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Samedi 2 juin 1705, 8 h 00 : Je me lève vers 8 h 00 tous les matins, je crois fermement que « le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Mon réveil, c’est tous les jours la même chose ! Ma chambrière Madeleine, suivie de ma dame de compagnie Jérémiade, entrent dans ma chambre et me réveillent doucement grâce aux lueurs du soleil en ouvrant les rideaux, tout en délicatesse, à l’image de la femme que je suis. Louis, mon mari, en homme actif, est déjà parti chasser. Souvent, je ne le vois pas avant le repas du midi, mais finalement, ce n’est pas plus mal... Ensuite, je dois me rendre présentable pour sortir de ma chambre et vaquer à mes occupations quotidiennes. En 1700, notre rapport à l’eau n’est pas le même que le vôtre. On la croit por- teuse de maladies, on la voit sale et répugnante. Alors, je me passe une éponge humidifiée très rapidement sur le visage, chaque matin, et je m’asperge le corps de parfum de musc pour masquer les mauvaises odeurs. Ensuite, pendant une heure, Madeleine va me peigner les cheveux pour les dégraisser. Je me suis rendu compte que votre shampoing sec d’aujourd’hui n’est pas très écologique comparé au nôtre : une simple poignée de farine. Une journée dans la vie de Pauline Textes et illustrations : Ilona Roux

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Page 1: Une journée dans la vie de Pauline - Valréas · Une journée dans la vie de Pauline Textes et illustrations : Ilona Roux. ... le château de Grignan où la marquise de Sévigné,

Samedi 2 juin 1705, 8 h 00 :

Je me lève vers 8 h 00 tous les matins, je crois fermement que « le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ».

Mon réveil, c’est tous les jours la même chose ! Ma chambrière Madeleine, suivie de ma dame de compagnie Jérémiade, entrent dans ma chambre et me réveillent doucement grâce aux lueurs du soleil en ouvrant les rideaux, tout en délicatesse, à l’image de la femme que je suis. Louis, mon mari, en homme actif, est déjà parti chasser. Souvent, je ne le vois pas avant le repas du midi, mais finalement, ce n’est pas plus mal...

Ensuite, je dois me rendre présentable pour sortir de ma chambre et vaquer à mes occupations quotidiennes.

En 1700, notre rapport à l’eau n’est pas le même que le vôtre. On la croit por-teuse de maladies, on la voit sale et répugnante. Alors, je me passe une éponge humidifiée très rapidement sur le visage, chaque matin, et je m’asperge le corps de parfum de musc pour masquer les mauvaises odeurs. Ensuite, pendant une heure, Madeleine va me peigner les cheveux pour les dégraisser. Je me suis rendu compte que votre shampoing sec d’aujourd’hui n’est pas très écologique comparé au nôtre : une simple poignée de farine.

Une journée dans la vie de Pauline

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Puis, vient une de mes parties préférée de la matinée : le maquillage et le coiffage. « La transformation de la larve en magnifique papillon ».

Maintenant, ma domestique s’active avec mes cheveux, elle les tord, les crêpe, les gonfle. À mon époque, le volume de la coiffure, son envergure, ses ornements appelés guêpes et papillons, témoignent de la richesse d’une dame et du temps dont elle dispose pour s’occuper d’elle-même, qu’elle n’utilisera donc pas à travailler. C’est exactement la même chose pour le maquillage. Si vous courez derrière un idéal au teint parfaitement hâlé, nous, nous le fuyons comme la peste ! Au contraire, la femme au teint blanc comme la craie est le symbole d’oisiveté, de pureté et d’une vie facile à l’ombre et sans tâches physiques importantes.

Pour mon teint, je m’applique du « Blanc de Céruse » (ou blanc de plomb). Je sais que vous allez vous indigner en sachant que cette poudre entraine un déchaussement des dents, une corrosion de la peau et le creusement des joues, mais cela à été découvert bien après ma mort. Nous ne nous embê-tons pas à vérifier les produits qu’on nous vend partout, il faut avoir un peu de confiance enfin !

Sur les joues, je m’applique du « Rouge » fabriqué à partir de craie de Brian-çon et de rouge carmin. Ce rouge extrême permet de contraster avec le teint cadavérique, et de redonner un peu de « vie » au visage.

Pour finir, « la Mouche » est un accessoire obligatoire pour toutes les dames de l’aristocratie française.Ce sont de petits bouts de taffetas noirs, habituellement ronds, que je place à un endroit ou un autre de mon visage en fonction de ce que je veux suggé-rer. Par exemple, je mets une mouche au coin de l’œil, ce qui veut dire que je suis passionnée, une au coin de la bouche, ce qui signifie que je suis coquette et enfin, au milieu du front, qui veut dire que je suis majestueuse.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1705, 9h30 :

Je m’habille avec l’aide de Madeleine. En 1700 la mode est « précieuse » : plus on montre notre richesse dans nos vêtements et accessoires, plus on est respectable. Tout est réfléchi dans ma tenue. Au plus près de mon corps je porte une petite robe en coton collante appelée : « chemise de corps », car les sous-vêtements n’existent pas encore.

