la sociÉtÉ des poÈtes disparus

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS DE TOM SCHULMAN 34

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Page 1: LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUSDE TOM SCHULMAN

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En 1959, dans la prestigieuse Welton Academy, Monsieur Keating, un professeur de littérature, surprend les étudiants avec une pédagogie anticonformiste. Invités par l’homme de lettres à trouver leur propre voix, les adolescents recréeront alors la « Société des poètes disparus », une sorte de club clandestin pour esprits libres dont Keating a autrefois été l’un des membres influents. La découverte d’une dimension hors norme du monde, guidée par la prise de parole et la poésie, en plein cœur d’une Amérique conservatrice, transformera à jamais les vies du réservé Todd Anderson, de l’exemplaire Neil Perry, et de leurs amis Knox, Charlie, Steven et Richard.

Le metteur en scène et auteur Sébastien David (Les morb(y)des, Les Haut-parleurs et Dimanche napalm, gagnant du Prix du Gouverneur général en 2017) s’attaque ici à une œuvre qui le hante depuis l’adolescence, celle du dramaturge Tom Schulman et du réalisateur Peter Weir. La Québécoise Maryse Warda signe la traduction de la pièce récemment tirée du scénario original et dont les dialogues nous habitent depuis 30 ans.

TEXTE TOM SCHULMAN

TRADUCTION MARYSE WARDA

MISE EN SCÈNE SÉBASTIEN DAVID

PRODUCTION THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

ÉQUIPE

AVEC MUSTAPHA ARAMIS JEAN-FRANÇOIS CASABONNE PATRICE DUBOIS MAXIME GENOIS STÉPHANE JACQUES SIMON LANDRY-DÉSY ÉTIENNE LOU ANGLESH MAJOR ALICE MOREAULT ÉMILE SCHNEIDER

ASSISTANCE ET RÉGIE KARYNE DOUCET-LAROUCHE

SCÉNOGRAPHIE JEAN BARD

COSTUMES LINDA BRUNELLE

LUMIÈRES DAVID-ALEXANDRE CHABOT

CONCEPTION SONORE ANTOINE BÉDARD

MAQUILLAGES AMÉLIE BRUNEAU-LONGPRÉ

MOUVEMENT CAROLINE LAURIN-BEAUCAGE

DEAD POETS SOCIETY BY TOM SCHULMAN BASED ON THE TOUCHSTONE PICTURES MOTION PICTURE / WRITTEN BY TOM SCHULMAN ORIGINALLY PRODUCED AT CLASSIC STAGE COMPANY / BY SPECIAL ARRANGEMENT WITH ADAM ZOTOVICH / ARTISTIC DIRECTOR : JOHN DOYLE / MANAGING DIRECTOR : JEFF GRIFFIN

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À 12 ans, je découvre La société des poètes disparus dans mon cours d’anglais. Je me souviens du sourire sur le visage de Miss Murphy, ma professeure, quand elle a mis la cassette dans le VHS. Elle savait que nous allions vibrer et elle en était toute excitée. Et c’est ce qui est arrivé : nous avons bel et bien vibré collectivement. D’ailleurs, durant l’année, les « carpe diem » et les « Ô capitaine, mon capitaine » ont fusé partout dans l’école. Keating avait ouvert le chemin d’un monde invisible, un monde empreint de poésie certes, mais aussi d’irrévérence, de pulsions et surtout de nuances. Le dénouement tragique du film nous avait appris, à travers nos larmes, que tout n’était pas noir ou blanc.

Puis, le temps a passé. Les « carpe diem » se sont faits plus rares. J’ai bourré mon crâne d’adolescent de tout ce qu’on voulait y enfoncer, j’ai grandi et je n’ai pas revu le film.

