la face cachÉe du...

J O H A N N O R I E L

LA FACE CACHÉED U W E B

Outil de liberté ou de contrôle

La face cachée du Web© 2013 Ariane Éditions inc.

1217, av. Bernard O., bureau 101, Outremont, Qc, Canada H2V 1V7Téléphone : 514 276-2949, télécopieur : 514 276-4121

Courrier électronique : [email protected] Internet : www.editions-ariane.com

Tous droits réservés

Révision linguistique : Monique RiendeauGraphisme et mise en page : Carl Lemyre

Première impression : mars 2013

ISBN : 978-2-89626-125-3Dépôt légal : 2013

Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives, CanadaBibliothèque nationale de Paris

DiffusionQuébec : Flammarion Québec – 514-277-8807

www.flammarion.qc.caFrance et Belgique : D.G. Diffusion – 05.61.000.999

www.dgdiffusion.comSuisse : Servidis/Transat – 22.960.95.25

www.servidis.ch

Imprimé au Canada

Remerciements

Je remercie mes parents et tous mes ancêtres, sans qui ni ce livre ni moi-même n’aurions pu voir le jour.

Merci à Lucy, notre ancêtre à tous. Merci aux premières cyanobactéries.

Je remercie ma femme, qui m’a soutenu et encouragé toutau long de cette entreprise.

Je remercie tous ceux qui ont inventé Internet et tous ceux qui y participent.

Je remercie par avance tous ceux qui liront ce livre.

Je remercie tous ceux qui ont réfléchi sur le sujet avant moiet dont je me suis inspiré.

Je remercie l’inspiration, d’où qu’elle vienne, et les circonvolutions du cerveau humain qui ont aussi

permis l’émergence d’une réflexion sophistiquée.

Je remercie les mitochondries, l’oxygène, et tous les êtres vivants que j’ai mangés pour me nourrir.

Je remercie la terre, le soleil et la galaxie ; sans eux, ce livre n’existerait pas non plus.

Je remercie enfin mon éditeur, qui a su me faire confiance.

Table des matières

Introduction .................................................................... 1

1. Comprendre Internet ..................................................... 7Naissance d’Internet ................................................... 7Quelques dates .......................................................... 14Portrait-robot ........................................................... 18L’usage au quotidien ................................................. 21Le poids sociétal d’Internet ......................................... 22La nature d’Internet ................................................. 31

2. La face sombre du Web ............................................... 41Les lois et traités ........................................................ 43Censure .................................................................... 62Big Brother .............................................................. 82Pédophiles ................................................................. 97Cyberguerre ............................................................ 101

3. La face claire du Web ................................................. 111Les défenseurs des libertés ........................................ 112Nouveaux usages .................................................... 119

v

La nouvelle école ..................................................... 122La nouvelle économie .............................................. 126La nouvelle politique ............................................... 140

4. Perspective .................................................................. 149Savoir se préserver .................................................. 149Révolution cognitive ................................................ 154Les quatre enjeux majeurs ....................................... 158Le futur d’Internet ................................................. 159

Conclusion .................................................................. 171

Glossaire ..................................................................... 177

Notes............................................................................ 193

1

Introduction

Pour le meilleur et pour le pire, Internet fait maintenant par-tie intégrante de nos vies.

Reste-t-il un domaine de la vie qui n’a pas déjà été plus oumoins bouleversé par Internet ? Des relations amoureuses jus-qu’au trading1 de la haute finance en passant par le commerceou les divertissements... Globalement, même si toute cette« nouveauté » induit parfois quelques errances, tout le mondesemble d’accord pour dire qu’Internet représente un (grand)progrès pour l’humanité. Qui souhaiterait revenir en arrière ?Internet a même été proposé comme lauréat du prix Nobel dela paix par certaines personnes.

Et pourtant, si l’on n’y prend garde, il se pourrait qu’unjour prochain cela change et que l’on en vienne à regrettercette époque insouciante. D’outil de liberté, Internet pourraitalors se transformer en un outil de répression, de propagande,de contrôle des opinions et des pensées d’autant plus perni-cieux qu’il s’est infiltré dans tous les domaines de notre vie etqu’il serait quasi impossible de lui échapper.

Bien sûr, en surface, l’Internet que l’on connaît pourraitne pas beaucoup changer. On pourrait toujours poster gratui-

tement les photos de ses dernières vacances et la vidéo desexploits de son chat en haut débit, mais l’Internet riche etvaste dont on jouit est menacé en ce moment même et cer-taines parties pourraient se voir marginalisées au point de dis-paraître. Il ne resterait alors qu’une illusion de choix et deliberté tant que le contenu demeurerait relativement futile,consensuel et commercial. Pour les sujets plus sensibles,comme la controverse sur la version officielle du 11 sep-tembre 2001, la controverse sur le sida, la légitimité desimpôts et de la dette publique (notamment la dette dite odieu-se), les zones d’ombre de l’histoire et beaucoup d’autres sujets,rien n’est moins sûr.

