en vont par troupes voyantes, en file indienne, d rapés dans leurs écharpes jaune d'or ou safran. Ce sont les adeptes du Hinayana (Petit Véhicule, Boud-

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dhisme du Sud). Naguère , seuls des Cambodgiens ou des Laotiens suivaient cette voie. Depuis une douzaine d 'années , par l'effet d'une propagande é t rangère quelques Vietnamiens ont ad o p t é ce costume et cette doctrine. Ils sont en nombre assez faible, mais remuants et se livrent à une propagande t rès active.

Les religieux traditionnels du Vie tnam sont beaucoup plus discrets. Leur tunique de cotonnade brune se distingue peu du costume local, sauf par son ampleur qui permet de la croiser sur l a poitrine et par ses manches flottantes. Leur crâne rasé où appa­raissent les cicatrices des moxas (1) est généra lement nu. Ils tiennent un chapelet d'ambre ou de graines sculptées qu'ils enroulent autour de leur poignet gauche quand ils ne l 'égrènent pas. Leur air et leur démarche sont empreints de recueillement et de componc­tion. Leur doctrine est le Mahayana, (Grand Véhicule, Bouddhisme du Nord), le m ê m e que celui de la Chine et du Japon. Dans les lignes qui suivent nous ne parlerons que des religieux traditionnels qui sont l'immense major i té .

Nous bornant à l'essentiel, nous présenterons , d'une part, un exposé résumé des croyances usuelles, c 'est-à-dire de l 'Amidisme, d'autre part, un aperçu de la Vie bouddhique telle qu'on l'observe dans la pratique courante au Sud-Vietnam. Nous avons écar té tout ce qui pourrait suggérer un aspect de polémique ou de politique.

L ' A M I D I S M E A U S U D - V I E T N A M

Chez les religieux, les écrits des diverses écoles qui ont m a r q u é l 'évolut ion du Bouddhisme en Chine sont très r épandus , et connus à peu près sans exception. Malgré cela, i l n 'y a aucune secte et per­sonne ne se réclame d'une école par t icul ière . On admet ensemble le Tantrisme, la Médi ta t ion de Kumaraj iva , le Dhyana de Thiên T a i et l 'Amidisme sous sa forme la plus évoluée, la Doctrine de la Terre Pure (2). I l n 'y a pas un dogme précis rigoureusement imposé . Chacun puise un peu à son gré dans la masse des croyances dont le Mahayana s'est enrichi au cours des siècles.

Le personnage éminent entre tous, celui à qui s'adressent le plus généra lement invocations, prières et offrandes, qui occupe invaria­blement la place d'honneur sur l 'autel central des temples est A di

(1) Moxas : boulettes faites d'une sorte d'encens que l'on brûle sur la partie antérieure du crâne des récipiendaires au cours de la cérémonie dite « Réception des Règles » où les postulants des divers degrés prononcent leurs voeux. (Voir aussi pages 9 et 10.)

(2) Thiên, Thiên Dinh, Dhyaria, Zen, Méditation ont le même sens.

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d à P h â t , le Bouddha Amitabha . Il est toujours assisté de Quart Thê AmBô tàt (Quan Am ou famil ièrement Phât Bà) et de Bai Thê Chi Bô tat, les Bodhisattvas (1) Avalok i teçvara et Mahastama-prapta.

L e nom d 'Amitabha est constamment sur les lèvres des religieux. L a formule d'invocation : « Nam mô A di dà Phât », que l 'on peut traduire par « Salut Bouddha Ami tabha » doit être répétée en paroles ou en pensée, quoi que l 'on fasse, dès que l'esprit est inoc­cupé. El le est la phrase de salutation que prononcent les religieux en abordant leurs confrères ou les fidèles. Pour tous les habitants des pagodes, elle est m ê m e devenue l 'exclamation unique, répétée à tout propos, et qu'on abrège en disant simplement « Mô Phât! » (2).

Avec les trois personnages essentiels n o m m é s ci-dessus, d'innom­brables Bouddhas et Bodhisattvas sont salués dans d'interminables litanies, et ceux qui sont cités, ne sont qu'une partie de « Tous les Bouddhas de tous les temps et de toutes les Régions célestes » à qui les prières sont dest inées.

