diplomes usurpés de camadelis ?

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 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr  1 1/9 Les diplômes usurpés de Jean-Christophe Cambadélis PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 17 SEPTEMBRE 2014 Jean-Christophe Cambadélis. © Reuters Notre confrère Laurent Mauduit publie un livre choc :  À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient . Cet essai est aussi une longue enquête sur des responsables clés du pouvoir socialiste aujourd'hui et une plongée dans leurs débuts en politique, à l'OCI trotskyste, à l'Unef et à la Mnef. Manœuvres et affairisme dominent. Et l'on découvre ainsi comment l'actuel premier secrétaire du PS a, en 1985, usurpé ses titres universitaires. Extraits. C'est tout à la fois un essai, un témoignage et une enquête. Notre confrère Laurent Mauduit publie  À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (Éditions Don Quichotte, en libraire le 18 septembre), un livre qui affole déjà quelques hauts hiérarques socialistes aujourd'hui au cœur du pouvoir. Essai parce que ce livre analyse « le marasme à nul autre  pareil dans lequel la France est enlisée » depuis l'élection de François Hollande. Jamais un président de la République n'aura si brutalement tourné casaque et jeté par-dessus bord ses engagements de campagne, au risque de faire exploser son parti et de désespérer l'électorat qui l'a élu. Livre-témoignage aussi puisque Laurent Mauduit rappelle son passé militant, comme membre de l'OCI, cette formation trotskyste dirigée d'une main de fer par Pierre Boussel-Lambert, et comme dirigeant de l'Unef au milieu des années 1970. Ce témoignage personnel est ainsi le début d'une longue enquête sur plusieurs dirigeants socialistes d'aujourd'hui croisés au tournant des années 1970 et 1980. Jean-Christophe Cambadélis est l'un de ces personnages clés, tout comme Jean- Marie Le Guen (dont on apprend qu'il a fait ses premiers pas en politique au GUD) ou Manuel Valls. Jean-Christophe Cambadélis. © Reuters À l'origine de ces itinéraires, il y a bien sûr l'OCI, dont Cambadélis fut l'un des piliers avant de passer avec plusieurs centaines de militants au PS, mais il y a aussi le syndicat étudiant Unef – dont Cambadélis fut le président jusqu'en 1983 – et la Mnef, cette mutuelle étudiante qui allait dans les années 1990 être prise dans les scandales financiers. « Camba », Le Guen et Valls ont une longue histoire commune, à l'Unef et à la Mnef. Là, aux manœuvres diverses s'ajoute un affairisme débridé avec la création d'une myriade de sociétés autour de la vieille mutuelle étudiante. Cambadélis a fait l'objet de deux condamnations pénales pour recel d'abus de biens sociaux ou emplois fictifs. La première date de 2000, lorsqu'il est condamné à cinq mois de prison avec sursis et 100 000 francs d'amende. La deuxième est prononcée en 2006 : six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amendes, dans le cadre du scandale de la Mnef. De ces condamnations, aucune conséquence ne sera tirée quant au parcours politique de celui qui est aujourd'hui premier secrétaire du PS. De même de ce pan caché de son CV, que Laurent Mauduit révèle ci-dessous : l'usurpation de ces diplômes universitaires

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laurent mauduit mediapart 16 septembre 2014

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  • Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 1

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    Les diplmes usurps de Jean-ChristopheCambadlisPAR LA RDACTION DE MEDIAPARTARTICLE PUBLI LE MERCREDI 17 SEPTEMBRE 2014

    Jean-Christophe Cambadlis. Reuters

    Notre confrre Laurent Mauduit publie un livrechoc : tous ceux qui ne se rsignent pas la dbclequi vient. Cet essai est aussi une longue enqute surdes responsables cls du pouvoir socialiste aujourd'huiet une plonge dans leurs dbuts en politique, l'OCI trotskyste, l'Unef et la Mnef. Manuvres etaffairisme dominent. Et l'on dcouvre ainsi commentl'actuel premier secrtaire du PS a, en 1985, usurp sestitres universitaires. Extraits.C'est tout la fois un essai, un tmoignage et uneenqute. Notre confrre Laurent Mauduit publie tousceux qui ne se rsignent pas la dbcle qui vient(ditions Don Quichotte, en libraire le 18 septembre),un livre qui affole dj quelques hauts hirarquessocialistes aujourd'hui au cur du pouvoir. Essaiparce que ce livre analyse le marasme nul autrepareil dans lequel la France est enlise depuisl'lection de Franois Hollande. Jamais un prsidentde la Rpublique n'aura si brutalement tourn casaqueet jet par-dessus bord ses engagements de campagne,au risque de faire exploser son parti et de dsesprerl'lectorat qui l'a lu.Livre-tmoignage aussi puisque Laurent Mauduitrappelle son pass militant, comme membre de l'OCI,cette formation trotskyste dirige d'une main de fer parPierre Boussel-Lambert, et comme dirigeant de l'Unefau milieu des annes 1970. Ce tmoignage personnelest ainsi le dbut d'une longue enqute sur plusieursdirigeants socialistes d'aujourd'hui croiss au tournant

