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UN COACH POUR BATTRE LA MESURE ? La rationalisation des temporalités de travail des managers par la discipline de soi Scarlett Salman S.A.C. | Revue d'anthropologie des connaissances 2014/1 - Vol. 8, n° 1 pages 97 à 122 ISSN 1760-5393 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2014-1-page-97.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Salman Scarlett, « Un coach pour battre la mesure ? » La rationalisation des temporalités de travail des managers par la discipline de soi, Revue d'anthropologie des connaissances, 2014/1 Vol. 8, n° 1, p. 97-122. DOI : 10.3917/rac.022.0097 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.A.C.. © S.A.C.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 02/04/2014 10h14. © S.A.C. Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 02/04/2014 10h14. © S.A.C.

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UN COACH POUR BATTRE LA MESURE ?La rationalisation des temporalités de travail des managers par la discipline de soiScarlett Salman S.A.C. | Revue d'anthropologie des connaissances 2014/1 - Vol. 8, n° 1pages 97 à 122

ISSN 1760-5393

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Salman Scarlett, « Un coach pour battre la mesure ? » La rationalisation des temporalités de travail des managers par

la discipline de soi,

Revue d'anthropologie des connaissances, 2014/1 Vol. 8, n° 1, p. 97-122. DOI : 10.3917/rac.022.0097

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Dossier « À la recherche Du métronome invisible Des organisations »

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La rationalisation des temporalités de travail des managers par la discipline de soi

scarlett SALMAN

RÉSUMÉ

Cet article prend pour objet les temporalités de travail telles qu’elles sont exposées par trois managers dans le huis clos de séances de coaching individuel, dispositif adossé à des techniques psychologiques qui leur a été prescrit par leur entreprise. Se dégagent trois figures prises par leur temps au travail : un temps réduit au présent, voire à l’instant ; un temps fragmenté ; enfin, un trop-plein, un temps qui déborde. Le coaching se présente comme une réponse néomanagériale mise en place par les organisations pour aider leurs cadres supérieurs à mieux gérer la complexité et la diversité des situations professionnelles, dont relèvent les enchevêtrements, voire les contradictions, entre les différentes temporalités dans l’activité de travail. Or, à rebours du nouvel esprit du capitalisme, le coaching tend, dans les faits, à étendre les limites de la planification et à réaffirmer des normes sociales inverses à la société connexionniste. Sont en effet préconisées une focalisation de l’attention, mais aussi ce que nous appelons une hygiène des territoires, à savoir une répartition des tâches la plus stricte et la plus étanche possible et la réaffirmation d’une frontière vie privée/vie professionnelle.

Mots clefs  : coaching, entreprise, temporalités de travail, managers, dispersion au travail, psychologisation, planification, hygiène des territoires/hygiène psychique, cité par projets/cité industrielle

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INTRODUCTION

Comme l’ont rappelé G.  de  Terssac et J.  Thoemmes (2006), le temps est orienté dans le travail vers une rationalité calculatrice (Thrift, 1981). Les cadres qui ont une responsabilité d’encadrement, qu’on désignera comme des managers ou des encadrants (Mispelblom-Beyer, 2006), sont particulièrement confrontés à la question de l’organisation de leur temps au travail : leur statut leur confère un pouvoir de gestion de leurs temporalités et une autonomie (Boltanski, 1982) à laquelle ils sont attachés, qui sont, cependant, limités et contraints de facto par leurs responsabilités et la spécificité de leur activité. Cette dernière est, en effet, caractérisée par la « fragmentation »1 (Mintzberg, 1973, 1984) et par la « polyactivité » (Benguigui et al., 1978 ; Cousin, 2008). Des études plus ethnographiques mettent au cœur de l’activité du manager les « situations dispersives » (Datchary, 2005, 2011) tandis que d’autres parlent de «  temporalités professionnelles “parasitées”  » (Thoemmes et al., 2011). Les transformations de l’organisation de la production (Vatin, 1987  ; Coriat, 1991), l’introduction massive des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et l’évolution des normes managériales comme la montée de l’organisation par projet ont contribué à exacerber ces caractéristiques de l’activité des managers (Datchary & Licoppe, 2007). Ainsi, pris entre les prescriptions du plan et les aléas du terrain, le manager constitue un bon exemple pour analyser le « travail d’articulation temporelle » à l’œuvre dans les activités productives contemporaines.

Or les organisations tentent de mettre en place des dispositifs pour former leurs cadres à la gestion de ces situations professionnelles complexes, notamment en vue de rendre plus compatibles les temporalités organisationnelles, collectives et individuelles qui s’enchevêtrent dans l’activité de travail. L’un de ces dispositifs est le coaching individuel, prestation de service introduite en France dans les années 1990, en partie importée des États-Unis, et régulièrement utilisée par les grandes entreprises pour certains cadres supérieurs et dirigeants depuis le début des années 2000. Consistant en une dizaine d’entretiens individuels, confidentiels et réguliers, entre un cadre et un consultant coach, la prestation a pour but «  l’accompagnement de personnes pour le développement de leurs potentiels et de leurs savoir-faire, dans le cadre d’objectifs professionnels  »2. Les thèmes abordés sont multiples (relations interpersonnelles au travail, « savoir-être », carrière…), mais la question de la « gestion du temps » y figure en bonne place, dans la continuité des stages de formation et de la littérature managériale, précisément parce qu’elle fait partie des préoccupations centrales des managers et des injonctions organisationnelles à l’augmentation de l’efficacité dans un temps réduit. Bien que ce dispositif soit souvent « prescrit » – selon le terme en

1 Par convention, les expressions entre guillemets sans italique sont celles des auteurs mobilisés, tandis que les propos entre guillemets et en italique sont ceux des acteurs étudiés. Les expressions sans guillemets et en italique correspondent à nos propres notions.2 Selon la définition de la Société Française de Coaching.

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vigueur – par leur supérieur hiérarchique ou par un gestionnaire des ressources humaines, il semble toutefois apprécié des cadres, en ce qu’il représente un support de réflexivité professionnelle, notamment temporelle. Ouvrir la boîte noire de ce dispositif managérial individuel et personnalisé permet de poursuivre l’analyse des temporalités de travail des encadrants et des appuis qui leur sont proposés par l’organisation. Il s’agit d’abord de donner à voir le rapport des managers aux temporalités, les attentes normatives qui pèsent sur eux, ainsi que les techniques de « gestion du temps » que leur proposent les coachs, et ce qu’ils en font.

La pratique professionnelle des coachs repose sur des méthodes psychologiques relevant du «  développement personnel  », courant qui vise l’accroissement des potentialités individuelles par une meilleure connaissance de soi (Brunel, 2004  ; Stevens, 2005). Si les techniques de gestion du temps proposées par les coachs doivent être distinguées des modes opératoires du coaching, le prisme par lequel elles sont présentées aux cadres n’est pas neutre. Ainsi, on peut se demander pourquoi des méthodes reposant sur des savoirs psychologiques sont mobilisées en entreprise pour aider les cadres à mieux « gérer » leurs temporalités de travail. Quel est l’intérêt, en matière d’articulation temporelle, de ce type d’intervention reposant sur des connaissances psychologiques ?

Le coaching met l’accent sur une gestion individualisée et personnelle des temporalités de travail. Il renvoie les individus à leurs valeurs, à leur personnalité. Une hypothèse serait de considérer que la gestion du temps en milieu organisé serait affaire de créativité individuelle, de flexibilité, d’adaptabilité aux circonstances. La recherche d’un métronome des organisations serait ici vaine, car le travail des managers serait fait de projets et de connexions qui réclameraient une souplesse d’adaptation et une disponibilité constantes. C’est l’hypothèse qui se dégage des écrits de la littérature néomanagériale, dont le coach est l’une des figures emblématiques. Au contraire, la thèse de notre article, qui repose sur une enquête approfondie sur la genèse et les usages du coaching en entreprise (cf.  encadré méthodologique), est que ce dispositif contribue à un surcroît de rationalisation et de planification du temps de travail. À rebours du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999), les appuis qu’il propose relèvent davantage d’un ordre de grandeur industrielle, au sens de Boltanski et Thévenot (1987). Pour aider les managers à mieux faire face à la gestion des aléas, les coachs cherchent à repousser les limites de ce qui est proprement incertain et imprévisible en planifiant tout ce qui est susceptible de l’être, y compris la place des aléas eux-mêmes et des « temps morts ». C’est une meilleure maîtrise du temps qui est visée. De plus, un « recentrage » du cadre sur son périmètre de travail est préconisé, tant en termes de tâches et de responsabilités qui lui incombent en propre qu’en termes spatio-temporels. Ce « recentrage » réaffirme des normes sociales comme la focalisation de l’attention ou encore la frontière vie privée/vie professionnelle, mises à l’épreuve dans les situations contemporaines de travail. Il s’agit d’une certaine manière de

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remettre les choses à leur place : à chacun sa tâche ; à chaque espace sa fonction. C’est pourquoi nous proposons de parler d’une hygiène des territoires, en nous inspirant de l’analyse de M. Douglas sur la souillure (1967). L’usage des méthodes psychologiques aurait alors une double visée : d’une part, inciter le manager à faire preuve de réflexivité sur sa propre activité de travail, parce qu’il serait le mieux placé pour percevoir comment articuler les différentes temporalités qui s’enchevêtrent, en rationalisant son temps et en tenant le cap des objectifs professionnels  ; d’autre part, envelopper des principes disciplinaires dans un langage psychologiste centré sur l’épanouissement de soi.

