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E. Amann La doctrine christologique de Théodore de Mopsueste (A propos d'une publication récente) In: Revue des Sciences Religieuses, tome 14, fascicule 2, 1934. pp. 161-190. Citer ce document / Cite this document : Amann E. La doctrine christologique de Théodore de Mopsueste (A propos d'une publication récente). In: Revue des Sciences Religieuses, tome 14, fascicule 2, 1934. pp. 161-190. doi : 10.3406/rscir.1934.1617 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rscir_0035-2217_1934_num_14_2_1617

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E. Amann

La doctrine christologique de Théodore de Mopsueste (A proposd'une publication récente)In: Revue des Sciences Religieuses, tome 14, fascicule 2, 1934. pp. 161-190.

Citer ce document / Cite this document :

Amann E. La doctrine christologique de Théodore de Mopsueste (A propos d'une publication récente). In: Revue des SciencesReligieuses, tome 14, fascicule 2, 1934. pp. 161-190.

doi : 10.3406/rscir.1934.1617

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rscir_0035-2217_1934_num_14_2_1617

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LA DOCTRINE CHRISTOLOGIQUE

DE THÉODORE DE MOPSUESTE

(A propos d'une publication récente)

Ce n'est pas sans émotion, tout au moins sans un sentiment de sympathique curiosité, que l'on ouvre la toute récente édition des « catéchèses » de Théodore de Mopsueste. Il va donc être possible de reconstituer la pensée de ce docteur autrement que par les fragments arrachés à ses œuvres par des gens qui souvent ne voulaient pas de bien au fameux Interprète ! C'est un très .grand service que rend à l'histoire de la théologie M. A. Mingana (1) en donnant la traduction syriaque, rendue en un anglais relativement facile, des deux séries d'homélies consacrées par l'évêque de Mopsueste à préparer ses catéchumènes à l'initiation chrétienne. L'intérêt qu'avaient excité, lors de leur apparition, au XVIIe siècle, les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem ne manquera pas, croyons-nous, de se renouveler dans le cas présent.

Au fait Inous nous trouvons eai présence de deux œuvres sensiblement analogues; il s'agit de part et d'autre de fournil1 aux compétentes, en un nombre limité de réunions, ce qu 'ils doivent savoir avant d 'être admis aux rites solennels de l 'initiation dans la nuit de Pâques, II y a u!ne différence pourtant entre l'économie générale des 'deux œuvres. Saint Cyrille sépare nette^

(1) Voir les renseignements bibliographiques essentiels dans notre Revue, année 1933, p. 425 sq. L'éditeur est assez. sobre de détails sur les origines de son manuscrit. Mais, quoi que l'on puisse penser des garanties offertes par divers textes publiés par cet auteur, l'authenticité de celui-ci ne donne prise à aucun soupçon.

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ment les catéchèses prébaptism(ales des instructions que l'on a appelées « mystagogiques ». Ces dernières, soit pour respecter la discipline de 1 'arcane, soit pour toute autre raison, n'ont été prononcées qu'après le baptême et la première communion. Il semble bien au contraire que les instructions de Théodore relatives aux sacrements de l'initiation aient été données avant celle- ci, tout au moins celles qui coincement le baptême (1) .

Quoi qu'il en soit d'ailleurs, les instructions qui portent sur la doctrine chrétienne et qui sont un commentaire rapide du symbole baptismal obligeaient l'évêque à condenser en un petit nombre de leçons renseignement qu'il avait à donner. Nous avons donc affaire avec un corps complet de doctrine, où sont mis eji évidence les points capitaux du dogme. Bien entendu, cet exposé, destiné à un auditoire où tous n 'étaient pas des savants, se tient éloigné, au moins pour l'ordinaire, de ce que l'on pourrait appeler la spéculation théologique. Il s'agit avant tout d'exposer la doctrine courante, d'en fournir une explication obvie, d'appuyer aussi de preuves scripturaires les affirmations du symbole. C 'est ce qui fait l 'intérêt de ces pages ; l 'on entend ici moins le savant que l'évêque, et l'on assiste aux efforts très louables que fait celui-di pour mettre à la portée de tous les idées de celui-là. Il n'est pas interdit de conjecturer que ces catéchèses ont été prononcées dès les premiers temps de répiscopat de Théodore. C 'est vers 393, peut-être à l 'occasion de la conférence qu 'il dut avoir à Anazarbe avec les maeédondelns, que Théodore a été élevé à l 'épiscopat (2) ; c 'est peu après que lui a été confiée l'administration de l'église de Mopsueste. A ce moment il avait déjà derrière lui un assez long passé d'écrivain (3). Dans son commentaire sur le Psautier et sur les Douze petits prophètes, il avait donné la mesure de ses talents et aussi de ses hardiesses d'exégète. Surtout vson Traité de l'incarnation, composé après

(1) Voir t. VI, p. 17, 1" instruction sur le baptême : « Comme le temps du sacrement approche, et que, par la grâce de Dieu, vous êtes sur le point de participer au baptême... » — Je ne serais pas aussi afflrmatif pour ce qui concerne les deux instructions relatives à l'eucharistie. Elles paraissent souvent s'adresser à des personnes qui ont déjà reçu le sacrement.

(2) Voir la notice que donne Barhadbesabba, dans son Histoire des saints Pères, dans Patrologia orientalis, t. IX, p. 506.

(3) Sur la chronologie de ses œuvres, voir l'article du R. P. Vosté, dans Revue biblique, 1925, p. 54 sq. ;

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382, lui avait fourni l'occasion d'étudier dans toute leur complexité les difficiles problèmes que soulève cet ineffable mystère. Avec un© tranquille audace, Théodore avait tiré, du dogme une fois admis des deux natures, toutes les conséquences qu 'une dialectique infiniment souple et une exégèse strictement attachée à l'interprétation littérale lui 'avait permis d'établir. Encore que nous soyons mal renseignés sur ce point, il est fort vraisemblable que telles de ses affirmations avaient causé quelque émoi, pour ne pas dire, quelque scandale. Il est donc extrêmement curieux de suivre les efforts faits par l'évêque de Mopsueste pour donner à son troupeau une doctrine qui ne laisse place à aucune critique. On l'a fait remarquer avec beaucoup de raison:, l'esprit de notre docteur était plus souple qu'il ne paraîtrait d'abord. Il n 'est pas très difficile de voir que -l 'exégèse de sa maturité n'a plus toutes les audaces de celle qu'il professait dans sa jeunesse. Une étude plus approfondie des questions, le sens encore de ses responsabilités de pasteur ont amené, sinon dans sa pensée, tout au moins dans ses expressions, de notables atténuations. Il 'en est de même pour ce qui concerne la doctrine de « l'économie du salut ». Il y aurait intérêt, croyons-nous, à comparer de près la théologie de nos catéchèses et celle du Traité de l'incarnation (1). L'analyse détaillée que l'on trouvera, dans les pages qui suivent, des homélies plus spécialement relatives à la ehristologie permettra, nous l'espérons, oin travail de ce genre (2).

(1) Le Traité de l'incarnation ne s'est conservé qu'en des fragments qui sont absolument incapables de nous restituer la vraie physionomie de l'œuvre. La meilleure édition est celle de H. Sweete en appendice à ses Theadori Mopsues- teni in Epistolas B. Pauli commentarii, t. II, 1882, Cambridge, p. 290-312. L'ensemble de ces fragments ferait à peine la moitié de l'évangile de saint Marc. Or, au dire de Gennade, Vir. inl., 12, le traité aurait compté 15.000 stiques. Si, avec la stichométrie de Nicéphore, on attribue à Marc 2000 stiques, on voit qu'il nous reste à peine 1/15 du traité de Théodore. Sur les 15 livres dont il se composait, nous n'avons rien des 1. III et IV ; plusieurs livres ne sont représentés que par quelques lignes; seul le 1. VII a fourni un extrait important, où l'exposition se suit. On n'oubliera pas non plus que ces fragments ont été colligés, pour le plus grand nombre, par des adversaires. C'est dire combien informe est notre connaissance de l'ouvrage. — Mgr. Addaï Scher avait été assez heureux pour découvrir un exemplaire complet de la traduction syriaque ; la Palrologia orientalis devait l'éditer. Hélas ! le malheureux prélat a été massacré, sa bibliothèque dispersée, le traité a disparu. M. Mingana en aurait-il un autre exemplaire dans sa riche collection ?

(2) A l'occasion, nous rapprocherons les passages des homélies sur les sacre-

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Comme on Ta dit précédemment, l'exposition dogmatique de Théodore prend comme point de départ un symbole baptismal, qui 'est expressément donné comme celui des Pères de Nicée. En réalité cette profession de foi diffère en des points notables de celle de 325 ; elle n 'est pas non plus celle qui est désignée sous le nom de symbole de Nioée-'Constantinople, bien qu'elle s'en rapproche plus que de la formule même de Nicée (1) ; surtout -elle m'a aucun point commun avec ce qu'on est convenu d'appeler le symbole de Théodore de Mopsueste, tel qu'il nous est transmis par Marius Meroator et par les actes du concile d'Éphèse de 431 (2). Le symbole commenté ici est en définitive une adaptation antiochienne du texte de Nicée, complétée d'ailleurs, en ce qui concerne le Saint-Esprit — Théodore le dit expressément (3) — à la suite de la lettre synodale du concile

ments qui éclairent les catéchèses sur la foi. Celles-ci sont au t. V des Wood- brooke Studies, celles-là au t. VI.

(1) On trouvera la reconstitution de la formule donnée par Théodore dans la note citée de la Revue, 1933, p. 426.

(2) Texte grec dans Hahn, Bibliothek der Symbole, 3e édit., 1897, § 215, p. 302-304. L'origine de cette pièce est extrêmement suspecte. Elle apparaît d'abord dans le recueil de documents compilé par Marius Mercator et qui forme le n« 3 de la Collectio Palatina. Dans ce recueil, Mercator, après avoir donné les pièces relatives à la controverse pélagienne, commence le rassemblement des pièces de la controverse' nestorienne par une courte notice sur Théodore, qu'il fait suivre de YExpositio pravae ftdei Theodori, en latin. Voir Schwartz, Acta conciliorum œcumenicorum, t. I, vol. v, p. 23-25 ; cf. P. L., t. XLVIII, col. 1043-1046.

