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CAS CLINIQUE

Une lésion congénitale rare : le kyste bronchogénique.À propos d’un cas clinique et revue de la littératureA rare congenital lesion: Bronchogenic cyst. About a clinical case and reviewof the literature

P. Perrot a,*, V. Lescour a, F. Jossic b, S. Barbarot c, F. Duteille a

a Service de chirurgie plastique et reconstructrice, centre des brules, hopital Jean—Monnet, CHU de Nantes, 30,boulevard Jean-Monnet, 44093 Nantes cedex 01, Franceb Service d’anatomie pathologique, hopital Jean-Monnet, CHU de Nantes, 44093 Nantes cedex 01, Francec Service de dermatologie, hopital hotel-Dieu, CHU de Nantes, 44093 Nantes cedex 01, France

Recu le 14 decembre 2010 ; accepte le 27 janvier 2011

MOTS CLÉSKyste bronchogénique ;Congénital ;Anatomie pathologique

Résumé Les kystes cutanés bronchogéniques sont des lésions congénitales très rares. Lalocalisation scapulaire est assez fréquemment retrouvée dans la littérature. Seule l’analysehistologique peut confirmer le diagnostic, car aucune caractéristique clinique n’est pathogno-monique. L’exérèse chirurgicale de la lésion est justifiée par le risque d’infection locale et lagêne liée à l’écoulement récurrent.# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBronchogenic cyst;Congenital;Histological analysis

Summary Cutaneous bronchogenic cysts are very rare congenital lesions. Scapular localiza-tion is frequently found in the literature. Only the histological analysis can confirm the diagnosis,because no clinical characteristic is pathognomonic. Surgical excision of the lesion is justified bythe risk of local infection and discomfort related to the recurrent flow.# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 263—266

Introduction

Les kystes sont des lésions cutanées très fréquentescomposées habituellement d’une cavité anfractueuse

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Perrot).

0294-1260/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droidoi:10.1016/j.anplas.2011.01.006

limitée par une paroi de tissu dermoépidermique. Le kystebronchogénique est une lésion congénitale très rare. Ils’agit d’une tumeur bénigne, secondaire à une anomaliedu développement embryonnaire de l’arbre trachéobron-chique primitif qui se forme à partir de la troisièmesemaine de gestation. Nous décrivons ici le cas d’uneenfant de 22 mois chez qui nous avons réalisé l’exérèsed’un kyste bronchogénique sous-cutané de la région sca-pulaire droite en septembre 2010.

ts réservés.

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Figure 1 Photographies préopératoires montrant un nodulecentimétrique, de consistance molle, non fixé au plan sous-jacent, avec à l’inspection une peau en regard légèrementhyperpigmentée. Présence d’un petit orifice punctiforme ausommet du nodule.

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Cas clinique

Une enfant de 22 mois, sans antécédent, née à terme, est vueen consultation pour un nodule cutané présent depuis lanaissance, dans la région scapulaire droite (Fig. 1). Lediamètre mesuré cliniquement est d’environ 1 cm. La lésiond’allure kystique est de consistance molle et un peu pluspigmentée que la peau saine. Ce kyste est asymptomatique,indolore, sans épisode d’infection ni d’augmentation detaille. La seule particularité clinique est la survenue récented’un épisode de suintement, avec un écoulement séreuxprovenant de la lésion.

Une excision en fuseau de la totalité de la lésion et suturedirecte est réalisée sous anesthésie générale. En peropéra-toire, on constate un écoulement jaunâtre mais aucuneconnexion profonde avec les tissus sous-jacents n’est retro-uvée. La pièce de 15 � 10 mm est envoyée au laboratoired’anatomopathologie pour analyse histologique.

Cette analyse identifie, au sein du derme, une cavitékystique, anfractueuse, tapissée par une paroi d’épithéliumtantôt malpighien pluristratifié non kératinisant ou trèslocalement parakératosique, tantôt comportant en surfaceune assise de cellules cylindriques ciliées reposant sur unépithélium pseudostratifié, reposant lui-même sur un tissufibreux, siège d’une néogenèse vasculaire et d’un infiltrat decellules inflammatoires mononuclées (Fig. 2).

La conclusion de cette analyse anatomopathologique est« kyste cutané congénital dont les données morphologiquescorrespondent à un kyste bronchogénique, avec absence designe histologique de malignité ».

