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Tours et remparts d’Aigues-Mortes 1 DOSSIER ENSEIGNANT Aigues-Mortes, ville fondée par Louis IX, est à son origine avant tout un port d’embarquement vers la Terre Sainte et de commerce. Cette bastide, la plus orientale du Languedoc capétien, placée à la tête d’un ensemble portuaire com- plexe, a été pourvue d’une enceinte monumentale par Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, conformément à la volonté du saint roi. La fortification longue de 1640 m, parfaitement conservée, donne à la cité un caractère presqu’irréel et permet au visiteur de mieux comprendre l’intérêt stratégique de cette région paludéenne au Moyen Âge, la politique capétienne de centralisation du pouvoir et les mécanismes de la construction de l’Etat fran- çais. Symbole de cette puissance royale et unique port de commerce du royaume de France durant près de deux siècles, Aigues-Mortes, surplombée par sa majestueuse tour de Constance est un site incomparable. Tours et remparts d’Aigues-Mortes

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Tours et remparts d’Aigues-Mortes1

DOSSIER ENSEIGNANT

Aigues-Mortes, ville fondée par Louis IX, est à son origine avant tout un port d’embarquement vers la Terre Sainte

et de commerce. Cette bastide, la plus orientale du Languedoc capétien, placée à la tête d’un ensemble portuaire com-

plexe, a été pourvue d’une enceinte monumentale par Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel, conformément à la

volonté du saint roi. La fortification longue de 1640 m, parfaitement conservée, donne à la cité un caractère

presqu’irréel et permet au visiteur de mieux comprendre l’intérêt stratégique de cette région paludéenne au

Moyen Âge, la politique capétienne de centralisation du pouvoir et les mécanismes de la construction de l’Etat fran-

çais. Symbole de cette puissance royale et unique port de commerce du royaume de France durant près de deux

siècles, Aigues-Mortes, surplombée par sa majestueuse tour de Constance est un site incomparable.

Tours et rempartsd’Aigues-Mortes

1 La fondation d’Aigues-Morteset l’architecture militaire

OBJECTIFS

NOS ATELIERS

APRÈS LA VISITE

uL’histoire régionale médiévale

uMaîtriser le vocabulaire de

l’architecture militaire

uComprendre la ville médiévale

uConstruction d’une porte

uL’armement au Moyen Âge

uLa tour Carbonnière

uLe fort de Peccais

C’est à partir de 1240 que Louis IX se lance, surla côte sablonneuse du littoral languedocien,dans une vaste opération d’aménagement. Sonprojet : doter la France d’un port convenable surla Méditerranée, protégé par une cité qui seraità la fois porte du royaume, gardienne des acti-vités portuaires et symbole de la puissancecapétienne grandissante. Pour mener à bien ceprojet, le roi récupère de l’abbaye de Psalmodi,détentrice de la plus grande partie des terres dela région, une petite portion de territoire qui luidonne une fenêtre sur la mer, entre les posses-sions de l’empereur Frédéric et celles deJacques, roi d’Aragon, seigneur de Montpellier.L’accord avec les religieux n’est pas encoresigné, que le roi jette les bases des premiersmonuments du site, la tour de Constance, ditealors « grosse tour du roi », et un château royalaujourd’hui disparu, et qui occupait l’emplace-ment de l’actuel logis du Gouverneur.Entre 1240 et 1248, les bâtiments royaux sontexécutés à grands frais, selon un chroniqueur del’époque, matériaux et main d’oeuvre étantimportés, puisque la zone est alors vided’homme et ne dispose pas de la pierre néces-saire aux constructions. Pour attirer unepopulation nombreuse, le roi accorde en 1246 àla bastide dont il définit le tracé, une charte deprivilèges particulièrement généreuse, octroyantd’emblée à Aigues-Mortes une organisation civi-que sous la forme d’un consulat. Cette créationsemble se faire dans l’urgence : le souverain,puis son fils devront agrandir à deux reprises leterritoire affecté primitivement à la cité, insuffi-sant pour subvenir aux besoins d’une populationque l’on souhaitait nombreuse.

La tour de Constance, symbole de la puissance royale

Le premier édifice achevé par Louis IX est la tour-donjon qui défend l’ensemble castral. Avec ses 30m de haut pour un diamètre de 22 m, elle est carac-téristique de l’architecture royale depuis le règnede Philippe Auguste. La masse de pierre repose surun réseau de pilotis qui ameublit le sol sablonneux.

La tour se compose de trois niveaux (un cul-de-basse-fosse, qui servit de lieu de stockage et deprison ; la salle basse qui permettait l’accès auchâteau depuis la campagne ; la salle haute,occupée par le châtelain de la tour et la garni-son, puis, beaucoup plus tard, par les prison-niers protestants) et d’une terrasse.

La salle basse constitue une sorte de sas entre lacampagne et l’ensemble castral. On y accédait, aunord et au sud par un système de pont-levis,aujourd’hui disparu au nord, remplacé par une pas-serelle fixe au sud. Les entrées étaient protégéespar une porte, une herse et un système d’assom-moir défendu depuis la coursière qui se loge dansl’épaisseur du mur aux deux-tiers de la hauteur dela salle. Quatre grandes archères permettaient aux défen-seurs de balayer un ample rayon autour de l’édi-fice ; la coursière annulaire ne laissait aucun anglemort aux défenseurs en cas d’invasion du premierniveau.

Tours et remparts d’Aigues-Mortes2

La tour de Constance, dessin aquarellé de A. GermerDurand

La salle est voûtée d’ogive, les arêtes reposant, defaçon alternée, sur des culots ou d’élégantes colon-nettes. Elle est encore ouverte, au sol et au centrede la voûte, par un oculus qui permettait une circu-lation verticale, au moyen de cordes ou d’échelles,entre tous les niveaux de la construction. La salle est ornée d’une grande cheminée d’ins-piration gothique qui a été mise en place en1863.

De la terrasse, le regard peut embrasser, partemps clair, un panorama d’environ 60 kmautour de la tour, entre Nîmes et la mer, le PicSaint-Loup et le Ventoux. De là, il est possiblede saisir la totalité du monument et d’appréhen-der l’organisation de la ville. Quelques repèrespermettent également de reconstituer l’étenduedu royaume sous Louis IX, les différents portsde la ville et les infrastructures mises en placepar Louis IX et son fils pour relier la ville à sonarrière-pays. La tour est surmontée d’une tourelle d’unedizaine de mètres, coiffée d’une cage de fer. Auhaut de cette colonne était entretenu un feu, carla tour était également un phare au Moyen Âge.La fonction de la tour, au-delà de son rôledéfensif était donc de « voir et d’être vue ».

