eruditio antiqua 1 (2009)

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www.eruditio-antiqua.mom.fr Eruditio Antiqua 1 (2009) : 1-14 L’ÉRUDITION DES GROMATIQUES ROMAINS JEAN-YVES GUILLAUMIN UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ Résumé L’extrême spécialisation des textes des arpenteurs romains n’empêche pas l’irruption, dans ce corpus, d’une érudition souvent de bon aloi. À côté de l’étalage un peu cuistre de connais- sances encyclopédiques dans les traités du Bas Empire, on peut mettre en évidence, dès les écrits du Haut Empire, un certain nombre de références et de développements de nature philo- sophique, géographique et astronomique, et même mathématique ; mais peut-être le trait plus notable est-il le recours à des étymologies d’origine varronienne qui ne sont pas gratuites, car leur rôle est de participer à l’expression de cette idéologie de la victoire romaine qui sous-tend largement les quatre grands traités « gromatiques » qui sont parvenus jusqu’à nous. Riassunto L’estrema specializzazione dei testi degli agrimensori romani non impedisce l’irruzione in questo corpus d’una erudizione spesso di buona qualità. Insieme allo sfoggio un po’ pedante delle conoscenze enciclopediche dei trattati del basso Impero, si possono evidenziare, fin da- gli scritti dell’Alto Impero, un certo numero di riferimenti e di argomentazioni di natura filosofica, geografica, astronomica ed anche matematica. Ma forse l’aspetto più notevole è il ricorso ad etimologie di origine varroniana che non sono gratuite, poiché la loro funzione è di partecipare a quella ideologia della vittoria romana che sottende largamente i quattro grandi trattati gromatici che sono giunti sino a noi.

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Eruditio Antiqua 1 (2009) : 1-14

LRUDITION DES GROMATIQUES ROMAINS

JEAN-YVES GUILLAUMIN UNIVERSIT DE FRANCHE-COMT

Rsum Lextrme spcialisation des textes des arpenteurs romains nempche pas lirruption, dans ce corpus, dune rudition souvent de bon aloi. ct de ltalage un peu cuistre de connaissances encyclopdiques dans les traits du Bas Empire, on peut mettre en vidence, ds les crits du Haut Empire, un certain nombre de rfrences et de dveloppements de nature philosophique, gographique et astronomique, et mme mathmatique ; mais peut-tre le trait plus notable est-il le recours des tymologies dorigine varronienne qui ne sont pas gratuites, car leur rle est de participer lexpression de cette idologie de la victoire romaine qui sous-tend largement les quatre grands traits gromatiques qui sont parvenus jusqu nous. Riassunto Lestrema specializzazione dei testi degli agrimensori romani non impedisce lirruzione in questo corpus duna erudizione spesso di buona qualit. Insieme allo sfoggio un po pedante delle conoscenze enciclopediche dei trattati del basso Impero, si possono evidenziare, fin dagli scritti dellAlto Impero, un certo numero di riferimenti e di argomentazioni di natura filosofica, geografica, astronomica ed anche matematica. Ma forse laspetto pi notevole il ricorso ad etimologie di origine varroniana che non sono gratuite, poich la loro funzione di partecipare a quella ideologia della vittoria romana che sottende largamente i quattro grandi trattati gromatici che sono giunti sino a noi.

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Il est tout fait tonnant de constater limportance que tient lrudition dansce que lon appelle la littrature gromatique1, cest--dire ce corpus de 500 pages dont ldition la plus complte reste celle de K. Lachmann (Berlin, 1848), qui rassemble les bribes parvenues jusqu nous de lensemble des crits romains ayant trait larpentage, couvrant une poque qui stend au moins du Ier s. av. J.C. jusquau IVe aprs, pour les auteurs et les textes les plus notables. Lide que lon se fait spontanment des agrimensores est en effet celle de personnages dont lambition ne va pas plus loin que dorganiser le mesurage et le traage des territoires, donnant pour cela des mthodes gomtriques et rappelant des conventions juridiques dans un contexte o lrudition semble navoir que faire. Et cependant lrudition joue ici un rle exceptionnel, soit par une intention proclame, soit en filigrane. Je ne parle mme pas du savoir approfondi et autant que possible exhaustif que revendiquent les arpenteurs romains dans le domaine de connaissance qui est le leur, ni de la connaissance prcise des matriaux sur lesquels ils vont travailler, ce qui est bien la moindre des choses pour tout spcialiste qui se revendique comme tel. Si les gromatiques sont des rudits, cest videmment parce quils collectent les connaissances venues dune poque plus ancienne et quils entendent les transmettre ; mais, thologiens, juristes, tymologistes, historiographes, antiquaires, ils poursuivent, dans la mmorisation et dans la transmission de ces connaissances, des buts bien affirms. Les domaines dans lesquels se manifeste lrudition de ces auteurs sont varis et trs tendus. Ils satisfont ainsi lexigence duniversalit impose par Vitruve son architecte, et de manire gnrale par tous les thoriciens de lantiquit aux spcialistes des sciences et des techniques auxquelles ils consacrent un trait. Des textes tardifs demanderont encore au mensor de possder toutes les qualits, et arte et moribus2, que devait avoir lorateur de Cicron et de Quintilien. On sera alors devant des revendications relativement uniformes, inscrites dans loptique dlibrment encyclopdiste qui tend tre lattitude romaine et tardo-antique de rfrence ; la proccupation sera aussi de revendiquer pour lars mensoria une place parmi les disciplines librales. Sans doute sera-t-il plus intressant dobserver, lpoque antrieure et dans des crits plus spcifiquement gromatiques , les manifestations dune rudition dont les causes et la justification sont plus originales.

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Ladjectif est tir du nom de la groma, lappareil dont se servent les arpenteurs romains pour tracer des alignements et des perpendiculaires. Les auteurs de traits darpentage sont dsigns comme gromatiques , ou agrimensores, ou mensores, ou tout simplement arpenteurs romains. Exigences du Pseudo-Agennius Urbicus, auteur chrtien du dbut du VIe s. (?), p. 26 l. 1516 Lachmann, la fin de son commentaire de Frontin ; car le mensor ne doit se tromper ni per imperitiam, ni per imprudentiam (l. 18).

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Une rudition de qualification de lars mensoria au sein des disciplines librales Il faut faire ressortir dabord, car cela nest gure connu ni tudi, quil existe dans certains traits du corpus gromatique des exposs rudits dune certaine importance, mme sils peuvent paratre chercher en eux-mmes leur propre justification. Certes, cette rudition ne se distingue gure de celle que manifestent beaucoup dautres traits relatifs des disciplines diffrentes. Mais le fait mme quun crit darpentage puisse intgrer des dveloppements qui ne dpareraient pas un expos vocation encyclopdiste tel que Rome en a connu lpoque classique et aux poques tardives est quelque chose dassez remarquable. Un bon exemple sera celui du commentaire dAgennius Urbicus, auteur par ailleurs inconnu. Au IVe sicle sans doute, il rdige un trait De controuersiis agrorum3 qui est le commentaire dun texte dpoque flavienne, dont les uns accordent la paternit Frontin et les autres non ; peu importe ici. Lintroduction dAgennius et plusieurs passages internes de son commentaire donnent admirer une rudition qui va plus loin que le strict domaine de la gromatique. Avec un rien de cuistrerie, le professeur de droit, spcialiste des controverses sur les terres comme lindique le titre de son ouvrage, se montre en philosophe dans son introduction, en mathmaticien par la suite. Voulant en effet, dans son introduction, faire comprendre combien on est rcompens des efforts dun long apprentissage quand on parvient enfin dominer un ensemble de la connaissance humaine, sinon cette connaissance dans sa totalit, et combien il est indispensable dexercer et de forcer leffort un esprit humain qui, par nature, possde toutes les dispositions la connaissance mais aucun savoir acquis, cest une vritable mthodologie de la connaissance, inspire des thories stociennes, que l'auteur expose dans cette introduction qui ne nous est parvenue que sous une forme tronque. Prenant lexemple du langage, il dveloppe la thorie stocienne selon laquelle le langage sest form naturellement ( en grec = naturaliter4 en latin), et la signification des mots est donc naturelle () et non conventionnelle () ; au contraire, lcriture relve de la convention et donc de lapprentissage, comme relve de lapprentissage la connaissance des arts libraux. Nous sommes tromps par une fausse conviction quand nous pensons que le savoir se trouve en nous dune manire naturelle. Cest linstruction, si je ne me trompe, qui est la gar-

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Dans ldition Lachmann, p. 59-90. AGENNIUS URBICUS, p. 59 l. 9 Lachmann.

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dienne de lenfance , crit-il5 en reprenant le thme de la ncessit de linstruction des enfants quavait dj souligne Quintilien6. Aprs ce morceau initial de philosophie stocienne, Agennius termine son introduction7 avec un dveloppement de nature gographique et astronomique assez long o il prsente les quatre parties de la terre, okoumn, antokoumn, antichthones, antipodes ; o, ensuite, il donne la division tripartite de lokoumn en Europe, Libye et Asie, avec les mers et les fleuves qui les limitent. Les donnes contenues dans cet expos nont rien doriginal et se laissent comparer ce quon lit chez tous les gographes latins, de Pline Martianus Capella en passant par le Liber memorialis de L. Ampelius. Lauteur justifie ces dveloppements de la faon suivante : Quom autem quaerendum uideatur quid sit ager et ubi sit, ad ordinem mundi partesque reuocamur, Puisque lon doit, semble-t-il, chercher la nature dune terre et sa localisation, nous sommes ramens lorganisation du monde et ses parties 8. De fait, les controverses sur le statut des terres, sujet de son ouvrage, touchent toujours une terre bien localise dans telle ou telle partie du monde. Cependant, on ne se dfend pas de limpression que lexpos gromatique est surtout un prtexte que saisit Agennius pour livrer un expos rudit de sa science gographique et assurer du mme coup son ars le statut dune discipline librale et lui-mme un prestige indispensable un professeur du IVe sicle. Un peu plus loin9, Agennius Urbicus se livre un loge de la gomtrie qui napporte sans doute pas grand-chose son tude des controverses et qui apparat plutt, lui aussi, comme un morceau de gloire crit par un professeur au savoir tendu. Ce texte doit pourtant tre mentionn parce quil possde lextrme intrt dvoquer la question des mdits arithmtiques, chose rare et mme unique dans la littrature latine :Quin et geometricam analogiam aut armonicam aut arithmeticam aut contrariam aut quintam aut sextam et ceteros ordines exercemus. Nous pratiquons les proportions gomtrique, harmonique et arithmtique, ainsi que la proportion contraire, la cinquime et la sixime, et les autres sries. 10

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AGENNIUS URBICUS, p. 59 l. 22-24 Lachmann : De contrario falsa persuasione decipimur, et naturaliter inesse nobis etiam sapientiam credimus. Custos est disciplina, nisi fallor, infantiae. QUINTILIEN 1, 1, 21. AGENNIUS URBICUS, p. 61 l. 10-p. 62 l. 11 Lachmann. AGENNIUS URBICUS, p. 61 l. 10-11 Lachmann. AGENNIUS URBICUS, p. 64-65 Lachmann. AGENNIUS URBICUS, p. 65 l. 5-7 Lachmann, avec les corrections qui simposent et que jai proposes dans mon article de 2002, Lloge de la geometria chez Agennius Urbicus , REA 104, 3/4, p. 433-443.

