diagnostic rétrospectif d'un coma chez un nourrisson

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© Masson, Paris. CAS Ann. Fr. Anesth. Reanim., 5: 70-71, 1986. CLINIQUE Diagnostic retrospectif d'un coma chez un nourrisson Retrospective diagnosis of coma in a baby D. DUPONT, P. VELIN, P. MAESTRACCI Departement d'Anesthesie-Reanimation, H6pital Saint-Roch, F06031 Nice Cedex RC:SUME : Un nourrisson de 4 mois pr6sente, un matin, un coma calme hypotonique, ar6flexique et sans signe de localisation, rapidement r6solutif sans s6quelles. Une cytolyse h6patique et une prot6inurie isol6es, dont le maximum se situe 3 jours apr~s les troubles neurologiques initiaux, compl6tent le tableau. Un nouvel interrogatoire des parents, orient6 vers la recherche d'une cause toxique, affirme l'intoxication par le t6trachlor6thyl~ne. Cette observation particuli6re permet de rappeler les signes principaux de l'intoxication par les hydrocarbures alipbatiques halog6n6s et montre que la possibilit6 d'une intoxication doit 6tre envisag6e tout hge, y compris chez le jeune nounisson. ABSTRACT : A four month old baby presented one morning a quiet, hypotonic, areflexive coma without any signs of locali- zation, which vanished without any sequelae. Hepatic cytolysis and an isolated proteinuria with a maximum at about three days after the initial neurological problems completed the picture. A new interview with the parents looking for a toxic cause revealed without any doubt poisoning by tetrachloro-ethylene. Following this particular case, the main signs of poisoning by halogenated aliphatic hydrocarbons are recalled. One should always have in mind the possibility of poisoning at all ages, even with young babies. Cette observation rapporte le cas d'un noun-isson de 4 mois pr6sentant un coma hypotonique rapidement rEsolutif sans s6quelle, suivi d'une atteinte h6patique et r6nale 6galement transitoire. Cette observation semble int6ressante par le caract6re original de son 6tiologie. OBSERVATION Un enfant ~g6 de 4 mois, sans ant6c6dents particuliers, est amen6 sans connaissance par ses parents, ~, l'h6pital, le 2 d6cem- bre 1983 au matin. Ce nourrisson est hypotonique et pr6sente un coma calme arfflexique, sans signe de localisation. La respiration est ample, la fr6quence respiratoire de 25 c - min -1. L'haleine de l'enfant ne pr6sente aucune odeur particuli~re. L'examen cli- nique est par ailleurs normal. La temp6rature rectale est de 37,2 °C, la fr6quence cardiaque de 130 b - min -l, la pression art6rielle de 11,9/7,9 kPa (90/60 mmHg). La glyc6mie capillaire, estim6e par bandelette reactive (Destrostix®), est ~, 5 mmol - 1- ~. Les premiers r6sultats biologiques sont les suivants : globules rouges : 4 360 000, h6moglobine : 11,6 g. 100 ml -l, globules blancs : 22500 (polynucl6aires 56 %), plaquettes : 730-10 3. ~tl -l, glyc6mie : 3,24 mmol' 1 -~, protid6mie : 70 g-1 -I , azot6- mie : 8,4 mmol- 1-1, cr6atin6mie : 68 Ixmol " l -l, natr6mie : 130 mmol-l-I, kali6mie : 5 mmol.l-l, chlor6mie : 104 mmol. 1 -~, calc6mie : 2,35 mmol-1-1 , magn6s6mie : 0,94 mmol - 1 -I, phosphor6mie : 2 mmol • 1-1_ Les transaminases glutamo-oxalo-ac6tiques (SGOT) et glutamo-pyruviques (SGPT) sont 61ev6es : SGOT : 245 UI.1 -l, SGPT : 110 UI-1-1 . La gazom6trie art6rielle, alors que l'enfant respire l'air ambiant, montre une acidose m6tabolique mod6r6e : le pHest h 7,35, la Paco2 ?. 3,99 kPa (29,5 mmHg), la Pao2 h 15,9 kPa (121 mmHg) et les bicarbonates ~. 16 mmol . 1 -j. Le fibrinog~ne est h 2 g • l -j, le TP h 87 %, le TCK ~ 51 s (t6moin : 43 s)_ La radiographie du thorax, le fond d'oeil, le liquide c6phalo-rachidien et l'6chographie tranfontanellaire sont normaux. I1 n'y a pas d'HbCO dans le sang. L'absence d'h6patomEgalie et d'hypoglyc6mie 61imine un syn- drome de Reye. L'interrogatoire des parents permet d'6carter toute prise m6dicamenteuse. Le lendemain, l'enfant est conscient, son comportement et l'examen neurologique sont norrnaux. Deux jours apr6s l'admission, alors que l'examen somatique est tout ~ fait rassurant, il existe toujours une acidose m6tabolique : pH : 7,33, Paco2 : 4,65 kPa (35 mmHg), bicarbonates : 17 mmol - 1 i. Les transaminases s'616vent encore : SGOT : 2020 UI • 1 ~, SGPT : 1900 UI' l -I, alors que les autres 616ments du bilan h6patique restent normaux et que I'HBS est n6gatif. L'analyse d'urine montre alors l'existence de nombreux cylindres et une prot6inurie h 4 g par jour; le compte de Kass est st6rile et il n'existe pas d'h6maturie; l'6chographie r6nale est normale. Au 7~ jour d'hospitalisation, l'acidose a disparu, les SGOT sont a 65 UI - 1 -~, les SGPT 425 UI - 1 -j, la prot6inurie h 1,50 g par jour. L'enfant quitte l'h6pital apr6s 12 jours de surveillance. Le contr61e des urines et des transaminases effectu6 15 jours apr~s la sortie est normal. La r6versibilit6 du coma sans traitement particulier, ainsi que l'atteinte cytolytique h6patique pure et l'atteinte r6nale, font rechercher a posteriori une origine toxique. L'interrogatoire ~ policier ~ des parents nous apprend que l'enfant avait dormi toute la nuit enroul6 dans une couverture confi6e la veille hun teinturier pour nettoyage avec un produit renfermant du tetrachlor- Ethylene comme principe actif. Ces notions ont 6t6 confirm6es par le teinturier et par les 6tablissements qui d61ivrent ces produits. Re~:u le 14 mai 1985; accept6 sous forme r6vis6e le 15 aoflt 1985. Tires a part : D. Dupont. D6partement d'Anesth6sie R6animation, H6pital Lenval pour Enfants, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice.