La salle haute est le lieu d’habitation de la tour.C’est là qu’à l’origine demeurait le châtelain dela tour et une partie des hommes d’armes char-gés de la défense de la ville. Cette chambre estcomparable à la salle basse, avec quelques dif-férences : la pièce était à l’origine ouverte parcinq grandes archères dont l’une, au nord, a ététransformée pour abriter une pièce d’artillerie.On trouve également une cheminée et un accèsau puits. Le vestibule qui précède cette salle, au sud, est

ouvert par une fenêtre qui per-met de surveiller la ville et lacôte et de défendre le pont-levissitué en contrebas. Sur les mursde ce vestibule ont été gravés àla pointe des graffitis représen-tant de vaisseaux de mer.Certains d’entre eux ont étédatés du XIIIe siècle.

Cet étage a connu une utilisa-tion plus dramatique. C’estdans cet espace restreint quefurent incarcérés au XVIIe et au

XVIIIe siècles des protestants pour fait de reli-gion, d’abord des hommes, puis, après l’évasionspectaculaire d’Abraham Mazel, des femmes.Parmi ces captives, Marie Durand, qui a étéemprisonnée durant trente-huit ans, fait figurede modèle de la résistance protestante à l’into-lérance. On lui attribue la gravure du verbeRésister sur la margelle de l’oculus.

Du premier ensemble castral créé par Louis IX,il ne reste plus que la tour de Constance. Lechâteau, dont la construction a été entreprisesimultanément, a été détruit en 1421, au plusfort de la lutte entre Armagnacs etBourguignons. Il fut reconstruit plus tard, avantde finalement laisser place au XVIIe siècle aulogis du Gouverneur. A l’origine, la tour et lechâteau étaient défendus par un fossé dont il nesubsiste qu’une partie de la douve annulaire cei-gnant la tour, et par une palissade de bois.

Les tours et les remparts d’Aigues-Mortes

Louis IX voulait doter sa cité de remparts pourla protéger à la fois d’éventuels ennemis et desvents qui amoncelaient le sable dans les rues.Pour se procurer les moyens de réaliser ce pro-jet, il obtient en 1266 du pape et des seigneursvoisins l’autorisation de percevoir une taxe surtoutes les marchandises qui passent par la ville.C’est la création de la taxe du denier par livre(0,004 %) qui suscitera tant de mécontentementchez les commerçants de la région.Malheureusement, Louis IX, qui meurt en croi-sade à Tunis en 1270, n’a pas eu le temps devoir aboutir son projet.

Les travaux de l’enceinte débutent deux ans aprèsla mort du roi. Philippe III le Hardi confie la tâcheau Génois Guillaume Boccanegra, qui se charge dela construction contre la perception de la taxe duport. Mais Boccanegra meurt en 1274, alors que lestravaux sont à peine commencés, et ses héritiersrenoncent à poursuivre l’oeuvre de leur père. En1278, Philippe III ajoute aux travaux de l’enceintela construction d’un quai de pierre le long du che-nal qu’il fait percer au regard de la ville, désignéaujourd’hui sous le nom de La Peyrade, dans le butde réduire la distance entre le lieu d’ancrage desnavires de haute mer et la cité. Les travaux se pour-suivent lentement et Aigues-Mortes est encore uneville ouverte lorsque les vaisseaux de l’amiral cata-lan Roger de Lluria viennent attaquer le port en

Tours et remparts d’Aigues-Mortes3

La tour de Constance depuis la courtine nord

Marie Durand et ses compagnes d’infortune

1285 et s’emparer des navires à l’ancre et de leursmarchandises. C’est sans doute ce douloureux épi-sode qui accélère l’entreprise. En 1289, un rapportadressé au sénéchal de Beaucaire révèle qu’il resteencore à faire 1580 cannes carrées de courtines(environ 650 m, soit l’équivalent des courtines sudet ouest) pour achever l’ouvrage.C’est donc à l’extrême fin du XIIIe siècle ou autout début du XIVe siècle, que se place l’achè-vement de l’ensemble défensif.

La durée de l’entreprise s’explique par l’ampleurdes travaux : il s’agissait de clore, par un rectanglepresque parfait, non seulement la ville naissante,mais encore une portion de terre laissée vacante,accueillant jardins et cimetière. L’enceinte s’étendsur une longueur de 1640 m. Les courtines s’élè-vent à environ 11 m et ont une épaisseur appro-chant les 3 m. Les différents ouvrages qui s’égrè-nent tout au long de ce périmètre, tours (5), gran-des portes (5) et petites portes (5), s’élèvent enmoyenne à 18 m au dessus du sol. Mais il ne s’agitlà que de la partie minérale, la seule qui soit parve-nue jusqu’à nous. Il faut imaginer au dessus de cesmurs toute une construction en bois et en tuile, for-mée des hourds et des toitures des tours et des por-tes. Enfin, un élément isolé, la Tour Carbonnière,placée à quelques kilomètres, à cheval sur la seulevoie terrestre qui relie la ville au nord, se placecomme un poste avancé, défendant l’accès àAigues-Mortes.

Postérieure aux premiers établissements, la formegénérale de l’enceinte révèle les options primitivesde la ville. Aigues-Mortes est totalement tournéevers la mer et les étangs qui en forment l’anticham-bre : au sud, cinq ouvrages donnent accès au litto-ral de l’étang qui abrite le port « antique », deuxgrandes portes, qui répondent aux ouvrages dunord, et trois plus petites. C’est l’accès au port quiest donc privilégié dans cet espace. Au nord, enrevanche, c’est la volonté de défense qui prédo-mine : deux grandes portes seulement, l’entréeprincipale, porte de la Gardette, et une entréesecondaire, porte Saint-Antoine, dont le pont-levisne sera mis en place que vers 1346 ; entre ces por-tes, les tours du Sel et de la Mèche renforcent lacourtine et permettent une défense plus efficacedes fossés. Aux yeux des concepteurs de l’ouvrage,l’ennemi ne pouvait venir que du nord et les échan-ges commerciaux devaient être favorisés. La durée et le coût des travaux ont pu influer surle profil définitif de l’enceinte : les côtés nord et

sud ont reçu deux grandes portes ; il ne s’entrouve qu’une, côté est, et l’on ne trouve qu’unpetit ouvrage d’entrée côté ouest. D’autre part,la porte des Cordeliers ne connaît pas d’équiva-lent dans la construction. Faut-il voir dans saprésence une faveur accordée aux FrèresMineurs pour sortir plus aisément dans leschamps qui avoisinaient la ville ? Les quinze ouvrages de l’enceinte ont reçu deséléments de décor. Clés de voûtes et culots àl’intérieur, gargouilles à l’extérieur, autantd’éléments traités avec art ou naïveté, témoi-gnage du goût des hommes de ce temps, quin’hésitaient pas à orner finement les bâtimentsmilitaires. Motifs floraux ou géométriques,monstres et grotesques, portraits, scènes debataille… le programme iconographique desdiverses salles ouvertes au public est aussi richeque varié et permet d’aborder l’art du décor desXIIIe – XIVe siècles.

