carcinome à cellules de merkel : à propos de 24 cas et revue de la littérature

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ARTICLE ORIGINAL Carcinome à cellules de Merkel : à propos de 24 cas et revue de la littérature Merkel cell carcinoma: Study of 24 cases and review of the literature A. Louafi * , H. Chaussard, J.-P. Binder, M. Revol, J.-M. Servant Service de chirurgie plastique reconstructrice et esthe ´tique, ho ˆ pital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec¸u le 10 juillet 2008 ; accepte´ le 15 octobre 2008 MOTS CLÉS Carcinome à cellules de Merkel ; Carcinome neuroendocrine cutané ; Tumeur neuroendocrine ; Lambeau Résumé Le carcinome à cellules de Merkel est un carcinome cutané neuroendocrine qui pose des problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Butdel’e´tude. Le but de cette étude est d’analyser le traitement du carcinome à cellules de Merkel et d’évaluer les récidives. Patientsetme´thode. Nous avons mené une étude rétrospective sur les patients opérés d’un carcinome de Merkel entre 1994 et 2004 en colligeant les caractéristiques des patients, de la tumeur, le traitement (chirurgie et radiothérapie) et les récidives. Re´sultats. Vingt-quatre patients ont été opérés d’une tumeur de Merkel (8 hommes et 16 femmes). L’âge moyen au diagnostic était de 71,5 ans. Le recul moyen était de 30,8 mois. Le traitement reposait sur une chirurgie d’exérèse large avec couverture immédiate de la perte de substance, suivie systématiquement de radiothérapie. Cinq patients ont récidivé. Il n’y a pas eu de décès dans cette série. Conclusion. Le carcinome à cellules de Merkel est une tumeur agressive. La couverture immédiate de la perte de substance après chirurgie d’exérèse large permet une radiothérapie adjuvante. # 2009 Publié par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Merkel cell carcinoma; Neuroendocrine skin Summary Merkel cell carcinoma is a cutaneous-neuroendocrine tumor, which may be difficult to diagnose and to treat. Objective. The objective of this study was to analyse the treatment and the recurrences of Merkel cell carcinoma. Annales de chirurgie plastique esthétique (2009) 54, 540544 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : drlouafi@yahoo.fr, drlouafi@gmail.com (A. Louafi). 0294-1260/$ see front matter # 2009 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.anplas.2008.10.008

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ARTICLE ORIGINAL

Carcinome à cellules de Merkel : à proposde 24 cas et revue de la littérature

Merkel cell carcinoma: Study of 24 cases andreview of the literature

A. Louafi *, H. Chaussard, J.-P. Binder, M. Revol, J.-M. Servant

Service de chirurgie plastique reconstructrice et esthetique, hopital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux,75010 Paris, France

Recu le 10 juillet 2008 ; accepte le 15 octobre 2008

MOTS CLÉSCarcinome à cellulesde Merkel ;Carcinomeneuroendocrinecutané ;Tumeurneuroendocrine ;Lambeau

Résumé Le carcinome à cellules de Merkel est un carcinome cutané neuroendocrine qui posedes problèmes diagnostiques et thérapeutiques.But de l’etude. — Le but de cette étude est d’analyser le traitement du carcinome à cellules deMerkel et d’évaluer les récidives.Patients et methode. — Nous avons mené une étude rétrospective sur les patients opérés d’uncarcinome de Merkel entre 1994 et 2004 en colligeant les caractéristiques des patients, de latumeur, le traitement (chirurgie et radiothérapie) et les récidives.Resultats. — Vingt-quatre patients ont été opérés d’une tumeur de Merkel (8 hommes et16 femmes). L’âge moyen au diagnostic était de 71,5 ans. Le recul moyen était de 30,8 mois.Le traitement reposait sur une chirurgie d’exérèse large avec couverture immédiate de la pertede substance, suivie systématiquement de radiothérapie. Cinq patients ont récidivé. Il n’y a paseu de décès dans cette série.Conclusion. — Le carcinome à cellules de Merkel est une tumeur agressive. La couvertureimmédiate de la perte de substance après chirurgie d’exérèse large permet une radiothérapieadjuvante.# 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSMerkel cell carcinoma;Neuroendocrine skin

Summary Merkel cell carcinoma is a cutaneous-neuroendocrine tumor, which may be difficultto diagnose and to treat.Objective. — The objective of this study was to analyse the treatment and the recurrences ofMerkel cell carcinoma.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2009) 54, 540—544

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected], [email protected] (A. Louafi).

