l’art de la finance

12
DOSSIER SPÉCIAL CHAQUE VENDREDI PENDANT 12 SEMAINES AVEC LE CONCOURS DE EN ASSOCIATION AVEC l’Art de la Finance 1 EN COLLABORATION AVEC LE The University of Chicago Graduate School of Business

Upload: others

Post on 16-Jun-2022

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: l’Art de la Finance

D O S S I E R S P É C I A L C H A Q U E V E N D R E D I P E N D A N T 1 2 S E M A I N E S

A V E C L E C O N C O U R S D E

E N

A S S O C I A T I O N

A V E C

l’Art dela Finance

1E N C O L L A B O R A T I O N A V E C L EThe University of Chicago

Graduate School of Business

Page 2: l’Art de la Finance

près L’Art du Management et L’Art

d’Entreprendre, « Les Echos » publientA aujourd’hui le premier numéro de L’Art de la

Finance. Ce nouveau supplément hebdomadaire a pour

vocation de fournir, tous les vendredis pendant

12 semaines, un guide en matière de finance d’entreprise

et de finance de marché. Alliant théorie universitaire et

expérience pratique, il a, comme les deux précédentes

séries, fait appel pour sa réalisation aux contributions des

plus grands spécialistes universitaires de la finance

moderne.

Conçue comme un ouvrage de formation, la série a été

initiée par le « Financial Times », qui s’est appuyé sur les

enseignants de 3 écoles prestigieuses, la London Business

School, la Wharton School de Philadelphie (université de

Pennsylvanie) et la Graduate School of Business de

l’université de Chicago. Mais si la finance est une

discipline encore très anglo-saxonne, elle compte

également des spécialistes de réputation mondiale en

France. C’est pourquoi « Les Echos » ont fait appel pour

L’Art de la Finance aux professeurs du département

finance d’HEC, un des plus importants d’Europe, qui ont

été nos conseils éditoriaux pour l’édition française. Ils ont

en outre, avec les experts d’Ernst & Young, contribué par

leurs articles à enrichir la série d’origine et à l’adapter au

contexte hexagonal, pour en faire une synthèse

véritablement internationale.

Procédant de la même démarche que L’Art du

Management, L’Art de la Finance a été conçu pour

s’adresser à un large public : étudiants en gestion des

entreprises, cadres souhaitant mettre à jour leurs

connaissances ou qui sont à l’affût d’idées novatrices dans

le domaine de la finance. La série s’adresse à tous ceux

qui travaillent dans le monde de la finance, notamment au

sein des entreprises (direction financière, comptabilité...),

aux professionnels du financement des entreprises, aux

responsables des investissements et à tous les décideurs

qui, non spécialisés en finance, se doivent de connaître les

raisonnements des spécialistes.

Mais L’Art de la Finance ne se veut pas une introduction

générale à la finance. Le lecteur est supposé maîtriser les

concepts de base et certains articles pourront être d’un

abord ardu pour les néophytes. Ces derniers pourront

utilement se reporter aux deux précédentes séries, et

notamment au module finance de L’Art du Management (la

série a été éditée par Village Mondial, 13, rue de la

Grande-Chaumière, 75006 Paris), pour se familiariser avec

ces concepts de base. Enfin, nous nous sommes efforcés,

dans chaque numéro de la série, d’aborder des thèmes

variés, concernant à la fois les marchés financiers

(valorisation, gestion de portefeuille, dérivés...) et la finance

d’entreprise (création de valeur, gestion des risques,

comptabilité...), de manière à ce que, comme dans

L’Art du Management, le lecteur puisse puiser selon ses

besoins ou ses centres d’intérêt dans chacune des

12 parutions.

Toute la Finance

Fondée en 1881, HEC possède l’un des tout premiersdépartements de finance en Europe. Créé dans lesannées 70, le département finance compte aujourd’huiune vingtaine de professeurs permanents. Réputés pourleurs travaux en finance internationale, économétriefinancière, microstructure de marchés et financed’entreprise, les professeurs de finance publient dans

les meilleures revues internationales : « Journal of Finance », « Americaneconomic review », « Finance »... On retiendra par exemple la publicationd’ouvrages de réputation internationale : « International Investment »,Addison Wesley, par Bruno Solnik (médaille d’argent du CNRS, 1995) et« Financial Securities-Market Equilibrium and Pricing Methods »,Chapman & Hall, par Bernard Dumas (prix 1997 du « NouvelEconomiste », catégorie finance et monnaie). Le Groupe HEC a été lepremier à inaugurer en Europe une salle de marché et compte dans safaculté, en tant que professeur honoris causa, Robert C. Merton, professeurà Harvard, prix Nobel d’économie 1997.

La Wharton School del’université dePennsylvanie, créée en1881, fut le premierétablissement

universitaire de gestion aux Etats-Unis. L’école compteprès de 190 enseignants, 11 départements, 18 centresde recherche et programmes d’enseignement de toutpremier plan, qui s’adressent aux étudiants de premiercycle, de MBA, de doctorat ainsi qu’aux cadresd’entreprise. Dans les années 90, Wharton a procédé àune refonte de ses programmes de licence et de MBAet a acquis une réputation d’établissement novateurdans le domaine de la formation des cadresd’entreprise. Wharton compte plus de 4.700 étudiants,originaires de plus de 50 pays, inscrits à sesprogrammes réguliers de formation universitaire, etaccueille au total près de 10.000 participants à sesséminaires de cadres. Dès 1904, la Wharton inauguraitson premier cours sur les Bourses de valeur et lesBourses de commerce. Son équipe d’enseignants enfinance (33 professeurs permanents) est aujourd’huil’une des plus importantes du monde.La London Business School, qui a

célébré en 1996 son trentièmeanniversaire, s’est imposée commel’une des écoles de commerce lesplus réputées d’Europe et peuts’enorgueillir de compter parmi ses

enseignants des « gourous » de renom international.Plus des trois quarts de ses effectifs étudiants et plusd’un tiers de son corps enseignant viennent del’extérieur du Royaume-Uni. La LBS offre unprogramme d’enseignement de MBA de vingt et unmois ainsi que des programmes approfondis demanagement global et des programmes plus spécialisés.Elle est la seule école d’Europe à proposer un mastèrede finance en un an. En outre, elle collabore avecquelques-unes des plus grandes entreprises mondiales.Son Institute of Finance and Accounting a été créé en1973 avec le soutien de plusieurs établissementsfinanciers.

L’université deChicago compteà elle seule plusde professeurstitulaires d’un

prix Nobel que toutes les autres grandes écoles réunies. Plusieurs desgrands principes régissant le financement des entreprises et la théoriede la finance (la théorie de l’efficience des marchés financiers, lesmodèles Miller-Modigliani sur la politique du dividende et le choixde la structure du capital) sont nés au sein de la Graduate School ofBusiness de l’université de Chicago. Dans l’édition d’octobre 1997 de« Business Week Magazine », l’université de Chicago a été classée aupremier rang des institutions formant des spécialistes de la finance.

1Risque et rendement : les deux piliersdes marchésPar Jeremy J. Siegel, WhartonSi les investisseurs surmontaient leur peur de lavolatilité à court terme et réagissaient par rapportaux données historiques, les actions afficheraientdes cours plus élevés et des rendements plus basque par le passé.

Pages III et IV

Les marchés financiers : un rôle centralet controverséPar Philippe Henrotte, Groupe HECValorisation, allocation du capital, gestion desrisques : les différentes fonctions des marchéssuscitent méfiance et suspicion.

Page V

L’efficience des marchés, indicede la transparencePar Laurent Germain, London Business School

Page VI

La gestion des relations avec les actionnairesPar Jean-Florent Rérolle, Ernst & YoungFace à la demande d’informations de la partdes investisseurs professionnels, les dirigeantsd’entreprise doivent développer un véritablemarketing du titre.

Pages VI et VII

Projets d’investissement : pensez au bêtaPar Elroy Dimson, London Business SchoolLes investisseurs n’aiment pas être exposés auxrisques, sauf à être rémunérés en conséquence. Pourestimer le taux de rentabilité d’un investissement,il faut déterminer le bêta du projet.

Pages VIII à X

Méthodes d’évaluation : la recherchede cohérencePar Antoine Hyafil, Groupe HECL’évaluation d’une entreprise nécessite une réflexionsur les sources de la création de valeur. Le dialogueentre financiers et stratèges doit être encouragé.

Pages X et XI

II Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998L’Art de la Finance

Directeur général, directeur des publications : Olivier FLEUROTDirecteur général adjoint : David GUIRAUD

Directeur de la rédaction, rédacteur en chef : Nicolas BEYTOUT

L’Artde la Finance

Rédacteur en chef adjoint : Michel DABAJICoordination et secrétariat de rédaction : Stéphanie MEUNIER

Valérie MAILLARD

Pour recevoir les cahiers de L’Artde la Finance, reportez-vous à la page IX

The University of ChicagoGraduate School of Business

Page 3: l’Art de la Finance

ne fois déterminés le risque et lerendement d’un actif financier oud’une catégorie d’actifs financiers, lathéorie financière moderne permetd’identifier les allocations d’actifs lesplus judicieuses en fonction du degréUde risque que l’investisseur est prêt à

assumer.Mais les rendements attendus ne sont pas des

constantes physiques comme la vitesse de la lumière,existant à l’état naturel en attendant que l’on veuillebien les découvrir. Ils doivent être déduits des donnéeshistoriques et pondérés par les facteurs économiques,sociaux et politiques actuels.

Le monde de la finance n’est certainement pasavare de données. L’étendue des informations quanti-tatives disponibles est sans égale dans les sciencessociales. Néanmoins, les professionnels sont loin d’êtretous d’accord sur les meilleures méthodes d’évaluationdu risque et du rendement sur les deux grandes classesd’instruments financiers : les actions et les obligations.

Pourtant, cette pléthore d’informations n’est pasnécessairement synonyme de précision en matièred’estimation des rendements. En effet, nul ne peutêtre certain que les sous-jacents influant sur le coursdes actifs resteront inchangés. Selon la formule dulauréat du Nobel d’économie Paul Samuelson, « nousne disposons que d’un échantillon de l’histoire ».

Estimations historiquesPrenons d’abord l’exemple des Etats-Unis et duRoyaume-Uni juste au lendemain de la premièreguerre mondiale. Cette période a le mérite de couvrirle plus important cycle boursier : de la spéculationboursière de la fin des années 20 au krach qui l’a suivi,et de la Seconde Guerre mondiale aux Trente Glo-rieuses. Cependant, en faire une période de référencepour estimer les rendements à venir présente unrisque. Contrairement aux années 30, les économiessont désormais plus à la merci de l’inflation que de ladéflation. En effet, l’étalon-or qui faisait autoritédepuis plus de deux siècles dans le monde industrialiséa été abandonné dans les années 30 à la suite de lacrise de 1929. Les gouvernements ont adopté l’étalon-devise qui est désormais la norme tant dans les paysindustrialisés que dans les pays en développement.

Le changement d’étalon a modifié de façon radicaleles lois qui sous-tendent le niveau des prix, ouvrant lavoie aux poussées inflationnistes. Aux Etats-Uniscomme au Royaume-Uni, le niveau général des prix,quoique sujet à une volatilité marquée à court terme,est resté stable de 1800 à 1945. La majeure partie de lahausse cumulée du prix des biens et services au coursdes deux derniers siècles est donc intervenue aprèscette date.

C’est sur le rendement d’instruments à taux fixe quel’abandon de l’étalon-or au profit de l’étalon-devise ale plus pesé. Rétrospectivement, il est clair que lesacheteurs d’obligations dans les années 40, 50, et audébut des années 60 n’avaient pas conscience desconséquences de ce changement.

Sinon, comment expliquer que les investisseursaient volontairement acheté des obligations à longterme assorties de coupons de 3 % ou 4 % en dépitd’une politique gouvernementale mettant tout enœuvre pour éviter la déflation ? Les statistiques desannées d’après-guerre mettront sans aucun doute enévidence des rendements peu élevés sur les obligationsà long terme.

Quel a donc été l’effet du changement d’étalonmonétaire sur le rendement des actions ? En théorie,les actions sont des droits sur des actifs réels : les fondspropres et les terrains, dont la valeur est liée à la ventede biens et services réels. Toujours selon la théorie, etdu moins à long terme, le rendement des actions nedevrait pas subir l’impact des fluctuations de l’étalonmonétaire. Or, à court terme, les actions n’ont pasconstitué un rempart efficace contre l’inflation. Lesannées 70 en sont un criant exemple. Le rendement àlong terme des actions est-il lié à l’inflation ? Lacomparaison des rendements des 50 dernières années

à ceux des années précédantes permet de s’en faireune idée.