L’art de la guerre et la défense de la ville

Bien qu’aménagé à plusieurs reprises en fonctionde l’évolution de l’armement et des techniques deguerre, le monument d’Aigues-Mortes présente unexemple parfait pour s’initier à l’architecture mili-taire médiévale, en découvrir le vocabulaire etcomprendre les techniques de défense utilisées parles défenseurs de la ville. Même si les superstruc-tures de bois et de tuile ont disparu, on peut, encheminant sur la courtine et au travers des diffé-rents ouvrages se familiariser avec les élémentsarchitecturaux de défenses extérieurs, comme lesarchères, les chambres de tir, les assommoirs, lescréneaux et les merlons, les ouvertures supportantles hourds,… et avec ceux que l’on doit rattacher àla défense des courtines elles-mêmes, les bretèchespar exemple, le système des escaliers intérieurs etextérieurs.

En dehors des moments de conflit, l’enceintetient un rôle social : c’est la protection contreles rôdeurs, les animaux sauvages, les épidé-mies ; le corps des sergents d’armes assure lapolice de la ville et du marché… Occupés parces sergents, les édifices contiennent quelquesmarques de confort pour adoucir le séjour desprotecteurs de la cité : grandes cheminées, latri-nes, décor soigné…

La guerre est règlementée au Moyen Âge De parles privilèges qui leur ont été accordés, les habi-

Tours et remparts d’Aigues-Mortes4

Les bretèches défendent les accès destours sur la courtine

Une chambre de tir

Décor d’une clé de voûte : combatd’un soldat et d’un dragon

Tours et remparts d’Aigues-Mortes5

Le maniement de l’arbalète

tants d’Aigues-Mortes ne doivent qu’un servicemilitaire restreint et cantonné aux domaines du roivoisins. Mais ils doivent en contre partie assurer ladéfense de la ville. Dirigés en temps ordinaire parune petite vingtaine de sergents d’armes (que l’onpourrait apparenter à des militaires professionnels),les Aigues-Mortais doivent manier l’arc, l’épée, lalance, l’arbalète pour défendre les courtines ; ilsoccupent la première place dans les assommoirsdes différentes portes de la ville. L’armement desdéfenseurs diffère de celui des assaillants qui outreles armes de poing ont recours à une série demachines destinées à ouvrir des brèches dans lesremparts pour s’emparer de la ville et faire mainbasse sur ses richesses. Cet armement estaujourd’hui assez bien connu, par les textes et parla miniature plus que par l’archéologie car cesengins de bois n’ont pas laissé de traces.Ainsi, c’est tout un aspect de la vie quotidienne desmilitaires qui peut être abordé sur les courtines etdans les salles hautes du monument.

La ville dans les remparts : la bastide la plus orientale du royaume

Aigues-Mortes est une création ex nihilo, expres-sion de la seule volonté royale. Le plan de la citéest typique de ces créations originales que sont lesvilles neuves ou bastides, avec un tracé orthogonal,organisé autour d’une place qui occupe alors lecentre de l’espace bâti : c’est là que les citoyens serencontrent, que se tient le marché institué par leroi, que sont publiées les décisions royales, en unmot que se trame la vie politique et sociale de laville… Aussi est-ce autour de cet espace que sontlogés les édifices publics de la cité.

L’église Notre-Dame des Sablons est sansconteste la plus ancienne des constructions de laville. Desservie par les moines de l’abbaye dePsalmodi dont elle dépend, elle est achevée vers1260. Rectangulaire et à chevet plat, pour s’in-tégrer parfaitement à la cadastration imposéepar le roi, elle s’ouvre alors, sur son flan sud,sur la place qui lui tient lieu de parvis. Dans l’angle sud-est de la place, se dresse rapi-dement la maison consulaire, dont l’emplace-ment est aujourd’hui en partie occupé par lamairie. L’édifice est sans doute petit (les élec-tions consulaires ont lieu dans l’église desCordeliers dans la partie est de la ville), mais ilmarque par sa position centrale l’importancedes privilèges accordés par le roi à sa ville. Sur l’espace laissé libre, sera construit au coursdu XIVe siècle un marché couvert. Il se peut également que l’administration duport ait disposé de locaux sur cette place (laClaverie, ou bureau des douanes).Les installations ont été concertées : chaque habi-tant disposait d’un lot égal, lui permettant de dispo-ser d’une maison avec façade sur rue et jardin àl’arrière. L’occupation du site commence autour dela place et dans la partie ouest de la ville (entre lerempart ouest et le boulevard Gambetta). La partieest apparaît comme beaucoup moins occupée(église des Cordeliers, hôpital à partir de 1346,cimetière et sans doute quelques jardins). L’organisation des rues permet une circulationrapide des hommes, en cas d’alerte, et une mise endéfense rapide des courtines (les escaliers d’accèsau rempart sont orientés en fonction de l’occupa-tion urbaine et du tracé des rues).

Aigues-Mortes semble avoir été rapidement peu-plée sans jamais cependant excéder les dimensionsd’un gros village maritime. Les textes donnent uneidée de cette population venue d’horizons divers :aux côtés d’hommes venus des villages voisins setrouvent des Cévenols, des Agathois, des Catalans,quelques provençaux et un fort contingentd’Italiens, au premier rang desquels Génois etLombards. Très rapidement ces Italiens prennenten charge une partie de l’administration urbaine(on rencontre de nombreux noms à consonance ita-lienne dans la liste des premiers consuls de la ville).

