stratégie de prise en charge des brulures de la...

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1 J. TUN ORL - N°42 DECEMBRE 2019 INTRODUCTION ––––––––––––––––––––––– Les brûlures de la région buccale quelques soit l’agent en cause sont des brulures qui doivent être considérées comme grave. La gravité de ces brulures est liée à plu- sieurs éléments : l’agent causal, la profondeur des lésions, les séquelles fonctionnelles et esthétiques, le contact di- rect avec la flore bactérienne buccale, la difficulté de la prise en charge en dehors de centre spécialisé, la présence fréquente de brulure plus étendue…[1,2]. Nous essayons, à travers notre expérience et une large revue de littérature, de présenter les bases de la prise en charge de ces brû- lures aussi bien au stade aigu qu’au stade des séquelles. I- PARTICULARITÉS SELON L’ÉTIOLOGIE –– 1. BRULURE ÉLECTRIQUE : Survient chez les enfants entre 1 et 4 ans avec un pic d’inci- dence à l’âge de 2 ans et un sex-ratio garçon/fille de 2/1[1]. L’électrocution concomitante à la brulure de la région buc- cale est rare. La mise à la bouche d’un fil électrique défec- tueux ou lorsque l’enfant mastique le fil[3]. La profondeur des lésions dépend du: Voltage et ampérage du courant électrique, le type du courant (alternatif plus dangereux que le courant continue), la durée d’exposition (effet thermique) et la résistance tissulaire. Plusieurs auteurs ont proposés des classifications en fonc- tion de la localisation et de la profondeur [4]. Ce type de brulures s’aggrave rapidement et passe d’une lésion gri- sâtre indolore (Fig1A) à centré déprimé et coagulé en- tourée d’un halo inflammatoire vers un aspect oedématié source de dyspnée haute et de troubles de la déglutition au cours de la première semaine[1]. La phase d’infection et de détersion survenant pendant la première quinzaine de jours sera suivie par la phase de chute d’escarre « due à la thrombose vasculaire » source parfois d’hémorragie importante, c’est à ce moment qu’on peut individualiser la profondeur et les tissus atteints. Le bourgeonnement des lésions débute en général au 3ème mois. 2. BRULURE CHIMIQUE : Toute substance susceptible du fait de son pH ou de son pouvoir oxydant d’induire des lésions tissulaires. Dans la majorité des cas elles sont bénignes. La gravité des lé- sions dépend du : PH, viscosité, formes et quantités des MISE AU POINT ——————————————————————————————————————————————————————— Stratégie de prise en charge des Brulures de la région labiale Management of perioral burns J. Bouguila 1,2 , MA. Abdelali 3 , M. Ben Rejeb 4 , R. Viard 2 , A. Messadi 5 , D. Voulliaume 2 , J.L. Foyatier 2 1. Service d’ORL et CMF. Hôpital La Rabta. Tunis-Tunisie 2. Centre hospitalier St Luc St Joseph. Lyon-France 3. Cabinet privé de Chirurgie plastique réparatrice et esthétique. Centre Kammoun Ennaser. Tunis-Tunisie 4. Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-facial. Hôpital Charles Nicolle. Tunis-Tunisie 5. Centre de traumatologie et des grands brulés. Ben Arous-Tunisie ––––––––––––––––––––––––––––––––––––– RESUME ––––––––––––––––––––––––––––––––––––– Les brulures de la région labiale ne sont pas rares, et sont souvent considérés dans un contexte plus large de brulure faciale. La prise en charge de ces lésions constitue un véritable défi à la fois morphologique et fonctionnel. A partir d’une étude de la littérature et de notre expérience personnelle nous discutons la stratégie de prise en charge des brulures de la région labiale. en effet, plusieurs facteurs sont à prendre en considération dans la décision thérapeutique comme l’étendue et la profondeur de la perte de substance. Le principal temps chirurgical c’est la correction de l’eclabion et de l’incontinence labiale. Un résultat satisfaisant avec une bonne réintégration sociale sont obtenue après plusieurs opérations chirurgicales. Mots-clés: Lèvres, Brulures, Reconstruction, Peri-Oral, Chirurgie. ––––––––––––––––––––––––––––––––––– ABSTRACT –––––––––––––––––––––––––––––––––––– The burns of the mouth and the lips are not uncommon consequences of facial burns. Severe scarring of the lower face presents a formidable challenge to the reconstructive surgeon. Based on a study of the literature and our personal experience we will expose the strategy of management of burns of the labial region. Results: Multiple factors determine the optimal method of reconstruction, including the size of the defect, its depth and its site. Constriction of perioral tissue may lead to functional disability, with ectropion of the lips, oral incontinence and drooling. Satisfactory social life is recovered only after multiple surgical procedures and long-term rehabilitation and physiotherapy Keywords: Lip, Burn, Reconstruction, Peri-Oral, Surgery. Auteur correspondant : Dr Jed Bouguila Adresse e-mail : [email protected]