L’année dernière, Claude Poissant me propose de mettre en scène ce classique du cinéma. Dès qu’il prononce le titre, je suis catapulté 23 ans en arrière en une seconde. Il me donne un paquet de feuilles, toutes chaudes sorties de l’imprimante, et je cours dans un café pour relire. Pendant ma lecture, ce n’est pas seulement mes souvenirs du film qui sont revenus, mais aussi ceux de mon adolescence. Dans

TÉMOIGNAGE

PAR LÀ OU PAR ICIPAR SÉBASTIEN DAVID

l’écho des « carpe diem » hurlés dans les corridors de l’école secondaire, je me revois dans mon premier cours de théâtre à découvrir un nouveau monde, invisible et fascinant, je me revois jouer Tremblay à 14 ans et Molière à 15 ans, je me revois avec les amis de la troupe à développer des liens forts, à cultiver notre unicité, à assumer notre marginalité, je me revois avec eux un soir dans un parc (à défaut d’avoir une grotte), enivrés de vodka jus d’orange et d’espoir, à réciter la fin de La cantatrice chauve de Ionesco. « C’est pas par là, c’est par ici », hurlions-nous à plein poumon ! Puis, je me revois, à la fin de mon secondaire, cocher la case « art dramatique » sur le formulaire d’études collégiales malgré toute l’insécurité que me procure cette décision de presque-adulte.

Après ma lecture, dans le café, ça m’a sauté au visage… J’avais écouté Keating.

Je ne suis pas romantique au point de dire que son discours a changé ma vie, mais il a sans doute, agrémenté des encouragements d’autres professeurs et de mes parents, contribué à ce que je prenne ce fameux chemin moins fréquenté. J’aurais pu aller par là, mais j’ai choisi ici et j’en suis ravi.

Merci, ô capitaine, mon capitaine !

Diplômé de l’École nationale de théâtre en interprétation (2006), Sébastien David est aussi auteur, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie de création La Bataille. Auteur primé, il a écrit T’es où Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen (2011), Les morb(y)des (2013), Les haut-parleurs (2015) et enfin Dimanche napalm (2016), qui a obtenu le prestigieux Prix du Gouverneur général en 2017. Ses textes sont tous publiés chez Leméac Éditeur. Il fait partie du corps professoral de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe et siège sur plusieurs conseils d’administration d’organismes culturels.

POURQUOI ?

Des témoignages comme celui de Sébastien, il y aurait pu en avoir des centaines et des centaines tellement ce film a été marquant pour un nombre incalculable de personnes. J’ai demandé à Sébastien d’écrire ce texte pour bien faire sentir cet élan à l’origine du projet.

- M. Gosselin

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ABÉCÉDAIRE

ADAPTATION

Quand une œuvre épouse une forme nouvelle, elle abandonne son état originel pour rencontrer la pensée d’un créateur. La transposition de la langue, du médium ou de l’époque implique de faire des choix artistiques et donc d’avoir un ascendant sur l’œuvre. L’adaptation est donc un mot qui désigne à la fois ce qui se perd et ce qui se crée.

ABÉCÉDAIRE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUSPAR ALEX BERGERON ET GABRIELLE CÔTÉ

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

POURQUOI ?

Parce que Gabrielle et Alex sont des amoureux de la poésie, parce qu’ils sont tannants, irrévérencieux et parce qu’ils conservent pour moi le bon côté de l’adolescence, celui qui remet les choses en question, celui qui n’obéit pas aveuglément.

- M. Gosselin

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BOVARYSME / BEATNIK

À chaque époque ses rebelles, ses dissidents, ses marginaux. Ses poètes, surtout. Malgré les siècles qui les séparent, ils ont en commun le malaise ressenti au cœur d’une société qui ignore leurs valeurs. L’insatisfaction des bovarystes1 les pousse à s’évader dans l’imaginaire pour se concevoir autre qu’ils ne sont. La révolte des beatniks2 les amène à rompre avec la société de consommation et à mener une vie dépouillée de tout superflu.

CARPE DIEM

Contrairement au tatouage d’une génération, la locution latine Carpe diem est vouée à être éphémère. Elle signifie cueillir le jour, vivre le moment présent. À ne pas confondre avec d’autres expressions galvaudées qui invitent à la spontanéité telles : Pura Vida, Hakuna Matata et YOLO.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Lawrence Ferlinghetti, poète associé au mouvement Beatnik

Armoiries de l’Académie Welton

1 Adjectif dérivé du nom du personnage éponyme du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary. Les bovarystes ressentent l’état d’insatisfaction caractéristique de Emma Bovary.

2 En référence au mouvement littéraire et artistique de la Beat Génération, dont faisaient partie notamment Jack Kerouac, Lawrence Ferlinghetti, William S. Burroughs et Allen Ginsberg.