La citadelle des marécages et des salines

Surgie du néant par la seule volonté d’unedynastie, Aigues-Mortes dispose apparemmentde peu d’atouts à son origine pour attirer lapopulation que Louis IX espère nombreuse. Lemilieu est hostile, principalement constitué demarécages, qui s’ouvrent plus largement qu’au-jourd’hui sur la mer, et de forêts, en majorité depins. Les premiers habitants de la cité royale ontsu dompter ces lieux jusque-là presques videsd’hommes. Les bois représentaient au départ devastes espaces de chasse (les textes nous lesdécrivent comme bien plus giboyeux que de nosjours et peuplés d’espèces qui ont aujourd’huidéserté cette zone) et de pâtures pour les trou-peaux de bovins, d’ovins, de caprins et deporcins. Défrichés, ils cèdent peu à peu la placeaux cultures nécessaires à la vie des habitants :le blé, la vigne et les arbres fruitiers. Mais la principale ressource de cette frange lit-torale provient des marécages. C’est de là queles Aigues-Mortais vont tirer le principal deleurs moyens d’existence. Les étangs consti-tuent d’abord un gigantesque terrain de chassepour le gibier d’eau qui prolifère dans ce milieu.Ensuite, et bien que jalousement contrôlés parles abbés de Psalmodi qui en conservent la pro-priété, les marais sont parti-culièrement poissonneux.La documentation est abon-dante à la fois sur les techni-ques de pêche pratiquéesdans l’Etang de l’Abbé,depuis de la pêche à la ligneà celle pratiquée au lam-paro, en passant par lapêche à la fichoyre ou àl’épervier, et sur les conflitsqui ont pu naître entre les

pêcheurs de la ville et les abbés de Psalmodi.C’est également dans ce milieu palustre quecroît naturellement une espèce que les nou-veaux colons vont utiliser dans de nombreuxdomaines. Le roseau, la sagne, est un matériauque l’on emploie aussi bien pour couvrir les toi-tures que pour confectionner le torchis qui sertà bâtir les premières habitations de la ville ; ilsert également de matière première pour réali-ser de nombreux instruments ; enfin, il peut ser-vir d’alimentation au bétail, gros et menu. Lasagne est si impliquée dans la vie quotidiennedes habitants de ces lieux que l’on pourrait pres-que parler d’une civilisation du roseau.Enfin et surtout, ces rivages sont dotés d’unerichesse aussi précieuse qu’indispensable : lesel. Depuis longtemps déjà, les moines dePsalmodi et les seigneurs d’Uzès se parta-geaient les salines de Peccais, sises dans lapartie extrême orientale de l’étang de l’Abbé.La production dépassait les besoins locaux etétait exportée vers le reste de la région depuisl’embarcadère des Estaques et la route qui yconduisait. Ce produit de la mer servait évidem-ment à l’alimentation des hommes et du bétail,mais il était alors le seul moyen de conservationdes poissons et de la viande. Aussi les Aigues-Mortais n’ont-ils eu de cesse que d’agrandir lesespaces consacrés à cette exploitation, au détri-ment des installations portuaires que Louis IXavait mises en place. L’histoire médiévaled’Aigues-Mortes n’est faite que de cedilemme : fallait-il favoriser le développementdes salines dans les étangs qui avoisinaient laville ou y renoncer en drainant dans ceux-ci leseaux douces qui étaient nécessaires à l’entretiendu port de commerce ? Dans ce domaine, lesintérêts des habitants d’Aigues-Mortes et du roiétaient opposés et la nature a finalement donnéraison aux premiers.

Tours et remparts d’Aigues-Mortes6

La pêche au lamparo

OBJECTIFS

Tours et remparts d’Aigues-Mortes7

2 Aigues-Mortes et le commerce en Méditerranée

NOS ATELIERS

APRÈS LA VISITE

uSituer le monument dans

le cadre méditerranéen

uComprendre la création

et le développement

du site d’Aigues-Mortes

uDécouvrir le monde des

échanges au Moyen Âge

uLes épices au

Moyen Âge

uCuisine médiévale

uJeux de piste :

graffitis de navires

uLes navires du

Moyen Âge

uLes salins du Midi

uLe Seaquarium et

le Musée de la mer

au Grau-du-Roi

Au début du XIIIe siècle, le royaume de France ne dis-pose que d’une étroite fenêtre sur le littoral, entre depuissants voisins, l’empereur germanique Frédéric II,à l’est d’un bras du Rhône qui vient se jeter près de laPointe de l’Espiguette, et le roi Jacques Ier d’Aragon,seigneur de Montpellier et de ses dépendances depuisle mariage de son père avec Marie de Montpellier en1204, et dont les possessions s’étendent, à l’ouestd’Aigues-Mortes jusqu’aux environs de l’actuelleGrande Motte. Dans cet espace, au cours des années30 de ce siècle, est mentionné un port des EauxMortes, mal commode, mais qui sert de port d’embar-quement aux barons français en 1236.

Le port du canal Viel

A partir de 1240, pour de multiples raisons maisque l’on ne doit pas réduire à sa seule volontéde partir en croisade, Louis IX fonde une villeen relation avec ce port primitif, à l’intérieurdes terres, à la fois à l’abri des effets néfastes dela mer et des assauts des gens de mer.

Ce port primitif est localisé à l’extrémité duCanal Viel, exutoire naturel de l’étang del’Abbé (de Psalmodi) qui semble avoir étéréaménagé par Louis IX pour faciliter la com-munication entre ce site et la ville. Le port estlogé non pas sur le littoral maritime, mais sur lacôte d’un étang, l’étang du Repaus (aujourd’huiEtang du Ponant), alors plus largement ouvertsur la mer. C’est par cet espace que, tout au longdu Moyen Âge se fera l’accès aux portsd’Aigues-Mortes, et c’est dans cet ancrage queles navires ronds de haute mer devaient trans-border leurs marchandises dans des navires plusplats, capables de relier la ville.