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Page 1: Stratégie de prise en charge des Brulures de la …journal-storl.net/jstorl/journaux/numero42/j42m1.pdfTunis-Tunisie 2. Centre hospitalier St Luc St Joseph. Lyon-France 3. Cabinet

1J. TUN ORL - N°42 DECEMBRE 2019

INTRODUCTION –––––––––––––––––––––––Les brûlures de la région buccale quelques soit l’agent en cause sont des brulures qui doivent être considérées comme grave. La gravité de ces brulures est liée à plu-sieurs éléments : l’agent causal, la profondeur des lésions, les séquelles fonctionnelles et esthétiques, le contact di-rect avec la flore bactérienne buccale, la difficulté de la prise en charge en dehors de centre spécialisé, la présence fréquente de brulure plus étendue…[1,2]. Nous essayons, à travers notre expérience et une large revue de littérature, de présenter les bases de la prise en charge de ces brû-lures aussi bien au stade aigu qu’au stade des séquelles.

I- PARTICULARITÉS SELON L’ÉTIOLOGIE ––

1. BRULURE ÉLECTRIQUE :Survient chez les enfants entre 1 et 4 ans avec un pic d’inci-dence à l’âge de 2 ans et un sex-ratio garçon/fille de 2/1[1]. L’électrocution concomitante à la brulure de la région buc-cale est rare. La mise à la bouche d’un fil électrique défec-tueux ou lorsque l’enfant mastique le fil[3].

La profondeur des lésions dépend du: Voltage et ampérage

du courant électrique, le type du courant (alternatif plus dangereux que le courant continue), la durée d’exposition (effet thermique) et la résistance tissulaire.Plusieurs auteurs ont proposés des classifications en fonc-tion de la localisation et de la profondeur [4]. Ce type de brulures s’aggrave rapidement et passe d’une lésion gri-sâtre indolore (Fig1A) à centré déprimé et coagulé en-tourée d’un halo inflammatoire vers un aspect oedématié source de dyspnée haute et de troubles de la déglutition au cours de la première semaine[1].La phase d’infection et de détersion survenant pendant la première quinzaine de jours sera suivie par la phase de chute d’escarre « due à la thrombose vasculaire » source parfois d’hémorragie importante, c’est à ce moment qu’on peut individualiser la profondeur et les tissus atteints. Le bourgeonnement des lésions débute en général au 3ème mois.

2. BRULURE CHIMIQUE :Toute substance susceptible du fait de son pH ou de son pouvoir oxydant d’induire des lésions tissulaires. Dans la majorité des cas elles sont bénignes. La gravité des lé-sions dépend du : PH, viscosité, formes et quantités des

M I S E A U P O I N T———————————————————————————————————————————————————————

Stratégie de prise en charge des Bruluresde la région labiale

Management of perioral burnsJ. Bouguila1,2, MA. Abdelali3, M. Ben Rejeb4 , R. Viard2, A. Messadi5, D. Voulliaume2, J.L. Foyatier2

1. Service d’ORL et CMF. Hôpital La Rabta. Tunis-Tunisie2. Centre hospitalier St Luc St Joseph. Lyon-France

3. Cabinet privé de Chirurgie plastique réparatrice et esthétique. Centre Kammoun Ennaser. Tunis-Tunisie4. Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-facial. Hôpital Charles Nicolle. Tunis-Tunisie