La même exposition figure en grec, avec à la fin deux additions fort significatives, dans VActio VI du concile d'Éphèse, connue sous le nom d'Actio Chari- sii. Voir Mansi, Concil., t. IV, col. 1341 sq. L'existence de cette séance qui se serait tenue le 28 juillet sous la présidence de Cyrille et des légats romains n'est pas absolument certaine et le soi-disant procès-verbal que donnent les diverses collections grecques du concile n'est pas très rassurant. On a l'impression de lire, à la suite les unes des autres, des pièces rapportées, de provenance différente. Quoi qu'il en soit, YExpositio fidei depravala, correspondant au texte de Mercator, y est donnée sans nom d'auteur. Elle passe simplement pour venir de Constantinople et de l'entourage de Ncstorius. — Dans une lettre de Cyrille qui ne figure qu'au dossier du Ve concile de 553, et qui est adressée à Proclus de Constantinople, il est dit qu'à Éphèse fut présentée au concile une è'viOeaiç Ttt'uTsw;, composée par Théodore (au dire des gens qui l'ont produite), que l'assemblée la réprouva comme pleine d'idées « nestoriennes », condamna ceux qui s'en inspireraient, mais, par crainte d'incidents, n'osa pas en nommer l'auteur. Voir le texte dans P. G., t. LXXVII, col. 345 ; Mansi, t. IX, col. 409. Il reste bien des obscurités dans tout ceci.

(3) Voir t. V, p. 101. Il ne peut guère s'agir d'un symbole, au sens technique

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de 381. iCe texte, l'évêque de Mopsueste le suit pas à pas, me craignant pas d'ailleurs les retours en arrière, les reprises, les redites même. Nous avons affaire avec un catéchiste, beaucoup plus qu 'avec un prédicateur ; l 'essentiel pour lui est de donner aux auditeurs des idées claires et des convictions fermjes, .beaucoup plus que des sentiments de piété. Sauf dans les deux catéchèses relatives à l'eucharistie, l'on 'chercherait vainement dans cet ensemble l'onction et la sensibilité. Ce défaut réel a du moins l 'avantage que rien ici ne vient nuire à la clarté de l 'exposition.

Nous passerons vite sur les deux premières homélies, qui exposent la doctrine de l'unité divine, à l 'encontre du polythéisme païen, et celle de lia trinité des hypostases, à l'encotnitre de l'obstination judaïque, laquelle se refuse à admettre que Dieu puisse avoir engendré de sa substance un fils au sens le plus fort du mot. A vrai dire cette Trinité n'a point été révélée, ou ne l'a été que d'une manière très imparfaite (1), aux prophètes de l'Ancienne Loi. Ceux-ci avaient surtout à mettre en évidence la doctrine du Dieu vivant, unique et créateur. La Trinité sainte ne nous a été révélée que par Jésus-iChrist. De même que Moïse, en son enseignement, se réclamait du Dieu unique, de même le Christ a donné le sien au nom du Père, du Fils et de l'Esprit, complétant ainsi la révélation faite par les prophètes. Les dernières paroles du Christ rapportées par saint Matthieu sont le fondement-même où s'appuie toute la foi chrétienne. Nous devons donc croire que l'unique nature divine se manifeste dans les trois hypostases (2) du Père, du Fils et du

du mot, mais plutôt du Totxoç perdu, mentionné par Tiiéodoret, //. /?., V, ix, 13, éd. Parmentier, p. 293, 1. 8.

(1) Isaîe, dans la vision inaugurale, en aurait eu quelques pressentiment. Voir t-. VI, p. 100-101.

(2) La traduction syriaque emploie le plus ordinairement pour désigner les trois de la Trinité l'expression qenoma', qui, selon toute vraisemblance, rend l'expression grecque uTcôffrasiç. Le mot parsopa', correspondant à ^pôcrcoTtov, ne se retrouve à propos des « personnes » de la Trinité qu'une seule fois, t. VI, p. 101 (texte syriaque, p. 240), où ce pourrait être par une négligence du traducteur. M. Mingana fait remarquer, t. VI, p. x, que ce n'est pas la môme personne qui a traduit la I" et la IP partie. Théodore devait en somme rester fidèle à la terminologie d'Antioche, admise au concile d'Alexandrie de 362,

T Ôi-sv |j.lcx oôsta.

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Saint-Esprit ; chacune de ces hypostases est vraiment Dieu, mais la nature divine, dont les caractéristiques essentielles sont l'éternité et le fait de créer, cette nature divine est unique. II ne s'y trouve qu'un entendement, qu'une volonté, qu'une opération ad extra. Sur ce point si important pour caractériser un enseignement trinitaire Théodore reviendra plus loin; il lui suffit d'avoir posé ici le principe de l'unité divine et de la distinction des hypostases. '

Beaucoup plus intéressante au point de vue qui nous occupe est la IIP homélie, qui commente la seconde phrase du symbole : « Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le fils unique de Dieu, le premier-né de toute la création » (1). Sans aucune exagération il est permis de dire que le sujet traité n 'est pas autre que celui-ci : l'unité de personne du Christ historique dans la dualité de ses natures. • ;

Fidèle à sa constante méthode, le catéchiste veut montrer à son auditoire que les quelques mots de la profession baptismale résument renseignement seripturaire, ici celui que donne saint Paul : « Nous n 'avons, dit l 'Apôtre, qu 'un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses » (2) . L 'expression paulinienne inclut une double idée : celle du Verbe (3) , qui est un vrai fils, consubstan- tiel au Père, et qui est très justement appelé Seigneur, mais celle aussi de Jésus, en qui la nature divine devint notre salut. Semblalblement, dans le symbole, les mots « et en un seul Seigneur » se rapportent à la nature divine, tandis que, « pour induré en leur phrase la nature humaine assumée pour notre salut, le symbole ajoute « Jésus », ce nom, étant celui de l'homme, que Dieu a revêtu» (4). Sans compter que l'addition « Christ » fait penser à l'onction qu'il a reçue du Saint-Esprit. Ce Jésus-iChrist est Dieu, à cause de son union intime avec la

(1) C'est l'addition la plus notable au Symbole de Nicée ; il est difficile de dire exactement la date où elle s'est introduite ; mais elle est très caractéristique de la doctrine antiochienne. Voir quelques renseignements dans Hahn, op. cit., § 130, p. 141-142.

(2) I Cor., vm, 6. (3) II est à peine besoin de remarquer que l'expression de Verbe n'a rien de

paulinien. (4) C'est tout à fait le sens de hominem induere, si fréquemment employé

par les auteurs latins.

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nature divine qui est vraiment Dieu. Aussi «bien le symbole, continuant son exposition, va-t-il rapporter à l'unique personne (1) du Mis, désignée par ces mots « un seul Seigneur Jésus-Christ », les attributs de l'une et de l'autre mature. Selon l'une, la nature divine, il est Fils unique de Dieu, selon l'autre, la nature humaine, il est premier-né de toute créature : unigenitus d'une part, primogenitus de l'autre.

De toute évidence, ces deux mots ne peuvent s'appliquer à une seule et même nature ; qui dit fils unique dit quelqu 'un qui n'a point de frère, le premier-né désigne au contraire celui qui a un ou plusieurs frères. Aussi bien, de ces frères, Jésus en eompte-t-il un grand nombre : ce sont lies prédestinés, les élus, dont parle saint Paul « que Dieu a formés è l'image de son Fils, de telle sorte qu'il soit le premier-né de beaucoup de frères » (2) , ces frères ayant acquis avec lui part à l'adoption (3). S'il est primoge7iitus in multis fratribus, Jésus est encore primogewitus omnis creaturae. Assumé par le Verbe, il a été doué d'une nouvelle et admirable vie, à laquelle il amènera les autres hommes qui sont unis à lui : « quiconque, dit Paul, est en Christ, est unie nouvelle créature » (4). De cette création nouvelle qui s'inaugurera par la résurrectioini .générale, le Christ est bien le premier- né et si l'on ose dire les prémices.

Ces deux caractéristiques (5) d' unigenitus et de primogenitus, le symbole les rapporte à une seule personne (upoutoTtov) , pour nous signifier l'étroite union des deux natures. Il montre d'abord qui est l'Unique qui était en forme de Dieu et qui, par bienveillance, a assumé notre nature ; il parle ensuite de la forme de l 'esclave qui a été assumée pour notre salut. « De la sorte et par le changement des termes dont il use (unigenitus, primogenitus) , il manifeste les deux natures et leur différence, mais aussi l'unité de filiation (6) provenant de l'intime union des

(1) T. V, p. 37, 1. 24 (syriaque, p. 142, 1. 1). Dans sa traduction le syriaque emploie toujours le mot parsopa', décalque du grec upoawirov. Ces questions de terminologie ont une extrême importance.

(2) Rom., vm, 2. (3) L'on reviendra plus loin sur cette question de l'adoption. (4) II Cor., v, 17, c'est le sens exact du grec : et tiç iv Xpiaxw, xaiv^ xt£ai<,

que la Vulgate a mal rendu et mal ponctué. (5) Littéralement : différences. (6) T. V, p. 40, 1. 1 (syriaque, p. 145, 1. 1), littéralement « l'unité de fils ».

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natures, effectuée par la volonté de Dieu ». C 'est l'ordre naturel des choses : parler d'abord de la nature divine qui, par bienveillance, est descendue vers mous et a revêtu l'humanité, puis de l 'hoimainité qui, par faveur, a été assumée.