L e Bouddha Çakyamoun i ne figure q u ' à un rang très moyen dans ces énuméra t ions pieuses. On l 'invoque assez peu isolément, et seulement pour l'honorer, jamais pour implorer de lu i un secours ou une intervention. I l est le Fondateur et le Chef de l'Ordre, le Maî t re de la Doctrine, l 'Auteur des Prières. Sa pensée est toujours présente dans l'esprit des religieux et des fidèles mais d'une manière diffuse en quelque sorte. Quand on dit seulement « le Bouddha » c'est de lu i qu ' i l s'agit. C'est lu i qui dans l 'année a le plus grand nombre de fêtes. Il n ' empêche qu'en ce qui concerne le culte célébré dans les pagodes i l le cède de loin à Adidà , Quan A m et aux autres Grands Bienfaisants (3). Sur l'autel central des pagodes i l n'est pas rare que Çakyamouni ne soit représenté que par une unique statue, celle du Bouddha naissant. Cet effacement apparent semble avoir été perçu par un assez grand nombre de religieux de notre époque. Sans parler de ceux qui veulent considérer l 'Amidisme comme une sorte de « dévia t ionnisme » et tentent de revenir dans la voie plus dépouillée du Bouddhisme du Sud, nombreux sont ceux qui ont m a r q u é davantage le rang éminent de Çakyamouni en multipliant ses images sur les autels.

(1) Les Bouddhas sont les personnages déjà entrés dans le Nirvana, ou tout au moins ayant déjà obtenu l'Illumination. Les Bodhisattvas sont les futurs Bouddhas, qui atteindront l'Illumination et le Nirvana à leur prochaine existence, ou à la lin de leur existence actuelle.

(2) « Nam mô » est l'équivalent de l'invocation hindoue « Aoum » ou « Om ». (3) Grands Bienfaisants : nous englobons sous ce titre tous les Bouddhas et Bodhisattvas

dont les fidèles implorent le secours et notamment : Chuân Dê (Gunda), Dia Tang (Khsitti-garbha), Dùoc Su (Baishayaguru).

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Les personnages c o m m u n é m e n t représentés dans les pagodes du Vie tnam sont e x t r ê m e m e n t nombreux. Plus nombreux encore avons-nous dit sont ceux qui sont honorés dans les Pr ières . L a plupart d'entre eux portent des titres spécif iquement bouddhiques, Bouddhas, Bodhisattvas, Arhats, Patriarches, m ê m e s'ils sont des apports de croyances différentes. A ce propos, on ne saurait trop souligner que l 'Amidismé du Vietnam, comme celui de la Chine, n'est pas seulement la Doctrine de la Terre Pure : i l a été imprégné par toutes les croyances populaires, et surtout, t rès p rofondément , par les croyances et les usages du Tantrisme chinois (1). dont l 'action se caractér ise essentiellement par la conviction que des Puissances Bienfaisantes peuvent intervenir utilement dans les affaires de ce monde, et la certitude que leur intervention peut être obtenue ou m ê m e forcée, par des procédés magiques. Toutes les pr ières quo­tidiennes, et m ê m e les simples gestes prépara to i res , les ablutions par exemple, sont accompagnés de la réc i ta t ion de t rès nombreuses formules tantriques, simples al l i térat ions incompréhensibles des mots sanscrits. Ce sont les « mantra » — formules efficaces et « dha-rani » formules conjuratives, (en sino-vietnamien « Chu » ou « da-la-ni »), formules tenues pour secrètes quant au fond, bien que leur texte soit impr imé à profusion. Certaines cérémonies sont en outre accompagnées de « gestes efficaces », sceaux ou mudra, (en sino-vietnamien « an ». )

E n dehors des prières quotidiennes, les demandes d'interven­t ion de type tantrique adressées aux « Grands Bienfaisants » tiennent une place si grande dans la vie bouddhique du Vietnam, que l 'on peut aller j u s q u ' à dire qu'elles sont à peu près l a seule manifestation de foi de la part de ce que nous appellerons la clien­tèle des pagodes (nous ne disons pas les fidèles, voulant réserver ce nom aux vér i tables et rares croyants et pratiquants). Les per­sonnages à vocation bénéfique sont implorés pour les naissances, les mariages, les deuils, l a guérison des maladies, l'heureuse issue d'une transaction ou pour tout événemen t in té ressan t collective­ment une famille ou un village, mais toujours pour des choses profanes, donc accidentelles, transitoires. Cette clientèle est in té-

(1) Tantra signifie tissu. Le tantrisme est une conception magique du monde selon laquelle tous les phénomènes sont rigoureusement dépendants les uns des autres. Chaque pensée, chaque parole, chaque acte sont liés par des flls mystérieux à la Cause fondamentale. Des syllabes, des formules, des gestes, ont le pouvoir d'agir sur ces flls et par conséquent de modifier l'enchaînement des causes et des effets.

Le tantrisme chinois très pur, très délicat, ne doit pas être confondu avec le tantrisme hindou ou thibétain dont certaines formes sont, à notre sens, monstrueuses.

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ressée uniquement par l a succès d'une affaire personnelle ou fami­liale. D'ailleurs pour mettre le plus grand nombre de chances de son côté elle sacrifie également et d'un même cœur au Ciel, selon les rites de la religion populaire chinoise, et aux Dieux de l ' H i n ­douisme si par hasard ils ont un temple dans le voisinage.