    des annes 1970 et 1980. Jean-Christophe Cambadlisest l'un de ces personnages cls, tout comme Jean-Marie Le Guen (dont on apprend qu'il a fait sespremiers pas en politique au GUD) ou Manuel Valls.

    Jean-Christophe Cambadlis. Reuters

    l'origine de ces itinraires, il y a bien sr l'OCI,dont Cambadlis fut l'un des piliers avant de passeravec plusieurs centaines de militants au PS, mais il y aaussi le syndicat tudiant Unef dont Cambadlis futle prsident jusqu'en 1983 et la Mnef, cette mutuelletudiante qui allait dans les annes 1990 tre prisedans les scandales financiers. Camba , Le Guenet Valls ont une longue histoire commune, l'Unefet la Mnef. L, aux manuvres diverses s'ajoute unaffairisme dbrid avec la cration d'une myriade desocits autour de la vieille mutuelle tudiante.Cambadlis a fait l'objet de deux condamnationspnales pour recel d'abus de biens sociaux ouemplois fictifs. La premire date de 2000, lorsqu'ilest condamn cinq mois de prison avec sursis et100 000 francs d'amende. La deuxime est prononceen 2006 : six mois de prison avec sursis et 20 000 eurosd'amendes, dans le cadre du scandale de la Mnef. Deces condamnations, aucune consquence ne sera tirequant au parcours politique de celui qui est aujourd'huipremier secrtaire du PS. De mme de ce pan cachde son CV, que Laurent Mauduit rvle ci-dessous :l'usurpation de ces diplmes universitaires

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    Dans le courant de lanne 1984, le choix de Jean-Christophe Cambadlis semble arrt : son avenir,cest au Parti socialiste quil le visualise. Pour cela,il lui faut mettre toutes les chances de son ct.Une chose, en effet, lennuie : si daventure il passeun jour prochain au Parti socialiste, il na pas lamoindre lgitimit intellectuelle. Il est sans diplme,contrairement dautres tudiants de lOCI qui,militants comme lui, ont pris soin de mener de frontleurs tudes. Lui na pas fait cet effort. Et il sent que,dans son projet personnel de faire carrire au PS, cettelacune risque de le handicaper.Il a alors un projet insens : celui dusurper undoctorat. Son ide nest pas de fabriquer un fauxdiplme de doctorat de troisime cycle. Non ! Sonide, cest dobtenir son doctorat, et de soutenir sathse devant un jury rgulirement runi. Et cela, il vay parvenir de manire irrgulire en prtendant que,pour sinscrire dans cette filire, il a eu les diplmesantrieurs ncessaires ce qui nest pas le cas.Ce fait, je dois dire que jai eu beaucoup de difficults ltablir quand, crivant ce livre, jai voulu vrifierla ralit de son parcours universitaire.Du pass, javais seulement gard le souvenirdes moqueries continuelles que Jean-ChristopheCambadlis suscitait parmi les tudiants de lOCI, lvocation de son cursus. Beaucoup le raillaient enobservant quil stait plusieurs annes de suite inscrit

