conférence inaugurale session de droit international public, vol 329

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  • 8/6/2019 Confrence inaugurale session de droit international public, Vol 329

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    LADAPTATION DU DROIT INTERNATIONALAUX BESOINS CHANGEANTS

    DE LA SOCIT INTERNATIONALE

    Confrence inaugurale,

    session de droit international public,2007

    par

    ALAIN PELLET

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    NOTICE BIOGRAPHIQUE

    Alain Pellet, n le 2 janvier 1947 Paris.Agrgation de droit public et de sciences politiques (1974). Doctorat dEtat de

    droit public, Universit de Paris II (1974). Diplome dtudes suprieures (DES)de sciences politiques (1969) et DES de droit public (1969), facult de droit etdes sciences conomiques de Paris.

    Auditeur lAcadmie de droit international de La Haye (session de droitpublic, en 1967, en 1969 et en 1971).

    Diplme de lInstitut dtudes politiques de Paris (Sciences-Po) (section duservice public, 1968).

    Licence en droit public, facult de droit et des sciences conomiques de Paris(1968).

    Professeur lUniversit Paris X-Nanterre (depuis 1990).Directeur du Centre de droit international de Nanterre (CEDIN, 1991-2001).

    Responsable du diplme dtudes approfondies (DAS) puis du master 2 (recherche)de droit des relations conomiques internationales et communautaires.

    Professeur lInstitut dtudes politiques de Paris (Sciences-Po ) (1980-1999). Professeur lUniversit Paris-Nord (1977-1990). Professeur lUniver-sit de Constantine (1974-1977). Matre de confrence lInstitut dtudes poli-tiques de Paris (1972-1981). Assistant lUniversit Paris II (1969-1974).

    Professeur invit, missions de courte dure et confrences dans de nombreusesuniversits trangres.

    Membre de la Commission du droit international de lOrganisation des NationsUnies (depuis 1990) ; rapporteur spcial sur Les rserves aux traits (depuis1994) ; prsident (1997-1998).

    Membre supplant (arbitre) de la Cour de conciliation et darbitrage de lOrga-nisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE) (depuis 2001).Membre supplant de la Sous-Commission des droits de lhomme de lOrgani-sation des Nations Unies (1983-1992).

    Conseil et avocat de la France, du Burkina Faso, du Nicaragua, de lAustralie,du Tchad, de la Slovaquie, de la Bosnie-Herzgovine, du Cameroun, de lIndo-nsie, de la Rpublique de Guine, du Liechtenstein, de lInde, du Bnin, delIran, de Singapour, de la Roumanie, de lArgentine et du Prou, dans plus de

    trente affaires devant la Cour internationale de Justice. Participation diversarbitrages en tant quarbitre, conseil et avocat ou en tant que consultant notam-ment devant le Centre international pour le rglement des diffrends relatifs auxinvestissements (CIRDI), dans le cadre de la Chambre de commerce internatio-nale (CCI), et dans laffaireEurotunnel (depuis 2005). Expert-consultant auprsde la commission darbitrage de la Confrence pour la paix en Yougoslavie(1991-1993). Conseiller juridique de lOrganisation mondiale du tourisme(depuis 1990). Rapporteur du comit de juristes franais charg dtudier lacration dun Tribunal pnal international destin juger les crimes commisdans lex-Yougoslavie ( Commission Truche) (1993) ; amicus curiae deuxreprises devant le Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie.

    Consultant, socit davocats Mignard-Teitgen-Grisoni (Paris) (1993-2007).

    Docteur honoris causa (Universits Estcio de S, Rio de Janeiro, 1998;Miskolc (Hongrie), 2000, et Acadmie russe du commerce extrieur, Moscou,2002).

    Associ de lInstitut de droit international (2007).Chevalier de la Lgion dhonneur (France, 1998). A reu plusieurs dcorations

    franaises et trangres.

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    PRINCIPALES PUBLICATIONS

    Ouvrages

    La Charte des Nations Unies, Constitution mondiale? dir. publ. (avec R. Chemain),actes du colloque du CEDIN, Cahiers internationaux, no 20, Pedone, 2006.

    La Charte des Nations Unies (commentaire article par article), dir. publ. (avecJ.-P. Cot et M. Forteau), 3e d., Economica, 2005 (traduction en japonais,1993 ; traduction en anglais paratre en 2008).

    Droit international pnal, dir. publ. (avec H. Ascensio et E. Decaux), Pedone,2000.

    Droit international public (Nguyen Quoc Dinh,) avec P. Daillier, 7e

    d., LGDJ,2002 (traductions en portugais, 2e d., 2004, et en russe, 2003 (2 vol.) ; traduc-tions partielles en grec, 1991, et en hongrois, 1997).

    Les fonctionnaires internationaux (avec D. Ruzi), collection Que sais-je ?, PUF,1993.

    Le droit international du dveloppement, 2e d., collection Que sais-je ?, PUF,1987 (traduction en japonais, 1988).

    Les voies de recours ouvertes aux fonctionnaires internationaux, Pedone, 1982.Droit international public, collection Thmis, PUF, 1981 (traduction en japo-

    nais, 1992). Recherche sur les principes gnraux de droit en droit international public,

    thse, doctorat dEtat, Paris II, 1974.

    Recueils de textes

    Les Nations Unies. Textes fondamentaux, collection Que sais-je?, PUF, no 3035,1995.

    Droit dingrence ou devoir dassistance humanitaire ? Problmes politiques etsociaux, nos 758-759, 1er-22 dcembre 1995, La documentation franaise.

    Principaux articles

    Articles 19 et 22 et, avec W. Schabas, Article 23 (Rserves), dansO. Corten et P. Klein (dir. publ.), Les Conventions de Vienne sur le droit destraits. Commentaire article par article, vol. I, Bruxelles, Bruylant,2006, pp. 639-796, 934-970 et 971-1022.

    Vous avez dit monisme ? Quelques banalits de bon sens sur limpossibi-lit du prtendu monisme constitutionnel la franaise, Larchitecture dudroit. Mlanges en lhonneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006,pp. 827-857.

    Article 38 , dans A. Zimmermann, Ch. Tomuschat et K. Oellers-Frahm, The International Court of Justice. A Commentary, Oxford University Press,2006, pp. 677-792.

    Inutile Assemble gnrale ? , Pouvoirs, no 109, 2004, pp. 43-59. Les rserves aux conventions sur le droit de la mer, dansLa mer et son droit.

    Mlanges offerts Laurent Lucchini et Jean-Pierre Quneudec, Pedone,

    Paris, 2003, pp. 501-520. Les articles de la CDI sur la responsabilit de lEtat pour fait internationale-ment illicite ; suite et fin ? ,AFDI, 2002, pp. 1-23.

    Human Rightism and International Law, Italian Yearbook of InternationalLaw, 2000, pp. 3-16.

    La codification du droit de la responsabilit internationale : Ttonnements etaffrontements, dans L. Boisson de Chazournes et V. Gowlland-Debbas(dir. publ.), Lordre juridique international, un systme en qute dquit et

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    duniversalit, Liber amicotum Georges Abi-Saab, Kluwer, La Haye, 2001,pp. 285-304.

    La lex mercatoria, tiers ordre juridique ? Remarques ingnues dun interna-tionaliste de droit public , dans Souverainet tatique et marchs internatio-naux la fin du 20e sicle, Mlanges en lhonneur de Philippe Kahn, Litec,2000, pp. 53-74.

    Responding to New Needs through Codification and Progressive Develop-ment (Keynote Address), dans V. Gowlland-Debbas (dir. publ.), MultilateralTreaty-Making: The Current Status of Challenges to and Reforms Needed in International Legislative Process, Kluwer, La Haye, 2000, pp. 13-23.

    La Commission du droit international, pour quoi faire? , Boutros Boutros-Ghali amicorum discipulorumque liber. Paix, dveloppement, dmocratie,Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 583-612.

    Le droit international laube du XXIe sicle (La socit internationale

    contemporaine permanences et tendances nouvelles) , cours gnral,Cours euro-mditerranens de droit international, vol. I, 1997, Pamplona,Aranzadi, 1998, pp. 19-112.

    Conseil devant la Cour internationale de Justice : quelques impressions ,Mlanges offerts Hubert Thierry. Lvolution du droit international, Pedone,1998, pp. 345-362 (version mise jour dans Nations Unies, Recueil darticlesde conseillers juridiques dEtats, dorganisations internationales et de prati-ciens du droit international, New York, 1999, pp. 435-458, et, en anglais : The Role of the International Lawyer in International Litigation, dansCh. Wickremasinghe (dir. publ.), The International Lawyer as Practionner,Londres, BIICL, 2000, pp. 147-162).

    Le renforcement du rle de la Cour en tant quorgane judiciaire principal des

    Nations Unies , dans G. Peck and R. S. Lee (dir. publ.), Increasing the Effectiveness of the International Court of Justice. Proceedings of the ICJ/UNITAR Colloquium to Celebrate the 50th Anniversary of the Court,Nijhoff/Unitar, 1997, pp. 235-253.

    Remarques sur une rvolution inacheve. Le projet de la CDI sur la respon-sabilit des Etats,Annuaire franais de droit international, 1996, pp. 7-32.

    Vive le crime ! Remarques sur les degrs de lillicite en droit international,dans CDI, A. Pellet (dir. publ.),Le droit international laube du XXIe sicle,vues de codificateurs, Nations Unies, New York, 1997, pp. 287-315.

    Le projet de Statut de Cour criminelle internationale permanente. Vers la finde limpunit ? , dans Hctor Gros Espiell liber amicorum, Bruxelles,Bruylant, 1997, pp. 1057-1087.

    Les fondements internationaux du droit communautaire , Acadmie de droiteuropen, Florence,Recueil des cours (1994), vol. V, t. 2, Dordrecht, Kluwer,1997, pp. 193-271.

    The Road to Hell Is Paved with Good Intentions. The United Nations asGuarantor of International Peace and Security: A French Perspective, dans Ch.Tomuschat (dir. publ.), UN at Age Fifty, Dordrecht, Nijhoff, 1995, pp. 113-133.

    La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies, Journaleuropen de droit international, 1995, pp. 401-425.

    Peut-on et doit-on contrler les actions du Conseil de scurit? , dans SFDI,colloque de Rennes, Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies et lesnouveaux aspects de la scurit collective, Pedone, 1995, pp. 221-238.

    Quel avenir pour le droit des peuples disposer deux-mmes ? ,Liber amico-rum Jimnez de Archaga, Montevideo, Fondacin de cultura universitaria,1995, pp. 255-276.

    La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies , JEDI,1995, pp. 401-425.