L'influence du Tantrisme est responsable de l ' introduction dans l 'Amidisme de nombreux personnages bouddhiques et d'autres t irés de cultes hindous, du Taoisme, de la Religion populaire chi­noise et m ê m e de vieilles croyances, khmères ou cham.

Les religieux et les vrais fidèles honorent tous ces personnages d'un cœur simple et fervent, néanmoins , ils ne perdent pas de vue l'essentiel, le B u t (1), c 'est-à-dire l a Délivrance qui ne s'obtient que par l 'extinction du Désir, qui elle-même est la Conséquence, le Fru i t de l 'observation des Règles.

Nous retrouvons ic i le Bouddhisme, essentiellement semblable à lu i -même, au Nord , dans le Mahayana, et au Sud, dans le Hinayana Tout se passe comme si l 'Amidisme, avec sa miséricorde infinie, ses prières réconfor tantes , ses cérémonies brillantes, ses invocations, ses offrandes, ses lumières , n ' é t a i t que le v ê t e m e n t dont l a Religion s'est ornée pour l a consolation des pauvres Etres, tandis que la Doctrine, l a Règle et l 'Ordre de Çakyamouni restent le V r a i Boud­dhisme, l a c lar té pure visible pour les seuls I l luminés. Cette dis­tinction, qui peut heurter nos manières de voir occidentales, est à notre sens fondamentale. Malgré l a place considérable qui leur est faite dans les Prières et les Cérémonies, aussi bien que sur les autels, les personnages introduits dans le Bouddhisme du Nord par le Tantrisme (et sans doute aussi par la to lérance générale) n'ont, en fait, aucune influence touchant à l'essence m ê m e de la Doctrine et de la Vraie F o i .

De nombreux t ra i t és et articles permettant de se faire une idée exacte du Bouddhisme, nous ne croyons pas utile d'en donner un aperçu . Soulignons seulement que le Bouddhisme n'est pas une Religion à proprement parler. I l est p lu tô t une doctrine philoso­phique ayant sa Cosmogonie, sa Métaphys ique , sa Morale et, une Société ou Ordre d'adeptes pour l a maintenir et l a pratiquer.

L a vie du vra i fidèle est essentiellement un effort individuel et solitaire vers la Délivrance. L a Doctrine n'est là que pour lu i

(1) Nous mettons une majuscule à des noms communs lorsqu'ils sont pris dans un sens spécial, particulier au Bouddhisme.

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montrer la Voie t racée par le Maître . El le dit que dans ce monde de poussière et d'impermanence, tout n'est que douleur. L a nais­sance, l a vieillesse, la mort, l 'union avec ce que l 'on n'aime pas, la sépara t ion d'avec ce que l 'on aime, tout est douleur. L a vie tout ent ière est douleur. I l faudrait pouvoir supprimer la vie. Mais l 'homme, par sa destinée, est condamné à des renaissances sans fin. I l faut donc trouver, pour la supprimer, la cause de ces renaissances. Cette cause, l a Cause (1), c'est le Désir, l 'Attachement. Détrui re la Cause, c'est briser le lien, c'est atteindre la Dél ivrance. Anéan t i r le Désir, c'est rompre déf ini t ivement le cycle, c'est a r rê te r lar oue, toucher enfin le but, obtenir la permanence, le repos, le Nirvana (2).

L a destruction du Désir ne peut être que le fruit d'un long effort, d'un long perfectionnement de soi, poursuivi inlassablement au cours d'un nombre infini d'existences successives avec des succès divers, des remontées et des rechutes, au milieu des « t empê t e s de la mer d'impermanence et de douleur ». Heureux celui qui par une accumulation de bonnes actions a gagné un nombre immense de méri tes : le Frui t est à por tée de sa main. U n petit texte Dhyana, dans l ' intention d'encourager les fidèles, a voulu résumer la Doctrine en quelques mots : « Faites le bien, évitez le mal, purifiez votre cœur , c'est tout le Bouddhisme ». Que cela a l 'air simple et cepen­dant qu ' i l est difficile d'éclairer son propre chemin, d ' ê t re selon la parole du Bouddha « sa propre lampe »! Comment découvr i r seul, en toutes circonstances ce qui bien, ce qui est mal ? U n enseigne­ment philosophique immense et compliqué est venu é tayer la doctrine. Fort heureusement le Bouddha lu i -même a déclaré d'avance superflue la connaissance de ce fatras. I l a pris soin de tracer la Voie en éd ic tan t des Règles simples, adap tées aux moyens et à la bonne volonté de chacun.

