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SPE SALVI FACTI SUMUS N° VIII, ÉTÉ 2010 1 L appel à la sainteté fait partie de la vocation chrétienne. Comme le dit saint Pierre : «À lexemple du Saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, selon quil est écrit : Vous serez saints parce que moi, je suis saint » (1 P 1,15-16). Un religieux, le Père Morand Wirth, professeur à l universit é pontificale sal é sienne et un la ï c, M e Patrick de Pontonx, avocat au barreau de Paris, nous font partager, lun cette “école de perfection pour les âmes consacréesqu est le chemin qui m è ne à la sainteté, lautre cette raison d’être, fondamentale de tout homme. ... Suite pages 30 à 48 Le Cœur et la Croix Pourquoi le Cœur de Jésus a-t -il été ouvert sur la Croix ? Quest- ce qui a motivé la blessure damour du Cœur de Jésus ? Quelle est la raison pour laquelle le Verbe de Dieu, immat ériel et éternel, est entr é dans le temps, en prenant la condition humaine, en sincarnant, en assumant un cœur de chair ? Pourquoi ce Cœur a-t -il battu, sest il ému, a-t -il é t é boulevers é de tendresse ou de tristesse en regardant le c œ ur des hommes ? ...Suite page 2 D é put é UMP de la 8 e circonscription de lIsère et maire de Vienne, Jacques Remiller est aussi pr é sident du Groupe d’études à vocation internationale sur les relations avec le Saint- Siège, de lAssemblée Nationale. L an dernier, à la suite dune mission eectuée à Rome du 14 au 17 septembre, une délégation composée de sept députés et dun conseiller, a présenté son rapport dinformation au Parlement. Bio é thique, la ï cit é à la française, racines chrétiennes de l Europe... Jacques Remiller revient sur les conclusions de cette étude et nous précise les missions dévolues à ce groupe particulier de l Assembl é e Nationale. ... Suite pages 11 et 12 LA SAINTETÉ : UNE ÉCOLE DE LA PERFECTION, LA RAISON D’ÊTRE DE LHOMME Revue dHistoire et dInformation catholique apostolique et romaine CAHIERS DE S t FRANÇOIS Des parlementaires français au Vatican

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SPE SALVI FACTI SUMUS N° VIII, ÉTÉ 2010

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L’appel à la sainteté fait partie de la vocation chrétienne. Comme le dit saint Pierre : « À l’exemple du Saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, selon qu’il est écrit : Vous serez saints parce que moi, je suis saint » (1 P 1,15-16).

Un religieux, le Père Morand Wirth, professeur à l ’université pontificale

salésienne et un laïc, Me Patrick de Pontonx, avocat au barreau de Paris, nous font partager, l’un cette “école de perfection pour les âmes consacrées” qu ’est le chemin qui mène à la sainteté, l’autre cette “raison d’être, fondamentale de tout homme”.

... Suite pages 30 à 48

Le Cœur et la Croix

Pourquoi le Cœur de Jésus a-t-il été ouvert sur la Croix ?

Qu’est-ce qui a motivé la blessure d’amour du Cœur de Jésus ?

Quelle est la raison pour laquelle le Verbe de Dieu, immatériel et éternel, est entré dans le temps, en prenant l a condi t ion humaine, en s’incarnant, en assumant un cœur de chair ?

Pourquoi ce Cœur a-t-il battu, s’est il ému, a-t-il é té bou le ver sé de tendresse ou de tristesse en regardant l e cœur des hommes ?

...Suite page 2

Député UMP de l a 8e circonscription de l’Isère et maire de Vienne, Jacques Remiller est auss i pré s ident du Groupe d’études à vocation internationale sur les relations avec le Saint-Siège, de l’Assemblée Nationale.

L’an dernier, à la suite d’une mission effectuée à Rome du 14 au 17 septembre, une délégation composée de sept députés et d’un

conseiller, a présenté son rapport d’information au Parlement.