En m’appuyant sur les travaux d’Alfred Cowles etde William Schwert, j’ai dégagé le rendement avant etaprès inflation des actions et des obligations améri-caines depuis le début du XIXe siècle. La figure 1(page suivante) montre la hausse, de 1802 à 1996, durendement réel total (y compris les plus-values, inté-rêts et dividendes) des actions, obligations, bons dutrésor, et de l’or, ainsi que le cours du dollar américain.

Ces deux siècles se subdivisent en trois époques. Lapremière, de 1802 à 1871, a vu les balbutiements del’expansion économique américaine. Au cours de ladeuxième période, de 1871 à 1925, les Etats-Unis sontdevenus l’une des plus grandes puissances industriellesdu monde. La troisième période, de 1926 à nos jours,marquée par l’arrivée à maturité des marchés finan-ciers, est devenue la période de référence classiquepour analyser les rendements historiques.

Le rendement des actionsLa hausse du pouvoir d’achat d’un portefeuilled’actions diversifié surpasse celle de tous les autrestypes d’investissements ; en outre, ce portefeuille sedémarque aussi par la stabilité de son rendement àlong terme, corrigé de l’inflation. En dépit desbouleversements majeurs intervenus au cours desdeux siècles derniers, tant sur le plan économiqueque d’un point de vue social ou politique, les actionsaméricaines ont rapporté de 6,5 % à 7 % par an,retraité de l’inflation, pour toutes les époques consi-dérées.

La régularité du rendement réel des actions estfrappante si l’on considère que l’économie essentiel-lement agricole du début du XIXe siècle s’est trans-formée en une économie industrielle, puis postindus-trielle axée sur les services et l’information, à l’aubedu troisième millénaire. La stabilité à long terme durendement réel des actions s’est maintenue quel quesoit l’étalon monétaire utilisé (or ou devises).

Pour certains économistes, l’exemple des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne n’est pas pertinentpour établir des prévisions car ces pays, sortisvictorieux des grandes guerres et ayant survécu àtoutes les crises majeures, ne peuvent être tenus pourreprésentatifs de l’ensemble des marchés.

Cependant, mon étude sur le rendement desactions dans différents pays vient confirmer la supé-riorité de la performance du marché actions. Lafigure 2 (page suivante) montre le rendement réel, endollars, des actions américaines, anglaises, japonaiseset allemandes de 1926 à nos jours. Une attentionspéciale a été apportée au calcul du rendement desactions au cours de la Seconde Guerre mondiale pourcouvrir l’ensemble de la période.

La défaite des puissances de l’Axe a certes faitlittéralement s’effondrer les actions allemandes etjaponaises, mais leur redressement a été tout aussispectaculaire. Le rendement réel cumulé annuel, endollars, des actions au Royaume-Uni, en Allemagneet aux Etats-Unis se tient dans une fourchette d’unpoint de pourcentage. Si le rendement réel desactions japonaises en dollars est resté à la traîne à4,8 % par an, il a néanmoins largement dépassé lerendement des instruments à taux fixe dans n’im-porte quel pays au cours de la période considérée.

Dans les pays développés, la capacité des actions àse relever des guerres, de l’hyperinflation et de larécession est remarquable et démontre que la supé-riorité du rendement des actions, sur le long terme,est un phénomène d’ampleur mondiale.

Les instruments à taux fixeA contrario, le rendement réel des instruments à tauxfixe s’est nettement dégradé. Au cours de la premièreet même de la deuxième époque, le rendement desobligations et des bons du trésor a été largementpositif, quoique dans une moindre mesure. En re-

vanche, depuis 1926 et notamment depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale, le rendement des instru-ments à taux fixe corrigé de l’inflation a eu du mal à seressaisir.

Quelles que soient les raisons qui ont présidé audéclin du rendement des instruments à taux fixe aucours du dernier siècle, il est à peu près certain que lerendement réel des obligations sera désormais supé-rieur à ce qu’il a été au cours des 70 dernières années.

A la suite des fortes poussées inflationnistes desannées 70, les détenteurs d’obligations ont exigé uneprime importante du coupon des obligations à longterme. Dans la plupart des pays industrialisés, sil’inflation continue à se maintenir à peu de chose prèsaux niveaux actuels, le rendement réel des obligationsau taux nominal de 6 % à 8 % atteindra 3 % à 4 %.

Ces rendements réels estimés sont très proches durendement réel cumulé moyen des obligations d’Etataméricaines à long terme sur les 194 dernières années(3,4 %) et du rendement des obligations à dix ansindexées sur l’inflation émises par le Trésor américainen 1997 (3,4 %). Malgré l’augmentation anticipée durendement réel estimé des instruments à taux fixe,celui-ci devrait être encore bien en deçà du rendementréel des actions qui a avoisiné 6 % à 7 % en moyennesur les deux derniers siècles.

La différence entre le rendement estimé des inves-tissements en actions et celui des instruments à tauxfixe est ce que l’on appelle la prime de risque. Raressont ceux qui se hasardent à remettre en cause lasupériorité du rendement à long terme des actions parrapport à celui des obligations. La vraie question estde savoir si les risques inhérents aux actions suffisent àexpliquer la variation de 3 à 4 points de pourcentagede leurs rendements anticipés.

Les risques et l’évaluationl Justification de la prime de risque

Traditionnellement, la différence de rendemententre les actions et les obligations est justifiée par leplus grand degré de risque associé aux investisse-ments en actions. Ce risque a été mesuré par diversesméthodes.

Avec la version traditionnelle du CAPM (CapitalAsset Pricing Model ou modèle d’évaluation d’actifsfinanciers − Medaf), la prime de risque d’un investis-sement ne dépend pas de l’écart type de son proprerendement mais de la corrélation entre son rende-ment, et celui du « portefeuille du marché » quienglobe les actions, les obligations, l’immobilier,voire le capital humain.

Des versions plus récentes du CAPM ont substituéau portefeuille du marché, toujours difficile à mesu-rer, la variable qui a le plus d’impact sur le pouvoird’achat d’un investisseur, c’est-à-dire le niveau de laconsommation. Avec ce modèle, le degré de risquequ’un investisseur est prêt à assumer sur le marchéest étroitement lié au fait que le rendement faibled’une action est corrélé à d’autres facteurs écono-miques négatifs, tels que les récessions. Or, le« CAPM consommation » donnait des résultats peuconcluants. Des tests empiriques ont mis en lumièrela faible corrélation entre le rendement du marchéactions et l’activité économique globale. C’est pour-quoi les investisseurs ne devraient pas avoir peur deprendre des risques sur les actions puisqu’un marchébaissier ne signifie pas nécessairement que les autrescomposantes économiques sont également à labaisse.

Pour expliquer le meilleur rendement des actionspar rapport aux obligations qui transparaît dans cesmodèles, il faudrait prendre l’hypothèse d’une appré-hension telle vis-à-vis du risque, qu’elle ne correspon-drait à aucun comportement rationnel.

La difficulté à expliquer l’importance de la primede risque n’est pas l’apanage du CAPM. La mesuretraditionnelle du degré de risque, base de l’analysemoderne de portefeuille, est l’écart type des rende-ments à un an. On peut cependant mettre en doute lapertinence de cet outil dans le cas où la période dedétention des actifs est largement supérieure à un an.

Risque et rendement :les deux piliers des marchésSi les investisseurs surmontaient leur peur de la volatilité à court terme et réagissaient

par rapport aux données historiques, les actions afficheraient des cours plus élevéset des rendements plus bas que par le passé.

Risque et rendement sont lesdeux piliers de la finance. Toute-fois, les professionnels ne s’accor-dent pas toujours sur les meil-leures méthodes d’évaluation desactions et des obligations. L’exa-men de certaines données histo-riques est pertinent dans une op-tique prospective. Selon l’auteur,les actions, en dépit de leur vola-tilité à court terme, constituentainsi un excellent instrument decouverture contre l’inflation, nonseulement dans les pays anglo-sa-xons, mais aussi dans la plupartdes pays développés, et la primede risque (l’écart entre le rende-ment des actions et celui desobligations) se justifie. Toutefois,l’allocation optimale des actifsd’un portefeuille ne peut pas êtredissociée de la durée de leurdétention par les investisseurs. Sices derniers parvenaient à sur-monter leur forte appréhensionenvers la volatilité à court terme,les actions afficheraient des coursplus élevés et des rendementsplus bas que par le passé. Unehypothèse déjà formulée par Ir-ving Fisher quelques mois avantla crise de 1929.

Résumé

Jeremy J. Siegel estprofesseur de financeà la Wharton Schoolde l’universitéde Pennsylvanie. Enoutre, il est directeuruniversitaire du USSecurities IndustriesInstitute et membredu comité de conseilde l’Asian SecuritiesIndustry Association.

Jeremy J.Siegel

Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998 IIIL’Art de la Finance

JEREMY J. SIEGEL

Page 4: l’Art de la Finance

Il fut un temps où les analystes de marché estimaientque la durée de détention des actifs n’avait aucuneimportance. Il peut être prouvé mathématiquement quesi les rendements sont aléatoires (c’est-à-dire si lesrendements futurs ne sont en aucune manière condi-tionnés par les rendements passés), la période surlaquelle sont mesurés risque et rendement n’est passignificative. Plus précisément, le risque total et lerendement total augmentent linéairement au cours dela période considérée. Le degré de risque relatif dechaque type d’investissements reste donc inchangé et lalongueur de la période choisie pour mesurer le risqueimporte peu.

En revanche, si le rendement n’est pas aléatoire, lapériode choisie pour mesurer le risque revêt alors uneimportance capitale. L’examen de données relatives aurendement sur une période plus longue fait ressortir desécarts significatifs par rapport à ce qu’indique la théoried’un univers aléatoire. La figure 3 montre l’écart typedu rendement réel moyen annuel sur des périodes de 1,2, 5, 10, 20 et 30 ans pour les actions, les obligations etles bons du trésor. Dans le cas des actions, la diminution

du risque − c’est-à-dire la variation type des rendementsannuels moyens − est presque deux fois plus rapide quel’augmentation de la durée de détention, contrairementà ce que montre la théorie d’un univers aléatoire (le« risque théorique »). Le rendement réel des actionsaffiche clairement une « convergence vers lamoyenne », c’est-à-dire le comportement d’une variablequi tend à se rapprocher de sa valeur moyenne.

A l’inverse des actions, au fur et à mesure del’allongement de la durée de détention, l’écart type durendement réel annuel moyen pour les instruments àtaux fixe baisse moins vite que ne le voudrait la théoriede l’univers aléatoire.

C’est ce que l’on qualifie d’« éloignement de lamoyenne », c’est-à-dire le comportement d’une variablequi tend à s’éloigner de sa valeur moyenne plutôt quede s’en rapprocher, comme c’est le cas pour les actions.Les instruments à taux fixe affichent « un éloignementde la moyenne » car leur rendement réel est influencéde façon décisive par l’inflation, qui se cumule dans letemps.

L’effet cumulatif de l’inflation apparaît clairementsur la figure 4, qui montre le rendement réel total desactions et des instruments à taux fixe aux Etats-Unis etau Royaume-Uni, et des instruments à taux fixe enAllemagne et au Japon. Là, aucune surprise : lesrendements obligataires les plus médiocres correspon-dent aux périodes d’inflation galopante (les années 70pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, l’après-guerre pour le Japon et l’hyperinflation du début desannées 20 en Allemagne).

La théorie financière met en évidence une véritableénigme. A court terme, les actions présentent un degréde risque plus élevé que les obligations, mais moinsélevé à plus long terme. L’allocation optimale des actifsdans un portefeuille ne peut être dissociée de la duréede leur détention par l’investisseur. Dans une optique àlong terme, celui-ci aura donc tout intérêt à privilégierles actions par rapport aux obligations.

l Mesures d’évaluationDe nombreux instruments de mesure servent à

déterminer le degré de sous-évaluation ou de sur-éva-luation d’une action : PER, rendement brut, ratiocours/actif net, ou encore valeur totale des actions parrapport à un agrégat comme le PIB ou le coût deremplacement du capital.

Or le rendement des actions s’étant révélé biensupérieur à ce que prévoyaient les modèles écono-miques, les données historiques sont de peu d’utilitépour déterminer la « juste » valeur des actions. En fait,le rendement supérieur des actions prouve la sous-éva-luation chronique des actions par rapport à leursfondamentaux. Le critère d’évaluation le plus prochedu rendement réel à long terme des actions(6,5 %-7,0 %) est le rendement boursier moyen.

Le rendement boursier est le ratio bénéfices/cours del’action, c’est-à-dire l’inverse du PER. Au cours de lapériode 1871-1997, le rendement boursier médian dumarché américain a été de 7,3 %, soit 0,4 % au-dessusdu rendement réel des actions. En réalité, si le rende-ment boursier avoisine le rendement réel et non lerendement nominal, c’est que le rendement des actionsest lié à la productivité des actifs réels dont la valeurdevrait évoluer à long terme avec le niveau général desprix.