    Le Tribunal criminel international pour lex-Yougoslavie,RGDIP, 1994, pp. 7-60. The Normative Dilemma. Will and Consent in International Law , Austra-

    lian Yearbook of International Law, vol. 12, 1992, pp. 22-53.

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    Contre la tyrannie de la ligne droite. Aspects de la formation des normes endroit international de lconomie et du dveloppement, Thesaurus Acroasium,

    vol. XIX, 1992, pp. 287-355. La mise en uvre des normes internationales des droits de lhomme, dansCEDIN, La France et des droits de lhomme, Paris, Monchrestien, 1990,pp. 101-140.

    Le glaive et la balance. Remarques sur le rle de la CIJ en matire de main-tien de la paix et de la scurit internationales, dans Y. Dinstein (dir. publ.), International Law at a Time of Perplexity. Essays in Honour of ShabtaiRosenne, Dordrecht, Nijhoff, 1989, pp. 539-556.

    La carrire des fonctionnaires internationaux, dans SFDI, colloque dAix-en-Provence,Les agents internationaux, Pedone, 1985, pp.143-191.

    Larticle 53 de la Constitution de 1958. Le rle du Parlement dans la proc-dure dentre en vigueur des traits et accords internationaux , dans F. Luchaire

    et G. Conac (dir. publ.), La Constitution de 1958, 2e

    d., Economica, 1987,pp. 1005-1038. Le bon droit de livraie. Plaidoyer pour livraie (Remarques sur quelques

    problmes de mthode en droit international) , dans Mlanges CharlesChaumont, Pedone, 1984, pp. 465-493.

    Budget et programmes aux Nations Unies, quelques tendances rcentes ,AFDI, 1976, pp. 242-282.

    La grve dans les services publics internationaux,RGDIP, 1975, pp. 932-971.La ratification par la France de la Convention europenne des droits de lhomme,

    RDP, 1974, pp. 1319-1379.

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    Excellences,

    Mesdames et Messieurs,

    Chers Amis,

    Lorsque Yves Daudet, le secrtaire gnral de lAcadmie, matransmis laimable proposition du Curatorium de faire cette conf-

    rence doublement inaugurale (de cette session et de ce beau btimentflambant neuf) il ma laiss libre de choisir le sujet, en prcisantcependant quil devrait sagir dun sujet dactualit.

    Je suis bien conscient que les sujets dactualit ne manquent pas etil aurait peut-tre t plus conforme cette demande de choisir unthme plus brlant , en apparence au moins, dans un domaine la mode, comme le droit de lenvironnement, la responsabilit deprotger, voire le malheureux arrt de la Cour internationale deJustice de fvrier dernier dans laffaire de l Application de laConvention pour la prvention et la rpression du crime de gnocide

    (Bosnie-Herzgovine c. Serbie-et-Montngro), quoique je minter-dise, en gnral, de parler des affaires dans lesquelles jai tconseil, ce qui est le cas en lespce. Mais, finalement, je me suisdcid pour un thme que lon peut considrer comme tant dune actualit ternelle, mais quil me parat de plus en plus urgentdessayer de clarifier : Comment le droit international sadapte-t-ilaux besoins changeants de la socit internationale?

    La question est, videmment, aussi vieille que le droit internatio-nal : compte tenu de la structure trs particulire de la socit quergit le droit des gens, caractrise avant tout mme si pas exclu-sivement par la juxtaposition dentits qui se veulent souve-raines par-dessus tout , comment rpondre au besoin de droit quipeut sy manifester? Et, question lie mais un peu diffrente je crois,comment adapter les rgles existantes mais devenues obsoltes ouinadaptes des besoins nouveaux?

    Deux remarques demble:1) pendant longtemps, jai limpression que les deux questions ont

    t confondues: le long coulement du temps faisait que lonsaccommodait de pratiques immmoriales, et ne conduisaitpas mettre laccent sur les changements du droit ; une fois adop-

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    tes, les rgles taient supposes correspondre des besoinssociaux qui semblaient immuables ; du coup, et cest la seconderemarque,

    2) la vnrable thorie des sources du droit laquelle, contraire-ment dautres, je demeure largement attach permettait derpondre lune comme lautre des deux questions: quand unbesoin de norme juridique se faisait sentir dans tel ou teldomaine, il convenait et il suffisait de conclure un trait,den venir considrer une pratique comme rpondant unencessit juridique ou de postuler lexistence dun principe gn-

    ral de droit que lon prtendait dduire de la concordance desnormes applicables dans les droits internes opration un peualatoire certes, mais que la relativement grande unit idolo-gique, politique, conomique et sociale des nations que lonappelait civilises facilitait. Vous avez reconnu les troisgrandes sources du droit international qunumre le trs (jus-tement mon avis) fameux article 38 du Statut de la Cour inter-nationale de Justice 1.

    Et si cette perception des ralits a perdur, les choses ont chang compter, disons un peu arbitrairement, du dbut du XXe sicle : lemonde sest rtrci, le temps sest acclr, la multiplication desEtats (un mouvement entam, il est vrai, un sicle plus tt) a compli-qu les choses et lvolution des techniques la fois en matire decommunication et militaire, avec laccroissement dramatique de lacapacit de destruction massive lors des conflits arms qui en estrsult, ont rendu plus aigu la question de ladaptation des rgles de

    droit aux besoins changeants (et changeant rapidement) de la socitinternationale.

    Vous pouvez penser quaprs tout le problme du changement etde ladaptation du droit aux besoins sociaux nest pas propre au droitinternational et cest vrai : marque dune politique qui a russi 2,la norme de droit, dans quelque ordre juridique que lon se situe, ainvitablement pour objet de figer les situations acquises et de lesperptuer. Cest vrai au plan interne comme au plan international.

    18 Alain Pellet

    1. Voir mon commentaire de larticle 38 dans A. Zimmermann, Ch. Tomus-chat et K. Oellers-Frahm (dir. publ.), The Statute of the International Court ofJustice, Oxford University Press, 2006, pp. 677-792.

    2. E. Giraud, Le droit positif : ses rapports avec la philosophie et la poli-tique, Hommage dune gnration de juristes au prsident Basdevant, Paris,Pedone, 1960, p. 234.

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    Mais il y a une norme diffrence : dans lEtat, quelles que soient laforme de son organisation politique et la nature de ses institutions, ilexiste toujours des mcanismes permettant dajuster les rglesinadaptes aux besoins de la socit. Cela peut se faire par la rvolu-tion qui permet, par des changements drastiques de lordre juri-dique, de rpondre un bouleversement radical des rapports sociaux.Plus communment ladaptation continue du droit est rendue pos-sible par des mcanismes constitutionnels plus ou moins recomman-dables, plus ou moins efficaces, mais en gnral suffisants, au moins court ou moyen termes, pour modifier les rgles existantes lors-

    quelles sont inadaptes ou lacunaires : le vote dune nouvelle loi parle parlement, ladoption dun nouveau rglement par lexcutif,ldiction dune nouvelle norme par le dictateur.

    En droit international, cela ne fonctionne pas ainsi et cela ne peutpas fonctionner ainsi : dans lEtat, la souverainet qui permet deconfrer une norme un sceau juridique rside dans une entitunique, que ce soit la nation, le peuple ou le prince; la facult defaire le droit qui mane du souverain est confre un (ou

    quelques) lgislateur(s) spcialis(s) le parlement (et, accessoire-ment, le gouvernement ou des organes dcentraliss) dans un Etatdmocratique. Ce schma ne peut tre transpos mme par analo-gie au plan international.

    Dans la socit internationale, la souverainet est partage entreprs de deux cents entits ce qui, dailleurs, conduit ncessaire-ment donner de la souverainet au plan international une dfinitiondiffrente de celle qui est habituellement retenue dans lEtat, o elle

    saccommode dtre dfinie comme un pouvoir illimit et incondi-tionn. Dans lordre international, la souverainet de chaque Etat est,ncessairement, concurrence et, du coup limite, par celle, gale,appartenant tous les autres. En ce qui concerne la formation etladaptation des normes juridiques, cela a pour consquence quilnexiste pas de lgislateur spcialis et que ces normes soit rsultentde la volont concordante des Etats (qui en sont aussi les principauxdestinataires) et cest le procd conventionnel soit sour-

    dent du corps social lui-mme, sans maner dun organe spcifique et ce sont le processus coutumier ou les principes gnraux dedroit. Mais de lgislateur, point ; do notre problme.

    Do aussi le caractre trompeur de toute analogie avec le droitinterne et lembarras des auteurs qui y recourent. Ainsi de GeorgesAbi-Saab, qui a adopt comme fil directeur du magnifique cours

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    gnral quil a profess dans cette maison en 1987 la distinction tri-partite classique entre les fonctions excutive, judiciaire et lgisla-tive; mais, au sujet de cette dernire, il prcise quil nentend pasdsigner un pouvoir et une procdure spcialiss comme cestle cas dans lordre interne mais quil sagit de savoir commentcette fonction peut saccomplir dans un systme pouvoirs diffus etsans spcialisation de fonctions 3.

    Cette situation ne facilite pas une prompte adaptation du droit auxvolutions de plus en plus rapides de la socit internationale et deses besoins, et aux changements quexige la conscience de plus

    en plus aigu de linterdpendance entre les hommes et les socitshumaines quils forment. Or, peine daboutir des blocages (lourdsde menaces pour la scurit des rapports juridiques et pour la scu-rit tout court), il faut trouver une ou des rponses ces dfis.

    La socit internationale (et ses composantes) sy emploie(nt),cahin-caha, mme si, mes yeux, les rponses qui se dessinent rel-vent plus du bricolage ou de ce que lon qualifierait peut-tre plusexactement en anglais de trial and error que dune stratgie den-

    semble cohrente. Cela nest gure tonnant.Cest par la rvolution que le cadre juridique dune socit parti-

    culire est rform globalement et consacr par un changement deconstitution. Or si, dans la socit internationale, les volutions sont,aujourdhui, rapides et profondes, elles ne sont sans doute pas suffi-samment brutales pour entraner, ni mme pour permettre, uneremise plat de lordre juridique international (que labsence deconstitution formelle le rgissant ne facilite dailleurs pas). De tels

    bouleversements ont eu lieu dans le pass. Lapparition des Etatsmodernes mme si elle a t progressive a entran une remiseen cause radicale de lordre juridique intersocital traditionnel,avec lavnement du systme westphalien. Sans avoir des effets aussiradicaux, les traumatismes engendrs par les deux guerres mondialesont, leur tour, conduit des inflchissements en profondeur de cesystme.