B ioé th ique , l a ïc i té à l a française, racines chrétiennes de l ’Europe.. . Jacques Remil ler revient sur les conclusions de cette étude et nous précise les missions dévolues à ce groupe par t i cu l i e r de l ’Assemblée Nationale. ... Suite pages 11 et 12

LA SAINTETÉ : UNE ÉCOLE DE LA PERFECTION, LA RAISON D’ÊTRE DE L’HOMME

Revue d’Histoire et d’Informationcatholique apostolique et romaine

CAHIERS DE St FRANÇOIS

Des parlementaires français au Vatican

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Il y a UNE réponse essentielle - qui englobe toutes les réponses partielles que nous pourrions t rouver - réponse que nous a f f i rmons (normalement tous les jours) en récitant le symbole de Nicée-Constantinople : “propter nostram salutem : POUR NOTRE SALUT” !

La grande affaire c’est celle-là : le SALUT.

Notre vie sur la terre n’est qu’un passage.Et même si ce passage dure 120 ans (ce que je ne vous souhaite qu’à la condition que vous arriviez à cet âge sans infirmité et en ayant toute votre tête !), il prendra fin... Le temps finira : l’éternité commencera !L’éternité c’est bien autre chose que 120 ans... l’éternité n’aura pas de fin.Que sera notre éternité ?Il n’y a que deux solutions éternelles : le Ciel ou l’enfer.

Sans la mort du Christ en sacrifice sur la Croix, les hommes ne pourraient avoir accès au Ciel.C’est la mort du Christ qui nous obtient le SALUT.Et cette mort n’aurait pas été possible - c’est une évidence - si le Verbe n’avait pas assumé notre chair, ne s’était pas incarné, n’avait pas pris un corps, n’avait pas pris un cœur. Le but de l’Incarnation, c’est la mort volontaire et expiatrice du Christ sur la Croix. Voilà pourquoi il dit en un résumé magnifiquement é loquent à sainte Marguerite-Marie : “La croix fut plantée dans mon cœur dès le premier instant de mon Incarnation”.Voilà pourquoi il a voulu que la Croix soit associée à la représentation de Son Cœur, ainsi d’ailleurs que d’autres instruments de la passion, tels que la couronne d’épines et parfois les clous, souvent aussi la lance qui l’a transpercé...

Le Cœur et la Croix.

L’un ne va pas sans l’autre.

Le Cœur nous rappelle que c’est par amour qu’il est descendu du Ciel, qu’il a pris chair de la Vierge Marie et qu’il s’est fait homme, qu’il a souffert sa passion, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, déposé dans le sépulcre, qu’il est ressuscité et qu’il est monté aux Cieux en étant désormais et pour toute l’éternité INDISSOCIABLEMENT UNI à la nature humaine.

La Croix nous rappelle qu’il est vain de parler de l’amour de Dieu, de l’amour du Cœur de Jésus, si nous n’avons pas en même temps conscience que cet amour est un amour qui a l ibrement, vo lonta i rement , ré so lument CHOISI l’immolation, le sacrifice, l’expiation, la souffrance et la mort de la Croix (la plus ignominieuse des morts, celle réservée aux plus vils esclaves et criminels).

Notre SALUT a été une oeuvre d’AMOUR.Mais cet AMOUR a voulu la CROIX.Ne soyons pas comme les insensés dénoncés par Saint Paul, qui ne comprennent pas le langage de la Croix, même si celui-ci est fort peu “prisé” par certaines modes ecclésiastiques ou catéchétiques...

Aimons notre Sauveur en Croixoh ! qu’il est bien juste qu’on l’aimePuisqu’en expirant sur ce boisil nous aima plus que lui-même :

Chrétiens, chantons à haute voix :Vive Jésus, vive sa Croix !

+ Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur

LE CŒUR ET LA CROIX

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LE PAPE BENOIT XVI ÉMU DEVANT LE SAINT SUAIRE

LE CARDINAL TARCISIO BERTONE EN VISITE AU SAINT SUAIRE, ET LE PÈRE CHAVEZRECTEUR MAJEUR DES SALÉSIENS, 9E SUCCESSEUR DE DON BOSCO, EN PRIÈRE

« Devant le Saint Suaire j’ai prié surtout pour les jeunes, sève de notre futur ». A l’issue d’une longue prière dans la cathédrale de Turin, le cardinal Secrétaire d’État Tarcisio Bertone s’est dit « ému et reconnaissant à tous ceux qui ont organisé une ostension si bien préparée pour susciter chez les pèlerins, des sentiments de contemplation et prière pour la Passion du Seigneur ».

Il a insisté sur le fait que « notre engagement et notre travail doivent être renforcés par ces signes de la Passion. De cette ostension, émerge une Église turinoise riche en dévotion, qui exprime l’essence du christianisme. Il suffit de penser aux nombreux saints sociaux qui ont vécu et agit dans la ville ou aux plus jeunes comme le bienheureux Pier Giorgio Frassati ».

 Le même jour, le Père Pascual Chavez Villanueva, Recteur Majeur des Salésiens et neuvième successeur de Don Bosco, s’est lui aussi longuement recueilli devant le saint linceul. « C’est la première fois que je viens en pèlerinage au Saint Suaire, a-t-il souligné. Jusqu’à maintenant je n’avais pu le voir qu’en photo, mais c’est bien différent : il émane ici un très fort message de témoignage qui nous dit combien Jésus nous a aimés, au point de donner sa vie pour nous tous. La souffrance de Dieu nous ramène à la souffrance de l’homme : souffrance physique, morale et matérielle, présente dans beaucoup de parties du monde ».

Le Père Chavez a présidé la messe devant le Saint Suaire, célébrée avec l’Archevêque de Turin, le cardinal Severino Poletto, quatre cardinaux et 98 évêques salésiens.

« On peut dire que le Suaire est l’icône du Samedi Saint. Vraiment de là, de l’obscurité de la mort du Fils de Dieu, s’est levé la lumière d’un nouvel espoir: la lumière de la Résurrection. Il me semble qu’en regardant ce Drap sacré avec les yeux de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière ».

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D’une valeur de 0,60 €, un timbre commémoratif de l’os-tesion du Saint-Suaire à Turin a été émis par la Poste italienne. Il a été imprimé par l’Officina Carte e Valori dell’Istituto Po-ligrafico e Zecca dello Stato, sur fond de la peinture de Giro-lamo della Rovere, de 1620, ex-posé dans la Galerie Sabauda de Turin. « L’image du Suaire et de la sé-pulture de Christ reproduites sur le timbre doivent renvoyer à la souffrance de chaque homme, selon la devise de l’Os-tension Passio Christi passio ho-minis », a rappelé Mgr Guido Fiandino, évêque auxiliaire re-présentant le cardinal Paletto .

« Une initiative, comme celle-ci témoigne de la bonne collabo-ration entre l’Eglise et les insti-tutions », a souligné Claudio Scajola, le ministre du Déve-loppement économique. Le timbre est distribué à envi-ron 4 millions d’exemplaires. www.sindone.org