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Du point de vue de lrudition mathmatique, une autre curiosit se trouve dans la manire dont lauteur, peu aprs, veut illustrer lide de la primaut de la controverse de modo par rapport toutes les autres, en tablissant un parallle avec le statut de lunit par rapport aux nombres, lunit tant, selon une thorie pythagoricienne rpandue dans tous les textes thoriques sur larithmtique11, lorigine du nombre, mais non pas elle-mme un nombre : De mme que lunit occupe une place part et que, lunit tant spare du reste du nombre, cest 2 qui est le premier nombre, de mme ici, propos du nombre des controverses, celle qui porte sur la position des bornes relve trs exactement de la condition de lunit, et bien quelle soit comme lorigine des litiges, il semble pourtant absolument impossible de la mettre sur le mme plan que les controverses matrielles, parce qu la faon de lunit, elle est pralable tous les litiges 12.

Avec ces manifestations drudition philosophique, gographique, mathmatique, nous nous trouvons en face de la volont de lauteur de tout faire pour rendre sa matire capable daccder au rang de discipline librale . Il y a l une proccupation dordre intellectuel et encyclopdique, un souci qui est du domaine de la philosophie de lducation et de la rflexion sur la culture ; tout cela na rien de spcialement gromatique. Ce qui est intressant, cest de voir lars mensoria revendiquer elle aussi sa place parmi les connaissances nobles, au terme dune volution qui aura pris plusieurs sicles et en sappuyant sur une rudition qui, dans les traits classiques des arpenteurs romains, avait une autre fonction, beaucoup moins banale.

Lrudition comme lment de liaison et marque de reconnaissance interne de la professio nostra Cette rudition gromatique tait dabord une rudition de la tribu. Comme tous les groupes de spcialistes, les agrimensores cherchent dlimiter lespace quils revendiquent comme leur appartenant, exclure qui nen fait pas partie, crer la cohrence entre les membres, par lutilisation dun langage cod et le rappel rcurrent des connaissances communes : ce sont les res ad professionem

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Voir p. ex., dans le domaine latin, MACROBE, in Somn. Scip. 1, 6, 7 : ipse non numerus, sed fons et origo numerorum ; MARTIANUS CAPELLA 7, 745 : monas quidem numerus non est. AGENNIUS URBICUS, p. 65 l. 22-p. 66 l. 3 Lachmann : Quemadmodum unum extra positum est, quo separato a cetero numero duo primum numerantur, in hoc quoque numero controuersiarum de positione terminorum ad unius omnino condicionem respicit, et quamuis sit origo quaedam litium, minime tamen adiungi materialibus controuersiis uidetur posse, quoniam singulariter omnium litium anticipalis existit.

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nostram pertinentes13. Car les gromatiques revendiquent lappartenance ce quils appellent la professio nostra, non pas notre profession , mais notre spcialit 14. Ils se considrent donc comme des professores15, non pas des professeurs , mais des spcialistes . Leur rudition aux multiples facettes leur permet de porter des jugements autoriss sur les ralisations du technicien de la centuriation. Chacune de ces ralisations est un opus, qui doit se conformer la fois aux termes du contrat quils ont souscrit avec le particulier ou plus souvent la collectivit qui a lanc lappel doffre, et aux exigences gnrales que la corporation reconnat pour quun opus soit marqu du sceau de lexcellence, en appliquant au terrain la ratio pulcherrima16. Pour cela, interviennent aussi bien les connaissances techniques quun savoir plus haut et plus abstrait. Ne pas avoir part la totalit de ce savoir, jusqu ses composantes les plus dtailles, est indigne dun spcialiste et disqualifie ses prtentions. Balbus, dans les premires annes du IIe s. ap. J.-C., le dit en termes tranchs au dbut de son trait mi-gomtrique mi-gromatique, lExpositio et ratio omnium formarum. Lexpos quil va fournir est destin remdier lignorance de certains mensores (car, comme il est de rgle chez les savants, on nhsite pas stigmatiser lignorance des chers collgues) dont lui-mme tient se dmarquer : Il maurait sembl indigne, si lon me demandait combien il y a de genres dangles, de rpondre beaucoup 17. De fait, ce que nous avons conserv de son trait va faire une large place aux diffrentes espces et sous-espces dangles (ou au moins leurs dfinitions) ; dfinissant langle plan et langle solide (4, 18-20), il distinguera trois genres dangles plans, le droit, lobtus et laigu, et dans ces trois genres neuf espces , trois de rectilignes, trois de rectilignes et circulaires la fois, trois de circulaires (4, 1). Mais la rflexion initiale de lauteur que nous venons de rapporter doit tre revtue dune porte plus gnrale : il veut dire, videmment, que lrudition gomtrique est indispensable qui veut se mler darpentage, et que cette connaissance est ncessaire si lon veut que la science gromatique, fonde sur la gomtrie applique, soit rellement objet dadoration dans tous les

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BALBUS, p. 93 l. 13 Lachmann (= 15 de sa Lettre ddicatoire Celsus, dans ma traduction commente, Naples, 1996). Voir aussi la premire phrase du trait de SICULUS FLACCUS, p. 134 l. 16-18 Lachmann : Condiciones agrorum per totam Italiam diuersas esse plerisque etiam remotis a professione nostra hominibus notum est, La diversit des conditions des terres dans lensemble de lItalie est un fait connu de tous, mme des gens qui sont trangers notre spcialit. HYGIN LE GROMATIQUE 6, 13 (d. J.-Y. Guillaumin, CUF, 2005). HYGIN LE GROMATIQUE, ibid. BALBUS, p. 93 l. 11-13 Lachmann (= 15 de sa Lettre ddicatoire Celsus, dans ma traduction commente, Naples, 1996) : Foedum enim mihi uidebatur si genera angulorum quot sint interrogatus responderem multa.

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temples 18. Lrudition gomtrique se voit donc leve au rang de marque distinctive du mensor. Elle nest pas la seule.

rudition astronomique et justification de lorganisation biaxiale de la centuriatio Lrudition astronomique ne se manifeste pas dune manire uniforme chez les auteurs gromatiques. Il faut dire que certains nen prsentent aucune trace ; cest le cas dHygin, au dbut du IIe s., et de Siculus Flaccus, dans les annes 300, deux auteurs qui sattachent surtout, dans leurs crits, expliciter tout ce qui concerne les limitations de territoire ou de domaine, beaucoup plus que ce qui a trait ltablissement de la centuriation. De mme, les bribes diverses que conserve le corpus de textes de lois, de fragments darchives, chappent aux proccupations astronomiques, on le conoit aisment. Mais lastronomie est prsente chez Frontin de faon sommaire et chez Hygin le Gromatique de faon beaucoup plus dveloppe. Tous deux ont en commun de prsenter les fondements trusques de la division dun territoire en quatre quadrants daprs les quatre points cardinaux, qui matrialise sur le sol lorganisation mme du ciel et de lunivers19. Ainsi ltymologie du nom du cardo est-elle raffirme par les deux auteurs : Kardo nominatur quod directus a kardine caeli est, Le cardo tire son nom du fait quil est dirig daprs laxe du ciel , dit Frontin (3, 4) ; Kardines a poli axe, Les cardines (sont dirigs) daprs laxe du monde , crit Hygin le Gromatique (1, 3). Frontin nira pas plus loin que ces considrations. Il est vrai que ces exposs initiaux des deux auteurs, dans leur rapidit, suffisent faire sentir le rle du rappel rudit des origines de la centuriation romaine. Il sagit de faire comprendre que ce systme traditionnel (rappel du rle fondateur des maiores nostri chez Frontin 3, 2, des antiqui chez Hygin le Gromatique 1, 6) est celui qui restitue fidlement sur le sol lorganisation cleste elle-mme, et quen tant que tel il doit tre considr comme intangible. la diffrence de Frontin, Hygin le Gromatique ne sen tient pas l. Sur les 44 pages que comporte son trait dans ldition CUF, on peut dire que 8 environ sont consacres des considrations en rapport avec lastronomie, soit presque 20% de lensemble. Cest beaucoup. Le plus long dveloppement (ch. 8 : 5 pages) est celui qui est consacr un excursus sur les fondements de lastronomie. La grandeur de lunivers, lharmonie des sphres, les cinq cercles clestes, la course18 19

BALBUS, p. 93 l. 3-4 Lachmann : quasi in omnibus templis adoratam. De cela, Agennius Urbicus ne soufflera mot dans son expos sur lorganisation du monde, et ce silence est bien rvlateur de la diffrence entre les objectifs des uns et des autres. Si les gromatiques classiques comme Hygin le Gromatique et Frontin veulent dlivrer un enseignement qui justifie et authentifie les pratiques de la centuriation, les proccupations dAgennius sont plus encyclopdistes et universelles.

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du soleil y sont examins successivement. Les dveloppements sont canoniques et sans originalit, mais ils tmoignent dune rudition approfondie. Cette rudition nest pas sans rapport avec le sujet du trait, elle relve mme dune enqute indispensable, comme lauteur la laiss entendre au dbut de son excursus : Quaerendum est (8, 1). Quest-ce donc qui fonde sa ncessit ? Cest que le but du mensor est dtablir sur le terrain organiser ce quil appelle la ratio pulcherrima (6, 13). Ce plus beau systme est celui dans lequel les deux axes majeurs se croisent au centre de la ville, donc au centre du territoire colonial, les axes majeurs tant rigoureusement aligns sur une droite Est-Ouest pour le decimanus et sur une droite Nord-Sud pour le cardo. Cest au point que si le schma est dcal dun quadrant, si cest le decimanus qui est Nord-Sud et le cardo Est-Ouest, lauteur reconnat de mauvaise grce que les fondements seront certes maintenus et que lensemble de lopus jouira dune certaine considration parmi les spcialistes (6, 13 : habebit inter professores existimationem), mais, dit-il, il ne lui manquera que la ratio (nihil operi deerit nisi ratio) ; or, ses yeux, la ratio, cest beaucoup, et cest mme lessentiel. Cest pourquoi il insiste (6, 16) : Cum ipsa kardinum appellatio a mundi kardine nominetur, quare ab oriente ad occidentem dirigantur nulla est ratio, Puisque lappellation mme des cardines est tire du nom de laxe du monde, il ny a aucune raison de les diriger de lorient vers loccident . crivant cela, il livre du mme coup la raison pour laquelle il a dploy autant drudition astronomique. Celle-ci nest si complaisamment dveloppe que pour offrir le fondement de la justification du systme romain de la centuriation. La ratio pulcherrima insre le territoire dans une harmonie cosmique dont le rappel de la thorie pythagoricienne de lharmonie des sphres (8, 4) est un symbole puissant. Lrudition astronomique se prsente ainsi comme un apport la justification du systme fondamental de la centuriation romaine canonique, savoir le croisement de deux axes majeurs qui ordonne fondamentalement lensemble dun territoire. Cest en ce sens quil faut comprendre mme des notations qui paraissent accessoires, comme lloge dArchimde (8, 3) ou la citation de Lucain (8, 9) propos des ombres qui tombent diffremment selon que lon se trouve au Nord ou au Sud20. De fait, lloge dArchimde parat emprunter sa tonalit densemble Cicron, Verr. 2, 4, 131 (Archimedem illum, summo ingenio hominem ac disciplina) et Tite-Live 24, 34, 2 (Archimedes unicus spectator caeli siderumque) ; il est remarquable que lauteur na pas eu accs directement aux traits du Syracusain (ferunt scripsisse, crit-il en 8, 3), ce qui montre dautant mieux limportance quil accorde la transmission de ces lments drudition susceptibles de fonder la technique gromatique.