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Page 1: Diagnostic rétrospectif d'un coma chez un nourrisson

© Masson, Paris. CAS Ann. Fr. Anesth. Reanim., 5: 70-71, 1986. CLINIQUE

Diagnostic retrospectif d'un coma chez un nourrisson

Retrospective diagnosis of coma in a baby

D. DUPONT, P. VELIN, P. MAESTRACCI

Departement d'Anesthesie-Reanimation, H6pital Saint-Roch, F06031 Nice Cedex

RC:SUME : Un nourrisson de 4 mois pr6sente, un matin, un coma calme hypotonique, ar6flexique et sans signe de localisation, rapidement r6solutif sans s6quelles. Une cytolyse h6patique et une prot6inurie isol6es, dont le maximum se situe 3 jours apr~s les troubles neurologiques initiaux, compl6tent le tableau. Un nouvel interrogatoire des parents, orient6 vers la recherche d 'une cause toxique, affirme l'intoxication par le t6trachlor6thyl~ne. Cette observation particuli6re permet de rappeler les signes principaux de l'intoxication par les hydrocarbures alipbatiques halog6n6s et montre que la possibilit6 d 'une intoxication doit 6tre envisag6e tout hge, y compris chez le jeune nounisson.

ABSTRACT : A four month old baby presented one morning a quiet, hypotonic, areflexive coma without any signs of locali- zation, which vanished without any sequelae. Hepatic cytolysis and an isolated proteinuria with a maximum at about three days after the initial neurological problems completed the picture. A new interview with the parents looking for a toxic cause revealed without any doubt poisoning by tetrachloro-ethylene. Following this particular case, the main signs of poisoning by halogenated aliphatic hydrocarbons are recalled. One should always have in mind the possibility of poisoning at all ages, even with young babies.

C e t t e o b s e r v a t i o n r a p p o r t e le cas d ' u n n o u n - i s s o n de

4 m o i s p r 6 s e n t a n t un c o m a h y p o t o n i q u e r a p i d e m e n t

rEso lu t i f sans s6que l l e , su iv i d ' u n e a t t e in te h 6 p a t i q u e et r6na le 6 g a l e m e n t t r ans i to i r e . C e t t e o b s e r v a t i o n s e m b l e

i n t6 r e s san t e pa r le c a r ac t6 r e o r i g ina l de son 6 t io log ie .