Les laïques peuvent pratiquer librement quelques-unes de ces Règles dans le pr ivé, sans l ' intervention d'aucun religieux. L ' adhé ­sion formelle au Bouddhisme peut être faite au cours d'une céré­monie rituelle et assez compliquée. Mais cette formali té n'est pas indispensable. Il suffit de dire, ou de penser, la formule du Triple Refuge : Aujourd 'hui , moi U n Tel, je me soumets au Bouddha, je

(1) Nous mettons une majuscule à des noms communs lorsqu'ils sont pris dans un sens particulier au Bouddhisme.

(2) Il est à souligner que le Bouddha n'a jamais expliqué ce qu'est le Nirvana, loutes les gloses sur ce mot sont donc des interprétations.

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me soumets à la Règle, je me soumets à l 'Ordre. (Ou bien, je me réfugie dans le Bouddha, etc...)

Les adeptes laïques désireux d'avancer dans la Voie, pratiquent les Cinq Règles : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d ' impudic i té , ne pas mentir n i railler, ne pas boire d'alcool — ou les Hu i t Règles (les mêmes et en outre) : ne pas s'orner de fleurs et de parfums et ne pas assister à des fêtes, ne pas coucher sur un lit large et haut, ne pas manger passé mid i (1). L'adepte, à son choix, peut pratiquer ces Règles en permanence, ou seulement un certain nombre de jours par mois.

Même simplifiée à l ' ex t rême, et ramenée souvent en définitive à la pu re t é d'intention, l 'observation des Règles reste difficile pour un isolé. C'est pourquoi le Bouddha a créé l 'Ordre, qui n'est pas une Église. C'est une vaste confrérie de gens qui se retirent du monde pour vivre dans la paix et la pauv re t é , selon des Règles capables de les conduire à la délivrance dès la fin de cette vie, l ' é ta t religieux é t a n t la Voie par excellence, le raccourci pour arriver au Nirvana.

Les Règles de la vie religieuse bouddhique sont t rès nombreuses et t rès minutieuses : des simples maximes d 'hygiène et de propre té , des indications de prudence et de politesse dans le comportement à l 'égard des fidèles, des préceptes propres à maintenir les bonnes relations dans l 'Ordre, elles s 'élèvent jusqu'aux prescriptions morales les plus raffinées. Elles ne sont pas secrètes.

Malgré la profusion de titres hiérarchiques dont les religieux sont décorés au cours des cérémonies, et qu'on leur conserve dans la vie quotidienne, i l y a deux degrés seulement dans l ' é ta t religieux : les novices et les maî t res . Les Règles pour les femmes sont, quant au fond, les mêmes que celles des hommes, toutefois un peu plus nombreuses et parfois un peu plus détaillées. Elles subordonnent les religieuses aux religieux.

Une série de règles conduisent à l ' é t a t de perfection le plus élevé, les Règles des Bodhisattvas. Les laïques, comme les religieux peuvent les pratiquer.

Les Règles des Adeptes laïques et des Novices forment le Petit Véhicule (ou Petite Voie). Les Règles des Moines forment le Grand Véhicule (on dit aussi quelquefois le Moyen Véhicule). Les Règles

(1) Ou ne faire qu'un seul repas dans la journée.

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des Bodhisattvas constituent le Véhicule Supér ieur (1). L 'emplo i des expressions Grand Véhicule et Peti t Véhicule pour désigner Je Bouddhisme du Nord et le Bouddhisme du Sud, peut ainsi quelque­fois p rê te r à confusion.

I l existe une cérémonie t rès compliquée et t rès solennelle de « l 'Acceptation des Règles » (2) par les Adeptes laïques, les novices et les moines. A u cours de cette cérémonie qui comporte une sorte d'examen du degré d'instruction des postulants, ont lieu également l a prise d'habit des religieux, le brû lage des moxas, e tc . . Cette fête dure quatre jours et trois nuits. E l le est e x t r ê m e m e n t popu­laire et réun i t généra lement des foules de religieux et de fidèles, et des curieux en nombre inimaginable.

L e Bouddha, l a Règle et l 'Ordre, qui sont les Trois Portes du salut, sont réunis sous l'expression « les Trois Préc ieux » ou « les Trois Joyaux ».

L A V I E B O U D D H I Q U E A U S U D - V I E T N A M

Les mandarins d'autrefois n'aimaient guère les bonzes, doux anarchistes qui ne produisaient rien, ne payaient pas d ' impô t , é ta ien t exempts de corvées, et refusaient d 'ê t re soldats. E n outre, ils les tenaient pour de méprisables ignorants parce qu'ils ne savaient rien de la l i t t é ra tu re confucéenne, qui donnait accès aux fonctions publiques, source de richesse et d'honneur. De nos jours, l a diffu­sion de la culture occidentale, n 'a pas dissipé le préjugé des confu-cianistes, au contraire, elle n 'a fait que le renforcer. L 'op in ion générale est que les bonzes ne sont que de pauvres i l let trés. Cepen­dant l a réali té est.bien différente. Ces hommes lisent tous couram­ment les caractères et beaucoup sont capables de puiser directement à la source de la Doctrine dans les textes bouddhistes chinois originaux, dont certains sont des t ra i t és de philosophie fort ardus. I l ne faut év idemment pas mesurer leur savoir avec nos normes analytiques ou rationalistes car les religieux ne raisonnent pas, ne discutent pas les textes : ils les savent par coeur, cela leur suffit. Considérons en outre que la science occidentale est sans valeur aux yeux d'un religieux vé r i t ab lement engagé dans la Voie, car elle