    Toutefois, il est assez remarquable que ces rorientations aient

    bien davantage port sur les mcanismes dapplication du droit envue du maintien de la paix et de la scurit internationales que sursa formation ou son adaptation (malgr la tentative avorte de lar-

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    3. Cours gnral de droit international public,Recueil des cours, tome 207(1987), p. 127.

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    ticle 19 du Pacte de la Socit des Nations dont je redirai un motdans quelques instants). Et ni le Conseil et lAssemble de la Socitdes Nations, ni lAssemble gnrale et le Conseil de scurit desNations Unies nont t conus, de prs ou de loin, comme des lgis-lateurs mondiaux, pas davantage bien sr que lon imaginait que laCour permanente de Justice internationale puis la Cour internatio-nale de Justice seraient appeles exercer des fonctions quasi lgis-latives mme si, et cela mrite dtre not, Balfour avait, avec unegrande perspicacit, fait remarquer lors de la cration de la Cour per-manente que the decision[s] of the Permanent Court cannot but

    have the effect of gradually moulding and modifying internationallaw 4.

    Malgr le petit nombre daffaires dont la Cour mondiale a t sai-sie, ce pressentiment a t amplement confirm par la suite; et jepense en effet que la Cour internationale de Justice et dans unemesure moindre les autres juridictions internationales sont leslgislateurs ou, en tout cas, les adaptateurs de droit les plus effi-caces de lordre juridique international.

    Mais nanticipons pas. Pour linstant, nous en sommes aux chan-gements radicaux de lordre juridique international pour faire face des bouleversements structurels de grande ampleur. Force est deconstater cet gard que la socit internationale est plus inerte, plusrtive face aux volutions que les socits nationales. Les change-ments du droit y sont en gnral lents; ils ne touchent pas les modesde fabrication du droit ; et, au-del de son apparence anarchique,le systme juridique international apparat comme remarquablement

    stable.Il sest adapt, sans gure de soubresauts, la dcolonisation mas-sive des annes cinquante et soixante du XXe sicle; la fin de laguerre froide ne la pas profondment altr; la prtendue guerrecontre le terrorisme a servi de justification des abus manifestes,mais na pas non plus exerc sur le systme de pressions suffisammentfortes pour aboutir des changements substantiels dans les mca-nismes de production et dadaptation du droit. Et mme la globali-

    sation de lconomie mondiale, que je tiens pour lvolution la plussignificative de laprs-guerre, na pas, cet gard, profondment

    4. Documents concerning the Action Taken by the Council of the League ofNations, 1921, p. 38. Cit par M. Shahabuddeen, Precedent in the World Court,Cambridge University Press, 1996, p. 78.

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    boulevers le systme intertatique le seul que je puisse voquerdans cette brve confrence, mme si elle a entran lavnementdun systme parallle qui, terme, risque de menacer lintgrit dusystme postwestphalien mais on ne voit pas clairement les effetsde cette menace lheure actuelle, en tout cas en ce qui concerne lesmcanismes de cration et dadaptation des normes de droit interna-tional.

    Dans cet esprit, on peut relever que lAccord crant lOrganisationmondiale du commerce, qui est lune des consquences (indirectes)de la chute du Mur de Berlin et qui accompagne la mondialisation de

    lconomie, innove profondment en ce qui concerne la mise enuvre du droit mondial du commerce, mais est rsolument conserva-teur pour ce qui est de son laboration, comme en tmoigne le blo-cage des ngociations du cycle de Doha : il ne fournit aucun moyenpour rsoudre les problmes poss par les oppositions entre Etats ougroupes dEtats (et le systme du consensus narrange pas les choses cet gard). Je suis aussi trs frapp que le 11-Septembre nait euaucun effet spectaculaire sur la constitution de la socit interna-

    tionale, en tout cas pas en ce qui concerne la formation et la rvisiondes rgles juridiques (mme si, nous le verrons, lmotion suscitepar les attentats a permis un inflchissement en profondeur maispeut-tre conjoncturel des fonctions du Conseil de scurit dansun sens nettement lgislatif).

    Le systme international de production de normes reste fondamen-talement dcentralis et aucun organe, aucune institution, ny estinvesti spcifiquement de la fonction de fabriquer et de modifier le

    droit. Les traits et la coutume y demeurent les principaux mca-nismes cette fin et ils sont largement inadapts aux besoins de rapi-dit et de souplesse qui caractrisent le monde moderne, mme si,ds que la ncessit dun assouplissement des sources traditionnellesse fait sentir, le mcanisme de trial and error se dclenche.

    Lune des premires rponses de la socit postwestphalienne auxdfis nouveaux quelle rencontrait a t la quasi-lgislation, cest--dire la convocation de grandes confrences internationales ayant

    pour objet ladoption de conventions de synthse (on parlait volon-tiers de traits-lois) dans des domaines varis, dont lexemple leplus frappant, le plus efficient aussi, est videmment donn par lesdeux Confrences de La Haye de 1899 et de 1907. Cela a t lori-gine de toute une volution sur laquelle je ne peux mattarder, maisqui continue porter ses fruits aujourdhui: la multilatralisation

    22 Alain Pellet

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    conventionnelle. De la technique dun faisceau de relations bilat-rales (qui avait marqu, par exemple, les Traits de Westphalie ou lesTraits de Vienne de 1815), on en est venu, partir de la secondemoiti du XIXe sicle, accentuer les particularits du droit voca-tion universelle, qui a trouv son point daboutissement avec laban-don de la rgle de lunanimit en matire dadoption et dentre envigueur des traits multilatraux ou defficacit des rserves ou avecla gnralisation des possibilits dadhsion.

    Ces techniques facilitent et ladoption et la diffusion des rglesconventionnelles et, du mme coup, la possibilit pour les Etats

    contractants de se lier par des normes dintrt mutuel de manirerelativement rapide, mme si, comme on la souvent soulign5, larapidit du processus conventionnel est toute relative comme le mon-trent les vingt et un ans qui se sont couls entre la mise en chantierde la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 etson entre en vigueur ou les quelque trente ans quont ncessitsllaboration et lentre en vigueur des Pactes des Nations Unies surles droits de lhomme. Mais surtout, malgr lassouplissement du

    processus dadoption des conventions multilatrales, il sagit tou- jours de traits avec les inconvnients qui en rsultent (au moinsdans la problmatique qui est la ntre de ladaptation des rgles dudroit international aux ncessits de la vie internationale):

    1) le processus fait la part belle la souverainet en ce sens quunEtat, ft-il compltement isol, et, sous rserve du cas trsexceptionnel dune norme de jus cogens, ne peut tre engagcontre son gr, quand bien mme sa participation au trait serait

    indispensable la mise en uvre de celui-ci; et2) linverse, le trait est un pige volont en ce sens que, tout

    souverain quil soit, lEtat est li et ne peut se dgager de sesengagements conventionnels, moins que le trait nen disposeautrement ce qui est aussi un frein (dailleurs invitable) ladaptation du trait aux volutions de la socit internatio-nale.

    Je sais bien que le droit des traits comporte des attnuations cette rigidit, mais elles sont presque purement thoriques: lamen-dement des traits multilatraux entre certaines parties seulement est

    5. Voir, par exemple, G. de Lacharrire, La politique juridique extrieure,Paris, Economica, 1983, pp. 29-30.

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    subordonn par larticle 41 de la Convention de Vienne des condi-tions extrmement strictes et le changement fondamental de cir-constances ne peut tre invoqu, aux termes de larticle 62, commemotif pour mettre fin un trait qu des conditions tellement rigidesque, dans les faits, cela est pratiquement impossible. Tous les prc-dents sont douteux et, en tout cas, une prtention en ce sens na

    jamais t admise ma connaissance par aucune juridiction interna-tionale.

    Du reste, et de toute manire, ce mcanisme improbable ne permetque de mettre fin un trait et non de ladapter au changement fon-

    damental de circonstances. Il est destructeur de droit mais pas am-liorateur.

    Traumatis par le cataclysme de la premire guerre mondiale dontlune des causes tait impute la rigidit des situations internatio-nales, les rdacteurs du Pacte de la Socit des Nations y avaientinclus une disposition clbre en son temps, visant faciliter lerexamen des traits devenus inapplicables. Aux termes de lar-ticle 19 du Pacte, il tait prvu que lAssemble de la Socit pou-

    vait de temps autre, inviter les Membres de la Socit procder un nouvel examen des traits devenus inapplicables. Mais, commeon le sait, le systme, auquel la Chine (pour les traits ingaux) 6

    et la Bolivie (pour le trait de paix quelle avait d signer avec leChili aprs avoir perdu la guerre du latex) 7 avaient fait appel envain, na jamais pu fonctionner. La Charte ne reprend lide que sousune forme beaucoup plus vague en prvoyant que lAssemble gn-rale

    peut recommander les mesures propres assurer lajustementpacifique de toute situation qui lui semble de nature nuireau bien gnral ou compromettre les relations amicales entrenations (art. 14)

    et, dans le mme esprit, le chapitre VI donne comptence au Conseil

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    6. Voir Compte rendu de la sixime Assemble de la Socit des Nations,

    sixime sance plnire, 11 septembre 1925, pp. 4-5 (M. Chao-Hsin Chu);dixime sance plnire, 14 septembre 1925, p. 9 ; quatorzime sance plnire,22 septembre 1925, p. 2 ; voir aussi V. Bhmert, Der Art. 19 der Vlkerbund-satzung, Kiel, Verlag des Instituts fr internationles Recht, 1934, pp. 234-235.

    7. Voir Actes de la premire Assemble, sance plnire, pp. 395-397 ;deuxime Assemble, sance plnire, pp. 45-56 et 466-468. Voir aussi le rsumdans V. Bhmert, prcit note 6, pp. 232-234, et MM. Rodokovitch, op. cit.note 6, pp. 312-324.

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    de scurit de faire des recommandations en matire de rglementpacifique des diffrends, mais cela est essentiellement li la protec-tion de la paix et de la scurit internationales et non ladaptationqualitative du droit international aux volutions de la socit interna-tionale 8.

    Notre problme demeure donc entier tant entendu, pour rap-pel, que la voie coutumire nest gure plus praticable : bien sr lal-chimie mystrieuse du processus coutumier permet daccueillir dansla sphre juridique des pratiques qui finissent par simposer commetant le droit ce qui donne penser quelles rpondent un

    besoin de la socit internationale. Mais lassouplissement desconditions traditionnelles dtablissement des normes coutumires,notamment en ce qui concerne le temps ncessaire leur mergence on pense immdiatement la conscration rapide de la notion duplateau continental la suite de la proclamation Truman de 1945 ne suffit pas faire du processus coutumier une voie commode pourla prompte adaptation du droit aux besoins de la socit internatio-nale.