La fin de cette homélie revient sur le fait que le Monogène est engendré avant tous les siècles, et c'est une occasion pour Théodore de préciser la manière dont il faut comprendre la génération éternelle du Verbe : Le Fils est du Père, comme notre verbe à nous (notre pensée et son expression) est de notre âme. L 'analogie cependant ne doit .pas être poussée trop loin ; notre verbe à nous n'a pas d'hypostase propre, sa subsistence est celle même de l'âme. Il n'en est pas ainsi du Verbe de Dieu. Pour que nous ne pensions pas que le Fils n'a pas d'hypostase (1), l 'évangéliste a bien soin d 'ajouter : « Et le Verbe était Dieu ». Cette description de la nature divine du Fils et de sa consubs- tantialité avec le Père est longuement développée dans l'homélie IVe, qui ne nous retiendra pas. Oeï'le-ei en effet est consacrée à démontrer que, s 'il n 'est pas seripturaire — c 'était ïe grand reproche que lui faisaient ariens et arianisants — le terme homo- ousios ne laisse pas d'exprimer une vérité qu'énonce en maint endroit l'Écriture (2).

Avec la Ve homélie nous revenons au mystère même de l'incarnation, que le symbole exprime en cette phrase : « Pour nous autres hommes et pour notre salut il est descendu des cieux, s'est incarné, s'est fait homme ». Se réservant d'y revenir plus longuement, le catéchiste explique d'abord très brièvement le propter nos homines, le motif de l 'incarnation : il s 'agissait d 'arracher au malin, par une grâce ineffable, ceux qui étaient perdus et adonnés à 1 ''iniquité. C 'est pourquoi le Verbe, fils unique du Père, « descend du ciel », non point au sens local, bien évidemment, car la nature divine, n 'étant pas circonscrite, ne saurait changer de place. L 'expression du symbole ne veut que ma-

(1) T. V, p. 42, I. .19 sq. (syriaque, p. 148, 1. 10 sq.). Le passage a son intérêt pour préciser le sens du mot qenoma'. Voir également t. V, p. 59 : comparaison entre l'âme de l'homme et celle des animaux ; celle-ci n'a pas de qenoma', de subsistence indépendante.

(2) Théodore insiste surtout sur Joa., x, 30, Ego et Paler unurn sumus ; Joa., xiv, 9 : qui videt me, videt et Patrem meum.

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nif ester la condescendance divine. Pour 'notre salut le Verbe a consenti à cet abaissement de prendre sur lui, d'assumier la forme d'un esclave, d'être en eille, de telle sorte que, par elle, il pût nous accorder ses bienfaits. « Qu 'est-ce donc que l 'homme, continue l'orateur, empruntant les paroles du psalmiste, pour que vous vous souveniez de lui, ô mon Dieu; le fils de l'homme pour que vous le visitiez ?» (1) II s'agit ici de la visite rendue par le Verbe incarné à l'humanité dans son ensemble, mais en même temps une autre idée est sous-jacente, la visite du Verbe à l'homo assumptus, à ce fils d'homme en qui se réalise l'iaiiear- ■nation.

Aussi bien, e 'est en quoi s 'est manifestée la condescendance du Verbe divin ; il est devenu homme comime nous, il a pris la forme d 'un esclave, a été vraiment un homme, a pris sur lui tout ce qui appartenait à la nature de cet homme, s 'est exercé dans toutes les facultés humaines. Cet homme, il l'a rendu parfait par sa puissance, non qu'il ait éloigné de lui la mort qui était conforme à la loi de sa nature, mais parce que, étant avec lui, il l'a délivré, par grâce, de la mort et de la corruption du tombeau, l'a ressuscité, l'a élevé aux plus grands honneurs. Durant le crucifiement, en effet, il ne s'était pas séparé de lui, ni ne l'avait abandonné au moment de la mort, mais il était demeuré avec lui jusqu'à ce qu'il l'eût par son assistance délivré des douleurs de la mort. Il l'a donc ressuscité et l'a transféré à l'immortelle vie, l 'a rendu incorruptible et immuable, l 'a fait monter au ciel {2) , où il est présentement assis à la droite de Dieu, et reçoit l'adoration de toutes les créatures à cause de son union intime avec le Dieu- Verbe.

Sans doute, durant sa carrière terrestre, cet homo assumptus a pu être pris pour un homme ordinaire par ceux qui n 'étaient pas au fait de la divinité qui résidait en lui. Mais combien la réalité était différente des apparences ! Par ail-

(1) Psaume vin, 5. (2) T. V, p. 53-54. Ce passage, à partir de « étant demeuré avec lui », est

cité, comme de Théodore (extrait du liber ad baptizandos) par le Ve concile, sess. IV, n. 41, Mansi, t. IX, col. 218 ; il figure aussi, sans indication de provenance, dans le Constitutum de Vigile, n. 41, P. G., t. LXIX, col. 91. Du texte tronqué qu'on lui avait présenté, Vigile tirait la conclusion suivante : per quae oinnia verba declaratur nudum hominem esse Jesum Christum.

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leurs il n'était pas non plus un «semblant d'homme», comme pourraient le faire penser les mots de saint Paul : Deus filium suum mittens in similitudinem carnis peccati (1), ou 'encore : In similitudmem honvinum factus (2). Ces phrases ne doivent pas donner le change ; dains'ees textes, « chair » et « ressemblance de la chair », « homme » et « ressemblance de l'homme » sont expressions absolument équivalentes. Et c 'est bien ce qu'entend dire le symbole baptismal quand, ayant affirmé que le Verbe « s'est fait chair », il ajoute aussitôt, comme un synonyme et presque comme une correction : « il s'est fait homme ». A très juste titre, d'ailleurs, car il fallait s'opposer aux nombreux schismes qui se sont produits relativement à cette admirable économie.

Et ceci amène le 'catéchiste à un vaste développement sur l'humanité intégrale qui fut assumée par le Verbe. Visiblement c'est à l 'apollinarisme qu'il en a, forme récente du doeétisme, moins logique en somme que les vieilles hérésies (3). Pour les âncieftis docètes, marcionites, manichéens, valentiniens, la manifestation de Dieu, dans l 'évangile, ressemblait de tous points aiux théophanies de l'Ancien Testament. Pure et simple apparition, le Seigneur n'avait pris ni notre chair, ni notre âme. Toute fausse qu'elle fût, cette opinion avait du moitas quelque chose de spécieux. Au rebours, l'idée des ariens, suivant qui le Seigneur n 'aurait eu de l 'humanité que le corps, le Verbe tenant lieu chez lui de l 'amie sensible et raisonnable, cette idée est littéralement impensable ; qu 'est-<ce qu 'une nature divine qui a faim, qui a soif, qui souffre 1 Mieux vaudrait à ce compte revenir au doeétisme intégral.

Mais, en ifait, la Providence n'a pas voulu réduire la manifestation du Monogène à une simple apparition analogue à celles que raconte l' Ancien Testament. C'est que cette manifestation

(1) Rom., vin, 3. (2) Phil., it, 6. (3) Le nom d'Apollinaire n'est pas prononcé ici ; il l'est dans la IIe homélie

sur le baptême, a propos du renoncement à Satan et à ses anges. Les anges de Satan ce sont les hérésiarques : Mani, Marcion, Valentin, Paul de Samosate (qui affirmait que le Christ était un homme ordinaire), Arius et Eunomius et aussi Apollinaire « qui, sous prétexte d'orthodoxie, affirmait que notre esprit (voGç) n'avait pas été ascumé ». T. VI, p. 40.

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ultime était ordonfnée au rachat de l'humanité. Pour qu'il y eût rédemption, il était convenable que le Verbe assumât la nature humaine tout entière, corps et âme. Et ceci amène Théodore à faire de la rédemption une théorie qui ne manque pas d 'intérêt et qui remplit toute la fin de cette homélie. Disons tout de suite que, malgré la première impression qu'elle donnerait, la théorie n'a rien de commun avec celle qui, s 'inspirant d'un réalisme outré, imagine que le simple contact physique du Verbe avec la nature humaine, considérée comme un tout, suffirait à expliquer le rachat de celle-ci. C'est bien plutôt du côté moral que s'orientent les conceptions de l'évêque de Mopsueste et voici comment, sernible-t-il, on pourrait les résumer.

La faute d'Adam a introduit dans toute l'humanité le penchant au mal et le péché, et, à la suite du péché, la mort qui en est la conséquence et qui est comme le signe de l 'emprise exercée par Satan sur toute la descendance du premier pécheur. Seulement, comme le dit saint Paul, « de même que par un homme le péché est entré dans le monde,... de même le don gratuit et la faveur de Dieu, par suite de la justice d'un homme, ont abondé en beaucoup ». Et encore : « Comme la mort est venue par un homme, ainsi encore la résurrection par un homme », car « de même que tous nous mourons en Adam, de même, tous, nous serons rappelés à la vie immortelle par le Christ ». Le sort futur de notre corps, le sort futur de notre âme sont modifiés du tout au tout par la manifestation du Christ. Ainsi était-il nécessaire que fussent assumés, par le Verbe divin, non seulement le corps, mais aussi l'âme immortelle et raisonnable; car ce n'est pas seulement la mort corporelle qui doit cesser, mais celle aussi de l'âme, qui >est le péché. A bien prendre les choses, d'ailleurs, c'était le péché qui, d'abord, devait être détruit, sa destruction signifiant, de toute nécessité, la destruction de la mort qui n 'en est qu'une conséquence.

Le péché, comment est-il détruit dans l'humanité ? Parce qu'il l'est, en premier lieu, à titre d'exemple et de prémices, dans la volonté de l'homo assumptus. Théodore ne fait ici que mentionner cette victoire sur laquelle il avait longuement insisté dans le Traité de l'incarnation. Malgré les assauts de Satan, il n'y eut jamais, dans cette volonté sainte, aucune trace de faute. Et

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donc, -conclut ici notre catéchiste qui ne perd pas de vue S'a démonstration essentielle, il faut bien admettre dans l'homo as- sumptus une volonté humaine. N'est-ce point dans la volonté que se consomme le péché ? Et certaines fautes, l'orgueil par exemple, ee péché du premier père, n 'ont-elles pas leur siège exclusif dans la volonté ? Si l'on veut rester fidèle à renseignement de Paul, suivant lequel le Christ a d'abord commencé par vaincre le péché (1), il faut donc admettre en lui une âme, à l'exemple et par l'action de laquelle nos âmes à nous puissent être délivrées du péché et transférées à l'immutabilité (2).