(1) Il y a aussi le Très Haut et Très Obscur Véhicule contenu dans le livre Hoa Nhgiém (prière Beauté et Majesté) en 80 volumes (Avatamsaka). Il n'est pas en usage.

(2) Cérémonie dite en sino-vietnamien : Truong ky tho giai.

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n'est qu'une des formes de l 'Attachement alors que seule importe la Dél ivrance. Définir si un bonze est vraiment instruit est donc toujours difficile. Même les plus savants d'entre eux, ne peuvent pas expliquer, comparer, juger. A une question, ils réponden t presque toujours : C'est ainsi... Indén iab lement leurs discours sont assez confus, mais non moins indéniablement leurs actions sont claires.

E n principe les é tudes exigées par la Règle doivent durer quinze ans. Elles ne sont pas faites dans une école. L e disciple les accomplit à la pagode même, sous la direction de son maî t re et d'une manière t rès libre. Chaque chef de pagode garde auprès de lui un ou plusieurs disciples. Il leur transmet son propre savoir au jour le jour sans plan n i mé thode bien définis. Le petit aspirant entre à la pagode entre sept et dix ans et est aussi tôt init ié à la vie religieuse. On lu i donne le titre curieux de « Monsieur Religion » (Ong dao). Il va consacrer cinq ans à la Petite É t u d e , cinq ans à la Grande É t u d e , cinq ans à l 'É tude approfondie. Le programme, trop long pour être indiqué dans cet article, comporte l'essentiel des Livres ou Sutras, des Règles et des Commentaires. Les études s'accompagnent de la pratique effective des cérémonies et de l'observation scrupuleuse de la L o i . Après la troisième année, l'enfant peut devenir un novice (sa di), prononcer les premiers v œ u x et être admis à participer à la confession de quinzaine avec l'ensemble de la C o m m u n a u t é . A la fin de la dixième année, le novice subit une sorte d'examen. S'il y satisfait et s'il a atteint vingt-et-un ans i l peut prononcer les v œ u x des Maîtres (ti kheo) (1). A la fin des études i l a péné t ré « la Nature de la L o i », « l 'Aspect de la L o i » et la Doctrine de la Terre Pure. I l est désormais capable de comprendre à fond toute la Doctrine, et de trouver en lui-même la force nécessaire pour la prêcher.

Tous les religieux n'entrent pas à la pagode dès l'enfance. L a Règle exige seulement que l'aspirant ait dépassé vingt ans pour prononcer les v œ u x des Maîtres. On revêt donc la robe à tout âge, et beaucoup d'adeptes ne commencent vér i tab lement leur vie religieuse qu'au seuil de la vieillesse, après avoir accompli leur devoir à l 'égard des ancêt res , c 'est-à-dire leur avoir donné une descendance (2). L a vocation é t an t assez contagieuse, i l n'est pas

(1) Traduction sino-vietnamienne de • biksiiu •. (2) Les Bouddhistes ne disent pas « entrer en religion • ou entrer dans les Ordres. Pour

eux se faire religieux c'est « sortir de sa famille » (Xuât già). Pour qui connaît la force de la morale familiale et du culte des ancêtres, cette diflérence est d'importance.

LA BEVUE N° 4 2

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rare que le mari, la femme et les enfants soient religieux dans la même pagode. Naturellement i l en résulte des commentaires peu favorables sur les religieux en général, commentaires, i l faut bien le reconnaî t re , pas toujours calomnieux. Les religieux comme tous les hommes ont des faiblesses et le progrès vers le d é t a c h e m e n t n'est pas absolument sans retours.

D I S C I P L I N E S D E S R È G L E S

Pour avoir une idée t rès précise de la manière dont la discipline de l 'Ordre est respectée, i l serait indispensable d'examiner le compor­tement des religieux à l 'égard de chacune des Règles. Les prescrip­tions de la L o i é tan t , pour les Maîtres, au nombre de 250 environ, i l est bien évident qu'une si longue é tude , quel qu'en soit l ' in térê t , ne saurait entrer dans le cadre de cet article. Disons tout de suite que, sauf chez quelques bonzes t rès pieux et exceptionnellement stricts, la Règle est observée scrupuleusement dans son esprit, mais non dans sa lettre. Ce fait banal est facile à illustrer par des exemples. Nous nous bornerons à parler des deux catégories de fautes à propos desquelles la vertu des religieux est le plus souvent mise en doute par le peuple, les fautes contre la chas te té et la p a u v r e t é .