3 Dans La Société des poètes disparus, les élèves vont à une école qui s’identifie par quatres mots fondateurs. Ces mots sont transmis de génération en génération pour former la devise de l’académie prestigieuse. Discipline / Excellence /Honneur/ Tradition.

DISCIPLINE / DÉCADENCE

Comme il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y a pas de discipline sans disciples ! Discipline est le premier grand pilier de l’Académie Welton3. La discipline est un ensemble de règles et de lois communes à un ensemble d’individus. Mais alors ? Qui rédige ces lois ? Et sur quels principes ? Et si le respect de ces lois allait contre le respect des individus ? Ne glisserions-nous pas lentement, presque imperceptiblement, vers la décadence; cette perte progressive de force et de liberté qui fait toute la beauté d’une société ?

EXCELLENCE / EXCRÉMENT

Un autre des mots piliers de la devise de Welton3, Excellence désigne la pression mise sur ces jeunes écoliers pour ne viser rien d’autre que la perfection. On comprend sans peine leur besoin de désacraliser ces armoiries, afin de rendre leur expérience entre les murs de cette institution plus humaine. Excrément est donc la version ironique de ce pilier inventé par les élèves de l’école; c’est aussi un slogan infiniment plus drôle à scander.

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IDÉE

Arme puissante et redoutable qui à elle seule peut changer le monde ou le réinventer. Souvent sous-estimées, les idées, comme les mots ou la poésie, sont l’arsenal des libres-penseurs.

JOIE

La joie désigne le plaisir des sens, la volupté, un bonheur intense qui nous prend là, au plexus et qui réchauffe nos tempes. La joie naît souvent de choses triviales qui se déploient lorsqu’on les partage. La joie est donc souvent synonyme d’être ensemble.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

FÉMININ

Le genre féminin présent dans cette oeuvre est un reflet de la place donnée aux femmes dans la société : limitée, onirique et érotisée.

GRÉGAIRE

Qui pousse instinctivement à se regrouper. Pour que la Société des poètes disparus existe, encore faut-il qu’il y ait Société. Elle prend vie parce que nous nous rassemblons. Le théâtre est un acte grégaire, comme la messe, le sport et les manifestations. Tous naissent de la nécessité de se rassembler pour regarder dans une même direction; que ce soit une scène, ou l’avenir.

HONNEUR / HORREUR

L’Honneur est généralement un mot noble qui dicte les actions d’un individu en fonction de sa fierté, de sa dignité et de son appartenance à un groupe, à un système de valeur ou à une idée. Dans l’œuvre, on sent plutôt l’Honneur comme une épée de Damoclès permettant d’avoir le contrôle sur la liberté des étudiants. Comme troisième pilier de la devise de Welton3, les élèves ont plutôt choisi Horreur, et il est intéressant de constater que l’un mène souvent à l’autre s’il n’est basé que sur l’orgueil.

3 Voir note 3 en page 38

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

PUCK

Puck est ce personnage extravagant tiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare; il permet entre autres de faire le lien direct entre le public et la représentation. Être de plaisir et de perversion, on ne lui connaît aucune limite, aucun cadre. Il a surtout le courage d’être lui-même sans compromis et invente le monde à sa guise pour mieux s’inscrire dans celui-ci. Puck invente lui-même les règles du jeu, ainsi il n’est pas surprenant de le voir surgir dans une pièce dans laquelle il n’avait à priori aucun rôle.

LANGAGE

Origine du monde.

Le mot poésie est une longue dérive du grec ancien « poiein », qui signifie « faire, créer, fabriquer ».

Le verbe, porteur de vie.

Mieux, il en est la source.

MÉMOIRE

La mémoire désigne ce qui consciemment ou non construit notre identité et inspire nos actions. Elle permet d’éviter les erreurs, d’insuffler de l’audace et de prendre appui sur les anciens pour progresser. La mémoire ne devrait, par contre, être prise individuellement, elle se doit de côtoyer la fougue, l’ouverture et l’imaginaire, sans quoi elle risque de paraître passive et rétrograde. La mémoire collective s’applique de son côté à une société plutôt qu’à un individu, elle n’appartient donc à personne, mais tout le monde a un peu le devoir d’y participer.