Discussion

Environ 90 cas de kystes bronchogéniques cutanés ont étépubliés dans la littérature [1] depuis la première descriptionde cette lésion en 1945. Il s’agit donc d’une anomaliecongénitale très rare qui concerne classiquement plus sou-vent les hommes, avec un sex-ratio de 4:1. Le kyste est, engénéral, constaté dès la naissance, pendant les premièressemaines de vies ou bien pendant l’enfance. Dans les cas où

Figure 2 Analyse histologique de la pièce d’exérèse de cette lésiod’un épithélium pseudostratifié avec assise de cellules ciliées en jonparakératosique (coloration HES, microscopie optique, grossissemlinéaire de cellules ciliées (coloration HES, microscopie optique, gr

la lésion est très discrète cliniquement, c’est souvent lasurvenue d’un écoulement, d’un suintement, d’une infectiondu kyste ou d’une croissance de la lésion qui permet de ledécouvrir.

L’aspect clinique habituel est celui d’un nodule ou d’unepapule d’environ 1 cm de diamètre, de consistance molle,légèrement mobile et surtout non fixé au plan sous-jacent,avec à l’inspection une peau en regard légèrement hyper-pigmentée ou de couleur chair. Habituellement indolore, laprésence d’un prurit local est possible [1]. On retrouve assezfréquemment, dans la littérature, la description d’un petitorifice punctiforme au sommet du nodule par lequel peuts’écouler un liquide séreux ou visqueux, grisâtre ou jaunâtre[1—4] comme nous l’avons constaté lors de l’exérèse decette lésion.

Les deux localisations les plus fréquentes des kystesbronchogéniques sont situées en intrathoracique, au niveaudu parenchyme pulmonaire et du médiastin. Les localisationscutanées sont beaucoup plus rares [1], avec par ordredécroissant de fréquence : les régions présternales, supra-et infrasternales, la face antérieure du cou, la face dorsale

n congénitale : a : cavité anfractueuse au sein du derme, siègection avec un épithélium pluristratifié non kératinisant et parfoisent original �2,5) ; b : épithélium pseudostratifié avec assiseossissement original �40).

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des épaules, la région périscapulaire et le menton. Un cas dekyste bronchogénique cutané abdominal de la région épigas-trique a été décrit, en Corée, chez un nourrisson de 11 mois[5].

Différentes hypothèses concernant des anomalies dudéveloppement embryonnaire ont été formulées [1,5] pourexpliquer les localisations et la survenue de ces kystes sansqu’aucune ne soit confirmée actuellement. Ces kystes sontdonc constitués de tissu bronchique.

Pour rappel, le développement de l’arbre trachéobron-chique débute à partir du diverticule laryngotrachéal,apparaissant à la partie antérieure de l’intestin primitifvers la troisième semaine de gestation. Ce diverticule sedéveloppe vers l’extrémité caudale et on peut identifier àpartir de la quatrième semaine de gestation l’apparition àson extrémité des deux bourgeons bronchiques qui, pardivisions dichotomiques, permettront d’obtenir à la24e semaine de développement l’arbre trachéobronchiquequasi-complet. Le tube laryngotrachéal ainsi formé et sesdeux bourgeons bronchiques (ébauches pulmonaires) sontséparés de l’œsophage par une lame de mésenchymesplanchnique. Ce mésenchyme entoure, par ailleurs, lesdeux bourgeons bronchiques et le tube laryngotrachéal.C’est ce mésenchyme splanchnique qui est à l’origine desstructures musculaires lisses, du tissu conjonctif et dutissu cartilagineux que l’on retrouve souvent dans leskystes bronchogéniques. L’étape du développementembryonnaire à laquelle survient l’anomalie embryonnairedétermine probablement la localisation définitive du kyste[6].

La première hypothèse expliquant les localisations extra-thoraciques sternales des kystes bronchogéniques est uneprobable séquestration de tissu mésenchymateux par unefermeture tardive des arcades sternales qui isolent unepartie de ce tissu en extrathoracique.

La deuxième hypothèse est celle d’un défaut de segmen-tation des bourgeons bronchiques, avec une séparationcomplète de tissu lors d’une division dichotomiale, respon-sable de l’isolement de futures cellules bronchiques entou-rées par du mésenchyme splanchnique et migrant en suivantle mésenchyme environnant. Le développement de la sca-pula pendant la sixième semaine de gestation pourrait isolerune partie de ce mésenchyme qui expliquerait les localisa-tions scapulaires des kystes.

La troisième hypothèse est celle d’une métaplasie localedes annexes cutanées en tissu bronchique. Enfin, la dernièrehypothèse correspond à une migration des cellules bronchi-ques via les vaisseaux lymphatiques.