La bataille fait rage actuellement pour l’avenir du réseau.

Les frasques des pirates informatiques qui défraient main-tenant régulièrement la chronique et qui auraient pu êtreconsidérées autrefois comme de la science-fiction tant ellessont spectaculaires et parfois rocambolesques ne sont que laface visible de l’iceberg. En coulisses, Internet est devenu unenjeu majeur pour les politiciens, les multinationales, les mili-taires (et pour les trafiquants de drogue ou les révolution-naires) et même s’il tend parfois à l’oublier, pour le citoyenordinaire qui peut parfois être pris en otage !

Internet ne sert pas qu’à jouer, faire ses courses et partagerde la musique, loin de là !

La liberté sur Internet n’est pas acquise.

La nature d’Internet n’est pas figée dans le marbre. Aucontraire, ce réseau évolue sans cesse sans qu’il soit toujoursévident de connaître la direction qui sera prise. Il se réinventetous les jours. Certains fabriquent de nouveaux services etd’autres choisissent de s’inscrire sur tel ou tel site. Cependant,

La face cachée du Web2

Internet reste quand même basé sur des principes et certainestechnologies fondamentales qui assurent la liberté d’utilisationdont nous jouissions tous, du moins jusqu’à ce jour : neutrali-té, anonymat, transparence.

Ce sont ces principes mêmes qui, aujourd’hui, sont remisen cause. Les faire évoluer peut tout à fait être louable dans lamesure où certains ne se les approprient pas. C’est un peucomme si certains voulaient changer la Constitution ou laDéclaration des droits de l’homme. On pourrait dire que c’estpour améliorer ou même « civiliser » Internet, mais il s’agitsystématiquement de rajouter des contraintes dont lesmanettes ne sont pas entre les mains de tout le monde.Contraintes qui ne seront pas les mêmes pour tout le monde,selon qu’on aura des moyens, des passe-droits, des compé-tences ou non. Nous pourrions y perdre plus à long terme quenous n’y gagnerions à court terme.

Les gouvernements envisagent le plus sérieusement dumonde de remettre en question l’anonymat (qui est lameilleure garantie de ne pas être inquiété pour ses opinions)ou le pseudonymat sur Internet, certains ont évoqué l’intro-duction d’un « permis de bloguer », d’autres auraient voulucensurer des sujets sensibles ou introduire des taxes ! Et cen’est que l’écume de la vague qui arrive. Internet dérange. Ilne faudrait pas non plus que le « petit peuple » se mêle de cequi ne le regarde pas, à savoir la politique, le business, lesaffaires, la morale, la justice, la science, etc.

HADOPI2, la loi inconstitutionnelle et multirécidiviste,n’est que la plus connue et médiatisée. L’eG203 et l’ONU4

sont en embuscade, et bien d’autres initiatives sont en cours,chaque pays y allant de sa propre variante pour tenter de s’ap-proprier le Net, tandis que d’autres le défendent farouche-ment, comme les Anonymous [les Anonymes] ou des particu-liers comme Georges Nevers, qui a lancé un cri d’alarme :« Vous avez fait de moi un pirate. »

Introduction 3

Même si Internet est jeune, et surtout parce qu’il l’est, ilfaut faire en sorte qu’il ne se transforme pas en unFrankenstein qui se retourne contre son maître. Il pourraitdevenir pire que le Big Brother du roman culte 1984 avec lesavancées technologiques récentes telles que les puces RFID5,le GPS6, la vidéosurveillance, la reconnaissance faciale (et labiométrie d’une manière plus générale), etc.

De cela, nous sommes tous coresponsables par notre igno-rance, notre laxisme, notre incompétence et par nos choixd’utilisation. Un exemple révélateur de cette attitude : laFrance débourse environ un milliard de dollars (secteurs privéet public confondus) de licences à Microsoft, alors qu’ellepourrait se servir de logiciels gratuits pour faire la mêmechose. Elle le fait essentiellement par « facilité », par habitude,et cela pourrait arriver dans le domaine du Web.