Le port de la ville ou « Port antique »

Le port du Canal Viel semble n’avoir été,depuis Louis IX, qu’un simple débarcadère,même si des traces d’installations et quelquespierres tombales, signes d’une occupation pluspérenne, y ont été vues. Le port principal, où

Aigues-Mortes et ses ports au XIIIe siècle

aboutissaient toutes les marchandises, fut ins-tallé au pied de la ville. Un texte de la fin du siè-cle lui attribue le nom de « Port antique », maisil ne faut voir dans ce terme qu’un moyen dedistinguer ce point du « Port du Môle », deconstruction plus récente. Le port intérieur, protégé des tempêtes et, aprèsla construction de l’enceinte, de toute intrusionvenue de la mer, a dû recevoir des installationsplus complexes et qui se retrouvent dans lesautres ports méditerranéens de l’époque :dépôts, magasins… Après l’instauration de lataxe portuaire du denier par livre (1 / 240e) quemet en place Louis IX en 1266, à la fois pourfinancer la construction des remparts et l’entre-tien du port, il a fallu créer les bureaux de laClaverie, peuplés de tout un personnel chargéd’évaluer les cargaisons, de les noter dans lesregistres du port et de percevoir l’impôt. Onpeut imaginer encore la foule des marchands,des changeurs, des peseurs, des porte-faix…,sans oublier les gens de mer, patrons de navire,marins, etc. Cette localisation du port de la ville explique enpartie une originalité de l’enceinte : deux portesouvertes au nord, deux à l’est, une seule àl’ouest, et cinq au sud permettant aux mar-chands et autres gens de mer d’entrer dans laville et accéder aux magasins dans lesquels lesmarchandises étaient entreposées.

Le port des Estaques

Un troisième port est mentionné sous le règne deLouis IX. Lors de l’échange qu’il avait pratiquéavec les moines de l’abbaye de Psalmodi, le rois’était attaché à obtenir ce petit embarcadère situéau bout d’un fin lido et avait fait établir une chaus-sée pour y accéder. Bien que de taille fort modeste,il revêtait aux yeux du monarque une réelle impor-tance dans la mesure où c’est là qu’était embarquéle sel produit par les salines de Peccaïs. Il ne s’agitdonc pas ici d’un port de mer, inscrit sur les routesdu commerce méditerranéen, mais bien d’un portspécifique, jouant le rôle d’intermédiaire entre lessalins et les itinéraires routiers sur lesquels le selaigues-mortais circulait.

Le port du Môle

Le processus de colmatage de l’étang del’Abbé, malgré la mise en place des nouvellesvoies fluviales de la Grande Roubine et du

Rosenal, était cependant engagé. Pour remédierà l’ensablement du Canal Viel qui rendait diffi-ciles les relations entre la ville et son avant port,Philippe III le Hardi entreprit le percement ducordon littoral en face de la ville. En 1278, lecordon ouvert par une roubine dont les rivessont bâties en moellons à bossage comme lesmurs de la ville, alors en construction. Un Môleartificiel est construit et désormais la ville dis-pose d’un « port extérieur », ouvert dans la par-tie orientale de l’étang du Repau. Les navirespeuvent approcher davantage de la ville, lesmarchands et leurs biens sont mieux protégés.Mais, comme son prédécesseur, le port artificiels’ensable et de permanents et coûteux travauxdoivent être conduits pour l’entretenir.

Le commerce à Aigues-Mortes

Il semblerait que dès l’origine, Louis IX aitenvisagé le développement commercial de laville qu’il venait de fonder. Par deux voies flu-viales artificielles, qui relient la ville à laProvence et au Languedoc, il place la ville surdeux axes est – ouest et nord – sud, transfor-mant la cité en étape du couloir rhodanien etdisqualifiant l’ancien port de Saint-Gilles.Mais le destin commercial d’Aigues-Mortesprend une autre dimension sous le règne de

Philippe III le Hardi qui parvient en 1278 à fairereconnaître le port de son père comme seul etunique accès du royaume pour l’entrée et la sor-tie des marchandises. Désormais, quiconqueveut commercer avec la France doit transiter parAigues-Mortes et, de même, quiconque veut,depuis le nord de l’Europe, envoyer ces produitsvers d’autres rives méditerranéennes, doit pas-ser par Aigues-Mortes.

Tours et remparts d’Aigues-Mortes8

La vie portuaire selonBoccace (Décaméron, hui-tième journée)

« C’était, c’est peut-êtreencore l’usage dans tousles ports de mer qu’aprèsavoir touché bord etdéchargé leurs marchan-dises, les négociantstransportent leur biensous des hangars, généra-lement appelés« douanes » et contrôléspar la commune ou le sei-gneur du pays. Le négo-ciant remet aux préposésun bulletin portant indi-cation des denrées et deleur prix. On lui assigneun magasin où il range etenferme le tout à clef. Surleurs registres, les com-mis de la douane portentau crédit du négocianttout le dépôt, et lui fontensuite acquitter desdroits proportionnels auxretraits. Par le moyen desregistres, les courtierssont fréquemment infor-més de la qualité et de laquantité des marchandi-ses entreposées, et saventquels sont les détenteursdes stocks. Ils peuventdonc, le cas échéant, dis-cuter change, troc, venteet autres opérations com-merciales. Cette pratiqueavait cours à Palermecomme dans beaucoupd’autres villes ».

Une rue commerçante au Moyen Âge

Bien entendu, tous ces marchands qui viennentd’Angleterre ou des foires de Champagne, doi-vent en outre acquitter la taxe du denier parlivre instaurée par Louis IX pour construirel’enceinte et dont les travaux ne sont alors guèreavancés. Et c’est un mouvement continu de per-sonnes et de marchandises qu’il faut imaginer àAigues-Mortes. Des denrées et autres marchandises qui transi-tent par Aigues-Mortes nous avons quelquesexemples caractéristiques, comme les cargai-sons de 1289 – 1296 que des Marseillaisconvoient vers Majorque et qui en reviennent.Nous disposons également de tarifs de péagessur les voies qui partent d’Aigues-Mortes. Maisle document le plus significatif est le registre dudenier par livre du port. Un seul exemplaire aété conservé, qui couvre une année, du 25décembre 1357 au 24 décembre 1358. Sontnotés dans ce registre, les types d’embarcations,les noms des capitaines et des marchands pour

le compte desquels ils naviguent, les marchan-dises avec leur poids et l’estimation de la taxequi doit être prélevée sur elles.

Malgré l’ensablement continu de ses ports,Aigues-Mortes restera une étape importante ducommerce médiéval. Certes les conditions nesont pas très favorables et souvent les marins etmarchands cherchent à éviter la place. De longsprocès, dès la fin du XIIIe siècle, maintiennentcependant le monopole aigues-mortais.Le XVe siècle verra la fin commercialed’Aigues-Mortes. En 1464, Lyon est autorisé àrecevoir des épices par la voie alpine, ce qui, defait, met un terme au monopole établi parPhilippe III. Mais c’est le rattachement deMarseille au royaume de France en 1481 quimet un terme définitif aux ambitions commer-ciales de notre ville. Désormais, Aigues-Mortesne sera qu’un simple port de cabotage dont lesprétentions demeureront toutes locales.