L’article commence par présenter les trois principaux enjeux en matière de temporalité auxquels sont confrontés les encadrants interrogés et à les resituer dans leur activité de travail. Il met ensuite en évidence le type de réponses proposé par le coaching, en se centrant sur les techniques de rationalisation du temps, tout en donnant à voir quelques-uns des modes opératoires des coachs.

Encadré méthodologique

Cet article s’appuie sur une enquête de sociologie sur le coaching en entre-prise en France dans les années 2000, menée dans le cadre d’une thèse de doc-torat (Salman, 2013). Celle-ci a d’abord consisté en un important volet quali-tatif  : une quarantaine d’entretiens approfondis avec des coachs, comportant une première partie biographique et une deuxième partie sur leur activité pro-fessionnelle et la présentation détaillée de cas réels de coachings  ; près de vingt entretiens avec des cadres coachés dans leur travail, également constitués d’une partie biographique permettant de retracer la carrière professionnelle du cadre et d’y situer le moment où il s’est fait coacher, ainsi qu’un récit détaillé des séances, des thèmes abordés (qui donnent à voir certains aspects de l’acti-vité concrète des cadres et des difficultés éprouvées), du traitement opéré par le coach, comme de ce qu’en a retiré le cadre ; enfin, une vingtaine d’entretiens avec des gestionnaires de ressources humaines. Pour mieux saisir de l’intérieur la pratique du coaching, tant du point de vue du prestataire que du « bénéfi-ciaire », trois observations participantes ont été réalisées : comme bénéficiaire d’un coaching, effectué avec une coach en formation, en face-à-face et par télé-phone, sur une année ; comme stagiaire dans deux formations au coaching, une universitaire française et une américaine privée. S’est ajouté un volet quantita-tif composé de deux questionnaires : l’un, sur le profil et l’activité des coachs, complété par une centaine d’adhérents de la Société Française de Coaching ; l’autre, sur les usages du coaching en entreprise, par plus de 200 adhérents de l’Association Nationale des Directeurs de Ressources Humaines.

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LES TEMPORALITÉS DE TRAVAIL DES CADRES AU PRISME DU COACHING

Nous choisissons de nous centrer ici sur le cas de trois encadrants, cadres de direction dans des entreprises de service de taille intermédiaire, qui ont porté la question des temporalités professionnelles au cœur de leur coaching et qui représentent trois situations de travail et de coaching contrastées.

Trois situations de travail et de coaching

Catherine3, 40-45 ans, est directrice du service clientèle d’une filiale de 250 salariés, spécialisée dans le commerce, d’une grande entreprise étrangère de cosmétiques. Son activité consiste essentiellement à encadrer deux équipes d’une trentaine de personnes, dont un centre d’appels, et à coordonner le traitement des commandes et des réclamations avec le service des transports. Elle doit aussi œuvrer à la réalisation de deux projets sur un horizon de trois ans, en partenariat avec les autres filiales. Catherine considère qu’elle manque de temps pour se consacrer pleinement à la gestion de ses équipes (animation, «  motivation  », formation des chefs d’équipe, anticipation des départs, etc.), qu’elle considère comme le cœur de son activité, à l’instar de nombreux encadrants (Cousin, 2008). Mais elle se plaint aussi de ce qu’elle voit comme des pertes de temps occasionnées par cette activité d’encadrement (devoir justifier l’organisation du travail et la répartition des postes, répondre aux plaintes des subordonnés, « recadrer leur comportement », etc.). Elle s’est vue proposer un coaching comme à tous les membres du nouveau comité de direction, sans motif particulier si ce n’est de poursuivre individuellement le travail entrepris lors d’un séminaire de cohésion de l’équipe dirigeante quelques semaines plus tôt. Cadre promue, avec une vingtaine d’années d’ancienneté dans l’entreprise, Catherine le perçoit positivement comme une formation managériale «  de plus », qui a l’avantage d’être personnalisée.

Marie, 35 ans, est DRH dans la même filiale que Catherine et, à ce titre, c’est elle qui a prescrit le dispositif à ses collègues du comité de direction, après avoir été elle-même coachée, pour des raisons de management de son équipe. En effet, sa manière d’encadrer le service des ressources humaines avait été mise en cause, précisément sur la question de l’articulation de sa temporalité individuelle avec les temporalités collectives. La gestion des embauches et des licenciements des employées de commerce souffrait d’un problème de coordination entre le service des ressources humaines et le service commercial. L’interprétation donnée par le consultant mandaté pour améliorer «  la communication » entre les deux services est qu’il s’agit d’un problème de « management », lié au « rapport au temps » de Marie, comme celle-ci l’explique :

3 L’identité des personnes a été modifiée afin de préserver leur anonymat.

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«  Donc une fois les assistantes du service commercial ne sont pas au courant que la fille (employée de commerce) devait se rendre à son entretien de licenciement, la fois d’après c’est nous (service des ressources humaines) qui sommes pas au courant de savoir si elle a ses billets d’avion […] Et à la suite de ça, on s’est rendu compte qu’il y avait un problème de communication, mais qu’était pas fondamental, mais qu’il y avait plus un problème de gestion d’équipe. C’est-à-dire que, moi, j’ai besoin de tout, mais à la dernière minute, donc forcément, pour le service commercial, c’est un peu compliqué, quoi. […] C’est-à-dire que, si l’entretien [de licenciement] est à 10 h, je vais demander le dossier à 9 h 58, pour le regarder avant que la personne n’arrive… Et donc, c’est ça qui créait effectivement des dysfonctionnements… »

Cette facette de son activité qui illustre les problèmes d’articulation temporelle est à l’origine du coaching de Marie. Son travail est également rythmé par sa participation aux comités d’entreprise. Ce sujet concentre une bonne partie des échanges avec le coach.

Enfin, Marc, 40-45 ans, est directeur régional dans une entreprise d’un peu plus de 1 000 salariés, spécialisée dans l’expertise assurantielle : avec 200 salariés sous sa responsabilité, répartis en une quinzaine de bureaux déployés sur un vaste territoire, il apparaît comme la figure typique du manager confronté au «  travail d’articulation  » (Strauss, 1992). Son activité principale consiste en effet à coordonner les différentes tâches et lignes de travail des bureaux, en leur sein et entre eux, en s’entretenant avec leurs responsables et en tentant de résoudre des problèmes de tout ordre (litige avec un client, problème d’organisation interne, etc.) : ce qu’il appelle « faire tourner la boutique ». Ensuite, il effectue une activité commerciale auprès de grands comptes – « donc ça, c’est tous les jours, en permanence » –, qu’il présente comme son principal « apport de business à la boîte ». Enfin, lui incombe la gestion des embauches et des départs des salariés. Son activité est encadrée par des objectifs chiffrés, directement fixés par le directeur général de la société. Il doit non seulement articuler les différentes activités des salariés, mais les siennes propres. Sa principale difficulté au quotidien est liée à l’espace géographique qu’il doit couvrir – « une région démentielle en termes de surface et très mal desservie » – qui le contraint à effectuer de nombreux déplacements  : «  tout l’art, c’est d’essayer de regrouper plusieurs choses en même temps, c’est-à-dire d’aller voir un bureau, d’aller voir un client et puis d’aller voir un autre bureau, quoi, voilà ». C’est à la suite d’une année qu’il juge éprouvante, où son périmètre d’action s’est agrandi, que son directeur général et la DRH lui proposent un coaching au motif qu’il a « besoin d’être structuré ».

La comparaison de ces trois cas fait émerger trois défis principaux dans le travail des managers, qui correspondent à trois figures que prend leur temps au travail  : le sentiment d’urgence et d’un présent omniprésent qui rendrait impossible l’anticipation à moyen et à long terme  ; un temps fragmenté qui empêcherait de se concentrer sur une tâche précise  ; enfin, un trop-plein, un temps qui déborde et noierait le cadre. Les trois aspects se combinent et contribuent les uns aux autres.