Par-dessus cette robe, il est placé sur mon buste mon pire cauchemar, le par-fait mélange entre étouffement et claustrophobie en un seul accessoire : le corset. Puis, sur ce corset si serré qu’il pourrait me casser en deux, est placé un bourrelet en tissu qui repose sur mes hanches.

Sous la robe, on me construit un corps qui n’est pas le mien. Il faut que ma poitrine remonte, que mon ventre s’aplatisse, que mes hanches s’élargis-sent, que mes épaules soient à l’air. Tout ça pour que les hommes qui me voient sachent que je suis féconde, que je devienne l’objet de leurs désirs. Quand je vois votre manière de vous habiller, de votre temps, j’ai une larme de bonheur. Personne ne peut tenir plus d’une journée dans ma tenue.D’autant que la colonne vertébrale est si compressée, que nos dos changent, nos organes bougent, et cela engendre d’importants problèmes de santé.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1705, 10 h 00 :

Le petit-déjeuner a lieu à 10 h 00, je prends toujours une tasse d’eau rougie, de l’eau coupée avec du vin, un bol de bouillon de poule et un petit peu de café.

Le repas du matin est léger, mais me donne de l’énergie. Louis réapparaît et me raconte sa matinée, toujours la même chose si vous voulez mon avis... J’en ai parlé avec ma mère, cet homme est vraiment ennuyeux, il ne vit que pour la chasse, les jeux d’argent et les femmes. Mais les hommes ont toujours été éduqués ainsi. Souvent, je me demande com-ment aurait été le monde si les rôles étaient inversés.

Samedi 2 juin 1705, 13 h 00 :

Le déjeuner ou « Petit Couvert », à 13h00, et le souper ou « Grand Cou-vert » du soir à 21h00, sont beaucoup plus lourds.

En général, un repas se compose de 9 services : trois entrées avec souvent des coquillages et des légumes; en plat principal, trois viandes et pois-sons, en dessert, des pâtisseries et des fruits.

À mon époque, on ne se prive pas, l’embonpoint est un signe de bonne santé, ceci doit vous paraître choquant quand vous vous retrouvez face à vos modèles sur les réseaux sociaux ! Mais on utilise aussi beaucoup de vomitifs et de purgatifs comme la poudre du docteur de Lorne, une petite merveille, qui extrait les maladies, chasse les humeurs et nous permet de manger et de remanger même quand on a plus faim.

Les aliments qui composent nos repas, sont une multitude de légumes et de fruits du Sud : tomates, choux, poireaux, petits pois, grenades, poire, pommes, oranges, citrons... Plusieurs types de viande et de poissons : des faisans, des chapons, du boeuf, du porc, du cerf, de la truite, du sandre...

Ce dont je raffole c’est le canard à l’orange. Quand j’étais plus jeune, Mère le préparait à la perfection ! Je crois que c’est un de mes souvenirs préfé-rés. Mère dans notre maison de campagne qui épluche les oranges et moi qui la regarde avec admiration assise de la table avec le ventre qui gar-gouille.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1705, 11 h 00 :

Je sors de table et me dirige vers mon salon d’honneur. Une des portes de cette salle donne sur ma chapelle, c’est moi qui l'ai fait construire et j’en suis fière. Déjà, que la ville de Valréas m’était inconnue quand je suis arrivée, je n’avais nulle part où prier sans être vue. J’ai beau être très pieuse, je trouve que la prière est un moment d’une extrême intimité.

Je prie pour ma mère qui est loin. J’ai peur de ne plus la revoir, peur que ce soit ma dernière prière. Cela fait 7 ans que Mère est à Marseille. Elle a quitté le château de Grignan où la marquise de Sévigné, sa mère, est morte alors qu’elle lui rendait visite. Elles étaient si proche que la douleur de ce souvenir était inssurmontable. Mais cela aussi 7 ans que Mère est malade...Elle souffre de malaises, d’insomnies et de lourdes pertes de sang. Les soins coûtent une fortune et, souvent, la science est encore plus dangereuse que le mal. Les docteurs de votre époque se tireraient les cheveux en voyant les manières barbares employées pour nous soigner . La saignée est une des mé-thodes les plus utilisées à mon époque. On pense qu'en pompant du sang, on fait sortir la maladie du corps. Alors je demande au seigneur de donner de la force à ma mère.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1705, 11 h 30 :

Je descends au jardin. À cette époque de l’année, les lavandins sont en fleur. Nous connaissons un début d’été particulièrement ensoleillé. Le jardin est l’un de mes endroits préféré, On dit à Valréas que c’est l’un des plus beaux de la région.