0294-1260/$ — see front matter # 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.

doi:10.1016/j.anplas.2008.10.008
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carcinoma;Neuroendocrine tumor;Flap

Patients and methods. — A retrospective study was performed on the patients operated of aMerkel cell carcinoma between 1994 and 2004. Clinical data of the patients and the tumor,treatment (surgery and radiotherapy) and recurrences were entered in a database.Results. — Twenty-four patients were operated (8 men and 16 women). The mean age atdiagnosis was 71.5 years. The average follow-up was 30.8 months. The treatment was a largesurgical removal of the tumor with immediate closure, systematically followed by radiotherapy.There were five recurrences and no death.Conclusion. — Merkel cell carcinoma is an aggressive tumor. Immediate closure after largesurgical removal allows radiotherapy.# 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.

Carcinome à cellules de Merkel : à propos de 24 cas et revue de la littérature 541

Introduction

Le carcinome à cellules de Merkel (Fig. 1), décrit initiale-ment par Toker en 1972 [1], est une tumeur cutanée rare ethautement agressive [2]. Les cellules de Merkel sont descellules neuroendocrines d’origine épidermique [3]. La phy-siopathologie de la tumeur de Merkel est mal connue. Ellesurvient de façon préférentielle au niveau des zones expo-sées à la lumière [4]. Elle est associée à un fort taux derécidives locales ou ganglionnaires, de métastases à distanceet à un fort taux de mortalité [5,6].

À propos de 24 cas de tumeurs de Merkel opérés, nousproposons une revue de la littérature.

Patients et méthodes

Les patients ont été recherchés par analyse des comptesrendus opératoires sur une période de dix ans (1994—2004).Les caractéristiques des patients, la localisation tumorale,le stade, le traitement (type de chirurgie, margesd’exérèse, type de reconstruction, radiothérapie) et lesrécidives ont été colligés. Le stade tumoral a été déter-miné selon la classification proposée par Yiengpruksawanet al. en 1991 [7] en fonction de la présentation initiale dela tumeur :

� stade I en l’absence d’atteinte ganglionnaire ou de métas-tases (IA pour les tumeurs de moins de 2 cm et IB pour lestumeurs de plus de 2 cm) ;

Figure 1 Carcinome à cellules de Merkel.

� stade II en cas d’atteinte ganglionnaire ;� stade III en cas d’atteinte métastatique d’emblée.

La recherche bibliographique a été effectuée à partir dela base de données PubMed Medline, en utilisant les termesMerkel cell carcinoma et neuroendocrine tumor of the skin.

Résultats

Nous avons retrouvé 24 patients opérés d’une tumeur deMerkel.

L’âge moyen des patients au diagnostic était de 71,5 ans(Tableau 1). Il s’agissait de huit hommes et de 16 femmes. Latumeur était localisée dans huit cas au niveau de la régioncervicofaciale, dans 14 cas au niveau des extrémités et dansdeux cas au niveau du tronc. Il s’agissait d’un stade I dans19 cas et d’un stade II dans cinq cas. Le recul moyen était de30,8 mois.

Les marges d’exérèse étaient de 2 cm dans 11 cas et de3 cm dans 13 cas. En profondeur, l’exérèse emportaitl’aponévrose sous-jacente ou le péritendon. La couverturede la perte de substance était assurée par suture directe dansneuf cas, par greffe de peau mince dans un cas, par lambeaupédiculé dans 11 cas et par lambeau libre dans trois cas(Tableau 2). Une radiothérapie externe était réalisée danstous les cas au niveau du site tumoral à un mois postopéra-toire, à la dose de 50 G en 25 séances réparties sur cinqsemaines. Une radiothérapie externe à la dose de 45 G auniveau des aires ganglionnaires, après curage, concernait lescinq patients avec atteinte ganglionnaire (stade II).

Cinq patients ont présenté une récidive (Tableau 3) : deuxcas de récidive locale, un cas de récidive ganglionnaire, uncas de récidive à la fois locale et ganglionnaire et un cas derécidive ganglionnaire et métastatique. Le délai moyen derécidive était de 15 mois.