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Urgence, dispersion, surcharge : trois défis temporels des managers

Le constat largement partagé par les managers4 est celui d’une pression de l’instant, comme le développe longuement Marc :

« Parce qu’en fait, la vie telle qu’elle est aujourd’hui – enfin en tout cas la mienne telle que je la vois – nous pousse à nous enfermer dans l’instant quoi, en fait. C’est-à-dire qu’on est toujours en train de répondre à un mail qui vient d’arriver, il faut y répondre dans le quart d’heure qui suit, sinon on est un vilain petit garçon. […] Enfin, on ne fait pas de travail de fond quoi. Et ça c’est vrai, en plus c’est un vrai problème ! Et je vois parce que professionnellement, c’est vrai aussi, enfin dans le métier d’expertise, vous faites un travail de surface en fait. On ne réfléchit plus. On réagit, en fait. […] donc, c’est vrai que essayer de se battre un peu sur la qualité de fond, sur le temps de la réflexion, essayer de travailler dans le temps, redonner en fait à un système qui étouffe dans les minutes qui passent, c’est essayer de redonner des heures, des mois, des années et de faire un travail avec cette échelle de temps, c’est quelque chose qui est vraiment, pour moi enfin, un challenge que j’aimerais relever quoi ! […] Mais c’est difficile parce qu’on est vraiment dans un système aujourd’hui qui est d’immédiateté, donc il faut des résultats tout de suite. »

Marc souligne que la temporalité du manager est d’abord celle du présent et de l’instant, que symbolise par excellence le courrier électronique. Les cadres, particulièrement ceux qui ont des responsabilités d’encadrement, reçoivent de nombreux messages électroniques (une centaine par jour en moyenne) (Cousin, 2008 ; Mispelblom-Beyer, 2006). Outre la charge de travail que leur traitement suppose – environ deux heures par jour selon Cousin (2008)  –, les courriels, cette « présence obstinée préoccupante » (Datchary & Licoppe, 2007), contraignent à une réactivité qui entre en conflit avec la part planifiée de l’activité, laquelle réclame une temporalité plus longue. Cette tension entre plan et réactivité est au cœur du travail du manager selon C. Datchary (2011, p. 76) : « courroie de transmission entre l’organisation et le salarié, il doit gérer les décalages entre le plan dans ce qu’il a de plus prescriptif et la variabilité du terrain ». La réactivité exigée dans le travail du manager devient un problème quand elle empêche de mener à bien des actions de long terme – d’une certaine manière quand elle empêche le travail au sens où G. de Terssac le définit  : s’engager «  à en assurer la continuité malgré toutes les perturbations qui viennent contester le déroulement du processus » (1992, p. 264). C’est cette contradiction que ressent Marc quand il oppose « un travail de surface » où l’on « réagit » à un travail « sur la qualité de fond » qui réclame « du temps ».

4 Bien au-delà de notre corpus  : l’enquête de J.  Thoemmes et al. (2011), réalisée auprès de 100 cadres issus d’organisations de divers secteurs, du privé et du public, rapporte que les deux tiers affirment rencontrer des problèmes dans leur gestion du temps au travail et que plus d’un tiers d’entre eux ont l’impression de travailler dans l’urgence et sans organisation.

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Le sentiment de pression de l’instant est à rattacher à ce qui, dans le travail du manager, concerne sa nécessaire réactivité aux événements, aux fluctuations du terrain, aux informations qui changent brusquement la donne et obligent à s’adapter. Catherine reproduit, par son flot de paroles entrecoupées, le rythme trépidant de son quotidien :

«  Oui en fait, beaucoup de choses prévues et des imprévus, et on a beaucoup d’imprévus dans notre métier et c’est là qu’il faut savoir “qu’est ce que je fais ? Est-ce que j’annule ? Je diffère ? Est-ce que ça, c’est plus urgent que ça ? Quelle est l’importance ? Les priorités ? Qu’est ce que je peux planifier ? Qu’est-ce que je peux pas planifier ?” Là par exemple, hier en rentrant chez moi  : “Chère équipe, réunion demain matin, urgence, résultats de campagne 17, 9 h 30 dans mon bureau, merci, bonne soirée” et là, je me dis demain matin 9 h 30, ok c’est bon j’ai rien de prévu demain matin, l’après-midi j’ai une réunion à 14  h. Ah mince, j’ai l’entretien… alors connaissant Florence [sa supérieure hiérarchique], qu’est-ce que je fais ? D’où le SMS – alors j’ai pas osé vous adresser un SMS hier tard donc demain matin première heure, j’envoie un texto pour différer parce que j’avais aucune idée de si ça allait durer une demi-heure, une heure… mais vu le sujet je me suis dit “y en a pour une bonne heure” et effectivement y en avait pour une bonne heure. Mais c’est vrai, tout de suite j’ai essayé de ressasser mon emploi du temps dans ma tête : “9 h 30, qu’est-ce que j’ai de prévu ?” ; au début j’avais rien, demain matin c’est bon. Et puis après, je revoyais mon planning de la semaine, je voyais toutes les cases du matin remplies, ben si, j’ai forcément quelque chose et là “ah oui j’ai la visite de X [sociologue] pour le coaching”. Qu’est-ce que je peux bouger, qu’est-ce que je peux pas bouger… »

L’imprévu – ici, l’annonce de résultats commerciaux qui fait surgir le marché au sein de l’organisation – déstabilise l’ordre préalablement établi des rendez-vous et des réunions, la contraignant à effectuer rapidement tout un travail cognitif de passage en revue de son emploi du temps, de réagencement des priorités, qui doit tenir compte des normes de civilité et de sa place dans la hiérarchie.

Or ces adaptations nécessaires, bien que constitutives de l’activité, sont aussi coûteuses dans la mesure où le manager est en interdépendance avec d’autres travailleurs, en particulier ceux qu’il encadre. C’est le problème rencontré par Marie, dont la temporalité propre à son rythme de manager se heurte à celle de son équipe :

«  J’ai un mail qu’arrive à 17 h 02, en me demandant un tableau machin. Comme je sais que le tableau machin existe, je suis capable d’arriver en disant “est-ce que quelqu’un peut m’envoyer le tableau machin  ?” – à 17 h 02. Quelqu’un me dit “oui, oui, je te le ferai”. À partir de 17 h 03, je vais me demander “pourquoi je l’ai pas ?” Et ça, ça devient… Encore une fois, j’ai pas de penchant autoritariste aigu, je suis jamais revenue à 17 h 04 en disant “pourquoi je l’ai pas ?” Mais moi, je me pose la question. Pourquoi je l’ai pas ? Au bout d’un moment, donc il doit être quand même 17 h 05, je vais finir par le chercher moi-même et l’envoyer à la limite… Ce

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qui n’est pas top en termes de message passé aux équipes. Et l’idée, c’est que c’est une espèce d’impatience… On l’a analysé un peu plus comme du recul, ou de “tout est urgent”, voilà “tout est urgent”… [rire]. Mais qui après, derrière, a des conséquences un peu plus… cachées, qui est que je ne sais pas travailler dans la non-urgence. Donc, vous me donnez un projet demain pour 2009, en me disant “c’est pour le 1er juin 2009, tu auras largement le temps”, il y a fort à parier que je vais m’y mettre le 30 mai 2009. Donc forcément, quand vous êtes toute seule, c’est pas un souci ; quand vous êtes avec une équipe, ça devient un peu compliqué, et en plus une équipe qui n’est pas la vôtre… vous devenez très vite l’élément… »

Le premier exemple donné par Marie n’est pas anodin  : l’horaire choisi évoque la différence entre la figure du « cadre-qui-ne-compte-pas-ses-heures » et celle de l’employé dont la journée de travail s’arrête à 17  h. Pourtant, l’essentiel est moins dans la différence de durée du travail que de temporalité au travail. Marie parle d’« une espèce d’impatience » qu’elle attribue – avec le coach : « On l’a analysé un peu plus comme » – à un trait de sa personnalité : la psychologisation des situations de travail5 est un effet majeur du coaching. Or cette «  impatience  » s’explique surtout par le rythme de travail effréné des managers. C. Datchary (2011) souligne en particulier la tension palpable à l’égard des outils technologiques : « supporter la temporalité d’une technologie est difficile quand elle n’est pas ajustée à son propre réglage temporel des activités » (p. 114). Son analyse peut être élargie aux ajustements imparfaits entre les temporalités des travailleurs eux-mêmes qui entraînent des incompréhensions. La deuxième partie de l’extrait souligne que la pression de l’instant n’est pas nécessairement un problème pour le manager lui-même qui peut au contraire y trouver une forme de stimulation, mais qu’elle l’est dans un contexte d’interdépendance où il n’est pas seul à agir, où la complexité des tâches nécessite une préparation et un travail partagé en amont.

La deuxième caractéristique des temporalités des cadres au travail est l’expérience de la fragmentation. Cet aspect a été abondamment commenté dans la littérature gestionnaire et sociologique. L’activité des managers est faite de l’enchevêtrement de différentes activités relevant de sphères distinctes dans la même journée, et de ce que C.  Datchary appelle des «  situations dispersives »6. L’interdépendance dans laquelle les managers sont pris les expose à des sollicitations aussi fréquentes qu’irrégulières (Cousin, 2008). S’ensuit le sentiment de se disperser et de ne pas parvenir à se concentrer sur une tâche, jusqu’à entraîner un sentiment de confusion cognitive :

« Tout en ayant 36 dossiers, je prends un dossier, je commence, je prends un autre dossier, un peu ce travail simultané sur plusieurs choses qui fait que, en fait, la dernière fois, je lui ai dit [au coach] : “vous savez, j’ai un souci parce que je confonds les jours et les dates”. » (Catherine)

5 Au sens de l’interprétation des situations par un prisme psychologisant qui explique le dysfonctionnement par la personnalité du travailleur plutôt que par la situation de travail elle-même.6 « Situations de travail où la personne est fréquemment confrontée à des engagements multiples dans un empan temporel serré » (2011, p. 31).