L a chas te té fondamentale est générale. D'ailleurs, l ' é t a t de faiblesse chronique causé par le jeûne est très certainement une sauvegarde contre les tentations. Naturellement, quelques écar t s individuels sont inévi tables . Us sont soulignés et amplifiés joyeu­sement par la mal igni té d'une opinion publique toujours à l'affût d'histoires « croustillantes », quoique foncièrement indulgente à cet égard. Les contes sur les relations ambiguës des religieux et des religieuses font partie du folklore. Elles sont de peu de conséquence. L a considération dont les bons religieux sont entourés n'en est pas modifiée.

L e v œ u de pauv re t é essentiel dans la poursuite de l 'extinction du Désir, crée des obligations auxquelles personne ne se dérobe . Quoique les religieux vietnamiens, comme tous ceux du Mahayana ne pratiquent pas la quê te quotidienne de nourriture, ils vivent exclusivement des aumônes que les fidèles leur apportent à la pagode même , sous forme d'offrandes, composées d'ordinaire de

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fleurs, de fruits, de riz cru, de cierges et de quelques piastres (1). L a Règle n'est donc pas suivie à la lettre, néanmoins on ne s 'écarte nullement de son esprit. Les religieux vivent dans une pauv re t é ex t rême et souvent dans un dénuemen t t rès proche de la misère. A u fond des pagodes parfois somptueuses, leur logement n'est qu'une ét roi te et obscure cellule où certains couchent sur une simple planche à m ê m e le sol. Leur ascétisme est si sévère que beaucoup d'entre eux se nourrissent uniquement d'un peu de riz accompagné de fruits ou de quelques feuilles de légumes : aussi presque tous sont-ils d'une maigreur ex t rême, hâves , émaciés. Ils sont bien entendu végétar iens , malgré que la Règle sur ce point ne soit pas aussi stricte qu'on le croit communémen t ; (2) elle insiste sur­tout sur l 'obligation de manger les aliments tels qu'ils se présenten t , sans choisir, sans y penser. Ce qu' i l faut éviter par dessus tout c'est de manifester une préférence, forme insidieuse

du Désir. L a Règle qui veut que le religieux ne fasse qu'un repas par jour

et ne mange pas passé midi n'est pas non plus de pratique générale. D'une part, les religieux âgés qui ne peuvent plus supporter le jeûne bouddhique en sont dispensés. D'autre part, i l est fréquent que les autres religieux, t rès sous-alimentés, ne puissent se passer de prendre, eux aussi, une collation vers dix-huit heures (3). Il ne s'agit pas là d'une violation délibérée de la Règle par faiblesse ou gourmandise, mais d'une réelle nécessité. D'ailleurs, le Bouddha n'a-t-il pas toujours été ennemi des pratiques excessives, pouvant causer des souffrances mutiles et une diminution de la force néces­saire pour suivre la Voie du Dé tachemen t ?

Les pauvres surplus que les bonzes peuvent économiser, ils ne les emploient jamais pour se procurer des agréments personnels (sauf un peu de tabac) ; ils les consacrent à l'entretien de la pagode et à la bienfaisance.

Cela nous amène à parler de la char i té des religieux qui est réellement leur trait le plus caractér is t ique. Le Mahayana est la Doctrine de la Grande Miséricorde (Bai Bi), de la compassion pour tous les Etres, du Salut Universel. Aussi les Fils de la L o i s'efîorcent-

(1) Quelques pagodes possèdent des biens donnant de petits revenus : rizières», logements loués, cimetières...

(2) La Règle n° 40 des 90 fautes diverses des Maîtres dit : Un moine qui reçoit en aumône des aliments savoureux tel que lait, crème, poisson, viande peut les accepter, mais il lui est interdit de chercher a se procurer de tels aliments, sauf s'ii est malade.

(3) Les bonzes du Hinayana font de même.

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ils de faire tout le bien qu'ils peuvent, et év i ten t de causer la moindre peine ou la moindre gêne à quiconque (1). Maintien recueilli, gestes lents et doux, ton de voix mesuré , visage calme et souriant, accueil empressé, leur bienveillance est ex t rême , leur indulgence acquise à tous sans distinction d'aucune sorte. Ils donnent le peu qu'ils dé t iennent , et même se laissent facilement dépouiller. Les vieux religieux, le cœur purifié par une vie de renoncement, de méd i t a t ion , d'abstinence, les traits i l luminés par la paix et la bon té , sont presque tous de vér i tables saints.