Quand quelqu’un choisit d’utiliser Facebook pour échan-ger avec ses amis parce que ce service de réseautage en ligneest gratuit et à la mode contrairement à un autre logiciel, c’esttout, sauf un choix anodin. Cachées derrière la légèreté, voirela frivolité des échanges, des luttes titanesques se jouent pour-tant à cause des volumes de données en jeu qui pourraient àterme avoir des conséquences beaucoup plus pénibles qu’il n’yparaît au premier abord. Pourquoi ? Parce que Facebook estun outil centralisé, et donc facile à contrôler, facile à censurer.C’est pareil avec Twitter, qui vient d’ailleurs récemment de sedoter officiellement d’outils de censure à l’attention des gou-vernements, très demandeurs. Et cette centralisation n’a riend’une obligation technique. C’est un choix, commercial enl’occurrence, qui permet de garder ses « clients » captifs.

L’histoire se répète. Un site apparaît et propose un servicegratuit, innovant et intéressant. Les foules affluent massive-ment par effet boule de neige. Commencent alors les pro-blèmes, car il faut rentabiliser l’infrastructure et les capitauxinvestis, et aussi empêcher toute « récupération » (politique en


général) de l’outil. Si l’outil en question est centralisé, la ten-tation de contrôler de manière arbitraire deviendra forcémenteffective un jour ou l’autre. Et c’est cet arbitraire qu’il fautcombattre, qu’il a toujours fallu combattre. Les textes de loiont été inventés pour combattre l’arbitraire de la décisiond’un roi ou d’un seigneur. La démocratie a aussi été inventéepour combattre l’arbitraire grâce aux élections et à la sépara-tion des pouvoirs. Car, qui dit arbitraire dit lutte de pouvoir,injustice et violence.

Internet a été construit à l’inverse, grâce à la collabora-tion, au partage et au dialogue. Son architecture technique lereflète. La gratuité, qui est pour certains le symbole du parta-ge et de la coopération, est pour d’autres un simple appât. Eton sait ce qu’il advient du poisson une fois qu’il a été ferré.

Si nous laissons faire, Internet pourrait devenir un outilquasi absolu de surveillance et de contrôle (totalitaire) desactes et des pensées. D’autant plus que les utilisateurs yconsentiraient volontairement.

Peut-on garantir qu’aucun dirigeant nulle part ne sera jamaistenté de s’en servir pour opprimer son peuple ? L’histoire récentenous démontre même que c’est le contraire qui se produit. Chaquefois que c’est possible, les dirigeants sont tentés de le faire et, s’ils lepeuvent, ils mettent en place le contrôle du Net.

Quels sont les enjeux cachés ? Qui sont les acteurs et quelssont leurs intérêts ? Comment tout cela a-t-il commencé etpourquoi en sommes-nous arrivés là ? Que pouvons-nousfaire ? Ce livre tente de répondre simplement à ces questionssans se perdre dans la technique, afin d’éclairer le lecteur et del’aider à se positionner par rapport à ce grand défi contempo-rain. Si on laisse Internet être perverti, il sera très difficile derevenir en arrière ensuite.

Internet, une toile qui nous relie ou une chaîne qui nousemprisonne ? À nous de choisir.

Introduction 5

1

Comprendre Internet

Pour comprendre les enjeux liés à Internet, il faut comprendresa nature. Et pour comprendre sa nature, il faut connaître sonhistoire, sa naissance, son fonctionnement, son architecture.

Comment Internet a-t-il été construit, par qui, et pour-quoi à l’origine ? Cela a une grande importance pour com-prendre les enjeux actuels.

Quelques chiffres nous permettant de dresser un portrait-robot ainsi que l’examen de l’actualité récente, notammentpolitique, nous permettront aussi de prendre conscience durôle de plus en plus important d’Internet pas seulement dansnotre quotidien, mais aussi par rapport à la vie publique.

Naissance d’Internet

Internet, ou le Net, signifie « Inter – Network » le réseaudes réseaux. C’est un réseau mondial d’ordinateurs qui com-muniquent entre eux via des câbles ou des fréquences radio àl’aide d’un protocole digital à base de 0 et de 1.

On ne se rend plus forcément compte du chemin parcou-ru de nos jours et de ce qu’un ordinateur représente commepuissance de calcul, tellement son usage est devenu « naturel ».

7

On s’en sert pour envoyer des photos, de la musique, deslettres, pour voir et parler à des gens éloignés ou même pourjouer dans des mondes en 3D qui ressemblent de plus en plusà notre « bonne vieille réalité », au point qu’on en oublie laprouesse qu’on a devant les yeux.

