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HERCULE VALJEAN

Un meurtre à l’université

BeQ

Hercule Valjean

Les aventures policièresd’Albert Brien # 041

Un meurtre à l’université

détective national des Canadiens-français

La Bibliothèque électronique du QuébecCollection Littérature québécoise

Volume 616 : version 1.0

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Un meurtre à l’université

Collection Albert Briengracieuseté de Jean Layette

http ://www.editions-police-journal.besaba.com/

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LES PRINCIPAUX PERSONNAGES DE CE ROMAN

ALBERT BRIEN, célèbre policier amateur, surnommé le détective national des Canadiens-français, habitué à solutionner les problèmes criminels les plus compliqués.

HECTOR PAYETTE, neveu de Brien, jeune étudiant en peinture à l’Université de Montréal, aimable cancre et plus intelligent que la moyenne.

LE DÉTECTIVE THÉO BELŒIL, gros, gras et rubicond directeur de l’escouade des homicides de la sûreté provinciale à Montréal, un vieil ami qui doit 36 chandelles à Brien parce que celui-ci l’aide énormément dans son travail de détection tout en lui en laissant entièrement le crédit.

HERVÉ LEGRIS, professeur de peinture canadienne-française à l’Université.

ARMAND BIBEAU, millionnaire, ami des arts en général et de la peinture canadienne-française en

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particulier.MADAME BIBEAU, la femme de ce dernier,

coquette et flirt mais avec en dessous un fond de bonté et d’honnêteté.LE PROFESSEUR CHOMEDY, exceptionnellement

distrait, professeur de peinture anglo-canadienne.BOB GERRARD, expert en peintures de vieux

maîtres.NÉRÉE OUIMET, acheteur et vendeur d’objets

d’art.Et quelques autres personnages de moindre

importance.

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I

À l’université

Hector Payette laissa le chemin de la côte Sainte-Catherine et prit l’allée privée qui conduit à l’Université de Montréal.

L’immense édifice jaunâtre, avec ses nombreux corps-de-logis, se dressa devant lui.

Son âme d’artiste se révoltait chaque fois qu’il contemplait les édifices de l’université qu’il considérait horribles au point de vue architectonique.

Il murmura :– Dire que cette grosse cabane bâtarde a été

construite à coups de millions, des millions péniblement gagnés par notre race...

Hector Payette allait voir Hervé Legris, le professeur de peinture canadienne-française à

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l’université.Un événement très important dans le domaine

de la peinture nationale chez-nous s’était produit 5 années auparavant. Un journalier, en creusant un trou sous une maison de la vieille rue Saint-Louis à Québec, avait découvert une lourde boîte de métal qui renfermait sept portraits à l’huile.

L’événement était constitué du fait que ces peintures étaient signées : Samuel de Champlain.

Champlain, le fondateur de Québec, était, l’historien Garneau le prétend dans son histoire du Canada, un peintre de talent.

À cette occasion Hervé Legris avait été mandé à Québec afin d’attester de l’authenticité des sept œuvres.

Legris, à première vue, jugea que les portraits avaient au moins 300 ans d’existence.

Mais pour plus de sûreté il soumit un pouce carré de la peinture à la classique épreuve de l’alcool, et il s’assura que la toile elle-même avait été tissée à la main.

Puis il annonça aux journalistes :

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– Les portraits, dit-il, sont authentiques. Les sauvages qu’ils représentent sont des contemporains de Champlain.

Le premier cours du professeur Legris cet automne, à la rentrée des classes, avait porté sur l’œuvre artistique de Samuel de Champlain, accidentellement découverte-.

Mais le jeune Hector Payette avait encore à ce sujet dans son esprit quelques points encore obscurs.

C’est pour les éclaircir qu’il se rendait au bureau de Legris à l’Université.

Il entra et prit l’ascenseur conduisant au 4e

étage de l’édifice principal.Il aurait bien frappé à la porte de Legris, mais

celle-ci était entrouverte et il pouvait voir le professeur de peinture affalé dans sa chaise basculante, la tête renversée sur son pupitre.

– Il dort, murmura-t-il.Il décida d’entrer et de l’éveiller doucement.Il s’approcha du dormeur et lui mit la main sur

l’épaule.

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C’est alors que Payette tressaillit.Il venait de voir quelque chose.Quelque chose d’horrible.Le manche d’un couteau apparaissait, sorti de

la poitrine de Legris.Le jeune homme toucha la main qui reposait

sur le bras de la chaise basculante.Elle était froide.Il était en face d’un cadavre.– Mais qui a pu tuer le professeur ? se

demanda Hector.Tout de suite il pensa à Hermione Bibeau, la

femme du millionnaire Armand ami des arts en général et de la peinture canadienne-française en particulier.

Tout le monde excepté le mari était au courant de la supposée affaire de cœur qui existait entre Hermione et le professeur assassiné.

Est-ce que le mari avait surpris les amoureux et dans une crise de jalousie avait frappé... ?

Hector Payette contemplait le cadavre.

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Que faire ?C’était lui qui avait découvert le cadavre, qui

avait été le premier à le voir.On allait inévitablement le soupçonner.Hector se sentit le besoin d’un défenseur.Qui ?Tout de suite il pensa à son oncle, le célèbre

policier amateur Albert Brien, surnommé le détective national des Canadiens-français.

S’il y avait un homme à Montréal capable de protéger son neveu et de sauvegarder ses intérêts, c’était bien l’oncle Albert.

Il l’appela au téléphone :– Mon oncle, dit-il, je viens de découvrir un

cadavre.Brien répliqua en riant :– L’université est si près du cimetière. Où es-

tu ?–Dans le bureau du cadavre, seul avec lui.– Oh, la, la...

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– Que dois-je faire ?– Appeler la police naturellement.– La police municipale ?– Tu sais bien que la police municipale est

actuellement au garage en train de se faire... graisser. Non, demande Théo Belœil à la sûreté provinciale.

– Vous allez venir m’aider, mon oncle ?– Oui, adorable cancre. Le temps d’expédier

quelques affaires de routine et je suis à l’Université avec toi.

Après avoir décroché de nouveau, Hector Payette appela PL. 4141 et demanda Belœil.

Quand il l’eut mis au courant, le gros Théo s’écria :

– Un meurtre à l’Université, mais c’est la première fois que... Je vais être le premier professeur de la nouvelle chaire de détection.

*

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Cinq minutes plus tard, les sirènes déchirant l’air et ne respectant point le calme majestueux et pompeux de cet endroit de haute éducation, Belœil arriva.

Après que les experts de son escouade des homicides eurent examiné le cadavre, il demanda au médecin légiste :

– Depuis quand est-il mort ?– Deux ou trois heures.– Bien.Le gros policier se tourna vers le jeune

Payette.– Que faisiez-vous ici, vous ? demanda-t-il

brusquement.– Je suis venu pour...Le gros Théo n’avait jamais pu se déshabituer

de la charmante habitude de faire passer le 3e

degré à tous ses suspects.Il tonna :– Parlez.Hector rougissait.