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Extrait du registre du portd’Aigues-Mortes

25 juin 1358Galée d’André de la Soa,qui vient de GênesPour le compte de PierreGabimi :

Poivre, 15 livresGingembre, 8 livresMiel, 5 livresEncens, 3 caissesGrains moulus, 1 livreGingembre galenga, 2 livresIvoire, 4 livresValeur : 2810 florinsTaxe à payer : 11 £, 14 s., 2 d.

Pour Peire Bisbe :Poivre, 6 livresIndigo, 6 caissesMercure, 7 barilsCannelle, 1 livreValeur : 1762 florinsTaxe : 3 £, 6 s., 10 d.

…Pour Jean de Gand : …

Safran bâtard, pour la teinture, 1 livreValeur : 402 florinsTaxe : 1 £, 13 s., 6 d.

…Pour Guilhem de Sayssa :

Poivre, 4 livresGingembre, 1 livreValeur : 380 florinsTaxe : 1 £, 11 s., 8 d.

…Pour Donato Divi

Poivre, 7 livresValeur : 560 florinsTaxe : 2 £, 6 s., 8 d. …

Pour Thobias Lomellini :Bois brésil, 2 livresValeur : 50 florinsTaxe : 4 s., 2 d.

Pour Martin Arnulphi :Fil d’or, 1 caisseValeur : 20 florinsTaxe : 1 s, 8 d.Total : 36 £, 6 d.

Les différentes manipulations des marchandises dans le port d’Aigues-Mortes à la fin du XIIIe siècle

« Plainte des commerçants de Montpellier en 1300A Aigues-Mortes pour transborder des navires dans les caupols et pour transporter avec ces cau-pols* jusqu’à la terre, 2 deniers ; de même, aux portefaix pour décharger à terre, 2 deniers ; demême, pour l’entrepôt, 2 deniers pour chaque charge, même si elle n’est pas déposée dans l’en-trepôt lui-même ce qui est inhumain ; de même, pour le transport à la roubine de chaque charge,2 deniers ; de même, pour le péage de la Radelle, 4 deniers par charge ; de même et en plus, ilfaut dépenser une grande quantité d’argent pour louer des caupols et des barques pour conduireet ramener ses marchandises jusqu’à Lattes ; de même et en plus un denier par livre de ses mar-chandises… »Les caupols sont de petites barques à fond plat qui peuvent circuler sur les étangs.

Aigues-Mortes, les étangs et la mer

Le commerce en Méditerranée au Moyen Âge

Dès sa fondation, Aigues-Mortes figure parmiles grands ports fréquentés par les marchandsitaliens. En témoigne sa mention sur les princi-paux portulans et cartes nautiques du temps.Si chaque nation entend se livrer activement aucommerce en Méditerranée, la prééminence desGénois et des Vénitiens, établie au prix de nom-breuses luttes qui leur ont permis de surpasserleurs concurrents, ne fait aucun doute. Personnen’est en mesure de rivaliser avec la flotte privéeou publique de ces Républiques, qui louent ouvendent leurs navires ou leurs services à saintLouis lorsqu’il veut partir en croisade, en 1248et 1270. On pourrait croire que la Méditerranéeest un lac que se partagent des deux nations.

De mars à novembre, lorsque qu’elle est« ouverte », les navires génois et vénitiens sil-lonnent la Méditerranée, s’approvisionnant enOrient, et redistribuant leurs marchandisesjusqu’en Europe du nord-ouest, en Angleterre et

en Belgique. Entre ces deux points, les naviressont chargés d’une part d’épices et de soieries,de l’autre, des draps de Champagne et deBruges.

La route orientale se scinde approximativementen deux axes correspondant aux deux routesmythiques : la route de la soie, continentale, etqui aboutit en Mer Noire ou en Syrie, la routedes épices, plus maritime, qui, partant de Chineet d’Indonésie, longe les côtes indiennes pourrallier l’Egypte par la Mer Rouge.

Le commerce en Méditerranée est en pleineexpansion au XIIIe siècle. Les croisades sontbien loin de l’avoir entravé, au contraire : lescroisés ont rapporté d’Orient un goût prononcépour ce qu’ils ont découverts tant au niveau dessaveurs que sur le plan vestimentaires ou lesmodes de vie. Aussi dès le XIIe siècle, le transitdes épices et des soieries s’est-il accru à travers laMéditerranée. Poivre, gingembre, cannelle, car-damome, cumin, safran, carvi, girofle, sucre…

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Les itinéraires génois et vénitiens en Méditerranée au Moyen Âge

Un grand marchand à AiguesMortes : Jacques Coeur, 1400-1456

En pleine guerre de Cent ans,Jacques Coeur naît à Bourgesd’un père humble marchand pel-letier. Alors qu’il n’a que 18 ans,le Dauphin, fuyant Paris auxmains du parti anglais, vients’installer sur les terres du duc deBerry, ce qui donne un élan àl’économie locale et permet l’as-cension de la famille Coeur. En 1420, Jacques Coeur épousela fille du prévôt des marchandsde Bourges et grâce à l’appui desa belle-famille, entre dans ledomaine de la banque et duchange. En 1427 il prend avecdeux associés la ferme de laMonnaie royale de Bourges, maisles trois hommes sont accusés defraude deux ans plus tard. Absoutpar le roi qui attend du banquierle financement des entreprises deJeanne d’Arc, Jacques Coeurentre davantage dans l’entou-rage royal. En 1433 il effectue enOrient un voyage qui le conduit àDamas : c’est la révélation pource grand marchand. A son retour,il se lance dans le commerceoriental, se basant à Montpellieret Aigues-Mortes, où il aurait faitcopier un navire génois. Sa réus-site commerciale ne l’éloigne pasdu service du roi : en 1440 il estnommé argentier du roi (ministredes Finances), l’année suivante ilest anobli, et en 1442, il est lepremier bourgeois à entrer auConseil royal. En 1444, il estnommé commissaire auprès desétats de Languedoc et mène pourle roi plusieurs missions diplo-matiques, tant en Occidentqu’auprès du Sultan d’Egypte.Homme d’entreprise il amasseune immense fortune dans leBerry, le Lyonnais, le Bourbon-nais, le Beaujolais et enLanguedoc où il contrôle le com-merce du sel. En 1448, il transfère ses affairesd’Aigues-Mortes à Marseille, quirelève alors du roi René.Son ascension rapide, le luxequ’il étale, son intimité avec leroi Charles VII, les procédés par-fois peu honnêtes qu’il utilisepour arriver à ses fins, lui valentune inimitié grandissante. En1451, il est arrêté et condamné àune amende de 400 000 écus. Ilparvient cependant à s’échapperde sa prison et trouve refugeauprès du pape qui le charge ducommandement d’une flotte poursoutenir Rhodes contre les Turcs.C’est au cours de l’expéditionqu’il meurt en 1456 devant Chio.