5. Centre de traumatologie et des grands brulés. Ben Arous-Tunisie

––––––––––––––––––––––––––––––––––––– RESUME ––––––––––––––––––––––––––––––––––––– Les brulures de la région labiale ne sont pas rares, et sont souvent considérés dans un contexte plus large de brulure faciale. La prise en charge de ces lésions constitue un véritable défi à la fois morphologique et fonctionnel. A partir d’une étude de la littérature et de notre expérience personnelle nous discutons la stratégie de prise en charge des brulures de la région labiale. en effet, plusieurs facteurs sont à prendre en considération dans la décision thérapeutique comme l’étendue et la profondeur de la perte de substance. Le principal temps chirurgical c’est la correction de l’eclabion et de l’incontinence labiale. Un résultat satisfaisant avec une bonne réintégration sociale sont obtenue après plusieurs opérations chirurgicales.Mots-clés: Lèvres, Brulures, Reconstruction, Peri-Oral, Chirurgie.

––––––––––––––––––––––––––––––––––– ABSTRACT –––––––––––––––––––––––––––––––––––– The burns of the mouth and the lips are not uncommon consequences of facial burns. Severe scarring of the lower face presents a formidable challenge to the reconstructive surgeon. Based on a study of the literature and our personal experience we will expose the strategy of management of burns of the labial region.Results: Multiple factors determine the optimal method of reconstruction, including the size of the defect, its depth and its site. Constriction of perioral tissue may lead to functional disability, with ectropion of the lips, oral incontinence and drooling. Satisfactory social life is recovered only after multiple surgical procedures and long-term rehabilitation and physiotherapyKeywords: Lip, Burn, Reconstruction, Peri-Oral, Surgery.

Auteur correspondant : Dr Jed BouguilaAdresse e-mail : [email protected]

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J. Bouguila et al

produits ingerés.Dans le cas d’atteinte respiratoire ou digestive associée le pronostic peut-être sombre. Par ordre de fréquence: • Les Oxydants avec lésions retardées• Les bases : responsables de nécrose de liquéfaction : atteinte profonde avec dissolution des protéines (Fig1B)• Les acides entrainent des lésions à type nécrose de coa-gulation et escarres superficielles, brûlures buccales et troubles métaboliques [1].

3. BRULURE THERMIQUE :On distingue au niveau de la lèvre blanche différents de-grés selon la profondeur de la lésion, souvent elle s’étend à la face ou au cou [5].- Premier degré : atteinte superficielle de l’épiderme qui se traduit cliniquement par un érythème.- Deuxième degré : • Superficiel : tout l’épiderme est atteint avec respect des cellules basales qui se traduit cliniquement par des phlyc-tènes.• Intermédiaire : destruction plus ou moins importante de la couche basale qui peut être superficielle (respect de jonction dermo-épidermique) ou profonde si la jonction der-mo-épidermique est détruite.- Troisième degré : destruction totale de l’épiderme et du derme (Fig1C)Si les éléments nobles sous-jacents sont atteints il s’agit de carbonisation[2].

Figure 1 : étiologies des brulures labiales : A : enfant de 2 ans victime d’une brulure électrique de la lèvre supérieure. B : enfant de 4 ans victime d’une brulure chimique : contact avec la soude caustique. C : enfant de 7 ans victime d’une brulure thermique.

II- PRISE EN CHARGE AU STADE AIGU ––Quel que soit l’agent causal; un bilan lésionnel sera fait en ur-gence. Il est impératif de déterminer l’agent en cause, l’étendu et la profondeur des lésions. L’atteinte des voies respiratoires et/ou digestives hautes associée doit être recherchée. L’état de conscience et les constantes hémodynamiques sont no-tés.Les fonctions respiratoires et cardiaques sont monitorés. La vaccination antitétanique est de mise.Une radiographie pulmonaire, une radiographie de l’abdomen sans préparation « ASP » sont indiqués en fonction de l’agent causal et de la clinique. Un bilan sanguin est demandé à la recherche d’une élévation enzymatique, une hyperkaliémie et d’une atteinte rénale surtout en cas de brulures électriques.

