zoom mélanome, - revuesonline

1
BIOFUTUR 323 • JUILLET-AOÛT 2011 47 L e mélanome est dû à la croissance non contrô- lée des mélanocytes, les cellules de la peau qui synthétisent et exportent la mélanine. Il se situe à la huitième place des cancers, avec une inci- dence qui augmente régulièrement depuis quarante ans en doublant quasiment tous les dix ans. En 2000, on comptait plus de 7 300 cas dans l’hexagone. Cette augmentation est liée à une exposition corporelle au soleil plus importante (destinations ensoleillées accessibles, mode de vie extérieur pour les détenteurs de maisons individuelles…), à l’utilisation des cabines de bronzage, mais aussi à la détection précoce de la maladie et au vieillissement de la population. Le mélanome est ainsi devenu la première cause de mortalité par cancer des jeunes adultes en France : au moins 50 % des mélanomes sont dus à des coups de soleil intenses reçus avant l’âge de 15 ans. L’incidence de ces cancers augmente fortement en fonction du type et de la quantité de mélanine produite par les mélanocytes. Les indi- vidus blonds ou roux aux yeux clairs ont ainsi plus de risque d’en développer que les bruns aux yeux noirs, probablement parce qu’ils synthéti- sent une mélanine particulière, la phéomélanine, qui génère des radicaux libres sous l’action des rayons ultraviolets. Et plus la peau est foncée, plus l’incidence des mélanomes est faible, y compris chez les Africains atteints de xeroderma pigmentosum (lire p. 45) (1) . De nombreux méla- nomes surviennent toutefois aussi sur des peaux non exposées au soleil, le plus souvent chez les femmes, ce qui suggère un rôle important des hormones sexuelles. Détecté très tôt, le mélanome peut être enlevé par chirurgie et guéri à 100 %. En revanche, si ses cellules migrent dans l’organisme et donnent naissance à des métastases, il devient très agres- sif et la survie moyenne des malades n’est plus que de six à neuf mois. La mortalité sur cinq ans atteint alors 90 à 95 %. Ce très mauvais pronostic est lié au fait que les cellules de mélanome métastatique sont résistantes aux traitements classiques de radio- et chimiothérapie. On sait aujourd’hui que les cellules de mélanomes qui donneront naissance aux métastases surexpri- ment les gènes de réparation de l’ADN, en parti- culier ceux codant la réparation des cassures double brins et des pontages chimiques entre les deux brins de l’ADN (2) . Ces deux types de lésions sont justement induites par les médicaments anti- tumoraux. Elles sont donc, malheureusement, mieux réparées dans les cellules métastatiques que dans les cellules normales du malade (3). comme d’autres cancers, le mélanome est en partie dû aux mutations de gènes qui régulent positivement la prolifération cellulaire. Le gène B-RAF, qui code une protéine kinase, est ainsi muté dans environ 50 % des mélanomes. Des médicaments ciblant spécifiquement la forme mutée de la protéine B-RAF ont été développés. Ils inhibent de façon remarquable la croissance des tumeurs présentant une mutation sur ce gène, tels que les cancers papillaires de la thy- roïde, certaines tumeurs rénales ou hépatiques et les mélanomes (4). Comme ces molécules ne sont actives que sur la B-RAF mutée, elles n’ont en principe aucun effet nocif sur les autres cellules, contrairement aux traitements anti- tumoraux classiques. Ces nouvelles molécules ont toutefois des effets secondaires, en parti- culier sur la peau, car les inhibiteurs de la protéine B-RAF mutée stimulent les voies prolifératives dépendantes de la version non mutée de la pro- téine. Les cellules non mutées se multiplient donc de façon anormale, ce qui se traduit par un rougissement cutané, une inflammation des follicules pileux, un blanchissement des cheveux, jusqu’au développement de tumeurs cutanées à la limite de la malignité (5). Plus le traitement se révèle efficace contre les mélanomes, plus les effets secondaires de toxicité cutanée sont impor- tants, ce qui entraîne quelquefois l’abandon dramatique du traitement par les malades. La quasi-absence de dangerosité des tumeurs induites par ces médicaments par rapport aux mélanomes traités fait que ces molécules repré- sentent actuellement l’espoir le plus important de traitement des mélanomes métastatiques (6). Enfin, l’étude du mécanisme d’action de ces nouvelles thérapies est aussi une source majeure d’informations sur les mécanismes de contrôle de la prolifération cellulaire. Alain Sarasin Laboratoire Instabilité génétique et oncogenèse UMR 8200 CNRS, Université Paris-Sud, Institut Gustave Roussy, 114, rue Édouard Vaillant 94805 Villejuif [email protected] (1) Cartault F et al. (2011) DNA Repair 10, 577-85 (2) Kauffmann A et al. (2008) Oncogene 27, 565-73 (3) Sarasin A, Dessen P (2010) Curr Mol Med 10, 413-18 (4) Flaherty KT et al. (2010) N Engl J Med 363, 809-19 (5) Arnault JP et al. (2009) J Clin Oncol 27, e59-61 (6) Robert C et al. (2011) Curr Opin Oncol 23, 177-82 Zoom Mélanome, l’espoir des nouvelles thérapies ciblées © BSIP/PHOTOTAKE/MICROSCAN ©BSIP/BIOPHOTO ASSOCIATES Les quatre grandes caractéristiques du mélanome malin : une asymétrie, des bords irréguliers, une coloration hétérogène et un diamètre supérieur à 6 mm. 47-zoom2_323_redac.qxp 23/06/11 12:08 Page 47 Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur biofutur.revuesonline.com