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Enfin, à un temps réduit au présent et dispersé s’ajoute la figure d’un trop-plein, d’un temps qui déborde. C’est la question de la surcharge qui est ici posée – à la limite du rythme effréné qui est déjà la norme quotidienne des managers – telle qu’on peut la percevoir dans ce propos tenu par Marc, suite à la forte augmentation du volume d’activité liée au rachat d’une entité :

« On a pratiquement eu 30 % d’augmentation de chiffre d’affaires. Donc, ça veut dire 30 % de dossiers en plus en gros à gérer avec les mêmes équipes. Donc, ça attaquait de tous côtés, il fallait trouver des hommes, il fallait renforcer les équipes administratives, moi j’ai fait travailler les gens le samedi pendant presque un an, donc c’était lourd. Et donc devant… Ces accélérations nécessitaient, je dirais, une bonne méthode parce que sinon, c’était, j’allais y passer quoi, ce n’est pas compliqué. […] Moi j’étais mort quoi, donc, je ne prenais pas de recul, pas assez. »

La solution utilisée par Marc avant le coaching était d’allonger la durée du travail, du sien et des salariés qu’il a sous sa responsabilité. Cependant, celle-ci a un coût pour l’entreprise en heures supplémentaires, au moins en ce qui concerne ses équipes. L’équation semble donc être de faire autant avec moins, voire plus avec moins, et c’est ce que promet le coaching en affirmant que la solution passe par une meilleure « méthode » du manager.

LES RÉPONSES DU COACHING AUX DÉFIS TEMPORELS DES MANAGERS

Dès lors, comment les coachs aident-ils les managers à relever les défis posés par leurs temporalités de travail  ? Quel est leur périmètre d’intervention  ? Quelles formes de réponses suggèrent-ils ? Sur quel type de connaissances se fonde leur pratique professionnelle ?

Le périmètre d’intervention du coach porte avant tout sur l’organisation individuelle du travail des cadres, envisagée sous l’angle d’une organisation de soi. Les problèmes d’articulation temporelle sont en effet interprétés en termes d’une mauvaise organisation personnelle :

« Le coach m’a ouvert les yeux sur des choses que je fais au quotidien, que je ne voyais plus, que je pensais bien faire, notamment tout ce qui est planning en fait, les plannings de travail, ma propre organisation […]. Il m’a vraiment mis en évidence que je m’organisais très mal, quelque part. » (Catherine)

La vision de l’organisation du travail qui en découle est celle d’une collection d’individualités qui doivent apprendre à coopérer, à «  se comprendre  » et à améliorer individuellement leur « fonctionnement », selon les termes couramment employés par les coachs et les cadres coachés. L’articulation temporelle est

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d’abord vue comme devant émaner du manager lui-même, qui doit apprendre à hiérarchiser ses priorités, à se centrer sur ses tâches principales et son activité, pour pouvoir atteindre ses objectifs et ainsi ne pas devenir un « élément gêneur » pour les autres, selon le terme de Marie qui a eu ce sentiment.

Avant de développer les deux axes principaux préconisés par les coachs pour aider les managers à mieux gérer leurs temporalités, à savoir une plus grande planification et un «  recentrage » sur l’activité, qui passe par la réaffirmation de frontières, présentons les connaissances psychologiques mobilisées par les coachs et quelques-uns de leurs modes opératoires7, qui montrent le prisme individualisant qui est le leur.

Connaissances et techniques du coach

Les deux courants de psychologie principalement mobilisés par les coachs dans leur pratique professionnelle sont l’analyse transactionnelle (AT), développée par Eric Berne, psychiatre en marge de la psychanalyse, en Californie dans les années 1950, et la programmation neurolinguistique (PNL), mise au point par Richard Bandler, étudiant en mathématiques et John Grinder, assistant à l’université en linguistique, à Santa Cruz dans les années 1970. Ces courants revendiquent la brièveté de la thérapie et la focalisation sur «  l’ici et le maintenant », plutôt que l’exploration du passé du patient. De plus, leur visée n’est pas curative, mais instaurative, au sens où la thérapie ne s’adresse pas seulement aux personnes souffrant de troubles psychologiques, mais à tous. L’individu est considéré comme un potentiel à optimiser. Les orientations pragmatiques de ces méthodes dites de « développement personnel » favorisent leur appropriation par les champs du management et de la formation professionnelle dans les années 1990 (Stevens, 2011). Ces derniers ont, de plus, été préparés à la réception de techniques psychologiques dans la mesure où ils ont été façonnés par la psychosociologie du travail, courant développé dans les années 1950 en France à la suite de l’importation, dans le cadre du plan Marshall, des techniques de la psychologie sociale industrielle américaine comme celles d’E. Mayo ou de K. Lewin (Boltanski, 1981). La pratique du coaching repose en grande partie sur cette hybridation des savoirs de la psychosociologie du travail et de la psychothérapie. Sa spécificité, en comparaison des stages de formation des cadres au développement personnel, est la forme individualisée de son intervention, sur le modèle de la cure, qui permet l’assignation d’objectifs personnalisés. Par ce dispositif, un pas de plus est franchi dans l’individualisation des problèmes de travail.

Il n’est pas rare – c’est le cas de Marie – que la première séance soit consacrée à un diagnostic du «  fonctionnement  » de la personne, effectué à l’aide d’un questionnaire typologique de personnalité, comme le Myers-Briggs Personnality

7 Ces derniers se donnent également à voir dans la suite du propos, mais la focale sera mise sur les techniques de gestion des temporalités que proposent les coachs.

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Indicator (MBTI), inspiré des types psychologiques du psychanalyste C. G. Jung, mis au point dans les années 1960 et utilisé dans le management pour que les individus « prennent conscience » de leur manière de penser, de travailler, et de celle des autres. Sur le thème de la « gestion du temps », le coach propose des exercices concrets, proches des carnets d’emploi du temps, pour faire prendre conscience au cadre de ce qu’il fait réellement. Le mode opératoire du coach consiste ensuite en un questionnement, centré sur ce que le cadre ressent, comment il « vit » sa manière de s’organiser, afin de l’amener à rectifier de lui-même son attitude :

« Est-ce que c’est bien planifié ? Qu’est-ce que vous constatez ? Qu’est-ce que vous avez vécu ? » (Catherine)

Dans ces exercices, le coach apparaît comme un métronome de soi pour les cadres, au plus près de leur rythme personnel. Toutefois, son tempo est loin d’être disjoint de celui de l’organisation :

« Et le fait de noter tout ça, ça a été parlant, je me disais “mais attends quand il va voir que tu t’es occupée de ça pendant une heure, il va te dire ‘mais est-ce que c’est bien votre métier, là ?’” » (Catherine)

Le coach – ou, au-delà de lui, ce qui est perçu de son rôle par le manager – rappelle les attentes de l’organisation et agit comme une forme de discipline intériorisée.

Optimiser le temps par une planification accrue

Face à la tension entre réactivité et planification dans leur travail, premier problème temporel rencontré par les managers, les coachs préconisent de «  prendre du recul  ». Il s’agit, par différents moyens, de faire décoller le manager du flux de son activité quotidienne et de réintroduire du plan dans l’action, notion disqualifiée en entreprise au nom de la flexibilité et du marché (Thévenot, 1995). L’effet est pour le moins paradoxal au regard des appels à la créativité dont le discours des coachs est porteur et avec lui toute la littérature néomanagériale (Boltanski & Chiapello, 1999). Pourtant, ce sont bien les managers qui paraissent maîtres de la réactivité : tout se passe comme si le coach était là pour leur rappeler ce qui est précisément passé sous silence dans le discours managérial, tout à sa critique du taylorisme et de la bureaucratie industrielle : l’importance de la planification dans l’activité. Il s’agit bien sûr d’une action planifiée individuelle et souple, qui fonctionne davantage par de multiples « plans-objectifs » que par un plan procédural et centralisé (Datchary, 2011). L’activité de travail elle-même reste largement en dehors du champ d’action du coaching, qui ne s’intéresse qu’à l’organisation personnelle du temps : on est donc dans une acception limitée de la notion d’action planifiée.