Pour certains analystes, le rendement brut est leprincipal indicateur de la valeur d’une action. Cepen-dant, si l’on se focalise sur les dividendes, on laisse decôté d’autres méthodes qui permettent aux entreprisesde créer de la valeur pour les actionnaires par le biaisdes bénéfices non distribués. Les bénéfices non distri-bués peuvent servir à racheter des actions, réduirel’endettement ou réinvestir dans la croissance, ce quicontribuera à augmenter les bénéfices par action àvenir. Si le rendement que l’entreprise perçoit de sesbénéfices non distribués correspond à ce qu’un épar-gnant individuel peut obtenir, le paiement du dividenden’aura aucune importance.

La valeur d’équilibre des investissements devrait serapprocher du coût de production de ces investisse-ments. Faute de quoi, cela inciterait à investir en capital

et à vendre des actions si le marché était plus haut, ou àacheter des actions et à vendre du capital si le marchéétait plus bas. Ce ratio, dénommé « Tobin’s Q », a étépopularisé par le prix Nobel d’économie James Tobin.

Ce ratio n’est pas entièrement satisfaisant : en effet,de nombreuses raisons expliquent l’écart importantentre la valeur de marché du capital, qui dépend de lacapacité bénéficiaire de la société, et le coût deremplacement de son capital physique.

La valeur d’une entreprise ne s’arrête pas à ses actifscorporels. Des facteurs aussi difficiles à quantifier quela propriété intellectuelle, le savoir-faire managérial etla capacité à configurer le processus de production pourrépondre aux exigences des clients peuvent dépasser lavaleur comptable, même retraitée des variations ducoût de remplacement.

l Evaluations actuellesAu printemps 1997, l’indice S&P 500 se vendait près

de 18,5 fois les bénéfices, soit un niveau sensiblementsupérieur à la moyenne historique (14 environ).

Si le marché haussier que nous connaissions auprintemps 1997 était attribuable en grande partie à unetrès forte hausse bénéficiaire des entreprises, les PER sesont également sensiblement appréciés. La récentehausse des cours sur le marché américain est peut-êtredue à la prise de conscience par les investisseurs durendement supérieur à long terme qu’offre le marchédes actions. Le niveau élevé du rendement des actionssur le long terme traduit probablement la sous-évalua-tion chronique des valeurs par rapport à leurs fonda-mentaux.

La sous-évaluation des actions résulte du manque devision à long terme des investisseurs, qui sur-réagissentaux risques à court terme des actions, sans tenir comptede leur potentiel à long terme, ou qui l’actualisent à untaux trop élevé.

Si les investisseurs surmontent leur peur de lavolatilité à court terme et réagissent par rapport à desdonnées historiques, le cours des actions devrait êtresupérieur et le rendement boursier inférieur à lamoyenne historique. De nombreux observateurs esti-ment que ce revirement de position a joué un rôle dansla hausse récente du marché.

Ce n’est pas la première fois que cette hypothèse aété mise en avant. En 1924, Edgar Lawrence Smith,gestionnaire financier new-yorkais, publiait un ouvrageintitulé « Common Stocks as Long Term Investments »,dans lequel il démontrait la supériorité du rendementdes actions par rapport aux obligations aussi bien dansdes périodes haussières que baissières. En 1929, IrvingFisher, grand économiste américain du début du siècle,remarquait que les conclusions de Smith justifiaient leniveau élevé des cours de l’époque.

Les déclarations de Fisher auraient pu relever de lafolie pure peu de temps après, alors que les courss’effondraient de près de 90 % à la suite de ladésorganisation monétaire accompagnant la crise de1929, mais les analystes ont confirmé l’enthousiasme delongue date de Fisher pour les actions.

Ceux qui ont préféré investir progressivement dansles actions se sont retrouvés dans une position nette-ment supérieure à ceux qui avaient opté pour lesinstruments à taux fixe. Même en prenant comme baseles pics boursiers, le rendement des actions s’est révélésupérieur à celui dont bénéficiaient les détenteursd’instruments à taux fixe. Toutefois, cela ne signifie pasnécessairement que le niveau élevé des valorisationsactuelles persistera, même s’il est justifié par lesdonnées historiques. Des à-coups dans la croissancebénéficiaire ou une hausse des taux d’intérêt pourraientinciter les investisseurs à trouver refuge dans lesinstruments à taux fixe et à court terme. En effet, lapeur pèse bien plus lourd sur le comportement desindividus que les preuves historiques, aussi convain-cantes soient-elles.

Ainsi ne sera-t-on pas surpris de voir le cours desactions retrouver un niveau (par rapport aux bénéfices)plus proche de la moyenne historique ce qui, endéfinitive, est positif pour l’investisseur qui achète etaccumule, dans une optique de long terme, des actions àdes prix très intéressants. l

IV Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998L’Art de la Finance

Indice du rendement total, échelle semi-logarithmique$ 1.000.000

$ 100.000

$ 10.000

$ 1.000

$ 100

$ 10

$ 1

$ 0,1

Actions

Obligations

Bons du Trésor

Or

Dollar

1800 40 60 80 1900 20 40 60 80 90

Actions et obligations américaines sur le long terme

20

Rendement moyen réel des actions en dollar

Etats- Unis

Allemagne Grande- Bretagne

Japon

6,9 % 7,1 % 6,3 % 4,8 %

1802- 1996

1802- 1971

1871- 1925

1926- 1996

Rendement réel (en %)

Actions Obligations Bons du trésor Or Dollar

7,0 4,8 5,1 0,2

–0,1

6,6 3,7 3,2

–0,8 –0,6

6,9 1,9 0,6 0,6

–3,0

6,9 3,4 2,9 0,1

–1,3

100

10

1

0,1

Les actions dans les pays développés

Indices du rendement réel des actions en dollars, échelle semi-logarithmique

1925 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95

Etats-Unis

Grande- Bretagne

Allemagne

Japon

Source: Jeremy J. Siegel

8 %

6 %

4 %

2 %

0

20 %

18 %

16 %

14 %

12 %

10 %

Risque, 1802-1996

1 2 5Durée de détention (en années)

10 20 30

Diminution du risque au fil des années

Obligations réelles

Bons du Trésor réels

Théoriques

Actions réelles

Rendements réels annuels, 1802-1996

Figure 1

Figure 2

Figure 3

1

0,4

0,01

10

100

10.000

1.000

Indices du rendement réel total à l'international

Impact de l'inflation sur les actions et les obligations

Source : Jeremy J. Siegel1800 20 40 60 80 1900 20 6040

Obligations allemandes Obligations japonaises

Obligations américaines

Actions américaines

Figure 4

Actions britanniques

Obligations britanniques

80 95

Page 5: l’Art de la Finance

a mondialisation des économies place lesmarchés financiers dans une position cen-trale et controversée. Leur rôle croissant,au cœur du fonctionnement des écono-mies de marché, limite et contraint l’actiondes gouvernements. Ils suscitent méfianceLet suspicion et chacune de leurs fonctions

principales − valorisation, allocation des ressourcesentre projets et dans le temps, gestion des risques − rendà la fois de précieux services et fait l’objet de vivescritiques. Il est tentant d’essayer de réguler les marchéspour ne conserver que leurs aspects positifs, mais cettequête est illusoire, tant l’ambivalence des marchés est aucœur de leur fonctionnement.

La valorisationLes marchés reposent sur l’échange, et chaque échangedéfinit implicitement une valeur. La liberté des échangesimplique que tout bien susceptible d’être échangé, quece soit un objet de consommation, un service ou un titrefinancier, possède une valeur. Quelle est l’origine decette valeur ? Existe-t-il une valeur réelle, objective,indépendante des marchés ? Les analystes utilisentparfois la notion de « valeur fondamentale » d’uneentreprise, qui se distinguerait de sa valeur de marché. Ilexisterait ainsi une valeur réelle de l’entreprise et lesmarchés n’en donneraient qu’une approximation impré-cise, variable et fluctuante. Le rôle de l’analyste financierserait de découvrir une vérité cachée par l’opacité desmarchés. Cette démarche revient à supposer qu’il existeune valeur objective, antérieure aux prix. Elle nourritbien des critiques à l’encontre des marchés, décritsparfois comme de vastes casinos planétaires où laspéculation engendre de larges fluctuations sans priseavec la réalité. Alan Greenspan, chairman de la Réservefédérale américaine, affirmait ainsi récemment au sujetde la crise asiatique que « le désengagement massif desinvestisseurs et le déclin des monnaies asiatiques n’ont pasde lien avec la réalité ». L’Asie serait prise dans un« cercle vicieux de craintes toujours croissantes et serenforçant ». Il suggère par ailleurs que les sommesmises en jeu par les organismes internationaux tels quele FMI ont du mal à suivre la croissance rapide dusystème financier international.

La théorie micro-économique suppose l’existenced’agents économiques doués d’une capacité de choixantérieure aux marchés et à la formation des prix.L’individu est capable d’évaluer objectivement les bienséconomiques par l’utilité qu’il est susceptible d’enretirer, indépendamment de l’existence de marchés et deprix. Il évalue chaque bien à la mesure de l’utilitémarginale qu’il lui procure et considère par exemple quela consommation d’un verre de vin lui apporte unesatisfaction comparable à la lecture d’un journal. Al’équilibre, les marchés agrègent les choix des individuset le prix d’équilibre du verre de vin est proche de celuidu journal. Cette construction abstraite a permis l’élabo-ration d’une théorie rigoureuse des marchés. Ellemasque néanmoins le caractère fondamentalementauto-référentiel du mécanisme de formation des prix etdes préférences. Dans notre exemple, la faible diffé-rence entre le prix du journal et celui du verre de vininfluence probablement beaucoup le consommateurdans son évaluation subjective des deux objets. Leschoix des acteurs économiques déterminent les prixd’équilibre, mais en retour l’évolution des marchésinfluence leur comportement sans qu’il soit possible dedire qui du marché ou du choix des individus constitue lepoint de départ.

Cette interaction est sans doute à l’origine de l’instabi-lité des marchés et de la volatilité des prix, elle rend

l’étude des marchés et la prévision des prix éminemmentcomplexes. Lorsque l’objet échangé est un titre financierqui promet une séquence de flux futurs, tels que lesdividendes d’une action ou les coupons d’une obligationpar exemple, le comportement des acteurs économiquesdépend de leurs anticipations. Elles-mêmes se fondentsur l’évolution passée des prix. Une expérience réaliséeen guise d’introduction à la finance avec le concours desélèves de première année d’HEC illustre ce phénomène.Lors d’une première séance, un bocal en verre cade-nassé contenant environ deux cents pièces de monnaiecircule dans la classe. Le nombre de pièces est tenusecret et chaque étudiant propose une estimation de cenombre sur un bulletin individuel. La distribution desestimations est très étalée − entre 30 et 500 pièces − maisla moyenne est proche du nombre exact. Un marché àterme portant sur le nombre de pièces est ensuiteorganisé pendant plusieurs séances. A chaque séance, unprix d’équilibre est obtenu lorsque le nombre decontrats achetés et le nombre de contrats vendus sontidentiques. A la dernière séance du jeu, les pièces dubocal sont comptées et ce nombre sert de valeur declôture du marché à terme. Il s’agit d’un jeu à sommenulle où les étudiants spéculent entre eux. Dès lapremière séance d’échange, on constate que la dyna-mique du marché ne correspond pas aux estimationsinitiales des étudiants. De faibles variations de quelquesunités autour du prix d’équilibre engendrent de largesmouvements de vente ou d’achat qui ne peuvent êtreexpliqués par la distribution initiale des estimations.Tout se passe comme si les estimations étaient mainte-nant très resserrées autour du prix d’équilibre. Bienqu’inexact, le prix exerce une forte fascination et laclasse semble convaincue de sa pertinence.

Aucune notion de valeur n’a vraiment de sens sansréférence aux marchés. Il est impossible de définir unevraie valeur des actions des sociétés coréennes sans faireréférence aux anticipations des acteurs économiques.Tant que ceux-ci considéraient la Corée avec optimisme,les entreprises empruntaient à taux faibles sans souci deliquidité. Lorsque leur opinion s’est dégradée, la capa-cité d’emprunt des entreprises s’est détériorée et le prixdes titres a chuté violemment. Quelle est la vraie valeurdes actions coréennes ? Leur prix avant ou après la crise,ou bien un prix intermédiaire ? Doit-on conclure que lachute des cours n’est qu’une turpitude du marché sanslien avec la réalité ? Des entreprises empruntaientpourtant hier de fortes sommes pour financer des projetsbien réels qui s’écroulent aujourd’hui. Les anticipationsont joué un rôle fondamental dans cette crise et il estimpossible de les dissocier de la réalité.