Une patiente présentant une tumeur de stade II de 4 cm auniveau de la racine de la cuisse avec adénopathies inguinales,qui avait bénéficié d’une exérèse avec des marges de 3 cm etsuture directe associée à un curage inguinal suivie de radio-thérapie locale et des aires ganglionnaires, a présenté unerécidive locale (nodule sur la cicatrice) après 16 mois. Unereprise chirurgicale par exérèse et suture directe a étéréalisée. Une nouvelle récidive locale un mois plus tard aégalement été traitée par exérèse et suture directe. Il n’yavait pas de nouvelle récidive 14 mois plus tard. Une patienteprésentant une tumeur de 3 cm de stade IB au niveau dela jambe, qui avait bénéficié d’une exérèse avec desmarges de 3 cm avec couverture par lambeau sural suivie

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Tableau 1 Données cliniques, traitement et récidives.

Patient Âge(ans)

Sexe Siège Taille(mm)

Stade Marge(cm)

Curage Procédé deréparation

Radioth.locale

Radioth.Gg.

Récidive

1 66 F Tête (bord orbite) 15 IA 2 � LP (scalpant) + � +2 72 F Extrémité (bras) 30 IB 3 � LP (grand dorsal) + � �3 75 F Extrémité (jambe) 30 IB 3 � LP (sural) + � �4 80 M Tronc (épaule) 30 II 3 + SD + + +5 81 F Extrémité (jambe) 30 IB 3 � LP (sural) + � �6 72 F Extrémité (avant-bras) 40 II 2 + GPM + + �7 58 M Extrémité (cuisse) 10 II 3 + SD + + �8 71 F Tête (nez) 5 IA 2 � LP (scalpant) + � �9 69 F Extrémité (cuisse) 10 IA 2 � SD + � �

10 69 F Tête (joue) 35 IB 2 � SD + � �11 75 F Extrémité (cuisse) 40 II 3 + SD + + +12 83 M Extrémité (avant-bras) 15 IA 2 � SD + � �13 67 F Tête (joue) 30 IB 3 � LL (chinois) + � �14 60 F Tête (pommette) 10 IA 3 � LL (chinois) + � �15 68 M Extrémité (bras) 10 IA 2 � SD + � �16 59 M Extrémité (bras) 25 IB 2 � SD + � �17 76 F Tête (joue) 10 IA 3 � LL (chinois) + � �18 67 F Tête (joue) 10 IA 2 � LP (Mustarde) + � +19 63 M Tronc (dos) 40 II 3 + SD + + �20 67 M Extrémité (jambe) 15 IA 2 � LP (sural) + � �21 73 M Extrémité (doigts) 10 IA 3 � LP (chinois) + � �22 88 F Tête (joue) 10 IA 3 � LP (Mustarde) + � �23 76 F Extrémité (cheville) 10 IA 2 � LP (sural) + � �24 80 F Extrémité (jambe) 30 IB 3 � LP (sural) + � +

La classification utilisée est celle de Yiengpruksawan et al. [7].Radioth. : radiothérapie ; Radioth. Gg : radiothérapie ganglionnaire ; LP : lambeau pédiculé ; LL : lambeau libre ; GPM : greffe de peaumince ; SD : suture directe.

Tableau 2 Mode de couverture de la perte de substance.

Suturedirecte

Greffede peaumince

Lambeaupédiculé

Lambeaulibre

Tête et cou 1 0 4 3Membre supérieur 3 1 2 0Membre inférieur 3 0 5 0Tronc 2 0 0 0

Au total 9 1 11 3

542 A. Louafi et al.

de radiothérapie locale, a présenté une récidive locale après19 mois. Une reprise chirurgicale par exérèse et suture directea été réalisée. Quatorze mois plus tard, il n’y avait pas denouvelle récidive de la tumeur de Merkel, mais la patiente

Tableau 3 Récidives.

Patient Localisation initiale Stade Récidivelocale

1 Rebord orbitaire IA �4 Épaule II �

11 Cuisse II +18 Joue IA +24 Jambe IB +

présentait une tumeur du rectum avec adénopathies intra-abdominales. Une patiente présentant une tumeur de 15 mmde stade IA au niveau du rebord orbitaire, qui avait bénéficiéd’une exérèse avec des marges de 2 cm avec couverture parlambeau scalpant suivie de radiothérapie locale, a présentéune récidive ganglionnaire intraparotidienne après quatremois. Une parotidectomie totale, un curage cervical homola-téral, puis une radiothérapie des aires ganglionnaires ont étéréalisés. Il n’y avait pas de nouvelle récidive 12 mois plus tard.Une patiente présentant une tumeur de 10 mm de stade IA dela joue, qui avait bénéficié d’une exérèse avec des marges de2 cm avec couverture par lambeau de Mustarde suivie deradiothérapie locale, a présenté une récidive locale et gan-glionnaire cervicale après 24 mois. Une reprise chirurgicalelocale par exérèse et suture, un curage cervical homolatéral,puis une radiothérapie des aires ganglionnaires ont étéréalisés. Il n’y avait pas de nouvelle récidive 44 mois plus