OBSERVATION

Un enfant ~g6 de 4 mois, sans ant6c6dents particuliers, est amen6 sans connaissance par ses parents, ~, l 'h6pital, le 2 d6cem- bre 1983 au matin. Ce nourrisson est hypotonique et pr6sente un coma calme arfflexique, sans signe de localisation. La respiration est ample, la fr6quence respiratoire de 25 c - min -1. L'haleine de l 'enfant ne pr6sente aucune odeur particuli~re. L'examen cli- nique est par ailleurs normal. La temp6rature rectale est de 37,2 °C, la fr6quence cardiaque de 130 b - min - l , la pression art6rielle de 11,9/7,9 kPa (90/60 mmHg). La glyc6mie capillaire, estim6e par bandelette reactive (Destrostix®), est ~, 5 mmol - 1- ~. Les premiers r6sultats biologiques sont les suivants : globules rouges : 4 360 000, h6moglobine : 11,6 g . 100 ml - l , globules blancs : 22500 (polynucl6aires 56 %), plaquettes : 7 3 0 - 1 0 3 . ~tl - l , glyc6mie : 3,24 m m o l ' 1 -~, protid6mie : 70 g - 1 -I , azot6- mie : 8,4 m m o l - 1-1, cr6atin6mie : 68 Ixmol " l - l , natr6mie : 130 m m o l - l - I , kali6mie : 5 m m o l . l - l , chlor6mie : 104 m m o l . 1 -~, calc6mie : 2,35 m m o l - 1 - 1 , magn6s6mie : 0,94 mmol - 1 - I , phosphor6mie : 2 mmol • 1-1_ Les transaminases glutamo-oxalo-ac6tiques (SGOT) et glutamo-pyruviques (SGPT) sont 61ev6es : SGOT : 245 U I . 1 - l , SGPT : 110 U I - 1 - 1 . La gazom6trie art6rielle, alors que l 'enfant respire l'air ambiant, montre

une acidose m6tabolique mod6r6e : le p H e s t h 7,35, la Paco2 ?. 3,99 kPa (29,5 mmHg), la Pao2 h 15,9 kPa (121 mmHg) et les bicarbonates ~. 16 mmol . 1 - j . Le fibrinog~ne est h 2 g • l - j , le TP h 87 %, le TCK ~ 51 s (t6moin : 43 s)_ La radiographie du thorax, le fond d'oeil, le liquide c6phalo-rachidien et l '6chographie tranfontanellaire sont normaux. I1 n 'y a pas d 'HbCO dans le sang. L'absence d'h6patomEgalie et d'hypoglyc6mie 61imine un syn- drome de Reye. L'interrogatoire des parents permet d'6carter toute prise m6dicamenteuse. Le lendemain, l 'enfant est conscient, son comportement et l 'examen neurologique sont norrnaux. Deux jours apr6s l 'admission, alors que l 'examen somatique est tout ~ fait rassurant, il existe toujours une acidose m6tabolique : pH : 7,33, Paco2 : 4,65 kPa (35 mmHg), bicarbonates : 17 mmol - 1 i. Les transaminases s'616vent encore : SGOT : 2020 UI • 1 ~, SGPT : 1900 U I ' l - I , alors que les autres 616ments du bilan h6patique restent normaux et que I'HBS est n6gatif. L'analyse d'urine montre alors l 'existence de nombreux cylindres et une prot6inurie h 4 g par jour; le compte de Kass est st6rile et il n 'existe pas d'h6maturie; l '6chographie r6nale est normale. Au 7 ~ jour d'hospitalisation, l 'acidose a disparu, les SGOT sont a 65 UI - 1 -~, les SGPT 425 UI - 1 - j , la prot6inurie h 1,50 g par jour. L'enfant quitte l'h6pital apr6s 12 jours de surveillance. Le contr61e des urines et des transaminases effectu6 15 jours apr~s la sortie est normal.

La r6versibilit6 du coma sans traitement particulier, ainsi que l'atteinte cytolytique h6patique pure et l 'atteinte r6nale, font rechercher a posteriori une origine toxique. L'interrogatoire ~ policier ~ des parents nous apprend que l 'enfant avait dormi toute la nuit enroul6 dans une couverture confi6e la veille h u n teinturier pour nettoyage avec un produit renfermant du tetrachlor- Ethylene comme principe actif. Ces notions ont 6t6 confirm6es par le teinturier et par les 6tablissements qui d61ivrent ces produits.

Re~:u le 14 mai 1985; accept6 sous forme r6vis6e le 15 aoflt 1985. Tires a part : D. Dupont. D6partement d'Anesth6sie R6animation, H6pital Lenval pour Enfants, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice.