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– Je suis venu à propos de Samuel de Champlain.

– Hein ?Il reprit :– Voulez-vous me dire, jeune homme, qu’est-

ce que le propriétaire de la salle à manger de la rue Amherst a à faire là-dedans ?

– Ce n’est pas de lui que je veux parler.– De qui alors ?– Du fondateur de Québec.– Est-ce que c’est lui la victime ici ?Devant tant d’ignorance le médecin légiste ne

put s’empêcher d’éclater de rire.– Silence.Belœil poursuivit :– Quel est le nom du mort ?– Hervé Legris.– Sa profession ?– Professeur de peinture.– Était-il marié ?

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– Non.Belœil tonna de nouveau :– Pourquoi l’avez-vous tué ?Le jeune Hector de rouge devint pâle.À ce moment Albert Brien parut dans

l’encadrement de la porte et dit en souriant avec finesse :

– Théo, Théo, je te surprends encore une autre fois en train de faire le fou.

– Ah, c’est toi, Albert, mais qui t’a prévenu... ?

Belœil était médusé.Brien répondit :– Avant que tu fasses l’irrémédiable bêtise

d’arrêter mon neveu...– Ton neveu ?– Oui, le fils de ma sœur aînée, Émilia, si tu

veux le savoir.À Hector Payette Brien dit :– N’aie pas peur, mon petit, si Belœil est fou,

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il n’est ni furieux ni même dangereux ; du moins pas encore.

– Oh, j’ai bonne envie de te faire mettre à la porte.

Le détective national des Canadiens-français éclata de rire :

– Alors qui trouverait le coupable, mon vieux ?

Belœil ne répondit pas, gardant de Conrad le silence prudent, car il savait bien que le concours du policier amateur lui était presque indispensable dans la solution de toutes les causes importantes qui lui étaient confiées.

Albert remarqua :– Es-tu prêt, Théo ?– Prêt ? Prêt à quoi ?– À commencer.– Tu m’aides ?– Oui, comme d’habitude. Nous allons

d’abord faire un certain travail d’élimination.– Que ou qui veux-tu éliminer ?

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– Ton premier suspect. Qu’il soit bien entendu que je ne veux pas que mon neveu soit rabroué par toi. C’est promis ?

– Oui, il le faut bien, cher maître.– Alors je commence ?– Très bien.

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II

Hermione

Albert se tourna vers son neveu :– Hector, demanda-t-il, que connais-tu de la

vie privée de Hervé Legris ; était-ce un homme au-dessus de tout reproche moral ?

– Non.– Que faisait-il de... ?– Une ombre planait sur sa réputation.– Une ombre ?– Oui, on prétendait qu’il sortait avec madame

Bibeau.– Et qui est madame Bibeau ?– C’est la femme du millionnaire.Brien s’écria :

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– Ah, oui, le mécène, l’ami des arts ?– Oui.Hector ajouta :– Il est possible qu’il n’y ait rien eu

d’irrégulier dans leurs relations. L’Université est un village où les commérages sévissent comme à la campagne.

La rumeur voulait que Brien interrompit :– Nous allons bien voir, dit-il.À Belœil il dit :– Cherche et fouille dans la correspondance du

mort. Revenant à son neveu il questionna :– Quel est le petit nom de madame Bibeau ?– Hermione.– Belœil, cherche des lettres signées

Hermione.Quelques minutes plus tard le gros Théo

s’exclama :– Eurêka.Silencieusement il tendit un papier à Albert :

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– Lis.Albert lut la lettre :« HERVÉ MON CHÉRI – J’ai une bien mauvaise

nouvelle à t’annoncer. Il faut que toutes relations cessent entre nous. Je croyais t’aimer ; mais pardonne-moi ; j’ai fouillé au fond de mon cœur et j’y ai trouvé le vieil amour que j’avais pour mon mari. Je me suis trompée ; ce n’est pas toi mais Armand que j’aime. Il faut cesser de nous voir, de nous rencontrer. Je vais, je l’ai fermement décidé, tout avouer à Armand. Connaissant son grand cœur, je suis sûre qu’il me pardonnera. Je te dis donc adieu, et je garde un bon souvenir de toi. – HERMIONE. »

Belœil s’écria :– Ça nous fait déjà deux fameux suspects.– Comment ça ?– Oui, Hervé Legris a bien pu ne pas aimer

cela d’être ainsi braqué là ; il y a eu une altercation entre les deux amoureux et Hermione, folle de colère, a assassiné celui qu’elle n’aimait plus...

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– Beau château de cartes bâti sur le sable par dessus le marché.

Brien questionna :– Et quel est ton second suspect ?– Mais le mari outragé. Il est dans les

habitudes des maris cocus de se débarrasser de l’amant de leur femme.

Albert dit :– Je fais une prophétie.– Oui, Jérémie, laquelle ?– Naturellement nous allons questionner

Hermione et son mari, mais je me doute un peu que ni l’un ni l’autre ne sont coupables.

– Mais que faire alors ?– Prouver la véracité de ma prophétie, faire

venir et soumettre madame Bibeau au supplice de la question.

Le détective privé ajouta :– Mais auparavant débarrasse-nous du

cadavre.

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– Tu as fini avec lui ?– Oui, envoie-le à la morgue.

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III

Madame Bibeau

Hermione était une jolie, une très jolie blonde dans la trentaine, à la beauté de pomme mûre bien conservée. Elle était pâle et nerveuse.

– Je me demande, dit-elle, pourquoi vous m’avez envoyée chercher par deux constables.

Brien répondit :– À cause de ceci, madame.Il lui tendit la lettre.En la voyant elle rougit violemment, jusqu’à

la racine de ses cheveux blonds.Puis, sa figure prit un air d’indignation :– Je ne vois pas, s’écria-t-elle, ce que la police

a à faire dans ma vie privée...Belœil dit lugubrement :

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– Hervé Legris est mort, madame.Elle tressaillit.Il ajouta :– Assassiné.Cette fois elle sursauta :– Oh, s’écria-t-elle, est-ce possible ? ! ! !Brien dit à son tour :– Alors vous comprenez, madame, que nous

avons affaire dans votre vie privée, n’est-ce pas ?Elle baissa tristement la tête et murmura :– Le scandale sera affreux...Belœil proposa :– Prouvez-moi votre innocence, madame, et je

vous promets de ne pas vous compromettre. Avez-vous tué Legris ?

– Ciel, non.– Alors vous n’avez rien à craindre de nous ;

dites-nous toute la vérité.– Questionnez, messieurs, je suis prête à vous

répondre en toute franchise.

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Albert demanda :– Dans votre lettre, madame, vous annonciez

au mort que vous alliez révéler votre faute à votre mari ; l’avez-vous fait ?