    en premire anne universitaire, chaque fois changeantde discipline, et quil avait fini par obtenir un doctoratde troisime cycle, sans que lon sache comment. Maislongtemps je ny ai pas pris garde car la biographie deJean-Christophe Cambadlis est publique : il a passen 1987 un doctorat de troisime cycle de sociologie,sous la direction du professeur Pierre Fougeyrollas(1923-2008). Cest du moins ce que laisse entendresa biographie, telle quelle est prsente sur le siteInternet Wikipdia, lequel site assure que lintitulde la thse est le suivant : Les mouvements sociauxsous la Ve Rpublique .Longtemps, je men suis tenu cette version, dautantque, ces dernires annes, cette prsentation a treprise en boucle par de nombreux mdias. Deson ct, il semble que Jean-Christophe Cambadlisnait jamais confirm ni infirm cette prsentationbiographique, qui ne lengage pas.Quand jai commenc procder des vrifications,un premier doute ma gagn cependant. Jai en effetobserv que si Wikipdia donnait ces indications sur labiographie de Jean-Christophe Cambadlis, ce derniernen faisait nulle mention sur son blog personnel,o il dtaille longuement son parcours. Oubli, cedoctorat : sur son site personnel, il nen est mme plusquestion. Et pour cause : jai dcouvert que le sujet deson doctorat navait rien voir avec les mouvementssociaux sous la Ve Rpublique . En outre, lannede soutenance nest pas 1987. Plus gnralement,comme pour brouiller les pistes, Jean-ChristopheCambadlis na jamais voqu publiquement lannede la soutenance de sa thse ni son intitul exact.Au fichier national des thsesPour en avoir le cur net, jai consult la base dedonnes du fichier national des thses (FNT- Sudoc) Nanterre. Je nai eu en effet aucun mal y retrouverla thse, dont les donnes sont accessibles par Internet cette adresse : http://www.sudoc. fr/176329315, etdont le numro national didentification est le suivant :1985PA070022. La base de donnes de Nanterreindiquant que la thse a t transmise, comme cest largle, lAtelier national de reproduction des thses(ARNT), implante Villeneuve-dAscq, jai consult

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    le site Internet de cet organisme, o jai retrouv lemme document sous lidentifiant BU 85ParisVII. Jy ai mme dcouvert que je pouvais lacqurirsous la forme de microfiches pour le prix de 20 euros ce que je me suis empress de faire. La documentalistema mme prcis que les thses sous microfichestaient converties en version numrique si les auteursen donnaient lautorisation ce qui ntait pas le caspour cette thse-l. La conversion numrique, cestdonc moi qui lai fait raliser.Voici l'introduction de la thse de Jean-ChristopheCambadlis :Ces premires vrifications mont donn lepressentiment que tout semblait avoir t organispour dissuader les curieux de retrouver facilement cetravail universitaire. Car ce nest pas en 1987 queJean-Christophe Cambadlis passe son doctorat, cesten juin 1985. Le sujet de son travail ne porte passur les mouvements sociaux sous la Ve Rpublique mais sur Bonapartisme et nocorporatisme sousla Ve Rpublique . Surtout, Cambadlis a accd une filire universitaire, celle du doctorat, laquellelgalement il ne pouvait prtendre puisquil navaitpas les diplmes antrieurs requis.Ces premires dcouvertes mont incit enquterplus avant. Voici donc prcisment lhistoire, telleque je suis parvenu la reconstituer grce desinvestigations complmentaires.Dans le courant de lanne 1984, Jean-ChristopheCambadlis veut toute force dcrocher un doctoratpour favoriser son plan de carrire. Comme il na nilicence, ni matrise, ni, a fortiori, DEA, il a dabordlide de fabriquer un faux diplme universitaire (DU) il sagit dun diplme dune universit mais qui napas de porte nationale. Ce faux diplme est ainsifabriqu je sais exactement dans quelle universitparisienne, sur quelle photocopieuse et avec quellesaides. Le diplme porte len-tte de la facult du Mansqui, daprs les tmoignages concordants que jairecueillis, a t utilise la mme poque par plusieursautres dirigeants de la mouvance UNEF-MNEF, quiont voulu se fabriquer de faux diplmes. Selon mesinformations, ce diplme contrefait est grossier. Sans

    doute Jean-Christophe Cambadlis pense-t-il quilprendrait un trop grand risque en le versant dans sondossier universitaire pour sinscrire luniversit deParis-VII-Jussieu o il na jusqu prsent pas misles pieds.