Regarder un paysage à la télévision n’est pas très différentde le regarder en vrai, surtout aujourd’hui avec l’avènementdu relief… Pourtant, il s’agit d’un véritable exploit technolo-gique d’autant plus remarquable qu’il est « naturel ». Plus latechnologie progressera, plus son usage nous semblera natu-rel, spontané, mais plus cette technologie sera complexe en


-87 av. J.-C. : Machine d’Anticythère, calculatrice mécanique astrono-mique

1645 : Pascaline, première machine à calculer1728 : Carte perforée pour métiers à tisser1906 : Premier tube à vide, ancêtre du transistor1911 : Fondation d’IBM1920 : Enigma et Colossus ordinateurs de la WWII1936 : Article fondateur d’Alan Mathison Turing (1912-1954)1946 : ENIAC (17 468 tubes à vide)1947 : Invention du transistor1956 : Fortran, premier langage de programmation1967 : Arpanet, l’ancêtre militaire d’Internet1971 : Intel réussit le premier microprocesseur1972 : Langage C et premier e-mail [courrier électronique, cour-

riel, message électronique]1973 : TCP/IP1975 : Fondation de Microsoft1976 : Steve Wozniak conçoit l’Apple I1981 : IBM PC + MS-DOS1983 : Arpanet bascule en TCP/IP

Les grandes dates de l’informatique. Source : Wikipédia.

réalité. Imaginez l’étonnement d’un homme du Moyen Âgequ’on mettrait devant une télé alors qu’il s’émerveillerait déjàdevant une simple photo !

Reprenons un peu l’histoire des ordinateurs pour bien sai-sir ce dont nous parlons, quel genre d’outil nous avons entreles mains. Si, aujourd’hui, une grande partie de l’usage quenous faisons des ordinateurs est à visée divertissante, il ne fautpas oublier que ce que nous avons entre les mains n’est pas unsimple jouet.

On peut situer une étape importante de l’histoire desordinateurs en 1645 quand Blaise Pascal invente à 19 ans unepremière machine pour aider son père surintendant duCardinal Richelieu à faire des calculsélémentaires (additions, soustractions,multiplications et divisions) afin degérer les comptes de la nation.

Anecdote : Cette version de l’histoiredes calculatrices fut bouleversée le 1er décembre 2006 à l’aide d’un scanner à haute résolutionconstruit pour l’occasion et qui permit d’en finir avec lacontroverse de la machine d’Anticythère. Découverte en 1900au large de l’île du même nom, cette machine astronomique àcalculer était très perfectionnée, chose que l’on pensait impos-sible pour l’époque (-87 av. J.-C.). Mais cela fut prouvé, cequi semble montrer que le progrès peut se faire aussi à recu-lons.

Comprendre Internet 9

La pascaline

La machine d’Anticythère

Cependant, ces calculateurs mécaniques étaient assezrudimentaires et spécialisés.

Le premier véritable ordinateur moderne a été créé dansle cadre de la recherche militaire en 19467. L’ENIAC8 est lepremier calculateur universel programmable. (On dit qu’il estTuring-complet, selon la définition écrite en 1936 par le pèrede l’informatique moderne, Alan Turing, c’est-à-dire qu’ilpeut faire n’importe quel calcul.) Pour la petite histoire, c’étaitun véritable monstre de 30 tonnes occupant 137 m2 etconsommant 150 kW (un ordinateur moderne consomme15W, soit 10 000 fois moins). Cette machine à base de tubes àvide fut construite pendant la Seconde Guerre mondiale pardes universitaires, afin d’accélérer le calcul de trajets balis-tiques pour perfectionner le lancement de missiles.

Anecdote : C’est d’ailleurs de cette époque que provient leterme « bug » [aujourd’hui francisé sous l’appellation bogue],qui désigne un problème informatique. Un insecte [de l’an-glais bug] s’était donc introduit dans un tube à vide parinadvertance et avait causé le premier dysfonctionnementinformatique célèbre. Aujourd’hui, les insectes ne peuventplus s’introduire dans un microprocesseur, mais le terme estresté.

Tout archaïque qu’il était à nos yeux modernes, l’ENIACconstituait déjà un avantage technologique (et donc militaire)impressionnant pour l’époque.

L’ENIAC serait donc approximativement 75 000 fois plusrapide qu’un homme, mais trois millions de fois moins rapideque le meilleur processeur en 2010.

C’est dire la puissance de calcul dont on dispose dans nosmaisons aujourd’hui et même dans nos poches !!!


Anecdote : Ironiquement, on peut se demander si les Chinoisn’ont pas pâti d’avoir inventé une machine à calculer plusefficace plus tôt et de n’avoir pas eu besoin d’un meilleur outilpendant très longtemps. En 1946, le boulier fut encoremeilleur que la calculatrice électrique lors d’un match restécélèbre.