    Cest moins vrai des principes gnraux de droit pour les (trsmauvaises) raisons que, vrai dire, personne ne sait trs bien de quoiil sagit et que, mme si on se rallie (comme cest mon cas) la dfi-nition qui en est habituellement donne et que lon considre quilsagit des principes dduits des rgles communes aux grands sys-tmes juridiques du monde, on peut leur faire dire peu prs ce quelon veut tant les modes de preuve de leur existence et de leurcontenu sont incertains ce qui prsente, assurment lavantage de

    la souplesse ! Mais, ici encore, le recours cette troisime sourceformelle nest rellement envisageable que lorsque des problmesinconnus surgissent pour la premire fois : ils ont jou un grand rle,aux dbuts de larbitrage international, pour fixer les principes appli-cables la procdure et aux effets des sentences ; ils ont, lorigine,facilit la mise en pratique du droit de la fonction publique interna-tionale et forment lune des sources les plus vivaces de lencore

    8. O. Kimminich et M. Zckler, Article 14 , dans B. Simma et al. (dir.publ.), The Charter of the United Nations, A Commentary, 2e d., Oxford Uni-versity Press, 2002, pp. 321-322, par. 7-11 ; T. Schweisfurth, Article 34, dansibid., p. 596, par. 6; T. Stein, Article 36 , dans ibid., pp. 618-619, par. 5-7 ;R. Maison, Article 14, dans J.-P. Cot, A. Pellet et M. Forteau (dir. publ.), La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, 3e d., Paris,Pedone, 2005, pp. 747-749; S. Bouiffror, Article 34, dans ibid., pp. 1062-1063, et D. Momtaz, Article 36, dans ibid., pp. 1092-1093.

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    incertaine lex mercatoria, mais, une fois le droit stabilis dans undomaine donn, leur influence dcline. Les principes gnraux dedroit ne sont, en effet, quune source transitoire qui permet decombler les lacunes apparentes du droit international, mais leurapplication rpte dans lordre international a pour effet de lestransformer en normes coutumires qui ne peuvent tre modifiesque par la voie conventionnelle ou par la formation dune nouvellenorme coutumire, dautant plus difficile quelle suppose dabord,invitablement, la violation rpte de la rgle existante. En dautrestermes, ils peuvent contribuer linvention de nouvelles rgles de

    droit, mais pas la mise lcart de rgles anciennes devenuesinadaptes, ni mme leur modification.

    Premire constatation donc : les mcanismes traditionnels de for-mation des normes en droit international, ce que lon appelle lessources du droit, permettent tant bien que mal que des rgles juri-diques soient cres en droit international, mais il sagit de procdsfort lourds et au rsultat incertain et, surtout, une fois la norme adopte (pour les traits), cre (pour la coutume) ou consa-

    cre (pour les principes gnraux de droit), elle rigidifie les situa-tions et rend les volutions plus difficiles.

    Il est vrai toutefois que, dans le systme postwestphalien (jai desdoutes sur la ralit du postmodernisme), les modes traditionnelsde formation et de modification des rgles juridiques que jai dcritesen commenant cette prsentation ont t compltes et rorientes,progressivement, par petites touches, ce qui rend le systme plussophistiqu, mais aussi plus ractif quil ne ltait dans les sicles

    passs.Trois lments fondamentaux me paraissent tmoigner de ces vo-lutions:

    lavnement des organisations internationales a entran la cra-tion dun mcanisme, plus efficace que ne le disent les juristesclassiquement positivistes, de propositions de normes ;

    le dveloppement de lentreprise de codification du droit interna-

    tional a eu des effets ambigus sur le systme normatif internatio-nal; et la monte en puissance des juridictions internationales leur a per-

    mis dapparatre en sen dfendant comme les faiseurs oules adaptateurs de normes les plus efficaces du systme interna-tional et, malgr son extraordinaire sous-utilisation, cela est tout

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    particulirement vrai de la Cour internationale de Justice (pour lemeilleur et pour le pire).

    Je vais consacrer la seconde partie de cet expos dvelopperquelque peu chacune de ces propositions.

    *

    Comme je lai dit il y a quelques instants, les deux guerres mon-diales ont conduit une remise en cause partielle du vieil ordre, poli-

    tique et juridique, westphalien : le principe de souverainet, surlequel il repose, nest, en aucune manire, remis en cause et laconception absolutiste que sen faisaient (et que sen font toujours)les juristes positivistes, qui prvalait avant 1914 et qui a trouv sadsastreuse expression dans laffaire du Lotus, continue faire sesravages si lon sen tient, en tout cas, linterprtation dominantede larrt de 1927; mais je ne suis pas sr que cette interprtationsimpose avec la clart de lvidence 9. Nanmoins, la cration dor-

    ganisations internationales universelles vocation politique et gn-rale, la Socit des Nations dabord, les Nations Unies ensuite, modi-fient tout de mme la donne en facilitant le dialogue des souverainets.

    Bien sr, leurs crateurs se gardent de confrer aux nouvellesorganisations un quelconque pouvoir lgislatif. Pour sen tenir auxNations Unies:

    lAssemble gnrale est investie dun pouvoir gnral de discus-sion et de recommandation par larticle 10 de la Charte, mais ellena en principe pas de pouvoir de dcision et lorsque, par excep-tion, elle peut prendre des dcisions obligatoires, ce nest quedans lordre interne de lorganisation (en matire budgtaire etde fonction publique internationale essentiellement) ou proposde situations particulires, comme lillustre lhypothse trs excep-tionnelle envisage par la Cour internationale de Justice danslaffaire de laNamibie 10 ;

    9. Voir A. Pellet, Lotus, que de sottises on profre en ton nom. Remarques sur le concept de souverainet dans la jurisprudence de la Cour mon-diale, Mlanges en lhonneur de J.-P. Puissochet LEtat souverain dans lemonde daujourdhui, Paris, Pedone, 2008, pp. 215-230.

    10. Avis consultatif du 21 juin 1971, Consquences juridiques pour les Etatsde la prsence continue de lAfrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) non-obstant la rsolution 276 (1970) du Conseil de scurit, CIJ Recueil 1971, p. 50.

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    et la situation est inverse sagissant du Conseil de scurit : ilpeut adopter des dcisions dans le cadre du chapitre VII et, plusgnralement, de larticle 25 de la Charte; mais celles-ci ne peu-vent, en principe, porter que sur des situations particulires en cas demenace contre la paix, de rupture de la paix ou dacte dagression.

    Ni lun ni lautre des deux organes na le pouvoir de prendre desdcisions obligatoires de nature gnrale et impersonnelle; dans lecas de lAssemble, cest lobligatorit qui fait dfaut, dans celui duConseil, la gnralit manque.

    Mais, dune part, mme interprt strictement, tel que les cra-teurs de la Socit des Nations et des Nations Unies lavaient conu,le nouveau systme nen accrot pas moins la flexibilit du processusnormatif international et, au prix dune interprtation sans doute dis-cutable, il a abouti lavnement dun mcanisme ddiction denormes juridiques par le Conseil de scurit la constitutionnalitpeut-tre douteuse, mais lefficacit indiscutable.

    Pour sen convaincre, il faut, une fois de plus, abandonner une

    posture purement positiviste et une conception troite de ce quest ledroit. Si lon y voit exclusivement un ensemble de prescriptions obli-gatoires et dinterdictions, on ne pourra considrer les recommanda-tions de lAssemble gnrale (ou dautres organes ayant des fonc-tions comparables) au mieux que comme des sources matrielles que les juristes traditionnels ont une fcheuse tendance frapperdexcommunication juridique. Que cela plaise ou non aux Diafoirusde droit international, les rsolutions nen exercent pas moins uneinfluence notable dans le processus dadaptation du droit auxbesoins de la socit internationale.

    Dabord, ceux-ci peuvent sexprimer au sein de lAssemble gn-rale beaucoup plus clairement que dans une socit exclusivementintertatique. La gnralit de ses comptences a pour consquencepremire que tous les sujets peuvent y tre abords (nonobstant lalimite illusoire que constitue le domaine rserv vis larticle 2,paragraphe 7, de la Charte). Pour cela, il faut et il suffit quils pas-sent le test de linscription lordre du jour, qui ne suppose quune

    majorit simple. Une fois le besoin de discussion ainsi exprim, ily est rpondu par un dbat qui peut dboucher (et ne dbouche quetrop souvent) sur ladoption dune ou de plusieurs recommandations dpourvues de valeur obligatoire ; et cest ce qui conduit les inter-nationalistes classiques leur dnier toute valeur juridique.

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    Admettons-le pour linstant. Ce nest pas pour autant la fin de laquestion. Mme si les rsolutions facultatives de lAssemble gn-rale ne sont pas obligatoires, elles peuvent puissamment contribuerau processus de changement du droit. Pensez par exemple la rso-lution 2749 (XXV) du 17 dcembre 1970 qui, la suite du fameuxdiscours de lambassadeur de Malte, Arvid Pardo, de 1967 11 (moinsde dix ans aprs ladoption des Conventions de Genve sur le droitde la mer de 1958), dclare solennellement les nouveaux principesdevant rgir le fond des mers et des ocans au-del des limites de la

    juridiction nationale et va donner le la aux ngociations qui dbou-

    chent, douze ans plus tard, sur ladoption de la Convention deMontego Bay par la Confrence des Nations Unies sur le droit dela mer, qui avait t convoque par la rsolution 3067 (XXVIII) du16 novembre 1976.

    Nul ne peut douter non plus que les rsolutions, mme faculta-tives, des organisations internationales, et tout particulirement delAssemble gnrale, contribuent et contribuent fortementaujourdhui la formation des rgles coutumires, soit que lon y

    voit des lments constitutifs de la pratique (ce qui est le cas si ellesportent sur des situations concrtes), soit quon les considre commelexpression autorise de lopinio juris des membres des NationsUnies, cest--dire en fait de lensemble des Etats qui forment lasocit internationale. De cette manire aussi, les recommandationsde lAssemble gnrale ou dautres organes internationaux contri-buent lvolution du droit international et jouent un rle importantsur lacclration du processus coutumier et sa facult adapter le

    droit aux besoins de la socit internationale.Mais, mon avis, il y a plus. Les recommandations, par dfinition,nobligent certes pas; mais elles peuvent dtruire des rgles exis-tantes, les priver deffets juridiques et, face positive de la mmemdaille, permettre des comportements que le droit antrieurexcluait. Il me semble quil sagit l deffets tout ce quil y a de plus

    juridiques. Comme la excellemment crit Hersch Lauterpacht dansla remarquable opinion individuelle quil a jointe lavis consultatif

    de 1955 de la Cour internationale de Justice dans laffaire de laProcdure de vote applicable aux questions touchant les rapports etptitions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain:

    11. Assemble gnrale, Documents officiels, vingt-deuxime session (1967),Premire Commission, A/C.1/PV.1515, 1er novembre 1967.

