douleurs et tendons. questions posées au docteur patrick le goux

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 307—309 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ENTRETIEN Douleurs et tendons. Questions posées au Docteur Patrick Le Goux Pain and tendons: Questions put to Patrick Le Goux Patrick Sichère Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93200 Saint-Denis, France Rec ¸u le 18 juin 2013 ; accepté le 23 aoˆ ut 2013 Disponible sur Internet le 19 novembre 2013 Patrick Sichère : Doit-on distinguer les tendinites d’origine mécanique de celles dues à une inflammation et pourquoi ? Patrick Le Goux : Tout d’abord une tendinite se défi- nit par l’atteinte douloureuse de l’insertion (enthèse) ou du corps du tendon généralement associée à une lésion (calcification, épaississement, fissuration. . .) visualisée en imagerie (échographie, IRM). On distingue en théorie en pre- mier lieu des tendinopathies dites mécaniques dont l’origine est liée à des microtraumatismes répétés lors d’activités sportives ou professionnelles (on parle parfois de techno- pathie, c’est le cas pour l’épicondylite ou tennis elbow). Le vieillissement progressif et l’usure des tendons peuvent être également source de douleurs gênantes et invalidantes chez l’adulte après 50 ans. Un deuxième groupe de tendinite est d’origine inflammatoire, notamment les enthésopathies que l’on rencontre dans les rhumatismes inflammatoires comme la spondylarthrite ou la polyarthrite rhumatoïde. PS : Existe-t-il des formes mixtes ? PLG : Oui c’est le cas pour les tendons qui possèdent des gaines comme par exemple celles qui sont propres à chaque tendon extenseur au poignet. Ou encore celle commune au court extenseur et au long abducteur du pouce dont Rhumatologue médecin de la Fédération franc ¸aise de Tennis, consultant à l’INSEP, attaché de l’hôpital Ambroise-Paré, Boulogne- Billancourt. Adresse e-mail : [email protected] l’atteinte donne une ténosynovite au bord radial du poi- gnet appelée tendinite de de Quervain ayant un caractère inflammatoire (du fait de l’épanchement dans la gaine qui accompagne l’atteinte de ces tendons), mais dont l’origine est mécanique le plus souvent par surmenage dus aux mou- vements répétés. PS : Comment expliquer la chronicité d’une épicondy- lalgie ? PLG : En fait dans l’atteinte du tendon commun des épicondyliens (2 e radial, extenseur commun des doigts), il existe au plan physiopathologique 3 phases : une phase précoce inflammatoire ; une phase de tentative de réparation ou de cicatrisation (dont l’activité peut être mesurée par l’effet Doppler en échographie) ; une phase de maturation évoluant vers la guérison de la lésion tendineuse. Le passage à la chronicité de la tendinite s’explique par le fait que dans nombre de cas, le processus reste bloqué à la phase 2 de réparation, du fait d’une part, d’un délai spontané d’évolution naturelle vers la guérison de plusieurs mois (jusqu’à 12 mois) et, d’autre part, de certains facteurs péjoratifs comme la consultation tardive après installation de la douleur qui compliquent la prise en charge. PS : Cela doit-il faire dépister un syndrome fibromyal- gique ? PLG : C’est un diagnostic d’élimination. On peut évo- quer ce syndrome si plusieurs sites d’insertion tendineuse sont douloureux notamment les épicondyliens et les 1624-5687/$ see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.08.002

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Page 1: Douleurs et tendons. Questions posées au Docteur Patrick Le Goux

Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 307—309

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

ENTRETIEN

Douleurs et tendons. Questions posées au DocteurPatrick Le Goux�

Pain and tendons: Questions put to Patrick Le Goux

Patrick Sichère

Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93200 Saint-Denis, France

Recu le 18 juin 2013 ; accepté le 23 aout 2013Disponible sur Internet le 19 novembre 2013

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Patrick Sichère : Doit-on distinguer les tendinitesd’origine mécanique de celles dues à une inflammationet pourquoi ?

Patrick Le Goux : Tout d’abord une tendinite se défi-nit par l’atteinte douloureuse de l’insertion (enthèse) oudu corps du tendon généralement associée à une lésion(calcification, épaississement, fissuration. . .) visualisée enimagerie (échographie, IRM). On distingue en théorie en pre-mier lieu des tendinopathies dites mécaniques dont l’origineest liée à des microtraumatismes répétés lors d’activitéssportives ou professionnelles (on parle parfois de techno-pathie, c’est le cas pour l’épicondylite ou tennis elbow). Levieillissement progressif et l’usure des tendons peuvent êtreégalement source de douleurs gênantes et invalidantes chezl’adulte après 50 ans. Un deuxième groupe de tendinite estd’origine inflammatoire, notamment les enthésopathies quel’on rencontre dans les rhumatismes inflammatoires commela spondylarthrite ou la polyarthrite rhumatoïde.