Avec tant de vertus, quelques faiblesses restent perceptibles. Même chez les meilleurs, la douceur, et l'effacement apparent, ne s'accompagnent pas d 'humil i té . L e goû t de l'influence (2) est général , et devient souvent une vraie passion. I l en résulte des erreurs parfois graves.

Ains i , pour attirer la r enommée sur leur pagode, des bonzes organisent ou laissent organiser des cérémonies pour le repos de l 'âme des soldats morts à la guerre, et ils acceptent (ou sollicitent) la participation de dé t achemen t s militaires en armes pour rendre les honneurs. Nous sommes loin de la Règle qui interdit m ê m e de regarder des soldats en m a n œ u v r e , qui défend d'entrer dans la pagode, et m ê m e d'en faire le tour, en portant sur soi des chaussures ou autres objets en cuir.

Le goût de l'influence e n t r a î n a n t facilement celui de la domi­nation, i l se produit souvent entre les religieux éminents des frois­sements et des brouilles pour des questions de préséance dans les cérémonies. Dans la c o m m u n a u t é , des clans r ivaux s'affrontent, entre lesquels, malgré que les apparences soient toujours sauve­gardées, naissent de mauvais sentiments, et j u s q u ' à de vér i tables haines pouvant mener t rès loin.

C'est également à cette faiblesse qu 'obéissent trop souvent les bonzes réformateurs soit qu'ils abandonnent le Mahayana pour le Hinayana p ré t endu plus pur, soit qu'ils se fassent imprudemment les agents plus ou moins conscients de certaines théories politiques. Ce dernier fait a été souvent cons ta té du temps de l 'Administrat ion française. I l ne serait pas surprenant qu ' i l fût à l a base des troubles actuels.

(1) Les cent petites Règles sont presque uniquement des prescriptions de politesse destinées à fixer le comportement des moines dans leurs relations avec les fidèles et entre eux

(2) Nous voulons parler surtout de l'influence dans la communauté et sur le petit noyau de iidèles, car au dehors l'audience des religieux est très faible, pour ne pas dire inexistante.

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L A V I E D A N S L E S P A G O D E S

Les pagodes du Vietnam ne sont n i des églises n i des couvents. Elles n'ont rien qui puisse les faire comparer aux grands monas­tères bouddhiques du Tibet, n i à ceux dont parlent les récits de la Vie du Bouddha, où les religieux vivent réunis en communau té s immenses. L a pagode est p lu tô t simplement l a maison d'un reli­gieux, qui peut y résider seul, ou en compagnie de quelques moines assistants, de quelques novices adolescents ou enfants, et de quelques vieilles femmes à l a t ê t e rasée, mère ou vieilles parentes, et quelque­fois, comme nous l'avons dit, épouse ; cette dernière présence é t a n t naturellement assez mal jugée, m ê m e lorsque, cas le plus fréquent, la Règle est respectée.

Les pagodes réputées hébergent souvent quelques malades ou convalescents, les religieux é tan t tous plus ou moins guérisseurs, connaissant les drogues, mais surtout les magies du tantrisme.

Les habitants des pagodes, même les non-religieux, observent tous la règle d'un recueillement parfait : parole basse, gestes mesurés , allure lente et silencieuse. L a vie ordinaire s'écoule toutes portes closes : l a « Salle principale » (1) reste complè tement fermée et obscure, même lorsqu'un religieux y psalmodie ses prières. On ne l'ouvre que rarement, seulement pour les grandes cérémonies. < De même, la salle de Repos (2) reste sombre, sauf si des visiteurs de marque y sont reçus. L 'arr ière-maison (3) seule est un peu plus ouverte à la lumière, mais les recoins en sont si profonds et si obscurs qu'on ne distingue pas grand'chose hors du rayon de jour qui vient de la porte ou du toit. Silence, obscuri té , vide, voulus par la Règle, pour aider à l 'extinction des passions.

Cependant les religieux ne vivent pas cloîtrés. Dans les pagodes fréquentées, du matin au soir des visiteurs vont et viennent : clients, fidèles, malades, confrères, apportent animation, occupa­tions et gaîté. Les religieux sont aussi t rès souvent hors de la pagode : en visite chez des amis, ou dans les pagodes voisines et t rès fréquem-

(1) Temple proprement dit, salle où se trouve l'autel central dit « autel des Trois Pré­cieux ». Cette pièce est toujours située à l'avant du bâtiment.

(2) Salle de séjour des religieux et de réception des hôtes ; elle se trouve au centre du bâtiment.

(3) Cuisine et travaux domestiques, cellules, etc..