NOUVEAU MONDE

Lorsque les Treizes colonies d’Amérique gagnent la Guerre d’indépendance à la fin du XVIIIe siècle, la Nouvelle-Angleterre dédouble la figure de Nouveau Monde. Non plus seulement au sens de nouveau territoire, mais désormais aussi au sens politique. Elle devient territoire de tous les espoirs, promesse d’une vie meilleure, souveraine; un sol où tout est à bâtir en son propre nom. Ici, nous attrapons les élèves de Welton en pleine guerre d’indépendance, plus intime celle-là; l’adolescence, une période houleuse où l’infini des possibles se révèle.

OH CAPITAINE, MON CAPITAINE

Le capitaine comme figure de proue, maître du navire et responsable de ses passagers. Seul celui qui a des responsabilités peut agir de façon irresponsable. Celui qui assume la position de capitaine s’engage du même coup à veiller, dans la limite de ses compétences, au bien-être de ses sujets, à leur émancipation et à leur pérennité. Le sujet qui absorbe la leçon et la fait sienne finit par se détacher et assumer sa propre responsabilité. Il devient alors seul capitaine à bord; c’est dans les remous de ce passage que certains hommes se retrouvent parfois à la mer.

Puck, interprété par Dany Boudreault dans Le Songe d’une nuit d’été au Théâtre Denise-Pelletier

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PEUR

La peur est créée par l’ensemble des préjugés et des mises en garde qu’on nous enseigne dès le plus jeune âge. Elle est ce qui paralyse, ce qui permet de contrôler l’individu comme la masse. La peur de décevoir est une forme de crainte très puissante qui pousse les individus aux prises avec cette sensation à cesser de se questionner, à abandonner leur désir et à se conformer à l’opinion dominante.

QUALITÉ

Point de rencontre de l’esprit et de la matière. La qualité d’un travail, d’une œuvre, ou même du temps, n’est ni tout à fait une affaire d’objectivité, ni tout à fait une affaire de subjectivité, mais bien de la zone grise qui les unit. La qualité n’est pas un objet nommable et définissable, mais un événement. C’est ce frétillement de l’âme qui n’appartient pas à la raison.

ROMANTISME ANGLAIS

« Parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats », disait Michèle Lalonde dans Speak White. Les poètes romantiques anglais sont devenus les symboles de toute une culture. Ils célèbrent les traditions nationales, le peuple et la nature anglaise à partir desquels le phénix peut toujours renaître. Poésie de la célébration de l’imagination comme moteur universel de la soif de libération, le romantisme anglais est une affaire de ténacité; il se tient debout au milieu du désespoir.

SACRIFICE

La notion de sacrifice représente les choix déchirants* qui devront être faits pour atteindre un idéal. À première vue le sacrifice peut sembler destructeur ou stérile, mais il est plus souvent l’élément déclencheur de réflexions fertiles menant à une définition plus limpide de nos aspirations.

*Se référer au mot Adaptation.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

ShelleyMilton

ByronKeats

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TRADITION/ TRAVESTI

Les traditions regroupent l’ensemble des doctrines qui se sont transmises à travers les époques. Souvent rassembleuses, elles sont l’incarnation des actions que l’on fait machinalement sans remettre en question leur origine et leur signification réelle. Elles ont un pouvoir de persuasion immense puisqu’elles ont survécu à plusieurs printemps de révolution. La Tradition est, dans cette pièce, le quatrième et dernier pilier de la devise de Welton3. Les élèves ont pour leur part troqué ce mot de leur écusson pour Travesti, peut-être justement parce qu’ils éprouvent ce besoin de s’approprier les coutumes et de se sentir partie prenante de l’histoire qui s’écrit.

UNIVERSITÉ

État d’esprit, héritage culturel et intellectuel, transmis de siècle en siècle et de génération en génération. L’université n’est pas un lieu, mais l’acte humain, charnel, de la passation du savoir.

VIE (DANS LES BOIS)

Ou la nécessité de se retirer, parfois, pour obtenir la précieuse distance qui permet l’analyse et la réflexion. Henry David Thoreau, membre de la Société des poètes disparus et père de la Désobéissance civile, se réfugia dans la forêt lorsqu’il vit les premières grandes usines s’ériger et devenir les nouveaux clochers du paysage. C’est seul, au bord du lac Walden, qu’il écrivit un des plus beaux livres sur la vie en société.