Peu de temps après, la véritable invention qui allait toutbouleverser vit le jour. En effet, le transistor fut inventé en1947 et il permit de remplacer les tubes à vide. Sa miniaturisa-tion permit à IBM9 de créer le premier microprocesseur en1971 et de changer le monde par l’avènement des PC10

quelques années plus tard. À partir de cette date, la puissancede calcul des ordinateurs suivit la loi empirique dite deMoore11 en doublant tous les 18 mois environ. Cela permit de


Moyen employé Vitesse de multiplication Calcul d’une de nombres de 10 chiffres trajectoire

d’une table de tir

Homme à la main, ou machine de Babbage 5 minutes 2,6 jours

Homme avec calculatrice de bureau 10 à 15 secondes 12 heures

Harvard Mark I (électromécanique) 3 secondes 2 heures

Modèle 5 (électromécanique) 2 secondes 40 minutes

Analyseur différentiel (analogique) 1 seconde 20 minutes

Harvard Mark II (électromécanique) 0,4 seconde 15 minutes

ENIAC (électronique) 0,001 seconde 3 secondes

Source : Wikipédia

se faire une idée du futur du Web. Par exemple, Google n’au-rait jamais pu voir le jour sans d’énormes puissances de calcul(et de stockage).

Après avoir appris à calculer, les ordinateurs apprirent àcommuniquer entre eux. L’idée n’était pas vraiment neuvepuisque le télégraphe permettait déjà l’échange d’informa-tions à longue distance (première démonstration publique en1844). Le code inventé par Morse est d’ailleurs similaire aucodage binaire utilisé par les ordinateurs modernes. En 1955,IBM crée le premier réseau informatique (à but commercial) :le système Sabre12, qui permet la réservation de vols pour lacompagnie American Airlines. En 1957, en réponse au lance-ment de Spoutnik par l’Union soviétique, est créée l’ARPA13,qui débouchera notamment sur la première liaison télépho-nique entre ordinateurs en 1965.

C’est dans ce contexte de guerre froide et de conquête del’espace, afin de répondre à la menace nucléaire (la crise des


Miniaturisation croissante des ordinateurs. Source Wikipédia.

missiles cubains de 1962 n’y étant pas étrangère), que germel’idée des premiers réseaux qui seront finalement mis enœuvre en 1969. Internet est né d’un antagonisme : les mili-taires qui cherchent avant tout la sécurité et l’amélioration deleurs armes, et les universitaires intéressés en premier lieu parl’échange de la connaissance.

C’est ce subtil équilibre qui fait la force et la polyvalenced’Internet.

Pour simplifier, disons qu’à l’origine ce projet militaireétait conçu pour renforcer les canaux de communication entreles bases afin de résister en cas d’attaque (nucléaire entreautres) d’un ou de plusieurs sites. C’est ainsi qu’est née l’idéed’un réseau décentralisé capable de se reconfigurer automati-quement si l’un des sous-réseaux connaissait une panne ouune attaque.

Anecdote : Cette idée de résister à une attaque nucléaire estle fruit d’une étude menée par la société Rand, qui est arri-vée à la même conclusion que la DARPA, dont l’objectif étaitde résister à des perturbations radio. Il est donc légèrementabusif de dire qu’Internet a été créé pour résister à uneattaque nucléaire.

La DARPA14, anciennement nommée ARPA, finance leprojet qui est confié à des universitaires. Ces derniers enprofitent pour relier les universités entre elles afin d’amélio-rer leur collaboration scientifique. Internet a été conçu dèsle départ à partir des RFC15, qui sont les ancêtres de nosdocuments collaboratifs, tels les forums ou les e-mails. Lesbriques d’Internet ont été construites pas à pas, chacun amé-liorant les idées des autres et en partageant les résultats (aulieu de les vendre). L’un inventant un protocole, l’autre unemessagerie16, l’autre encore un serveur d’échange, etc. Lesdifférents réseaux sont rapidement reliés entre eux grâce au


protocole TCP/IP17 créé en 1972, qui nous sert encoreaujourd’hui.

Anecdote : Une des premières mailing-lists (systèmed’échange de messages électroniques en groupe) mises en placeen 1972 concernait la science-fiction !

Il est fondamental de comprendre cet aspect de la naissan-ce d’Internet pour en saisir la nature et les enjeux actuels. Cen’est pas une société privée qui a créé Internet dans son coinsous le scellé du secret industriel protégé par une armée debrevets pour pouvoir en tirer profit. C’est tout l’inverse.Internet est né de la passion, de la gratuité, du partage. S’ildevait être comparé à un système politique, ce n’est ni le libé-ralisme, ni le capitalisme, ni le communisme, mais l’anarchis-me qui le définirait. Même si le microprocesseur est né chezIBM, Internet, quant à lui, n’a pas vu le jour dans une entre-prise.