Libération du péché entraîne de droit libération de la mort. Et donc sur cet homo assumptus, que son union étroite avec le Verbe avait préservé de toute faute, la mort n'avait aucun droit. Satan, à 'la vérité, abusant de son pouvoir, est arrivé, par ses séides, à la lui imposer. Jésus s 'est laissé faire, il a accepté la mort. La défaite de Satan est dès lors assurée. Usant, contre ses habitudes, des procédés de l'imagination, Théodore nous représente, dans l 'au-delà, un procès qui se plaide devant Dieu entre le Christ et Satan. A celui-ci Jésus objecte l'injustice de son acte; sans péché, il ne tombait pas sous le coup de la mort que le tyran lui a ifait infliger. C 'est vraiment le « jugement du diable et du monde, son agent », dont il est question dans le IVe évangile : Nunc judicium est mundi, nunc prioiceps hujus mrnidi vjicietur foras (3) . Jésus n 'a pas de peine à établir qu 'il n 'y eut jamais de faute en lui ; « il obtient sans difficulté l'abolition de l'injuste sentence », il ressuscite des morts par le pouvoir de Dieu, animé dorénavant, ee son corps et en son âme, d'une nouvelle et ineffable vie, qui sera accordée aussi, sous de certaines conditions, à l'ensemble de l 'humanité. Au baptême. les fidèles en reçoivent les arrhes; à la résurrection générale elle sera le lot de tous <ceux qui auront précieusement conservé le gage reçu au baptême (4). De la sorte s'enchaînent dans cette

(1) Théodore revient souvent sur cette parfaite innocence (ne disons pas encore sur cette impeccabiiité) du Sauveur. Voir t. V, p. 80 ; t. VI, p. 22, 28, Mi 67, etc.

(2) II faut sans doute supposer, derrière le mot syriaque, le mot àxacOeia, ou une expression comme arpsirroc ysvsaOai.

(3) Joa., xii, 31-32. (4) La doctrine de Théodore est développée dans cette Ve homélie, t. V, p. 56

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homélie les enseignements relatifs à l'incarnation et ceux qui visent la rédemption. Le rachat intégral de l'humanité suppose l 'humanité intégrale du Sauveur.

Consacrée au commentaire des mots : « Né de la vierge Marie, crucifié sous Ponce-Pilate », la VIe homélie amène Théodore à préciser ses idées tant sur l'unité, « dans l'économie », du sujet d'attribution, malgré la distinction des natures, que sur le caractère très réel de l 'activité humaine du Sauveur.

Considérons d'abord sa naissance. Il est trop clair que la symbole n'entend pas dire que la nature divine du Monogène soit née d'une femme, comme si elle avait eu son commencement en elle. Toutefois, le symbole, conforme en ceci à l'Écriture, s'il parle de natures distinctes (rappelons-nous le Filins Dei wnigënitus et le primogenitus omnis creaturae de l'article précédent), des rapporte l'une et l'autre à une seule personne (prosôpon) , à cause de l'union intime qui existe entre elles, et de manière à ne point rompre la parfaite union entre Vassu- mens et Vassumptus. Faute de cette union, Vassumptus aie serait qu'un homme ordinaire (<kAoç àvGpcoTroç). Pour couper court à toute ambiguïté, les Livres saints, tout comme le symbole, rapportent les termes qui caractérisent respectivement l'une et l'autre nature à un seul Fils, de manière à proposer à la même foi (et disons-le, dès maintenant, à la même adoration) la gloire éternelle du Monogène et l'honneur qui rejaillit sur Vhomo assumptus.

Suivent les preuves scripturaires de cette thèse : Et d'abord le passage de l'épître aux Romains où Paul exprime sa douleur de l 'obstination des Juifs, « de qui est le Christ selon la chair, qui est Dieu sur toutes choses, béni dans tous les siècles» (1). De l'expression paulinienne la première partie traite bien du Christ selon sa nature humaine, mais, pour que la gloire du Christ ne fût point rabaissée, pour que l'on ne pût croire, à

60 ; mais elle revient assez fréqnemment dans les catéchèses sur les sacrements, voir en particulier la V homélie sur le baptême, t. VI, p. 22 et 29 ; en ces deux passages l'image du débat contradictoire entre le Christ et Satan au tribunal de Dieu est plus nettement dessinée ; c'est à eux que nous avons emprunté la formule donnée ci-dessus.

(1) Rom., ix, 5.

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cause qu'il est homme né des hommes, qu'il n'est rien de plus, Paul ajoute : « qui est Dieu sur toutes choses ». Paul aurait pu dire : « en qui est Dieu » ; il ne l 'a pas fait, il a préféré dire « qui est Dieu », à cause de l'union des deux natures (1).

Le commentaire du célèbre passage de l'épître aux Philip- piens, sur « le Christ qui, étant en forme de Dieu, a pris la forme de l'esclave» (2) donne lieu à des «remarques analogues. Ici encore, dit notre 'catéchiste, est faite la claire distinction entre les deux natures, entre celui qui est in forma Dei et celui qui est in forma servi, entre Yassumens (3) et Vassumptus, et l'on voit nettement 'que c'est dans Vassumptus que Vassu- mens (le Verbe divin) est devenu comme un homme par l 'aspect extérieur : liabitu inventus ut homo. En réalité c'était Vassumptus qui était vraiment homme, par tout son comportement. C'est Vassumptus encore, non la nature divine, qui a pu obéir jusqu'à accepter la mort. Ce qui a été détruit provisoirement, ce qui a été restauré par la résurrection, ce n'est pas la nature divine, c'est le temple où elle habite. Et quand l'Apôtre parle de ce nom « au-dessus de tout nom », de cette gloire qui fait agenouiller tous les êtres eréés, de qui s'agit-il ? Ce n'est certes pas à la nature divine, cause de tout, que furent accordés, ce 'nom, cette gloire, comme si c 'était pour elle un privilège nouveau et de nouvelle collation, d'être adorée par tous. Le droit à l'adoration fut concédé à la forme du serviteur laquelle (considérée en elle-même, abstraction faite de ses rapports avec Vassumens) n'y avait pas droit. — Et pourtant tout ceci, l 'obéissance, la passion, le triomphe, notre texte le rapporte suc- cessivent à la nature divine (4). (A lire superficiellement le texte paulinie'ni, il pourrait sembler que les propositions succes-

(1)11 nous paraît qu'il y a ici, t. V, p. 64, un essai de théorie encore imparfait, mais pourtant plein d'intérêt, de la doctrine de la « communication des idiomes », sans le terme technique bien entendu. Nous la retrouverons plus loin.

(2) Phil., ii, 6-U. (3) C'est évidemment au verset 7, ;j.op©-r,v ôoû'hou ^ajiwv, que Théodore

emprunte l'idée et le mot. Voir aussi Hebr., n, 16 où figure le mot l-n:t>va^pav£Tai, cf. ci-dessous, p. 175, n. 4.

(4) T. V, p. 66. C'eût été le cas ou jamais de parler de la personne, de l'hypos- tase divine ; mais nul, jusqu'à présent, n'avait encore transposé dans le domaine de la christologie le vocabulaire dont on usait pour la Trinité.

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sives, ayant pour sujet Ile même qui indiquent que c'est le Monogène qui a souffert, est mort, a été ressuscité puis exalté) (1). Mais c'est qu'il convenait que tout cela fût dit comme d'un seul (fût rapporté à un seul et même sujet) , pour que fût affermie notre créance à l 'union étroite entre les deux natures. Ainsi fait de son côté le symbole : tout ce qu'il rapporte de l'économie, il le dit d'un seul, non que les actions de l'humanité affectassent Dieu dans sa nature, mais il les lui rapporte à cause de 'l'intime union.

Ce commentaire du « natus ex virgine Maria » terminé, Théodore fait une rapide mentioM des autres circonstances de la vie du Christ, que le symbole n'a pas jugé nécessaire de rappeler : circoncision, présentation au temple, croissance, pratique de la loi jusqu'au baptême (2), baptême, tentations, fatigues apostoliques, prière. Brièvement il indique que tout cela supi- pose une activité très réelle du 'Christ, la mise en jeu, dirions- nous, de toutes les facultés de l'homo assumptus. Le tout est couronné par les douleurs très réelles de la passion, en lesquelles le symbole semble résumer toute l'activité du Sauveur. En définitive, « né d'une femme, né sous la loi » (3), il est soumis, malgré sa conception virginale, aux conditions de l 'humaine nature. Né de Marie, il ne laisse pas d'être ex semine David, ex semine Abrahae. Comme le dit Paul, pour venir en aide aux hommes, pour détruire par sa mort celui qui commandait à la mort, le diable, pour délivrer tous ceux que la peur de la mort rendait esclaves, « ce n 'est pas des anges qu 'il a pris quelque chose, mais bien, de la descendance d'Abraham» (4). Dès lors, en dehors de la conception virginale, rien ne distingue de nous l'homo assumptus; il est soumis aux lois de notre nature :

(1) Notre parenthèse est un commentaire du texte, mais qui, nous l'espérons, en respecte le sens.

(2) A plusieurs reprises, Théodore revient sur le fait que le baptême a libéré le Christ, en droit comme en fait, de la pratique de la loi mosaïque, à laquelle il était soumis jusqu'à ce moment. Le baptême a pour les fidèles du Christ le même effet.

(3) Gai., iv, 4. (4) Hebr., n, 16 : ou yàp S^tïou àyyi'Xtov sm'XajxpavcTai, àXkà yrcspjiaTu; 'Aêpaàji-

liriXajjipxvsTai, que Théodore entend comme la Vulgate : nusquam enini ange- los apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit, sens qui peut se soutenir. C'est aussi une des sources de l'expression assumere.

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croissance, progrès, accomplissement de la loi. Sans doute — et il convient de souligner cette remarque — Dieu aurait pu (1) le faire de prime abord immortel, incorruptible, immuable, tel qu 'il l 'est devenu par la résurrection. En if ait, il n 'a pas voulu que celui qui était les prémices de l'humanité fût traité autrement que celle-ci. L 'Jiomo assumptus a donc été soumis à toutes les conditions qui sont les nôtres; son baptême (2) a été le symbole de >notre baptême, comme sa résurrection, avec le changement total qu'elle amène dans les conditions de sa vie, est le gage et l'exemplaire de notre résurrection.