L’allocation du capitalLes marchés financiers permettent de répartir efficace-ment les ressources dans le temps et dans l’espace. Unentrepreneur finance le développement de son activitéen transformant des bénéfices futurs en flux immédiatset un salarié prépare sa retraite en plaçant son épargne.Les marchés jouent le rôle d’arbitre, ils sélectionnent lesprojets les plus rentables et punissent les entreprises nonperformantes en les privant de ressources ou en favori-sant le rachat de leurs actifs par des équipes mieux àmême de les mettre en valeur. Les marchés permettentainsi l’évolution du paysage industriel de nos sociétés.

Une critique courante des marchés considère quel’allocation du capital qui résulte de ce processus n’obéitqu’à des objectifs de rentabilité à court terme, nuisibles àla sphère réelle et productrice de l’économie. Elledénonce la forte volatilité des cours de Bourse, nonjustifiée, selon elle, avec les réalités du terrain. Commele montre l’exemple de la Corée, ces fluctuations sontdans bien des cas le résultat d’une révision des anticipa-tions des acteurs économiques. Ces révisions peuvents’effectuer dans un temps très court mais elles concer-nent aussi bien le futur proche que les perspectives àlong terme des entreprises et de l’économie. Elles sont lefruit d’une analyse continue des flux d’information quiabreuvent les marchés. Nous abordons là un des rôlesmajeurs des marchés financiers : ils agrègent et trans-mettent l’information de sorte qu’à tout moment les prixreflètent toute l’information disponible.

Les acteurs économiques diffèrent dans leur attitudevis-à-vis du risque. Les marchés financiers permettent àchacun de choisir le niveau de risque auquel il désires’exposer. Les marchés financiers peuvent être décritscomme des lieux où s’échangent les risques.

La gestion des risquesUn producteur de matière première peut se protégercontre une baisse des cours en signant un contrat àterme. On dit qu’il couvre son risque car en cas de chutedu prix de la matière première il recevra un montant quicompensera ses pertes. Il paye cette assurance enacceptant d’abandonner tout gain résultant d’une éven-tuelle hausse du prix. Ce producteur a pu signer lecontrat avec un consommateur de la matière premièrequi, à l’opposé, redoute une hausse des cours. Le contratpermet à chacun d’assurer un bénéfice stable, indépen-dant du prix futur. Il prévoit un transfert d’argent entrele consommateur et le producteur dont le sens et lemontant dépendent du prix futur de la matière pre-mière. Ce contrat à terme, parce qu’il met en jeu des fluxqui dépendent du prix d’autres actifs, s’appelle unproduit dérivé.

Les produits dérivés ont connu un essor remarquableces dix dernières années. Ils permettent de couvrir defaçon très fine un nombre croissant de risques. On leurreproche aussi d’être de dangereux instruments spécula-tifs qui déstabilisent les marchés. Le même produit peuten effet être utilisé comme une assurance ou faire l’objetd’un pari selon la position de son utilisateur. Dans notreexemple, si le producteur ne possédait pas de matièrepremière, il prendrait un dangereux pari sur la baisse duprix. Les produits dérivés conduisent à un paradoxe :leur présence permet de couvrir des risques qu’ilscontribuent sans doute à accroître. En favorisant laliquidité des marchés, les spéculateurs rendent possibleune couverture plus précise des risques, mais ils accen-tuent probablement dans le même temps les fluctuationsdes marchés. On retrouve là encore une dynamiqueauto-référentielle. Tout comme pour la notion de valeur,il est impossible de définir le risque dans l’absolu, sansréférence aux marchés et aux anticipations des acteurséconomiques. l

Les marchés financiers :un rôle central et controversé

Les différentes fonctions des marchés suscitent méfiance et suspicion.

Avec la mondialisation des économies, les marchésfinanciers ont acquis un rôle à la fois central etsujet à la critique. Aucune notion de valeur,aucune définition du risque dans l’absolu, n’ont desens sans référence aux marchés et aux anticipa-tions des acteurs économiques. Cette dynamiqueauto-référentielle rend illusoire toute tentative derégulation des marchés.

Résumé

Philippe Henrotte estprofesseur affiliéau Groupe HEC.Diplôméde Polytechniqueet titulaire d’un DEAen financede l’universitéde Paris-Dauphine,il est également titulaired’un PhD en financede la Graduate Schoolof Business, universitéde Stanford.

PhilippeHenrotte

Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998 VL’Art de la Finance

PHILIPPE HENROTTE

Page 6: l’Art de la Finance

Selon la théorie des marchés efficients (Efficient Mar-ket Hypothesis), le cours d’un actif financier à uninstant donné exprime la synthèse de l’ensemble desinformations disponibles sur la valeur de cet actiffinancier à ce moment précis. Par information dispo-nible, on entend l’information dont la valeur est aumoins égale aux coûts encourus pour l’obtenir.Prenons, par exemple, le cours du titre ICI. Selon cettethéorie, il devrait refléter intégralement et en perma-nence non seulement les perspectives générales del’économie britannique et internationale et leur impactsur l’industrie chimique mais aussi, plus particulière-ment, les perspectives d’ICI et de ses activités. Le coursdu titre devrait donc être en permanence équivalent àsa valeur intrinsèque, elle-même étant définie comme lavaleur actuelle de l’ensemble des flux de trésoreriefuturs que l’actionnaire escompte percevoir, l’estimationde ces cash-flows étant censée résulter de l’ensembledes informations disponibles.

Cette théorie a trois importantes implications :l Aucun investisseur ne devrait pouvoir tirer profitd’une information dont il disposerait sur les perspectivesd’un actif financier. Ainsi, aucun investisseur ne devraitpouvoir exploiter une information concernant les pers-pectives d’ICI pour céder ses actions au-dessus de leurvaleur intrinsèque ou acheter des actions ICI à un prixinférieur à cette valeur dans la mesure où, selon cettethéorie, le cours de l’action ICI intègre d’ores et déjàladite information.l En étudiant le cours de l’action, un investisseurdevrait pouvoir en déduire les perspectives d’un actiffinancier ou, autrement dit, déduire du cours de l’actionICI les perspectives du groupe.l Toute fluctuation du cours qui s’écarterait de l’appré-ciation normalement attendue des investisseurs, justifiantqu’ils conservent le titre, serait attribuable à une informa-tion nouvelle, c’est-à-dire réellement inattendue.Cette théorie de l’efficience des marchés est-elle exacteet dans quelle mesure ? En d’autres termes, le cours d’untitre intègre-t-il réellement l’ensemble des informationsdisponibles ?La réponse dépend de la nature des informations suscep-tibles d’être reflétées dans le cours.

La théorie financière retient trois catégories d’informa-tions :l L’information contenue dans l’évolution passée des

cours du titre, notamment celle consistant à savoir si cecours a, par le passé, subit des hausses ou des baisses.l L’ensemble des informations portées à la connais-sance du public (publication de résultats ou annonced’une baisse ou d’une hausse des taux d’intérêt par unebanque centrale par exemple).l Toutes les informations publiques ou strictementconfidentielles (projet d’OPA d’une société X sur lasociété Y, dont seuls sont informés les dirigeants de lasociété lançant l’OPA par exemple).

A partir de ces trois catégories d’informations, on peutdéfinir trois degrés d’efficience des marchés :l Les marchés faiblement efficients : le cours des titrestraités sur de tels marchés reflète l’intégralité del’information contenue dans les cours de Bourse anté-rieurs.l Les marchés modérement efficients : sur ces mar-chés, le cours reflète l’ensemble des informationsdiffusées dans le public − ainsi que les informations surles cours antérieurs.l Les marchés parfaitement efficients : le cours deBourse reflète l’intégralité des informations, qu’ellessoient passées ou présentes, publiques ou confiden-tielles.Examinons maintenant dans quelle mesure ces troisdegrés d’efficience théoriques sont réels. Pour détermi-ner la validité du premier degré (efficience faible), ilsuffit d’étudier si les variations des cours d’une valeurdépendent effectivement de son évolution passée. Si telétait le cas, les investisseurs pourraient systématique-ment prévoir l’évolution future d’un titre à partir de sesévolutions historiques pour acheter ou vendre opportu-nément. A l’évidence, cela ne se vérifie pas.Au contraire, au moins à première vue, les fluctuationsde cours semblent obéir à ce que l’on appelle desmouvements aléatoires, assortis d’un glissement à lahausse.Le concept des mouvements aléatoires, étudié dès ledébut du siècle par le mathématicien français LouisBachelier, définit une succession de variations (varia-tions de prix par exemple) au cours de laquelle chaquemouvement intervient indépendamment des mouve-ments antérieurs ; statistiquement parlant, les rende-ments d’un actif sont indépendants les uns des autres etnormalement distribués.C’est bien le cas des cours de Bourse, dès lors qu’ilsreflètent les facteurs d’appréciation que les investis-

seurs appliquent au titre. Cela implique que l’analysegraphique ou technique des cours de Bourse seraitvaine, car ces méthodes se fondent sur l’histoire de lavaleur pour en anticiper les mouvements futurs.Pour vérifier la validité de l’efficience modérée desmarchés, il suffit d’observer si l’information portée à laconnaissance du public par voie de communiqué finan-cier est intégrée dans le cours instantanément ouseulement au bout d’une période de temps donnée. Sicette dernière hypothèse se vérifiait, les investisseurspourraient profiter de l’intervalle pour anticiper l’évo-lution future d’un titre à partir des informationsrendues publiques et, sur la base de ces prédictions,acheter ou vendre opportunément.Une fois de plus, cela n’est pas le cas. Les étudesmenées sur les fluctuations de cours le jour de lapublication d’un communiqué financier sur les résultatsdémontrent que l’information est répercutée sur lecours le jour même.La vérification de l’efficience parfaite des marchés peutêtre effectuée en analysant dans quelle mesure les« initiés » (dirigeants ou administrateurs) peuventmettre à profit les informations qu’ils sont les seuls àdétenir sur les perspectives de leur société. Dans lesfaits, il semble que ces personnes soient effectivementen mesure d’agir ainsi, ce qui tend à prouver que, si lesmarchés sont bien faiblement et modérément efficients,l’efficience absolue est une illusion. A ceci près toute-fois que si quiconque exploite ces informations privilé-giées qu’il détient pour acheter ou vendre un titreopportunément, le cours en est d’emblée affecté. Lemarché déduit de ces mouvements l’existence d’initiéset réagit en conséquence.Ce constat ne devrait pas nous surprendre. Comme lefait dire Oscar Wilde au principal protagoniste d’« Unmari idéal » : « Toutes les grandes fortunes ont été bâtiessur des informations confidentielles. »L’information publique, par définition accessible à toutle monde, sert naturellement de base aux opérationsboursières sur les marchés modernes où les coûts detransaction sont peu élevés comme au Royaume-Uniou aux Etats-Unis. Selon toute logique, l’informationpublique devrait aisément et rapidement être intégréedans le cours, excluant toute possibilité d’en retirer unréel profit. Pour les informations confidentielles, pardéfinition détenues par une poignée de happy few, ceciest une autre affaire.

Laurent Germain

L’efficience des marchés, indice de la transparence

es dirigeants consacrent de plus en plusde temps aux relations avec le marchéfinancier. Ils y sont contraints par lessollicitations pressantes des investis-seurs professionnels. Plus positivement,on peut penser qu’ils tirent enfin lesLconséquences d’une économie de mar-

ché financier où les investisseurs s’intéressent davan-tage à la valeur des titres qu’aux flux immédiats qu’ilspermettent d’appréhender.

Le concept de valeur occupe donc une placecentrale dans la gestion contemporaine des entre-prises. La valeur est à la fois le signe tangible et lacondition de leur succès stratégique. Elle est détermi-née sur la base des anticipations des investisseurs.Une des tâches essentielles du dirigeant et de sondirecteur financier est donc de façonner ces anticipa-tions afin qu’elles correspondent le plus étroitementpossible à ce que l’entreprise est capable de délivrerdans l’avenir.

Beaucoup éprouvent une frustration face aux« incohérences » des réactions du marché ou unsentiment d’injustice devant la « myopie » des inves-tisseurs. En réalité, la demande de communicationdes investisseurs est beaucoup plus subtile que ne lepensent généralement les entreprises. Pour y ré-

pondre, celles-ci devront développer un véritablemarketing du titre qui va au-delà des stratégieshabituellement adoptées.

L’incertitude de la valeurL’investisseur éprouve de plus en plus de difficultéspour façonner ses anticipations. Deux évolutions seconjuguent pour rendre la notion de valeur pluscomplexe à déterminer : la montée en puissanced’une économie de l’intangible et l’apparition de laloi des rendements croissants. Face aux transforma-tions profondes de l’économie, l’actionnaire ne peutplus se contenter des performances historiques ou desinformations comptables pour prendre ses décisions.Cette situation l’incite à accorder davantage d’atten-tion aux éléments non financiers de l’entreprise.