PS : Existe-t-il des formes mixtes ?PLG : Oui c’est le cas pour les tendons qui possèdent des

gaines comme par exemple celles qui sont propres à chaquetendon extenseur au poignet. Ou encore celle communeau court extenseur et au long abducteur du pouce dont

� Rhumatologue médecin de la Fédération francaise de Tennis,consultant à l’INSEP, attaché de l’hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt.

Adresse e-mail : [email protected]

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’atteinte donne une ténosynovite au bord radial du poi-net appelée tendinite de de Quervain ayant un caractèrenflammatoire (du fait de l’épanchement dans la gaine quiccompagne l’atteinte de ces tendons), mais dont l’originest mécanique le plus souvent par surmenage dus aux mou-ements répétés.

PS : Comment expliquer la chronicité d’une épicondy-algie ?

PLG : En fait dans l’atteinte du tendon commun despicondyliens (2e radial, extenseur commun des doigts), ilxiste au plan physiopathologique 3 phases :une phase précoce inflammatoire ;une phase de tentative de réparation ou de cicatrisation(dont l’activité peut être mesurée par l’effet Doppler enéchographie) ;une phase de maturation évoluant vers la guérison de lalésion tendineuse.

Le passage à la chronicité de la tendinite s’explique pare fait que dans nombre de cas, le processus reste bloqué

la phase 2 de réparation, du fait d’une part, d’un délaipontané d’évolution naturelle vers la guérison de plusieursois (jusqu’à 12 mois) et, d’autre part, de certains facteurséjoratifs comme la consultation tardive après installatione la douleur qui compliquent la prise en charge.

PS : Cela doit-il faire dépister un syndrome fibromyal-

ique ?

PLG : C’est un diagnostic d’élimination. On peut évo-uer ce syndrome si plusieurs sites d’insertion tendineuseont douloureux notamment les épicondyliens et les

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pitrochléens aux coudes s’accompagnant de douleurs plususculaires que tendineuses à la ceinture scapulaire aux

paules bras ou avant-bras. Cependant, dans ce cadre,ucune lésion tendineuse n’est réellement objectivée par’imagerie.

PS : L’examen clinique varie-t-il d’une localisation àne autre ?

PLG : En règle générale, toute tendinite qu’il s’agisse duembre supérieur ou inférieur peut se définir par une triade

lassiquement retrouvée à l’examen physique :douleur à la palpation de l’insertion tendineuse ;douleur à l’étirement passif du tendon ;douleur à la contraction contre résistance manuelle.

PS : En dehors des facteurs déclenchant physiques,uelles sont les causes les plus fréquentes de tendinites ?

PLG : En dehors des causes mécaniques, l’usure ete vieillissement sont probablement source de pousséesouloureuses, notamment avec la présence de microcalci-cations très souvent présentes à l’insertion des tendonspicondyliens ou épitrochléens aux coudes et génératricese crises inflammatoires. On peut également évoquer laoutte, et les causes rhumatismales inflammatoires notam-ent la PR voire les spondylarthropathies.PS : Comment et pourquoi distinguer tendinites et

nthésites ?PLG : La notion de tendinite est plus liée à une atteinte

lobale ou en rapport avec celle du corps du tendon etelle qui correspond à l’atteinte de l’enthèse ou insertionu tendon, comme par exemple celle du tendon d’Achille à’insertion sur le calcanéum.

PS : Que deviennent dans le futur les tendinopathiesu sportif ?

PLG : Même si elles restent un véritable fléau pour leportif par leur lenteur de guérison (un tiers des blessureshez les tennismen professionnels), leur diagnostic et leuruivi grâce à la clinique et l’imagerie ainsi que leur prisen charge s’est bien améliorée, basée avant tout sur laééducation avec exercices d’étirements excentriques etarfois des traitements locaux comme les ondes de choct certaines injections de PRP (plasma autologue enrichi enlaquettes recueilli par prélèvement sanguin et centrifugé).ous ces traitements stimulant ou favorisant la réparationendineuse.

PS : Que doit-on interdire ou limiter en cas de tendi-ite ?

PLG : Il faut certainement avoir une bonne hygiène’hydratation en premier lieu et de facon générale éviterous les gestes traumatisants pour le tendon, par exempleviter de porter toute charge trop lourde pour les tendons duembre supérieur ce qui n’empêche pas de faire des exer-

ices d’étirement bien dosés contre résistance pour relancera phase de cicatrisation.