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    de par leur nature mme, les recommandations ne crent pasdobligations juridiques de passer excution, bien quen cer-taines circonstances appropries elles constituent une autorisa-tion lgale pour les membres dcids sy conformer soit indi-viduellement, soit collectivement 12.

    Pour prendre un exemple rcent et un peu technique : le 20 d-cembre 2006, lAssemble gnrale a adopt une trs longue rso-lution (61/222) sur Les ocans et le droit de la mer, par laquelleelle exhorte les Etats

    cooprer et prendre toutes les mesures qui simposent pourque soient effectivement appliques les modifications apportes la Convention internationale sur la recherche et le sauvetagemaritimes et la Convention pour la sauvegarde de la vie hu-maine en mer (par. 71).

    Il ne me parat pas douteux que les Etats lis par les conventions ini-tiales mais qui nauraient pas accept les modifications ces instru-ments ne pourraient tre tenus pour internationalement responsablespour les mesures rsultant de la mise en uvre de ces modifications lgard dautres membres des Nations Unies, quand bien mmeceux-ci nauraient pas non plus accept les modifications en ques-tion.

    De mme, aux beaux temps de feu le nouvel ordre conomiqueinternational , javais soutenu quun Etat, qui, en matire dindem-nisation en cas de nationalisation de proprits trangres, appliquaitles rgles nouvelles (et contraires aux normes traditionnelles)

    nonces, notamment, dans la Charte des droits et devoirs cono-miques des Etats, ne pouvait se voir attribuer un fait internationale-ment illicite engageant sa responsabilit 13. Ce ne serait srementplus le cas aujourdhui, o le nouvel ordre est, pour lessentiel,tomb dans les oubliettes de lhistoire ; mais je considre que, lpoque, les rsolutions pertinentes, contestataires de lordre

    juridique tabli, adoptes de trs fortes majorits, avaient un effetdestructeur de lopinio juris traditionnelle en la matire. Ce nest que

    par la suite que celle-ci a refait surface moins par des rsolutionsde lAssemble gnrale et de la CNUCED (mme si lon peut y

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    12. 7 juin 1955, CIJ Recueil 1955, p. 115.13. Droit international du dveloppement, Que sais-je ?, no 1731, 1re d.,

    Paris, PUF, 1978, p. 63.

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    trouver des traces de ce retour aux rgles traditionnelles), que du faitde la reprise de la norme ancienne dans des centaines et mme desmilliers de conventions bilatrales dinvestissement, dont la concor-dance permet de (et oblige ) raffirmer la positivit de la rgle tra-ditionnelle encore que, dans son rcent arrt dans laffaireDiallo,la Cour internationale de Justice ait estim que

    [l]e fait, dont se prvaut la Guine, que diffrents accordsinternationaux tels les accords sur la promotion et la protectiondes investissements trangers et la convention de Washington

    aient institu des rgimes juridiques spcifiques en matire deprotection des investissements, ou encore quil soit courantdinclure des dispositions cet effet dans les contrats conclusdirectement entre Etats et investisseurs trangers, ne suffit pas dmontrer que les rgles coutumires de protection diploma-tique auraient chang; il pourrait tout aussi bien se comprendredans le sens contraire 14

    ce qui pourrait faire douter ( mon avis tort) que la concordance

    des mmes clauses sur les mmes problmes dans des traits concluspar des Etats trs divers pourrait tre lorigine de rgles coutu-mires.

    Cette fonction de lgitimation constitue une manire souple derpondre aux besoins de la socit internationale et est particulire-ment apparente lorsquelle est exerce par le biais de dclarationssolennelles, qui noncent des principes prsents comme autantdvidences juridiques. Il suffit, pour sen convaincre, de penser, par

    exemple, la trs fameuse dclaration 1514 (XV) de 1960 sur loc-troi de lindpendance aux pays et aux peuples coloniaux que lonconsidre juste titre comme la Charte de la dcolonisation. Parcet instrument, non obligatoire en lui-mme, lAssemble gnrale aimpos une lecture anticoloniale de la vraie charte (celle desNations Unies), que ni la lettre de cette dernire, ni ses travaux pr-paratoires ne justifiaient, mais que le contexte international delpoque imposait pourtant. Il est impossible de revenir aujourdhui

    sur cette interprtation pas seulement politiquement mais aussi juridiquement. Toute tentative pour remettre en cause lvolutionque le droit a ultrieurement [aprs 1945] connue grce la Charte

    14. Arrt du 24 mai 2007, Ahmadou Sadio Diallo (Rpublique de Guinec. Rpublique dmocratique du Congo), exceptions prliminaires, par. 90.

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    des Nations Unies et la coutume, pour reprendre lexpression dela Cour 15, serait voue lchec mme si, prise la lettre, la for-mule de la CIJ prte discussion et quil faut sans doute la lire plu-tt ainsi : grce la Charte des Nations Unies telle quinterprtepar les rsolutions de lAssemble gnrale , qui ont, au minimum,facilit dans ce domaine laffermissement dune coutume, peut-trelavnement dune norme imprative, incompatible avec la lettre dela Charte.

    Bien entendu, le rle des rsolutions des organisations internatio-nales ne pose pas problme lorsque lorgane qui les adopte est auto-

    ris, par lacte constitutif, adopter de vritables rglementationsobligatoires de porte gnrale comme cela est le cas ( titre toujourstrs exceptionnel) lOrganisation mondiale de la sant pour lut-ter contre les pandmies et les pidmies ou lOrganisation delaviation civile internationale et lOrganisation maritime interna-tionale pour la fixation de routes ariennes ou maritimes. Cestrois exemples sont dailleurs significatifs : ils montrent que lorsquelanarchie juridique internationale conduirait invitablement des

    rsultats inacceptables et nfastes pour la communaut internatio-nale dans son ensemble et pour toutes ses composantes, bon gr,mal gr, la solidarit juridique prvaut et les procds autoritairesde formation du droit affleurent dans la sphre internationale par la force des choses : naviguer dans la Manche ou dans le dtroitde Singapour sans respecter les routes de trafic, ou aux abordsdHeathrow ou de Kennedy Airport en faisant fi des rgles relatives la circulation arienne, est aussi absurde et dangereux pour la scu-

    rit de tous (y compris le contrevenant) que de rouler contresenssur une autoroute. Ici, la ncessit fait loi au sens propre de lex-pression. Quant au SRAS comme lensemble des microbes et desvirus il ne connat pas les frontires et, faute daction commune,cest la socit internationale tout entire qui serait menace par sonexpansion.

    Ces cas montrent dune part que lordre juridique internationalnest pas impermable par nature la formation du droit par des pro-

    cds autoritaires, mais aussi, dautre part, que le recours de telsprocds demeure confin aux (trs rares) domaines dans lesquels

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    15. Avis consultatifs du 21 juin 1971, Consquences juridiques pour les Etatsde la prsence continue de lAfrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)nonobstant la rsolution 276 (1970) du Conseil de scurit, CIJ Recueil 1971,p. 31 ; du 16 octobre 1975, Sahara occidental, CIJ Recueil 1975, p. 32, par. 56.

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    les tres humains (et les Etats) ont pris conscience de leur interd-pendance et de leur indispensable solidarit.

    Cette solidarit ne dploie pas exclusivement ses effets face des phnomnes naturels; elle peut sorganiser pour rpondre desdfis lancs par certains groupes humains et lon pense bien srau terrorisme. Cest, vrai dire, une donne trs ancienne de lavie internationale (aussi bien que nationale dailleurs); mais cestle 11 septembre qui en a fait une proccupation majeure de lasocit internationale (pour des raisons gopolitiques quil nest pastrs difficile de comprendre). Mais, sil existe des organisations sp-

    cialises dotes de comptences (chichement mesures cependant)leur permettant dadopter des rgles obligatoires en matire desant ou de transports ariens ou maritimes, il nen allait pas de mmeen ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Sans doute, ds lorsquun acte terroriste est dfini comme une menace contre la paixou un acte dagression par le Conseil de scurit, celui-ci peut-ildcider les mesures de larticle 41 de la Charte ou entreprendre lesactions de larticle 42 qui lui paraissent simposer. Mais, comme

    je lai not tout lheure, le Conseil nest pas dot par la Chartedun pouvoir de dcision gnrale et impersonnelle. Pas davantageque lAssemble gnrale, il ne peut, en principe, adopter de rglesobligatoires susceptibles de sappliquer une pluralit de situations.Le Conseil sest cependant dcouvert rcemment une vocation delgislateur international, justement pour permettre lencadrement, pardes rgles obligatoires pour tous, de la guerre dclare au terro-risme.

    On peut estimer quen crant les Tribunaux pnaux internationauxpour lex-Yougoslavie et pour le Rwanda, il avait dj fait acte delgislateur, non pas en instituant les tribunaux eux-mmes (il sagis-sait de dcisions individuelles rpondant des situations parti-culires qualifies de menaces contre la paix), mais en dfinissantles crimes relevant de la comptence de ces juridictions. Certes,ces dfinitions ne valaient que pour chacune des deux situations enquestion; mais il est clair quen agissant ainsi le Conseil de scurit

    pserait considrablement sur le processus de formation du droitinternational pnal et, en effet, les dfinitions figurant dans les rso-lutions 827 (1993) et 955 (1994) ont exerc, nen pas douter, uneinfluence dcisive sur celles retenues dans les articles 6, 7 et 8 duStatut de Rome de la Cour pnale internationale. Mais, au-del decette influence, il est significatif que le Conseil ait agi comme un

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    lgislateur interne en matire pnale mme si, je le rpte, il nesagissait de lgifrer que dans deux hypothses dtermines.

    Toutefois, depuis lors, le Conseil est all trs au-del dans deuxdomaines dont il nest pas exagr de constater quils prsentent uneimportance fondamentale dans la socit internationale contempo-raine et sans doute mme pour lavenir de lhumanit: en matire deterrorisme, dune part, en ce qui concerne la possession darmes dedestruction massive, dautre part.

    Sagissant du terrorisme, le Conseil de scurit avait, avant mmele 11 septembre 2001, adopt un certain nombre de rsolutions; mais

    celles-ci taient lies des vnements dtermins. Les choses chan-gent avec ladoption, le 28 septembre 2001, de la rsolution 1373(2001), complte, le 22 novembre suivant, par la rsolution 1377(2001), toutes deux intitules Menace la paix et la scuritinternationales rsultant dactes terroristes une menace (au sin-gulier) mais une pluralit dactes sont viss.