mais aussi soies extrême-orientales, brocards,damas, armes ornementales,… autant de pro-duits de luxe de faible poids mais de « fortevaleur ajoutée » qui viennent se déverser sur lesmarchés européens pour répondre à unedemande de plus en plus pressante dans les clas-ses les plus hautes de la société médiévale, tantlaïques que cléricales. Les épices deviennentmonnaie d’échange : les abbés de Psalmodidonnent à bail leurs pêcheries établies dansleurs étangs contre certaines quantités de poivreou de gingembre.

Ayant suscité ce commerce, les croisades negênent en rien son essor même dans lesmoments les plus tragiques. Louis IX s’estembarqué avec ses troupes sur des naviresgénois qui étaient autorisés à se livrer à leur tra-fic dès que le service du roi leur en donnaitliberté. Aussi, les marchands génois et vénitiensétablissent le long des côtes orientales des fon-douks, véritables quartiers commerçants chré-tiens, dans les terres musulmanes qui lesaccueillent. La Méditerranée devient un vérita-ble terrain d’échange de marchandises, de tech-niques, d’hommes, d’idées…

Les navires du Moyen Âge

Sur cette mer de plus en plus fréquentée et quidevient un véritable enjeu politico-économique(plus que la politique de Louis IX, voir lesmenées de son frère, Charles d’Anjou qui, par-tant de Provence, s’empare de la Sicile et ambi-tionne d’étendre son pouvoir jusqu’àConstantinople ; après lui viendra la fortune desAragonais, qui se rendront maîtres de la quasi-totalité des îles de la Méditerranée occidentale).La navigation est presque exclusivement entreles mains des Occidentaux.

Deux grands types de navires de mer, quiconnaissent bien des déclinaisons, sillonnentcette mer. Les bateaux ronds, dont le vaisseautype est la nef, sont des navires ventrus et hautsde bords, dépourvus encore de quille. Les gou-vernails latéraux disparaissent peu à peu au pro-fit du gouvernail arrière axial. Ses trois mâts sontgréés de voiles latines caractéristiques par leurforme triangulaire. C’est sur ce type de navireque sont embarqués les pèlerins ou les croisésavec leurs chevaux (on parlera alors de nefs huis-sières, « à portes ») ou les pondéreux, marchan-dises lourdes et de faible valeur. Ces navires sontrelativement lents en raison de leur taille et deleur poids, et sont le jouet des vents et des flots.

Tours et remparts d’Aigues-Mortes11

Les routes de la soie et des épices, à travers le continent indien et l’Océan Indien

Le plus célèbre commerçantdu Moyen Âge, Marco Polo,un contemporain de saintLouis

Né et mort à Venise 1254– 1324Marco Polo est né pen-dant un voyage que sonpère fait en Crimée oùson frère aîné Andreapossède un comptoir etqui poursuit son voyagejusqu’en Asie Centrale àla cour du grand khanKübïläy.En 1271, Polo père repartavec son fils. Ils parvien-nent jusqu’en Chine àPékin, résidence d’été dukhan Kübïläy (1275). Lekhan prend les italienssous sa protection et leurséjour dure seize ans.Marco Polo reçoit le gou-vernement d’une provinceet accomplit des missionsdans le Yun nan, enCochinchine, Tibet, Indes. 1291, les Polo accompa-gnent une princesse de lafamille impériale enPerse : retour versl’Europe par Sumatra etl’Asie méridionale, laPerse, l’Arménie,Constantinople.1296 ou 98, il est fait pri-sonnier lors d’unebataille navale contre lesGênois. Dans sa prison, il dicte àRustichello, un écrivain,le Livre des merveilles duMonde ou Devisement duMonde.Rentré à Venise en 1299,il est nommé membre duGrand Conseil. Il ne quit-tera plus sa patrie où ilrédige une nouvelle édi-tion de ses voyages.

OBJECTIFS

uAborder les notions de

temps et d’espace

uEnvisager le Moyen Âge

sous l’angle d’une société

en mouvement

Ce sont ces deux critères qui différencient cesvaisseaux des navires longs, dont le navire typeest la galée ou galère. Ces navires bas sur l’eau,de faible jauge, se déplacent à la fois à la voilelatine et à la rame. Fins et rapides, ils peuventplus facilement se jouer des éléments et neconnaissent pas les pannes de vent. Les rameursne sont ni des prisonniers ni des esclaves. A

Venise, c’est le service que doit accomplir uncitoyen pour sa République, en échange de quoiil est libre d’emporter une cargaison person-nelle, dans le coffre sur lequel il est assislorsqu’il rame. Ces navires se consacrent exclu-sivement au trafic des marchandises à fortevaleur ajoutée et faible poids comme les épiceset les soieries.

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Une nef, navire rond

Une galée, navire long Graffiti de la tour de Constance représentant unnavire long

Graffiti de la tour de Constance représentant une nef

OBJECTIFS

uDécouvrir un aspect de la vie

quotidienne au Moyen Âge

uLa consommation des épices

comme fait de société

Une marchandise privilégiée et mystérieuse : les épices

Les épices, comme les soieries, étaient connueset appréciées depuis l’Antiquité. Apicius, cuisi-nier de l’empereur Tibère, au début de notre ère,assaisonnait copieusement ses recettes de cessaveurs venues d’Orient et d’Extrême Orient.Le goût pour ces produits importés prit d’ail-leurs une telle importance que l’empereurDioclétien, en 301, dut en limiter la vente parson édit du maximum. La disparition de l’Empire romain, puis l’essorde l’Islam firent disparaître en partie les épicesdes cuisines occidentales. Ce sont, nous l’avonsdit, les croisades qui remirent ces produits deluxe à l’honneur en Occident.