Lors de la messe du Jeudi saint à la cathédrale de Chambéry, Mgr Phi-lippe Ballot, archevêque de Sa-voie, a accueilli Don Franco Mar-tinacci, recteur de la basilique royale San Lorenzo de Turin [où fut d’abord déposé le Saint Suaire à Turin], ainsi qu’une délégation d’une quarantaine de chevaliers de silence et d’épée. Au cours de la célébration, une copie sur tissu “à l’identique” du linceul du Christ a été offerte à la Savoie. Elle a été déposée provisoirement à la ca-thédrale saint François de Sales avant de rejoindre la Sainte Cha-pelle de Chambéry à la fin des tra-vaux de restauration. Sans juger ou non de l’authenticité ou non de l’original conservée à Turin, elle peut aider à prier et méditer la Passion du Christ.Huit cavaliers-pèlerins du Saint Suaire ont parcouru, le lendemain, Vendredi Saint, le même chemin que le linceul en 1578. Ils ont reçu la bénédiction devant la cathédrale avant de rejoindre Cruet, Aigue-belle et Saint Jean de Maurienne pour la messe de Pâques. Ils ont ensuite poursuivi leur pèlerinage équestre en Italie pour arriver à Turin le 9 avril, veille de l’ouver-ture de l’ostension. Le Saint-Suaire a été conservé à Chambéry de 1502 jusqu’à son départ à Turin en 1578.

UN TIMBRE POUR L’OSTENSION

UNE COPIE DU SAINT-SUAIRE OFFERTE À LA SAVOIE

« Ne nous troublons pas et demeurons en paix: que règne toujours la tranqui&ité dans notre coeur ». Plutôt que de faire violence à nos passions pour les rendre obéissantes à la raison et doci-les à la volonté, saint François de Sales nous invite au contraire à les lier par le « doux lien de l’amour ». Pour lui, le seul baume apte à soigner nos plaies, c’est l’amour de Dieu que le Christ répand dans nos âmes pour les con-

soler, les guérir et leur donner la vie. C’est à cette « sainte gué-rison » que nous convie le Père Gilles Jeanguenin, spécialiste d’accompagnement spirituel et psychologique, dans son der-nier ouvrage paru aux éditions de l’Emmanuel : Guérir des bles-sures de l ’âme avec saint François de Sales. Pour lui, nos épreuves comme nos fautes sont bien loin de n’être que des expériences négatives et peuvent tourner à notre avantage si nous savons en tirer les enseignements qui s’imposent. Passant en revue ces passions destructrices que sont l’orgueil, la colère, l’envie... ce que l’on a appelé les sept pêchés capitaux, décryptant cha-cune d’elles et illustrant son propos d’exemples simples et concrets, l’auteur puise des remèdes dans la sagesse de saint François de Sales, fin connaisseur du coeur de l’homme. Il nous appelle ainsi à convertir nos mauvaises habitudes et nos vilains penchants, pour que nos vices deviennent, par la grâce de Dieu, des vertus. Ou comment rééduquer son propre coeur avec douceur pour retrouver la paix intérieure. (références p. 50)

GUÉRIR LES BLESSURES DE L’ÂME

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Une cinquantaine de pèlerins non-voyants a pu découvrir les traits de l’Homme du Suaire en effleurant avec les doigts une maquette en aluminium, représentation fidèle de la partie antérieure du linceul, réa-lisée par l ’Associazione Piemontese Retinopatici e Ipovedenti (APRI).Pensée et construite entre 1999 et 2000, la maquette pèse près de 250 kilos. Elle permet à ceux qui ne voient pas ou ont une vue faible, d’avoir un contact “physique-sensoriel” avec l’image en relief et de per-cevoir toutes les informations que le Drap a imprimé en lui. La reproduction en relief propose une image du corps qui met en évidence les différences d’intensité de l’image réelle. Là où, par exemple, la tache de sang est plus intense le relief sera plus évident, et inversement.