En dehors des brulures thermiques grade 1 et 2, une hospi-talisation s’impose dans un service spécialisé qui assurera la réanimation et le suivi clinique et thérapeutique.Au stade aigu la brulure provoque une infiltration œdéma-teuse spectaculaire de la région buccale avec des déforma-tions très importantes de la lèvre rouge, surtout au niveau de la lèvre inférieure. Elles entraînent à ce niveau une éversion ou ectropion labial inférieur, à l’origine d’une incontinence sa-livaire et d’incompétences labiales invalidantes qui gênent l’alimentation et la parole[2]. Les brûlures de la lèvre blanche sont souvent étendues à l’ensemble de l’unité esthétique la-biale ou mentonnière[1]. Les brûlures des muqueuses labiales et buccales sont rares, et le plus souvent superficielles, en raison de leur atmosphère humide. De simples applications de topiques hydratants sont habituellement suffisantes.Enfin, il est impératif de prévenir les rétractions précoces des commissures et la microstomie par la mise en place de conformateurs[1]. Les séquelles sont traitées après la matura-tion cicatricielle et une pressothérapie adaptée. Les brûlures de pleine épaisseur des lèvres sont devenues rares et la res-titution de lèvres blanches bien définies est souvent suffisante pour obtenir un aspect naturel de toute l’unité labiale[6].

III- PRISE EN CHARGE AU STADE DE SÉ-QUELLES –––––––––––––––––––––––––––––La prévention des séquelles se fait dès les premiers jours en instaurant un traitement multiple qui combine : l’applica-tion de topique adéquat, la pressothérapie et la mise d’un conformateur (extaoral ou intraoral) si le risque de micros-tomie commissurale existe et dont le port sera prolongé de plus d’un an. Les indications thérapeutiques dépendent de la profondeur des brulures après stabilisation :• Les brulures superficielles : le traitement sera conservateur avec application de topiques locaux.• Les brulures intermédiaires feront l’objet d’excisions itéra-tives tangentielles en préservant le maximum de tissu der-mique et hypodermique associée à l’application de topiques locaux. Une greffe cutanée précoce est réalisée au besoin en respectant le principe des unités esthétiques (Figure.2).

Figure 2 : Les sous unités esthétiques labiales : 1-hémi-lèvre supérieure droite, 2-hémi-lèvre supérieure gauche, 3-philtrum, 4-lèvre inferieure et 5-menton.

STRATÉGIE DE PRISE EN CHARGE DES BRULURES DE LA RÉGION LABIALE

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• Les brulures profondes : la reconstruction se fera par plu-sieurs types de procédés en respectant impérativement les trois sous unités supérieures (hémi lèvres latérales et philtrum) et les deux sous-unités inférieures (lèvre inférieure et menton) (Figures 3,4,5,6,7) :

Figure 3 : Jeune femme de 28 ans, victime d’une brûlure par flammes (A,B). Elle a eu une rhinopoiese, des greffes de peau expan-sées prélevées au niveau de la région claviculaire, une lipostructure de la face et un tatouage de la ligne cutanéo-muqueuse labiale (C,D).

Figure 4 : Jeune femme de 23 ans, victime d’une Brûlure par flammes dans l’enfance. (A,B) Elle a eu des greffes de peau expansées prélevées au niveau de la région claviculaire et une lipostructure de la face (C,D).

Figure 5 : Jeune femme de 22 ans, Brûlures par flammes dans l’enfance (A,B). Elle a eu une rhinopoiese, des greffes de peau expansées prélevées au niveau de la région clavi-culaire, une lipostructure de la face et un tatouage de la ligne cutanéo-muqueuse labiale (C,D).

Figure 6 : Jeune femme de 35 ans, Brûlures par flammes (A,B). Elle a eu des greffes de peau expansées prélevées au niveau de la région claviculaire, une lipostructure de la face et un tatouage de la ligne cutanéo-muqueuse labiale (C,D).

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J. Bouguila et alSTRATÉGIE DE PRISE EN CHARGE DES BRULURES DE LA RÉGION LABIALE

Figure 7 : une femme de 45 ans, victime d’une brûlure de la face par acide (A,B). Elle a eu des greffes de peau expansées prélevées au niveau de la région claviculaire, une lipostruc-ture de la face et un tatouage de la ligne cutanéo-muqueuse labiale (C,D).