Le coach amène le cadre à rationaliser encore davantage son temps en redonnant de l’importance à la planification. Catherine est conduite à revoir

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très précisément la constitution de son emploi du temps, en tentant d’identifier autant que possible toutes les tâches planifiables. Un exercice exigeant lui est proposé par son coach : « décortiquer jour par jour, heure par heure » ce qu’elle fait, sur quinze jours consécutifs. À cette fin, il lui fournit un planning journalier, découpé par quart d’heure, de 7 h jusqu’à 20 h : « et à moi, tous les quarts d’heure, de mettre ce que je fais, concrètement ». Parallèlement, il lui demande de lister toutes ses tâches quotidiennes, « répétitives ou exceptionnelles », en distinguant ce qui est urgent de ce qui est planifiable et ce qui est important de ce qui peut être délégué. Catherine prend conscience qu’elle pleut planifier davantage de tâches qu’elle ne l’aurait envisagé :

« Alors au début là aussi l’exercice était très difficile parce que je casais beaucoup de choses en “urgent et important”, beaucoup, beaucoup, et puis finalement pour me rendre compte que 90 % – je vais pas dire 100 % –, mais 95 % des tâches que je mettais dans ce “urgent et important”, c’était plus des tâches urgentes, soit, mais planifiables, c’est-à-dire urgentes dans ce qui est le corps de mon métier, mais planifiables et là effectivement ça m’a beaucoup aidée. »

La perspective est de désengorger le quotidien et ses urgences en anticipant davantage et en réduisant autant que possible l’incertitude : est ici rappelée la capacité de prévision au cœur du processus de rationalisation (Elias, 1991), au sens d’un ajustement toujours plus grand des moyens aux fins. Toutefois, Catherine, qui se décrit comme une « abatteuse de travail », se heurte rapidement aux limites de sa planification, confrontée aux aléas de son activité et à l’incertitude de la réalisation des tâches qui n’est pas entièrement contrôlable et prévisible :

« J’avançais, mais avec un stress en permanence en me disant “mais est-ce que là j’aurai quitté cette réunion pour attaquer celle d’après ?” »

Le coach l’amène alors à prévoir au sein de son emploi du temps des plages horaires pour les imprévus eux-mêmes, à laisser volontairement des « temps libres ». Il s’agit d’une planification souple qui doit laisser autant que possible la place aux aléas et à l’incertitude constitutifs de l’activité du manager8. Le coach rappelle l’utilité de certaines ressources instrumentales comme l’agenda et va jusqu’à proposer la confection d’objets repères9, comme la « to do list »10 qui consiste à lister toutes les tâches à accomplir :

8 On note cependant une conception linéaire du temps, où se succéderaient les tâches alors qu’elles s’enchevêtrent bien davantage.9 Objets qui vont servir de repères à l’exécution du plan  : «  équipements prolongeant les capacités cognitives de l’acteur humain », appartenant à la catégorie de la « mémoire externe » selon Leroi-Gourhan (1964) (Thévenot, 1995, p. 422).10 Incontournable des stages de gestion du temps et du coaching, la « to do list » se distingue précisément de l’agenda dans la mesure où ses éléments ne sont pas liés à un horaire, évitant ainsi de devoir recopier les tâches non accomplies. L’expression reflète la formalisation de procédés relativement spontanés de la vie sociale, comme le fait de faire une liste de courses. Des applications logicielles reprenant son principe existent aussi, en particulier dans le domaine de la programmation, mais ils n’ont pas le même usage : plus partageables collectivement, ils n’ont pas la souplesse du dispositif papier, ce qui confirme que ce dernier relève avant tout d’une gestion individuelle des temporalités.

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« Apprendre aussi à essayer d’organiser mon temps au quotidien. Enfin, donc ça, ça a été quelque chose d’un peu nouveau, faire sa “to do list”, c’est bête, mais bon, j’ai toujours mon carnet avec moi, où je note tout ce que j’ai à faire dans la semaine, dans le mois. Ça, ce sont des choses que j’essaie de tenir. […] Vous voyez là, sur mon carnet, j’ai tous les trucs que j’avais à faire ce mois-ci, le mois dernier et puis bon, je ne raye que quand j’ai fait, quoi, vraiment ! Mais je mets tout, quoi. » (Marc)

L’apparente simplicité de l’outil – que Marc reconnaît – dissimule en fait son principal intérêt : un dispositif souple adapté à la tension entre réactivité et planification. Le carnet papier, qu’on emporte toujours avec soi, permet en effet une actualisation des tâches au fur et à mesure des modifications et une intégration des différentes sphères d’activité : « investissement de forme » au sens de Thévenot (1986), on peut préciser qu’il s’agit d’un «  artefact transitionnel » au sens proposé par A. Bationo Tillon et J. Kahn (2006)11 cités par C. Datchary qui observe aussi cet usage du cahier.

Le rappel de la planification s’opère également par celui du sens du travail, au double sens de direction et de signification. Le coach de Catherine oriente d’abord son regard vers les procédures en lui demandant de mettre à jour la description de son poste. Cet exercice la met un peu dans l’embarras :

« Et en fait ce qui est très drôle, c’est qu’on oublie très vite sa description de poste et il arrive un moment où tu te dis “mais au fait, c’est quoi mon rôle exactement ?” Parce que comme beaucoup de sociétés, bon on a le nez dans le guidon. »

L’objectif visé n’est pas tant de contraindre Catherine à suivre les éléments prescrits de son activité – la sociologie du travail, à la suite de l’ergonomie, a montré comment le travail consistait précisément à s’éloigner du prescrit pour pouvoir s’effectuer (Terssac, 1992) – que de la décoller du flux de son activité en lui rappelant les objectifs attendus par sa hiérarchie : on passe donc rapidement de la fiche de poste aux objectifs annuels fixés par la directrice générale de la filiale12.

Le coach de Marc utilise une approche différente en interrogeant les aspirations personnelles de ce dernier à long terme. Il lui demande notamment « à combien » ce dernier se projette dans le temps et l’amène à étendre son horizon, en l’occurrence de cinq ans (durée annoncée par Marc) à toute sa vie. Le passage par sa « quête » personnelle redonne à Marc un « espace-temps plus ouvert » selon ses termes. Elle lui permet de se libérer de ce qu’il présente comme une simple « gestion du quotidien » pour se concentrer sur « l’essentiel »,

11 Concept forgé en référence à la notion d’«  objet transitionnel  » de D.  Winnicott (1971), qui insiste sur la dimension subjective, intentionnelle, intrinsèque à l’activité, de ces objets qui «  transitent » dans le temps et dans l’espace, avec un statut particulier d’aide-mémoire, et qui maintiennent une certaine unité de l’individu et/ou de l’expérience.12 L. Thévenot (2011) souligne que le « gouvernement par l’objectif » révèle le renforcement du plan et son agrandissement « en grandeur industrielle » là où on mesure, évalue et impute une responsabilité.

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c’est-à-dire ce qui a du sens pour lui. Cet appel à la prise d’initiative et à la responsabilisation de soi face aux événements – «  reprendre la main sur sa vie  » – renoue avec la figure du manager comme celui qui donne un cap et le tient (Mispelblom-Beyer, 2006), d’où l’idée d’une compétence proprement managériale13. Sans doute le rappel des objectifs annuels de Catherine n’a-t-il pas le même effet que la projection des aspirations personnelles de Marc : la première paraît davantage invitée à se conformer aux attentes de l’entreprise, tandis que plus de liberté serait laissée au deuxième14. Néanmoins, dans les deux cas, le coaching renforce la rationalité en finalité au sens de M. Weber : les managers sont encouragés à se recentrer sur leurs objectifs et à adapter leurs moyens en conséquence.

Ainsi, face à des managers soumis à la pression de la réactivité, le coaching rappelle la nécessité de la planification  : planification interne de l’activité par la rationalisation du temps quotidien et planification externe par le rappel des objectifs et de la direction du travail. Bien que la perspective préconisée par le coaching soit d’une certaine manière l’inverse de l’intuition, de l’imagination et de la réactivité prônées dans le discours, c’est ainsi, sans doute, qu’il entend œuvrer au développement de la créativité : en rappelant la part nécessaire de planification dans l’activité de travail, ne serait-ce que pour s’en libérer et se rendre disponible à la part d’incertitude irréductible de ce dernier15.

Le « recentrage » : vers une hygiène des territoires ?

Le coaching cherche à aider les managers à prendre en charge les situations dispersives en insistant sur la nécessité de se concentrer sur une tâche à la fois :

« Je pense qu’il [le coach] veut me faire voir que c’est pas que j’en fais trop, enfin c’est que je fais trop de choses à la fois et pas suffisamment une chose à la fois. » (Catherine)

Le dispositif préconise de clore une tâche avant de passer à la suivante. Il s’agit presque de formaliser la fin d’une action, pour pouvoir se rendre disponible à la suivante, comme l’exprime Marc qui se plaignait d’avoir « du mal à aller au bout des choses » et se réjouit d’avoir travaillé en coaching « la notion de cycle » :

13 Le problème de Marie, évoqué plus haut, est en partie résolu par la planification qui permet une coopération avec les autres travailleurs : « la planification est favorable à la communication, en raison de la mise en séquence et du repérage qui facilitent la représentation de l’activité  » (Thévenot, 1995, p. 419).14 Toutefois, Marc transpose dans le domaine professionnel son questionnement existentiel, en s’interrogeant sur ses perspectives de carrière.15 L’action planifiée est en tension avec l’adéquation aux circonstances  : stratège militaire et ingénieur doivent aussi savoir faire face aux aléas du terrain et apprendre à ruser, invitant à remettre en cause « la répartition polaire et asymétrique entre un agent planificateur d’une part et ses moyens objectifs d’exécution d’autre part » (Thévenot, 1995).