    Jusqu une date rcente, la grande majorit des spcialistes dedroit international considraient que le Conseil de scurit ne pou-

    vait agir que pour faire face une situation concrte et dans la seulemesure o cette situation lexigeait. Or la rsolution 1373 (2001) vatrs au-del. Elle innove de deux manires: en se plaant sur un ter-rain gnral et impersonnel (tout acte de terrorisme internationaly est qualifi de menace la paix) et en statuant dans le cadre duchapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui permet au Conseilde prendre des dcisions obligatoires pour tous les Etats. Il existaitbien quelques prcdents dans un sens ou dans lautre, mais jamais

    les deux perspectives ne staient trouves runies dans une rsolu-tion unique. Cest, ici, dune vritable lgislation internationale quilsagit; la mutation est essentielle.

    En lgifrant de la sorte, le Conseil de scurit rend obligatoirepour les Etats le respect de dispositions figurant dans des conven-tions quils nont pas forcment ratifies, notamment celle de 1999pour la rpression du financement du terrorisme lgard de laquellenombre de gouvernements, commencer par celui des Etats-Unis,

    avaient manifest une grande dfiance. Ainsi se trouve contourn leprincipe fondamental selon lequel les traits internationaux ne lientles Etats que lorsquils les ont ratifis : ici, le Conseil impose le res-pect des clauses quil choisit, et, en crant un comit charg desuivre lapplication de la rsolution, il se donne les moyens de fairepression sur les Etats rcalcitrants sur lesquels il fait peser la menace

    34 Alain Pellet

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    de sanctions futures. Non seulement la volont des Etats est court-circuite, mais encore lefficacit potentielle des normes se trouveaccrue par rapport au procd conventionnel classique tant par laprocdure de suivi mise en place par le Conseil, que par la menacede sanction dont il assortit ladoption des normes quil dicte et une menace crdible puisque, en vertu de la Charte, le Conseilde scurit est investi dun pouvoir effectif de prendre des sanc-tions.

    Plus rcemment, le Conseil a eu recours au mme procd en cequi concerne la dissmination des armes de destruction massive. Par

    sa rsolution 1540 (2004) du 28 avril 2004, le Conseil, affirmant que la prolifration des armes nuclaires, chimiqueset biologiques et de leurs vecteurs constitue une menace pour lapaix et la scurit internationales,

    et agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des NationsUnies , cest--dire dans le cadre de son pouvoir de dcision,

    1.Dcide que tous les Etats doivent sabstenir dapporter unappui, quelle quen soit la forme, des acteurs non tatiques quitenteraient de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, depossder, de transporter, de transfrer ou dutiliser des armesnuclaires, chimiques ou biologiques ou leurs vecteurs ,

    et prcise avec un certain luxe de dtails les mesures de prventionet de contrle qui doivent tre prises cette fin. Cela est dautantplus intressant que, dune part, le Conseil court-circuite, en quelque

    sorte, le procd conventionnel car il se substitue aux Etats par-ties au Trait sur la non-prolifration des armes nuclaires qui nontpas su adapter en ce sens le Trait de 1968 et, dautre part, il institueun comit charg de la surveillance de la mise en uvre effective desa dcision.

    On pourrait se rjouir de cette avance lgislative. Elle laissecependant des sentiments mls. Un gouvernement (ou un lgisla-teur) mondial ne se justifierait que sil saccompagnait dune dose

    raisonnable de dmocratisation. On se plaint du dficit dmocra-tique de la Communaut europenne; cest de vacuit quil fautparler dans le cadre de lONU, o aucune instance ne reprsente lespeuples. Quant au Conseil de scurit, dont la lgitimit est parfoisconteste, il est compos de quinze Etats dont, cest le moins quelon puisse dire, les performances dmocratiques sont trs ingales.

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    Or, en adoptant ces rsolutions, concrtement, le Conseil de scuritempche les Parlements des Etats, qui savent peu prs ce quedmocratie veut dire, de se prononcer.

    Cela est dautant plus proccupant que, progressivement, le Conseila considrablement largi le champ de sa comptence en tendant lanotion de menace contre la paix, qui recouvre aujourdhui deslments fort disparates. A cet gard, la lecture du rapport du groupede personnalits de haut niveau sur les menaces, les dfis et le chan-gement intitul Un monde plus sr : notre affaire tous, auquelfait partiellement cho celui du Secrtaire gnral intitul Dans une

    libert plus grande, est particulirement rvlatrice: les deux rap-ports incluent, dans les menaces qui nous guettent, non seulementles conflits entre Etats et les guerres civiles, mais aussi le terrorisme,la criminalit transnationale organise, la pauvret ou le sida16 et si, comme on peut le penser (et comme je le pense en effet), ilsagit l de menaces contre la paix, cela veut dire que, virtuellement,il nest pas de domaine dans lequel le Conseil de scurit ne pourraitlgifrer lavenir.

    Il nest pas vident que cette perspective soit particulirementrjouissante: entre les risques de blocage rsultant dune confianceexclusive place dans les mcanismes conventionnels et les menacesque cette nouvelle tendance fait peser sur la souverainet et sur ladmocratie, il serait utile de rechercher des voies moyennes dans les-quelles lAssemble gnrale devrait avoir un rle jouer et qui per-mettraient de faire une place accrue (et contrle) ce que lonappelle la socit civile. Au demeurant, il faut bien dire que les

    initiatives lgislatives qua prises le Conseil ne prsentent pas quedes inconvnients et que, pour douteuse quen soit la constitution-nalit au regard de la Charte, elles ont pour elles de permettre uneadaptation rapide et efficace du droit international des besoins peucontestables de la socit internationale.

    Mutatis mutandis, le dveloppement progressif et la codificationdu droit international posent le mme genre de problmes que lesrecommandations des organisations internationales. Quils aboutis-

    sent des projets darticles ou des directives ou principes direc-

    36 Alain Pellet

    16. A/59/565, Un monde plus sr : notre affaire tous , par. 44-73 (pau-vret et maladies infectieuses), 88-84 (conflits internes), 145-164 (terrorisme),165-177 (criminalit transnationale organise) ; A/59/2005, Dans une libertplus grande, par. 6-11 (les dfis), 25-73 (pauvret et dveloppement), 87-96(terrorisme), 106-121 (conflits arms).

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    teurs, quil sagisse de lois types17 ou de projets de conventions, cesont toujours des documents non obligatoires, qui nen exercent pas

    moins une influence considrable sur lajustement des rgles de droitinternational aux besoins nouveaux des Etats et des autres membresde la socit internationale.

    Pour men tenir ce que je connais le moins mal, le rle jou dansce domaine par la Commission du droit international des NationsUnies, plusieurs points peuvent tre souligns.

    En premier lieu, il est intressant de constater qualors que sonstatut opre une distinction nette entre dveloppement progressif

    dune part et codification stricto sensu dautre part tant en ce quiconcerne la slection des sujets que la mthode de leur examen , ilest trs vite apparu quen pratique il ntait ni souhaitable, ni pos-sible, de faire la diffrence: mme dans les domaines dans lesquelsde nombreuses rgles coutumires existent, il est toujours ncessairede combler les interstices du droit positif par des normes nou-velles, dont la prexistence est incertaine, afin que lencadrement

    juridique du domaine en question constitue un tout cohrent; lin-

    verse, un sujet nouveau nest jamais totalement exempt de normes juridiques et cest en sappuyant sur le corps de rgles juridiquesexistantes que la Commission doit procder faute de quoi, lon neserait pas en prsence dun dveloppement progressifdu droit inter-national, mais, dune vritable lgislation ex nihilo, ce qui ne corres-pond pas la vocation de la CDI, qui ne dispose ni de la lgitimitpolitique ncessaire, ni dun mandat de ngociation.

    En deuxime lieu, les projets de la Commission valent par leur

    qualit technique dabord celle-ci est ingale mais aussi par lefait quils rpondent, effectivement, des besoins des Etats. Je neveux pas dire par l que la Commission du droit international doivesuivre servilement des instructions qui viendraient de la SiximeCommission de lAssemble gnrale dailleurs celle-ci nendonne pas et il est en gnral impossible de dgager des directivesquelconques des dbats, sans conclusion et souvent strotyps, decelle-ci. En revanche, on pourrait sattendre ce que lAssemble

    17. Cf. la rsolution 61/33 sur les Articles rviss de la Loi type sur larbi-trage commercial international de la Commission des Nations Unies pour ledroit commercial international, et recommandation relative linterprtation duparagraphe 2 de larticle II et du paragraphe 1 de larticle VII de la Conventionpour la reconnaissance et lexcution des sentences arbitrales trangres, faite New York le 10 juin 1958 , du 4 dcembre 2006.

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    joue un rle dcisif dans la dtermination des sujets quelle charge laCommission dtudier. Ce nest malheureusement pas du tout le cas:la Commission du droit international ne reoit strictement aucunedirective srieuse daucun genre de lAssemble gnrale ni en cequi concerne le choix des sujets, ni en ce qui concerne leur orienta-tion une fois quun thme est choisi et en voie dlaboration 18.

    Aucun des huit sujets actuellement lordre du jour de laCommission nest, si je peux dire, dinitiative tatique : tous ontt retenus par la Commission seule, suite la consultation, trs lar-gement formelle, de la Sixime. Ce nest pas sain. Mais, surtout,

    cela tmoigne de lindiffrence des Etats lgard du principalorgane subsidiaire permanentcharg du dveloppement progressif etde la codification du droit international 19 et de son travail, et deleur embarras ds lors quil sagit de faire appel ses services. Cetteautoslection des sujets se prtant au dveloppement progressif et la codification ne garantit videmment pas quils rpondent auxbesoins de la socit internationale. Cela ne laisse pas dtre inqui-tant et conduit se demander si, objectivement, la Commission a sa

    place dans le processus de formation du droit international, et, entout cas, si les Etats ont un projet pour elle.

    Une autre critique souvent adresse la Commission du droitinternational porte sur la lourdeur du processus de dveloppementprogressif et de codification sous son gide. Il est certainement vraique la Commission procde gnralement avec une sage lenteur : illui a fallu dix-huit ans pour adopter un projet darticles sur le droitdes traits; celui sur la responsabilit des Etats pour fait internatio-

    nalement illicite nest arriv maturation quaprs quarante-cinq ans(alors mme quil avait dj fait lobjet dune premire tentative dutemps de la Socit des Nations); et jose peine mentionner leguide de la pratique sur les rserves aux traits dont la rdaction,entame en 1995, nest toujours pas acheve Sous cet angle lacodification (au sens large) par la Commission du droit internationalnest srement pas un moyen trs efficace de rpondre par ladoption

    38 Alain Pellet

    18. Cf. A. Pellet, SFDI, colloque dAix-en-Provence,La codification du droitinternational, Paris, Pedone, 1999, conclusions gnrales, p. 338, ou LaCommission du droit international, pour quoi faire? , Boutros Boutros-Ghaliamicorum discipulorumque liber Paix, dveloppement, dmocratie, Bruxelles,Bruylant, 1998, pp. 586-586.

