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Surendettés, des éleveurs choisissent de sortir du « dépenser plus pour produire plus » Le Monde.fr | 27.02.2016 à 09h51 • Mis à jour le 27.02.2016 à 13h28 | Par Manon Rescan (/journaliste/manon-rescan/) Un dimanche de printemps 2014, Marie-Yvonne Lethuillier a vu la carapace de son mari se fendre : « Il mʼa dit quʼil nʼallait pas pouvoir faire la traite. » Une « grande fatigue » sʼest abattue sur les épaules de Frédéric, éleveur laitier à Auvers-sous-Monfaucon (Sarthe). Une maladie dont il peine aujourdʼhui à retrouver le nom en anglais. Son « burn-out », somme dʼun trop plein de travail et dʼune accumulation de dettes, lui vaudra quatre mois dʼarrêt de travail et une grande remise en question. Deux ans plus tard, en cette fin de février, le vert luisant des champs qui mènent à la ferme est désormais facteur de soulagement pour le couple. Dʼici à quelques jours, quand le sol aura épongé la pluie tombée cet hiver, les soixante vaches laitières de lʼélevage pourront sortir paître . Une image dʼEpinal qui nʼa pourtant rien de conventionnel dans le département. Ici, les ruminantes passent lʼessentiel de leur temps en intérieur, dans les stabulations des fermes, nourries à lʼensilage de maïs cultivé à la ferme et aux compléments de ration achetés à lʼextérieur. Cʼest de ce modèle intensif que la famille Lethuillier est revenue, constatant quʼil était lʼun des poids pesant sur sa comptabilité déficitaire. Et sur son moral. Marie-Yvonne et Frédéric Lethuillier, éleveurs à Auvers-sous-Monfaucon, ont économisé 40 000 euros par an en choisissant de remettre leurs vaches en prairies. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde" Surendettés, des éleveurs choisissent de sortir du « dépenser p... http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/02/27/surendettes... 1 sur 6 05/03/16 00:09

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  • Surendettés, des éleveurs choisissent de sortir du« dépenser plus pour produire plus »

    Le Monde.fr | 27.02.2016 à 09h51 • Mis à jour le 27.02.2016 à 13h28 | Par Manon Rescan (/journaliste/manon-rescan/)

    Un dimanche de printemps 2014, Marie-Yvonne Lethuillier a vu la carapace de son mari se fendre :« Il mʼa dit quʼil nʼallait pas pouvoir faire la traite. » Une « grande fatigue » sʼest abattue sur lesépaules de Frédéric, éleveur laitier à Auvers-sous-Monfaucon (Sarthe). Une maladie dont il peineaujourdʼhui à retrouver le nom en anglais. Son « burn-out », somme dʼun trop plein de travail etdʼune accumulation de dettes, lui vaudra quatre mois dʼarrêt de travail et une grande remise enquestion.

    Deux ans plus tard, en cette fin de février, le vert luisant des champs qui mènent à la ferme estdésormais facteur de soulagement pour le couple. Dʼici à quelques jours, quand le sol aura épongéla pluie tombée cet hiver, les soixante vaches laitières de lʼélevage pourront sortir paître . Une imagedʼEpinal qui nʼa pourtant rien de conventionnel dans le département.

    Ici, les ruminantes passent lʼessentiel de leur temps en intérieur, dans les stabulations des fermes,nourries à lʼensilage de maïs cultivé à la ferme et aux compléments de ration achetés à lʼextérieur.Cʼest de ce modèle intensif que la famille Lethuillier est revenue, constatant quʼil était lʼun des poidspesant sur sa comptabilité déficitaire. Et sur son moral.

    Marie-Yvonne et Frédéric Lethuillier, éleveurs à Auvers-sous-Monfaucon, ont économisé 40 000 euros par an enchoisissant de remettre leurs vaches en prairies. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde"

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  • Lire lʼentretien avec le président de Solidarité paysans :   « Les agriculteurs ont un réelsentiment dʼabandon vis-à-vis de la société » (/economie/article/2016/02/27/les-agriculteurs-ont-un-reel-sentiment-d-abandon-vis-a-vis-de-la-societe_4872920_3234.html)

    « Vider leur sac »

    Balayant lʼétendue verte de la main, Mathieu Chartier, salarié de lʼassociation Solidarité paysans, sesouvient de la première fois où il a longé ces champs, après lʼappel de détresse de Marie-Yvonne.« Il y a deux ans, tout ça cʼétait du maïs », sourit-il face aux terres devenues prairies. « Cʼestsouvent la femme qui fait la démarche », poursuit-il, expliquant que son rôle est, dʼabord, dʼapporterun soutien moral aux familles qui commencent par « vider leur sac » sur la toile cirée de la salle àmanger .

    Sa démarche consiste ensuite à les accompagner – il le fait avec trente nouvelles familles par an –dans les démarches juridiques nécessaires pour redresser lʼexploitation quand cʼest possible. Selonles fermes, il lui arrive de proposer , avec le Centre dʼinitiatives pour valoriser lʼagriculture en milieurural (Civam), une réorientation du mode de production pour aller vers un fonctionnement « pluséconome et autonome ».