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3 Voir note 3 en page 38

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WALT WHITMAN (1819-1892)

« Le génie des États-Unis n’est ni meilleur ni plus grand dans son corps exécutif ou législatif ni parmi ses ambassadeurs ou ses auteurs, dans ses collèges, ses églises ou ses salons, ni même dans ses journaux ou parmi ses inventeurs… mais toujours plus grand chez les gens du peuple. Leur façon d’être, de parler, de s’habiller, de se lier d’amitié - la fraîcheur et la candeur de leur physionomie - la désinvolture pittoresque de leur maintien… leur attachement indéfectible à la liberté - leur aversion pour tout ce qui est inconvenant ou timoré - la reconnaissance de fait d’un citoyen d’un état par les citoyens de tous les autres états - leur violence quand on a provoqué leur colère - leur curiosité et l’accueil fait à la nouveauté - leur respect de soi et leur merveilleuse solidarité - leur susceptibilité devant l’affront - leur air de ceux qui n’ont jamais su ce qu’on ressent quand on se tient en présence de supérieurs - leur facilité à s’exprimer - le plaisir qu’ils prennent à la musique, signe infaillible d’une sensibilité virile et d’une élégance innée de l’âme… leur bon caractère et leur générosité - l’importance extrême de leurs élections - le président se décoiffe devant eux et non eux devant lui - tout cela aussi est poésie sans rimes. » – Le poète américain (1855)

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Au théâtre, Gabrielle s’est jointe à Pour réussir un poulet de Fabien Cloutier, Le reste vous le connaissez par le cinéma, une tragédie de Martin Crimp, mise en scène par Christian Lapointe, et Logique du pire, une pièce d’Étienne Lepage et Frédérick Gravel. Au cours de la saison 2014-2015, Gabrielle signe la co-mise en scène de la pièce Attentat au Quat’Sous et au Carrefour international de Théâtre de Québec. Enfin, au Théâtre Denise-Pelletier, elle joue dans Javotte de Simon Boulerice, qui a connu une revue de presse fort élogieuse pour son jeu d’actrice. Elle a également interprété Hermia dans Le Songe d’une nuit d’été le printemps 2018. Au Théâtre du Trident, elle signera la co-mise en scène de Je me soulève avec Véronique Côté au printemps 2019. À la radio, elle fait partie des collaborateurs de Faites du bruit, animé par Nicolas Ouellet et diffusé sur ICI Radio-Canada Première. Au petit écran, vous avez pu la voir dans Hubert et Fanny, Au secours de Béatrice, Unité 9, Mensonges, Camping de l’Ours et Patrice Lemieux 24/7.

Diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada en 2014, Alex Bergeron s’est rapidement taillé une place sur les scènes théâtrales; peu de temps après avoir été diplômé, il joue entre autres dans la pièce Grande écoute, mise en scène par Claude Poissant; s’ensuivent La logique du pire, mise en scène par Étienne Lepage et Frédérick Gravel, Five Kings, mise en scène par Frédéric Dubois, et plus récemment Hurlevents, mise en scène de Claude Poissant.

Walt Withman, entre 1855 et 1865

DÉSAXER

Tordre les conventions. Bouleverser les habitudes. Provoquer l’insoupçonné. Incliner la tête, et poser sur ce qui nous entoure un regard neuf, oblique, qui révèle cette autre réalité que nous côtoyons quotidiennement sans jamais la voir. Montez sur votre bureau, allongez votre regard.

YAWP!

Cri barbare destiné à être hurler sur tous les toits du monde selon Whitman.

DÉZOBÉIR.

© M

athe

w B

rady

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TEXTE LIBRE aujourd’hui nous n’allons pas performer le moment présent

aujourd’hui nous allons vivre le moment présent pour nous à nous de nous

on ne vit qu’une seule fois et ça nous semble déjà si long et si vivre est un luxe trouver ça long vivre est une abomination et tout le monde meurt partout et nous devrions nous compter chanceux de ne pas mourir

nous nous souvenons d’une prof qui nous avait donné un truc pour écrire le mot « mourir » elle nous avait dit « un seul r puisqu’on ne meurt qu’une seule fois » et nous nous demandons si nous devrions modifier l’orthographe du mot pour toutes les personnes qui passent leurs journées à mourir