Récidiveganglionnaire

Récidivemétastatique

Délai derécidive (mois)

+ � 4+ + 12� � 16+ � 24� � 19

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Carcinome à cellules de Merkel : à propos de 24 cas et revue de la littérature 543

tard. Une patiente présentant une tumeur de 3 cm de stade IIau niveau de l’épaule avec adénopathie axillaire, qui avaitbénéficié d’une exérèse avec des marges de 3 cm et suturedirecte associée à un curage axillaire et à une radiothérapielocale et ganglionnaire, a présenté une récidive axillaire etune épidurite métastatique après 12 mois. Une reprise chi-rurgicale du curage axillaire a été réalisée et une chimio-thérapie a été débutée. La patiente était toujours en vie troismois plus tard.

Discussion

Aspects cliniques

L’âge de survenue dans notre étude (71,5 ans) est comparableà celui de la littérature [3], confirmant que cette tumeursurvient préférentiellement chez les personnes âgées. Dansnotre étude, le sex-ratio était de deux femmes pour unhomme. Mais dans une revue de 110 cas de la littérature,Pan et al. trouvaient un sex-ratio proche de 1 [8]. Le carci-nome à cellules de Merkel se présente en général comme uneplaque ou un nodule érythémateux ou violacé [6]. La localisa-tion préférentielle au niveau des zones exposées à la lumière[6] est confirmée par notre étude : 33 % d’atteinte de la régioncervicofaciale, 58 % d’atteinte des extrémités. Le rôle de laphoto-exposition dans la carcinogenèse de la tumeur de Mer-kel est également suggéré par des études cytogénétiques. Desmutations du gène suppresseur de tumeur p53, impliqué dansla réparation de lésions induites par les ultraviolets, ont étédétectées dans 20 % des tumeurs à cellules de Merkel [9].

Dans notre étude, nous n’avons eu à traiter aucun patientau stade III.

Traitement

Le traitement du carcinome à cellules de Merkel est maldéfini, en raison de la rareté de cette tumeur et des diffi-cultés à mettre en place des études prospectives randomi-sées.

Chirurgie

La chirurgie est le principal traitement des tumeurs deMerkel au stade I et au stade II [7,10]. Il n’existe pas d’étudesrandomisées comparant les différentes marges d’exérèsechirurgicale. Cependant, la plupart des auteurs recomman-dent des marges de 2 à 3 cm [7,11—13]. Kokoska et al. [14]retrouvent une amélioration des taux de survie à deux ansgrâce à des marges de sécurité larges (supérieures à 2,5 cm)par rapport à une exérèse simple sans marges (86 % versus28 %). Dans notre étude, tous les patients ont bénéficié d’uneexérèse chirurgicale avec des marges de 2 à 3 cm. Chez lessujets jeunes, en bon état général, nous avons choisi desmarges de 3 cm en associant une reconstruction faisantappel à des procédés complexes comme des lambeaux libres.Chez les sujets plus âgés ou en mauvais état général, nousavons choisi des marges de 2 cm avec une reconstruction pardes procédés plus simples, comme des sutures directes oudes lambeaux pédiculés. En l’état actuel des connaissances,on ne peut pas affirmer la supériorité de marges de 3 cm parrapport à des marges de 2 cm.

En profondeur, nous emportons systématiquementl’aponévrose sous-jacente, comme Costagliola et al. [15].

Le curage ganglionnaire est également discuté. Dansl’étude de Kokoska et al. [14], un curage ganglionnairesystématique, a permis d’améliorer les taux de survie à deuxans et de diminuer les taux de récidives ganglionnaires(respectivement, 100 % versus 35 % et 0 % versus 91 % derécidives). De nombreux auteurs préconisent un curage gan-glionnaire chez des patients au stade I [11—14,16,17]. Maiscela reste controversé et d’autres préconisent un curageuniquement lorsqu’il existe des facteurs de mauvais pronos-tic tels que des lésions de grande taille [18—20], un typehistologique à petites cellules, une localisation au niveau dela tête et du cou [13,21] ou une durée d’évolution supérieureà six semaines [20]. La recherche du ganglion sentinelle a étéproposée [22]. En revanche, le curage ganglionnaire austade II est plus consensuel [5]. Pour nous, le curage gan-glionnaire doit être réalisé au stade II, mais n’est pas indiquéau stade I. Au stade I, nous proposons soit une recherche duganglion sentinelle soit l’inclusion du patient dans un pro-tocole randomisé : radiothérapie prophylactique versus sur-veillance simple.