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LUCAIN 3, 247-248 : Inuisum uobis, Arabes, uenistis in orbem, // umbras mirati nemorum non ire sinistras, Vous tes arrivs, Arabes, en une terre inconnue, tonns que les bois ntendent pas leur ombre gauche (Hygin le Gromatique crit inuisum au lieu de ignotum de tous les manuscrits de Lucain).

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rudition religieuse Le corpus prsente plusieurs passages relatifs aux arrire-plans religieux de lorganisation et du maintien des bornages. Ces passages, crits au pass, relvent de lrudition des antiquaires, mme si les sources ne sont pas cites. Chez Hygin le Gromatique, une allusion est faite (1, 22) la manire dont se faisaient traditionnellement les oprations initiales de linstallation dun carroyage : au moment de linstallation de la groma, prise des auspices, prsence du fondateur. Chez Siculus Flaccus, propos des bornes, on rencontre un long dveloppement21 qui explique comment, chez les anciens (apud antiquos), on procdait la mise en place de la borne lissue dun sacrifice. Les dtails rappellent de trs prs Ovide22. Certes, lauteur affiche ainsi devant son lecteur une rudition de bon aloi, mais ce rappel des ncessits sacrificielles qui prsident la mise en place dune borne a aussi et surtout pour fonction de souligner le caractre intangible, inviolable et sacr de celle-ci, caractre mis en vidence ailleurs dans le corpus par le texte de la prophtie de Vgoia 23, conserv par une rudition truscologisante . La sacralit antique est donc convoque par lrudition du mensor pour justifier et pour garantir des pratiques religieuses de bornage qui du reste, de laveu mme de lauteur, ne sont plus observes systmatiquement au moment o il crit (aliquibus terminis nihil subditum est), alors que son modle, Hygin, les donnait pour gnralement appliques (solent). Peut-tre aussi, dans le difficile contexte de la fin du IVe sicle o se poursuivait la copie et la mise en forme des lments du corpus gromatique, le rappel rudit des rites antiques de fondation at-il pu tre, chez certains, prise de position dans le dbat pas toujours feutr qui opposait derniers tenants du paganisme et chrtiens dsormais triomphants, les premiers faisant dune truscologie adapte tous les domaines possibles (et la gromatique en est un de prdilection) une dernire arme de rsistance en mme temps quun signe de reconnaissance des opposants. Je ne dirai certes pas cela de Siculus lui-mme sil crit, comme je le pense, dans ces annes 300 o lon ne peut certes parler, avec les perscutions de Diocltien, dun christianisme triomphant. Mais je lavancerai avec quelque chance de vrit propos des ncessaires copies intermdiaires qui ont conduit ce texte, au cours des IVe et Ve s., jusque

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SICULUS FLACCUS, p. 141 l. 1-17 Lachmann. OVIDE, Fastes 2, 639-662 (rites annuels des Terminalia de la fin de fvrier). SICULUS FLACCUS, p. 350 l. 17-p. 351 l. 11 Lachmann. Texte rattacher, selon J. Heurgon, la lutte pour la conservation de la proprit foncire en trurie aprs le tribunat de M. Livius Drusus (91 av. J.-C.), qui avait menac les propritaires italiens et auquel staient violemment opposs Ombriens et trusques (L. ZANCAN 1939, Il frammento di Vegovia e il nouissimum saeculum , Atene e Roma 3, 7, p. 203-219 ; S. MAZZARINO 1966, Il pensiero storico classico, Paris, 2, p. 525 ; A. VALVO 1988, La profezia di Vegoia, Rome).

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chez lauteur anonyme tardif qui le donne encore dans un fragment conserv sous le titre dExpositio limitum uel terminorum24 :Sub terminis qualia signa inueniuntur ? Aut calcem, aut gypsum, aut carbones, aut uitria fracta, aut cineres, aut testam tusam, aut decanummos uel pentanummos. Quels signes trouve-t-on sous les bornes ? De la chaux ou du pltre, ou des charbons, ou des dbris de verre, ou des cendres, ou des tessons de poterie, ou des decanummi ou des pentanummi. 25

Il y aurait l lrudition de Siculus reprise par une chane dauteurs postrieurs aux doubles fins denseignement gromatique (pour illustrer le caractre inamovible de pratiques dont lrudition connat les causes initiales) et de contestation du christianisme (par le rappel de procds profondment ancrs dans la tradition paenne ). Il se pourrait aussi que ce soit pour les mmes raisons que le corpus accueille la prophtie de Vgoia , maldiction profre (au dbut du er I s. av. J.-C.) contre quiconque aura dplac une borne : fleuron de ltruscomanie gromatique, et, peut-tre pour cette raison mme, vaguement christianis ensuite par celui qui ajouta, la fin du texte, lexpression de saveur biblique26 Disciplinam pone in corde tuo, Mets cet enseignement dans ton cur . Il y aurait lieu de mener, avec toute la prudence requise, une enqute qui na pas encore t faite pour chercher sil existe une implication de la transmission des textes gromatiques dans laffrontement entre paens et chrtiens de la fin du IVe s. et du dbut du Ve.

Ltymologie comme justification de laccaparement des terres Mais sil est un domaine o saffiche particulirement lrudition des gromatiques, cest celui de ltymologie. Parmi les termes dont ils proposent le plus souvent une explication, et qui comprennent par exemple les noms du cardo et du decimanus, celui des limites avec toutes les catgories de ces chemins, on retien24 25

p. 359 l. 24 sq. Lachmann. Le decanummus et le pentanummus, qui ntaient videmment pas dans la phrase originelle de Siculus, sont des monnaies byzantines. Le pentanummus semble avoir t ajout au systme montaire par Anastasius (empereur partir de 491). Le temps de la polmique paenne anti-chrtienne est videmment dpass. Mais pour parvenir la fin du Ve sicle, il faut que le fragment de Siculus ait t rgulirement recopi depuis lpoque de son auteur, et donc pendant des priodes o svissait cette polmique et o le rappel de la sacralisation originelle des bornes par des pratiques paennes pouvait tre utilis. Cf. Proverbes 24, 32 dans le texte latin de la Vulgate : Quod cum uidissem, posui in corde meo, et exemplo didici disciplinam, Ayant vu cela, je lai mis dans mon cur, et de lexemple jai tir un enseignement .

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dra particulirement ici arcifinius (ou arcifinalis) et territorium. La volont de rappeler ltymologie (suppose) de ces termes nest pas gratuite. Cette terminologie rappelle en effet la geste du peuple romain triomphant de ses ennemis, les repoussant et semparant de leur terre. Cest de cette manire quest interprt un mot inoffensif et juridique comme territorium : il viendrait de la notion de terrifier lennemi ou le voisin27. De mme, il y aurait dans ladjectif arcifinalis, qui dsigne une catgorie de terre limite non par la centuriation mais seulement par des lments naturels ou des artfacts, indpendamment de toute organisation volont gomtrisante, le verbe arcere qui signifie repousser , carter 28 : la signification primitive du mot serait donc trs proche de celle de territorium. On voit bien que lon a affaire ici une tymologie de parti-pris, puisque seul est sollicit le morceau de mot auquel on veut faire exprimer lidologie que lon veut illustrer, au dtriment du reste. Ainsi, le suffixe -torium de territorium nintresse pas nos tymologistes , pas plus que le second lment -finis de ladjectif arcifinius. Cest pourtant bien ce second lment qui donne la cl de la fabrication du mot : arcifinalis ou arcifinius a un rapport avec la notion de renfermer ou enfermer les limites dune proprit, et ce nest pas un mot belliqueux29. Mais les gromatiques ont dcid de lutiliser pour illustrer lidologie de la victoire romaine qui sous-tend leurs traits. Un auteur comme Hygin ira mme jusqu crire de son propre chef, partir de cette tymologie quil nprouve mme pas le besoin de donner expressment son lecteur, un assez long morceau de bravoure rappelant la manire dont le peuple vainqueur , cest--dire le peuple romain, a chass ses ennemis et sest accapar leurs territoires, lesquels relvent ds lors de ce quil appelle la catgorie de lager occupatorius30 ; la27

SICULUS FLACCUS, p. 137 l. 17 Lachmann : Territis fugatisque inde ciuibus, territoria dixerunt, Cest cause de la terreur exerce sur les citoyens qui en furent chasss que lon a parl de territoires . HYGIN, dans Agrorum quae sit inspectio, p. 284 l. 8 Lachmann : Arcifinales agri dicuntur qui arcendo hoc est prohibendo uicinum nomen acceperunt, Sont appeles arcifinales les terres qui ont reu ce nom parce quon en a cart ou loign le voisin ; SICULUS FLACCUS, p. 138 l. 9-10 Lachmann : arcendo uicinum arcifinale dixit, (Chacun) a appel (la terre quil avait prise) arcifinale, terme forg partir de lide dcarter (arcere) le voisin . Ltymologie est varronienne, daprs FRONTIN 1, 4 (d. CUF) : Nam ager arcifinius, sicut ait Varro, ab arcendis hostibus est appellatus, Car la terre arcifinale, comme le dit Varron, tire son nom du fait quon en a repouss lennemi. Comme le montre la dfinition apaise que propose ISIDORE DE SVILLE, tymologies 15, 13, 11 : Arcifinius ager dictus est qui a certis linearum mensuris non continetur, sed arcentur fines eius obiectu fluminum, montium, arborum, On appelle ager arcifinius la terre qui nest pas contenue par des lignes de mesure bien dtermines, mais dont le territoire est renferm par des cours deau, des hauteurs et des arbres qui sinterposent . Isidore est le seul expliquer les deux lments, avec arcere pris au sens de contenir , renfermer , et fines le territoire , dans lexpression quil utilise : arcentur fines. HYGIN, p. 284 Lachmann : Occupatorii uero ideo hoc uocabulo utuntur quod uicini urbium populi seu possessores, cum adhuc nihil limitibus terminaretur, praesumptione certaminis cum de locis aduersum se repugnantes agerent, quousque pulsi uel cederent uel restitissent

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rdaction de ce texte, initiative personnelle de lauteur, montre bien comment une tymologie pose comme refltant une ralit historique indiscutable suscite dans un deuxime temps llaboration de nouveaux textes censs la justifier. De fait, lager arcifinalis est galement appel occupatorius dans notre corpus. Les auteurs gromatiques y voient le souvenir de loccupation arme dune terre conquise31, alors que ladjectif exprime peut-tre tout simplement, du point de vue juridique, lide de la possessio et/ou de loccupatio dun sol par un individu qui na pas la plnitude de la proprit sur ce sol. Ces tymologies sont varroniennes, et les gromatiques y insistent32. Varron est ainsi lautorit ancienne qui est sollicite pour la justification de pratiques doccupation des sols qui sont dorigine ancienne, mais qui perdurent et doivent perdurer selon les gromatiques.