les personnes qui disparaissent des conversations qui disparaissent des journaux qui disparaissent de leur classe lorsqu’ils n’osent pas poser cette question qu’ils aimeraient poser et qui disparaissent même de leur propre miroir de salle de bain leur reflet préférant un autre lieu et un autre regard que le leur

nous parlons avec nos pères et nous ne disons pas ce que nous voulons dire pour une raison quelconque qui doit être le point culminant d’un manque de confiance et d’une apathie certaine et nous mourons un peu à ce moment-là et nous pouvons affirmer sans aucun doute qu’en se fermant la bouche nous vivons le moment présent comme jamais nous ne l’avons vécu

carpe diem et hop nous nous prenons en main nous buvons de l’eau chaude avec du citron

nous googlons des vidéos de gens bons au basketball parce que c’est quelque chose qui nous échappe complètement comment on peut sauter si haut comment on peut naître si grand comment on peut échapper à la gravité un instant et savoir bien retomber sur ses pattes

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

DE CARPE DIEM À YOLOPAR GABRIELLE CHAPDELAINE

sans ponctuation ;) (a la main?)

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LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

Autrice dramatique et scénariste, Gabrielle Chapdelaine est née à Sorel et a presque connu les années quatre-vingt. En télévision, elle fait partie de l’équipe de scénarisation de Les invisibles, l’adaptation québécoise de la série française Dix pour cent / Appelez mon agent qui sera en ondes dès 2019. Elle est récipiendaire du Prix Gratien-Gélinas 2018 pour sa pièce Une journée. Elle a terminé, en 2017, sa formation en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada. Elle a participé à diverses plateformes pour la relève telles que Zone Homa, en 2015, et Vous êtes ici / You are here en 2017. Lors de son parcours scolaire, elle a pu voir son travail mis en scène, entre autres, par Philippe Cyr, Véronique Côté, Michel-Maxime Legault et Jean-Philippe Lehoux.

POURQUOI ?

Gabrielle a une écriture unique, à la fois drôle, excentrique et touchante. J’avais envie de la lancer sur un sujet et de lui laisser le champ libre. J’avais la sensation que ce thème l’inspirerait.

- M. Gosselin

nous comprenons toutes les vedettes qui font la file dans leurs tenues vainement décontractées pour être assises sur le terrain en périphérie de ces miracles et si la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre qu’est-ce qu’on fait des pommes qui ne tombent pas

gather ye rosebuds while ye may parfois c’est aussi donner un baiser sur un front aller à l’aquarium goûter quelque chose de tellement bon sentir la peau de quelqu’un que nous aimons se perdre au détour d’un coin de rue et avoir l’impression d’être ailleurs se rendre compte qu’on est en train de sourire en même temps qu’on pleure

ainsi nous allons mourrir

puis nous allons naîtrre

chaque jourr

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Ni les films ni les cinéastes qui les font ne peuvent décider du culte que le public leur consacrera. Le statut prisé de film culte n’appartient en effet qu’au public qui voudra bien se rassembler autour de lui, y voir quelque chose qu’il décidera d’intégrer à son tour dans sa vie : des dialogues, un grand geste, une trame sonore, les éléments qui font le culte d’un film culte en sont les éléments les plus reconnaissables, ceux par lesquels le film se grave dans notre mémoire à la manière d’un refrain visuel et sonore. Qu’est-ce qu’un film culte ? Pris au sens propre, c’est de l’amour collectif envers des images mouvantes, un amour si fort qu’il procède ensuite chez le spectateur en l’invitant au mimétisme ; le film culte nous invite à y habiter, à en prendre possession, s’inscrivant dans le corps et l’esprit qui cherchent, en se costumant, en apprenant les répliques par cœur, en faisant des personnages des modèles, une façon d’atteindre cette Scène imaginaire.

C’est le souvenir que l’on garde par exemple du célèbre professeur John Keating, interprété brillamment par Robin Williams dans Dead Poets Society (Peter Weir, 1989). Sa manière de se recroqueviller en pleine classe, d’attirer les élèves vers lui pour qu’il leur confie le secret chuchoté de la poésie : « On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passion ». Entouré par des étudiants captivés, Keating chamboule l’enseignement à hauteur de professeur, enseignement d’une fermeté absolue dans cette prestigieuse académie pour garçons qui les dompte à devenir les froids leaders de demain. Cherchant au contraire à réchauffer leurs ardeurs, il varie les postures de son enseignement : au sol ou sur son bureau, ce qui compte c’est de convaincre une classe (et les spectateurs par la même occasion) qu’enseigner n’est pas une affaire de limpidité monotone ou de rhétorique asservissante.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

POURQUOI ?