Radiothérapie

Le carcinome à cellules de Merkel est considéré commeradiosensible, mais avec une radiosensibilité variable [23].Notre attitude consiste en une irradiation systématique dusite opératoire et en une irradiation des aires ganglionnairesaprès curage au stade II. Une radiothérapie adjuvante estpréconisée par de nombreux auteurs [14,12,20,23]. Dansl’étude de Kokoska et al. sur 33 patients aux stades I et IIcomparant 13 patients ayant reçu une irradiation postopéra-toire et 20 patients n’ayant pas reçu ce traitement, laradiothérapie augmente de façon significative le taux desurvie à deux ans (77 % versus 40 %) [14]. Meeuwissenet al. ont montré une diminution significative des récidivesrégionales et à distance grâce à la radiothérapie postopéra-toire du site tumoral [23]. Mais les différentes études réali-sées ne sont pas randomisées et ne prennent pas en compteles différents facteurs pronostiques. Il est donc difficile deconclure actuellement sur le rôle de la radiothérapie.

Chimiothérapie

Dans notre étude, la chimiothérapie n’a été utilisée que dansun cas pour une récidive métastatique avec un recul insuffi-sant pour pouvoir juger de son efficacité. Les protocoles dechimiothérapie utilisés sont semblables à ceux qui sontemployés dans les carcinomes pulmonaires à petitescellules : cyclophosphamide, doxorubicine (adriamycine)éventuellement en association à la dacarbazine ou la vin-cristine [24], au cisplatine [25] ou à la carboplatine [19]. Lachimiothérapie n’est pas le traitement de choix de la tumeurde Merkel mais elle a été utilisée soit comme traitementadjuvant pour les tumeurs localement avancées, soit commetraitement palliatif pour des tumeurs métastatiques [26].Elle permet une régression tumorale pouvant aller jusqu’à70 % des cas avec métastases, mais elle n’a pas fait la preuvede son efficacité comme traitement adjuvant pour lestumeurs localement avancées [26]. La rareté de cette

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544 A. Louafi et al.

tumeur explique l’absence d’études prospectives randomi-sées évaluant l’effet de la chimiothérapie sur la survie [26].

Taux de récurrence et survie

Dans notre étude, 20,8 % des patients ont présenté unerécidive, avec un recul moyen de 30,8 mois. Le délai moyende récidive était de 15 mois. Cela confirme le fort taux derécidive retrouvé dans la littérature : 43 % des patientsprésentent une récidive et 90 % des récidives surviennentdans les deux ans dans la série d’Allen et al., portant sur251 patients [27]. Dans notre étude, la fréquence des réci-dives était plus importante au stade II qu’au stade I (40 %versus 16 %). Il n’y avait pas de différence entre les taux derécidive au stade IA et au stade IB (16 % versus 14 %). Mais, lesdeux cas de patients avec des tumeurs localement peuavancées (stade IA) ayant présenté une récidive correspon-dent à des localisations au niveau de la face (rebord orbi-taire, joue) où l’exérèse est plus difficile car elle doitrespecter des structures nobles. Enfin, dans notre étude,une marge de 3 cm ne diminuait pas le taux de récidive parrapport à une marge de 2 cm (23 % versus 18 %).

Le taux de survie spécifique du carcinome de Merkel est de64 % à cinq ans [27]. Le stade tumoral est le seul paramètreindépendant dans le taux de survie (stade IA : 81 %, stade IB :67 %, stade II : 52 %, stade III : 11 %) [27].

Conclusion

Notre étude confirme la rareté et l’agressivité de la tumeurde Merkel. Notre traitement était essentiellementchirurgical : exérèse avec des marges variant de 2 à 3 cmemportant l’aponévrose en profondeur, associée à un curageganglionnaire en cas d’adénopathie. La couverture immé-diate de la perte de substance permet une irradiation post-opératoire qui pourrait améliorer le taux de survie.

Conflits d’intérêts

Aucun.

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