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ment appelés à participer aux assemblées des grandes cérémonies. Les lecteurs seront peu t -ê t re curieux de savoir à quels exercices

et à quels travaux les religieux passent leur journée . Voic i donc un exemple d'emploi du temps :

3 heures, lever, toilette puis médi ta t ion ; — 4 heures, léger repas de bouillie de riz (facultatif) puis prière de la nuit ; — 7 heures, prière du matin ; — 11 heures, repas ; — 12 heures, prière de midi ; — de 13 à 14 heures, repos sieste ; — 16 heures, prière de l 'après-midi ; — 18 heures, collation ou repas du soir (facultatif) ; — 19 heures, prière du soir ; — 21 heures, médi ta t ion ; — 22 heures, coucher.

A u x heures libres les religieux s'occupent à l'entretien de la pagode et du jardin, reçoivent les visiteurs pour le compte desquels ils font des offrandes ou célèbrent des cérémonies part icul ières , ou sortent pour leurs affaires. Selon sa ferveur, ou sa fantaisie, ou les circonstances le religieux peut modifier ce programme ; notam­ment, prières et médi ta t ions peuvent être prolongées à vo lon té — et, si besoin est, renvoyées, ou supprimées.

Les prières sont lues ou chantées devant l'autel central. L e réci tant en ponctue le rythme en frappant sur le mo (1) et de temps en temps sur la cloche d'autel. U n petit novice l'accompagne en exécu tan t à ses côtés d'alertes batteries de tambour.

C O N T R A D I C T I O N S

Le Bouddhisme est une des doctrines les plus pures, les plus raffinées, les plus hautement spiritualisées. Il ne s'est pourtant pas dégagé d'un certain nombre de contradictions.

L a char i té totale, le désir de salvation universel, ne procèdent pas d'un amour essentiel des autres hommes, mais bien p lu tô t de l'esprit d'abandon, de dépoui l lement , et en somme d'un égoïsme raffiné. Comme dans le Brahmanisme, pour que le don soit parfait, celui qui donne ne doit pas savoir à qui i l donne, n i ce qu' i l donne, n i même s'il donne.

(1) Mo : énorme grelot de bois très sonore sur lequel on frappe avec une batte, un coup à chaque mot (monosyllabe).

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Le dé t achemen t de soi-même, se fait sans mépris de soi, sans humil i té , bien au contraire avec un orgueil inal térable et serein, nous dirions presque nécessaire.

Les religieux vivent dans l 'ascèse, le renoncement, une pauvreté , parfois à peine supportable, et pourtant, comme jadis Çakyamouni , parmi les honneurs publics, les cérémonies sans cesse renouvelées, les invitations qui les m è n e n t de fête en fête.

L' individualisme est l'essence de la recherche, mais l'Ordre existe, et quoique sans chef, et sans hiérarchie, le contrôle mutuel et le respect humain maintiennent les membres de la confrérie dans une stricte discipline.

Le Bouddhiste sait qu'il doit faire son salut de lui-même sans espoir de secours, car le Bouddha n'intervient pas dans les affaires de ce monde. Pourtant le fidèle et le religieux passent leur vie en prières multipliant les offrandes, et les invocations.

Ces considérat ions n'effleurent pas le Fils de la loi . I l poursuit paisiblement l 'application des règles, pratique le jeûne, le repentir, la médi ta t ion , suit ou célèbre avec ferveur les interminables céré­monies. Peu à peu son comportement et ses attitudes transforment son caractère . L 'évolu t ion souhai tée se produit. I l devient profon­dément bon, dépouillé, inofîensif. Sur ses vieux jours, c'est réelle­ment un saint homme. Nous en avons connu ainsi un bon nombre, tous semblables, tous également bien près de la délivrance, ne gardant plus guère des attachements terrestres qu'une affection presque tendre pour leurs amis. Nous sommes heureux de pouvoir rendre à tous ceux qui nous ont honorés de leur amit ié , dont beaucoup sont morts, ce témoignage de respect, et un très affec­tueux hommage.

Nous dirons en terminant, que cette réussite du Bouddhisme ne se rencontre guère que chez les religieux. Sur l'ensemble du 'peuple, son influence se borne à quelques pratiques superficielles et à des affirmations d 'adhésion purement verbales. Les bonzes sont pratiquement sans action sur les masses, leur audience é tan t limitée à une étroi te clientèle de fidèles, formée en major i té de femmes âgées.

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L a « religion » des Vietnamiens, catholiques mis à part, est en réalité un composé mal défini de rites r a t t achés au Culte impérial du Ciel et de la Terre, d'offrandes domestiques aux génies de la religion populaire chinoise, (dictées davantage par la crainte des âmes errantes ou des démons que par une piété quelconque), de principes de la morale confucianiste, le tout dominé par le Culte des Ancêtres , vér i table fonds national toujours t rès vivant .

B R U N O R E V E R T É G A T ,

Ancien vice-président de la Société des Etudes Indochinoises, Hoà Thuong honoraire.