Je pense que même à votre époque un jardin si bien entretenu serait apprécié. Je viens très souvent avec ma dame de compagnie Jérémiade. Toutes deux nous sommes très proches. Elle est à mes côtés depuis 7 ans déjà, elle m’a suivie d’un bout à l’autre de la France sans jamais se plaindre. Elle et moi, nous conversons sur tout ce qui nous entoure, et ce matin, c’est sur le voisinage. Je trouve que cette ville s’embellit de jour en jour. Je passe près de la fontaine et m’arrête pour faire un vœu, c’est mon rituel. Puis, nous allons observer les poissons dans le grand bassin. Ce qui me plaît dans ce lieu, c’est le silence. Nous avons beau être au milieu de la ville, il n’y a aucun bruit, seul le clapotis de l’eau, le souffle du vent et le gazouillis des oiseaux for-ment une mélodie qui nous enveloppe.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1705, 15 h 00 :

Après le déjeuner, je m’assieds à mon bureau. Ma grand-mère, la marquise de Sévigné m’a transmis son amour des lettres. Quand j’ai un peu de temps libre, je saute sur mon plumier et me crée un monde imaginaire de poésie et de jeux de mots.J’ai appris à écrire et à lire au couvent quand j'étais plus jeune.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la condition de la femme à mon époque, même aristocrate, n’est pas très glorieuse, 80 % des femmes sont illettrées et doivent endosser le rôle de parfaites femmes au foyer et d’épouses sou-mises.

Nous avons un certain pouvoir dans la maison, à travers la direction des do-mestiques et l’éducation des enfants. Mais nous sommes surtout et avant tout fécondes, c’est très dur d’essayer d’être plus que cela. Seulement, j’ai grandi avec un modèle d’indépendance très avant-gardiste pour la période. Ma grand-mère, était veuve depuis 20 ans, elle brillait par son intelligence, tout le monde parlait de sa plume et de sa beauté.

Je m’entretenais avec elle, j’aimais beaucoup recevoir ses conseils, ses avis sur la société qui nous entoure. En deux lettres, nous refaisions le monde. Dans ses correspondances à ma mère, elle lui racontait les odeurs et les cou-leurs de la capitale, ce qui me faisait voyager. Quand j’étais plus jeune, elle me les lisaient constamment avant de m’endormir.

Les lettresétaient un des seuls liens qui nous unissait avec ma grand-mère, c’est pourquoi que je garde précieusement toutes nos correspondances. Elle est morte depuis 8 ans, et pourtant, je continue de lui écrire. Cela me fait du bien, même si parfois l’absence de réponse me pèse. Elle reste l’une des per-sonnes les plus chères à mon coeur et je suis sûre qu’un jour tout le monde sera témoin de la brillance de son esprit.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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Samedi 2 juin 1702, 18 h 00 :

Tous les samedis, au château, avec Louis, nous organisons une fête qui commence à 18 h 00 et finit tard.La société dans laquelle j’évolue est une société de conversations, d’in-fluences, de relations. Alors, pour se créer un réseau de connaissances, nous organisons des évènements à la manière des fêtes à la cour de Louis XIV. On installe tout, on sort les beaux tapis, les belles étoffes, la vaisselle en argent, on fait entrer les musiciens, les servants s’occupent de dres-ser la table à l’étage, salle Scharf.

Nous serons 40, ce soir, tous les nobles des environs sont conviés. Cela va vous sembler énorme, mais pour nous, c’est un nombre assez faible, le nombre d’invités tourne d’habitude autour des 120.Ce soir, toutes les danses et les musiques à la mode à la capitale seront jouées dans notre salon d’honneur. J’aime bien ce genre de fête, mais uniquement à cause des conversations intéressantes que je vais avoir et des joutes littéraires qui s’y produiront.Mon mari, lui, apprécie les jupons plus que les esprits, il trouve toujours un moyen de faire la cour à toutes les femmes qui passent, cela m’agace prodigieusement. Puis nous irons à l’étage, manger un festin aux quantités gargantuesques.

Une fête coûte très cher, mais c’est obligatoire pour se faire bien voir, d’autant plus que ce soir nous recevons du beau monde. J’ai entendu dire que Mme de Bardive, la comtesse de Grenoble serait parmi nous, c’est une amie proche de la maîtresse officielle du roi. Quel honneur d’avoir une personne aussi haut placée dans mon château !

La fête se termine souvent aux aurores, certains tentent de retrouver leurs esprits et leurs cochers, d’autres reste dormir au château en attendant d’être à nouveau sur pied. Moi, je remonte me coucher vers 5 h 00 du matin. Je slalome entre les personnes allongées par terre au premier étage, essaye de me frayer un chemin entre ceux qui descendent les escaliers et me rends au deuxième étage. Je vois Louis au loin qui rit à gorge déployée, je peux voir son nez rouge qui brille dans la nuit. Nos vins on beau être coupés à l’eau, ils n’en perdent pas leurs effets pour autant. Je salue Mme de Bardive avec laquelle j’ai bien parlé et regagne ma chambre où Madeleine m’attends. Je me déshabille et m’endors.

Textes et illustrations : Ilona Roux

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