Quelques dates

Maintenant que nous en savons un peu plus sur la naissan-ce et la nature d’Internet, les grandes lignes de son évolutionvont nous permettre de saisir comment le paysage informa-tique a changé au cours du temps et quels sont les véritablesenjeux en 2013 – qui sont les acteurs et quels sont leurs inté-rêts ?

En simplifiant à l’extrême, on peut dire qu’Internet aconnu plusieurs phases dans sa croissance pendant lesquellescertains acteurs ont joué un rôle plus prépondérant qued’autres : son précurseur, ARPANET, s’est développé au seindes universités américaines puis européennes. En août 1981,213 ordinateurs sont connectés au Net. Porté par l’enthou-siasme des passionnés et autres « hackeurs », le réseau


FidoNet, entièrement géré par des particuliers qui sou-haitaient échanger entre eux, est créé en 1984.. Sontensuite venus s’y greffer des entrepreneurs opportunistesvenus faire des affaires. Ce qui déclencha à l’époque une polé-mique sur l’utilisation commerciale ou non du réseau. On saitce qu’il est advenu, et nous verrons par la suite que cette polé-mique est toujours d’actualité. Chacun développait son propreréseau dans son coin.

.

Internet, c’est « le réseau des réseaux », celui qui relie tousles autres réseaux par un langage commun (le protocole decommunication TCP/IP). Internet devient populaire avecl’arrivée du WEB (WWW18) en 1991 quand un chercheur duCERN de Suisse invente les fameux « hyperliens19 » (sur labase du protocole HTTP20), liens sur lesquels on clique et quinous renvoient à une autre page Web en passant par une« URL21 », sorte d’adresse postale électronique universelle.L’URL est l’équivalent lisible pour un humain de l’adresse


1981 : Protocole de communication IPv41989 : Premier FAI (fournisseur d’accès)1991 : Annonce du WWW sur Usenet1993 : Mosaic, premier navigateur Internet1998 : ICANN1998 : Google2004 : Entrée en Bourse de Google, Facebook2007 : iPhone2011 : Passage en IPv6 (8 juin 2011)2012 : Entrée en Bourse de Facebook2013 : 4G : Internet mobile (LTE/Wimax)Futur : Internet des objets (RFID)

Les grandes dates d’Internet. Source : Wikipédia.

réelle d’un autre ordinateur ou l’adresse IP représentée parune série de quatre chiffres allant de 0 à 255 (19227.168.1.21par exemple). Le système DNS22 sert à transformer une URLen adresse IP.

Puis, attirés par les clients (et donc les profits) de plus enplus nombreux et par une croissance exponentielle, les « poidslourds » sont arrivés, des entreprises multinationales telles que

Yahoo, Google, Amazon, eBay et plustard Facebook, PayPal et Twitter. Àl’heure actuelle, les derniers venus surl’échiquier sont les politiciens qui sont à

la fois bousculés et contraints d’utiliser ce nouveau média,mais qui cherchent aussi à s’emparer de cet outil et du débatsocial qu’Internet a provoqué.

Anecdote : Lors de l’élection américaine de 2012, les deuxcandidats Barack Obama et Mitt Romney étaient très pré-sents sur les réseaux sociaux, où une partie de la bataille élec-torale s’est déroulée.

À peine vingt ans après sa naissance en 1991, le Web estdevenu indispensable tant pour les entreprises que pour lesparticuliers. Sa croissance est exponentielle en termes d’usa-gers, d’usages et d’appareils connectés. De plus en plus depersonnes sont connectées, mais pour des questions d’inégali-tés économiques on peut estimer que d’ici peu de temps lenombre de ces personnes ne croîtra plus aussi vite. Internets’est diffusé rapidement parmi les classes moyennes, mais nese répandra sans doute pas aussi vite chez les individus pluspauvres ! Toutefois, les usages se multiplient, notamment dansles services commerciaux. Les marchands ont vite compris lepotentiel d’Internet et se le sont quasiment entièrement acca-paré. D’autant que les services de livraison sont très efficacesde nos jours. Au départ, Internet était gratuit et coopératif,


non pas concurrentiel et commercial. Mais l’arrivée massivedes utilisateurs et des marchands a permis un développementde plus en plus rapide du réseau. Sans eux, Internet serait pro-bablement encore réservé à une élite. C’est donc ce côté com-mercial, que l’on peut déplorer d’une part, qui a permis ladémocratisation du Net d’autre part, et donc aussi la multipli-cation des échanges gratuits.