PS : Que rôle donnez-vous aux infiltrations de corti-oïdes ?

PLG : Les infiltrations corticoïdes peuvent être utilesour traiter les tenosynovites inflammatoires ou lesendinites aiguës relativement algiques, mais leur effet

st transitoire à moyen terme et elles ont un impactlutôt négatif sur la réparation tendineuse, ce qui peutxpliquer certaines récidives douloureuses notamment pour’épicondylite.

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P. Sichère

PS : Quelles sont les règles de prudence à donner aprèsne infiltration ?

PLG : Il faut mettre le tendon du patient au repos rela-if pendant 3 à 4 semaines, effectuer un glacage réguliert proposer des exercices d’étirement progressifs dans laoulée pour réadapter le tendon aux contraintes méca-iques.

PS : Quelles sont les autres possibilités d’infiltrer ?PLG : On peut donc utiliser ces injections de PRP tou-

ours en cours d’expérimentation (2 injections à un mois’intervalle), à pratiquer sous guidage échographique auontact de la lésion. Actuellement, elles sont réalisées plu-ôt en deuxième intention après échec des traitements citésur des patients sélectionnés. Il sera vraisemblablementossible de les utiliser en première intention dans les épicon-ylites récentes si leur effet positif se confirme et sachantue ces injections sont bien tolérées et n’entraînent à ceour aucun effet secondaire majeur.

PS : Où en sont les travaux à ce sujet ?PLG : Nous allons bientôt donner les résultats d’une étude

ontrôlée randomisée contre placebo pratiquée en doubleveugle sur 50 patients dans le cadre d’épicondylites nonnfiltrées dépassant à peine 3 mois d’évolution. Les résultatsont intéressants.

PS : Que penser de la mésothérapie ? Quid du traite-ent par laser ? Quelle place donner aux traitements parltrasons ?

PLG : Ces différents traitements ont un effet non démon-ré pour ce qui concerne la mésothérapie, et un niveau dereuve faible proche du placebo pour le laser et les ultra-ons.

PS : Quand faut-il confier le patient au kinésithéra-eute ? Selon quel type de prescription ?

PLG : Il faut confier le patient à un kinésithérapeuteotivé et expérimenté :tout d’abord, si il faut lui faire pratiquer des ondes dechoc (tendon calcanéen ou rotulien) ;et surtout des étirements excentriques contre résistanceselon la méthode de Stanish (tendons épicondyliens,calcanéens. . .). En complément ou en alternative des pro-tocoles d’auto-rééducation sont possibles.

PS : Que pensez-vous de l’ostéopathie dans le contextee tendinopathie ?

PLG : Je pense que l’ostéopathie peut compléter dansne certaine mesure le traitement pratiqué dans certainespicondylalgies dont la cause purement tendineuse n’est pasvidente (par exemple douleur projetée dans les douleurservicales). Mais aucune évaluation sérieuse de ces pra-iques n’a été réalisée et ces pratiques ne sont pas toujoursénuées de risques.

PS : Quelle est l’indication des orthèses dites de repos ?PLG : Dans les tendinites, la mise au repos complète

u tendon n’est pas forcément souhaitable (ce qui seraitifférent en cas d’atteinte ligamentaire ou articulaire parxemple) d’où un intérêt modeste de ces orthèses de reposans ces indications.

PS : Quand proposer le port de semelles orthopé-

iques ?

PLG : On peut les proposer dans les tendinites ou unéfaut d’axe des membres inférieurs est mis en évidenceu lorsque des troubles statiques des pieds (varus ou valgus

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Douleurs et tendons. Questions posées au Docteur Patrick Le

de l’arrière pied, pieds plats pies creux) sont détectés surpodoscope. Ces orthèses plantaires sont très utiles au-delàde la pratique sportive, de même qu’un chaussage adapté.

PS : Que faut-il attendre des travaux en cours du pointde vue thérapeutique ?

PLG : On peut penser que le démembrement physiopa-thologique des tendinites va nous permettre de progresserdans leur prise en charge, chaque type de traitement agis-sant sur des phases spécifiques de l’inflammation ou de la

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éparation. Les travaux concernant les injections de PRPontrent une complémentarité possible ou une alternanceossible avec les injections de corticoïdes sachant que leurode d’action est plus lent mais plus efficace sur la cica-

risation et qu’il faudra en trouver le bon timing dans le

emps. Autre sujet de recherche, les injections d’acide hya-uronique avec une étude contrôlée donnant des résultatsignificatifs dans l’épicondylite, mais l’efficacité de cettehérapeutique reste à démontrer.