Upload: others

Post on 25-Mar-2022

13 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

BIOFUTUR 323 • JUILLET-AOÛT 2011 47

Le mélanome est dû à la croissance non contrô-lée des mélanocytes, les cellules de la peau quisynthétisent et exportent la mélanine. Il se situeà la huitième place des cancers, avec une inci-dence qui augmente régulièrement depuisquarante ans en doublant quasiment tous les dixans. En 2000, on comptait plus de 7 300 cas dansl’hexagone. Cette augmentation est liée à uneexposition corporelle au soleil plus importante(destinations ensoleillées accessibles, mode devie extérieur pour les détenteurs de maisonsindividuelles…), à l’utilisation des cabines debronzage, mais aussi à la détection précoce dela maladie et au vieillissement de la population.Le mélanome est ainsi devenu la première causede mortalité par cancer des jeunes adultes enFrance : au moins 50 % des mélanomes sont dusà des coups de soleil intenses reçus avant l’âgede 15 ans. L’incidence de ces cancers augmentefortement en fonction du type et de la quantité demélanine produite par les mélanocytes. Les indi-vidus blonds ou roux aux yeux clairs ont ainsiplus de risque d’en développer que les bruns auxyeux noirs, probablement parce qu’ils synthéti-sent une mélanine particulière, la phéomélanine,qui génère des radicaux libres sous l’action desrayons ultraviolets. Et plus la peau est foncée,plus l’incidence des mélanomes est faible, ycompris chez les Africains atteints de xerodermapigmentosum (lire p. 45) (1). De nombreux méla-nomes surviennent toutefois aussi sur des peauxnon exposées au soleil, le plus souvent chez lesfemmes, ce qui suggère un rôle important deshormones sexuelles.Détecté très tôt, le mélanome peut être enlevépar chirurgie et guéri à 100 %. En revanche, sises cellules migrent dans l’organisme et donnentnaissance à des métastases, il devient très agres-sif et la survie moyenne des malades n’est plusque de six à neuf mois. La mortalité sur cinq ansatteint alors 90 à 95 %. Ce très mauvais pronosticest lié au fait que les cellules de mélanome

métastatique sont résistantes aux traitementsclassiques de radio- et chimiothérapie. On saitaujourd’hui que les cellules de mélanomes quidonneront naissance aux métastases surexpri-ment les gènes de réparation de l’ADN, en parti-culier ceux codant la réparation des cassuresdouble brins et des pontages chimiques entre lesdeux brins de l’ADN (2). Ces deux types de lésionssont justement induites par les médicaments anti-tumoraux. Elles sont donc, malheureusement,mieux réparées dans les cellules métastatiquesque dans les cellules normales du malade (3).comme d’autres cancers, le mélanome est enpartie dû aux mutations de gènes qui régulentpositivement la prolifération cellulaire. Le gèneB-RAF, qui code une protéine kinase, est ainsimuté dans environ 50 % des mélanomes. Desmédicaments ciblant spécifiquement la formemutée de la protéine B-RAF ont été développés.Ils inhibent de façon remarquable la croissancedes tumeurs présentant une mutation sur cegène, tels que les cancers papillaires de la thy-roïde, certaines tumeurs rénales ou hépatiqueset les mélanomes (4). Comme ces molécules nesont actives que sur la B-RAF mutée, elles n’onten principe aucun effet nocif sur les autrescellules, contrairement aux traitements anti-tumoraux classiques. Ces nouvelles moléculesont toutefois des effets secondaires, en parti-culier sur la peau, car les inhibiteurs de la protéineB-RAF mutée stimulent les voies proliférativesdépendantes de la version non mutée de la pro-téine. Les cellules non mutées se multiplient donc de façon anormale, ce qui se traduit par unrougissement cutané, une inflammation desfollicules pileux, un blanchissement des cheveux,jusqu’au développement de tumeurs cutanées àla limite de la malignité (5). Plus le traitementse révèle efficace contre les mélanomes, plus leseffets secondaires de toxicité cutanée sont impor-tants, ce qui entraîne quelquefois l’abandondramatique du traitement par les malades.

La quasi-absence de dangerosité des tumeursinduites par ces médicaments par rapport auxmélanomes traités fait que ces molécules repré-sentent actuellement l’espoir le plus important de traitement des mélanomes métastatiques (6).Enfin, l’étude du mécanisme d’action de cesnouvelles thérapies est aussi une source majeured’informations sur les mécanismes de contrôlede la prolifération cellulaire. �

Alain SarasinLaboratoire Instabilité génétique et oncogenèse

UMR 8200 CNRS, Université Paris-Sud,Institut Gustave Roussy,

114, rue Édouard Vaillant94805 Villejuif

[email protected]

(1) Cartault F et al. (2011) DNA Repair 10, 577-85(2) Kauffmann A et al. (2008) Oncogene 27, 565-73(3) Sarasin A, Dessen P (2010) Curr Mol Med 10, 413-18(4) Flaherty KT et al. (2010) N Engl J Med 363, 809-19(5) Arnault JP et al. (2009) J Clin Oncol 27, e59-61(6) Robert C et al. (2011) Curr Opin Oncol 23, 177-82

Zoom

Mélanome,l’espoir des nouvelles thérapies ciblées

© B

SIP

/PH

OT

OTA

KE

/MIC

RO

SC

AN

©B

SIP

/BIO

PH

OT

O A

SS

OC

IAT

ES

Les quatre grandes caractéristiquesdu mélanome malin : une asymétrie, des bords irréguliers, une coloration hétérogène et un diamètre supérieur à 6 mm.

47-zoom2_323_redac.qxp 23/06/11 12:08 Page 47

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r bi

ofut

ur.r

evue

sonl

ine.

com