Percevoir ce que les yeux nientL’idée de rendre disponible pour les non-voyants les signes de la souf-france qui se lisent sur le Suaire, est née d’un souci d’ordre pastoral : est-il possible de leur permettre de rencontrer personnellement le Suaire, directement, sans l’intervention de la parole humaine ? Pour don Giuseppe Chicco, conseiller ecclésiastique du M.A.C. (Mouve-ment Apostolique des Aveugles) à Turin, cela semblait impossible, du moins au premier abord.A l’occasion de l’Ostension de 2000 l’APRI, a pris contact avec la Commission Diocésaine pour proposer la restitution en 3D, grandeur nature, de la partie antérieure de l’empreinte entière du Suaire. Ont été parties prenantes le Départe-ment d’Informatique de l’Université, pour l’étude du modèle mathématique, et la Scuola di Carità Arti e Mestieri (Ecole de Charité Arts et Métiers de Turin) pour la réalisation.Le point de départ a été le suivant : la perception visuelle étant capable de diversifier les différents con-tenus informatifs, il doit en être de même pour la perception tactile. Le travail informatique s’est donc attaché à la création du modèle mathématique capable d’opérer sur les diverses informations présentes sur le tissu afin de les transformer en reliefs. On a utilisé dans ce but des filtres destinés aussi bien à éli-miner ou au moins atténuer le bruit présent dans l’image (bruit dû entre autre aux vicissitudes subies par la toile) qu’à séparer la trame des empreintes, puisque seules celles-ci doivent être lues. On a ensuite ap-pliqué la méthodologie pour la détermination du relief de l’empreinte du corps, en limitant les effets des taches de sang et des autres taches dues à d’autres liquides.On a par contre fait ressortir les brûlures à l’aide d’un relief dont les paramètres ont été contrôlés de manière à le rendre perceptible mais différent de celui du corps. En ce qui concerne les rapiéçages, leur forme a été déterminée automatiquement et rendue par une dépression de la surface, afin qu’on puisse se rendre compte de leur présence comme pièces rapportées sur le linceul ; en effet, s’ils manquaient, la toile présenterait des lacunes exactement comme c’est le cas avec les deux parties manquantes en haut à droite et à gauche, là où le Suaire est cousu à la toile de Hollande.Les données obtenues ont ensuite été converties pour les rendre utilisables par des fraiseuses. Après un premier prototyp, il a été décidé de réaliser le relief sur un support en aluminium, métal considéré comme le plus approprié en raison de sa robustesse et de sa qualité de perception tactile.La restitution du Suaire en 3D pour les non-voyants a été l’une des nouveautés les plus intéressantes de l’ostension de 2000. Plus de 500 non-voyants ont ainsi pu lire le linceul.Aujourd’hui le relief se trouve au siège du Musée du Suaire, via San Domenico 28, à Turin. Le Suaire pour non-voyants possède une valeur scientifique et sociale. Cette réalisation est, en effet, d’une part la première restitution tridimensionnelle obtenue à l’aide d’instruments informatiques, présentant des détails coïncidant exactement avec ceux que l’on trouve sur l’image bidimensionnelle ; et d’autre part elle s’insère dans le vaste projet d’intégration des hypovoyants.Pour la première fois les non-voyants peuvent ainsi éprouver les mêmes émotions que celles que ressent quiconque se trouve en présence du Suaire. Mais les voyants aussi apprécient beaucoup cette réalisa-tion : on peut toucher de la main ce que l’on voit, et l’émotion s’en trouve accrue.

LES NON-VOYANTS ONT PU “VOIR” LE LINCEUL DU CHRIST

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M G R C A R R A S C O D E PAU L A , PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE

Benoît XVI a nommé comme nouveau président de l’Académie pontificale pour la Vie un Espa-gnol, Mgr Ignacio Carrasco de Pau-la, jusqu’ici chancelier de cette académie. Il succède à Mgr Salva-tore Fisichella nommé premier président du nouveau Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation. Mgr Car-rasco de Paula est né à Barcelone en 1937. Il est membre de la préla-ture de la Sainte-Croix (Opus Dei), diplômé de philosophie et de mé-decine, et a été ordonné prêtre en 1966. Il a été recteur de l’Universi-té pontificale de la Sainte-Croix, de 1984 à 1994. Il a aussi enseigné la bioéthique à l’université catho-lique du Sacré-Cœur où il était directeur de l’Institut de bioéthi-que. www.zenit.org