Nous vivons chaque jour davantage dans uneéconomie de l’intangible. La valeur devient plusvolatile, et sa maîtrise plus incertaine. Cette transfor-mation touche à la fois l’offre, le marché et lesmoyens de production.

L’offre se transforme pour donner naissance à deséchanges complexes comportant du côté de l’ache-

teur comme du vendeur une triple dimension écono-mique, informationnelle et émotionnelle, les deuxdernières étant particulièrement difficiles à valoriser.

Une nouvelle logique économique est égalementen train de prendre forme. Elle privilégie les « straté-gies relationnelles » entre les acteurs économiquesdont les conséquences sont plus difficiles à appréhen-der que les stratégies concurrentielles classiques.

Enfin, la montée de la part de l’intangible dans lecapital économique des entreprises constitue l’unedes transformations qui mettent le plus à mal lesméthodes d’analyse traditionnelles de la valeur. C’estainsi que la valeur de marché de Microsoft est égale àplus de 16 fois sa situation nette. Une part essentiellede valeur de l’entreprise de Bill Gates n’apparaît pasdans ses comptes, elle est ailleurs : elle est dans lecapital intellectuel et humain de la société et lepotentiel de croissance que lui assure sa part demarché.

A cette incertitude de la valeur s’ajoute un degréde complexité supplémentaire. Il est habituel qu’uneévaluation d’entreprise repose essentiellement (de 70à 90 %) sur sa valeur terminale. Pour son calcul, l’onretient généralement le principe conservateur selonlequel la rentabilité d’une entreprise doit nécessaire-ment diminuer jusqu’à ce qu’elle rejoigne celle de son

La gestion des relationsavec les actionnaires

Face à la demande d’informations de la part des investisseurs professionnels,les dirigeants d’entreprise doivent développer un véritable marketing du titre.

Laurent Germainest Visiting ResearchFellow à la LondonBusiness School.Il a notamment pourthème de rechercheles microstructuresde marché.

LaurentGermain

Jean-Florent Rérolleest associé du cabinetErnst & Youngen chargedu Corporate Financeet du « value basedmanagement ».Il enseigne égalementla finance d’entrepriseau Groupe HECet à l’ESCP.

Jean-FlorentRérolle

VI Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998L’Art de la Finance

JEAN-FLORENT RÉROLLE

Page 7: l’Art de la Finance

secteur. Que l’on songe alors à la perplexité del’investisseur qui serait devant une entreprise dontla valeur terminale serait très largement supérieureà 100 % ! C’est pourtant une situation appelée àdevenir plus fréquente dans l’avenir.

En effet, dans une économie d’information mar-quée par la vitesse, les intangibles et la connectivité,il arrive que la loi des rendements décroissants nes’applique plus. C’est particulièrement le cas pourles entreprises de haute technologie. Aussitôtqu’elles parviennent à établir un standard, ellesentrent dans une logique de rendements croissants :si le coût de fabrication d’un logiciel est considé-rable à l’origine, sa reproduction et sa transmissionne coûtent pratiquement rien.

Avec la croissance de la place de l’intangible dansles offres et celles des logiciels dans les produits,cette loi des rendements croissants va s’étendre àbien d’autres secteurs économiques que ceux liés ausecteur informatique.

L’apparition de standards et de rendements crois-sants ne sont pas pour autant une assurance destabilité de la valeur. L’on observe au contraire unphénomène de déplacement rapide de la valeurentre les entreprises d’un même secteur ou entresecteurs. Ce phénomène traduit lui-même la volati-lité des positions concurrentielles.

Même pour les entreprises qui parviennent à créerde la valeur et à s’imposer comme leaders, lesmoyens financiers, commerciaux et intellectuels desconcurrents peuvent bouleverser rapidement la si-tuation. N’oublions pas que la rapidité est aussi l’unedes caractéristiques majeures de la nouvelle écono-mie (l’exemple de l’effondrement récent du titreNetscape est à cet égard très révélateur).

Indicateurs non financiersCes évolutions soulèvent des problèmes redoutablespour les investisseurs ou les analystes financiers quidoivent se prononcer sur la valeur de l’entreprise.L’information financière, surtout lorsqu’elle est pure-ment historique, n’a jamais vraiment été en mesured’éclairer le futur de l’entreprise. Cette difficulté estencore accrue par la transformation de l’économiequi vient d’être décrite. Pour juger de la valeur d’uneentreprise, l’investisseur doit avant tout mesurer lacapacité de cette dernière à créer des avantagescompétitifs à long terme. Il ne peut y parvenir qu’enexaminant des indicateurs non financiers.

L’examen de ce type d’indicateurs par le marchéest cohérent avec les pratiques des entreprises quiconstatent elles-mêmes, de plus en plus, que lerecours à des mesures uniquement financières nepeut les aider à mettre en œuvre leur stratégie.Comme le dit le professeur de finance américainBaruch Lev, soutenir que seuls les actifs tangiblespeuvent être évalués, tandis que les actifs intangiblesne le pourraient pas, c’est soutenir que seules les« choses » peuvent être valorisées et non les « idées ».

Parmi les indicateurs non financiers quels sontceux privilégiés par les investisseurs ? Une étudeconduite récemment par Ernst & Young aux Etats-Unis a montré que les plus déterminants concernentl’exécution de la stratégie (l’entreprise est-elle ca-pable d’appliquer sa stratégie quelle qu’elle soit ?), lacrédibilité du management (il est rare qu’un analystesérieux ne se prononce sur une entreprise sansrencontrer ses principaux managers), la qualité de lastratégie, la capacité d’innovation, la capacité d’atti-rer et de garder les collaborateurs de talent, la part demarché, l’expérience du management, l’alignementdes rémunérations sur la création de valeur, la qualitédes principaux processus de l’entreprise.

Les principaux enseignements de cette étude sontles suivants : en moyenne, 35 % des décisions d’in-vestissement reposent sur des critères non financiers ;les analystes utilisent largement ce type de mesurespour établir leurs recommandations ; la précision deleurs prévisions augmente avec l’utilisation de cesindicateurs ; la nature des mesures non financièresvarie selon les secteurs ; enfin, l’absence de gestionstratégique de ces indicateurs peut affecter négative-ment la performance opérationnelle et la valeur del’entreprise.

Une nouvelle attitudeFace à un actionnariat plus perplexe, mais aussi plusprofessionnel et exigeant, les dirigeants doiventadopter une nouvelle attitude. Tout d’abord, ilimporte de donner une dimension marketing plusforte aux rapports entretenus avec le marché finan-cier. Ensuite, les messages doivent être centrés sur lescapacités d’action et d’exécution stratégiques del’entreprise. Enfin, la communication doit s’exprimeravant tout au travers des actions concrètes engagéespar le management.

Face au marché financier, les dirigeants doiventavoir un comportement identique à celui qu’ilsadoptent sur le marché réel. Ils doivent comprendrequelles sont les attentes de leurs clients-actionnaireset s’attacher la sympathie des prescripteurs que sont

les analystes financiers. Ils doivent analyser lesstratégies actionnariales développées par leursconcurrents afin de déterminer leur propre position-nement. Ils doivent s’organiser pour répondre auxattentes des actionnaires (fabrication d’un produitrisque/rentabilité correspondant aux attentes et émis-sions de messages pertinents). Ils doivent enfinrespecter leurs promesses et informer le marché surla façon dont ils comptent les honorer. Pour re-prendre une expression utilisée par P. Vernimmen, ledirigeant devient un « commerçant de titres finan-ciers ». Le signe du succès stratégique se manifestealors dans la part de marché financier de l’entrepriseau sein de son secteur.

Dans cette démarche marketing, la compréhensiondes attentes des actionnaires est fondamentale.Seules quelques dizaines d’actionnaires comptentréellement. Il est donc possible d’avoir un véritabledialogue avec eux. Il est même possible d’aller plusloin dans la compréhension d’une communautéd’actionnaires. L’étude précitée d’Ernst & Young apermis de mettre au point, grâce à des techniquesstatistiques élaborées, une méthodologie pour réali-ser une véritable analyse de marché afin d’identifierles attentes d’investisseurs à l’égard d’une entrepriseet les comparer avec celles qu’ils ont à l’égard de sesprincipaux concurrents. Il ne viendrait à l’idée depersonne de lancer un produit sans effectuer uneétude de marché. Pourquoi faudrait-il agir différem-ment sur le marché financier ?

La deuxième direction vers laquelle les entreprisesdoivent s’orienter pour mieux gérer les anticipationsde leurs actionnaires consiste à transformer lecontenu de leur communication financière. Il s’agitde transmettre au marché des messages correspon-dant aux problématiques stratégiques de l’entreprise.Les supports destinés à la communauté financière(rapport annuel, interviews, road-shows, communi-qués, etc.) doivent être autant d’occasions de rappe-ler quel est le modèle de développement de l’entre-prise et d’insister sur ses capacités d’exécution et savolonté stratégique à tous les niveaux de l’organisa-tion.

L’exemple de Coca-Cola illustre bien ce point. Laproblématique actionnariale de ce groupe est dejustifier le potentiel de croissance extraordinairecontenu dans son cours. Toute sa politique decommunication vise donc à démontrer que la crois-sance de son produit est « infinie » et qu’elle pourral’exploiter grâce à l’excellence de ses produits et de samarque, à l’intelligence de son marketing, à sapuissance financière et à la qualité de ses décisions.Le rapport annuel est un modèle du genre : ilfourmille d’exemples très convaincants sur les poten-tialités du groupe et sa faculté de les exploiter dansl’avenir. La performance financière est laissée decôté au profit d’indicateurs plus stratégiques etqualitatifs.

Mais au-delà des déclarations, seuls importent lesactes. Il ne s’agit pas de dévoiler des axes stratégiquesconfidentiels, ni de faire des promesses chiffrées enterme de résultats. Il faut montrer que l’on comprendles attentes du marché, expliquer comment oncompte les satisfaire, mais surtout prouver que l’on apris les dispositions nécessaires pour réaliser sespromesses. A cet égard, l’application d’une disciplinede la valeur (« Value Based Management ») consti-tue un outil très puissant pour convaincre le marchéde sa détermination à créer de la valeur à longterme (1).

Beaucoup d’entreprises se méprennent sur lecontenu de cette discipline. Il s’agit bien entendud’introduire dans le contrôle des performances denouvelles mesures plus significatives de la création devaleur. Cependant, là n’est pas l’essentiel. La valeurest créée avant tout par des décisions stratégiques quipermettent de construire des avantages compétitifs àlong terme. La discipline de la valeur consiste donc àoptimiser les processus décisionnels, à donner aux

opérationnels les outils nécessaires à l’exécution de lastratégie, et à les encourager à créer de la valeur àlong terme par des incitations financières appropriées.

La logique du marchéL’entreprise doit exceller sur ses deux marchés : lemarché des biens réels et le marché financier.Négliger l’un ne manquera pas d’avoir des consé-quences dramatiques sur l’autre.

Les entreprises cotées le savent : une valeur demarché forte est une condition de leur croissancefuture et de leur pérennité. Expression d’une positionstratégique, elle offre à l’entreprise qui en bénéficietous les moyens de son expansion. Qu’elle s’affai-blisse, et alors les projets de croissance doivent êtreabandonnés ou différés, avec le risque que desconcurrents plus solides financièrement ne tirentparti de cette situation.

Si le marché est un moyen de contrôle de l’exécu-tion d’une stratégie, il est surtout l’une des conditionsessentielles de sa réussite. Loin de constituer unecontrainte, ce retour du marché doit être considérécomme un atout concurrentiel par les dirigeants quiacceptent d’entrer cette nouvelle logique. Tout letemps consacré par un dirigeant à analyser, com-prendre, échanger et répondre aux investisseurs estessentiel dans la conduite stratégique de son groupe. l

(1) La publication « Business Digest » consacre sonsupplément de mars 1998 à ce sujet. Renseignements au :01.55.46.96.96.

Une nouvelle logique qui privilégie les « stratégiesrelationnelles » entre les acteurs économiques esten train de prendre forme. Celles-ci ont desconséquences plus difficiles à apréhender quecelles des stratégies concurrentielles classiques. Lamontée de la part de l’intangible dans le capitaléconomique des entreprises constitue égalementl’une des transformations qui mettent le plus à malles méthodes d’analyse traditionnelles de la valeur.Pour déterminer cette valeur, les investisseursexaminent la capacité de l’entreprise à créer desavantages compétitifs à long terme et s’appuientainsi sur des indicateurs non financiers. En outre,face à un actionnariat plus exigeant et profession-nel, les dirigeants sont amenés à centrer leurcommunication sur les capacités d’action et d’exé-cution stratégiques de l’entreprise.

Résumé

Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998 VIIL’Art de la Finance

Il est rare qu’un analystefinancier sérieuxne se prononce surune entreprise sansrencontrer sesprincipaux managers.La qualité de la stratégiede l’entreprise,sa capacité d’innovationet celle d’attireret de garderles collaborateursde talent figurent parmiles indicateurs nonfinanciers privilégiésdes investisseurs.