Aussi bien la résurrection — c'est d'elle surtout qu'il s'agit dans la VIIe homélie — vient-elle mettre le isceau à l'œuvre de la rédemption. On complétera les développements qui se lisent ici par ce qui est dit dans les deux catéchèses sur le baptême, et l'on ne perdra pas de vue que, toutes ces homélies ■ayant pour but de préparer les catéchumènes à l'initiation, notre auteur s'attache avant tout à faire saillir l'enseignement moral. On se souviendra encore que, fidèle plus que jamais à l 'idée paulinienne du baptême 'chrétien, le catéchiste l 'envisage

(1) Voir aussi t. V, p. 80 : « A cause de l'honneur qui lui est échu, tout autant qu'à cause de sa parfaite innocence, Yliomo assumpius était, en droit, exempt delà mort ». En d'autre termes « l'assomption » qui s'est réalisée dans et par la conception virginale crée à Yhomo assumptus un droit réel à l'immortalité.

(2) Nous ne pouvons dire qu'un mot de l'importance que prend aux yeux de Théodore le baptême de Jésus. Ce n'est pas seulement l'inauguration d'une vie nouvelle où le Sauveur est désormais exempt des contraintes de la Loi, ni une simple manifestation de sa dignité faite à l'usage de ceux qui furent les témoins de la scène. La cérémonie à laquelle Jésus se soumet et qui se termine par la théophanie bien connue semble, à l'estimation de Théodore, amener sur lui une infusion toute spéciale de l'Esprit-Saint dont il a, ce jour-là, reçu toute la plénitude. Par ailleurs. Théodore qui raisonne comme s'il lisait dans son texte de Luc, m, 22 : « Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui » (dans le fait son texte ne diffère pas du nôtre : « Tu es mon fils bien aimé, en qui je me complais»), paraît faire du baptême le point de départ officiel, si l'on ose dire, de l'adoption de Yhomo assumptus, en tout cas de sa désignation comme « tête de file » des hommes qui, à sa suite, seront promus à la dignité de fils adoptifs de Dieu. Voir t. VI, p. 67, 1. 9-11 : Au moment où sont prononcées sur lui les paroles sacramentelles : « un tel est baptisé au nom du Fils », le catéchumène doit penser « à celui (Dieu) qui était tout proche de celui (Jésus) qui était baptisé et comprendre qu'il (Jésus) est devenu pour nous la cause de l'adoption comme fils ».

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surtout comme un symbole de la mort, de l' ensevelissement et de la résurrection du Christ, symbole efficace d'ailleurs et qui produit, au moins en puissance, dans le baptisé les mêmes effets que ces grnïids événements ont produits dans le Sauveur. 0 'est avec cette idée bien présente à l'esprit qu'il faut lire la présente homélie, faute de quoi on risquerait d'être surpris, jusqu'au 'scandale, par certaines expressions. Visiblement le catéchiiste a été parfois la victime du schématisme qu'il a adopté et qui lui fait serrer de trop près le parallélisme entre les effets que produira en nous la résurrection (dont le baptême nous confère les prémices) et ceux qu'elle a déjà amenés dans le Sauveur.

En Jésus (comme en nous) la résurrection introduit un changement radical, pour ce qui est du corps, bien entendu, désormais soustrait à la corruption et à la mort, mais pour ce qui est de l'âme aussi, mise dorénavant à l'abtri des luttes que Satan a <pu, en diverses circonstances, déchaîner en elle. Comme il le dit en un beau développement, qui vise autant notre résurrection que celle de Jésus, « c 'est par la résurrection que la mort est abolie, la 'corruption détruite, les passions éteintes, la mutabilité écartée, les émotions désordonnées supprimées, qu'est surmonté le pouvoir de Satan, anéantie la puissance des démons, chassée toute l'affliction provenant de la loi. Une immortelle et immuable vie règne désormais, par quoi tous les maux antérieurs sont abolis et détruits, ces maux qui étaient des armes aux mains des démons dans la lutte engagée contre nous» (1). C'est pour avoir trop vu notre propre résurrection

(1) T. V, p. 75 — II n'est pas fait d'allusion très explicite, en nos catéchèses aux luttes déchaînées par le démon contre le Sauveur. Théodore pense, sans doute, aux tentations du désert et plus encore à la scène de l'agonie, telle que la commente l'épître aux Hébreux, v, 7-8. Il n'en est pas moins vrai que l'auteur s'est laissé aller à des exagérations regrettables. On éprouve, sinon du scandale, au moins de la gêne, à lire dans la IIIe homélie sur le baptême, t. VI, p. 67, 1. 26 sq,, les mots suivants qui sont dits au baptisé : « Tu es devenu un homme nouveau, tu n'es plus partie d'Adam lequel était exposé au changement, accablé et maudit à cause du péché, mais partie du Christ qui fut complètement libéré du péché par la résurrection, bien que, même antérieurement, il n'ait jamais cédé au péché. » Ce passage est cité par le Ve concile, sess. iv, n. 35, Mansi, Coiicil., t. IX, col. 217, et aussi par le pape Vigile, Constitutum n. 36, P. I., t. LXIX, col. 89 D. L'un et l'autre coupent après les mots « par la résurrection », omettant ainsi la restriction si importante qui suit. On ne

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à travers celle du Christ, que le -catéchiste est amené à parler de cette sorte de confirmatioini absolue et définitive en grâce dont la résurrection de Jésus est le signal et le point de départ.

Ascension du Christ, prise de séance à la droite du Père sont pareillement l'image et la promesse de ce qui nous arrivera à nous mêmes, quant au retour glorieux du Sauveur pour juger les vivants et les morts, il amèfrie Théodore à s'exprimer une fois de plus sur les conséquences de l'union. Celui qui, sur les muées, apparaîtra en souveraine gloire, c'est encore et toujours Vhomo assumptus, étroitement uni au Verbe divin. Et, sans doute, c'est d'abord comme un acte de cet homo assumptus que le symbole signale ce retour glorieux (1), pour nous faire voir l'honneur qui est échu au « temple » du Dieu- Verbe, à l'homme qui a été assumé pour notre salut. Le retour en 'gloire, tout comme la passion, tout comme la . résurrection, est affirmé de l'humanité (littéralement du prosôpon de rhuma- tnité) . Et pourtant il y a dans le symbole un petit mot, « ite- rum », qui nous invite discrètement à rapporter finalement tous ces actes au Monogène qui était en elle. Au début des articles qui traitent de l'incarnation il est dit du Monogène qu'il est « descendu des cieux ». De qui dit-on maintenant qu'une seconde fois, iterum, il descendra ? Celui qui descend ainsi pour le jugement, c'est Vhomo assumptus, et de lui il semblerait que, de prime abord, on ne puisse «dire qu 'il revient. « Mais, parce que les Pères de Nicée se référaieirit dans leurs paroles à la nature divine, présente à 1 'homo assumptus, ils ont compté cette venue pour le jugement comme une seconde venue, la première étant celle du Monogène descendant en Vhomo assumptus (ou plus exactement l'appelant à l'être) (2), la seconde étant celle

s'étonne pas, dès lors, que Vigile écrive ensuite : quibus verbis Christum ante resurrectionem, quod absit, milt videri fuisse culpabilem. Nous avons dit plus haut p. 172, n. 1, que Théodore repousse toute idée que le Christ aurait jamais péché ; mais le Sauveur, durant sa vie terrestre, était exposé à des attaques qui, en pure théorie, auraient pu le troubler. Somme toute, notre théologien aurait distingué entre impeccancc et impeccabilité.

(1) Littéralement : c'est au prosôpon de Vhomo assumplus que les Pères (de Nicée) attribuent la phrase «pour juger les vivants et les morts », t. V, p. 80. Il ne faut pas s'effaroucher trop vite de ce mot prosôpon, qui ne se traduit pas littéralement par « hypostase ».

(2) La parenthèse est de nous ; mais elle exprime une idée très nette de ThéQ dore.

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qui s'effectue dans et par Vhomo assumptus, à cause de l'ineffable union qui liait cet homme à Dieu (1) .

Ayant ainsi terminé l'exégèse des mots du symbole qui se rapportent au Fils, et avant d'aborder l 'explication de ce qui est relatif au Saint Esprit, l'orateur va donner dans une catéchèse d'ordre strictement théologique., la VIIIe homélie, un exposé d'ensemble de la doctrine de l'incarnation.

Que dirons-nous donc de Jésus Christ ? Qu 'il est homme ? Qu 'il est Dieu ? En toute vérité il n 'est ni exclusivement Dieu, ni exclusivement homme, il est l 'un et l 'autre par nature, Deus assumens, homo assumptus. C'est le même qui était en forme de Dieu qui a pris la forme de l'esclave (2), voilà qui est entendu. Mais cette unité n'exclut pas la dualité : Vassumeps n'est pas le même que V assumptus, ni l' assumptus le même que Vassu- mens. Celui-ci est par mature ce qu'est par nature Dieu le Père, tandis que V assumptus est par nature ce qu'étaient David et Abraham dont il est en toute vérité la descendance. C 'est pourquoi le Christ est à la fois le fils de David et son seigneur, fils de David à cause de sa nature propre, seigneur de David à cause de l'honneur qui lui revient de son union avec ¥ assumews. Un commentaire des paroles de Jésus, interrogeant les pharisiens sur la filiation du Messie (3), permet à Théodore de mettre en évidence cette double idée. Sans doute, à ce moment, le Sauveur ne révèle pas clairement toute la divine réalité, mais la question qu'il pose aux Juifs aurait dû être pour eux une indication : tant qu'ils croiraient que le Messie n'était qu'un homme, tant qu'ils n'appréhenderaient pas la nature divine qui se cachait en lui, ils n'entendraient rien aux paroles du roi-prophète. David, lui, ne l 'aurait pas appelé son seigneur, s 'il n 'avait perçu (au moins confusément) que celui qui était de sa race était quel-

(1) Pour entortillée que soit cette finale de la VIIe homélie, t. V, p. 80-81, elle ne laisse pas de doute sur la pensée de Théodore. Chaque nature a ses opérations distinctes ; mais l'acte de ces opérations se doit attribuer à un sujet unique.