    40 000 euros d’économies par an

    Des graminées et du trèfle. Tel est le cocktail avec lequel sont désormais nourries, dès les beauxjours, les Primʼholstein de la ferme des Lethuillier. A la sortie de lʼhiver, fini le maïs et lescompléments : le trèfle fournit de lʼazote au sol et, avec les graminées, des protéines nécessaires àla fabrication du lait qui fait vivre lʼexploitation. La ferme a conservé 13 hectares de maïs (contrepresque 30 auparavant) pour lʼhiver, que les vaches passeront au chaud.

    Le couple est loin dʼavoir épongé toutes ses dettes mais il a réduit ses achats dʼaliment de40 000 euros. Et semble visiblement souffler après des années de doute. « On ne voit plus arriverles factures », se réjouit Marie-Yvonne.

    Cette histoire ressemble à celle de nombreux agriculteurs aujourdʼhui en difficulté. Celle dʼuneinstallation ou dʼun investissement dont lʼéquilibre prévu par les plans de financement est mis enmiette par un incident dʼexploitation.

    Chez les Lethuillier, la paratuberculose, une maladie contagieuse fatale pour le troupeau, déclaréequinze jours après leur installation, a contraint les exploitants à renouveler le cheptel quasi

    Ecoutant les conseils du milieu agricole, Frédéric et Marie-Yvonne Lethuillier ont renoncé à un projet herbager, auquel ilsreviennent aujourd'hui. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde"

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  • intégralement en un an, plombant le budget de la ferme et les économies de la famille. Au pointquʼelle sʼest trouvée rapidement incapable de payer ses fournisseurs.

    A Bouër, à 35 kilomètres au nord-est du Mans, cʼest la crise du lait de 2009 qui a fait voler en éclatsles plans de Nicolas Haubert et Angélique Lecomte. Trois semaines après leur installation, le prix dela tonne a chuté de plus de 100 euros sous leurs prévisions. Ils nʼavaient alors que 23 ans et unemprunt de 650 000 euros dʼinstallation à rembourser .

    Sept ans plus tard, « ça porte » aussi sous les chaussures dans leurs prairies, signe que les vachespourront bientôt sʼinstaller sans sʼenfoncer dans la terre. Mais le couple, lui, est loin dʼêtre sorti delʼornière. Au moins, Angélique a-t-elle recommencé à « ouvrir les factures » quʼelle avait fini par neplus regarder quand, il y a un peu plus de deux ans, lʼexploitation a vu « les huissiers débarquerdans la cour ».

    Le couple, en redressement judiciaire, a pu ensuite bénéficier de dix-huit mois de gel de sesremboursements aux banques et aux fournisseurs. Sa dette a été réétalée sur treize ans,lʼéquivalent dʼune nouvelle installation pour la famille qui sʼest agrandie avec deux fillettes de 6 et 3ans. Elle saura dans quelques jours combien le « système herbager » lui a permis dʼéconomiser surson bilan comptable.

    Retrouver son autonomie

    Ce système nʼest toutefois pas une solution miracle pour le monde agricole en crise. « Cʼest propreà un terrain particulier, et à un type dʼélevage », insiste Mathieu Chartier. Les plaines sarthoises etles parcelles de prairie proches des fermes facilitent cette transition, quʼun partenariat entreSolidarité paysans et le Civam permet dʼaccompagner.

    Pour les deux associations, lʼessentiel de leur action est de proposer des scénarios aux exploitantset de, surtout, « ne pas prendre de décision à leur place ».

    Accompagnés par Mathieu Chartier de Solidarité paysans, Nicolas Haubert et Angélique Lecomte ont transforméd'anciens champs de maïs en prairies où viendront bientôt paître leurs vaches. Cyril Chigot - Divergence pour "LeMonde"

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  • Car lʼautonomie des agriculteurs est un combat de longue haleine qui reste en travers de la gorgedes Lethuillier, comme de Nicolas Haubert et Angélique Lecomte. Tous ont en mémoire ceux qui, àleur installation, les ont détournés de leur intuition, et intention, de « faire de lʼherbe ». « A lʼécoledʼagriculture, on vous apprend quʼon fait du lait avec du maïs, pas avec de lʼherbe », confirmeMathieu Chartier, lui-même diplômé dʼagronomie.

    « Pourquoi personne ne nous a dit que lʼon pouvait faire autrement ? », interroge Marie-Yvonne lamain sur la croix quʼelle porte en pendentif, ne décolérant pas contre tous ceux qui les ont orientésvers ces mauvais choix. « Le problème, cʼest quʼon est une profession où on est trop conseillés »,ironise à ses côtés Frédéric. Mais ces avis peuvent toutefois apparaître bienvenus à un momentdonné quand, comme lui, on a appris le métier sur le tard, et quʼon redoute de faire couler sa petiteentreprise.