– Oui.– Comment a-t-il pris la chose ?– Armand est un homme à la bonté inaltérable

et d’une très grande indulgence ; il m’a pardonné, m’a embrassée et m’a dit : « Je suis fier de toi, ma petite Hermione ; ça prenait une grande bravoure pour faire cet aveu. »

Brien reprit :– Vous disiez adieu dans votre lettre à Hervé

Legris. L’avez-vous revu ?– Oui.– Quand ?– Cet après-midi.Les deux détectives tressautèrent.Brien demanda :– Était-il vivant ?

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– Mais oui.– C’est ici même que vous l’avez vu ?– Oui.– Pourquoi ?– Pour lui dire une fois pour toutes de ne plus

m’ennuyer avec ses appels téléphoniques.– Ah, après votre lettre d’adieu, il vous a

téléphoné ?– Oui.– Que voulait-il ?– Que je reprenne avec lui.– Et que lui répondiez-vous ?– Non, que c’était fini, bien et définitivement

fini.– Votre mari s’est-il aperçu des téléphones de

Legris ?– Je suis sûre que oui, mais Armand est si

discret...– Il ne vous a parlé de rien ?– Non.

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Belœil demanda :– Connaissiez-vous des ennemis à la victime,

madame ?– Non.– Votre mari a-t-il manifesté une forte colère

contre Legris ?– Non, mon Armand est le plus doux des

hommes, vous savez.Belœil pensa : Il y a un dicton qui veut qu’on

doive se méfier des doux et humbles de cœur.Armand déclara :– Nous vous remercions, madame Bibeau ;

votre mari est-il chez-vous ?– Je crois que oui.– Alors voulez-vous lui demander de venir

ici ?– Immédiatement ?– Oui.Comme Hermione allait sortir, Belœil lui dit :– Ne quittez pas Montréal sans mon

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autorisation.Stupéfaite elle reprit son calme avant de

répondre :– Oui, très bien, monsieur.Et elle sortit...

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IV

Armand Bibeau

Armand Bibeau avait la figure douce comme le caractère.

En réponse à une question de Belœil il dit franchement :

– Naturellement je n’aimais guère Hervé Legris.

– Même avant que votre femme vous avoue sa faute?

– Oui.– Vous vous doutiez de quelque chose ?– Oui, depuis deux ans, c’est-à-dire depuis le

début de l’infatuation d’Hermione.– Par quoi votre premier doute a-t-il été

provoqué ?

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– Legris se mit à causer un peu trop longtemps avec ma femme. Puis je les vis tous deux ensemble au coin d’une rue ;... enfin toutes sortes de petits incidents banals isolément mais qui, pris en groupe, me faisaient tirer une conclusion désagréable pour moi.

– Vous n’avez fait aucun reproche à votre femme ?

– Non.– Pourquoi ?– Je n’ai pas une nature jalouse. D’ailleurs

Hermione n’est pas tout pour moi dans la vie ; elle passe après mes affaires. Et puis je connais ma femme ; je savais que sa franchise naturelle finirait par prendre le dessus et qu’elle avouerait tôt ou tard.

– Quand vous a-t-elle fait l’aveu ?– Oh, il y a 8 ou 10 jours.– Savez-vous si elle a revu la victime depuis ?– Elle vient de me dire que oui.– Êtes-vous au courant de certains téléphones

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qu’aurait fait le mort ?– Oui, je suis au courant, et j’en avais presque

assez de son manège.– Quand Legris a-t-il appelé votre femme pour

la dernière fois ?– Aujourd’hui même, c’est-à-dire quelques

heures à peine avant qu’il fût poignardé.Belœil sursauta violemment.– Poignardé ! s’écria-t-il.Mais Albert intervint vivement :– Non, non, Théo, dit-il, ne parle pas ; laisse-

moi faire.Il demanda à Armand Bibeau :– Vous êtes venu ici aujourd’hui, n’est-ce

pas ?Le millionnaire baissa la tête et murmura :– Oui.Brien reprit :– Les membres de l’escouade provinciale des

homicides, mon neveu et moi sommes les seuls à

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savoir que c’est un couteau qui a tué Hervé Legris ; les journalistes n’ont pas encore été convoqués et votre femme, M. Bibeau, n’en a rien su. Mais vous venez de prononcer le mot POIGNARDÉ. Alors j’ai tout de suite conclu que vous étiez venu ici aujourd’hui et que vous aviez vu le couteau dans la poitrine de la victime. Est-ce cela ?

– Oui.– Pourquoi êtes-vous venu ?– Pour demander à Legris de ne plus achaler

ma femme.– Le lui avez-vous demandé ?– Oui.– Et qu’a-t-il répondu ?– Il m’a ri au nez et a eu le front de me dire

que je cherchais à monter Hermione contre lui.– L’animal, s’écria Brien, en effet, je vais dire

comme vous ; il en avait un front !– N’est-ce pas...Le détective privé reprit son questionnaire :

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– Que lui avez-vous répondu ?– J’ai bien peur de m’être fâché et d’avoir

prononcé des paroles regrettables.– Oui, mais lesquelles ?– Je l’ai traité de saligaud, de gigolo, de

cochon, de verrat même.– Et comment cela s’est-il terminé ?– Il s’est vanté de me reprendre ma femme.– Et vous ?– Je lui ai répondu de venir chez-moi s’il était

brave, que je l’attendrais le revolver à la main.Brien regarda Belœil en souriant :– Qu’attends-tu, dit-il, pour demander à M.

Bibeau si c’est lui qui a assassiné Legris ?Le millionnaire répondit tout de suite :– Croyez-moi ou non, messieurs, je suis

innocent. Je ne prétendrai point par ailleurs que je regrette la mort de mon... de mon compétiteur.

Le détective privé conclut.– C’est tout ; vous pouvez vous retirer.

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À Belœil il dit ironiquement :– Pourquoi ne lui demandes-tu point de ne pas

quitter la ville ?– V. A. D., répondit Théo.– Ce qui veut dire : Va au diable, amen.Bibeau sortit.– Ma prophétie s’est réalisée, affirma Brien.– Tu es sûr de l’innocence de cette femme et

de cet homme ?– Oui, mon gros, aussi sûr que du fait que le

pont de Québec est tombé deux fois.– Moi, je ne suis pas si certain.Brien prit une attitude mystérieuse :– Ton attitude est une attitude de pommes de

terre, affirma-t-il.– Hein ?– Ce qui veut dire, mon vieux, que tu es dans

les patates.Il éclata de rire.Et son neveu l’imita.

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V

Le professeur Chomédy

Après avoir regardé autour de lui, le détective national des Canadiens-français déclara :

– Maintenant que je t’ai donné une chance avec tes suspects de papier mâché, Théo, je vais me mettre sérieusement au travail. Par où l’assassin est-il entré ?

Belœil répliqua triomphalement :– Par la porte.– Oui, mais laquelle ?– Comment, laquelle ?– Oui, il y en a deux.Théo pouffa de rire :– Qu’y a-t-il de drôle ?

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Belœil déclara :– Sais-tu ce qu’est cette seconde porte ?– Non.– Eh bien, c’est la porte de la salle de toilette.Silencieusement Brien entra dans la petite

chambre. Là il appela le gros détective provincial, l’invitant à venir.