    Comment sy prend-il ? Il dispose dun alli dans laplace, en la personne de Pierre Fougeyrollas. Rsistantet communiste, le sociologue et anthropologue abeaucoup bourlingu, jusquen Afrique, se liantdamiti avec le prsident sngalais Lopold SdarSenghor avant de se brouiller avec lui. la fin de savie, Fougeyrollas a jet lancre de nouveau en Francepour venir enseigner Jussieu. Lui qui avait rompuavec le stalinisme en 1956, il a sur le tard, en 1974,rejoint lOCI et sest li damiti avec Pierre Lambert(dirigeant historique de l'OCI -ndlr). Avec lui, il amme crit en 1976 une Introduction ltude dumarxisme, qui est devenue la brochure de formation delorganisation trotskiste. Ce manuel, entre nous, nouslappelions le Foulan , abrviation de Fougeyrollas-Lambert...Sans se soucier du conflit dintrts que cela induit,cest Pierre Fougeyrollas que Jean-ChristopheCambadlis demande dtre son directeur de thse.Le sujet de sa thse na, en ralit, strictement rien voir avec la sociologie, mais ce nest pas la principaledifficult. Son casse-tte, cest de trouver un moyen de

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    sinscrire la facult de Paris-VII-Jussieu, en doctoratde troisime cycle, alors quil na aucun droit dyaccder. Comment y parvient-il, sans aucun diplmequi le permette ?Je nai pu interroger le prsident de luniversitde lpoque, Jean-Jacques Fol (1930-1988), dcd.Mais jai retrouv des fonctionnaires, aujourdhui la retraite, qui travaillaient dans ladministrationde Paris-VII et qui se souviennent parfaitement delhistoire : stonnant que le dossier universitaire deJean-Christophe Cambadlis ne comprenne pas lespices ncessaires, et notamment aucune copie deses diplmes antrieurs, ils se sont entendu rpondreque Pierre Fougeyrollas avait donn lassurance quilavait vu les diplmes requis pour linscription. Lesmmes tmoins assurent que ce genre de procdntait jamais arriv avant, ni depuis.Et pour cause. Sils ne les ont pas vus, cest que cesdiplmes, Jean-Christophe Cambadlis ne les a jamaispasss : ni licence, ni matrise, ni DEA ! Cambadlisa-t-il abus Pierre Fougeyrollas en lui montrant sonfaux diplme du Mans sans le verser dans son dossieruniversitaire, ou bien le sociologue sest-il port garantsans avoir vu ce faux diplme, simplement en luifaisant confiance ? Il nest plus de ce monde et ne peutplus tmoigner.Une logorrhe interminableQuoi quil en soit, cest ni vu ni connu. En juin1985, Cambadlis soutient sa thse et obtient hautla main son doctorat. Le jury qui le lui accordeprsente cette singularit : deux de ses membressont des proches. Le premier est Pierre Fougeyrollas,que Jean-Christophe Cambadlis ctoie au sige delOCI. Le deuxime, Grard Namer (1928-2010), estun professeur de sociologie et universitaire socialisteavec lequel Cambadlis, comme il le rapporte sur sonblog, a cr peu avant des sections Force ouvrire danslenseignement suprieur. tonnant jury qui entretientdes liens multiples avec ltudiant auquel il sapprte dlivrer un doctorat.La thse, il faut le dire, est trs mdiocre. Desjours durant, les proches de Cambadlis ont vuson assistante taper frntiquement la machine

    crire pour saisir le travail universitaire, et reprendredes passages entiers de publications de lOCI, etnotamment de son organe thorique, La Vrit, ou deson hebdomadaire Informations ouvrires.Dans son introduction date du 1er mai 1985,Cambadlis exprime sa gratitude Pierre Lambert,aux dirigeants de FO Roger Lerda et Roger Sandri(lequel est un sous-marin de lOCI) et AlexandreHebert (1921-2010), qui a longtemps dirig luniondpartementale FO de Loire-Atlantique et se ditanarcho-syndicaliste tout en sigeant secrtement aubureau politique de lOCI ce qui ne lempchepas davoir des relations complaisantes avec le Frontnational. Cambadlis les remercie parce quils ontclair de nombreux dveloppements de la lutte desclasses . Il remercie aussi Pierre Fougeyrollas qui,par ses conseils, et sa connaissance du marxisme, apermis que ce travail soit men bien .La thse se rvle grossire dans sa dmonstration,reprenant sans distance ni nuance les analyses frustesde lOCI sur le projet gaulliste dassociation capital-travail, et les analyses caricaturales et sectairesdAlexandre Hbert sur le corporatisme. Jean-Christophe Cambadlis la rsume en quelques phrasesdans son introduction : Transformer tous les corpssociaux en rouages de ltat, cadenasser toutes formesdorganisation dans un corps unique subordonn la comptitivit conomique mondiale. Telle est latentation nocorporatiste rampante de la fin de cesicle confront aux crises de toutes sortes. Cest une logorrhe interminable, avec des digressionspour expliquer lanalyse de la plus-value et la loi dela valeur chez Marx, ou de la force de travail. Unbavardage indigeste que lon peine lire jusquau bouttant le travail est besogneux.Il nempche, la soutenance se passe bien. Il ya mme foule pour y venir assister. Une bonnepartie du bureau politique de lOCI se trouve danslassistance, dont Pierre Lambert, ainsi que nombrede figures connues du bureau confdral de Forceouvrire, parmi lesquelles Roger Sandri. Il y a aussiune grosse cohorte des cadres de lUNEF. Qui saitparmi ceux-l que Cambadlis soutient cette thse