La Fondation de l’Abbaye d’Hautecombe (Savoie) a le projet de faire restaurer les 12 peintures (XIXe) de la Chapelle des Princes (XIVe), en commençant par la plus endommagée : celle représentant le pa-triarche Elie, Prophète de l’Ancien Testament (photo).La surface picturale est encrassée par le noir de fumée et la pous-sière. Le vernis vieilli est terne, jaune et sombre. On y trouve la perte définitive d’écailles polychromes sur le drapé d’Elie, ainsi que des craquelures. Mais les essais de nettoyage montrent toute la beauté cachée sous le voile noir de chaque peinture.Pour aider à la restauration des 12 peintures ou du tableau d’Elie uniquement (à préciser avec l’envoi), vous pouvez faire un don à Soeur Sonia Beranger, Abbaye d’Hautecombe, 73310 St Pierre de Curtille. Propriété de la Maison de Savoie, l’abbaye d’Hautecombe a été confiée au diocèse de Savoie au XXe siècle. Devis du tableau d’Elie : 4 221,88 € Infos : www.chemin-neuf.org

ABBAYE D’HAUTECOMBE : RESTAURATION DES PEINTURES DE LA CHAPELLE DES PRINCES

De nouveaux “Textes fondamentaux” sont désormais disponi-bles sur le site officiel du Vatican. Cette mise en ligne concerne les actes officiels du Saint-Siège et la collection des documents correspondant à la seconde Guerre mondiale. Il s’agit de textes jusqu’ici disponibles en format papier :

• la collection complète des Acta Sanctae Sedis (ASS) et des Acta Apostoli-cae Sedis (AAS), c’est-à-dire l’ensemble des documents officiels du Saint-Siège de 1865 à 2007 (format pdf). • 12 volumes des “Actes et Docu-ment du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre Mondiale“ publiés (à partir de

1965) sur ordre de Paul VI par quatre historiens jésuites.La disponibilité de cette mine de documentation, mise gratuite-ment à la disposition des chercheurs et autres personnes intéres-sées, constitue une importante contribution à l’information et à la recherche sur l’activité et l’histoire du Saint-Siège. La plupart des textes sont en latin et en italien. www.vatican.va/archive/index_fr.htm

ARCHIVES EN LIGNE : COMMUNICATIONEXCEPTIONNELLE DU SAINT-SIÈGE

UN SALÉSIEN NOUVEAU RECTEUR DE L’UNIVERSITÉ DU LATRANBenoît XVI a nommé un Salésien comme recteur de l’université pontificale du Latran : le Père Enrico dal Covolo, SDB. Le Pape lui avait confié cette année la prédication de la retraite de carême au Vatican sur Leçons de Dieu et de l ’Eglise sur la vocation sacerdotale. Il succède à Mgr Salvatore (Rino) Fisichella nom-mé premier président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation.

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UN DÉPUTÉ S’INQUIÈTEDU NOMBRE CROISSANTDE PROFANATIONS EN FRANCE

Question écrite au gouvernement de monsieur Louis Guédon, député UMP de Vendée :« M. Louis Guédon attire l’atten-tion de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur le bilan 2008 des atteintes aux lieux de culte. D’après les chiffres communiqués par le mi-nistère de l’intérieur, on compte pour cette seule année, 6 atteintes aux sites israéliens, 13 atteintes aux sites musulmans et 266 atteintes aux sites chrétiens.Si l’on ne peut qu’approuver que chaque dégradation de sites israé-liens ou musulmans trouvent un large écho dans la presse, on ne peut que regretter le silence média-tique et institutionnel entourant les si nombreuses dégradations de sites chrétiens. Il lui demande quelles mesures il entend prendre pour protéger ces lieux chrétiens particu-lièrement visés par les dégradations, le vandalisme et les pillages de toute nature ». www.assemblee-nationale.fr