©P

IX/J

ustin

Pum

frey

Page 8: l’Art de la Finance

n investissement sans risque génèreun taux de rentabilité connu surune période future donnée mais,malheureusement, les projets d’in-vestissement sont rarement totale-ment dénués de risques, et cesUrisques doivent être correctement

évalués et pris en compte.Les placements sans risque les plus connus sont

les obligations d’Etat. L’Etat pourra toujours res-pecter ses engagements, parce qu’il a la possibilitéd’imprimer des billets de banque en quantitésuffisante pour couvrir ses dettes au risque, toute-fois, d’entraîner une hausse du taux d’inflation.

Dans certains pays, tels que le Royaume-Uni etles Etats-Unis, l’Etat procède également à l’émis-sion d’obligations indexées, pour lesquelles lesremboursements du principal et les intérêts aug-mentent en fonction de l’inflation.

Le taux de rendement annoncé à l’émission(correspondant au rendement à l’échéance ou« rendement actuariel ») des obligations d’Etat estpublié tous les jours dans « Les Echos », le « Finan-cial Times » ou le « Wall Street Journal ». Cesobligations offrent un taux de rendement garanti

qui est connu à l’avance. Par exemple, un taux derendement actuariel des obligations d’Etat britan-niques avec des échéances allant de 5 à 15 ans del’ordre de 7,6 % correspond pour un investisseurprivé à un taux de rendement net d’impôt légère-ment inférieur à 6 %. Les taux de rendementfaciaux varient avec le temps, ainsi que d’unedevise à une autre et en fonction de l’émetteur.

Des obligations d’Etat britanniques indexéesoffrant un taux de rendement actuariel brut del’ordre de 3,6 % pour les échéances allant jusqu’à2030 correspondent pour un investisseur privé à untaux de rendement net d’impôt d’environ 3 %.Il s’agit du rendement en monnaie constante, àsavoir qu’il ne subit aucune érosion du fait del’inflation.

Un projet d’investissement sans risque devraitgénérer un taux de rentabilité au moins égal autaux d’intérêt des placements sans risque. Ainsi,dans le cas du Royaume-Uni, si les prévisions desflux de trésorerie liés au projet sont établies enmonnaie constante (c’est-à-dire si elles sont corri-gées pour tenir compte de l’inflation), il convientd’appliquer un taux d’actualisation correspondantau taux d’intérêt des placements sans risque inde-xés. Selon la méthode de l’actualisation des flux detrésorerie, le projet devrait être autorisé si la valeurnette actuelle des flux de trésorerie futurs estpositive.

Investissements à risquesQuel taux d’actualisation convient-il d’utiliser dansle cas des projets d’investissement comportant desrisques ? Pour connaître le prix de gros du cuivre,du cacao ou du pétrole brut, il suffit de consulter lescours des matières premières. De façon analogue,pour connaître le prix de gros du capital, il convientde se référer aux cours boursiers.

Pour un projet d’investissement, tel que laconstruction d’une centrale électrique, le taux derentabilité exigé est déterminé par comparaison àcelui qui serait obtenu si un montant équivalentétait placé en Bourse. Pour cela, il est nécessaired’étudier la signification du risque de marchéactions.

La figure 1 présente la fourchette des taux derendement (plus ou moins-values + dividendesréinvestis) observés sur les marchés boursiers amé-ricains depuis 1926.

Des taux de l’ordre de 10 % à 20 % ont été les

plus courants, mais des taux de 30 % à 40 % sontloin d’être rares et des rendements négatifs ontégalement été assez fréquents. La figure présenteles années au cours desquelles différents niveaux derendement ont été obtenus. Elle permet de consta-ter que les cours boursiers aux États-Unis ont chutéde plus de 40 % en 1931 et qu’ils ont progressé deplus de 50 % en 1933 et 1954.

Alors qu’un placement en actions comporte unniveau de risque assez important, les bons duTrésor (qui sont similaires aux obligations d’Etatmais avec une échéance de moins d’un an) sontpratiquement sans risque. Un histogramme retra-çant les taux de rendement des bons du Trésorpermettrait de constater que ces derniers offrent defaçon quasi permanente un taux de rendementcompris entre 0 % et 10 %. Les taux les plus élevésont été observés au début des années 80, lorsque lesbons du Trésor offraient un rendement d’un peuplus de 10 %. Le taux de rendement d’un bon duTrésor étant connu lors de l’achat, il est parfoisdésigné comme étant le taux d’intérêt de référenced’un placement sans risque.

Les investisseurs n’aiment pas être exposés à desrisques, à moins d’être rémunérés en conséquence.Il est donc intéressant de comparer le taux derendement des actions, qui par définition représen-tent un placement à risque, avec le taux d’intérêtd’un placement sans risque. L’écart entre ces deuxtaux de rendement est appelé « le rendementexcédentaire » ou « la prime de marché ». Il permetde mesurer le rendement supplémentaire générépar un placement en actions par rapport à unplacement en bons du Trésor. Si, en moyenne, lerendement excédentaire est positif, cela signifieque les investisseurs perçoivent une prime encontrepartie de leur exposition au risque de marchéactions.

La figure 2 présente les primes de marché(exprimées en moyenne arithmétique et en mon-naie constante) observées au Royaume-Uni sur despériodes glissantes de 20 ans pour 1938 et jusqu’en1996.

Sur la période de 1919 à nos jours, la prime demarché actions moyenne au Royaume-Uni a étéd’environ 8 à 9 points de pourcentage par an. Selonle cabinet Ibbotson Associates, la prime de marchémoyenne observée aux Etats-Unis depuis 1926 aégalement été de 8 à 9 points et des chiffressimilaires ont été constatés dans d’autres pays. Cesdonnées peuvent être utilisées comme indicateursdes performances futures, à condition d’être ma-niées avec précaution.

Projets d’investissement :pensez au bêta

Les investisseurs n’aiment pas être exposés aux risques, sauf à être rémunérés en conséquence.Pour estimer le taux de rentabilité d’un investissement, il faut déterminer le bêta du projet.

Trois informations sont nécessaires pour calculer letaux de rendement exigé en utilisant le CAPM :− le taux d’intérêt des titres d’Etat, considéré commele taux d’intérêt de référence d’un placement sansrisque ;− le bêta du projet (1) ;− la prime de risque du marché actions, qui s’esthistoriquement située autour de 8 % en moyenne.En retenant un taux d’intérêt réel de 3 % et un projetayant un bêta de 0,6, le taux de rentabilité exigé seraitde 7,8 % (soit 3 + 0,6 x 8 %). Si le bêta était de 1,0, letaux de rentabilité exigé serait de 11 % (soit 3 + 1,0 x8 %).La plupart des projets comportent un niveau de risquequi est différent du bêta des actions de l’entreprise.Cela s’explique notamment par le fait que les entre-prises ont généralement recours aux emprunts pourassurer une partie de leurs besoins de financement, cequi augmente le niveau de risque associé à leursactions. Afin d’évaluer le niveau de risque associé à unprojet d’investissement, il est donc nécessaire derecalculer le bêta des actions de l’entreprise en élimi-nant l’impact de l’endettement. Le bêta de l’activité del’entreprise correspond à la moyenne pondérée du

bêta des actions et du bêta de l’endettement, chaquebêta étant pondéré en fonction de la quote-part defonds propres et de dette au sein des capitaux perma-nents. Si l’on retient comme hypothèse que le niveaude risque attaché aux dettes de l’entreprise est extrê-mement faible, se traduisant par un bêta proche dezéro, le bêta de l’activité est égal au bêta des actionsmultiplié par la quote-part de fonds propres (expriméen valeur de marché) au sein des capitaux permanents.Prenons l’exemple d’une entreprise dont les actionsont un bêta de 0,6 et dont les capitaux permanentssont composés à hauteur de 83 % de fonds propres età hauteur de 17 % de dettes. Le bêta de l’activité seraégal au bêta des actions multiplié par le pourcentagede fonds propres sur le total des capitaux permanents,soit 0,5 (0,6 x 0,83). Ce bêta de 0,5 est appelé « bêtades actifs ». Pour estimer le coût des fonds propres del’entreprise, il convient d’utiliser le bêta des actions,mais pour évaluer le coût du capital de l’activitésous-jacente, le bêta des actifs doit être retenu.

(1) Le bêta du projet peut être déterminé en fonctiond’informations fournies, par exemple, par le serviced’évaluation des risques de la London Business School.

L’utilisation du CAPM

VIII Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998L’Art de la Finance

ELROY DIMSON

Source : Barclays de Zoete Wedd, LondresPériode de 20 ans se terminant le 31 décembre

14

12

10

8

6

4

2

0

1940 45 50 55 60 65 70 8075 85 90 96

Histogramme des taux de rendement des actions d'entreprises américaines

Taux de rendement

Figure 1

Figure 2

– 40 – 30 – 20 – 10 0 10 20 30 40 50 60– 50

1973

1966

1957

1941

1974

193019371931 1942192619471929 193319281927

1943194419481932 195419351936

1951194919561934 19581938

1961195219601939 1945

1963195919701940 1950

1967196419781946 1955

1976196519841953 1975

198219681962 1980

1983197119921969 1985

197219931977 19891996

197919941981 1991

19861990

1988

1987

1995

Primes de risque actions au Royaume-UniMoyenne arithmétique de la prime de risque en % selon une échelle semi-logarythmique, 1938-1996

1926-1996

Source : Ibbotson Associates, Chicago

Page 9: l’Art de la Finance

L’Art de la FinanceSi vous souhaitez recevoir la collection complète de l’Art de la Finance (12 numé-ros par collection), merci de remplir le coupon ci-dessous, ou sa photocopie, et de leretourner, accompagné impérativement de votre règlement par chèque à l’ordre desEchos, à l’adresse suivante :

Les Echos - Service Abonnements, 60732 Sainte-Geneviève Cedex

Les numéros déjà parus vous seront envoyés à réception de votre commande réglée.Ensuite vous recevrez vos numéros chaque semaine, et ce jusqu’au numéro 12.Nombre total de collections demandées : x 120 F TTC, soitJe désire une facture acquittée ❒

NOM : Prénom :Adresse d’expédition :

Code postal : Ville :Téléphone :

- ATTENTION Date limite de commande : 26 juin 1998 -

Pour les projets sans risque, donc, les flux detrésorerie devraient être actualisés en retenant letaux d’intérêt des placements sans risque. Si l’onconsidère que la prime de risque exigée à l’avenirsera similaire à la prime moyenne observée par lepassé pour les projets dont le niveau de risque estéquivalent à celui d’un placement en actions, letaux d’actualisation appliqué aux flux de trésoreriedevrait être égal au taux d’intérêt sans risquemajoré de 8 points (par exemple). Selon la mêmelogique, pour les projets comportant un niveau derisque intermédiaire, un taux d’actualisation inter-médiaire doit être utilisé.

Modèle de valorisationAfin de mettre en œuvre cette approche, il estnécessaire de convenir de la méthode à utiliserpour évaluer le niveau de risque représenté par uninvestissement. Cela aurait été difficile avant lesannées 60, décennie au cours de laquelle la théoriefinancière a considérablement progressé.

En effet, au début des années 60, en se basant surles travaux de Harry Markowitz et James Tobin,Bill Sharpe a mis au point le Capital Asset PricingModel (CAPM), un modèle simple mais perfor-mant permettant d’établir une corrélation entre lerendement attendu d’un actif et le risque corres-pondant, tout en définissant de façon précise à quoicorrespond le risque.

Le CAPM repose sur un principe fondamental, àsavoir que les investisseurs peuvent s’attendre àêtre rémunérés pour la part du risque associé auportefeuille qu’ils doivent assumer en contrepartiede leur placement. En revanche, ils ne peuvent pasespérer une telle rémunération, au titre de leurexposition aux risques, si celle-ci a été atténuée aumoyen d’une diversification des valeurs détenuesdans le portefeuille. Ainsi, le taux de rendementexigé sera plus élevé pour les placements compor-tant une part plus importante de risques nonsusceptibles d’être diversifiés.

Deux types de risquesUn portefeuille composé de titres d’un seul émet-teur sera nettement plus volatil qu’un portefeuillediversifié. La détention d’un nombre important detitres diversifiés permettra donc aux investisseursd’éliminer les risques spécifiques à une entreprise.Cependant, la diversification connaît des limites entant que technique de maîtrise des risques. Ensupposant que l’investisseur détienne des titres detoutes les entreprises cotées en Bourse, le porte-feuille continuera néanmoins de comporter unniveau de risque assez élevé. Ainsi, la diversifica-tion permet d’éliminer les risques spécifiques à uneentreprise mais non le risque de marché actions.