Quand Belœil fut avec lui il pointa du doigt une porte et demanda :

– Qu’est-ce que c’est que ça ?– Une... porte, bafouilla l’autre.– Une troisième. Et elle est pourvue de la plus

commune des serrures qui s’ouvre avec n’importe quelle clef-passepartout. Tiens, regarde.

Il sortit un trousseau de clefs de sa poche et son premier essai fut fructueux.

La porte s’ouvrit.– Qu’allons-nous faire ? demanda Belœil.Brien dit :– Je suis curieux de savoir ce qu’il y a de

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l’autre côté.Il y avait d’abord une salle de toilette, réplique

exacte de la première.Théo questionna :– Allons-nous plus loin ?– Pourquoi nous arrêter sur une aussi bonne

voie ?Ils quittèrent la salle de toilette et pénétrèrent

dans un cabinet de travail.Un homme à la chevelure longue et blanche

était assis, leur faisant dos, à son pupitre, et travaillait.

Belœil dit :– Pardon, monsieur...Sans relever la tête le vieux pesta :– Onésiphore, je te prie encore une fois de

venir faire le ménage ici en mon absence.– Pardon, ce n’est pas Onésiphore, c’est...– Cesse tes farces, Onésiphore.Brien s’approcha et secoua l’épaule du

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vieillard :– Voyons, voyons, levez la tête et regardez.– Onésiphore, tu exagères.– Le vieux leva les yeux, puis il abaissa ses

lunettes sur son nez et regarda par dessus :– En effet, dit-il comiquement, vous n’êtes pas

Onésiphore. Bonjour, monsieur, j’étais justement à étudier les études de Legris sur les portraits de Samuel de Champlain... Êtes-vous de mon avis, monsieur ?

– De votre avis ?– Oui.– Que voulez-vous dire ?Cette fois le vieillard regarda pour de bon les

deux policiers :– Excusez-moi, dit-il, je suis si distrait. Je ne

crois pas avoir l’honneur de vous connaître. Je suis le professeur Chomédy, maître es peinture anglo-canadienne.

Il ajouta :– Quand vous avez frappé à ma porte j’ai dû

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vous dire distraitement d’entrer. Excusez-moi si je vous ai pris pour le serviteur de l’étage.

Brien fit les présentations sans mentionner toutefois que Belœil et lui étaient des policiers.

Il demanda :– Ainsi vous connaissez bien Hervé Legris ?– Oui.– Depuis combien de temps ?– Des années.– Que pensez-vous de lui ?– J’aime autant ne pas vous le dire.– Tiens, tiens, pourquoi ?– Parce que je le déteste ; c’est même le seul

homme au monde que je hais.– Vous devez avoir une raison.– Oui, et une bonne ; Claire n’était pas

dévergondée avant que je la lui présente.– Claire est votre femme ?– Non, je suis veuf ; Claire est ma fille, ma

pauvre enfant égarée.

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Doux même dans sa colère il frappa son pupître d’un très faible coup de poing :

– Égarée par Hervé Legris, dit-il.– Et où est-elle, cette Claire, dans le moment ?– Elle est dans l’infamie.– Mais encore ?– À l’hôpital de la Miséricorde où elle a eu

hier... ce que vous savez. Le lendemain de... ce que vous savez on ne se lève pas pour commettre un meurtre.

Brien regarda ironiquement Belœil d’un air qui voulait dire :

– Hein, mon vieux, voici ton suspect numéro 3 qui s’en va, lui aussi chez le diable.

Le détective privé dit :– Nous sommes entrés ici par votre salle de

toilette.Le professeur Chomédy remarqua :– Si vous êtes des voleurs, dit-il, vous vous

trompez d’adresse ; car je suis pauvre.

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– Pourquoi nous prenez-vous pour des voleurs ?

– Parce que vous êtes entrés par la fenêtre.– Quelle fenêtre ?– Celle de la salle de toilette.Belœil parla à son tour :– Ne savez-vous pas qu’il y a une porte de

communication entre votre salle de bain et celle d’Hervé Legris ?

– Non, mais non ; je suis si distrait ; y en a-t-il une ?

– Oui.– Ciel, je ne l’ai jamais remarqué. Et moi qui

ai toujours eu peur de Legris...Brien pensa : Il vous a, le bonhomme, les

réponses les plus imprévisibles...Il dit :– Monsieur Chomédy, savez-vous qui nous

sommes ?– Des voleurs, je suppose.

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– Non, nous sommes les plus grands ennemis des criminels ; nous sommes des policiers.

Le vieillard remarqua :– Votre visite, messieurs, honore votre

profession, elle prouve que vous avez de l’éducation, car il faut en avoir pour s’occuper de peinture.

Le mot rappela au détective privé une phrase qu’avait tout à l’heure prononcée le professeur.

Il dit :– M. Chomédy, vous avez parlé tout à l’heure

de peintures de Samuel de Champlain.La figure du vieillard s’éclaira :– Ah, oui, dit-il, je comprends pourquoi vous

êtes ici, messieurs de la police. Il s’agit des fameux portraits de Hurons de Samuel de Champlain ?

Ce fut Belœil qui mentit une réponse affirmative.

Brien dit :– M. Chomédy, voulez-vous être assez bon de

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nous dévoiler tout ce que vous savez de cette affaire.

Le vieillard se recueillit.Finalement il commença :– Il y a environ 5 ans un journalier travaillant

à une excavation dans la vieille rue Saint-Louis, à Québec, trouva des peintures, que les plus grands experts déclarèrent être des originaux, œuvre du fondateur de la ville de Québec.

– Oui, et puis ?– M. Bibeau les acheta...– Combien paya-t-il ?– Je ne me souviens pas au juste, je suis

distrait ; mais je sais que c’est très cher.Chomédy reprit :– Ces peintures, M. Bibeau les donna au

musée de l’Université. Le jour même de leur exposition au musée j’allai les voir. Je suis un expert moi-même en vieux portraits. Je les examinai dans le temps. Les sauvages étaient indubitablement authentiques, ils avaient été

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peints il y a plus de 300 ans.Après un long silence il poursuivit :– Hier, j’ai réexaminé les œuvres de

Champlain. Et j’ai été stupéfait...– Hein ?– Oui, car les peintures actuellement exposées

à notre musée sont incontestablement des faux.– Ah, ah, qu’en concluez-vous ?Le professeur dit :– La même chose que vous, messieurs ; les

portraits véridiques et authentiques ont été volés et subrepticement remplacés par des faux qui, je l’admets, sont habilement travaillés mais qui ne peuvent tromper l’œil averti d’un expert.

Chomédy dit mystérieusement :– Oh, oh...– Je ne serais pas surpris du tout de pouvoir

vous donner le nom du voleur.– Hein ?– Je ne voudrais pas que vous croyiez que la

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haine me rend injuste et partial, mais...– Mais... ?– Hervé Legris est l’expert qui a jugé les

œuvres authentiques il y a 5 ans... Or ce peut bien être lui qui les ait volées pour les revendre ailleurs.