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« Et donc, cette notion qui est naturelle hein, puisque effectivement, c’est le cycle des saisons, c’est la nature, et dans notre boulot, c’est la même chose. Donc effectivement, savoir terminer. […] C’est vrai que c’est quelque chose, on a un peu tendance, dans la vie au quotidien, à tout commencer, à rien finir – en tout cas, on a ce sentiment – et c’est vrai que ne pas respecter le cycle de la fin, enfin de la préparation, d’un début, d’un mûrissement et d’une fin, ben, ça fait qu’on a, enfin on a du mal à… avoir l’esprit clair. »

Se dégage une forme d’hygiène dans l’action, qui pousse d’une certaine manière à une action sans trace, sans inertie, une action qui ne retienne pas le manager, qui cesse de le préoccuper et lui permette de se libérer l’esprit pour accomplir d’autres actions. Pouvoir libérateur du rituel qui sépare ?

Nous retrouvons dans cet effort conscient, que souhaite faire Catherine, de rester concentré sur une tâche et de résister aux sollicitations dont regorge l’environnement de travail, et, pour ce qui concerne Marc, de formaliser la fin d’une tâche, quelques-unes des stratégies spontanément employées par les managers pour gérer la dispersion : C. Datchary a ainsi observé comment les managers cherchaient à résister au «  pouvoir attracteur  » de la messagerie électronique ou comment l’une d’eux éprouve du plaisir à rayer les tâches accomplies sur son cahier, formalisant ainsi leur achèvement. Face à l’expérience de la fragmentation du temps inhérente aux «  situations dispersives  », le coaching n’invente pas de technique, mais formalise et transmet des attitudes éprouvées par l’expérience. Les managers précisent souvent qu’ils avaient une vague intuition des éléments apportés par le coach, mais qu’ils en ont pleinement « pris conscience » grâce à lui.

Ce qui a été présenté comme la nécessité de « se recentrer sur l’essentiel » pour appréhender la pression du présent et les situations dispersives est également au cœur de la stratégie préconisée par le coaching concernant le sentiment d’une surcharge de travail, troisième défi temporel des managers. Le « recentrage » se décline ici en deux axes principaux : diviser le travail, diviser les espaces.

Marc raconte comment son coach l’a encouragé à ne pas accepter toutes les tâches qui lui étaient confiées et à demander la création d’un poste de secrétaire pour le seconder sur les aspects administratifs, obtenue à la faveur de l’extension de son périmètre d’activité. Cette option est probablement d’un caractère limité, tant elle va à l’encontre du mouvement de suppression des postes et du transfert des tâches que les secrétaires effectuaient vers les cadres, parallèlement à l’essor de la bureautique (Pillon & Vatin, 2003). L’essentiel du partage du travail passe surtout par la délégation pour les managers. Déléguer consiste à faire faire plutôt qu’à faire soi-même. Il s’agirait de la mission première des encadrants  : «  faire en sorte que d’autres travaillent », «  faire travailler les autres  » (Mispelblom-Beyer, 2006, pp.  39-40). Si c’est le cas, pourquoi le coaching, et avec lui les stages de management, auraient-ils besoin de l’enseigner aux managers ? Les témoignages des coachés montrent que le gain temporel escompté de la délégation n’est pas positif à court terme et cette

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raison pratique constitue un frein important à son développement, comme l’illustre Catherine :

«  Je pense que c’est quelque chose que je pratique, la délégation, mais avec encore un blocage, qui est de dire que ce n’est pas que je ne fais pas confiance ni à mes équipes ni à mes responsables directs, mais plus par un phénomène de temps en fait. Parce que je me dis, bon, le temps que j’aille voir la personne et que je lui explique le process, les directives, ça me prend deux minutes pour le faire et là tout le monde a gagné du temps. Oui, mais seulement, si c’est répétitif, en fait je perds du temps à chaque fois. »

Marc souligne le temps qu’il passe à encadrer ou plutôt à «  recadrer » la responsable administrative qui a été embauchée. Marie souhaiterait limiter les interruptions qu’elle impute à « un manque d’autonomie » des salariés de son équipe et montre l’effort d’inhibition du «  faire  » qu’elle doit fournir pour favoriser le « faire faire ». Voici un exemple concret, tiré de son quotidien de travail, qu’elle traite avec son coach :

« Sabine est venue me voir. Elle avait un problème avec un fichier dans lequel elle n’arrive pas à rentrer et elle vient dans mon bureau […] et elle me dit “je n’arrive pas à rentrer dans le fichier”. Bon. Je lui ai répondu : “Ben, tu contactes tous les gens qui travaillent sur le projet, au niveau européen et international, donc tu écris à A, et B, et compagnie.” Et là, Olivier [le coach] m’arrête et me dit “Non ! Pourquoi vous lui donnez la réponse ? Vous voulez qu’elle prenne de l’autonomie, mais vous lui avez donné la réponse ! Il aurait mieux valu lui demander : ’Bon, les premières informations sur ce projet, qui les avait ? Qui nous les a données ? D’où ça vient ?’” […] C’est-à-dire que, quelque part – ce n’est pas “quelque part”, c’est dans ma démarche, je l’ai complètement infantilisée en donnant la réponse, donc elle aurait tort de ne pas recommencer, puisque finalement, elle pousse la porte et elle a la réponse ! »

Ce que le coach enseigne à Marie, avec un prisme psychologisant dont témoigne l’usage d’un terme comme « infantiliser », c’est à ne pas prendre en charge elle-même une tâche qui pourrait être réalisée par la salariée, mais de la renvoyer à elle-même. Cela ne manquera pas de décourager cette dernière de revenir et l’objectif poursuivi est de la « responsabiliser », de l’« autonomiser ». Mais qu’est-ce qui est véritablement combattu ici ? Donner l’information à la salariée n’est pas très coûteux en temps ; en revanche, ce sont l’interruption et sa probable répétition qui gênent Marie. Il s’agit donc de tenter de limiter les interruptions en renvoyant le demandeur à lui-même.

La perspective poursuivie par le coaching est d’amener les encadrants à identifier autant que possible leur « cœur de métier » et à s’y tenir. Le « recentrage » est particulièrement illustré par une histoire mythifiée, dite des gros cailloux, qui circule dans le monde social du coaching et des formations managériales. Un professeur réalise une expérience à l’aide d’un bocal, dans lequel il insère d’abord de gros cailloux qui semblent saturer les capacités du récipient. Puis, il ajoute du gravier, puis du sable, et enfin de l’eau, qui entrent facilement dans le

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bocal. La leçon n’est pas qu’un emploi du temps déjà bien rempli peut toujours accueillir de nouvelles tâches. Elle valorise plutôt le fait d’établir soi-même une liste de priorités et de les réaliser avant de se disperser dans des tâches considérées comme mineures et parasites. Revenir à « l’essentiel » implique de faire d’abord entrer les cailloux avant de glisser le sable dans les interstices.

La conception de l’organisation du travail sous-jacente est que le manager doit effectuer en priorité les tâches sur lesquelles il est censé être le plus performant, là où il a le plus de « valeur ajoutée » ou de « plus-value » selon les termes couramment employés. Derrière ce découpage hiérarchisé, on retrouve des similitudes avec le principe de rationalisation productive qui consiste à faire faire aux machines tout ce que ces dernières peuvent réaliser, libérant l’individu pour le travail de prise de décision (Pillon & Vatin, 2003). Le coach se garde d’entrer dans l’activité concrète du cadre : à ce dernier d’identifier lui-même ses valeurs, mais aussi, derrière, les objectifs qu’il doit réaliser et de définir l’ordre de priorité de ses tâches. Le lien avec l’activité de travail est fait par le cadre et non par le coach.

Est ainsi prônée une forme d’hygiène des territoires16, au sens où chacun doit être attentif à délimiter ce qui lui est imparti, à ne pas empiéter sur le territoire d’autrui, ni à se laisser envahir, afin d’éviter les « pertes de temps », associées à des tâches qui ne ressortissent pas en propre de l’activité de travail du cadre. Pour ancrer ce principe d’hygiène des territoires dans les esprits, une image, empruntée au bestiaire de la littérature managériale, est utilisée en coaching :

«  On a beaucoup travaillé la notion de singe, c’est-à-dire comment se balancent les singes, comment on se met parfois des singes sur le dos, comment repérer les personnes qui lancent des singes “allez hop, tu te débrouilles !” […] Et, bien que je maîtrisais bien cette notion “attention, prends les singes qui t’appartiennent et refile-les, ceux qui appartiennent aux autres”, eh bien il [le coach] m’a montré également, eh bien, que je me mettais des singes sur le dos toute seule. Et comme je vous dis, c’est même plus des singes, c’est des gorilles, lourds en temps. »

Le singe illustre l’idée de la charge inutile, mais plus encore du parasite qui se transmet d’une personne à l’autre. Toutefois, nous ne prenons pas seulement la notion d’hygiène dans son sens étymologique qui la rattache à la santé et au domaine médical (du grec hugieinon  : «  santé  »), même si ce sens a son importance dans la prise en compte des effets du travail sur la santé psychique. Nous voulons ici rappeler sa dimension anthropologique, dans la perspective initiée par M. Douglas (1967) dans son étude de la souillure  : l’hygiène, au sens de « soins visant à la propreté », a, en effet, maille à partir

16 Nous empruntons le concept éthologique de « territoire » à E. Goffman ([1971] 1973) qui l’utilise pour désigner « un champ d’objets – une réserve – dont l’ayant droit surveille et défend habituellement les limites  » (1973, p.  43). Par extension, cette notion permet de montrer la dimension spatiale, tangible, de l’ensemble des tâches propres à une fonction ou à un poste, ainsi que sa dimension morale. Goffman rattache en effet la notion de territoire au concept de droit. Au sein des organisations productives s’y ajoute une dimension hiérarchique.