1. RECONSTRUCTION DES LÈVRES BLANCHES :La lèvre supérieure est composée de trois sous-unités, la lèvre inférieure en comporte deux. Chez l’homme, elles sont pileuses et contiennent la moustache et la barbe. Leur aspect est très difficile à reproduire avec les techniques de réparation chirurgicale actuelles. Si les cicatrices sont mo-dérées, mieux vaut respecter l’intégrité des lèvres blanches que de les remplacer par une peau glabre peu naturelle.

Lèvre supérieureLorsque des cicatrices modérées sont responsables d’une rétraction localisée avec perte de hauteur de la lèvre, des plasties locales de type plasties en Z ou en V-Y peuvent suffire. En revanche, dès lors que la surface cicatricielle est étendue, l’ensemble de la peau doit être remplacé. Ce remplacement doit concerner chacune des trois sous-uni-tés labiales supérieures : les deux hémi-lèvres et le philtrum seront reconstruits indépendamment.La technique la plus satisfaisante reste l’utilisation de greffes de peau totale expansée[7]. (Fig.8)Une excision complète des tissus fibreux cicatriciels est ré-alisée au préalable, en prenant garde toutefois à ne pas léser le muscle orbiculaire[8].Les lambeaux locaux décrits pour la reconstruction des lèvres donnent des résultats beaucoup moins naturels. Leur seule indication reste la restitution d’une peau pileuse chez l’homme[9] : divers lambeaux pédiculés à partir de la joue du cou ou du cuir chevelu ont été décrits[10] mais les résultats sont souvent décevants[11].

Figure 8 : technique de greffe de peau expansée des unités labiales. A: aspect pré-opératoire, B : excision du tissu cica-triciel en respectant les sous-unités esthétiques. C : traçage au niveau de la zone donneuse en regard de l’expandeur, D : prélèvement des greffons, E,F : mise en place des greffons et fixation par bourdonnets.

Lèvre inférieureLa lèvre inférieure est fréquemment déformée par un ecla-bion, qui peut lui-même être aggravé par une cicatrice ré-tractile du menton ou du cou[5].L’émoussement du sillon entre la lèvre inférieure et le men-ton donne un aspect très inesthétique de « pseudomicrogé-nie », d’autant plus encore que le cou est lui aussi rétracté et qu’il existe une disparition de l’angle cervico-mentonnier. Ce sillon de séparation labiomentonnier doit toujours être reconstitué lors des procédés de réparation[12].De même que pour la lèvre supérieure, la réparation la plus réussie fait appel aux greffes de peau totale ; chacune des deux sous-unités de la lèvre blanche inférieure doit être remplacée par une greffe : l’une au-dessus du sillon labio-mentonnier, l’autre en dessous. Là encore, les lam-beaux sont décevants sauf dans certains cas de recons-truction pileuse[13].Au niveau du menton, le galbe est redessiné grâce à une ou plusieurs injections de graisse autologue, cette tech-nique remplaçant avantageusement les greffons osseux ou les implants prothétiques[13].

2. RECONSTRUCTION DES LÈVRES ROUGES :La réparation des lèvres blanches permet en général de redonner un contour esthétiquement satisfaisant[5]. En cas de déformation modérée ou d’aspect irrégulier rési-duel du vermillon, une résection-suture linéaire est réalisée

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à la jonction de la lèvre rouge et de la lèvre blanche. Un léger décollement de la peau vermillonnaire permet, grâce à une plastie d’avancement, de refermer sans ten-sion la jonction lèvre rouge-lèvre blanche. Cette jonction est souvent redéfinie et considérablement améliorée par un tatouage médical complémentaire[14].