rudition littraire Lexamen des traces drudition littraire que lon peut dcouvrir chez certains auteurs du corpus conduira des conclusions voisines. Il y a des citations explicites, il y a aussi des allusions implicites ; les secondes sont peut-tre les plus intressantes. Lorsque Hygin le Gromatique cite expressment (ch. 8, 5 et 9) Virgile33 ou Lucain34, cest pour montrer la justesse du systme cosmographique quil est en train de dcrire, et par consquent la justesse et la justice du systme romain de rpartition des terres dont cette cosmographie est le fondement. Mais on sintressera ici particulirement au dbut du trait de Siculus Flaccus, De condicionibus agrorum. Une introduction particulirement soigne au moinsuictoriae terminus fieret, uictos ut praesidium collis aut riui interstitium aut fossae munimen resistere pateretur, et hoc genus naturae aut cursus ductus secuti perpetuitatem possessionis efficerent, Quant aux terres occupatoires, si on les dsigne de ce terme, cest parce que quand des voisins, peuples de villes ou possesseurs privs, lpoque o rien ntait encore born par des limites, agissaient propos de lappropriation des terres, cause de la prsomption de proprit accorde lissue de laffrontement, en luttant les uns contre les autres, lendroit jusquauquel les battus se retiraient ou staient arrts devenait le terme de la victoire, selon que la protection dune colline, la coupure dune ligne deau ou la fortification dun foss laissaient les vaincus sarrter, et en suivant ce genre de relief, ou des cours deau, des tracs, ils assuraient la perptuit de leur possession. Je donne ici le texte et la traduction que jai proposs dans Lorigine du terme occupatorius daprs Hygin , Actes du colloque international Paysages intgrs et ressources naturelles dans lEmpire romain (Qubec, Universit Laval, mars 2003), d. par M. Clavel-Lvque et E. Hermon, Besanon, PUFC, 2004, p. 39-47.31

Ainsi chez SICULUS FLACCUS : Occupatorii autem dicuntur agri quos quidam arcifinales uocant, quibus agris uictor populus occupando nomen dedit. Ainsi FRONTIN 1, 4 (d. CUF). VIRGILE, Gorg. 1, 233-239, sur les cinq zones du ciel. LUCAIN 3, 247-248.

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par rapport ce que sont souvent les introductions de traits gromatiques tels quils nous ont t conservs : inexistantes entend expliquer que la diversit des conditions des territoires est parfaitement normale puisque les peuples qui les occupaient autrefois ont eu envers Rome des attitudes bien diverses, allant de la rsistance obstine lacceptation de sa domination. Une phrase35 est particulirement intressante :Quidam enim populi pertinaciter aduersus Romanos bella gesserunt, quidam experti uirtutem eorum seruauerunt pacem, quidam cognita fide et iustitia eorum se eis addixerunt et frequenter aduersus hostes eorum arma tulerunt. Leges itaque pro suo quisque merito acceperunt : neque enim erat iustum ut his qui totiens admisso periurio rupere pacem ac bellum intulere Romanis, idem praestari quod fidelibus populis36.

Que lon compare ces cinq lignes avec cinq vers du discours tenu par Ilione, chef de lambassade troyenne, devant le roi Latinus (nide 8, 234-238) :Fata per Aeneae iuro dextramque potentem, siue fide seu quis bello est expertus et armis : multi nos populi, multae (ne temne, quod ultro praeferimus manibus uittas ac uerba precantia) et petiere sibi et uoluere adiungere gentes37.

En un trs petit nombre de vers surgissent tous les lments lexicaux qui sont prcisment ceux que lon retrouve dans le texte de Siculus au point mme que lapparition du verbe adiungere chez Virgile autoriserait corriger en adiunxerunt ( se sont associs ) le verbe addixerunt qui a beaucoup embarrass les diteurs du De condicionibus agrorum. Siculus se livre donc sous les lignes une vritable citation implicite du texte virgilien, surtout si lon tient compte du fait que son lecteur connat beaucoup mieux, et par cur, ces vers de lnide que ne le fait un lecteur moderne. Laccumulation des mots emprunts Virgile vaut vocation directe du passage par les automatismes de mmoire du lecteur. Cest donc, de la part de Siculus, un moyen trs sr de rcuprer et dactualiser, par le moyen de lallusion rudite, tout le discours virgilien sur la geste du peuple ro35 36

SICULUS FLACCUS, p. 135 l. 8-15 Lachmann. Car certains peuples ont men contre Rome des guerres opinitres, certains, ayant fait lexprience de sa valeur, ont maintenu la paix, certains, ayant reconnu sa loyaut et sa justice, se sont donns elle et ont frquemment port les armes contre ses ennemis. Cest pourquoi ils ont reu des lois chacun selon son mrite : et en effet, il naurait pas t juste qu ceux qui tant de fois avaient commis un parjure, rompu la paix et pris linitiative de la guerre contre Rome, ft garanti le mme statut quaux peuples loyaux. Je le jure par les destins dne, par sa dextre puissante, quon lait prouve dans lalliance ou dans la guerre et dans les armes, beaucoup de peuples ne va pas nous mpriser parce que nous avons choisi de paratre bandelettes aux mains et prires sur les lvres , bien des nations nous ont sollicits et ont voulu nous associer leur sort. (trad. J. Perret, CUF).

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main et sur sa grandeur invincible. Ce qui tait en devenir, promesse radieuse pour lavenir en mme temps que menace contre les rcalcitrants, dans le texte de lnide, est rutilis chez Siculus pour signifier laccomplissement de la supriorit romaine, dans lillustration dune idologie de la victoire dont on a souvent loccasion de constater les multiples occurrences dans les crits des agrimensores.

Conclusion Ainsi peut-on percevoir les buts de lrudition gromatique : rendre compte des pratiques de terrain et en faciliter la ralisation, certes, mais aussi sous-tendre un discours idologique organis et rcurrent. Cette rudition est une recherche et un rappel des principes de la centuriation (et plus gnralement de tous les modes romains dorganisation des terres), dans le but de les glorifier et den assurer le caractre immuable. Elle se caractrise fondamentalement par le rejet de la nouitas. Elle a dabord un rle mnmonique38, ensuite un rle glorificateur et justificateur qui veut aider comprendre le fondement des pratiques gromatiques, enfin un rle de stimulation ou plutt dannihilation de la rflexion, puisque rien ne doit changer dans les pratiques, ne serait-ce quen des dtails infimes.

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Elle travaille, comme le dit lauteur tardif connu comme le Pseudo-Agennius Urbicus dans son commentaire de Frontin (p. 1 l. 10 Lachmann), ad erudiendam posteritatis infantiam, pour linstruction de la postrit en son enfance .

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Rsum La compilation mdicale dAetius dAmida (VIe sicle) nous transmet des extraits dune Aspasie , qui aurait rdig des travaux de gyncologie. On sefforce ici dabord de caractriser le style de lauteur, voire de le (la) dater. Pour cela, il faut en particulier sefforcer davoir un avis sur la dlicate question des contacts entre le texte dAspasie et le texte du Soranos du Parisinus gr. 2153 : nous pensons que Soranos est antrieur Aspasie, quelle que soit par ailleurs la position du compilateur lorigine du syllog du Parisinus. Mais qui tait cette Aspasie ? Une femme (et alors quel tait son mtier ?), ou un homme dguis sous un nom de femme ? Dans le domaine scientifique ou dans celui des belles lettres , les femmes de lAntiquit crivaient-elles ? Ce nom dAspasie lui-mme nest-il pas suspect, pour des raisons littraires ? Il convient, en tout tat de cause, dtre prudent face aux certitudes excessives que nous suggrerait une dvotion exclusive au genre littraire ou aux gender studies. Abstract Aetios medical compilation (VIth century A.D.) gives us extracts taken from the works of an Aspasia who seems to have written about gynaecological matters. We try to give a short characterization of the authors style and manner, and a temptative date. In order to do so, we have to come to terms with the delicate question of the connections between the Aspasian text and the text of the Parisinus gr. 2153 of Soranos: whatever the case of the Parisinus compilator, we think that Soranos himself has written before Aspasia. But who was Aspasia? A woman (but what was her trade?), or a man in the disguise of a woman? Be it in science or in literature, did women write in Antiquity? Should not this very name, Aspasia, make us suspicious, for literary reasons? On the whole, it seems appropriate to be cautious, and to keep in mind that theres a difference between genre and gender.

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1. Introduction : Aetius dAmida La collection mdicale dAetius dAmida, au VIe sicle de notre re1, comporte (livre XVI et dernier du Tetrabiblos) un long expos de gyncologie. Lun des principaux auteurs cits est une Aspasie, dont nous ne savons rien. Elle na pas darticle dans Wikipdia, ni dans la RE, ni dans le Kleine Pauly, ni ailleurs. Elle laisse une quinzaine de pages de grec. Cest peu. Cest beaucoup plus quHraclite ou quAnacron. Lauteur de ces lignes nest pas mdecin, et ne se sent pas appartenir au genre fminin. Jai nanmoins t vivement intress par lauteur sur qui portent les lignes qui suivent. Son nom assez inattendu, sa grande connaissance de la mdecine gyncologique, mle un caractre minemment pragmatique, son statut incertain (sage-femme ? mdecin ? homme ? femme ?), tout cela ma conduit essayer den savoir plus. Cet article est donc une sorte de travail prparatoire dventuelles recherches plus compltes dans les domaines concerns, en mme temps quil souhaite remdier, autant que faire se peut, lignorance peu prs totale qui rgne propos dAspasie depuis un sicle. Pour la commodit de mon expos, je parlerai dAspasie au fminin (jemploierai des pronoms fminins), mais ltendue de notre ignorance au sujet de lauteur de ces quelques pages de mdecine fait que nous ne pouvons savoir si lauteur tait un homme ou une femme ; je reviendrai sur cette question dans la suite de cet expos. La collection mdicale dAetius, et notamment sa partie gyncologique, pose des problmes particuliers2. Sagit-il dune simple compilation ? Quelle est la part de lintervention de lauteur / du compilateur ? Pourquoi certains des chapitres sont-ils laisss un anonymat qui irrite le Quellenforscher moderne, alors que dautres sont attribus tel ou telle auteur ancien(ne) ? Que signifie exactement la mention que lon trouve avant un certain nombre de chapitres ? Pourquoi est-elle parfois suivie non dun nom propre au gnitif, mais de deux noms propres ? Antonio Garzya, qui avait entrepris dditer la deuxime partie du Ttrabiblos dAetius, avait prsent cette entreprise, et cet auteur, dans un bel article de la Revue des tudes Anciennes. Il y rappelait le caractre de Gebrauchstext que1

Cf. WELLMANN 1893. Au seuil de cet expos, je voudrais remercier mes quelques auditeurs et les lecteurs, lectrices du work in progress, en particulier Florence Bourbon. Elle pose aussi un problme de numrotation insoluble en labsence ddition de rfrence : la numrotation de Zervos est diffrente de celle quil annonce dans son sommaire, et diffrente de celle de la traduction de Cornarius. Cest celle de Zervos (texte) que nous utiliserons ici.