Je ne connaissais pas avant la coordination du cahier, Mathieu Li-Goyette. C’est par son collègue Nicolas Gendron que j’ai fait sa rencontre. J’ai vu par la façon dont il présente son travail et ses champs d’intérêt que le sujet des films culte risquait de l’intéresser.

- M. Gosselin

ARTICLE

FILM D’HAUTEUR OU COMMENT LES FILMS CULTE JOUENT DE LA HAUTEUR DU FILM ET DE CELLE DU SPECTATEUR PAR MATHIEU LI-GOYETTE

Dead Poets Society

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Enseigner, c’est conduire l’autre devant soi à sa propre émancipation intellectuelle, qui implique nécessairement un dynamitage subversif des institutions qui prodiguent cet enseignement. Cet idéal que défend Dead Poets Society, il passe d’abord et avant tout par ce geste, devenu culte, de l’enseignant qui joue avec la hauteur imposée par la salle de classe et qui a fait rêver des cohortes d’étudiants qui espéraient, à la première semaine de la rentrée, voir arriver devant eux un professeur qui ne serait pas qu’un instituteur, et qui escaladerait son bureau pour déclamer du Shakespeare.

Ainsi, le film culte, pris dans son sens fort, n’est pas qu’un film que nous portons dans notre cœur au point que nous en connaissons toutes les scènes sur le bout des doigts. Le film culte, comme toute œuvre culte au demeurant, a l’effet d’un mantra, d’une sagesse qui se décline dans le plaisir esthétique d’un instant donné, voire dans la direction qu’il donne à notre pensée : l’œuvre culte, elle aussi, enseigne à son public. Désir de folie, comme dans le culte kitsch du Rocky Horror Picture Show (Jim Sarman, 1975), désir d’étrangeté dans le culte aliénant de Eraserhead (David Lynch, 1977), désir de déhanchement rythmé dans le culte romantique de Dirty Dancing (Emile Ardolino, 1987), désir de puissance dans le culte illicite de Fight Club (David Fincher, 1999), désir d’autodétermination dans le culte identitaire de C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée, 2005), différents cultes qui nous aident à nous axer, à « se faire une idée » comme on dit. Pas tout à fait une idée sur le monde, mais surtout une idée sur notre rapport à l’art, l’œuvre culte devenant la mesure de notre propre sens esthétique, car c’est notre amour à son égard qui structure ce que nous espérons de la culture en tant que force du monde.

LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

L’œuvre culte, qu’elle soit célèbre ou anonyme, participe alors à rapprocher la culture et le monde, à nous rappeler, fondamentalement, qu’il y a dans l’art des puissances qui sommeillent. Ne suffit que d’un alignement, comme celui d’un comédien, Robin Williams, qu’on imagine toujours en comique hystérique et qu’on retrouve là en érudit passionné ; d’une mise en scène, comme celle de Peter Weir, l’Australien fasciné par l’utopie et ses mystères (Picnic at Hanging Rock, Witness, The Truman Show) ; et enfin d’un texte, celui de Tom Schulman, qui a, plus que n’importe quel autre au cinéma, donné le goût de la littérature, de la poésie et du théâtre à des générations de jeunes étudiants. « Nous étions des romantiques, dit Keating. Les vers fondaient dans nos bouches comme du miel. Nos âmes s’élevaient, les femmes se pâmaient, les dieux naissaient. » Les films culte grandissent à partir de ces alignements, de ces rôles à contre-emploi, de cette mise en scène du secret qu’on se partage ensuite entre cultistes bienheureux. Ce sont ces choses bien gardées qui nous accompagnent, qui nous montrent par l’exemple comment trouver dans la parole, les gestes et la présence, une image de soi qui puisse être à la hauteur de notre amour pour l’art.