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avec la notion de place. M. Douglas montre que la notion de saleté, une fois débarrassée du « matérialisme médical » qui l’entoure dans nos conceptions modernes, désigne « quelque chose qui n’est pas à sa place » ([1967] 1992, p. 55). Cette « vieille définition » suppose l’existence d’un système de relations ordonnées et le bouleversement de cet ordre. Les orientations du coaching tentent, d’une certaine manière, de remettre de l’ordre (et, en particulier, de l’ordre hiérarchique, comme cela apparaît de façon encore plus flagrante dans le traitement des relations de travail) au sein de tâches tellement imbriquées qu’il devient mentalement et cognitivement difficile, pour les individus, de gérer les réactualisations permanentes que suppose le fonctionnement d’un réseau aussi dense que flexible (Dodier, 1995).

Pourtant, la logique de l’activité, l’interdépendance entre les travailleurs ainsi que la proximité spatiale qui facilite les échanges en face-à-face favorisent ces interruptions, qui peuvent parfois rendre service aux encadrants (Cousin, 2008), devenant ainsi des « interruptions heureuses » selon l’expression de C. Datchary (2011). Le coaching ne prend pas en compte ces éventuels bénéfices et un effet pervers est d’accroître le malaise des managers en renvoyant à un travers personnel ce qui provient en réalité de leur activité. De plus, la prescription du coach entre en tension avec un univers professionnel précisément caractérisé par l’interdépendance des fonctions, des services et des tâches complexes. Catherine exprime la difficulté qu’elle a à «  [se] concentrer vraiment sur [ses] objectifs, les objectifs qui [lui] appartiennent », dans la mesure où un problème dans un service aura des conséquences sur les autres services : « Y a un gros problème marketing : ça impacte tout le monde […] donc en fait on se sent plus ou moins un peu concerné par tout ce qui peut se passer, surtout à la direction. »

Tout se passe comme si, face à la forte division du travail de ces univers professionnels qui entraîne une cohésion nécessaire (Durkheim, [1893], 2007) et une interdépendance (Elias, 1976) d’autant plus fortes, chaque maillon de la chaîne était au contraire amené à mieux délimiter son périmètre de responsabilité, à s’y « recentrer » et à s’individuer17 encore davantage. Illusion, effort vain ou technique de gestion de l’interdépendance et des situations dispersives, il est difficile de trancher. Toujours est-il que c’est dans cette direction que pousse le coaching pour tenter de maîtriser ce qui apparaît comme des pertes de temps ou une exposition inutile.

La frontière travail/hors travail

Dans la même perspective que cette hygiène des territoires, le coaching invite, paradoxalement, à rétablir la frontière entre les espaces de travail et hors travail, frontière socialement et historiquement construite (Naville, 1969), en s’efforçant de limiter les intrusions du travail dans la vie privée. De nombreux

17 Le sentiment d’individualité, de l’existence d’un soi séparé de la société, est lié à la montée de l’interdépendance et à la densification (Elias, 1991).

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coachs invitent leurs coachés à « prendre du temps pour soi », à mieux équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, à limiter leurs horaires de travail. Catherine se voit même engagée, par son coach, à ne pas travailler à domicile, bousculant des habitudes qu’elle estime incontournables dans des situations d’urgence :

« Il m’a demandé de travailler pour notre prochaine séance ce qu’il appelle “les cinq domaines de la vie”, c’est-à-dire : ben voilà, le temps que je passe pour mon travail, le temps que je passe avec ma famille, mon mari, les loisirs… Donc là je ne connais pas encore le but du jeu, mais je vais le découvrir. Donc en fait c’est un genre de camembert où, en pourcentage, il faut que j’exprime “voilà je passe tant de % pour Cosmetics [nom fictif de son entreprise], tant de % avec mon mari, tant de % avec ma famille, tant de % pour mes loisirs”. Et il m’a missionnée sur... il m’a demandé d’essayer dans un premier temps de ne plus travailler chez moi. Alors je pense que ça a un but d’organisation, bon, comme je lui disais, ça m’appartient, enfin je suis responsable, je gère mon travail comme ça m’arrange en fait, hein, donc c’est vrai que je vais démarrer entre 7 h 30-8 h, je vais partir des fois vers 18 h-19 h au plus tard et le soir il m’arrive souvent, plus parce que ça m’arrange en fait, ou parce que j’ai pris du temps… Je me suis dit “bon là y a une urgence pour demain ou pour après-demain, et j’ai pas envie de le faire là, mais ce soir à la maison en 1 h de temps ça va être fait” : donc c’est vraiment parce que ça m’arrange moi personnellement, et puis des fois aussi parce que j’ai pas le choix parce que, bon, y a des... J’ai une responsabilité qui fait, bon ben, que je dois assumer, comme on dit, et que si ma patronne me demande quelque chose pour le lendemain, à moi de m’organiser pour le faire pour demain. Donc, c’est plus par choix que par obligation, c’est quelque chose qui me convient, maintenant il m’a demandé de travailler ce côté-là, d’essayer de caser tout sur ma journée de travail et de en plus rien faire chez moi, ça c’est un challenge ! Un peu difficile aujourd’hui, je pense que le but c’est organiser... peut-être encore mieux m’organiser et puis faire la part des choses aussi, peut-être de façon plus marquée entre la vie professionnelle, la vie privée, jusqu’où on doit en fait être engagé dans son travail. »

Le propos de Catherine rappelle l’importance de la liberté de gestion de son emploi du temps dont elle bénéficie en tant que cadre. Le travail à domicile y apparaît sous un angle ambivalent  : elle le présente comme un espace discrétionnaire personnel, une solution pour gérer les temporalités professionnelles, même si l’on perçoit aussi qu’il répond à des obligations implicites (Terssac, 1992). Le temps consacré par un cadre à des activités professionnelles en-dehors des locaux de son employeur reste en moyenne faible, d’environ 3 h sur 46 h hebdomadaires (Bouffartigue & Gadéa, 2000)  ; en particulier, le travail à domicile, même s’il semble répandu (60 % des cadres interrogés par Thoemmes et al. déclarent y avoir recours), ne dépasse pas 2 à 3 heures par semaine. L’enjeu est donc de réduire le temps de travail, de ne pas autoriser de débordement hors de la sphère professionnelle, pour contraindre à une efficacité accrue au travail. Cette attente implicite n’échappe

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pas à Catherine qui entrevoit, dans cet investissement sur soi hors travail, la perspective d’une performance accrue au travail :

« Plus on est bien dans sa vie, on va dire, et plus on est performant dans le travail, et plus on vient au travail, je dirais pas la fleur au fusil, mais presque quoi. »

Mais, dans la mesure où le travail à domicile ne concerne qu’une petite quantité de temps, l’enjeu apparaît bien davantage dans la réaffirmation d’espaces séparés et d’une norme d’épanouissement personnel. C’est au nom d’une forme d’hygiène psychique (que nous proposons d’entendre dans le double sens de santé mentale et de remise en ordre d’éléments déplacés et mêlés) qu’est promue l’étanchéité des différents territoires. Cela peut sembler paradoxal au vu de l’image traditionnelle du cadre comme figure de la porosité des temporalités (Amossé & Delteil, 2004 ; Delteil & Genin, 2004), porosité qui serait renforcée par l’usage des NTIC. Le coaching propose précisément une tentative de protection, par une ascèse personnelle, vis-à-vis de ces évolutions. En réaffirmant l’importance d’une sphère personnelle préservée du travail, il désamorce la critique faite à l’entreprise par les cadres de déborder sur leur vie, et la « rébellion » de ces derniers (Courpasson & Thoenig, 2008).

La norme diffusée par le coaching est celle d’une réussite professionnelle qui ne se ferait pas au détriment de la vie personnelle18. Elle apparaît d’autant plus mise à l’épreuve entre 30 et 45 ans, face à l’intensification d’une double carrière professionnelle et familiale, en particulier pour les femmes (Laufer, 2005  ; Guillaume & Pochic, 2007). Le coaching joue un rôle paradoxal sur cette question, dans la mesure où il valorise l’épanouissement de soi, réaffirme l’importance de la vie personnelle (et pas seulement la vie familiale) et fustige le surinvestissement au travail, mais vise le développement de la performance et encourage l’individu à « se réaliser » et à s’épanouir personnellement au travail. Peut-être l’ambivalence de ce discours est-elle levée si on fait l’hypothèse qu’il n’est pas tenu de la même manière aux femmes et aux hommes. Il n’est sans doute pas anodin que la réaffirmation de la frontière vie privée/vie professionnelle soit adressée à une femme. B. Zimmerman (2011) souligne que le rapport au temps des femmes actives est davantage marqué par le « débordement » que celui de leurs collègues masculins, plus entraînés à la « préservation de soi » : « Là où les femmes peinent à cloisonner les différentes sphères – professionnelles et domestiques –, les hommes opèrent une séparation beaucoup plus nette » (p. 91).