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revt luvre de lAmidnien, mais en soulignant nanmoins, en mme temps, que parmi les textes pratiques, celui dAetius nest pas le plus squelettique : il occuperait plutt une place intermdiaire3. Outre Soranos, dont nous reparlerons, nous disposons aussi avec les uvres de Rufus, dun autre auteur dont nous avons la fois des manuscrits du texte original et des extraits chez Aetius : on pourra lire ce sujet les remarques prudentes, encore une fois, de Daremberg dans ldition de Rufus4. Lon aimerait avoir, sur tous ces sujets, lopinion du mdecin ou du compilateur lui-mme. Mais cest justement le caractre relativement pratique du texte qui nous empche den savoir plus ce sujet. Au contraire des textes de mdecins plus orients vers la mdecine thorique, lexpos dAetius, tourn essentiellement vers la pratique, ne comporte aucune prface, ni aucune rflexion sur lorientation philosophique ou pistmologique de lauteur ou de ceux dont il utilise les crits. Cette orientation pratique est confirme par la lecture de Photios5 ; voici qui il conseille la lecture dAetius : , . surtout ceux dont le but nest pas daller loin en matire de thorie mdicale, et de trouver la sagesse et la vrit en matire de biologie, mais dont le dessein ne regarde quau soin des corps.

Disons, pour aller vite sur toutes ces questions de (traitement des) sources, que ce serait faire preuve dimprudence que de penser que les mmes processus dabrgement ou de rcriture ont t luvre pour toutes les parties de tel ou telle des auteurs que nous avons sous les yeux chez Aetius. Cette remarque prendra toute son importance propos du texte de Soranos. On pourra comparer le problme qui nous est pos pour linterprtation dAetius et de son activit de compilation avec celui qui se posait Fabricius pour son ouvrage Galens Excerpte aus lteren Pharmakologen. Pour les nombreuses citations de pharmacologues du premier et du second sicles de notre re cits textuellement pendant de longues pages par le matre de Pergame, o sarrte la citation, o recommence parler lauteur lui-mme ? Certains pharmacologues cits ne compilent-ils pas eux-mmes les uvres de leurs prdcesseurs ? quelles marques pourrait-on reconnatre le passage dune source une autre ? Mais le problme qui se pose nous est plus ardu pour plusieurs raisons. Aetius nest pas Galien. Il a beaucoup moins conscience des problmes mthodologiques de la citation, et prend moins de soin encore dlimiter, voire identifier les sources cites. De plus, ldition de sa compilation est moins satisfaisante encore3 4 5

GARZYA 1984, p. 254. DAREMBERG 1879, Prface, p. XIX-XX. PHOTIOS, Bibliothque, codex 221 (p. 152 l. 23 sq. Henry pour la citation).

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que ldition de Galien (ou, pour le dire autrement, Galien a suscit plus dtudes quAetius dAmida ; et deux livres dAetius, les livres X et XIV, sont encore indits en grec, ainsi quune partie du livre XIII sur les animaux venimeux). Il semblerait par ailleurs que la traduction latine de Cornarius, facilement accessible sur Medic@, soit faite sur un manuscrit grec abrg par endroit (cest le lot des textes techniques). Le livre de Fabricius ntait pas trs complet, et il pouvait laisser sur sa faim les lecteurs / lectrices de Galien. Notre expos, autant lavouer tout de suite, le sera moins encore. Quels sont les auteurs cits par Aetius dans le livre XVI ? Jen donne brivement la liste : Soranos, Galien, Philoumenos, Lonidas, Archigne, Rufus, 6, Thodore, Philagrios, Asclpiade. Parmi eux, Soranos, Archigne, Rufus et Asclpiade sont connus dAetius dabord travers Galien : ce sont des mdecins des deux premiers sicles de notre re. Lonidas, cit par l galnique7, doit tre plac la mme poque. Philagrios serait un auteur de la fin de lAntiquit, peut-tre du quatrime sicle8. Limpression densemble est que les sources dAetius en matire de gyncologie sont des mdecins de lpoque impriale, et notamment du dbut de lEmpire.

2. Aspasie chez Aetius Revenons notre personnage dAspasie. Que dire delle ? Nous reviendrons tout lheure sur son nom. Les chapitres delle que nous conserve Aetius sont consacrs des questions de gyncologie assez varies : soins donner aux femmes enceintes (XVI, 12 = p. 15, l. 4 sq. Zervos), soins donner aux femmes dans les accouchements difficiles (XVI, 15 = p. 16, l. 24-17 l. 13 Zervos), remdes abortifs (XVI, 18 = p. 21, l. 1-22 l. 24 Zervos) nous nous arrterons plus prcisment sur ce passage tout lheure. Nous connaissons, pour lpoque impriale, au moins un autre grand gyncologue, savoir Soranos dphse. Et cest ici, dans la proximit entre Aspasie et Soranos, que va en ralit rsider lune de nos principales difficults. Le livre XVI dAetius, compilation assez concise de nombreux traits gyncologiques antrieurs (dont celui de notre Aspasie), prsente souvent bien des points communs avec un manuscrit illustre parmi les lecteurs de la mdecine ancienne, le Parisinus graecus 2153, que lon date habituellement de la fin du XVe sicle ; ces points communs, ainsi que les rapprochements que lon a pu faire entre le texte des traductions latines de Soranos et le Parisinus que jai nomm, ont conduit les rudits du XIXe voir dans ce manuscrit un compendium dont lun des noyaux, si lon6 7 8

Il sagirait, daprs ILBERG 1910, p. 57 n. 2, du mdecin Asclpiade de Bithynie. GALIEN K 14, 674-797. Lonidas est cit page 684 dans la liste des mdecins mthodiques. Cf. BERNERT 1938.

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peut dire, serait constitu par les quatre livres (deux, selon dautres, V. Rose en particulier) de Soranos sur les maladies des femmes. Les ditions scientifiques modernes de Soranos (Ermerins, puis Rose, enfin Ilberg et plus rcemment Burguire-Gourevitch-Malinas) sont fondes sur cette dcouverte. Cependant, le Parisinus graecus 2153 ne contient pas que du Soranos ; bien souvent, le texte de ce manuscrit reprend quelques mots prs le texte de tel ou tel des autres auteurs cits par le livre XVI dAetius, notre Aspasie, ou bien encore Philoumenos ou un autre des auteurs cits par le mdecin dAmida. Si lon tente de dresser, partir de ldition dAetius par Zervos et de celles de Soranos par Ilberg et Gourevitch, un tableau des modalits de compilation de tous ces mdecins (Aetius ; le compilateur anonyme du Par. gr. 2153 ; Aspasie ?), on est vite confront des difficults insurmontables : les textes paraissent forms dune succession alatoire de versions approximatives les uns des autres, cest un mille-feuille propre dcourager le chercheur adepte, pour un moment, de la mthode stemmatique9. Lon aimerait trouver ds labord quelque caractre commun aux conseils dAspasie, ses faons de pratiquer lart, qui nous permette de la reconnatre coup sr et de la distinguer de tel ou tel compilateur, celui du Parisinus 2153 ou Aetius. On est tent de lui trouver, ici et l, une sollicitude particulire envers ses parturientes. Nous la voyons sopposer la coutume de la succussion (Chap. 15, p. 17, l. 9 sq. Zervos) : , , , . Aprs lenfantement, si le placenta ne sort pas, il ne faut pas secouer avec force, mais provoquer un ternuement, pendant que la femme retient sa respiration en fermant ses narines et sa bouche. 10

Autre exemple, le chapitre 124 (p. 159 Zervos) : , Pour que le ventre nait pas de fissures ni de taches aprs un accouchement, dAspasie ; souci cosmtique que nous retrouverons tout lheure chez Cloptre entre autres. Ces deux derniers passages ne semblent pas connatre de rdaction soranienne parallle. Enfin, nous ne pouvons pas accuser Aspasie davoir rdig un chapitre qui me parat peu connu des fministes contemporaines qui soccupent de ce domaine,

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Nous en donnerons ci-aprs un exemple, partir dun court extrait (en 3). Lide de recourir aux sternutatoires pour faire sortir larrire-faix est hippocratique (Aph. V, 49) ; elle est connue de Soranos, bien sr, mais il lvoque en termes assez diffrents (II, 2 [p. 10-11, l. 15-17 BURGUIRE-GOUREVITCH]).

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le chapitre Sur la clitoridectomie (Chap. 105, p. 152, l. 13-153 l. 10 Zervos) : il est d Philoumenos, sans doute le mdecin du second sicle de notre re11. Il ne faut cependant pas aller trop loin. Lauteur est mdecin (ou tout le moins elle fait partie du personnel soignant ), ce qui vite sans doute de tomber dans le sentimentalisme. Il faut parfois tre nergique, ainsi dans le long chapitre , , de combien de faons se produit-il une dystocie chez celles qui mettent au monde dans des conditions contraires la nature ? (Chap. 22, p. 30, l. 1 sq. Zervos) : , , , . Si cela se produit cause de la petitesse de lutrus, il faut oindre ces endroits de graisse, les tidir et carter le col de lutrus avec les doigts, et tirer vigoureusement sur le ftus ; si lenfant nobit pas, dcouper.

Ce passage, dans sa redoutable concision, est sans doute typiquement aspasien ; il rsume plusieurs passages du quatrime livre de Soranos, sans recouvrir exactement aucun deux12. Malheureusement, le petit nombre de fragments de son uvre que nous possdons travers Aetius ne nous permet gure de tirer quelque conclusion dfinitive, que ce soit de la prsence ou de labsence de telle ou telle thrapie ou pratique chez notre auteur. On trouverait chez Soranos bon nombre de tmoignages dune douceur et dune prudence qui nont rien envier celles dAspasie : par exemple les paroles rassurantes que le mdecin dphse demande que la sage-femme adresse la parturiente pendant laccouchement13. On aura compris quen matire dattribution de ce type de texte tel ou tel, il faudra tre dune grande prudence, si tant est mme que la notion dattribution ait beaucoup de sens en lespce. On aimerait pourtant mieux comprendre quelles taient les pratiques de tel ou telle mdecin, et surtout pouvoir ainsi mieux les dater.

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Mais il est possible ou probable que Soranos ait eu aussi un dveloppement sur cette question, cf. t. IV p. 87 et les explications de BURGUIRE et GOUREVITCH. Cf. notamment IV, 1 & 2 ; et IV, 4 (p. 16, l. 153-154 BURGUIRE-GOUREVITCH). On notera en passant que le titre du chapitre chez Aetius est identique la fin du titre du chapitre II, 2 de Soranos mais compte tenu de ce que Soranos na que le visage que le compilateur du Parisinus a bien voulu lui donner, on se gardera daccorder trop dimportance aux titres. SORANOS, II, 5 (p. 8 BURGUIRE-GOUREVITCH).