Aujourd’hui, nous en sommes au débat sur la fracturenumérique23, car ceux qui ne sont pas connectés sont de plusen plus pénalisés socialement et professionnellement. Lesprochains acteurs sur le Net ne seront sans doute même pashumains. On parle déjà d’un Internet des objets. Les enjeuxliés à Internet sont de plus en plus importants et les batailles,virulentes, au point de parler d’un changement d’époque quel’on pourrait situer à première vueentre les années 2009 et 2012. Juillet2010, date liée au virus Stuxnet, serapeut-être retenu par les historienstant elle est lourde de conséquences.Nous y reviendrons.

Par contre, Internet risque à ce jour d’être dénaturé parles batailles (avant tout légales et juridiques) dont il est l’enjeu,ce qui serait potentiellement catastrophique si les politiciens(ou les multinationales, par l’intermédiaire de ces derniers)parvenaient à leur fin et s’en emparaient. Même si l’on consi-dère que les politiciens sont les représentants du peuple (cequi reste à prouver dans le domaine particulier des nouvellestechnologies), il faudrait pour le moins qu’ils fassent la preuvede leur compétence dans le domaine avant qu’on ne leurdonne les clés du Net. Il faudrait aussi qu’ils démontrent leurimpartialité, car, comme nous le verrons dans le chapitre « Lepoids sociétal d’Internet », la démocratie représentative est endanger et le contrôle d’Internet, un enjeu majeur dans la lutteentre les différents pouvoirs, car, jusqu’à présent, les consé-


quences sociétales d’un changement d’architecture du Net nesont pas de leur ressort. En clair, ces politiciens ne savent pasce qu’ils font. Ce n’est même pas leur rôle, d’ailleurs.

Alerte : Jusqu’à présent, ce sont les citoyens éclairés, notam-ment les programmeurs, qui ont décidé de la manière defaçonner le Net. Les politiciens ont totalement négligé ousous-estimé son importance lors de son avènement. Si on leslaisse voter des lois pour décider de ce qu’il faut faire du Net,alors ils tiendront pour acquis que c’est à eux de décider deson avenir.

Portrait-robot

Internet a pris beaucoup d’importance dans nos vies quo-tidiennes. Afin de saisir un peu mieux cette importance etdonc de mieux comprendre aussi les enjeux qui y sont liés,dressons un portrait-robot chiffré du Net.

Selon le site Internet World Stats, en 2011 nous sommesenviron deux milliards d’internautes à surfer sur 300 millionsde sites Web, ce qui représente une croissance de 480 %depuis l’année 2000. Environ 44 % des internautes sont sur lecontinent asiatique, lequel occupera sans doute la premièreplace d’ici peu. Aujourd’hui, l’anglais reste la langue la plusparlée sur le Web (44 %), mais le chinois le talonne (37 %).Nous n’en prenons pas forcément conscience, mais le poidsd’Internet est en train de basculer vers l’Asie, en même tempsd’ailleurs qu’une partie du PIB mondial.

Internet, c’est aussi 72 heures de vidéos rajoutées toutesles minutes sur YouTube et 58 photos chaque seconde surInstagram24. Un Français sur deux achetait sur Internet en2010 selon Médiamétrie. Selon la FEVAD25, en 2012 le mon-tant des achat s’est élevé à 45 milliards d’euros, une progres-sion de presque 20 % d’une année à l’autre.


La consommation électrique d’Internet reflète aussi cettecroissance exponentielle. Même si, paradoxalement, les ordi-nateurs consomment de moins en moins, Internet, quant à lui,consomme de plus en plus.

Anecdote : C’est l’effet rebond bien connu en économie. Leséconomies d’énergie provoquent une hausse d’utilisation qui,dans l’ensemble, compense le gain initial.

Les estimations sur la consommation de ce glouton mon-trent qu’il est de plus en plus vorace. Par exemple, le blogueurNicholas Carr a établi qu’un avatar dans Second Life, un jeu deréalité virtuelle dans lequel vous faites vivre un personnage(avatar) dans un monde reproduisant le plus fidèlement pos-sible la réalité, consomme autant d’électricité qu’un Brésilien(soit 1 752 kWh). Une personne virtuelle peut consommerautant qu’un être humain réel, sinon plus, selon le pays où onse situe.