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    parce quil a le projet secret de faire carrire auPS ? Peu de monde, sans doute. Aprs la soutenance,une rception est organise par lUNEF pour fterlheureux rcipiendaire de ce doctorat. Latmosphreest la liesse ; tous les participants, ou presque,ignorent que le doctorat de Cambadlis est usurp.Ce dernier contrevient du reste la tradition qui veutque lon organise un pot de thse avec ses proches et safamille. Lui, cest plus de quatre cents personnes quilrunit, pour loccasion, dans la salle B de la Mutualit.Et sil y a autant de monde, cest lvidence parceque le nouveau docteur en sociologie veut que le Tout-Paris socialiste sache quil a, en mme temps que lesdiplmes, ltoffe dun intellectuel brillant.

    prsent, il dispose dun formidable ssame.Lorsquil publie son premier livre, en mars 1987,intitul Pour une nouvelle stratgie dmocratique,il arbore firement en quatrime de couverture sesnouvelles qualits : docteur en sociologie, chercheuren sciences sociales luniversit de Paris-I . Tousces titres, il naurait pas pu en faire talage sil navaitpas fraud la loi pour sinscrire en doctorat. Mais, sonsubterfuge tant pass inaperu, le voici qui disposedune lgitimit universitaire inespre.

    Ailleurs, en dautres pays que la France, la fraudeintellectuelle a toujours t gravement sanctionne. Etla liste est longue des personnalits de premier plandont la vie publique sest brutalement interrompueparce que lon avait dcouvert quils disposaient dundiplme usurp ou falsifi. Qui ne se souvient de cequi est arriv au Portugal Miguel Relvas ? En avril2014, le bras droit du premier ministre Passos Coelhoest contraint la dmission la suite des polmiquessuscites par un diplme obtenu de manire suspecte,par un jeu controvers dquivalences.Qui ne se souvient de ce qui est arriv en Allemagne Karl Theodor zu Guttenberg, vrai baron mais fauxdocteur, qui fut contraint, en mars 2011, de prsentersa dmission du poste de ministre de la dfense lachancelire ? Si le jeune et ultra-populaire ministre,chouchou des mdias, est oblig de rendre sonmaroquin, cest quil est convaincu davoir commis unplagiat de grande ampleur, loccasion de la thse dedoctorat de sciences politiques qui, en 2007, lui a valu luniversit de Bayreuth le titre de docteur avecla mention summa cum laude ( avec les plus grandeslouanges ), niveau suprme de la reconnaissanceuniversitaire en Allemagne.En France, aucun homme politique ne sest trouvdans la priode rcente au cur dun scandalevoisin. Mais le grand rabbin de France, GillesBernheim, si. Le 2 avril 2013, il doit dabordreconnatre avoir plagi, dans son livre sur LesQuarante Mditations juives, plusieurs passages dunouvrage de luniversitaire californienne ElisabethWeber, Questions au judasme. Quelques jours plustard, il est oblig dadmettre quil a usurp le titredagrg de philosophie. Emport par la tourmente, ilse voit contraint de prsenter sa dmission le 11 avril2013.Quand il devient premier secrtaire du Parti socialiste,Jean-Christophe Cambadlis ne craint-il donc pas,maintenant quil accde lavant-scne de la viepolitique franaise, que cette vieille histoire dediplme ne finisse par le rattraper ? Il faut croireque non. Et sans doute est-ce rvlateur du sentimentdimpunit que certains lus, de gauche comme de