Le cours d’une action fluctue sous l’influence dedeux facteurs de risque. Le premier est le risque demarché actions, qui est dû au fait que le cours d’uneaction a tendance à suivre le mouvement généralobservé sur le marché. Le second est le risquespécifique, correspondant à l’ensemble des événe-ments qui sont propres à une entreprise donnée etsans lien avec les facteurs ayant un impact sur lemarché boursier dans son ensemble.

Les investisseurs n’aiment pas prendre derisque et n’en prendront pas à moins d’êtrerémunérés en conséquence. Devant l’impossibi-

lité d’éliminer le risque de marché en diversifiantleur portefeuille, ils exigent donc un taux derendement plus élevé sur leurs placements enactions. Dans le CAPM, le risque de marchéactions est représenté par le bêta.

Le cours d’une action ayant un bêta de 1,0 atendance à suivre les fluctuations du marché.Pour une action ayant un bêta de 1,5, le coursaugmentera ou baissera de 1,5 point à chaquefluctuation d’un point observée sur le marchédans son ensemble.

La figure 3 présente les bêtas déterminés récem-ment pour un échantillon d’entreprises très connues.Certaines de ces entreprises ont un bêta de 1,5 voireplus et constituent des placements boursiers offensifs.Si le marché est en hausse, les cours de ces actionsaugmenteront encore plus vite et si le marché baisse,ils enregistreront une chute encore plus forte.D’autres entreprises ont un bêta de 0,5 voire moins etconstituent des placements défensifs. Leurs coursdevraient bien se comporter dans un marché baissier,mais dans un marché en hausse leur potentielhaussier sera moins important. La plupart des entre-prises de l’échantillon ont toutefois un bêta prochede la moyenne, soit 1,0.

Taux de rendement exigéPour estimer le taux de rentabilité exigé d’uninvestissement, il est nécessaire de déterminer lebêta du projet. La tâche sera plus facile si le projet

Le coût du capital exprime un coût d’opportunité. Ilcorrespond au taux de rendement susceptible d’êtreobtenu si un montant équivalent avait été placé enBourse dans des titres comportant un niveau de risquesimilaire à celui du projet et dont l’échéance estcomparable à la durée du projet. Selon la théoriefinancière, il existe quatre approches possibles del’évaluation du coût du capital :1. − Le modèle de valorisation des actifs financiers(CAPM). Malgré des critiques récentes, il reste l’outille plus couramment utilisé pour déterminer le coût ducapital.2. − Le modèle de valorisation des opérations d’arbi-trage, un « concurrent » du CAPM élaboré au coursdes années 70. Comme il est expliqué dans l’articlerédigé par Massoud Mussavian (qui sera publié pro-chainement dans L’Art de la Finance), ce modèle peutêtre considéré comme une version plus complète duCAPM, intégrant de multiples sources de risque et derendement.3. − Le modèle de valorisation des options, égalementmis au point au cours des années 70. Cette approcheest parfois suivie pour évaluer des projets d’investisse-ment dont certaines caractéristiques sont similaires àcelles des options.4. − Le modèle fondé sur la croissance des dividendes,créé au cours des années 30 et qui a été assezcouramment utilisé au cours des années 50. Ce modèleprésente l’inconvénient de reposer sur une hypothèsede croissance continue des dividendes. En outre, il netient pas compte du niveau de risque attaché àl’investissement.

Certaines entreprises utilisent des approches comptablespour évaluer le coût du capital. Parmi ces méthodes, quiprésentent de graves faiblesses, on peut citer :1. − La méthode de la capitalisation des dividendes, quia tendance à conduire à une sous-évaluation du coût ducapital car elle ne tient pas compte des plus-valuesattendues par les investisseurs.

2. − La méthode fondée sur le ratio cours/bénéfice, ouson corollaire, le taux de rendement des bénéfices,méthode qui ne tient pas compte de la croissanceattendue des résultats de l’entreprise.3. − Le taux de rentabilité des capitaux investis. Cer-taines entreprises utilisent cette approche mais il estpeu réaliste d’évaluer un faible coût du capital simple-ment parce que l’activité présente un faible taux derendement « comptable ».4. − Le taux de rentabilité des projets marginaux.Certaines entreprises classent les projets en fonctionde leur taux de rentabilité, donnant le feu vert à ceuxoffrant le taux le plus élevé.Or, cela les ramène au point de départ, parce qu’il estnécessaire de connaître le coût du capital pour pou-voir procéder ensuite à un classement fiable desprojets.5. − Le coût de financement. Si les projets sontévalués en fonction du taux d’intérêt payé par l’entre-prise sur ses emprunts, le taux d’actualisation ne tientpas compte du risque total attaché à l’investissement.6. − Le rendement historique des actions de l’entre-prise. L’utilisation du taux de rendement historiquedes actions, calculé sur une longue période, pourobtenir une indication du coût du capital, revient àsupposer que moins l’entreprise est performante, plusson coût moyen pondéré du capital sera faible. Ce quiest erroné.

De nombreuses entreprises continuent d’utiliser desméthodes inadaptées pour déterminer le coût moyenpondéré du capital, mais les sociétés qui ont mis enplace des systèmes de gestion performants ont ten-dance à choisir le CAPM.Le modèle de valorisation des opérations d’arbitrageest souvent utilisé aux Etats-Unis par les sociétésfournissant des services d’utilité publique (les « utili-ties »), et le modèle de valorisation des options estparfois retenu pour l’évaluation de projets relatifs auxressources naturelles, tels que les mines.

Coût du capital : autres approches possibles

Elroy Dimson estprofesseur de financeet chercheur surles techniquesde placementprudentielles. AvecPaul Marsh, il animele service d’évaluationdes risquesde la London BusinessSchool.

ElroyDimson

Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998 IXL’Art de la Finance

Bêta estimé

Figure 3

Figure 4

Estimations récentes des bêtas d'un échantillon d'entreprises britaniques

Source : London Business School, Risk Measurement Service, 1997

20 %

15 %

10 %

5 %

0

Taux de rendement exigé

x

xCoût moyen pondéré du capital

Coût du capital ajusté d'un facteur de risque

A

B

Bêta0.5 2.01.51.00

0 0,50�

1,00 1,500,25�

0,75 1.,5 1.75

Estimation du coût du capital à l'aide du CAPM

HSBC

Lucas Varity

Royal & Sun Alliance

British Sky Broadcasting

Reuters

Guinness

Cadbury-Schweppes

British Telecom

Barratt Developments

Glaxo Wellcome

Manchester United

Page 10: l’Art de la Finance

omment évalue-t-on les actions d’uneentreprise ? A cette question, il esttraditionnel de répondre en distin-guant deux types de méthodes :

− celles qui reposent sur une valori-sation des différents éléments du patri-Cmoine, dont il convient de retrancher

la valeur des dettes contractées ;− celles qui reposent sur une valorisation de ce que

l’entreprise rapportera à ses actionnaires dans lefutur.

Les calculs d’une valeur de rentabilité et d’unevaleur patrimoniale font souvent apparaître unedifférence. Dans son principe, l’origine de celle-ci estrelativement simple à expliquer. En effet, la valeurdes différents éléments du patrimoine est elle aussiune valeur de rentabilité : il s’agit de la rentabilité quipeut être obtenue dans le cadre d’un usage « nor-mal » des biens en question. Lorsque le calcul d’unevaleur de rentabilité des actions fait apparaître unevaleur différente de la valeur patrimoniale, c’est quel’entreprise dispose d’un savoir-faire spécifique quilui permet, en combinant les différents éléments deson patrimoine, d’avoir accès à une rentabilité supé-rieure à la « normale ». Bien entendu, ce savoir-faire

spécifique, engendrant un « avantage compétitif »,peut varier en fonction des opérateurs potentiels del’entreprise, des opportunités auxquelles ils ont ac-cès, et des synergies qu’ils peuvent mettre en œuvre :c’est ce qui explique qu’une même méthode peutaboutir à des valorisations différentes selon l’opéra-teur retenu, et que, grâce à une recomposition de lafaçon dont sont utilisés les éléments du patrimoine, letransfert d’un opérateur à un autre puisse engendrerune création de valeur.

Il est bien naturel que la valeur de rentabilitéassociée aux actions d’une entreprise puisse varier enfonction de la qualité de l’opérateur. Il est pluspréoccupant de constater que de nombreuses mé-thodes existent pour estimer cette valeur de rentabi-lité, et que ces méthodes aboutissent souvent à desrésultats relativement éloignés les uns des autres.Face à cette diversité des évaluations obtenues, il estfréquent que l’on calcule une moyenne. Selon quel’on défend l’intérêt de l’acheteur ou du vendeur, onsera même parfois tenté de retenir, parmi les mé-thodes concourant au calcul de la moyenne en

question, celles qui minorent ou majorent, selon lecas, la valeur attribuée aux actions.

Même lorsqu’il n’est pas « orienté » en fonction durésultat souhaité, le calcul d’une moyenne est contes-table dans son principe : en effet, les différences devalorisation obtenues proviennent d’hypothèses im-plicites différentes, quant à l’ampleur de l’avantagecompétitif. Certaines méthodes, plus que d’autres,permettent d’expliciter les hypothèses en question et,de ce fait, facilitent une réflexion sur les origines et ladurabilité de l’avantage éventuel. Elles nous parais-sent de ce fait plus appropriées que les méthodestraditionnelles.

Modes de calcul usuelsLa « mère de toutes les méthodes » de calcul d’unevaleur de rentabilité repose sur l’actualisation, enfonction des exigences de rentabilité des actionnaires(k), des flux de liquidités espérés par ces derniers : lesdividendes attendus (Dt), ainsi que le prix auquel lesactionnaires peuvent raisonnablement espérer re-vendre les actions détenues (VT) (voir le « modèlegénéral » dans le tableau ci-dessous). Les méthodespermettant d’évaluer l’ordre de grandeur de la renta-

bilité exigée par les actionnaires sont bien connues.

Méthodes d’évaluation :la recherche de cohérence

L’évaluation d’une entreprise nécessite une réflexion sur les sources de la créationde valeur. Le dialogue entre financiers et stratèges doit être encouragé.

Antoine Hyafil estprofesseur de financeau Groupe HECet ancien doyende la faculté.Il a commencé sacarrière dans la banqueavant d’embrasser unecarrière académique.Ses travaux concernentla « corporate finance »et la « corporategovernance ».

AntoineHyafil

correspond à la création d’une activité globale-ment identique à celle menée déjà par l’entreprise,mais à une plus petite échelle. Elle sera égalementplus aisée si le projet est du même type que ceuxréalisés dans le secteur d’activité concerné et pourlesquels des bêtas sont déjà disponibles.

Un projet d’investissement ayant un bêta de 0ne comporterait pas de risque et les flux detrésorerie devraient donc être actualisés en fonc-tion du taux d’intérêt des placements sans risque.Un placement dans un fonds composé d’instru-ments ayant pour actif sous-jacent des indicesboursiers comporterait le même risque qu’unplacement direct en Bourse, soit un bêta de 1,0.

Le taux de rendement exigé d’un tel placementserait égal au taux d’intérêt des placements sansrisque majoré de la prime de marché actionsattendue.

Prenons le cas d’un projet de construction d’unecentrale électrique dont le bêta est estimé à 0,6.Ce dernier est égal au bêta d’un portefeuille placéà hauteur de 40 % dans des bons du Trésor et àhauteur de 60 % dans des actions.

Selon le CAPM, le taux de rentabilité exigédevrait donc être égal au taux de rendement desbons du Trésor auquel s’ajoutent 60 % de la primede marché actions.

En règle générale, selon le CAPM, le taux derentabilité exigé d’un investissement est égal autaux d’intérêt d’un placement sans risque majoréd’une prime de risque. La prime de risque estégale au bêta multiplié par la prime de marchéactions.

La plupart des projets comportent un niveau derisque qui est différent du bêta des actions del’entreprise. En conséquence, l’utilisation dumême taux d’actualisation pour tous les projetsréalisés par l’entreprise peut conduire à desdécisions d’investissement inappropriées.

La corrélation entre le taux de rendement exigéet le bêta est reproduite dans la figure 4 (pageprécédente) par la courbe intitulée « Coût du capitalajusté d’un facteur de risque ». La figure permet deconstater que le taux de rendement exigé augmenteau fur et à mesure de l’augmentation du bêta (lireen page VIII « L’utilisation du CAPM »).

Risque lié au projetCertaines entreprises utilisent le même taux d’ac-tualisation pour tous les projets, malgré le faitqu’elles excercent des activités qui présentent desrisques très différents. Une telle pratique peutconduire à des décisions d’investissement inap-propriées.

La figure 4 explique pourquoi. La courbemontante, exprimant le coût du capital ajustéd’un facteur de risque, représente la relationentre le taux de rendement exigé et les différentsniveaux de bêta qui peuvent être attribués à unprojet. Les projets dont le taux de rendementattendu se situe au-dessus de cette courbe de-vraient être autorisés et ceux dont le taux estplacé en dessous de la courbe devraient êtreabandonnés.