Brien dit :– Si ce que vous affirmez est vrai, Legris ne

sera jamais puni pour ce crime.– Mais pourquoi ?– Parce qu’il est mort.– Mort ?– Oui, assassiné.– Oh...Chomédy ajouta :– Ciel, si j’avais su je n’aurais jamais parlé en

mal d’un mort.Brien pensa :Comment soupçonner d’homicide un pareil

homme ? Voilà que la quatrième suspect de

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Belœil disparaissait à l’horizon.Pauvre Théo.

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VI

La découpure de journal

Il était sept heures du soir.Albert venait de donner congé à son neveu,

Hector Payette, et il était seul avec Belœil dans le cabinet de travail de Hervé Legris.

Il dit :– Le temps est venu de fouiller

minutieusement toute cette pièce.– Pour trouver quoi ?– De menues choses qui nous donneront une

idée de la double personnalité du mort.– Double personnalité ?– Oui, car si Hervé Legris était un don Juan

expert, c’était aussi un savant en peinture. C’est ce dernier aspect de son caractère que je voudrais

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connaître.Il regarda autour de lui dans la pièce.– Tiens, dit-il commençons par ce classeur.

Théo, consulte la lettre « T ».– Pourquoi ?– Pour Tableau. Moi, je consulterai « P » pour

peinture.Ce fut le détective privé qui fit la première

découverte.Il poussa une exclamation.Belœil demanda :– Qu’y a-t-il ?– Écoute.Il lut la découpure de journal suivante :

« DES COPIES DES SEPT ŒUVRES DE SAMUEL DE CHAMPLAIN. New York 1er sept. 1945 (U.P.) – Bob Gerrard, expert en peintures de vieux maîtres, vient d’annoncer qu’il a acquis de remarquables copies des sept tableaux fameux de sauvages

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peints par Samuel de Champlain, fondateur de la vieille cité de Québec sise sur le célèbre promontoire du Cap Diamant.

On sait que... »

Ici l’article de journal avait été déchiré.Volontairement ?Brien n’en savait rien.Mais il connaissait un moyen infaillible de

l’apprendre.Il dit à Belœil :– Attends-moi ici. Pendant mon absence tu

continueras tes recherches.– Où vas-tu ?– Je te le dirai à mon retour.Il sortit, sauta dans sa voiture et prit le chemin

de la côte Sainte-Catherine.Le détective tourna à gauche à Laurier puis à

droite sur l’avenue du Parc qu’il descendit, longeant le parc Jeanne-Mance et le Mont-Royal

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pour prendre la rue Sherbrooke et se diriger vers l’est.

Après avoir traversé la rue Amherst il modéra son allure et arrêta en face d’un imposant édifice de pierre blanchâtre orné de colonnes grecques de style ionien.

De l’autre côté de la rue il pouvait voir l’immense parc Lafontaine et son étang fameux qui faisait paresseusement ses méandres.

Brien entra à la bibliothèque municipale.Il se dirigea vers la grande salle de lecture.– Voulez-vous m’apporter la PRESSE du 1er

septembre ? demanda-t-il.Quand il l’eut il se mit à la feuilleter.Il n’eut pas de misère à trouver ce qu’il

cherchait.Il relut l’article qui avait été partiellement

découpé par le mort.Puis il arriva à la partie qui manquait :

« ... Cap Diamant.

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« On sait que les peintures en question ont été découvertes par le plus grand des hasards rue Saint-Louis, à Québec, il y a environ 5 ans.

« Questionné au sujet de la provenance des copies, M. Gerrard a dit malicieusement qu’elles avaient été peintes par un artiste célèbre qui désirait conserver l’anonymat.

« Les tableaux sont actuellement exposés au studio Gerrard, sur la 5e avenue. »

Quand Albert sortit de la bibliothèque municipale il traversa la rue et prit jusqu’à la rue Rachel la petite route qui longe l’étang du parc Lafontaine.

Quand il vit la fontaine lumineuse faire jaillir soudain ses feux multicolores, il pensa que la guerre avec le Japon était finie depuis plus de 15 jours déjà, et il alluma ses phares.

Rendu dans le cabinet de travail du mort il s’empara de l’acoustique du téléphone et signala 110.

Puis il dit :

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– Je veux parler à Bob Gerrard, marchand de vieux tableaux, 5e avenue à New-York.

– Oh, la, la, fit Belœil, pour une fois je t’ai, Albert.

– Que veux-tu dire ?– Appelle si tu veux, mais Bob Gerrard ne te

répondra point.– -Non ? Pourquoi ?– Parce qu’il n’est pas à New-York.– Où est-il alors ?– À Montréal.– À Montréal ! Comment le sais-tu ?Théo jouissait visiblement de sa supériorité

momentanée sur le détective national des Canadiens-français.

Il dit :– Le médecin légiste vient de faire l’autopsie

du cadavre.– Ne me dis pas qu’il a trouvé le

renseignement que tu viens de me fournir, dans

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les entrailles du mort.– Non, mais dans sa main.La figure de Brien prit un air de surprise.– Comment ça ?– C’est simple. Legris avait la main droite

fermée. Le médecin légiste la lui ouvrit et un morceau de papier tomba ,tout froissé, par terre. Il le ramassa, le défripa, le lut et me téléphona son contenu.

– Qu’est-ce ?– C’était un mémo écrit par le mort. Il se.

lisait :NE PAS OUBLIER : INTERVIEW AVEC GERRARD À NEUF

HEURES CE SOIR.Brien remarqua en souriant :– Ainsi est enfin solutionné le mystère de tes

profondes connaissances, mon vieux Théo.Il consulta sa montre :– Dans une minute il sera 9 heures. Notre

visiteur ne saurait tarder à venir, dit-il.

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À ce moment même on frappa à la porte.Belœil répéta le vieux dicton canadien :– En parlant de la bête on lui voit la tête.– Va ouvrir.L’homme qui parut était le type classique du

yankee à lorgnons, du yankee vantard mais qui sait justifier son bluff.

Voyant deux hommes qu’il ne connaissait point, il s’excusa :

– Je vous demande pardon, je crois que je me trompe de porte.

Brien dit :– Vous êtes ici chez le professeur Legris.– Alors, fit le yankee, me serait-il permis de

lui parler ?– Vous pouvez lui parler tant que vous

voudrez, mais il ne vous répondra pas.– Ainsi je ne puis pas le voir ?– Mais oui, mais oui, mais pas ici.– Où donc ?

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Brien dit négligemment :– À la morgue.Bob Gerrard faillit perdre patience :– Quelle est cette comédie ?– Parlez plutôt de tragédie, mon ami.– De tragédie ?– Oui, ne vous ai-je pas dit que Legris était à

la morgue ?Le yankee avait enfin compris :– Ah, il est... dit-il.– Mort, oui.Belœil ajouta :– Assassiné.Brien demanda :– Depuis quand êtes-vous à Montréal ?– Je suis arrivé à la gare Windsor à 1.10 heure

cet après-midi.Théo et Albert se regardèrent. Gerrard était

arrivé assez tôt pour pouvoir commettre le crime.