    19. Rsolution 36/39, 18 novembre 1981, Augmentation du nombre desmembres de la Commission du droit international : amendements aux articles 2et 9 du Statut de la Commission.

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    rapide de nouvelles normes juridiques aux volutions de la vie inter-nationale mme si la Commission a prouv (notamment lors-quelle a labor lavant-projet de statut de la Cour pnale internatio-nale) quelle pouvait, sous limpulsion du rapporteur dynamique etcomptent dun groupe de travail (en loccurrence le professeurJames Crawford), laborer un projet complexe avec clrit lorsquecela tait ncessaire.

    Il reste, et cest ma quatrime et dernire remarque gnrale cetgard, quil faut croire que la codification du droit international parla Commission nest sans doute pas aussi critiquable que les obser-

    vations qui prcdent peuvent le donner penser car ses projets du moins certains dentre eux (ceux qui relvent de la comptencedes membres de la Commission et qui, mme si cest un peu parhasard, rpondent effectivement un besoin de droit de la socitinternationale) exercent une influence trs significative sur lvo-lution du droit international.

    Il en va bien sr ainsi dabord de ceux qui sont transforms enconventions par lAssemble gnrale ou par une confrence diplo-

    matique convoque par elle du moins lorsque ces conventionssont ensuite largement ratifies, ce qui nest pas le cas de toutes. Ilnest pas douteux que certains des traits multilatraux les plusimportants qui ont t conclus depuis 1945 manaient de laCommission : il en va ainsi des Conventions de Genve sur le droitde la mer de 1958, de celles, de 1961 et de 1963, sur les relationsdiplomatiques et consulaires et, bien sr, de la Convention de Viennede 1969 (complte par celles de 1978 et de 1986) sur le droit des

    traits. Il nest pas exagr de considrer cette dernire comme unlment constitutionnel de lencadrement juridique de la socitinternationale.

    Le succs de cette codification aboutie ne se mesure pas seule-ment au nombre des Etats qui adhrent ces instruments; il fauttenir compte galement de linfluence quils exercent indpendam-ment de leur ratification et mme, dans certains cas, de leur entre envigueur. Je ne puis my attarder ici 20, mais je pense quil nest pas

    exagr de considrer que linclusion dune norme dans une conven-

    20. Voir lintroduction prpare par le secrtariat de la Commission intitule Luvre de la Commission du droit international, qui prsente un recense-ment trs clairant des cas dans lesquels cette influence sest reflte dans la

    jurisprudence (CDI,Le droit international laube du XXIe sicle Rflexionsde codificateurs, Nations Unies, New York, 1997, pp. 19-36).

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    tion prpare par la Commission du droit international cre une sortede prsomption de positivit de la norme en question, qui sap-

    plique en principe, indpendamment mme de la ratification parlEtat ou les Etats en cause : il est frappant cet gard qu de nom-breuses reprises la Cour internationale de Justice se soit rfre unprojet de codification (non ratifi par les Etats en litige souvent laConvention de Vienne de 1969 21) pour en dduire lexistence dune

    40 Alain Pellet

    21. Pour des rfrences aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne de1969, voir Cour internationale de Justice, arrts, 2 juillet 1989, ElettronicaSicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis dAmrique c. Italie), CIJ Recueil 1989, pp. 70-

    71, par. 118; 12 novembre 1991, Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guine-Bissau c. Sngal), fond, CIJ Recueil 1991, p. 70, par. 48 ; 11 septembre 1992, Diffrend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras) ; Nicaragua (intervenant)), CIJ Recueil 1992, pp. 582-583, par. 373, et p. 586,par. 380 ; 3 fvrier 1994, Diffrend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), CIJ Recueil 1994, pp. 21-22, par. 41 ; 15 fvrier 1995, Dlimitationmaritime et questions territoriales entre Qatar et Bahren (Qatar c. Bahren),exceptions prliminaires, CIJ Recueil 1995, p. 18, par. 33; avis consultatif du8 juillet 1996, Licit de lutilisation des armes nuclaires par un Etat dans unconflit arm, CIJ Recueil 1996, p. 75, par. 19 ; arrts, 12 dcembre 1996, Plates- formes ptrolires (Rpublique islamique dIran c. Etats-Unis dAmrique),exception prliminaire, CIJ Recueil 1996, p. 812, par. 23 ; 13 dcembre 1999,Ilede Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), CIJ Recueil 1999, p. 1059, par. 18 ;27 juin 2001, LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis dAmrique), CIJ Recueil2001, p. 501, par. 99, p. 502, par. 101 ; 23 octobre 2001, Souverainet sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonsie/Malaisie), CIJ Recueil 2002, p. 645,par. 37 ; 6 novembre 2003, Plates-formes ptrolires (Rpublique islamiquedIran c. Etats-Unis dAmrique), fond, CIJ Recueil 2003, p. 182, par. 41 ;31 mars 2004, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-UnisdAmrique), CIJ Recueil 2004, p. 48, par. 83 ; avis du 9 juillet 2004, Cons-quences juridiques de ldification dun mur dans le territoire palestinienoccup, CIJ Recueil 2004, p. 174, par. 94, et arrt du 26 fvrier 2007, Appli-cation de la Convention pour la prvention et la rpression du crime de gno-

    cide (Bosnie-Herzgovine c. Serbie-et-Montngro), fond, par. 160. Voir gale-ment avis consultatif du 21 juin 1971, Consquences juridiques pour les Etatsde la prsence continue de lAfrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)nonobstant la rsolution 276 (1970) du Conseil de scurit, CIJ Recueil 1971,p. 47, et arrt du 2 fvrier 1973, Comptence en matire de pcheries (Royaume-Uni c. Islande), comptence de la Cour, CIJ Recueil 1973, p. 18 ; avis consulta-tif, 20 dcembre 1980,Interprtation de laccord du 25 mars 1951 entre lOMSet lEgypte, CIJ Recueil 1980, pp. 95-96 ; arrts, 25 septembre 1997, ProjetGabckovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), CIJ Recueil 1997, p. 38, par. 46 ;27 juin 1986,Activits militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis dAmrique),fond, CIJ Recueil 1986, p. 95, par. 178 ;22 dcembre 1986,Diffrend frontalier (Bukina Faso/Rpublique du Mali),fond,

    CIJ Recueil 1986, p. 563, par. 17 (articles 60-62 de la Convention de Vienne) ; 2fvrier 1973, Comptence en matire de pcheries (Royaume-Uni c. Islande),comptence de la Cour, CIJ Recueil 1973, p. 14, par. 24 (article 52 de la Con-vention) ; arrt du 19 dcembre 1978, Plateau continental de la mer Ege (Grcec. Turquie), comptence de la Cour, CIJ Recueil 1978, p. 39, par. 96 (articles 2,3 et 11 de la Convention) ; 26 novembre 1984, Activits militaires et paramili-taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis dAmrique),comptence et recevabilit, CIJ Recueil 1984, p. 421, par. 66 (article 46 de la

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    opinio juris, sans sexpliquer davantage sur les motifs la conduisant adopter cette position.

    Il en va de mme, vrai dire, pour les travaux de la Commissionelle-mme, alors mme quils nont pas pass le test dune conf-rence de codification et donc de leur acceptabilit par les Etats.Lexemple sans doute le plus frappant (mais pas le seul, loin de l 22)de ce procd est sans doute fourni par larrt de la Cour de 1997dans laffaire relative au Projet Gabckovo-Nagymaros, dans lequella Cour ne mentionne expressment pas moins de septfois le projetdarticles de la Commission du droit international sur la responsabi-

    lit des Etats qui nen tait cependant alors qu sa premire lecture(ladoption dfinitive nest intervenue quen 2001) 23. Par eux-mmes

    Convention) ; 20 dcembre 1988,Actions armes frontalires et transfrontalires(Nicaragua c. Honduras), comptence et recevabilit, CIJ Recueil 1988, p. 85,par. 3 (dispositions concernant les rserves aux traits) ; ordonnance du 8 avril1993,Application de la Convention pour la prvention et la rpression du crimede gnocide (Bosnie-Herzgovine c. Serbie-et-Montngro), mesures conserva-toires, CIJ Recueil 1993, p. 11, par. 13 ; arrt du 14 fvrier 2002, Mandatdarrt du 11 avril 2000 (Rpublique dmocratique du Congo c. Belgique), CIJRecueil 2002, pp. 21-22, par. 53 (article 7 de la Convention) ; avis du 8 juillet1996,Licit de la menace ou de lemploi darmes nuclaires, CIJ Recueil 1996,p. 264, par. 102 (article 26 de la Convention) ; arrt du 10 octobre 2002,Frontire terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigria (Cameroun c. Nigria; Guine quatoriale (intervenant)), fond, CIJ Recueil 2002, pp. 429-430, par. 263-265 (articles 7 et 46 de la Convention).

    22. Voir aussi avis consultatifs, 29 avril 1999, Diffrend relatif limmunitde juridiction dun rapporteur spcial de la Commission des droits de lhomme,CIJ Recueil 1999, p. 87, par. 62; 9 juillet 2004, Consquences juridiques deldification dun mur dans le territoire palestinien occup, CIJ Recueil 2004,p. 195, par. 140. Voir galement, arrt, 20 fvrier 1969, Plateau continental dela mer du Nord (Rpublique fdrale dAllemagne c. Danemark ; Rpublique fdrale dAllemagne c. Pays-Bas), CIJ Recueil 1969, pp. 33-35, par. 48-54 ;avis consultatif, 20 dcembre 1980,Interprtation de lAccord du 25 mars 1951entre lOMS et lEgypte, CIJ Recueil 1980, pp. 94-95, par. 47 (projet darticlessur le droit des traits entre Etats et organisations internationales ou entreorganisations internationales) ; arrt, 13 dcembre 1999, Ile de Kasikili/Sedudu(Botswana/Namibie), CIJ Recueil 1999, pp. 1075-1076, par. 49 (commentaire duprojet darticle 27 (maintenant 30) de la Convention de Vienne sur le droit destraits) ; arrt, 16 mars 2001, Dlimitation maritime et questions territorialesentre Qatar et Bahren (Qatar c. Bahren), fond, CIJ Recueil 2001, pp. 76-77,par. 113 (travaux de la CDI sur la procdure arbitrale) ; arrt, 10 octobre 2002,Frontire terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigria (Cameroun

    c. Nigria); Guine quatoriale (intervenant)), fond, CIJ Recueil 2002, p. 430,par. 265 (commentaire de larticle 6 (maintenant 7) de la Convention de Viennesur le droit des traits).