(2) Remarquer une expression intéressante : « Ce n'est pas la forme de l'esclave qui a pris la forme de Dieu », t. V, p. 82, 1. 21-22. En d'autres termes, Jésus n'est pas un homme ordinaire qui, après coup, à cause de ses mérites, aurait été divinisé.

(3) Matth., xxii, 42; cf. Matth., i, 1.

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que chose de plus haut que la nature humaine, s'il n'avait perçu qu'il était «celui qui, par son union avec le Seigneur, avait été élevé »à cet honneur suprême d'être (nommé le Seigneur ».

Cette relation entre les deux natures qu'expriment les mots d 'assumens et d'assumptus, elle peut se rendre aussi par une autre image, 'celle du rapport entre le temple et la divinité qui l'habite. L 'évangéliste lui-même, en rapportant les paroles du Christ : « Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai », en avait doniné l 'interprétation authentique : « II voulait parler, dit-il, du temple qu'était son corps» (1). Avec toute sa subtilité d'exégète, Théodore s'efforce de faire sortir de ce texte toutes les conséquences qui vont à sa doctrine. Le Seigneur, dit- il, désignait, par ces paroles, l'homme, qui avait été pris par lui comme son temple ; il montrait ainsi que lui-même il habitait dans ce temple, indiquant, par ses derniers mots, qu'il avait s-ur lui pouvoir 'absolu, qu'il lui était loisible de l 'abandoninier aux destructions que méditaient les méchants, loisible aussi de le relever et de le remettre en un état meilleur que le premieir.

Mais n'allons pas imaginer, continue le catéchiste, une inhabitation passagère et transitoire. C'était un temple dont la divinité ne serait jamais séparée, parce qu'il existe une ineffable union entre le temple et celui qui l 'habite. Le temple <a pu être démoli par la malice des hommes et, pour parler sans figure, Jésus a pu endurer les souffrances et (la mort, conformément à sa nature. Mais celui qui demeurait en lui. et qui était par nature impassible avait le pouvoir de rendre impassible l'homme, passible de sa nature.

<Ce miraculeux effet des souffrances, à savoir l 'ascension à une vie glorieuse et immortelle, le catéchiste le voit encore daims le beau développement de l'épître aux Hébreux sur les abaissements du Christ qui lui valent maintenant et pour toujours les honneurs souverains (2). L ''homme qui a été assumé pour notre salut a été mis d'abord au-dessous du niveau des anges, puisqu'il a goûté la mort, mais, à la suite de cela, honneur et gloire l 'ont couronné ; ressuscité des morts, il est devenu, étant

(1) Joa., il, 19-22. (2) Hebr., h, 5-18.

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donnée isojn union avec Dieu (1) , supérieur à toute créature (2) . Ainsi les textes scripturaires, tels que les commente Théodore,

font clairement allusion tant à la différence des natures qu'à l'ineffable union, qui existe entre elles. Cette union, ils nous renseignent, non seulement quand ils nous donnent la connaissance de chaque nature, mais aussi quaftid ils affirment que ce qui est dû à l 'une est également dû à l 'autre, de sorte que nous puissions entendre le caractère admirable et la sublimité de l'union qui les joint (3). De cette « communication des idiomes » Théodore donne quelques exemples scripturaires, les mêmes qui sont devenus classiques >et que l'on retrouve, par exemple, dans le Tome de Léon. Et d 'abord le passage de l 'épître aux Romains sur le Christ « descendant de la race juive selon la chair et qui est Dieu béni dans tous les siècles», où l'Apôtre rapporte si clairement à un seul les attributs de la divinité et ceux de l 'humanité (4) . De même les paroles du Sauveur : « Cela vous scandalise ? Mais que direz-vous, quand vous verrez le

(1) N'entendons pas que l'union avec Dieu n'aurait commencé qu'avec la résurrection. Celle-ci, par un décret providentiel, ne fait que tirer les conclusions de ce que contenait l'état antérieur. Voir p. 176, n. 1.

(2) Nous ne pouvons qu'indiquer en- passant une question exégétique assez curieuse. Le texte reçu de Hebr., ri, 9 b, lit : oirw;; yi'pix*. 6eoG yeûar^ai 6ava- tou. Le texte syriaque oriental lit comme s'il y avait : ywpl? yàp 6soû, ce qui donne le sens suivant pour l'ensemble du passage : « Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d'honneur à cause des souffrances de la mort ; en effet sans Dieu il goûta la mort pour tous. » Théodore lisait certainement un texte analogue dans son grec. Il commente en effet le texte de l'épître de la manière suivante, t. V, p. 86-87 : « En quoi Paul montre que la divinité voulait qu'il goûtât la mort pour le salut de tous, et aussi que la divinité était séparée de celui qui souffrait dans cette épreuve qu'était la mort (selon toute vraisemblance Théodore pense à la dereliction du Christ sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? »). Il lui était impossible, en eflet, de goûter la mort si la divinité ne s'était pas éloignée de lui, demeurant néanmoins assez proche pour faire le nécessaire à l'endroit de la nature qu'elle avait assumée. » Le Ve concile, sess. îv, n. 38, Mansi, t. IX, col. 217, et Vigile, Const., n. 38, P. I.,t. LXIX, col. 90 C, ont relevé ce passage, mais ont, ici encore, coupé trop tôt, ce qui rend d'ailleurs inintelligible la fin de leur citation : « nec possibile erat illam (la nature divine) mortis experimenlum accipere, non tamen Mi qui passus est abfuerat secundum diligentiam. »

(3) Sous ces termes un peu gauches, c'est la doctrine de la communication des idiomes qu'esquisse notre auteur. Tout ce passage, t. V, p. 87-89, serait à étudier de très près.

(4) Rom., ix, 5 ; voir les développements donnés ci-dessus, p. 173. Théodore ne craint pas de se répéter.

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Fils de l'homme monter au séjour où il était d'abord» (1) ? Où Théodore voit premièrement uin: appui pour la doctrine de la présence « spirituelle » du Christ dans l'eucharistie (2), mais aussi un exemple de la « coimmunicatioin des idiomes ». Si les choses n'étaient pas 'comme nous le disons, écrit-il, le Christ aurait dû parler ainsi : « Quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où était celui qui était en lui ». En fait, il dit tout simplement : « quand vous verrez le Fils de l 'homme monter là où il était d'abord », attribuait ainsi au Fils de l'homme ce qui est proprement de la divinité. De même encore, dans l'entretien avec Nicodème : « Nul ne monte au ciel, dit-il, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel ». A vouloir distinguer ce qui appartient à chaque nature, le Christ se serait exprimé autrement; il a voulu parler ainsi pour tout rapporter à un seul, et rendre manifestes les admirables privilèges 'accordés à celui qui était visible (3).

Et Théodore d'ajouter cette remarque : Chaque fois que l 'Écriture veut attirer l 'attention sur les grandes choses arrivées à la nature humaine (les honneurs, l'adoration) , elle les réfère à la nature divine, voulant montrer, que c'est par suite de l'union avec cette dernière, que la mature humaine est devenue digne de ces honneurs. De fait, l'homme n'aurait point été gratifié de ces bienfaits, s 'il n 'avait eu avec Dieu cette union toute spéciale.

En définitive «la distinction- entre les matures ne supprime pas l'étroite union, mais les natures demeurent distinctes en leurs 'existences respectives et, d'autre part, l'union est intacte, parce que l'assumptus est uni en honneur et en gloire avec l 'assumens, selon la volante de l 'assumens » (4) .

On ne saurait mieux dire. Reste pourtant qu'à force d'avoir entendu revenir les mots : fils unique de Dieu et fils de David, les auditeurs auraient pu être amenés à cette conclusion : Dans la manifestation divine de l'Évangile il faut distingueir deux fils distincts, le fils de Dieu, le fils de l'homme. Depuis lo;ng-

(1) Joa, vi, 62. (2) Cette argumentation est reprise de ce point de vue dans la Ire homélie

sur l'eucharistie,, t. VI, p. 75. (3) T. V, p. 88-89 ; texte syriaque p. '205, dernières lignes. (4) T. V, p. 89-90.

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temps déjà ce reproche avait été fait aux théoriciens de l'École d'Antioche. Il importait d'y couper court. Sans faire allusion à aucune polémique, sur le ton irénique qui convient à la catéchèse, Théodore réfute la vieille objection : « Du fait que nous parlons de deux natures, dit-il, nous ne sommes point amenés à parler de deux seigneurs ou de deux fils ou de deux Christs : ce serait folie » (1) . « Toute réalité qui sous un aspect est double et sous un autre aspect une, il 'union (entre ses deux élémeints) , qui la fait une, ne supprime pas la distinction de ses éléments, et la distinction de ceux-ci n'empêche pas leur union. » Quand le Christ dit : «Le Père et moi nous ne faisons qu'un» (2), l'unum n'annule pas la distinction entre le Père et le Fils. Quand Jésus parlant du mariage dit, reprenant les mots de la Genèse : « Ils seront deux en une seule chair » (3) , le fait que mari et femme ne soint qu'une chair, ne supprime nullement la distinction de l'un et de l'autre. Semblablement ici : ils sont deux par les natures, un par l'uniomi; d'eux car il existe entre les natures une grande différence, lun par l 'union, en telle sorte que l'adoration accordée à Vassumtpius n'est pas différente de celle qui s 'adresse à Yassumêm, car le premier est le temple dont il n'est pas possible que sorte jamais celui qui habite en lui.

Suit une démonstration dialectique relative à la numération des êtres, dont on se demande avec quelque inquiétude si les auditeurs de Théodore la pouvaient suivre (4) . Nous y compre-

(1) Le mot est conservé par Facundus d'Hermiane, Pro defens. trium capit., 1. IX, c. m, P. I., t. LXVII, col. 747 B, et par la Collectif) Palatina, qui le signale comme ex VIII sermone catechismi, voir éd. Schwartz, p. 176 (cf. P. I., t. XLVIII, col. 1056). La Palatina donne toute la suite du développement.