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Le gros détective provincial ouvrit la bouche pour parler, mais Brien lui fit signe de se taire.

Il questionna lui-même l’Américain :– Vous avez un studio 5e avenue, dans la

métropole de votre pays ?– Oui, mais comment savez-vous ?– Peu importe... C’est vous qui avez acheté les

copies des œuvres de Champlain ?– Oui encore, mais...– Saviez-vous que les œuvres originales

avaient été déclarées authentiques il y a 5 ans par le mort ?

– Oui, justement. C’était pour cela que je venais le voir.

– Ah, ah, et à quel sujet en particulier ?– Vous avez entendu parler du professeur

McIntosh ?– Non, mais je le soupçonne d’être un autre

expert en peinture.– En effet.

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– Alors ?– McIntosh est le plus grand détecteur de faux

de notre métropole américaine. Il est venu hier soir voir mes supposées copies et il a déclaré que ce n’étaient pas des copies mais bel et bien des originaux. Je savais que Legris avait gratté un pouce carré de la peinture d’un des tableaux afin de soumettre cette peinture à l’épreuve de l’alcool...

– ... il y a cinq ans ?– Oui, et je voulais savoir de lui lequel des

tableaux il avait ainsi gratté.– Il y en a un qui est gratté parmi vos

supposées copies ?– Oui ; si Legris avait pu localiser et identifier

son travail de grattage, c’aurait été une assurance de plus pour moi de l’originalité des peintures.

Gerrard ajouta :– Vous comprenez que l’affaire en vaut la

peine pour moi, car si les tableaux de sauvages sont authentiques, il y a un profit de plus de cent mille piastres.

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– Tant que ça ?– Oui.Négligemment Brien remarqua :– J’ai lu l’interview que vous avez donnée aux

journalistes de New-York.– Ah ...– Vous avez refusé de dévoiler l’identité de

l’artiste qui était supposé avoir peint les copies. Mais vous avez conté un petit mensonge, monsieur Gerrard ; car s’il n’y a pas de copies mais des originaux, il n’y a donc point d’artiste copieur.

– En effet vous avez raison.Albert reprit :– S’il n’y a pas d’artiste, il y a un vendeur ; car

ces tableaux ne vous sont pas tombés de la lune ; vous les avez achetés de quelqu’un ?

– Certainement.– Voulez-vous nous dire son nom ?– Mais oui.

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– Qui est-ce ?– Un monsieur Ouimet.– Son nom de baptême ?– Honoré, mais tout le monde l’appelle Nérée.– La spécialité de Nérée Ouimet est d’acheter

et de revendre des vieux tableaux ?– Oh, pas seulement des vieux tableaux,

répondit le yankee ; mais toutes sortes de meubles antiques.

– Où a-t-il sa place d’affaires ?– Rue Sherbrooke.Il ajouta le numéro de rue dans l’Ouest de la

ville.Brien dit :– Merci de vos renseignements, monsieur

Gerrard, vous pouvez vous retirer à votre hôtel, mais je vous prie de ne pas quitter Montréal tant que je ne vous dirai pas que c’est O.K. Promis ?

– Promis.

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VII

Le second crime

Brien dit à Belœil :– Pendant que je vais réfléchir et décider quel

sera notre prochaine démarche, Théo, téléphone donc à ce Ouimet et dis-lui de se rendre ici immédiatement.

Albert se plongea dans ses pensées et le détective provincial s’empara du téléphone.

Il parla, puis après avoir reposé l’acoustique sur son berceau il dit à son compagnon :

– C’est la femme de Nérée Ouimet qui m’a répondu. Elle dit que son mari n’est pas chez-lui. Il est sorti par affaires.

À ce moment le détective privé s’écria :– Je suis un imbécile.

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Belœil éclata de rire :– Ça fait changement, dit-il, pour une fois ce

n’est pas moi l’idiot.– Tu es imbécile comme moi.– Comment ça ?– L’histoire de Gerrard ne tient pas debout. Je

ne me pardonne point de ne pas m’en être aperçu tout de suite.

– Pourtant elle me semble plausible à moi.– Plausible ? Oh, la, la... Son mensonge

flagrant aurait dû m’ouvrir les yeux.– Quel mensonge ?– N’a-t-il pas prétendu devant les reporters

new-yorkais que c’était un artiste célèbre qui avait peint les copies alors qu’il n’y avait ni artiste ni copies ?

– Tiens, c’est pourtant vrai.Brien reprit :– Généralement un acheteur de vieux tableaux

de maîtres se fait bourrer ; on lui vend des copies pour des originaux ; mais a-t-on déjà vu des

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originaux vendus pour des copies ? Non, mille fois, non ; ça n’a pas plus de bon sens que Churchill jouant au hockey pour le Canadien, entrant un point que laisserait passer le gardien de buts Chan kai shek.

– Je comprends. Albert s’exclama :– Il y a plus, Théo.– Quoi donc ?– Il y a un non-sens encore plus grand.– Ah, lequel ?– C’est qu’un expert se soit bourré, se soit

refait lui-même en vendant pour quelques centaines de piastres seulement 7 tableaux qui en valent au bas mot cent mille.

Belœil se donna une tape retentissante sur la cuisse :

– Sapristi, tu as raison, Albert.Le détective privé se lamenta :– Et dire que nous avons laissé aller l’assassin.

Il y a plus ; nous ne lui avons même pas demandé à quel hôtel il était descendu.

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– C’est vrai, nous en perdons, Albert.– Eh bien, Théo, qu’attends-tu ?Belœil demanda :– Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?– Mais téléphone à tous les hôtels et localise

Gerrard l’assassin.Le détective provincial obéit.Il appela...Le Windsor...Le Mont-Royal...Le Ritz Carlton...Le La Salle...Le Papineau...Le de Lorimier...Enfin la téléphoniste au de Lorimier lui

répondit que monsieur Bob Gerrard occupait la chambre 200.

– Est-il là ? demanda-t-il.Après un silence d’une couple de minutes elle

dit :

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– On ne répond pas.Brien s’écria :– Je laisse ma voiture ici ; vite sautons dans la

tienne et, presto, à 80 m. à l’heure, à l’hôtel de Lorimier, mon vieux.

L’ascenseur les conduisit rapidement au 2e

étage de l’hôtel. La chambre 200 était au bout du corridor à droite.

Ce fut Belœil qui frappa à la porte.Ils attendirent.Pas de réponse.– As-tu ton trousseau de clefs squelettiques,

Théo ?– Oui.– Ouvre donc.– Mais je n’en ai pas le droit légal ; il me

faudrait un mandat de perquisition.Brien ricana :– Et pendant que tu vas aller chercher le

mandat notre meurtrier s’évadera.

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Belœil sortit ses clefs-squelettes et ouvrit.Mais il n’y avait pas l’ombre d’un danger que

Gerrard prit la fuite. Il gisait sur le tapis de la chambre, les yeux grands ouverts et fixes, les jambes et les bras écartés, mort.