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    droite, donnent limpression dprouver. Un sentimentdimpunit qui en dit long sur la ncrose qui abmenotre dmocratie.Les dessous d'un livrePourtant, cette lgitimit universitaire conquise en1985 grce son doctorat ne suffit visiblementpas Jean-Christophe Cambadlis. Celle-ci intervientdans un contexte particulier. Des mois plus tard, ilorganise une autre manigance, pour conforter sonimage. Celle-ci intervient dans un contexte particulier.Quelques mois plus tard, donc, la grande majorit destudiants parisiens de lOCI, et beaucoup en province,constituent une fraction secrte en formant le projet depasser au Parti socialiste.Cette ambition, cest Pierre Dardot qui la couchesur le papier : il sagit dadhrer au PS et de dfendrelide dun Congrs de Tours lenvers en clair,de crer un grand parti de toute la gauche dont nousserions laile marchante. De ce dessein, Cambadlisse gargarise, sans jamais dire qui a invent cette belleformule (qui na pas perdu de son actualit).Simplement, je lai dit, peine sommes-nous sortisde lOCI quaussitt notre petit groupe se dissout.Car tout le monde comprend rapidement que Jean-Christophe Cambadlis na pour seule ambition quede faire carrire. Cest dans cette vise quil publieson premier ouvrage, Pour une nouvelle stratgiedmocratique. Un livre intelligent, autrement mieuxcharpent que sa thse au style laborieux.Seulement voil, ce livre, il nen est pas le vritableauteur. Tout juste a-t-il pris la plume pour rdigerune brve introduction, dans un franais approximatif,et une conclusion tout aussi rapide. Il a galementreproduit sur une quarantaine de pages un extrait desa thse de doctorat. Le reste, cest--dire les quatrecinquimes du livre, il nen a pas crit une ligne.Pour une nouvelle stratgie dmocratique souvresur un texte de prs de cinquante pages, cultiv etpassionnant, intitul Marxisme et galits des droits et qui emmne le lecteur dans une promenaderudite, de Marx Althusser, de Hegel Habermas.Ce texte-l, cest le philosophe Pierre Dardot qui la

    rdig. Sensuit une seconde partie, intitule Dela dmocratie , de prs de soixante- dix pages, quiest le mariage de deux textes, lun crit par Dardot,lautre par Philippe Darriulat, prsident de lUNEF(1986-1988) un texte de jeunesse que lhistorienquil est devenu ne revendiquerait sans doute plusaujourdhui. ce moment-l, on peut imaginer que PhilippeDarriulat, jeune historien, estime que son texte nemrite pas de passer la postrit. Il labandonne ainsi Jean-Christophe Cambadlis, qui na pas llgancede lui en donner crdit. Dans lintroduction, ce dernieruse mme dune drle de formule, pouvant suggrerque ce livre ne lui doit rien : Il nous faut aussiremercier particulirement Philippe Darriulat dontlemploi du temps, si charg en cette fin de trimestre1986, ne lui a pas permis de travailler avec nous. Le gros du travail, la valeur ajoute de louvrage, cestdonc Dardot qui sen acquitte. Mais quand lauteurofficiel dcide de sapproprier les textes savants dujeune philosophe, il se garde bien de lui en demanderlautorisation. Selon Pierre Dardot, cest seulementparce que Benjamin Stora a fait pression sur lui quila eu un sursaut. Quelques semaines avant la parution,Cambadlis tlphone Dardot, alors en poste Hnin-Beaumont, pour lui annoncer quil entendpublier ses textes sous son propre nom... Moqueur, lephilosophe, qui nignore rien des extrmes difficultsde Jean-Christophe crire sans multiplier les fautesou jargonner, lui demande sil ne craint pas que ladiffrence de style ne soit trop visible. Puis, sansmontrer son agacement, il ajoute quil ne veut pas queson nom apparaisse dans louvrage, ni sous la formedune note en bas de page ni dans un avertissementaux lecteurs. Quand il relate lanecdote, trente ansplus tard, Dardot ne peut sempcher de montrer sasidration devant une telle audace. Et, dans un riregnreux, il conclut : Je ne suis mme pas sr quilmait dit merci. Un doctorat en poche, usurp, un livre en librairie,dans sa majorit usurp... ne lui manque plus qudevenir dput pour prendre son envol au sein du Partisocialiste et y faire carrire.