3. RECONSTRUCTION EN PLEINE ÉPAIS-SEUR ET COMMISSUROPLASTIES :Les brûlures électriques des lèvres, actuellement en voie de disparition, ont été de grandes pourvoyeuses de né-croses transfixiantes des lèvres ou d’une commissure[1].Les brides commissurales peuvent être uni- ou bilatérales, responsables, dans les cas les plus graves, de microstomie empêchant l’ouverture buccale[3].Dès la phase précoce de la cicatrisation, une pressothé-rapie et une conformation adaptée sont obligatoires. Dans les cas les plus favorables, elles peuvent permettre d’éviter une intervention chirurgicale ultérieure.Ce sont le plus souvent des brides rétractiles des sillons nasogéniens purement cutanées, le muscle orbiculaire et la muqueuse buccale étant indemnes.Dans ce cas la suppression des brides cutanées seules permet de restaurer l’ouverture buccale, et tous les gestes de section ou résection de l’orbiculaire doivent être évi-tés[4]. De multiples techniques chirurgicales ont été décrites et qui ont pour but la restitution d’une commissure souple, conti-nente, et esthétique.

Commissuroplasties par lambeaux muqueux seulsElles sont les plus utilisées. Le premier temps de l’inter-vention consiste à replacer la commissure à sa position normale, à l’aplomb des pupilles, ou mieux 1 cm en dehors pour prévenir la rétraction cicatricielle. Toute l’épaisseur de la joue est ouverte selon une ligne horizontale joignant la nouvelle commissure à l’ancienne. Les bords des tranches de section sont alors couverts par un, deux ou trois lam-beaux d’avancement-rotation de la muqueuse buccale[14].

Commissuroplasties avec plastie musculaire d’allongement Ces commissuroplasties muqueuses peuvent être complé-tées par une plastie musculaire d’allongement, de suspen-sion ou d’entrecroisement des différents faisceaux du mus-cle orbiculaire [Fig.9]. En réalité, les différentes techniques décrites sont plus théoriques que pratiques car il est très difficile de disséquer le muscle orbiculaire sans créer de lésion musculaire ou nerveuse.Les lambeaux de langue à pédicule temporaire décrits par certains auteurs ne présentent aucun avantage et ne sont plus utilisés.Enfin, les brûlures électriques des lèvres peuvent conduire à des nécroses plus ou moins étendues des lèvres rouges et blanches[4]. Leur reconstruction n’est pas spécifique et dans la plupart des cas, les tissus environnants sont utili-sables car épargnés par le traumatisme. Toutes les plas-ties locales comme l’excision-suture ajustée, les lambeaux d’avancementde vermillon ou les plasties d’échange hétérolabiales

peuvent être employées[2] : « lambeau de Gillies-Millard, Lambeau d’Abbé-Estlander, Lambeau de converse, plastie de Burow… »[11]

Dans les lésions globales et profondes des unités esthé-tiques les lambeaux pédiculés à distance (lambeau du scalp ou du cou expansé) peuvent être utilisés[9]. La meil-leur indication reste la reconstruction de la zone pileuse pé-riorale de l’homme par le lambeau du scalp dans le cas de la femme il faut associée une épilation laser du lambeau. La reconstruction du plan muqueux par lambeau de rota-tion de la face interne de la joue (à éviter chez les enfants), lambeau lingual d’avancement, L’utilisation du tissu cicatriciel afin de reconstruire la crête du philtrum, le philtrum ou le bord nasal peut aussi être utile dans certain cas[15].

Figure 9 : Commissuroplasties avec plastie musculaire d’al-longement chez un enfant présentant une microstomie (A,B). Aspect per opératoire (C). Aspect post opératoire immédiat (D). Aspect a distance (E,F)

CONCLUSION ––––––––––––––––––––––––Les maladies systémiques regroupent un ensemble de paLe traitement des brûlures péri-buccales s’étend du 1er pansement à la réinsertion sociale. La réparation de ces séquelles nécessite souvent de multiples interventions chirurgicales, fréquemment étalées sur plusieurs années. La prise en charge de ces blessés est idéalement faite par une équipe multidisciplinaire. Toutes les séquelles faciales représentent à des degrés divers une barrière à l’intégra-tion sociale, professionnelle et également à l’amélioration de son état psychologique. L’application rigoureuse de cer-tains principes et techniques dans la prise en charge des séquelles de brûlures de la face représente un grand pas vers la réinsertion sociale et l’amélioration du vécu psycho-logique de cette « défiguration ».

Conflits d’intérêts : Aucun

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J. Bouguila et alSTRATÉGIE DE PRISE EN CHARGE DES BRULURES DE LA RÉGION LABIALE

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