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3. tude de cas : le texte sur les abortifs ; et essai de datation dAspasie Le texte de Soranos consacr aux produits abortifs et le texte correspondant dAspasie nous donnent loccasion dtudier de plus prs la question du rapport que ces textes entretiennent. Ils touchent un problme la fois mdical et moral qui se posait aux mdecins de lpoque impriale : comment concilier les ncessits de la pratique mdicale et les recommandations du Serment hippocratique. On serait bien sr tent de souligner la citation, par une mdecin (?) femme (?), dune longue liste dabortifs, alors mme quune certaine suspicion entoure cette catgorie de remdes, pour des raisons morales, dans lAntiquit et peut-tre surtout lpoque impriale mais il faut ici tre extrmement prudent : on se souviendra que le mdecin du texte hippocratique Nature de lenfant conseille une chanteuse, qui vit de ses charmes, de sauter longuement pieds joints afin de faire tomber le ftus accroch aux parois de la matrice14, mais que le Serment hippocratique interdit au mdecin de donner un pessaire abortif . Plus explicitement, le pote dun fragment didactique tardo-antique contenu dans le manuscrit de Dioscoride connu sous le nom de Dioscoride de Vienne parle des avortements en ces termes : Les femmes abominables qui songent de noirs desseins sen font un pessaire et perdent leur beau fruit dans un coulement fcond. 15 Voyons donc comment est structur, si lon peut dire, le texte dAspasie, ou en dautres termes comment il rpond au texte du Parisinus de Soranos : p. 21, l. 1-2 : la phrase dintroduction dAetius / Aspasie est plus fournie et somme toute plus intressante que les quelques mots du Parisinus : , Si par ngligence une femme qui na pas les dispositions adquates conoit cependant, , en face du simple ( Sil y a conception ). Bien sr, une telle phrase peut ntre quune cheville du compilateur (Aetius). Il est possible aussi quelle tmoigne dune bauche danalyse et de recul, de la part dAspasie, face au texte de Soranos, quelle aurait eu sous les yeux. Il est possible, enfin, que le texte du Par. ne soit pas le texte de Soranos, mais un rsum de celui-ci. Quoi quil en soit, cette aporie de la recherche est ici particulirement navrante, parce que la suite de la phrase comporte une premire personne du pluriel, et que lon aurait aim savoir qui il faut lattribuer ! , .14 15

Nat. pueri, cap. 13. Poeta De herbis, v. 102-104 (il sagit de la sauge, ). Sur toute cette question de lavortement dans lAntiquit, la littrature secondaire est trs abondante. Jai apprci particulirement NARDI 1971 et RTTEN 1997.

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Si par ngligence une femme qui na pas les dispositions adquates conoit cependant, au dbut, jusquau trentime jour, il faut appliquer un rgime contraire celui dont nous avons parl lorsque nous avons voqu les soins la femme enceinte.

Nous ne pouvons pas savoir si la premire personne reprsente Soranos ou Aspasie : Soranos a effectivement parl des soins aux femmes enceintes, mais Aspasie aussi, et ce passage est conserv, nous lavons dit, par Aetius (XVI, 12 = p. 15, l. 4 sq. Zervos) ! Cette question de lautorit accorder, lintrieur dune tradition de la mdecine gyncologique byzantine (puisque nos manuscrits datent de lpoque byzantine) trs contamine et interpole, tel ou telle auteur(e), est videmment gnante. Elle nous permet cependant dapercevoir une certaine homognit de la tradition (qui rend difficiles les attributions). Elle ne doit pas nous empcher de lire les textes en question. Quen est-il de la suite du texte dAspasie sur les abortifs ? p. 21, l. 2-15 : on a le sentiment de lire un rsum du texte du Par. cf. Gour. I, 20, l. 100-122 = Ilb. I 64 p. 47, 21-48, 10. p. 21, l. 16-22, l. 8 : le texte dAetius / Aspasie est ici et l plus simple, du point de vue de la syntaxe ou du vocabulaire, que celui du Parisinus, mais il contient deux recettes / groupes de recettes supplmentaires l. 24-28 Z cf. Gour. I, 20, l. 123-142. Ilberg athtise purement et simplement ce passage, cf. app. crit. seq(uuntur) in P(ar. gr. 2153) Aetiana ex c(apitulo) 18 . p. 22, l. 8-12 : le texte dAetius / Aspasie est un rsum du texte du Par. cf. Gour. I, 20, l. 143-149 = Ilb. p. 48, l. 11-16. p. 22, l. 12-24 : le texte dAetius / Aspasie est original et ne se trouve pas dans le Par. mon sens, partir de cet exemple et dautres, on est amen considrer quAspasie est un auteur certes fort adepte de la compilation, mais nanmoins indpendant ; le collage quelle ralise de ses auteurs (ou de Soranos et dlments de son propre fonds) est bien de son fait. Ce texte donne sans doute un bon exemple de ce qui est arriv toute cette littrature mdico-gyncologique ; des textes gyncologiques, notamment Soranos, devenus classiques, ont t utiliss par diffrents mdecins ou compilateurs. Mais ceux-ci se sont entre-gloss joyeusement, comme lhabitude en pareil cas. Pour ce qui nous concerne, Aspasie a utilis le texte de Soranos, quelle a sans doute souvent abrg. Il se pourrait quelle lait tendu, ici et l, partir dautres sources (Philoumnos ?), mais il se pourrait aussi que ce que nous croyons tre du Soranos ne soit quun rsum tardif de Soranos Il se pourrait aussi quici ou l, Aspasie et Soranos aient eu les mmes sources, savoir quelque mdecin alexandrin. Aetius a, de son ct, cit Aspasie, et dautres endroits, revenant aux sources de la discipline, il a cit directement Soranos. Le compilateur

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dont le travail est reflt par le Par. graecus 2153, de son ct, a utilis (assez abondamment) Soranos, mais galement Aetius, cest--dire quil a utilis parfois Soranos directement ; parfois Aetius citant Soranos ; parfois Aetius citant Aspasie citant Soranos ; parfois Aetius citant dautres auteurs ; et peut-tre dautres auteurs (directement). Mais au cours de ce travail, il a souvent, comme ici, eu sous les yeux la fois Soranos et lun de ses imitateurs, ce qui rend difficile tout travail danalyse de ce processus. Mais le grand intrt dapercevoir, mme imparfaitement, le mcanisme de compilation, cest que cela nous permet de dater Aspasie avec un peu plus de prcision : nous savons quelle est postrieure Soranos et antrieure Aetius. Cela va dans le sens dune phrase de Ilberg sur laquelle nous reviendrons (cf. 6), daprs laquelle Aspasie serait postrieure Rufus , mais comme il est possible que Rufus dphse soit antrieur Soranos, ce dernier sera le terminus post quem. Je ne suis pas le premier mettre le doigt sur ce point important pour ce qui est de la datation de notre auteur. Lapparat critique de Valentin Rose indique cet endroit que le compilateur ajoute Soranos, partir dAetius, ce quAetius, cest--dire Aspasie, avait, aprs le mme extrait, ajout Soranos , et un peu plus loin ( propos du passage l. 8-12 qui contient la citation dHippocrate) LAspasie dAetius (16, 18), qui suit Soranos, en donne un extrait 16. Mais revenons notre texte et comparons la faon dont nos deux auteurs ont choisi de faire rfrence Hippocrate : , , , . , . Celle qui a lintention davorter doit, pendant les quelques jours qui prcdent, prendre peu de nourriture, des bains frquents, et des tampons mollients, et sabstenir de vin, puis faire pratiquer sur elle une saigne abondante. Car une femme enceinte que lon saigne avorte, dit Hippocrate.

en face de la version de Soranos (= du Par. graecus 2153)17 :T , , . T , [] . secl. Ermerins et post illum omnes.

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ROSE 1882, p. 229 : c. eadem Sorano addens ex Aetio quae iisdem ex Sorano haustis adsiderat Aetius (i.e. Aspasia) et excerpsit Aetii (16, 18) Aspasia quae Soranum sequitur . BURGUIRE-GOUREVITCH-MALINAS A 20, l. 143-149 = ILBERG p. 48, l. 11-16. Notons que le texte du TLG Online est fautif du point de vue de lapparat critique.

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La femme qui a lintention davorter doit, pendant les deux ou trois jours qui prcdent, prendre des bains frquents, manger peu, utiliser des tampons mollients, sabstenir de vin, puis faire pratiquer sur elle une saigne abondante. En effet, ce qua dit Hippocrate dans ses Aphorismes est vrai sinon dune femme souffrant de constriction, du moins dans celui dune femme en bonne sant : une femme enceinte que lon saigne avorte.

Bien des points de divergence sont intressants ici : Aspasie ne donne pas le nombre de jours pendant lesquels la femme doit sabstenir de nourriture, et elle vite demployer un terme technique (). Elle supprime une remarque prcise de Soranos, qui laissait entendre que dans les milieux mthodiques, on discutait de la porte des Aphorismes dHippocrate en fonction des tats thoriss par cette cole, les fameuses 18. On comprend que ce ne sont pas les auteurs, les citations qui intressent Aspasie. Elle vise une gyncologie pratique, trs peu bavarde. Dans lensemble des fragments que nous conserve Aetius, et qui sont explicitement attribus Aspasie, nous trouvons une autre citation dun remde dHippocrate (p. 148, l. 27 Zervos), si tant est que ce passage ne soit pas une glose dAetius. En face de cette sobrit dans la citation, nous trouvons les auteurs cits par Soranos (une quarantaine daprs les indices), ou, lautre bout de la chane, les auteurs cits dans le livre XVI dAetius (dix auteurs). Pour caractriser plus prcisment les connaissances dAspasie, je voudrais revenir sur un passage curieux, peut-tre proprement aspasien il sagit du passage qui prcde celui o il y a la citation dHippocrate. Il sagit dune considration sur les risques davortement spontan que prsentent, daprs notre texte, les diffrents mois de la grossesse. Lisons ce texte : Aetius XVI, 18 (p. 21, l. 2822 l. 8 Zervos) : , , . , , , , . Si la semence nest pas dtruite sous leffet de ces produits, il faut en venir aux abortifs puissants, mais pas au hasard ; car toute destruction dembryon prsente un danger, surtout si la femme se trouve avoir le corps vigoureux, et la matrice dure et compacte ; aussi faut-il prendre garde au deuxime et au quatrime mois ; car pour quelque raison naturelle, les malaises, les engour-

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Cf. le court et clair expos de GOUREVITCH in BURGUIRE-GOUREVITCH-MALINAS, p. X sq. et notamment p. XIII.

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dissements et les tendances la maladie se produisent surtout pendant les mois pairs. Il faut choisir un seul moment, le troisime mois, ni avant, ni aprs.

Cette notation en quelque sorte numrologique est tout fait trangre lesprit de Soranos. On en trouverait des parallles dans le corpus hippocratique (pensons au danger suprme que reprsente le huitime mois pour lauteur du trait Sur le ftus de huit mois, etc.), mais lexpression utilise ici pour caractriser cette proprit des nombres dans la grossesse, , ne se trouve nulle part avec ce sens prcis chez Soranos. Elle constitue bien plutt une allusion aux proprits caches de la Nature et des Nombres auxquelles font allusion par exemple les astrologues19. Peut-tre avons-nous ici la trace de recherches propres Aspasie, ou de linfluence sur sa mdecine des recherches de ses contemporains, mais tout cela est trs hypothtique.