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    Au dbut de lanne 1988, il jette son dvolu sur unecirconscription dans la Somme, mais sa candidaturese heurte des difficults. En catastrophe, il doittrouver une solution et cherche simplanter Paris,pour croquer la vingtime circonscription, dans ledix-neuvime arrondissement. Dans les faits, le Partisocialiste na pas de raison de lui abandonner cettecirconscription, car elle a pour dput depuis 1981 unsocialiste, Alain Billon, issu de la jeune gnrationet qui est entr lAssemble nationale sans jamaisdmriter. Seulement voil, Alain Billon qui sestimplant dans cette circonscription, autrefois le fiefdu stalinien Paul Laurent, le pre de Pierre Laurent,lactuel dirigeant du Parti communiste, sest beaucoupinvesti dans son travail de parlementaire. Et ne sestgure impliqu dans les luttes de rseaux au sein delappareil socialiste. Autrefois proche du CERES deChevnement, il a quitt cette sensibilit en laissantderrire lui quelques solides inimitis, et a rejoint lasensibilit centrale du Parti socialiste ; il est pluttproche de Pierre Joxe.Cest de ce relatif isolement que va jouer Cambadlis :le CERES oublieux des mauvaises manires qui luiont t faites la MNEF par lOCI figurera parmi sesappuis. Surtout, lancien prsident de lUNEF disposedun alli dans la place, Gilles Casanova (un anciende la LCR, cofondateur des comits communistespour lautogestion, et qui finira, longtemps plus tard, la Gauche moderne, le parti pro-sarkozyste deJean-Marie Bockel). Lintress prsente en effetlavantage dtre le secrtaire de la principale sectionsocialiste de larrondissement : il dlivre des cartesdadhsion tour de bras aux ex-militants de lOCI.En quelques semaines, les adhsions la sectionexplosent.Quand le jour du vote arrive, permettant de dpartagerles deux candidats la dputation, sans doute lesds sont-ils dj jets sans quAlain Billon le sache.Cambadlis a pris toutes les prcautions pour arriveren tte. Une dernire fois, il a demand des militantsde Convergences de lui prter main-forte : le jourdu vote, il fait raliser des pointages par ses prochespour identifier le profil des votants et sassurer de sa

    premire place. Tout cela se passe dans un climat deviolences et dintimidation, dont Le Monde se feralcho le lendemain.

    Mais ce nest pas la seule prcaution, Cambadlisprvoit une autre manigance dans lhypothse o levote tournerait lavantage de Billon : une cohortedanciens militants de lOCI est tapie quelquedistance du local o a lieu le vote jai retrouv deuxtmoins de la scne et je connais lidentit de ceux quicomposaient le petit commando , les poches empliesde bulletins en sa faveur. La consigne est claire : silapparat que les pointages donnent Alain Billon en tteen dbut de soire, une coupure opportune dlectricitleur permettra dentrer subrepticement dans le local etde bourrer les urnes.Finalement, ce nest pas ncessaire : avec lappui deJean-Marie Le Guen, alors patron de la fdration deParis du PS, Cambadlis dcroche linvestiture tantconvoite. Et Alain Billon qui depuis est pass auParti de gauche est remerci brutalement, sans doutesans avoir compris ce qui lui tait arriv. Pour la petitehistoire, un militant socialiste de la section alors peuconnu, soutien dAlain Billon, assiste toute la scne.Il sagit... dArnaud Montebourg.Jean-Christophe Cambadlis peut alors commencer sanouvelle vie de hirarque socialiste.A suivre, demain: Manuel Valls ou la carrire d'unapparatchik

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    Boite noireLe livre de Laurent Mauduit est prcd d'unavertissement dans lequel il explique les dmarcheseffectues par lui pour raliser son enqute. Nousen reproduisons ci-dessous quelques extraits, utiles la comprhension des bonnes feuilles publies ci-dessus :

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    Pour la rdaction de ce livre, jai rencontr denombreux acteurs de la vie publique, et notamment despersonnalits engages au Parti socialiste ou prochesde celui-ci. Certains mont pri de ne pas mentionnerexplicitement nos rencontres, si bien que jai fait lechoix de nen voquer aucune. Mais que tous sachentque je leur suis reconnaissant davoir puis dans leurmmoire pour aider mes recherches.Parmi ces personnalits, jaimerais nanmoinssignaler deux refus : Manuel Valls et Jean-ChristopheCambadlis. Dans le but de vrifier certaines desinformations dont je disposais sur lactuel Premierministre, jai contact, en mai 2014 et par tlphone,le membre de son cabinet Matignon, Harold Hauzy,en charge de sa communication, pour lui expliquerlobjet de ce livre et solliciter un rendez-vous avec lePremier ministre. Manuel Valls na pas pris la peine deme rappeler, ne serait-ce que pour dcliner loffre. Jaiconfirm ma demande par mail quelque temps plustard, au mois de juin, mais ma requte est demeuresans rponse.Par mail galement, jai fait savoir dbut juin 2014 Jean-Christophe Cambadlis que je dsirais lerencontrer pour vrifier avec lui les faits rapportsdans mon rcit. Jai insist deux semaines plus tardpar un SMS, lui signalant que javais dcouvert desfaits importants le concernant et que je souhaitais menentretenir avec lui. En dfinitive, il ma fait porterpar son chauffeur, la rdaction de Mediapart, cettelettre, en date du 9 juillet 2014, dont je respecte icilorthographe originale : Laurent,