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VIII

Un nouveau suspect

Belœil affirma :– Nous avons notre assassin ; son suicide est

la preuve de sa culpabilité.– Son suicide ! s’écria Brien. S’il s’est suicidé

va donc me chercher le revolver près de lui.– Oui diot, car quand un homme se tire une

balle dans la tête il n’a pas le temps avant de mourir, de se débarrasser de son arme. Or comme nous ne voyons de pistolet nulle part...

– Tu as raison, Brien, comme d’habitude d’ailleurs ; Bob Gerrard ne s’est pas suicidé.

D’où un bambin conclurait, comme il a un trou de balle en plein front qu’il a été assassiné.

Belœil demanda :

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– Par qui ? voilà la question.– Par l’assassin de Hervé Legris, voilà la

réponse.– Alors Gerrard n’a pas tué Legris ?Brien remarqua :– Je le croyais coupable, mais son meurtre me

prouve le contraire.– Comment ça ?– Qui l’aurait tué sinon l’assassin du don Juan

professeur ?– Quelle sera notre prochaine démarche ?Brien se passa la main sur le front :– C’est ça, dit-il à la fin, j’ai besoin de deux

heures de réflexion tout au plus. Au bout de ces 120 minutes je te promets de te désigner l’assassin.

– Et que ferai-je pendant ce temps ?– Tu vas aller chercher Nérée Ouimet, rue

Sherbrooke.– Qu’en ferai-je ?

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– Ce que tu voudras d’ici deux heures. Après tu mèneras ce Ouimet ici même ; entendu ?

– Entendu.Brien s’écria :– Ah, j’oubliais.– Quoi donc ?– Dans une heure appelle-moi et je te dirai de

quelles autres personnes j’ai besoin ici.– Très bien.Le détective national des Canadiens-français

s’installa confortablement dans un fauteuil, s’allongea les jambes et se ferma les yeux.

Son travail maintenant allait être purement de déduction.

Il savait qu’il avait en main tout le matériel nécessaire à la reconstruction du crime.

Tout ce qu’il avait à faire c’était de bâtir en son esprit avec les éléments qu’il possédait la première puis la seconde scène du drame sanguinaire.

– Bonsoir, Albert.

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– Fiche-moi donc la paix et sacre ton camp.

*

Nous allons, ami lecteur, laisser si vous le voulez bien, le génial détective privé à ses réflexions et nous suivrons Belœil.

Le gros Théo se rendit directement rue Sherbrooke.

Il sonna à la porte de Nérée Ouimet.Un homme vint ouvrir, un homme de

moyenne taille, mince, bas sur pattes et à la figure insignifiante.

– Pour vous, monsieur ? demanda-t-il.– Je voudrais parler à Nérée Ouimet.– C’est moi-même.Poli pour une fois, Belœil demanda :– Puis-je entrer ?– Mais oui, faites.Il s’écarta pour laisser passer le policier et le

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fit asseoir dans un petit cabinet encombré de vieilleries.

Ouimet demanda :– Puis-je savoir l’objet de votre visite ?– Naturellement. Vous connaissez Hervé

Legris ?– Le professeur de peinture à l’Université ?– Oui.– Si je le connais ... mais oui, puisque nous

nous intéressons tous deux aux peintures des vieux maîtres.

Théo poursuivit son interrogatoire :– Vous connaissez aussi Bob Gerrard, de

New-York.– Évidemment, nous sommes dans la même

ligne. Nous commerçons et faisons fréquemment des échanges ensemble.

Dramatique le gros Théo dit :– Eh bien, Gerrard est mort.– Ah...

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– Assassiné.Ouimet ne broncha pas.Toujours dramatique le détective ajouta :– Legris est mort aussi.– Assassiné ?– Comment le savez-vous ?– Je ne le sais pas ; je vous le demande.– Eh bien, la réponse est affirmative. Ouimet

dit en souriant :– Vous, mon ami, je gage que vous êtes de la

police.– Gagez, gagez...– Je vais gagner ?– Oui.L’antiquaire dit :– Naturellement la police vient me voir parce

que je connaissais Legris et Gerrard.– Vous avez raison.Belœil reprit :

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– Connaissiez-vous des ennemis à ces deux victimes ?

– À prime abord non.Théo changea de sujet :– Vous connaissez les 7 tableaux de

Champlain ?– Évidemment puisque je les ai achetés et

revendus à Gerrard.– Et qui vous les avait vendus à vous ?– Hervé Legris.Belœil sursauta :– Ainsi notre première victime était un

escroc ?– Un escroc, s’écria l’antiquaire d’un air

surpris.– Oui, combien vous a-t-il vendu ces

supposées copies ?– $100 chacune.Théo affirma :– Un escroc et un imbécile. Car ce ne sont pas

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des copies qu’il vous a vendues, monsieur Ouimet, mais les originaux de Samuel de Çhamplain.

– Ah, mais c’est incroyable.– Comment ne vous êtes-vous pas aperçu que

c’était l’œuvre même et non sa reproduction ?– Écoutez, détective, quand un antiquaire

achète un original il en fait faire une expertise minutieuse afin de s’assurer de son authenticité. Mais il n’est pas du tout porté à douter de la parole de celui qui avoue que ce qu’il veut vendre n’est qu’une copie...

Belœil condescendit à déclarer :– C’est vrai, vous avez raison.Il consulta sa montre.Une heure s’était passée.Il appela Albert.Celui-ci lui dit :– Où es-tu ?– Chez M. Ouimet.

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– Il est là ?– Oui.– Amène-le ici.– Tout de suite ?– Oui, mes réflexions ont accouché de la

solution.– De la solution finale ?– Oui.– Vais-je amener d’autres personnages de ce

que je baptiserai pour le bénéfice des reporters, le drame de l’Université ?...

– Non, imbécile, viens.Pendant que le gros Théo sortait avec

l’antiquaire, à l’hôtel de Lorimier, dans la chambre 200, le détective national des Canadiens-français regardait le cadavre et se frottait les mains de satisfaction.

Une autre cause célèbre était sur le point de trouver sa solution grâce à lui.

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IX

L’assassin...

Brien, Belœil et Ouimet étaient réunis dans la Chambre 200 de l’hôtel de Lorimier.

Le détective privé dit :– Théo, il est bon d’éparpiller ses soupçons au

début d’une enquête policière, mais il faut peu à peu réduire le nombre des suspects jusqu’à ce qu’on en arrive à l’unité.

– Et en es-tu arrivé là ?– Oui.– Tu connais le coupable ?– Certainement.– Alors nomme-le que j’aille l’arrêter.Albert eut un sourire moqueur :

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– Tu seras bien toujours la même buse, mon gros. Cependant je vais te donner encore une chance.

– Une chance ?...– Oui, celle de te servir pour une fois de ton

intelligence et de ton jugement pour désigner toi-même l’assassin.