Page 2: Diagnostic rétrospectif d'un coma chez un nourrisson

COMA CHEZ UN NOURRISSON 71

COMMENTAIRES

Le t6trachlor6thyl6ne et le trichlor6thyl6ne sont des hydrocarbures halog6n6s aliphatiques, excellents sol- vants des graisses, largement utilis6s pour le d6graissage des m6taux, la dissolution des peintures et des vernis, le nettoyage h sec en teinturerie. Ces deux produits peuvent Etre responsables d'intoxications aigu6s de tableau voisin. Ces intoxications ne semblent pas exceptionnelles, puisqu'elles occupent chez l 'enfant la premi6re place parmi les intoxications par les produits non m6dicamenteux [1]. Le toxique est absorb6 le plus souvent de faqon accidentelle par ingestion ou par inhalation, avec pour ce dernier mode une proportion d'inhalations volontaires chez les adolescents [5]. I1 existe une fixation tissulaire rapide sur les tissus riches en corps gras. L'61imination se fait par voie pulmonaire sans modification pour 20 %; les 80 % restants sont m6tabolis6s dans les h6maties et les microsomes h6pa- tiques, avec possibilit6 d'induction enzymatique. L'61i- mination urinaire des d6riv6s trichlor6s est lente, avec une demi-vie biologique estimEe h 71,5 h pour le t6trachlor6thyl6ne [3]_ Les m6tabolites urinaires du t6trachlor6thyl6ne chez la souris sont repr6sent6s par 52 % d'acide trichloroac6tique, 11% d'acide oxalique, des traces d'acide dichloroac6tique et de 18 % de m6tabolites ind6termin6s. La symptomatologie est domin6e par un coma r6sultant d 'une d6pression du syst6me nerveux central de type anesth6sique, une hyperexcitabilit6 myocardique (rare avec le t6trachlo- r6thyl6ne), une acidose m6tabolique, des vomissements et un risque d'oed6me 16sionnel. La cytolyse h6patique et l'atteinte r6nale seraient le fait d'impuret6s [2], surtout

pour le trichlorrthyl~ne, alors qu'une atteinte hrpato- rrnale directe est admise pour le trtrachlorrthylrne [4]. Le diagnostic est assur6 par la recherche de l 'acide trichloracrtique dans le sang et les urines, mis en 6vidence par la rraction de Fujiwara-Rose. Le traitement est symptomatique et vise ~ accrlrrer l'61imination du toxique (lavage gastrique, diurrse osmotique neutre, favorisation de l'61imination pulmonaire). Le pronostic est en rrgle excellent.

Cette observation est particulirre par le trbs jeune fige de survenue de l'intoxication. A notre connaissance, il n'existe aucun cas drcrit avant l'fige d 'un an. La possibilit6 d 'une intoxication doit donc ~tre envisagre tout ~ge, y compris chez le jeune nourrisson pourtant encore totalement drpendant d 'un entourage attentif et bien intentionnr_ Des signes de drpression neurologique centrale suivis d'une hrpatonrphrite doivent toujours 6voquer une intoxication par les organochlorrs. L'inter- rogatoire des parents reprrsente une 6tape fondamentale du diagnostic.

BIBLIOGRAPHIE

I. AUZl~PY F., CLOUP M., VERGER C. Intoxications aigufs par le trichlorrthylrne. Rev. Prat (Paris), 29: 1285-1291, 1979_

2. BAER6 R.D., KIMaERG D.V. Centrilobular hepatic necrosis and acute renal failure in ~ Solvent Sniffer ,~. Ann. Intern. Med., 73: 713-720, 1970.

3.,CONsO F., RUDLER M. Drrivrs chlorfs des hydrocarbures aliphatiques. Encycl. Mrd. Chir., Intoxications, 16046 E 10.9, Paris, 1978.

4. PATTY F.H. Patty's industrial hygiene and toxicology, third revised edition (pp. 3560-3568). Wiley, New York, 1981.

5. STEWART R.D. Acute tetrachlorethylene intoxication. J. Am. Med. Assoc., 208: 1490-1492, 1969.

Hypercalcemia and pheochromocytoma. An evidence for a novel mechanism. - - A.F. Stewart, J.L. Hoeeckner, L.E. Malette, G.V. Segre, T.T. Amatruda, A. Vignery. Ann. Intern. Med., 102: 776-779, 1985.

Une hypercalcemie peut paffois se rencontrer au cours d'un pheochromocytome. Quatre mecanismes sont habi- tuellement proposes: une hyperparathyrdidie primaire dans le cadre d'une polyendocrinopathie, une s6cr6tion ectomique, par le pheochromocytome de parathormone, une liberation anormale de parathormone par I'intermo- diaire des catecholamines, enfin une r6sorption osseuse de type ost6oclasique par le biais de ces m6mes catecholamines. Cette observation met en evidence un

mecanisme suppl6mentaire : la s6cretion probable par le ph6ochromocytome d'une hormone, differente de la parathormone et des cat6cholamines, qui entraTne une resorption osseuse. Si vous endormez un pheochromo- cytome, pensez ,~ doser la calcemie; si vous trouvez une calcemie 6levee, faites le bilan recommande dans cette observation, et vous decrirez peut ~tre le deuxieme cas de ce type.

V. BANSSILLON.