À l’heure actuelle, aucune théorie n’est confirmée.La constitution histologique du kyste retrouve princi-

palement une cavité anfractueuse, limitée par un épithé-lium pseudostratifié à cellules ciliées de type bronchique.De manière associée, on constate bien souvent d’autrestissus tels que des cellules musculaires lisses, des cellulesà mucus, du cartilage hyalin, des adipocytes, des infiltratsde cellules mononuclées et de la fibrose. Il existe fréquem-ment une fistule cutanée du kyste qui peut se composerd’un épithélium pseudostratifié à pluristratifié non kéra-tinisé, en transition avec l’épithélium pluristratifié kéra-tinisé de type malpighien de la peau. C’est bienévidemment la confirmation histologique qui établit lediagnostic de certitude de kyste bronchogénique.

Les principaux diagnostics différentiels des kystescongénitaux sont [7] :

� les kystes branchiaux, localisés au niveau cutané sur lebord antérieur du muscle sternocléidomastoïdien, à lapartie antérolatérale du cou et sous la mandibule etconstitués de tissu épithélial bronchique et respiratoiremais sans muscle lisse, ni cartilage hyalin, ni glande àmucus ;� les kystes du tractus thyréoglosse, à la partie médiane du

cou, en avant de la glande thyroïde, du cartilage thyroïdeou de l’os hyoïde, et constitués d’un épithélium linéairecilié et de follicules thyroïdiens établissant une continuitéentre le kyste et la glande thyroïde ;� les kystes thymiques, localisés dans le triangle antérieur

du cou, constitués de tissu thymique avec présence decorpuscules d’Hassal ;� les kystes épidermoïdes, de localisation très variable et

constitués d’épithélium pluristratifié kératinisé de typemalpighien ;� les kystes pulmonaires ectopiques, possédants les carac-

téristiques cliniques d’une lésion hémangiomateuse papu-laire, congénitale, localisée au niveau du thorax etprésentant un écoulement de mucus fréquent. Le diag-nostic est histologique et retrouve du parenchyme pul-monaire avec des alvéoles, des bronchioles, et du tissulymphatique.

Aucun cas de kyste bronchogénique cutané ne présente deconnexion avec des structures sous-jacentes. Plusieurs équi-pes ont réalisé des fistulographies [3] ou des IRM [8] préo-pératoires qui ont toujours été négatives. Par ailleurs, ceslésions sont en général isolées, même si dans certains cas sontassociées des localisations médiastinales ou pulmonaires.

Les principaux risques évolutifs sont l’infection locale,l’abcédation et la survenue d’une infection systémique àpartir de cette porte d’entrée cutanée. L’écoulement réci-divant de liquide séromuqueux, grisâtre ou jaunâtre etparfois malodorant constitue une gêne fréquente, demême que le caractère inesthétique de la lésion. Il n’existe,en général, pas d’évolution de taille de la lésion avec l’âge. Ilfaut signaler la constatation d’un cas, publié en 2002 dans lalittérature [9], de dégénérescence en mélanome malin d’unkyste bronchogénique scapulaire chez un homme de 46 anssur une lésion congénitale non opérée. C’est le seul cas de cegenre rapporté actuellement.

Conclusion

Ces éléments (risque d’infection locale, gêne liée à l’écoule-ment récurrent et éventualité de dégénérescence en méla-nome malin) justifient l’indication d’exérèse chirurgicale deces kystes cutanés bronchogéniques. Seule l’analyse histolo-gique peut confirmer le diagnostic, car aucune caractéristiqueclinique n’est pathognomonique. Si l’exérèse est complète, iln’y a pas de récidive de la lésion localement ni à distance.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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Références

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[6] Pansky B. Embryologie humaine. Paris: Ellipses Marketing; 1998.[7] Adim SB, Baskan EB, Saricaoglu H, Elezoglu B. Cutaneous hete-

rotopic bronchogenic tissue in the scapular area. Australas JDermatol 2010;51(1):42—4.

[8] Schouten van der Velden AP, Severijnen RSVM, Wobbes T. Abronchogenic cyst under the scapula with a fistula on the back.Pediatr Surg Int 2006;22(10):857—60.

[9] Tanita M, Kikuchi-Numagami K, Ogoshi K, Suzuki T, Tabata N,Kudoh K, et al. Malignant melanoma arising from cutaneousbronchogenic cyst of the scapular area. J Am Acad Dermatol2002;46(2 Suppl. Case Reports):S19—21.


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