– Comment feras-tu ça ?– En repassant avec toi la cause point par

point.Il commença :– Ton premier suspect était ridicule. Pense

donc, mon neveu propre, Hector Payette, le fils de ma sœur aînée.

Belœil protesta :– Je ne le soupçonnais pas réellement ; si je

l’ai accusé ce n’était que pour mieux le pomper.– Oui, le fameux 3e degré ; quand la police

officielle ne sait rien, elle fesse, fesse, pensant tirer à force de coups de matraques la vérité d’un détenu, comme si on pouvait tirer du sang d’une

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betterave.Albert reprit :– Je passe à ton second suspect qui était une

suspecte : Hermione Bibeau.– Admets que...– En effet j’admets que Hermione avait le

motif pour se débarrasser de Legris qui l’achalait et était un peu trop colle forte. Elle avait aussi eu l’occasion de commettre le crime, ayant été payer une visite qui dut être orageuse à la victime.

– Ainsi ce n’est pas elle qui...– Non, elle est innocente.– Mais son mari ?– Armand Bibeau avait une raison, une raison

que je dirai même justificative de tuer Legris : la jalousie d’un cocu qui découvre le cocufiage. Mais...

– Comment ? Il est innocent lui aussi ?– Parfaitement.– Et le distrait Chomédy ?

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Brien éclata de rire :– Chomédy est si distrait, dit-il, qu’il aurait pu

tout aussi bien tuer son Onésiphore que celui qui avait fait la honte de sa fille.

– Alors la porte de communication entre les deux salles de toilette ?

– Fausse piste.– L’assassin n’est pas passé par cette porte ?– Non.– Alors ?Brien observa un long silence.Belœil dit :– Et Bob Gerrard ?– Bob Gerrard est ou plutôt était un escroc,

mais ce n’est pas un assassin.– Non ?– Non.Belœil leva les bras au ciel :– Sapristi, s’écria-t-il, j’en vends ma langue

aux chats ; dis-moi donc quel est le meurtrier ?

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– Lui ! ! !Le détective national des Canadiens-français

désignait Nérée Ouimet, le marchand d’antiquités.

Celui-ci bondit.Il porta la main à sa poche et sortit un

revolver.Un coup de feu retentit.Mais ce n’était pas Ouimet qui avait tiré.C’était Brien.Le détective privé était un as de la vitesse et

de la justesse au tir.Malgré son poids Théo n’était pas non plus un

manchot dans ce domaine.Albert avait visé et attrapé l’arme de Ouimet.

Elle venait à peine de tomber par terre que Belœil lui avait passé les menottes.

Il se pencha ensuite et lui mit les fers aux pieds.

Puis en se relevant il avoua :

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– Je ne comprends rien.– C’est là d’ailleurs une vieille habitude chez

toi.– Comment en es-tu venu à la conclusion que

Ouimet était notre assassin ?Brien expliqua :– Lorsque j’eus éliminé les deux Bibeau

comme suspects je pensai à quelque chose. Nous nagions en pleine peinture artistique. La victime, Chomédy, mon neveu, étaient des experts et un étudiant en peinture. De plus les 7 tableaux de Champlain apparurent sur la scène. Je me doutai que le mobile du crime était la peinture.

– Comment ça ?– Pendant les deux heures de répit que je t’ai

demandées j’ai assemblé les pièces éparses du casse-tête. Je vais les mettre de nouveau à leur place une par une pour ton bénéfice.

Albert commença :– Il y a 5 ans...– Tu remontes au déluge.

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Le détective privé dédaigna l’interruption.Il continua :– Il y a 5 ans, on découvrit les 7 fameux

tableaux.– Oui, dit Belœil, Legris les expertisa et les

déclara authentiques. L’étaient-ils ?– Naturellement, idiot. Et le millionnaire

Bibeau les acheta à prix d’or et les donna au musée de l’Université. C’est bien ça ?

– Oui.– Ils furent placés dans le musée... Peu à peu

une pensée criminelle se fit jour dans l’esprit de Legris. Cette pensée devint un désir auquel il succomba ; il fit faire des copies habiles des 7 tableaux et, comme il avait ses entrées libres au musée, ce fut pour lui une tâche enfantine que de décrocher les peintures authentiques et les remplacer par les copies.

– Ah, ah ; et ensuite ?– Il s’aboucha avec Nérée Ouimet.– Ainsi Ouimet était au courant ?

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– Mais naturellement, il était du complot.– Et Bob Gerrard ?– Gerrard fut approché par Ouimet et il entra

lui aussi dans la gammique. Ils devaient diviser les profits après la découverte sensationnelle de l’authenticité des supposées « copies ».

Belœil objecta :– Mais puisque Legris avait authentiqué les

tableaux à leur découverte à Québec, comment allait-il se défendre maintenant que les supposés tableaux du musée n’étaient plus que de copies ?

Brien répondit :– Facile, mon vieux, très facile. Il n’y a que les

fous qui ne se trompent pas. Il allait avouer candidement avoir fait erreur.

– Je comprends, mais pourquoi Ouimet a-t-il assassiné Legris ?

– Et Gerrard aussi. Eh bien il a tué Legris parce que celui-ci voulait garder tout l’argent pour lui.

– Hein ?

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– L’argent est un puissant mobile de crime.– Je sais.Théo interrogea :– Mais pourquoi vient-il aussi de tuer

Gerrard ?– Ici le mobile est double : Ouimet avait peur

que, questionné par nous, Gerrard ne parle et ne le fasse passer pour l’escroc qu’il est. Premier mobile. Voici le second : Legris et Gerrard disparus, au lieu d’avoir le tiers du magot il l’avait en entier.

Belœil demanda :– Mais dis-moi, Albert, pourquoi Gerrard est-

il venu à Montréal ?– Legris l’avait averti qu’il n’aurait pas un

seul sou, d’aller au diable ; Gerrard venait pour chanter des bêtises à la première victime. Tu comprends bien tout maintenant, Théo ?

– Oui.– Eh bien, c’est ta preuve, c’est ta cause, mon

vieux.

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Le détective national des Canadiens-français ajouta dans un sourire :

– Eh bien, mon gros et vieil ami, je pars avec ton humilité...

– Mon humilité ?– Oui, tu peux reprendre ton orgueil, te rendre

dans le bureau de ton chef, convoquer les journalistes, de sorte que ce matin le Canada et la Gazette annonceront que Théo Belœil, le fin limier, a solutionné une des énigmes policières les plus épineuses de l’année.

Moqueusement Brien ajouta :– Va, mon Théo ; à toi la gloire ; à moi

l’humble satisfaction du devoir accompli.Le détective privé reprit :– Cyrano de Bergerac dînait d’un raisin et

d’un baiser. Laisse faire, je donnerai le baiser moi-même à ma femme ; mais tu peux acheter une bonbonnière à Rosette et des suçons à mon petit Toto.

– O.K. boss.

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Cet ouvrage est le 616e publiédans la collection Littérature québécoise

par la Bibliothèque électronique du Québec.

La Bibliothèque électronique du Québecest la propriété exclusive de

Jean-Yves Dupuis.

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