Alexander Wissner-Gross, jeune physicien de Harvard, aestimé que deux requêtes Google équivalaient à chauffer une


Un avatar de Second Life

bouilloire d’eau. À l’époque de l’étude, une recherche n’étaiteffectuée qu’au moment de l’appui sur le bouton« Rechercher » et non pas à chaque touche comme c’est le casaujourd’hui avec Instant Search. Malgré une apparence degratuité, quand nous sollicitons les serveurs de Google nousconsommons énormément d’électricité, sans nous en rendrecompte qui plus est. Les coûts sont ensuite habilement répar-tis par l’intermédiaire des publicités, jusque dans nos achatsquotidiens. D’une manière ou d’une autre, nous payons lesservices dits « gratuits ». De ce point de vue, étant donné lesprofits gigantesques engrangés par Google, on peut considé-rer que ce service « gratuit » nous coûte plus cher que s’il étaitpayant (et sans publicité)… Ce qui montre bien qu’il faut seméfier des évidences.

En 2007, le Secrétariat d’État américain à l’énergie esti-mait la consommation totale du Net à 180 TWh, dont 33 depourriels (soit un sixième). Concrètement, cela correspond àpeu près à la puissance générée par 24 réacteurs nucléaires(moyenne française par réacteur : 7,2 TWh). On estime quecette consommation double tous les cinq ans environ.Actuellement, en 2013, il faudrait donc 50 réacteurs nucléairespour alimenter Internet, dont 9 pour le pourriel, soit l’équiva-lent de la production nucléaire totale en France, le pays le plus

nucléarisé du monde ! Au rythmeoù vont les choses, Internet pour-rait consommer autant que l’hu-manité entière en 2033 selonGerhard Fettweis de l’Universitéde Dresde.

Notons enfin que 51 % dutrafic sur le Web n’est pas d’ori-gine humaine26, mais bien le faitde « robots », c’est-à-dire desmoteurs de recherche (20 %),


d’outils d’espionnage (19 %) ou encore d’outils de recherchede failles de sécurité dans les sites (5 %).

Alerte : La croissance d’Internet va-t-elle continuer sans finà l’heure du pic pétrolier ? (L’année 2005 est officiellementreconnue comme le pic du pétrole conventionnel par l’AIE –Agence internationale de l’énergie.) Alors même que la toutepremière baisse de consommation électrique de l’histoire(2010) nous laisse craindre l’imminence du pic électrique(censé suivre celui du pic pétrolier justement).

L’usage au quotidien

Pour illustrer le poids croissant d’Internet dans nos vies, ilsuffit de dire qu’il est quasiment possible de ne plus quitter samaison pour :

• des rencontres amoureuses• des achats en ligne : alimentation, vêtements, meubles• l’administration• les loisirs : jeux, livres, DVD• l’enseignement, le télétravail• et même la santé.

Selon Infographics « Never Leave Home: A Flip theMedia InfoGraphic by Peter Kim », 542 mariages par jour auxÉtats-Unis proviennent de rencontres eHarmony. Il est facilede se divertir en commandant ou en téléchargeant musique,


vidéo ou lecture sur Internet, sans compter les jeux et lesforums de discussion.

L’enseignement en ligne se développe aussi énormément :un tiers des étudiants américains suivent des cours en ligne.Depuis peu (2012), le MIT27 proposes même un vrai diplômeentièrement en ligne que l’on peut obtenir sans mettre lespieds dans la prestigieuse université. C’est une vraie révolu-tion en soi : imaginez un Africain ou un Indien diplômé duMIT alors qu’il n’aurait même pas les moyens de se payer unbillet d’avion pour aller une seule fois aux États-Unis28. Ce quiaugure d’une véritable révolution de l’enseignement et peut-être même de la disparition à terme des campus. Après tout,Internet offre des possibilités bien plus riches et moins coû-teuses qu’un tableau noir et de la craie en matière de trans-mission du savoir.

Aux États-Unis toujours, 75 % de la population paie sesfactures en ligne, 17 millions sont des télétravailleurs et 510 millions sont des joueurs en ligne. La moitié de la popula-tion utilise les réseaux sociaux avec en moyenne 229 amis.

Un autre domaine en pleine effervescence est celui de lasanté. Vingt-cinq pour cent des internautes font desrecherches médicales. Le statut traditionnel du médecin estremis en cause, le patient n’étant plus entièrement passif. Lesgens se prennent de plus en plus en charge eux-mêmes et serendent de plus en plus compte des limites de la médecineallopathique basée presque exclusivement sur de dangereuxpétromédicaments. Ils peuvent se renseigner sur les effetssecondaires, sur les alternatives et sur d’autres pratiques médi-cales plus naturelles mais non moins efficaces.

Le poids sociétal d’Internet

De manière plus ou moins visible, plus ou moins subtile,Internet prend de plus en plus de place dans nos vies.


la face cachÉe du...

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