    Cest avec tonnement et un brin amus que jai luton mail amical en vu dune rencontre propos deton ouvrage. Depuis notre sortie du PCI , tu mepoursuis dune vindicte pour le moins stupfiante.Elle puise sa source dans ton viction du poste deSecrtaire gnral de lUNEF ? Ou de quelquespropos que lon taura rapports ? Ou peut-tre est-cetout simplement ce que Pierre Andr Taguieff appellela force du prjug ? Mais il suffit de te regardersur I-Tl pour mesurer la colre qui tanime mongard. Quant la gauche, tu as dj prononc notreacte de dcs dans un prcdent ouvrage. Je ne doutepas que tu trouveras quelques racontars pour illustrerta nouvelle charge. Quant apporter ma pierre, voirema caution, lentreprise de dmolition humaine etcollective, cela ne me semble pas ncessaire. Tu lecomprendras car ton jugement est fait ! Je vais doncdcliner cette rencontre pour cet objet. (Une copiede cette lettre peut tre tlcharge ici)Le 15 juillet, je lui ai rpondu par mail : En rponse ta lettre, je veux te dire mon regret.Je prends acte que tu ne souhaites pas me rencontrermais je pense que cest dommage. Car tu connaisma culture professionnelle, celle de Mediapart : les"racontars" ny ont pas leur place. Comme tu as pule constater tout au long des grandes affaires quenous avons rvles, de laffaire Cahuzac jusqulaffaire Tapie, en passant par laffaire Bettencourt etbien dautres encore, nous nous astreignons toujours vrifier nos informations le plus mticuleusementpossible. Et nous veillons toujours respecter la rgledu contradictoire. Tu avais donc bien compris queje souhaitais recueillir tes commentaires sur des faitstrs prcis qui te concernent. Je regrette donc que tute drobes. Je le regrette dautant plus que tu occupesdsormais une fonction minente qui peut susciterlintrt des citoyens et donc la curiosit lgitime desjournalistes. Je pourrais encore ajouter que certainesde tes remarques mapparaissent obscures ou encoreque je suis vritablement abasourdi dentendre lepremier secrtaire du PS, en charge si jai biencompris de rarmer intellectuellement son parti,prendre pour rfrence intellectuelle Pierre-AndrTaguieff, lun des porte-voix des noconservateurs

  • Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 9

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    franais. Mais encore une fois, ce nest pas cela quimoccupe aujourdhui. Ce sont les faits, seulementles faits que je mapplique reconstituer. Endautres temps, lorsque jcrivais un livre prcdent,ton prdcesseur au poste de premier secrtaire, uncertain Franois Hollande, loin de me fermer saporte, avait accept de faire la critique de mon travaildans le journal Le Monde. Sans doute est-ce un signede plus que les temps ont bien chang. Jen dduisque le droit linformation des citoyens et le dbatpluraliste et contradictoire ne sont pas des prioritspour le nouveau premier secrtaire du Parti socialiste.

    Pour tablir ce prsent rcit, jai galement cherch joindre de nombreuses personnes avec lesquellesjavais jadis partag mes engagements de jeunesse.Je me suis heurt une poigne de refus decertains qui nont gure eu envie, pour des raisonsque je devine, de me voir exhumer des pagessombres sur la Mnef notamment. Au contraire deceux-l, beaucoup de celles et de ceux avec quijai partag mes enthousiasmes de jeunesse montchaleureusement accueilli. Nos retrouvailles furentsouvent mouvantes. toutes celles et tous ceux quiont partag les mmes espoirs et les mmes dceptionsque moi, et qui ont jug utile de me confier leurssouvenirs, je veux ici exprimer ma profonde gratitude.

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