18 Bien que les cadres soient plutôt divisés sur la question de l’aspiration à travailler moins – ceux qui travaillent le plus longtemps ne souhaitant pas réduire leur investissement – (Bouffartigue & Gadéa, 2000), une enquête récente met en évidence un discours sur «  le rétablissement des frontières entre vie privée et vie professionnelle », la recherche de « l’équilibre » entre les deux et le fait de ne plus se sentir prêt à sacrifier sa vie de famille pour l’entreprise (Thoemmes et al., 2011).

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CONCLUSION

Les temporalités de travail des managers, telles qu’elles se sont révélées au travers des cas de coaching étudiés, se caractérisent par trois épreuves spécifiques  : la tension entre planification et réactivité se manifeste par la pression du présent ; les situations dispersives produisent un temps fragmenté ; l’interdépendance avec d’autres réseaux de travailleurs, ainsi que la porosité des sphères travail/hors travail, auxquelles s’ajoutent, parfois, des situations de surcharge, prennent la forme d’un temps qui déborde. Elles représentent sans doute une expérience répandue dans les situations contemporaines de travail mais sont particulièrement le fait des cadres managers.

Le coach fournit deux clés pour former les cadres des entreprises à une meilleure gestion de ces temporalités : des tentatives de rationalisation toujours plus poussées du temps pour planifier tout ce qui peut être anticipé, y compris la place de l’imprévisible et de l’aléa ; une hygiène des territoires pour focaliser l’attention, se concentrer sur son périmètre d’action dans une chaîne d’interdépendance ou préserver sa vie personnelle. Ces orientations semblent être en décalage avec les prescriptions du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999) qui revendiquent au contraire un monde connexionniste, fondé sur le travail en réseau et l’abolition de la frontière entre personne privée et publique. Le coaching est-il alors une réponse datée à ces problèmes contemporains, à la manière du taylorisme en son temps (Vatin, 1999) ? Est-il une forme de résistance à ces évolutions ? N’est-il pas plutôt une manière d’équiper les managers pour qu’ils puissent surmonter, sur le long terme, les épreuves de travail contemporaines, en leur rappelant, derrière le discours enchanteur de la cité par projets, la permanence et la nécessité des règles de la cité industrielle ? Il semble réaffirmer la nécessaire articulation entre différents modes d’engagement dans l’activité : face à la réactivité développée par les managers, à la distribution de l’attention, à la porosité des temporalités, il rappelle – sans le dire explicitement ni le théoriser, voire en disant l’inverse – la nécessité d’allier ces dispositions à celles d’un régime d’engagement qui se rattache davantage au plan et à l’ordre industriel. Le coach peut alors être vu comme un métronome d’autant plus invisible des organisations qu’il en appelle à l’individu et à sa propre organisation personnelle, mais qu’il rappelle de fait l’importance du rythme propre à la structure productive et à ses collectifs de travail.

L’aide apportée est ainsi paradoxale et ses effets limités ou difficiles à apprécier. Le coaching fournit au cadre des supports et des modus vivendi pour mieux accorder sa propre temporalité avec celle de ses subordonnés, de ses pairs, de sa hiérarchie, ainsi qu’avec celle de l’activité proprement dite, marquée par des réactualisations quotidiennes et par la nécessité d’anticipations à moyen et à long terme. Il lui offre le recul nécessaire et l’espace propre à une hygiène psychique. Il cherche à l’aider à « se protéger du débordement » et à « résister » à ce qui est vu comme du « parasitage ». Les cadres interrogés disent être avides de ces tentatives de rationalisation du temps et de leurs promesses d’une efficacité accrue. Certains gardent des traces écrites des techniques suggérées par les coachs, à l’instar de Marc qui consulte régulièrement, encore un an après la

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fin de la prestation, le classeur qu’il s’est lui-même constitué au fil des séances de coaching. Cependant, en psychologisant les situations de travail, le coaching renvoie la responsabilité des difficultés éprouvées par les cadres dans la gestion de leurs temporalités à une question de personnalité, de mauvaise organisation due à des « travers » personnels. Il amplifie le paradoxe d’une maîtrise qui se veut toujours plus grande et du sentiment toujours plus fort que le temps nous échappe, qu’il est un problème, un « ennui ordinaire » (Nahoum-Grappe, 1995). En centrant le regard sur le manager et en tentant de l’équiper pour mieux affronter les épreuves des temporalités contemporaines, il manque la dimension collective de la réalisation du travail, qui passe surtout par la recherche d’une meilleure articulation entre les temporalités individuelles, collectives et organisationnelles, et non par le seul ajustement des individus à ces multiples niveaux. Enfin, si la plupart des cadres interrogés s’efforcent d’appliquer les principes du coaching, tous insistent sur l’épreuve du quotidien qui rend difficile « l’atteinte des objectifs », en particulier sur la question des temporalités. Marie reconnaît que l’objectif de « prendre du recul, par rapport à « tout est urgent » » n’est pas atteint au terme du coaching, en dépit d’améliorations. Il faudrait pouvoir analyser de manière située les effets du coaching sur la gestion des temporalités de travail des managers pour saisir plus finement ce qui reste de cette intervention.

Remerciements

Je tiens à remercier vivement les coordinateurs du numéro, Caroline Datchary et Gérald Gaglio, ainsi que les relecteurs anonymes de la revue, dont les remarques et les suggestions sagaces m’ont aidée à améliorer la première version de cet article.

RÉFÉRENCES

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Scarlett SALMAN est post-doctorante de l’IFRIS, au LATTS (Université Paris-Est Marne-la-Vallée, École des Ponts Paris Tech, CNRS). Ses recherches s’inscrivent au croisement de la sociologie du travail, des professions et des organisations, de la santé mentale et de la santé au travail. Elle s’intéresse à la montée des préoccupations relatives à la subjectivité au travail, qu’elle saisit à travers l’étude de pratiques comme le coaching en entreprise (cf. notamment « La fonction palliative du coaching en entreprise », Sociologies pratiques, 17, 2008, 43-54) ou de la diffusion de catégories comme celle de souffrance au travail (cf. « Fortune d’une catégorie  : la souffrance au travail chez les médecins du travail », Sociologie du travail, 50, 2008, 31-47). Elle vient de soutenir une thèse de doctorat en sociologie intitulée Une hygiène psychique au travail ? Genèse et usages du coaching en entreprise en France.

Adresse Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS)

Laboratoire L.A.T.T.S. Université Paris-Est Marne-la-Vallée Cité Descartes. Bâtiment du Bois de l’étang,

2e étage. F- 77454 Champs-sur-Marne (France)Courriel [email protected]

abstract: a coach to beat time? the rationalization of managers’ temporalities at work by self-Discipline

This article studies temporalities at work as three managers expose them during individual coaching sessions – a device founded on psychological techniques, which has been “prescribed” to them by their firm. Three figures taken by their time at work appear: a time reduced to the present, almost to the second; a fragmented time; lastly, an overload time that runs over. Coaching presents itself as a neo-managerial answer to help higher executives cope with the complexity and the diversity of their work activity, which include entanglements – if not conflicts – between different temporalities at work. Nevertheless, on the contrary to the “new spirit of capitalism”, coaching tends, in fact, to extend the limits of planning and to reassert social norms that are opposite to connexionnist society. Indeed, it recommends focusing attention, but also what we call “territory hygiene”, which consists in the strictest and most watertight task distribution possible, and in the reaffirmation of the border between private and professional life.

Keywords: executive coaching, manager’s temporalities at work, dispersion at work, psychologization, planification, territory hygiene/psychological hygiene, city by project/industrial city

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resumen: ¿un coach para marcar el compás? la racionalización De las temporaliDaDes Del trabajo De los mánagers gracias a la auto Disciplina

Este artículo es un acercamiento a las temporalidades del trabajo tal como las exponen tres managers en el espacio cerrado de unas sesiones de coaching individual, dispositivo apoyado en técnicas psicológicas prescritas por su empresa. Se pueden destacar tres figuras de su tiempo en el trabajo: un tiempo reducido al presente, incluso al instante; un tiempo fragmentado; finalmente, un exceso, un tiempo que se desborda. El coaching se presenta como una respuesta de nuevos modelos de dirección puesta en marcha por las organizaciones para ayudar a sus directivos a gestionar mejor la complejidad y la diversidad de las situaciones profesionales que generan los conflictos, o incluso las contradicciones, entre las diferentes temporalidades en la actividad del trabajo. Ahora bien, a contracorriente del nuevo espíritu del capitalismo, el coaching intenta, en los hechos, extender los límites de la planificación y reafirmar normas sociales inversas a la sociedad conexionista. Se incentiva una focalización de la atención así como lo que llamamos higiene de los territorios (es decir una repartición de tareas la más estricta y hermética posible) y finalmente la preservación de la vida personal que pasa por la reafirmación de una frontera entre vida privada y vida profesional.

Palabras claves: coaching, empresa, temporalidades de trabajo, mánagers, dispersion en el trabajo, psicologisación, planificación, higiène de los territorios/higiène psíquica, ciudad por proyecto/ciudad industrial

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