    23. Arrt du 25 septembre 1997, Projet Gabckovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), CIJ Recueil 1997, pp. 38-42, par. 47, 5054, p. 46, par. 58. Voiraussi, pour des rfrences aux articles adopts en seconde lecture, les arrts du19 dcembre 2005, Activits armes sur le territoire du Congo (Rpubliquedmocratique du Congo c. Ouganda), CIJ Recueil 2007, par. 293 ; 26 fvrier

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    les travaux de la Commission ne mritent sans doute pas ce statutprobatoire minent : certes, ils sont soigneusement labors et ontune place unique parmi les entreprises de codification du droit inter-national gnral du fait du va-et-vient constant entre lorgane dex-perts quest la Commission du droit international et le niveau poli-tique cest--dire la fois la Sixime Commission de lAssemblegnrale et les Etats individuellement qui les caractrise; il restequil ne sagit tout de mme que dune codification doctrinale et quecelle-ci est, comme je lai dit, indissociable du dveloppement pro-gressif du droit international.

    Il y a srement des raisons complexes la considration que laCour semble avoir pour les projets de la Commission y comprissans doute le fait quun nombre non ngligeable de juges sont issusde ses rangs (sept lheure actuelle). Mais la raison fondamentale,pour le dire sans prcaution diplomatique, me semble tre la sui-vante: lutilisation (slective) de largument dautorit constitu parle recours aux travaux de la Commission tient moins une sorte dervrence (qui naurait pas lieu dtre...) de la Cour pour sa

    petite sur , elle aussi, sa manire, organe du droit internatio-nal 24, quest la Commission, qu la commodit de sabriter der-rire les travaux de celle-ci pour tablir lexistence dune rgle juri-dique lorsque cela lui parat opportun. Il sagit dun lment de la politique judiciaire de la Cour, qui sefforce de ne pas apparatrecomme un lgislateur international alors quelle lest minemment,efficacement et, souvent, trs heureusement.

    Lutilisation par la Haute Juridiction des rsolutions de lAssem-

    ble gnrale pour tablir lexistence dune norme coutumire meparat relever du mme tat desprit. Je nai pas le temps de myappesantir, mais il est de fait que, dans de nombreux arrts et avisconsultatifs, la Cour voit dans une telle rsolution la preuve dune pratique accepte comme tant le droit, sans que lon sache trsbien si elle la considre comme un lment de la pratique ou de

    42 Alain Pellet

    2007,Application de la Convention pour la prvention et la rpression du crime

    de gnocide (Bosnie-Herzgovine c. Serbie-et-Montngro), fond, CIJ Recueil2007, par. 173, 388, 398-407, 420, 431, 460. Voir galement les rfrences auprojet darticles adopt en deuxime lecture relatif la protection diplomatique,arrt du 24 mai 2007, Ahmadou Sadio Diallo (Rpublique de Guine c. Rpu-blique dmocratique du Congo), exceptions prliminaires, CIJ Recueil 2007,par. 39, 54, 64, 84, 91-93.

    24. Arrt du 25 mai 1926, Certains intrts allemands en Haute-Silsie polo-naise,fond, CPJI srie A no 7, p. 19.

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    lopinio juris 25. Sagissant de la preuve de cette dernire, la Cour a,dune certaine manire, thoris sa position dans son avis consul-

    tatif de 1996 relatif la Licit de la menace ou de lemploi delarme nuclaire :

    les rsolutions de lAssemble gnrale, mme si elles nontpas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur norma-tive. Elles peuvent, dans certaines circonstances, fournir deslments de preuve importants pour tablir lexistence dunergle ou lmergence dune opinio juris. Pour savoir si cela est

    vrai dune rsolution donne de lAssemble gnrale, il faut enexaminer le contenu ainsi que les conditions dadoption; il fauten outre vrifier sil existe une opinio juris quant son carac-tre normatif. Par ailleurs des rsolutions successives peuventillustrer lvolution progressive de lopinio juris ncessaire ltablissement dune rgle nouvelle. 26

    Mais je dois dire, avec tout le respect que je dois la Cour, que,dans les faits, elle se montre infiniment moins soucieuse de ces sages

    directives quelle ne le dit. Larrt au fond de 1986 dans laffaire des Activits militaires et paramilitaires au Nicaragua constitue uneillustration remarquable dun recours plus affirm que prouv auxrsolutions de lAssemble gnrale pour tablir lexistence duneopinio juris 27. Je ne crois pas quil faille sen offusquer : cela relvede la politique judiciaire de la Haute Juridiction et lui permet dedonner aux diffrends qui lui sont soumis des solutions adaptes lpoque laquelle larrt est rendu (ou lavis consultatif donn),

    alors que le droit tel quil rsulterait de sources moins douteusesnest plus adapt.

    Cela nous met sur la voie de la Cour comme lgislateur mondial et elle lest! quoiquelle sen dfende avec vigueur:

    La Cour ne saurait certes lgifrer, et, dans les circons-tances de lespce, elle nest nullement appele le faire. Il lui

    25. Voir mon commentaire de larticle 38, prcit note 1, p. 761, par. 233.26. Avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 255, par. 71.27. Arrt du 27 juin 1986,Activits militaires et paramilitaires au Nicaragua

    et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis dAmrique),fond, CIJ Recueil 1986,p. 100, par. 188, p. 101, par. 191, p. 103, par. 195, p. 106, par. 202, et p. 107,par. 203. Pour une raffirmation, voir lavis consultatif du 9 juillet 2004,Consquences juridiques de ldification dun mur dans le territoire pales-tinien occup, CIJ Recueil 2004, p. 136, par. 171-172.

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    appartient seulement de sacquitter de sa fonction judiciairenormale en sassurant de lexistence ou de la non-existence deprincipes et de rgles juridiques applicables la menace ou lemploi darmes nuclaires. Largument selon lequel la Cour,pour rpondre la question pose, serait oblige de lgifrer, sefonde sur la supposition que le corpus juris existant ne compor-terait pas de rgle pertinente en la matire. La Cour ne sauraitsouscrire cet argument; elle dit le droit existant et ne lgifrepoint. Cela est vrai mme si la Cour, en disant et en appliquantle droit, doit ncessairement en prciser la porte et, parfois, en

    constater lvolution. 28

    Il nen reste pas moins que si, en rgle gnrale, elle applique sansdoute le droit existant, elle nhsite pas, lorsque cela lui semblencessaire, interfrer dans le processus de son laboration, soitquelle le complte, soit quelle linflchisse, soit, et cela est moinsheureux, quelle semploie empcher ou freiner des volutions encours. Cest ce qui sest produit, par exemple, avec le dsastreux

    arrt Yerodia dans lequel la Cour, faisant une lecture particulire-ment frileuse des tendances qui staient nettement manifestesen faveur de labsence dimmunits pnales des dirigeants politiquespour les crimes particulirement odieux, a mis (bien inutilement, carla requte congolaise pouvait tre accueillie sur un terrain tout diff-rent) un coup darrt cette orientation prometteuse 29. Bien que, laussi, je leusse trouve un peu frileuse, la Cour sest, dans larrtDiallo, montre plus attentive ne pas compltement bloquer desvolutions ncessaires 30. Dans dautres circonstances, son interven-tion dans le processus de formation du droit a eu des effets beaucoupplus bnfiques et a permis des amliorations normatives indispen-sables.

    44 Alain Pellet

    28. Avis consultatif du 8 juillet 1996, Licit de la menace ou de lemploidarmes nuclaires, CIJ Recueil 1996, p. 236, par. 18.

    29. Voir larrt du 14 fvrier 2002, Mandat darrt du 11 avril 2000 (Rpu-blique dmocratique du Congo c. Belgique), CIJ Recueil 2002, p. 3, notammentpp. 24-26, par. 58-61.

    30. Voir larrt du 24 mai 2007, par. 89:

    La Cour, ayant examin avec soin la pratique des Etats et les dcisionsdes cours et tribunaux internationaux en matire de protection diplomatiquedes associs et des actionnaires, est davis quelles ne rvlent pas dumoins lheure actuelle lexistence en droit international coutumierdune exception permettant une protection par substitution telle quinvoquepar la Guine.

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    Ladaptation du droit international 45

    Il existe maints exemples de cette influence, parfois dcisive.Ainsi:

    par des formules bien frappes, parses dans plusieurs arrtsimportants, la Cour permanente a, sinon forg, du moins gravdans le marbre les principes fondamentaux du droit de la respon-sabilit internationale des Etats 31 ;

    lavis consultatif de 1949 de la Cour actuelle dans laffaire de laRparation des dommages subis au service des Nations Unies amis un point final la controverse relative la personnalit juri-dique des organisations internationales 32 et, du mme coup, lanotion (errone) dun droit international purement intertatique;

    le remarquable avis consultatif de 1951 sur lesRserves la Con-vention sur le gnocide a t lorigine dune remise en causeradicale des rgles traditionnelles applicables aux rserves auxtraits 33, que les changements considrables de la socit inter-nationale avaient rendue indispensable; en outre,

    la jurisprudence de la Cour a exerc une influence dterminante pas forcment trs heureuse sur lvolution du droit dela mer, par exemple en ce qui concerne la fixation des lignes debase droites 34 ou la dlimitation du plateau continental 35.

    Dans certains cas, les formules jurisprudentielles ont t reprisesdans les traits de codification ultrieurs pour le meilleur parexemple le recours lobjet et au but du trait comme critre de lavalidit des rserves (principe transpos de lavis de la Cour interna-tionale de Justice de 1951 36 dans larticle 19, alina c), de la Con-

    vention de Vienne de 1969) ou pour le pire (ou, en tout cas, leplus discutable) sagissant, par exemple, du principe du rsultatquitable auquel doit aboutir la dlimitation du plateau continentalou de la zone conomique exclusive entre Etats dont les ctes

    31. Voir par exemple les arrts du 26 mars 1924, Concessions Mavrommatisen Palestine, CPJI srie A no 2, p. 12, ou du 13 septembre 1928, Usine deChorzw, CPJI srie A no 17, p. 29 et p. 47.

    32. 11 avril 1949, CIJ Recueil 1949, pp. 174 ss.33. 28 mai 1951, CIJ Recueil 1951, pp. 15 ss.

    34. Voir larrt du 18 dcembre 1951 dans laffaire des Pcheries (Royaume-Uni c. Norvge), CIJ Recueil 1951, pp. 116 ss.35. Voir larrt du 20 fvrier 1969