Jusqu’au XIIIe siècle, l’origine de ces épices estentourée du plus fabuleux mystère. Pour Joinville,biographe et sénéchal de Louis IX et qui l’avaitaccompagné en Egypte, il était avéré que les épices– gingembre, rhubarbe, cannelle et aloès – étaientpêchées dans le Nil, avec des filets, après qu’ellessoient tombées du Paradis… Seule la maniguette,une voisine de la cardamome, gardera longtempsson aura, puisque cette épice africaine s’appelleencore « graine de Paradis »…Les Cynocéphales (« hommes à tête de chien »que Pline l’Ancien avait déjà mentionné à côtéd’autres monstres peuplant les zones inconnues

du monde) sont les indigènes des îles Adaman,dans l’Océan Indien, qui se livrent à la récolte etau commerce des épices. Pour les hommes duMoyen Âge, qui révèrent les textes del’Antiquité, la cannelle est une épice trouvéedans le nid de divers oiseaux, dont le fabuleuxphénix, cet animal qui renaît de ses cendres etque l’on devait distraire avec quelques mor-ceaux de chair d’âne.Mais il reviendra à Marco Polo, célèbre mar-chand de Venise, de dévoiler les origines d’unegrande partie de ces plantes, graines et rhizo-mes. Dans son Livre des merveilles, écrit dansune prison génoise après seize années passéesen Chine, il décrit la plupart des épicesd’Orient. Mais si le mystère est éventé, le suc-cès des épices est loin d’être passé.

Pour leur parfum ou leur couleur (la cuisinemédiévale étant particulièrement colorée), lesépices font désormais partie des ingrédients quifigurent dans la cuisine et sur la table des puis-sants. On a souvent pensé que ces produits étaientutilisés pour masquer le goût de viandes particuliè-rement fortes parce que mal conservées ou faisan-dées. Mais il faut penser que le palais des hommesdu Moyen Âge se plaisait plus que le nôtre à cemélange de saveur, parfois violent.

Les épices, telles que la cannelle, le gingembreou le galanga, entraient également dans la com-position de boissons, comme l’Hypocras, ouétaient utilisées pour adoucir et conserver levin. Mais on reconnaissait également des vertus bénéfi-ques, voire magiques à ces produits. La pharmaco-pée a largement puisée dans les plantes et épicespour soulager ou guérir. Le gingembre passait pouravoir des vertus digestives et calmait les mauxd’estomac. Le clou de girofle apaisait les maux dedents. La coriandre passait pour favoriser le som-meil et la conception, tout en aidant à conserver lesviandes. Une orange piquée de clous de girofleétait censée protéger de la peste. La cardamomeblanchissait les dents et rafraichissait l’haleine… Mais au-delà de ces vertus curatives, les épicespassaient pour être dotées d’une puissance pro-digieuse. Filtres et potions magiques puisent laplus grande partie de leurs forces dans le regis-tre des épices dont les qualités sont proportion-nelles à la rareté et à la valeur. Ainsi, le cuminpassait pour rendre les amoureux fidèles etempêchait les poules de s’égarer. On connaîtencore les mérites du gingembre. Associé à la

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Miniature représentant des Cynocéphales cueillantdes épices

cannelle, au girofle, au carvi noir, au sucre et aupoivre il donnait le fameux filtre d’amour…

Les plus fameuses épices sont, sans conteste, lepoivre et le gingembre, qui se substituèrent àl’occasion aux paiements en argent. Toutes cesépices étaient très chères en raison de leur originelointaine ou de leur nature (il faut par exemple15000 stigmates de crocus sativus pour réaliser100 grammes de safran). Aussi, ne figuraient-elles que sur la table des plus riches membres de

la société qui n’hésitaient cependant pas à réuti-liser dans les préparations médicinales des épicesqui avaient déjà servi en cuisine.

N’oublions pas enfin, que c’est en cherchant denouveaux itinéraires vers les centres de produc-tion des épices que sont l’Inde et la Chine, queChristophe Colomb découvrit les IndesOccidentales, les Amériques, en 1492 et que futentreprise la première circumnavigation parMagellan en 1520-1521.

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Miniature représentant un marchand de canelle

Le commerce était très lucratif pour les épiciers occidentaux.Portrait d’un marchand d’épice dans les Très riches heures duduc de Berry, Musée Condé, MS 84, fol. 1v.

Le Mesnagier de Paris,1393 : un livre de recettesmédiévales

La cuisine médiévale utiliseles épices sans retenue. Voicil’exemple du civet de lièvre,suivant la recette de l’un descuisiniers les plus connus de lafin du XIVe siècle.

Civé de lievre. Premierement fendez le lie-vre par la poictrine, et s'ilest de fresche prise, commed'un ou deux jours, ne lelavez point, maiz le mectezharler sur le greil - id estroidir sur le bon feu de char-bon - ou en la broche. Puizaiez des ongnons cuiz, et dusain en ung pot, et mectezvos ongnons avec le sain, etvostre lievre par morceaulx,et les friolez au feu, enhochant le pot tres souvent,ou le friolez au fer de lapaelle. Puiz harlez et brulezdu pain, et trempez en l'eauede la char avec vinaigre etvin. Et ayez avant broyé gin-gembre, graine, giroffle, poi-vre long, noiz muguectes etcanelle, et soient broyez etdestrempez de vertjus etvinaigre ou boullon de char.Requeilliez puiz mectez d'unepart. Puiz broyez vostre pain,deffaictes du boullon, et cou-lez le pain, et non les espi-ces, par l'estamine ; et mec-tez le boullon, les ongnons,et sain, espices, et pain brulétout [cuire] ensemble, et lelievre aussi ; et gardez que lecivé soit brun, aguisé devinaigre, atrempé de sel etd'espices.Nota que vous congnoistrésl'aage d'un lievre aux trouzqui sont dessolz la queue ;car pour tant de pertruiz,tant d'ans.

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Bibliographie

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Concernant les navires au Moyen Âge

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Embarquement de Louis IX pour la croisade

Tours et remparts d’Aigues-MortesService des actions éducatives

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Les visites et les ateliers alternent découverte du site et activités.

Les médiations culturelles et pédagogiques sont animées par les Chargés d’Actions Culturelles et Educatives du Centre desmonuments nationaux (conférenciers et animateurs du Patrimoine).

Les activités suivantes sont proposées :u des parcours découvertes de 1 h 30 (les ports et le commerce d’Aigues-Mortes ; l’architecture militaire et ladéfense des villes ; la bastide royale)u des ateliers d’une demi-journée (atelier héraldique ; navigation au moyen-âge ; jeu sur l’économie médiévaleet la guerre).u des ateliers d’une journée