(2)Joa.,x, 30. (3) Matth., xix, 6 ; cf. Gen., h, 24. De divers côtés, on a beaucoup reproché

à Théodore l'emploi de cette comparaison pour expliquer le mystère de l'union. On voit qu'ici l'usage qu'il en fait est absolument impeccable. Eût-il pressé davantage la comparaison qu'il ne faudrait pas se hâter de lui en faire grief. Des auteurs latins ont parlé sans aucune gêne du mariage qui se réalise entre la nature divine et la nature humaine, et dont le sein de la bienheureuse Vierge est le thalamus. Qu'il suffise de citer saint Augustin : Enarr. in Psalm. xvm, 6, P. L., t. XXXVI, col. 155 : ipse procedens de utero virginali ubi Deus naturae humanae tanquam sponsus sponsae copulatus est; cf. De Trinit., 1. XV, n. 46, P. I., t. XLII, col. 1093-1094.

(4) Le latin de la Palatina n'est pas d'un grand secours ; le traducteur anglais a tiré du syriaque ce qu'il a pu.

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nons que l'on ,ne saurait additionner que des êtres de même nature, ce qui est le B A BA de l'arithmétique et aurait pu se dire avec plus de simplicité. Einttemdons d'ailleurs le mot « être » dans son sens le plus large; des. relations, des rapports sont aussi des êtres. Quand le Christ dit que « nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et la richesse » (1), il a le droit d'additionner ces deux réalités, si dissemblables de prime abord (Dieu, la richesse) , parce qu 'il envisage dans l 'une et dans l 'autre l 'idée de domination. — Mais dams le cas du mystère qui nous occupe, peut-on parler de deux fils de Dieu 1 On le devrait, si chacun d 'eux était fils et seigneur par nature, et les additionner selon le nombre des personnes (prosôpon). Mais l'un étant fils et seigneur par nature, et l 'autre n 'étant pair nature ni fils, ni seigneur, nous pensons que le deuxième reçoit ces attributions (de fils et de seigneur) par- suite de son union intime avec le Fils unique et ainsi nous tenons qu'il m'y a qu'un seul Fils; nous entendons que celui qui 'est vraiment Fils et Seigneur est le seul qui possède ces attributs par nature ; dès lors par la pensée, nous lui ajoutons le temple qu'il habite et en qui il veut toujours et inséparablement demeurer, compte tenu de l'inséparable union qu'il a avec lui et à cause de quoi nous cojif es- sons que lui (le temple, 1 'homo assumptus) est à la fois Fils et Seigneur (2).

(1) Matth., vi, 24. (2) L'argumentation, pour subtile qu'elle soit, est admissible, croyons-nous, et

témoigne de la bonne volonté de Théodore, mais en somme elle ne répond pas complètement à l'objection que l'on faisait, depuis 362, aux tenants de la doctrine autiochionue. Ce qu'on leur reprochait, ce n'était pas de dire qu'il y a deux Fils par nature, mais déparier du Fils unique de Dieu et du Fils de David, adopté par Dieu et élevé par là à la dignité de fils (adoptif) de Dieu ; de s'exprimer parfois comme si ces deux fils étaient deux sujets d'attribution derniers, deux personnes (au sens métaphysique du mot) entièrement distinctes. Depuis les condamnations portées par le pape Damase en 382 contre l'expression : duo filii on s'observait davantage. Tout ce développement de Théodore est inspiré par le désir de respecter la terminologie officielle.

Cette même question est posée d'une manière toute dialectique dans l'une des Quaestiones et responsiones ad orthodoxos de Pseudo-Justin. Il s'agit de la question VIII de cet ouvrage, selon l'édition donnée par A. Papadopoulos-Kéra- meus dans les Zapiski isloriko-philologitscheskago facultdta de Saint-Pétersbourg, t. XXXVI, 1895, d'après un ms. de Constantinople. Comme ce texte ne figure pas dans l'édition de Pseudo-Justin de la P. G-, t. VI, comme il n'est pas d'accès facile, nous en reproduisons ici l'essentiel, en traduisant et en glosant légèrement le texte grec.

Question : « Ceux qui disent qu'à la forme de l'esclave s'est uni Celui qui est

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C'est ce que confirme l'étude d'un autre texte, où Vassump- tus est appelé fils à cause de sa relation avec l'assumens. Au^ début de l 'épître aux Romains il est question de « la bonne nouvelle qui .concer/me le Fils de Dieu né selon la chair de la descendance de David» (1). Il est évident qu'ici l'Écriture appelle Fils de Dieu non le Verbe divin, mais le descendant

véritablement, principalement et réellement fils, par opposition à celui qui n'est fils ni véritablement, ni principalement, ni réellement, mais qui pourtant est appelé fils, comment n'adorent-ils pas une dualité de fils, alors même que les deux prosôpa sont hétérogènes ? »

Réponse : « L'opposition (àvxiSiaaxoX-^) que l'on a établie (entre la notion de fils par nature et de fils par adoption), l'a été pour permettre de donner une réponse claire à cette triple question : « Qui a donné ? qu'a-t-il donné ? à qui a-t- il donné ? » (tîî ti tîvi s'Swxs). Et cette réponse la voici : La forme de Dieu ayant assumé en se l'ordonnant la forme de l'esclave (Xxjâoûaa tt,v toO 8où"Xou ;xopcpr,v èv li^si sauf?,!;) a manifesté celle-ci à la création. Dès lors, partant de cette donnée, l'Écriture parle de l'unique Seigneur Jésus-Christ, tantôt selon sa filiation naturelle (par exemple Deus locutus est nobis in Filio per quern fecit saecula), tantôt selon sa filiation ajoutée (xaxà -c-^v Tt6â|j.evT;v) (par exemple, in Filio quem constitua heredem universorwn). Il est évident que des mots comme ceux-ci : per quern fecit et saecula ne conviennent pas à la forme de l'esclave. En somme donc, par ladite avTiSiaaroWi (opposition distributive), on attribue à chaque forme ce qui lui convient. Si, en effet, ce n'était pas selon une nature (cptfuis) que le Christ était fils par nature (àOsTOî) et selon une autre qu'il était fils adoptif, comme le veut la règle de l'àvxiStaarTo^fi (en d'autres termes, si à chaque nature ne convenait pas une filiation distincte), si c'était au contraire selon la même nature que le Christ était à la fois fils par nature et fils adoptif, comme il n'est pas possible de supprimer les textes scripturaires (ci-dessus donnés) qui parlent du Christ comme d'un fils par nature et comme d'un fils adoptif, il faudrait mettre dans la nature divine elle-même du Verbe l'opposition entre filiation naturelle et filiation adoptive. Si cela est évidemment absurde, on ne peut imputer à ràvxiSiaffToXVj (à l'opposition, à la distinction des natures) d'être un acheminement vers la dualité des fils. » (Ceci ne répond encore que d'une façon indirecte à la question, et ne fait que poser ce principe : la distinction des natures et de leur origine est inattaquable. La réponse directe est donnée dans les quatre dernières lignes qui ne sont pas d'ailleurs d'une limpidité absolue). « Mais le fait que la forme de l'esclave est vue comme (sub)ordonnée à la forme du Dieu et non point dans son propre prosôpon, mais avec toute la puissance et tout l'honneur qui convient au prosôpon (divin), ce fait supprime la dualité des fils, car celui qui est ainsi ordonné (assumé) s'identifie à celui qui se l'ordonne (qui l'assume) en prosôpon, mais non en nature, xb Sa èv xd%e'. t% [lopçTjî Tô2 0eo2 ôpdtCTÔat tt,v too SoO"Xou uopep^v, xal [xt, sv tw otxsîw, [[ASTà ?] ■xdiri]<; xfjÇ xaxi irpoawirov aô9svxia<; ts xaî Tttx%, SuâSoi; utwv sjtiv àvatpSTixôv, tô yàp èv TdtÇsi tctjxôv èati tû xa^avri -rcpûacô-Kto xal où cpûa-st. » (En d'autres termes il n'y a qu'un Fils, parce qu'il n'y a qu'un seul prosôpon, qu'une seule personne).

(1) Rom., I, 3 : tcsqI tou uloû" aùxou tou yevouivou ix arapixaTûç Aauelè" sâpxa.

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de David, non la «forme de Dieu», mais la «forme jàe l'esclave » qui a été assumée. Or, dans le fait, ce n'est pas Dieu qui « a été fait » ex semine David, mais bien Vhomo asswmptus. Celui-ci néanmoins est appelé Fils de Dieu, non qu'il soit dit tel simpUciter (1), mais à cause de l'union qu'il a avec celui qui ,est vraiment fils,

II faut aller plus loin : La phrase du Christ « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (2) suggère les réflexions suivantes : Comme mous appelons Père la nature divine en tant que isource de tout l'être divin, Esprit- Saint la nature divine en tant qu'elle procède du Père, nous appelons aussi Fils la nature divine en tant qu 'elle est engendrée par le Père, mais à notre connaissain»- ce de la divinité nous ajoutons Vhomo assumptus, par qui nous avons reçu notre connaissance de la 'nature divine, dont Vassu- mens a été le Verbe divin en conjonction permanente avec le Père et le Fils (3). Faut-il donc ajouter qu'à la relation toute spéciale de Vhomo assumptus avec le Verbe s'en ajoute une autre avec de Père, une autre avec le Saint-Esprit ? Oui, à coup sûr. C'est d'abord renseignement de rÉcriture : «Le Père qui demeure en moi, dit Jésus, accomplit en fait les œuvres que je fais. Croyez moi, je suis en le Père et le Père est en moi» (4). Et quant au Saint-Esprit, il est écrit qu 'au baptême, « il descendit comme une colombe et habita en lui » (5) . Mais la simple réflexion, toute seule, nous amènerait à cette conclusion, car le Père n 'est jamais séparé ni du Fils, ni de l 'Esprit. Disons donc

(1) Le latin de la Palatina traduit : non quod per se dicalur films ; le syriaque se rendrait bien par simpUciter. Les expressions ont la même valeur que chez nos scolastiques.