4. Aspasie tel(le) quen son texte, quelques lments de rflexion supplmentaires 4.1. Le style dAspasie et les problmes denchanement des recettes Comment sont rdiges les recettes que nous trouvons dans Aspasie ? Quels traits stylistiques peut-on trouver ses conseils ? Elle semble utiliser de prfrence les adjectifs verbaux en - (p. 15, l. 6 Zervos : ; 15, 15 : ; 16, 26 : ; 16, 26 : ; 16, 27 : de nouveau etc.), mais aussi beaucoup dinfinitifs (15, 20 : ; 15, 22 : ; 25, 12 : etc.) parfois aussi + inf. (e. g. 17, 10), et loccasion aussi des impratifs (21, 21 : [mais 152, 11] ; 21, 22 : ; 150, 29 : ). ce titre, le chapitre 94 dAetius est particulirement intressant. On y trouve trois sous-chapitres, dont le second est consacr , , Contre les ulcres dvorants de la matrice, dAspasie. On sait depuis longtemps que lun des modes daccroissement des livres mdicaux anciens est lajout de recettes de remplacement20. Ces variantes sont simplement introduites par lauteur ou le compilateur la suite des recettes originales, et prcdes du mot , autre (recette) , aliud en latin. Nous appellerons ces variantes des recettes aliud. Le chapitre 94 dAetius est lun des deux seuls cha19

Ce point me semble pour linstant indcidable. On retrouve un assez semblable, mon avis, dans plusieurs passages de Vettius Valens, qui reprend, en lui donnant un sens nouveau, une expression frquente chez les commentateurs dAristote ( ). Qui veid jamais medecin se servir de la recepte de son compaignon sans en retrancher ou y adjouster quelque chose ? , MONTAIGNE, Essais, II, 37 (Pliade, p. 862).

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pitres dAspasie qui contient des recettes aliud (lautre tant le chap. 99, p. 147148 Z.). Lisons la fin de ce chapitre p. 141, l. 14 sq. : , . . . , . . . ensuite il faut appliquer le remde suivant : farine de lentille, iris, trois drachmes. Faire un mlange lisse avec du miel, puis applique-le. Autre recette : faire cuire du mlilot avec du vin sans ajout deau de mer, faire un mlange lisse, ajouter un peu de miel, puis applique-le. Autre recette : faire cuire du lierre (de celui dont les feuilles sont dores) avec du vin, faire avec du miel un mlange lisse. Puis utilise-le.

On trouve ici deux recettes aliud, dont la seconde utilise la formule de conclusion . Cette formule est, chez Galien, typique des extraits dAsclpiade le Jeune. Or nous trouvons dans le texte dAetius, la suite de lextrait dAspasie, un extrait . Cet extrait dAsclpiade contient lui aussi un extrait de lierre dor , comme le ntre. Il est tentant, pour ce type de squence, de proposer le processus suivant : Aetius lit et cite un texte dAspasie. Il y trouve un extrait dAsclpiade, quil ne signale cependant pas comme tel (ou qui nest pas signal comme tel par Aspasie ; il semble cependant arriver quAetius, citant par ex. Soranos, supprime du texte de ce dernier les indications de sources, cf. Soranos, t. IV, p. 95-96 Burguire et Gourevitch : Caelius et Mustio, les adaptateurs latins, comprennent des indications de source absentes dAetius). Aetius cherche alors dans Asclpiade des informations supplmentaires et les cite. Mais bien videmment, ce sont l des hypothses trs fragiles. 4.2. Les occurrences de la premire personne Aspasie semble avoir crit sur divers sujets, et non pas seulement sur les femmes, ce qui nest pas sans intrt pour notre recherche (Chap. 102 (ou 103 selon le sommaire), p. 150, l. 18 sq. Zervos) : . Il faut donc dabord essayer dobtenir un coulement des liquides grce aux remdes dont nous avons dj parl propos des hommes souffrant dhydrocle.

Mais la premire personne suppose par le participe du grec recouvre-t-elle ici Aspasie ou Aetius ? Il faut pour essayer den juger examiner les autres occurrences demplois de la premire personne. Voici ces occurrences :

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p. 17, l. 3 nous rencontrons je veux dire , cest--dire ; la premire personne du singulier pourrait nous tonner, mais on peut se demander si cette expression, qui indique que lon apporte une prcision terminologique ou autre, nest pas loccasion employe abusivement ; peut-tre faut-il la considrer comme fixe la premire pers. du sg.). p. 36, l. 16, le cas est moins clair : le chapitre sappelle , (Chap. 25, p. 36, l. 16 sq. Zervos) : , , , . Si une inflammation survient, il faut agir comme on fait en cas dinflammation ; sil y a un coulement de sang important, il faut soigner de la faon que nous expliquerons dans [le chapitre ?] sur les hmorragies utrines.

Ce passage est rapprocher de celui que nous venons de citer propos dun livre (?) antrieur sur les hommes. Les lecteurs de Galien et autres compilateurs de lpoque impriale auront bien sr cur de ne pas interprter trop vite cette prsence de la premire personne. Il se pourrait en effet, dans lun et lautre cas, ou bien quAetius fasse allusion dautres passages de sa collection, ou bien dautres uvres quil aurait crites. Le premier cas me semble improbable, car dune part le TLG ne permet pas de reprer les passages auxquels il serait fait allusion dans ce que ce logiciel possde dAetius, cest--dire dans les uvres dites, et dautre part je nai pas repr de chapitre ou de passage correspondant exactement dans les livres donns en traduction par Janus Cornarius (je veux parler des deux livres indits en grec, X et XIV), que jai consults sur Medic@, la collection lectronique de mdecins de lAntiquit et du Moyen Age de la Bibl. Inter-univ. de Mdecine de Paris. Il est cependant possible que la phrase concernant les hydrocles chez les hommes soit une allusion ce qui a t crit par Aetius propos des herniae aquosae, XIV, 22 : ce passage est donn comme tir (principalement ?) de Lonidas (Ier ou IIe sicle de notre re, donc). p. 30 (Chap. 22, p. 30, l. 5 sq. Zervos) : . Il faut encore faire la mme chose si le ftus est grand et sil est mort ; nous comprendrons quil est mort sil donne au toucher une impression de froid et sil ne bouge plus.

videmment, il sagit ici dun emploi en quelque sorte vide de la premire personne du pluriel. Nous pourrions le gloser par quelque chose comme nous

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autres mdecins . Le chapitre correspondant de Soranos (IV, 3, p. 10, l. 14-21) est bien diffrent et ne comporte pas de premire personne. Il me semble que cet emploi ne se rencontre gure dans des compilations purement utilitaires, et il me semble ( cause de son insertion dans le texte) quil est probable quil est mettre au compte dAspasie, et non celui dAetius, premier point. Et dautre part quil signale un texte qui est situ un peu plus haut que les simples manuels de xenodocheia (les hpitaux byzantins) dans la hirarchie de la littrature technique ; son auteur na pas entirement disparu derrire la description des oprations techniques effectuer, et cela est intressant en soi et pour ce qui nous occupera tout lheure. Mais pour le reste, il me parat difficile de trancher avec assurance ; les occurrences de premire personne du pluriel peuvent recouvrir aussi bien Aspasie quAetius, et en consquence nous sommes bien mal renseigns sur ltendue de ses intrts en matire de mdecine. 4.3. Le mtier dAspasie : mdecin ou sage-femme ? Aspasie semble prendre soin de se distinguer de la sage-femme (p. 114, l. 1 sq. Zervos) : . , . Dans le cas particulier dune rtroversion de la matrice du ct du sige, il faut soigner comme suit. Dabord, ordonner la sage-femme de repousser la matrice avec son doigt travers (la paroi de) lanus, etc. 21

Sur le petit thtre des soins la patiente que nous connaissons depuis tel passage clbre de Galien, Aspasie ne semble pas tre (contrairement ce que lon aurait pu peut-tre imaginer) sous les ordres dun mdecin, son suprieur dans la hirarchie des soignants. Mais il peut nous sembler tonnant quelle, qui est une femme, dlgue la sage-femme les oprations intimes quelle recommande, et que lon sait que le mdecin grec, dans la tradition hippocratique, laissait volontiers des aides de sexe fminin ou des sages-femmes. Mais sur ce point galement, il faudra faire preuve dune grande prudence. On suppose depuis les tudes de Grensemann que le toucher vaginal avait t pratiqu par les plus anciens mdecins hippocratiques (MF, I, 20 : cest la couche la plus ancienne de MF, la couche A de Grensemann), mais quil fut parfois vit par la suite (MF, I, 21 ; I, 40 ; Femmes striles, 213 : ces trois occurrences sont dues lauteur C de Grensemann)22. Cette question du statut exact dAspasie nous21 22

Je ne trouve pas de passage correspondant dans Soranos. Sur la pudeur, cf. aussi SORANOS, II, 6 (p. 8 BURGUIRE-GOURVITCH) : la sage-femme vite de regarder les parties intimes de la femme pendant quelle les masse, de peur que celles-ci ne

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amne poser la question plus gnrale des personnels mdicaux fminins de lAntiquit.

5. La gyncologie et le personnel mdical fminin dans lAntiquit Pour essayer de mieux connatre Aspasie, nous devons essayer de mieux connatre la mdecine des femmes dans lAntiquit, et notamment lpoque hellnistique et romaine. Que savons-nous de la gyncologie ancienne ? Le corpus hippocratique contient quelques textes gyncologiques importants, ainsi quun certain nombre de notices gyncologiques dans les pidmies. On se reportera aux ouvrages fondateurs de Grensemann pour lanalyse du dtail de ces ouvrages, et au volume de King (Hippocrates Woman) pour une mise en perspective plus moderne, informe par les travaux des anthropologues et des gender studies. Mais aprs Hippocrate , la gyncologie a continu voluer ; malheureusement la mdecine alexandrine (au sens de premire mdecine alexandrine ) nous est largement inconnue (malgr des recueils de fragments comme celui de von Staden 1989). Cest surtout avec Soranos dphse, le grand mdecin du premier sicle de notre re, que nous apprenons connatre la gyncologie post-hippocratique. De nombreuses femmes ont exerc des professions mdicales dans lAntiquit23. Certes, certaines dentre elles ont t sages-femmes, et il pouvait arriver que leur pratique fasse delles des rivales du mdecin, voire quelles pratiquent, si lon peut dire, une discipline intermdiaire. Un exemple nous est peuttre donn par cette Maia (nom de mtier sil en fut), sage-femme lorigine, mais qui laisse un remde que le matre de Pergame juge bon dinclure dans sa collection24. Lpigraphie nous transmet le nom de deux iatromeae, cest dire des mdecins-sages-femmes, dont nous ne savons, hlas, peu prs rien de plus25. Quoi quil en soit (au moins lpoque romaine), il na pas t exceptionnel que des femmes fussent mdecins (medica, ). Puisque nous sommes Lyon, une place de choix sera rserve Metilia Donata, qui fait don dun monument funraire sur sa fortune26. Dautres ne sont connues que par la littrature mdicale, et notamment par Galien ou tel de ses prdcesseurs. Je commenceraise contractent. Lanalyse de GRENSEMANN 1987, p. 30-32. Cf. aussi les remarques de Florence BOURBON 2008, dans son dition de Nature de la femme, p. LXXVI, note 166, propos des emplois d dans ce dernier trait hippocratique.23

Pour la suite, on consultera notamment la bonne introduction de GOUREVITCH 1984, p. 223 sq. De comp. med. per gen. V 13 (K 13, 840). Cf. CIL VI, 9477 et 9478, et GOUREVITCH 1984, p. 224. ROUG 1982.