Mathieu Li-Goyette est critique de cinéma et rédacteur en chef de la revue en ligne Panorama-cinéma. Il est aussi chargé de cours à l’Université de Montréal et coordonnateur du Laboratoire sur les récits du soi mobile. Il mène actuellement un projet de thèse sur l’ontologie du désir et du rythme dans la bande dessinée.

Rocky Horror Picture Show, Fight Club, C.R.A.Z.Y., Dead Poets Society

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CURIOSITÉS POÉTIQUES D’AVANT LA RÉVOLUTION TRANQUILLEPAR MATHIEU GOSSELIN

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2Liminaire d’Alfred DesRochers1, 1929 Alfred DesRochers est « un fils déchu de race surhumaine2 » scandant avec force son appartenance à ces géants fondateurs qui ont arpenté et façonné le territoire avant lui. Le poète a la nostalgie sportive et férocement vivante. La douce lumière de sa colère rejaillit sur le paysage simple qui l’entoure. DesRochers, comme Walt Whitman, fait résonner des « voix longtemps muettes3 », voix des ancêtres multipliées par l’écho des bois.

POURQUOI ?

Comme l’action de la pièce se situe en 1959, j’ai eu envie d’imaginer quels poètes et quelles poétesses auraient pu être étudié, si le texte de La société des poètes disparus avait été écrit au Québec.

- M. Gosselin

Metropolitan museum de Robert Choquette4, 1931 Alors que ses contemporains plongent leurs plumes dans l’encrier noueux du terroir et puisent leur inspiration dans le bénitier, Robert Choquette, lui, s’enivre à la ville. Il la goûte, l’avale. « La ville était en moi comme j’étais en elle !5 » écrit-il, au milieu du « torrent des hommes et des choses6 ». Cette œuvre importante et singulière est une déclaration d’amour à l’art, à la modernité et au génie humain.

J’abdique tout de Jovette Bernier, 1932 Je ne suis plus qu’un peu de chair qui souffre et saigne. Je ne sais plus lutter, j’attends le dernier coup, Le coup de grâce et de pitié que le sort daigne Assener à ceux-là qui vont mourir debout.7

Poème d’amour aux mille déchirures, l’espérance s’y assèche doucement. Il y a dans ce texte la force vive de l’entêtement et la lucidité du désespoir.

Page 16: LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS

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1 DESROCHERS, Alfred. À l’ombre de l’Orford. BQ. Montréal : Bibliothèque québécoise, 1997, 172 p.

2 DESROCHERS, Alfred. Liminaire. In À l’ombre de l’Orford. BQ. Montréal : Bibliothèque québécoise, 1997, p 21

3 WHITMAN, Walt. Chant de moi-même. In Poèmes : NRF\Gallimard, 1918, p.10

4 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, 29 p.

5 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, p.21.

6 CHOQUETTE, Robert ; avec bois de HOLGATE H., Edwin. Metropolitan museum. [sn]. Montréal : 1931, p.23.

7 BERNIER, Jovette. J’abdique tout. In Les masques déchirés. Éditions Albert Lévesque : 1932, 142 p.

8 NARRACHE, Jean. J’parl’ pour parler…poésies. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : Les éditions de l’Action canadienne-française, 1939, 129 p.

9 CHABOT, Cécile. Vitrail. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : 1940, 127 p.

10 CHABOT, Cécile. Je ne suis qu’une enfant. In Vitrail. Éditions Bernard Valiquette, Montréal : 1940, 127 p.

5

4 J’parl’ pour parler de Jean Narrache8, 1939 Poète véritablement populaire, Jean Narrache, de son vrai nom Émile Coderre, mélange avec cœur la satire, la chanson et l’humour dans la langue fleurie du quotidien. Dans ce poème, peut-être son plus connu, composé au lendemain de la grande crise, il prête sa voix aux travailleurs, aux chômeurs et aux laissés-pour-compte. C’est un hymne à la compassion et un appel à la conscience qui résonne encore aujourd’hui.

Vitrail de Cécile Chabot9, 1940 Ce recueil vibre à chaque mot, dans chaque poème, à chaque virgule, dans chaque silence, d’un amour qui vient se loger profondément en nous, tellement il se consume d’une façon sincère et naïve. Un antidote contre le cynisme et la morosité.

Je ne suis qu’une enfant solitaire et sauvage Qui m’en vais dans la vie avec un cœur d’oiseau10

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