(2) Matth., xxm, 19. (3) Les adversaires de la christologie antiochienne tireront cette conclusion

que cette doctrine introduit une quatrième personne dans la Trinité. Avec beaucoup plus de raison on conclurait que, pour l'évêque de Mopsueste, Jesus-Clirist est bien unus de Trinitate, et que, moyennant explication, Théodore aurait souscrit à la formule : unus de Trinitate passus est carne.

(4) Joa., xiv, 10-11. Le texte grec n'a pas l'interrogation qui figure dans la Vulgate : Non creditis quia ego in Pâtre et Pater in me est ?

(5) Marc, i, 10. La leçon de Théodore se rapproche de celle de notre Vulgate : Spiritum tanquam columbam descendentem et manentem in ipso. C'est aussi *a leçcnr du Sinaïticus.

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que l'Esprit, tout comme le Père, tout comme le Fils, étaient dans cette forme du serviteur qui avait été assumée (1).

En définitive quand nous disons les mots : Père, Fils, Saint- Esprit, nous nommons la nature divine, et d'autre part, quand nous disons le Fils, nous nous référons d'abord à la nature divine du Monogène, tout en incluant en notre pensée l'homme qui a été assumé pour nous, en qui Dieu le Verbe a été connu et prêché, en qui il demeure toujours, tandis que le Père et le Saint-Esprit n'en sont point éloignés, car la Trinité n'est pas separable n'étant en (fiait qu'une nature unique, incorporelle et inicirconscriptilble. : .

Les deux dernières catéchèses ne nous retiendront plus ; consacrées à l'explication des derniers articles du symbole, elles insistent tout particulièrement sur la divinité du Saint-Esprit. L 'orateur y développe et y met au point les divers arguments qu'il avait allégués dans la discussion avec les macédoniens, tenue à Anazarbe, en 392 (2). En particulier le commentaire des discours de Jésus après la cène lui donne l'occasion d'établir tant la personnalité que la divinité, au sens strict du mot, de «l'Esprit de vérité qui procède du Père» (3). On notera l'explication qui est fournie de la procession du Saint- Esprit et qui s'apparente au dévelopement signalé ci-dessus et relatif à la circumincession : « L 'Esprit procède du Père, cela signifie qu 'il est partout avec le Père, et inséparable de lui. C 'est une autre manière de dire ce que Paul exprime ainsi : « qui d'entre les hommes connaît ce qui se passe dans l'homme, si .ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui ? De même personaie ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n 'est l 'Esprit de Dieu » (4) . L'Apôtre veut faire entendre, en effet, que, si l'esprit de

(1) C'est l'amorce de la doctrine de la périchorèse ou circumincession. On trouvera le même développement, avec les mêmes applications morales, dans un fragment du Contra Apollinarem cité par le V concile, sess. IV, n. 10, Mansi, t. IX, col. 207, et par Vigile, Const., n. 10, P. L., t. LXIX, col. 77.

(2) Théodore publia ultérieurement le texte de cette conférence ; une traduction syriaque, avec version française, en est donnée Patr. Orient., t. IX, p. 635 sq. Nous y avons noté, p. 662, l'emploi du mot parsopa', pour désigner la « personne » du Saint-Esprit. Voir ci-dessus, p. 165, n. 2.

(3) Joa., xv, 26. (4) I Cor., n, 11.

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l'homme n'est pas séparé de lui aussi longtemps qu'il est et demeure un homme, de même lie Saint-Esprit n'est pas séparé du Père, parce qu'il est en lui et de sa nature, et qu'il est toujours connu et confessé avec lui » (1) .

On s 'arrêtera encore au commentaire des mots « Spiritum vivificantem » du symbole. Entendons-les, dit Théodore, en ce sens que l 'Esprit est le distributeur 'des dons surnaturels. C 'est lui, >en 'particulier, qui intervient à la résurrection de Jésus pour transformer son corps et île rendre définitivement immortel. C'est lui aussi qui, dans et par cet acte, le déclare Fils de Dieu (2). Ce même Esprit, « s'il habite en nous, vivifiera également nos corps mortels, comme il a ressuscité Notre-Seigneur d 'entre les morts » (3) . Eien ,en définitive, que nous n 'ayons déjà entendu; mais il convenait de souligner l'insistance avec laquelle notre catéchiste revient sur le parallélisme entre la vie glorifiée de Jésus et celle qui sera un jour la nôtre.

Aussi bien, et !c 'est par lia que nous terminerons cette analyse, telle était bien l'idée essentielle de l'évêque, préparant ses catéchumènes à la réception des 'saints mystères. Et le dernier développement sur l'Église, qui ne manque pas de souffle, a pour but de rendre tous ces néophytes heureux et fiers d 'être agrégés à ce corps mystique dont le iChrist est la tête. A propos du mot de saint Paul : « II faut que les principautés et les puissances célestes connaissent aujourd'hui, à la vue de l'Église, la sagesse infiniment variée de Dieu » (4) , « Voyez, s 'écrie-t-il, voyez cette

(1) T. V, p. 108. (2) II s'agit du texte de Rom., i, 4, que Théodore lit ainsi: ci (Jésus-Christ),

déclaré Fils de Dieu en puissance et par l'Esprit de sainteté, à la suite de la résurrection », c'est à peu près notre texte tou ôpiaOsvroc; uîoO BsoO sv 8uvi\xe<. xzxà, TTveû;xa âyiwff'jvr^ i\ àvaaxacjswc; vsxptov. La Vulgate lit : praedestinalUS Fi- lius Dei, ce qui introduit la question de la prédestination du Christ. De cette prédestination Théodore avait parlé à plusieurs reprises dans le De incarna- Uone; cf. 1. VII, Sweete, p. 298, 1. 10 : r,vioTO uèv yàp îc, àpyjfi tw 6sw ô Xr/fôsU xccrà TTpÔYvwaiv ; 1. XIV, 2, ibid., p. 308, 1. 12 : o Bsoc; Aôyo? siuiruaixevoî aÙToû z-f\v apetT,v, xal o-t\ wza irpdyvwaiv. A lire rapidement ces textes il semblerait que Y homo assumplus a été prédestiné à l'union propter praevisa mérita. Mais la pensée de Théodore n'est pas aussi simple. Quoi qu'il en soit, l'évêque de Mop- sueste n'est pas revenu dans les catéchèses sur ce point scabreux. Il a bien fait. — Le même texte de Rom., i, 4 est repris dans la IIe catéchèse sur l'eucharistie, t. VI, p. 103, au bas.

(3) Rom., vin, 11. (4) Eph., m, 10.

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multiforme providence de Dieu, dont lies puissances des cieux elles-mêmes ont été surprises. Tous les hommes, Dieu les rassemble pour le culte de son nom, il en fait par la régénération comme un seul corps du Christ et leur donne l'espoir de participer un jour avec celui-ci aux merveilles futures dans le monde à venir ».

C'est de ce point de vue qu'il faut juger cet ensemble doctrinal. Il est destiné, avant tout, à faire sentir, à ceux que bientôt va régénérer la piscine baptismale, toute la grandeur du mystère qui en eux v»a s'accomplir. A leurs yeux, inlassablement il retrace la grande image du Christ, premier-né de la création renouvelée, prémices de l 'humanité, modèle, dans sa vie et dainss sa mort, de cette lignée indéfinie de frères que son obéissance a rachetés. Et dans le Christ, tout naturellement, il envisage d 'abord ce par quoi il nous est semblable, la « forme du serviteur », dans les abaissements de sa carrière mortelle, dans la transfiguration aussi qu'avant nous il a -reçue. Mais cette préoccupation de faire ressortir le caractère humain du Christ n'empêche pas le catéchiste d'appuyer de toutes ses forces sur ce qui donne à cette physionomie son caractère unique, à savoir sa conjonction étroite, intime, inséparable avec la divinité. Distinguer en cette celeste apparition du 'Christ ce par quoi il est homme, ce par quoi il est Dieu, c'est le travail auquel, depuis plusieurs dizaines d 'années, se livrait l 'école dont Diodore avait été le chef. Si la distinction des natures, toutefois, est un des thèmes favoris de l'évêque de Mopsueste, on peut dire, sans aucun paradoxe, qu'au premier plan des présentes catéchèses passe l'affirmation de l'unité du Sauveur. Souci de .répondre à des attaques récentes, qu'avait pu susciter telle de ses affirmations antérieures, désir de ne donner aux âmes dont il avait la charge qu ''une doctrine à toute épreuve, progrès encore dans ses méditations personnelles sur l 'ineffable mystère, tout cela peut et doit, à notre avis, expliquer l'insistance sur l'unité du Christ, Fils de Dieu, qui se rencontre ici. Que l'explication théologique de Théodore ne soit pas adéquate, que son -concept de l 'inhabitation se révèle déficient, que son idée de «l'assomp-

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tion » par le Verbe divin d'une humanité concrète, complète et agissante, d'un véritable homo, n'ait pas encore été creuséie à fond et laisse place à bien des obscurités, il ne faut pas en disconvenir. Mais, en (toute bonne foi, on ne saurait reprocher à Théodore de n'avoir pas anticipé la terminologie et la doctrine qu'un siècle après Éphèse et Ohalcédoine élaborait Léonce de Byzanee. Et quant à ila partie la plus criticable du système proposé par le Traité de V incarnation, nous voulons dire la théorie d'un resserrement progressif de «l'union», qui, débutant avec la conception virginale, serait devenue plus intime avec le (baptême, pour se parfaire définitivement avec la résurrection, iil faut bien reconnaître qu'elle n'a laissé ici que des traces difficiles à retrouver. En vérité, moyennant quelques légères cor- rectioms, les catéchèses de l'Interprète auraient pu être prononcées devant un aréopage de docteurs et d'évêques occidentaux, sans produire chez les auditeurs autre chose qu'une grande admiration pour la piété et pour la science de leur auteur.

■ É. Amann.