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par prendre lexemple dAntiochis. Nous la rencontrons dans le trait de Galien sur les mdicaments selon les lieux, mais la citation de Galien est selon toute probabilit tire dune citation dAsclpiade le Jeune. Une longue srie de recettes de ce mdecin, srie consacre aux empltres contre certaines affections de la rate, occupe en effet les pages 248 254 du tome XIII de ldition Khn. Elle est tire, nous dit Galien, du livre 4 du Trait sur les remdes externes de ce mdecin, et cite littralement ( ) par lui (Galien). On y reconnat souvent les impratifs (notamment ) assez caractristiques de ce mdecin. Antiochis est donc lauteure dun empltre contre les maux de la rate27 ; ce qui est intressant, cest quelle la prpar pour une certaine ( ), et quil en existe une autre version, clbre, compose galement pour ladite . Mdecine des femmes pour les femmes ? Nous y reviendrons. Nous pouvons encore citer Xanit28, qui est lauteure dune pommade pour le sige (). Elle apparat sans commentaire dans une liste de remdes dAndromachos le Jeune cits par Galien (la liste va de K 13, 307 K 13, 312). Il est peut-tre utile, pour mieux comprendre comment les professions mdicales du dbut de lEmpire se partagent la scne clinique, de rappeler une anecdote clbre, celle qui voit Galien soigner la femme de Boethus, grand personnage consulaire. Cest bien sr Galien lui-mme qui nous rapporte lanecdote, dans le trait Sur le pronostic, pigens : La femme de Boethus, qui avait t prise de flux utrin, avait au dbut honte devant les mdecins rputs, dont je paraissais dj tous faire partie ; elle eut recours aux sages-femmes habituelles, les meilleures de la ville. Comme cela ne samliorait pas, Boethus nous rassembla tous, et senquit auprs de nous de ce quil fallait faire.29

La femme a ensuite le ventre qui gonfle, et plusieurs des sages-femmes prsentes sont persuades quelle est enceinte, mais la prsence dcoulement de sang empche les mdecins de se rallier cette opinion. Celle qui la gardait, et dont nous pensions avec confiance quelle tait la meilleure, soccupait delle comme si elle tait enceinte et en particulier la lavait tous les jours ; il arriva que dans la premire salle du bain elle fut prise dune douleur trs vive, comme cela arrive aux femmes qui accouchent. Elle perdit une certaine quantit de liquide aqueux, au point de perdre connaissance, et dtre transporte hors du bain par cette femme. Celles qui lentouraient se mirent appeler et crier, sans quaucune dentre elles lui frottt les pieds, les mains ou encore la rgion de lorifice du ventre, que lon27

GALIEN, De comp. med. sec. locos IX, 2 (K 13, 250) ; les mmes recettes ( quelques mots prs, dans ldition Khn) reviennent dans un autre passage o Galien cite nouveau le livre IV du Trait dAsclpiade : De comp. med. sec. loc. X, 1 (K 13, 341). De comp. med. sec. loc. IX 9 (K 13, 311). GALIEN, De praecognitione ad Epig., p. 110 l. 18-22 Nutton (K 14, 641).

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appelle estomac. Comme je me trouvais par hasard prs de la porte du bain, entendant des cris, je bondis lintrieur et je laperus sans connaissance. Je pris aussitt du parfum au nard, pour en frotter lestomac, tout en enjoignant aux femmes prsentes de ne pas rester l crier en vain, et de lui rchauffer plutt les unes les pieds, les autres les mains, dautres enfin de lui mettre des parfums sous le nez. Nous parvnmes alors rapidement la rveiller.

La suite est particulirement intressante, et lon nous permettra de la citer dabord en grec : Galien, De praecognitione ad Epigenem, p. 112 l. 23-26 Nutton (K 14, 643644) : , . add. Nutton.

La sage-femme se rjouit beaucoup, lorsque le ventre, en se vidant, reprit son volume ordinaire ; non pas tant parce quelle stait trompe dans son opinion en prtendant que la patiente tait enceinte, mais parce que, comme quelquun qui aurait eu de laffaire une connaissance scientifique, elle nous avait contredits, nous, les mdecins, qui ne faisions pas confiance au traitement traditionnel.30

Ce texte montre non seulement quil y avait une concurrence disons clinique ou thrapeutique entre mdecins et sages-femmes, mais encore que sur le plan du savoir, des prtentions scientifiques, les deux corporations devaient saffronter souvent31.

6. Les femmes-mdecins et sages-femmes nom de courtisane 6.1. Introduction : dAspasie Cloptre et retour Il faut signaler que, malgr la publication de ldition, trs minutieuse, dIlberg, malgr les riches annotations de ldition de Burguire-GourevitchMalinas, ceux qui sintressent Aspasie ne seront pas trs aids. Car il y a un bon gyncologue, Soranos (auquel sintressent les diteurs modernes), et des auteur(e)s mineures, qui paraissent indignes de lintrt du chercheur, comme Aspasie : cest donc elle que je me suis intress. Il arrive quIlberg ne signale30 31

Ibid., p. 112 l. 10-26 (K 14, 643-644). Rappelons (ce sera important pour la suite de notre propos) quune bonne sage-femme, daprs SORANOS (I, 2, p. 5 BURGUIRE-GOUREVITCH), doit savoir les lettres et avoir accs la thorie ().

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mme pas, dans son apparat lemmatique, do viennent les passages dAetius donns comme parallles (ainsi pour le chapitre 12 Zervos [Ilberg p. 32 excerps(it) Aet(ius) ], pour le chapitre 15 Zervos [Ilberg p. 136 cf. Aet. ]) ; dautres fois au contraire, il donne la source, ainsi pour le chapitre 22, , , il crit (p. 129, note de lapparat lemmatique ad l. 9 sq.) cf. Aet(ius) XVI 22 () . Ou encore pour le chapitre 18 Zervos, pour lequel il cite le titre dAetius (p. 47, note de lapparat lemmatique ad l. 21) : excerps(it) Aet(ius) XVI 18 ( ) . Je crois pourtant quIlberg a souponn, malgr les hsitations dont fait preuve son apparat lemmatique, quelle pouvait tre limportance dAspasie : il crit par exemple dans ltude prliminaire quil avait publie titre dintroduction ses travaux pour ldition : Der Titel bei Aetios weist darauf hin, da Rufus von ihm nicht direkt, sondern durch Vermittlung einer Aspasia benutzt ist, die noch in vielen andern Aetiostiteln genannt wird und deren Name in Kleopatra eine Analogie findet32. Le titre , chez Aetios, indique quil nutilise pas Rufus directement, mais par lintermdiaire dune Aspasie, cite galement dans bien des chapitres de cet auteur, et dont le nom prsente quelque analogie avec celui de Cloptre.

Ici cest le rle (possible) dintermdiaire jou par Aspasie qui est soulign (et lon sait combien sont importants, pour la critique des sources, ces rles dintermdiaires), mais la mention de Cloptre va me conduire une autre remarque de Ilberg, aprs quelques mots de prsentation, car je crois que de sa part cette mention de Cloptre nest pas innocente. Cloptre est le nom que Galien donne une auteure qui il doit un bon nombre de recettes de remdes cosmtiques33. Les recettes donnes concernent les diffrentes affections du cuir chevelu, et sont tires dun livre intitul le Cosmtique 34. Elle est lun des nombreux pharmacologues actifs au cours des deux premiers sicles de lre chrtienne, et peut-tre assez proche de Galien dans le temps. Il est difficile de ne pas penser quil y a peut-tre un pseudonyme derrire le nom dune reine renomme pour sa beaut et son intelligence la fois (qui saurait mieux inventer de jolies recettes de cosmtiques ?), mais le nombre de femmes mdecins au cours de la priode ne nous interdit nullement de penser quune femme a pu prendre cet illustre nom, voire le porter par hasard de nais32 33

ILBERG 1910, p. 52, n. 2 en bas. De comp. med. sec. loc. lib. I (K 12, 403-405 ; 432-434 ; 492-493). Il est difficile de savoir si ces recettes, que Galien cite directement daprs le livre de Cloptre, ont t connues par lui de premire main, ou bien si cest Criton qui les lui a souffles . De comp. med. sec. loc. lib. I (K 12, 403).

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PASCAL LUCCIONI

ASPASIE : UNE GYNCOLOGUE DPOQUE IMPRIALE ?

sance, le nom tant commun pendant toute lAntiquit tardive. Lon voit dj que cet(te) auteur(e) prsente avec notre Aspasie (par lintermdiaire de leurs anctres ) de nombreux points communs ; lune a peut-tre influenc le gouvernement de la Grce, lautre a voulu influencer celui de Rome, lune et lautre ont a sduit les plus hauts personnages mles de leur poque respective. Lune et lautre ont t admires, de faon ambigu, pour leur beaut, moins que ce ne soit pour leur sagesse35. Il se trouve que le Parisinus graecus 2153 contient une notuscule qui a exerc la sagacit des chercheurs ; la voici.+ , [tout ceci lencre rouge]+ [ces deux lignes lencre noire] + + [ce nom lencre rouge, en gros caractres]36

Mme si le dtail de ce scholion reste obscur et sans doute corrompu, il ne manque pas dintrt, mon avis. Les diteurs de la C.U.F. le traduisent ainsi : Ici figurent, pour chaque position (du ftus) ce qui a trait la configuration des embryons dans la matrice, et la faon dont la sage-femme doit extraire chacun, avec lexplication du dessin. Nous y avons renonc [scil. reproduire les schmas] cause des couleurs. + Illustrateur spcialis en mdecine des femmes (?) dOlympias dHracle, qui adresse [ces schmas ?] Cloptre, reine dgypte.

Voici ce qucrit pour sa part Ilberg, aprs avoir cit notre scholion : Man braucht sich nur einigermaen der schon seit dem Altertum wuchernden pseudepigraphischen Literatur und Legende zu erinnern, um ein solches Testimonium ohne weiteres als wertlos ber Bord zu werfen. 37 Il suffit de se souvenir ne serait-ce quun peu de la littrature et de la lgende pseudpigraphiques qui ont pullul depuis lAntiquit pour jeter un tel tmoignage par-dessus bord comme sans valeur.

On aperoit ici, il me semble, le tmoignage des hsitations dIlberg. Faut-il adopter une attitude purement scientifique, neutre en quelque sorte, qui sattache au recensement des tmoignages et la connaissance que lon peut en avoir pardel les sicles (ainsi quIlberg le fait dailleurs bien souvent, heureusement), ou bien faut-il mettre implicitement en valeur une bonne science , celle qui garde quelque chose du legs de lpoque classique, au dtriment des auteurs perdus dans35 36 37

PLUTARQUE, Vie de Pricls 24 ; Vie dAntoine 27. Le texte donn est celui de ldition BURGUIRE-GOUREVITCH-MALINAS. ILBERG 1910, p. 20.

Eruditio Antiqua 1 (2009)

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PASCAL LUCCIONI

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les amalgames compilatoires des ges dargent, quil faut jeter par-d