Un projet à haut risque, tel que le Projet A,serait autorisé à tort par une entreprise qui utiliseun seul taux d’actualisation quel que soit leprojet. En effet, si son taux de rendement attenduétait ajusté pour tenir compte des risques, il seraitrejeté. De même, un projet à faible risque, tel quele Projet B, serait rejeté à tort si sa rentabilitéétait évaluée en fonction du coût global du capitalde l’entreprise, alors qu’il aurait été autorisé si sarentabilité attendue avait été corrigée pour tenircompte des risques.

Il existe d’autres méthodes d’évaluation du« coût du capital ajusté d’un facteur de risque »,mais le CAPM continue d’être très largement

utilisé dans le cadre de l’évaluation des entre-prises et des projets, ainsi qu’à des fins réglemen-taires.

Ainsi, le coût du capital peut être évalué enappliquant le modèle de valorisation des opéra-tions d’arbitrage, le modèle de valorisation desoptions ou celui fondé sur la croissance desdividendes. Mais l’approche basée sur le CAPMest celle qui est la plus couramment employée. l

Les marchés boursiers peuvent fournir une évalua-tion du risque et permettent d’identifier le taux derentabilité attendu d’un nouveau projet d’investis-sement. Le « Capital Asset Pricing Model »(CAPM) constitue un outil couramment utilisépour établir une corrélation entre le rendementattendu d’un actif et le risque correspondant, touten définissant de façon précise à quoi correspondle risque. Il convient de différencier les risquesspécifiques à l’entreprise de ceux liés au marchéboursier dans son ensemble. Grâce au bêta, lesinvestisseurs peuvent évaluer les risques liés aumarché boursier et ainsi adapter leurs portefeuillesen fonction de la stratégie retenue, qu’elle soitoffensive ou défensive. Globalement, le CAPMpose comme hypothèse que le taux de rendementexigé d’un placement est égal au taux d’intérêt desplacements sans risque majoré d’une prime derisque, ladite prime étant égale au bêta multipliépar la prime pour risque de marché actions. Lesentreprises sont mises en garde contre l’utilisationd’un seul taux d’actualisation pour tous les projetsd’investissement quelle que soit leur nature, cettepratique pouvant conduire à des décisions d’inves-tissement inappropriées.

Résumé

X Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998L’Art de la Finance

ANTOINE HYAFIL

Tableau no 2

Les modèles d'évaluation

Modèle général V0 = ∑ Dt / (1 + k)t + VT / (1 + k)T

Modèle simplifié V0 = D1 / (k – g) avec g < kModèle de croissance V0 = D1 / (k – g) = dBPA 1 / (k – g), avec g = ROE.(1 – d)Modèle de Bates PERT + 1 = A*.PER1 – d.B*, avec A* = (1 + k)T / (1 + g)T et B* = { A*.[1 – (1 / A*)] / (k – g) }Modèle des EVA périodiques

Modèle des différences d'EVA

V0 = K0 + ∑ EVAt / (1 + k)t + { EVAT / (1 + k)T [k – g] }

Ce modèle implique que les capitaux engagés restent stables au cours du temps, et que la source unique d'une variation des EVA se situe dans l'évolution des rentabilités attendues.

V0 = K0 + EVA0 / k + ∑∂EVAp / k.(1 + k)p, chaque p, exprimé en années, correspondant au début d'une période de stabilité de l'EVA.

Tableau no 1

La signification des symbolesB = bénéfice prévisionnel ;K = valeur comptable des actions au début de l'exercice ; ROE = B/K = rentabilité anticipée par les actionnaires ; g = taux de croissance des bénéfices ;d = taux de distribution ; V(K) = valeur de marché des actions ;k = rentabilité exigée par les actionnaires ; PER = V(K)/B = V(K)/(ROE.K) = rapport cours/bénéfice prévisionnel ; PBR = V(K)/K = « Price/Book Ratio » ; EVA = (ROE-k).K = « Economic Value Added » = création de valeur au cours de l'exercice.

Page 11: l’Art de la Finance

Tout au plus peut-on rappeler que les risquesauxquels sont exposés les actionnaires d’unemoyenne entreprise non cotée ne peuvent êtrediversifiés aussi facilement que lorsqu’il s’agit d’uneentreprise cotée, ce qui doit forcément être pris encompte dans la détermination des exigences derentabilité (pour parler jargon, l’utilisation d’un« bêta » est fortement sujette à caution). Lorsquel’horizon retenu pour l’investissement en actionsn’est pas trop éloigné, l’évaluation de la chaîne desdividendes espérés ne pose pas de difficultés insur-montables.

Plus problématique, en revanche, est la circularitéinduite par le fait que le modèle déduit le prix del’action aujourd’hui d’un hypothétique prix derevente futur : cela n’empêche pas ce modèle d’êtretrès largement utilisé, la valeur de revente étantestimée à partir d’hypothèses, souvent contestables,sur le rapport cours/bénéfice (PER).

Si l’on veut sortir de la circularité et des hypo-thèses ad hoc sur le PER, deux voies sont suscep-tibles d’être empruntées. La première consiste àsupposer que l’horizon de détention d’un investis-seur « représentatif » est infini (un investisseur quivend est remplacé par un autre), et à faire deshypothèses simplificatrices concernant le taux decroissance des résultats (g) et le taux de distribution(d). L’hypothèse la plus hardie consiste à imaginerces deux taux constants à l’infini (« modèle simpli-fié »). Une variante plus réaliste consiste à découperle futur en sous-périodes, à faire des hypothèses surle niveau (supposé constant) de ces taux au cours dechaque sous-période (« modèle de Bates »).

Cette approche n’est pas non plus très satisfai-sante : les facteurs concourant à la croissance desrésultats ne sont pas explicités, et il peut y avoirincohérence entre les hypothèses de croissance etles hypothèses de distribution.

Dans le droit fil des modèles précédents, et pouréviter les incohérences, il est fréquent de s’appuyersur l’hypothèse que la croissance des résultats estfortement corrélée à la capacité d’investir au-delàde ce qu’exigerait le simple renouvellement del’outil de production. Incorporée aux modèles pré-cédents, et sous réserve de quelques hypothèsescomplémentaires quant au recours aux capitauxexternes, cette approche fait apparaître le rôlecentral de la rentabilité attendue sur les capitauxpropres, ou « return on equity » (ROE = B/K), dansla formulation des hypothèses de croissance : g =ROE.(1-d).

Cette relation est valable, en dehors d’un recoursexceptionnel à des augmentations de capital, oud’une croissance disproportionnée de l’endette-ment, que l’on raisonne sur un horizon infini (« mo-dèle de croissance »), ou que l’on découpe le futuren sous-périodes. Il n’est pourtant pas rare enpratique de voir des évaluations dans lesquelles leshypothèses de croissance sont incohérentes avec unniveau raisonnable de la rentabilité prévisionnelledes capitaux propres.

La vertu du « modèle de croissance » est qu’iloblige à une réflexion sur les rentabilités attendues.Parce qu’il suppose un horizon infini, les conditionsdans lesquelles il peut être mis en œuvre de façonopérationelle sont rarement réunies. Il permetcependant d’éclairer le recours à certains outils :

− en reliant la notion de PER au modèle devalorisation par les dividendes : PER = d/(k-g).Compte tenu de ce que g = ROE.(1-d), ce n’est quelorsque la rentabilité attendue (ROE) est supé-rieure à la rentabilité exigée (k) que le PER estsupérieur au ratio 1/k ;

− en reliant la notion de PBR (« Price/BookRatio »), parfois utilisée par les praticiens, à celled’avantage compétitif : il est facile de montrer quePBR = 1+(ROE-k)/(k-g) ;

− ou encore en introduisant dans les techniquesde valorisation, la notion d’EVA™ : EVA = (ROE-k).K, c’est-à-dire la mesure, en francs, de la créationde valeur réalisée au cours de la période (1). Ladifférence entre la valeur de marché et la valeurcomptable des actions est égale aux EVA actuali-sées : V(K) = K + EVA/(k-g).

Les surcroîts de rentabilitéLes trois développements du modèle de croissancedécrits ci-dessus ont une caractéristique commune :ils mettent en évidence le fait qu’il n’y a « créationde valeur pour les actionnaires », reflétée dans lavaleur de marché des actions, que lorsque larentabilité engendrée est supérieure à la rentabilitéexigée. Ils obligent à s’interroger sur la nature del’avantage compétitif qui permet d’envisager de tels« superbénéfices », ainsi que sur sa solidité. Enfin,mais cela implique de lever l’hypothèse liée àl’adoption d’un horizon infini, ils obligent à s’inter-roger sur la durabilité de cet avantage.

Certaines méthodes utilisées pour le calcul d’unGoodwill sont très proches d’une valorisation desEVA, sur un horizon plus ou moins limité. Làencore, cependant, ces méthodes ne prennent encompte que de façon implicite la durabilité del’avantage compétitif. Le « modèle de valorisationdes EVA périodiques » permet une quantificationannée après année, sur un horizon correspondant àla durée de cet avantage : il repose sur uneestimation des résultats engendrés et des capitauxemployés sur l’horizon retenu, sur l’actualisationdes surcroîts de rentabilité prévisionnels, et sur laprise en compte éventuelle d’une valeur résiduelle.Certes, avec un horizon de prévision correspondantà la durée de l’avantage compétitif, cette dernièredevrait normalement être nulle ; parce que, au fildu temps, l’entreprise a investi dans des actifsincorporels qui ne sont pas comptabilisés, la valeurcomptable des capitaux propres est cependantsouvent sous-estimée : il est donc habituel deconsidérer que perdurera un certain décalage entrerentabilité engendrée et rentabilité exigée, qui peutêtre valorisé en utilisant les techniques habituellesd’actualisation d’une rente perpétuelle.

Une variante du modèle précédent consiste àdécouper le futur, comme dans le modèle deBates, en périodes homogènes, pendant les-quelles les EVA, en valeur, resteraientconstantes. Cette variante (« modèle de valorisa-tion des différences d’EVA »), proposée parcertaines banques, renoue malheureusement avecla simple mise en œuvre d’une technique, sanslien aucun avec la réflexion stratégique : quelquescalculs permettent de montrer que les hypothèsesnécessaires à sa validité ont un caractère vérita-blement héroïque !

Le dialogue nécessaireLe fait que la valorisation d’une action ne peut sefaire indépendamment d’une réflexion sur lessources de la création de valeur ne constitue pasune idée neuve. Les praticiens les plus expérimen-tés intègrent une telle réflexion lorsqu’ils choisis-sent les paramètres de leurs modèles : le calcul d’unPER, le calcul d’un Goodwill, ne peuvent se fairesans réfléchir aux facteurs qui structurent l’indus-trie, et qui déterminent la position concurrentiellede l’entreprise.

Parce qu’ils n’explicitent pas suffisamment leshypothèses à l’origine de ces calculs, les modèlestraditionnels ne facilitent pas le dialogue entre ceuxqui manient les techniques de valorisation et ceuxqui, au sein de l’entreprise, maîtrisent souvent lemieux les ressorts de l’analyse stratégique. C’est lemérite des méthodes qui s’inspirent de la valorisa-tion d’un surcroît de rentabilité, que d’inciter à cedialogue, et de le rendre fructueux. l

(1) L’EVA™ est une marque déposée par le cabinetStern Stewart ; le concept correspond à la notion deprofit utilisée par les économistes depuis le XIXe siècle,c’est-à-dire après rémunération normale du capital ; onprocède habituellement à divers redressements comp-tables pour calculer l’EVA courante qui est utiliséecomme mesure de performance de l’entreprise ; mesuréeà un niveau décentralisé, l’EVA est susceptible deconstituer un élément central du système de rémunéra-tion des dirigeants d’unités opérationnelles.

Les méthodes de valorisation habituellement utili-sées n’explicitent pas suffisament les paramètresstratégiques susceptibles de justifier le prix retenu.Cet inconvénient n’empêche pas les praticiens lesplus expérimentés de nourrir leurs estimations àpartir d’une réflexion stratégique : cette dernièrecourt cependant le risque de ne pas être suffisam-ment étayée par l’analyse menée au sein de l’entre-prise. Les méthodes les plus récentes, reposant surla valorisation d’un surcroît de rentabilité, ont pourprincipal avantage de faciliter le dialogue entrefinanciers et stratèges.

Résumé

Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998 XIL’Art de la Finance

Les méthodestraditionnellesd’évaluation ne facilitentpas le dialogue entreceux qui manientles techniques devalorisation et ceux qui,au sein de l’entreprise,maîtrisent souventle mieux les ressortsde l’analyse stratégique.©

PIX

/Ron

Cha

pple

Page 12: l’Art de la Finance

XII Les Echos - vendredi 13 et samedi 14 mars 1998