    Outre lʼorientation de lʼexploitation, la négociation de lʼachat de la ferme (« quʼon paie toujours tropcher », résume Frédéric Lethuillier), cʼest le choix des intrants, des compléments, vitamines, engraisou pesticides qui fait lʼobjet des conseils de techniciens… qui en sont aussi les vendeurs.

    Le visage marqué, Angélique Lecomte revoit ce fournisseur, auprès de qui elle est pourtant déjàlourdement endettée, leur recommander lʼachat dʼun nouveau complément pour les vaches censéaccroître la production de lait pour leur permettre de gagner davantage. « On est jeunes et naïfs,alors on écoute », regrette-t-elle.

    Quand Solidarité paysans et le Civam les rencontrent, ils leur proposent de commencer par diminuerde moitié les compléments alimentaires. Incrédules, Nicolas et Angélique ont vu la production semaintenir , avec pourtant deux fois moins dʼintrants. Le couple, qui dépensait 80 000 euros par an enaliments achetés à lʼextérieur, commence alors à voir où il pourra faire des économies.

    Arrêter de dépenser plus pour produire plus

    En pleine difficulté, Frédéric Lethuillier sʼétait, lui, toujours entendu dire par son contrôleur laitier quele seul moyen de sortir ses comptes du rouge était de « faire son quota », cʼest-à-dire atteindre sonmaximum de production autorisé par lʼUnion européenne (le système, aboli lʼannée dernière,continue de servir de référence dans la filière laitière). Dʼun geste, Frédéric résume les implicationsde ce choix : il plie le bras dʼavant vers lʼarrière, mimant à la fois le tiroir-caisse et lʼouverture delʼépandeur sur les champs.

    La crise du lait a enrayé le projet de financement de Nicolas Haubert et Angélique Lecomte trois semaines après leurinstallation. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde"

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  • « ON ESTFORMATÉS ÀFAIRE DELʼINTENSIF, ÀLʼÉCOLE, À LACHAMBREDʼAGRICULTURE… »

    Dépenser plus pour produire plus. Claude Marchais, exploitant laitier, ne veut plus entendre parler dece « productivisme à outrance » depuis quʼen 2010, tous ses conseillers lui ont recommandé devendre son exploitation. Installé depuis 1989, il venait tout juste de se constituer en groupementagricole dʼexploitation en commun (GAEC) avec dʼautres agriculteurs et de sʼendetter pour faireconstruire une stabulation et une salle de traite moderne.

    Distributeur automatique de portions dʼaliments, racloire automatisé pour nettoyer les excrémentsdes vaches, salle de traite rotative qui facilite le travail de lʼéleveur… Les paysans y gagnent enconfort et en espace, dans la perspective dʼagrandir lʼélevage de 160 vaches, pour 250 hectares deterres. « Cʼétait dans lʼair du temps », reconnaît Christine, sa femme, associée à la ferme.

    Mais le GAEC est lui aussi pris dans le piège de la crise du lait de 2009 etne peut plus rembourser son emprunt. Entré en procédure de sauvegarde,Claude, qui avait jusque-là dit tout le mal quʼil pensait du système herbager, finit par être convaincu de son utilité. Aujourdʼhui président de Solidaritépaysans en Sarthe, il en est même devenu lʼun des défenseurs.

    Aujourd'hui Claude Marchais (ici avec sa femme Christine) est bénévole chez Solidartié paysans où il accompagned'autres éleveurs en difficulté. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde"

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  • Si désormais lʼune des travées de leur stabulation, qui devait accueillir lʼagrandissement delʼélevage, est vide, hors de question de la remplir . « On est formatés à faire de lʼintensif, à lʼécole, àla chambre dʼagriculture… On nous dit : faites plus et vous aurez plus. Mais, parfois, le plus tourneau moins », constate le couple Marchais.

    Outre son apaisement dʼéleveur, Claude Marchais assure avoir vu une différence sur ses animauxqui sont « plus calmes », lorsquʼils vont au champ. Une amélioration du bien-être du bétail quʼil litaussi dans ses comptes : « Jʼai diminué ma facture de vétérinaire de 30 %. »

    Frédéric Lethuillier se réjouit, lui, dʼêtre « redevenu le patron de sa ferme » : « Je nʼécoute plus lesconseils, cʼest moi qui prends les décisions. » La prochaine pourrait être de se convertir en bio, silʼavenir assombri par une nouvelle crise du lait le permet.

    Nicolas Haubert sʼest également donné un an de réflexion sur le sujet. « Avec le système herbager,il ne nous manque pas grand-chose pour passer au bio et le lait est payé 100 euros de plus latonne », calcule-t-il. Il y a manifestement de la demande : sa laiterie cherche des contrats enagriculture biologique.

    Lire aussi :   Face à la crise agricole, le bio tire son épingle du jeu (/economie/article/2016/02/25/face-a-la-crise-agricole-le-bio-tire-son-epingle-du-jeu_4871621_3234.html)

    La trayeuse rotative apporte un grand confort à Christine et Claude Marchais mais l'investissement a failli leur coûter laferme. Cyril Chigot - Divergence pour "Le Monde"

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