Au mois de juillet, le Pape a reconnu officiellement le martyre de 26 religieux espagnols, qui ont été as-sassinés en haine de la foi pendant la persécution religieuse de 1936. Ces religieux sont 16 jeunes claré-tains, fusillés, morts en invoquant le nom du Christ-Roi, et 10 carmélites. Parmi les jeunes clarétains figure le Père José Maria Ruiz Cano, tué à Sigüenza (Guadalajara) le 27 juillet 1936, dont les restes reposent désormais dans la paroisse Saint-Antoine Marie Claret, à Séville.En même temps, le Saint-Père a reconnu le martyre de trois prêtres allemands, qui ont été condamnés à mort par les nazis puis décapités en 1943, les abbés Johannes Prassek, Eduard Mueller et Hermann Lange, en raison de leur opposition au régime. Le Saint-Père, ce même 1er juillet 2010, a reconnu de martyre de Mgr Janos Scheffler, évêque hongrois mort dans les prisons communistes en 1952 et celui de la religieuse française Marguerite Rutan, assassi-née en 1794.Pour en savoir plus sur la vie de cette dernière, voir le site Soeur Marguerite Rutan, Fille de la Charité par le P. Pierre Coste, et Soeur Marguerite Rutan, un peu d’histoire. www.hermas.info

DE NOUVEAUX MARTYRS RECONNUS PAR L’ÉGLISE

Le Pape a reçu, le 2 juillet, les lettres de créances de M.Habbeb Mohammed Hadi Ali Al-Sadr, nouvel Ambassadeur d’Irak, auquel il a demandé de transmettre au chef de l’Etat l’assurance de ses prières pour la paix et la stabilité du pays.Rappelant les mesures que le nouveau gouvernement devra adop-ter « pour accroître la sécurité des populations, et des minorités en parti-culier », le Saint-Père a évoqué la situation des chrétiens : « Même s’ils sont une petite minorité, les chrétiens irakiens peuvent apporter une part importante à l ’oeuvre de reconstruction et de reprise économique du pays, par leur apostolat éducatif et sanitaire, par leur participation à des projets humanitaires en faveur d ’une nouve&e cohésion sociale. Mais pour jouer pleinement leur rôle...ils doivent être sûrs de garder ou de retrouver leurs foyers, qu’on leur rende leurs propriétés et qu’on garantisse leurs droits ». Le Pape a alors signalé les nombreuses violences commi-ses contre la population civile, tant musulmane que chrétienne... Ces souffrances partagées « peuvent créer un lien fort et renforcer la détermination des chrétiens et musulmans à oeuvrer pour la paix et la réconciliation nationale », a insisté le Saint-Père. Parlant de l’engagement des autorités irakiennes de faire respec-ter les droits de l’homme, Benoît XVI a rappelé que parmi ceux-ci une place importante revient au droit à la liberté religieuse, « qui permet aux citoyens de vivre en conformité avec leur dignité transcen-dante... J’espère et je prie pour une reconnaissance de ces droits qui dépasse la seule loi et qui renforce le tissu social, afin que tous les irakiens jouent le rôle qui leur revient dans l ’élaboration d ’un monde plus juste, plus moral et pacifique ».

www.visnew.org

IRAK : LE SAINT-PÈRE PLAIDEPOUR LE DROIT AUX MINORITÉS

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Bertrand Delanoë souhaite supprimerdes fêtes chrétiennesLe maire de Paris souhaite supprimer au moins deux fêtes chrétiennes du calendrier, pour y subs-tituer une fête juive et une fête musulmane.

L’Argentine autorise le “mariage” homo-sexuel...Le texte de loi a été voté après plus d’une quin-zaine d’heures de débat et a été adopté par 33 voix pour, 27 contre et trois abstentions. L’Argentine devient le premier pays d’Amérique latine à auto-riser le “mariage” homosexuel. La Belgique, l’Es-pagne, le Canada, l’Afrique du Sud, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède, le Portugal et l’Islande ont déjà légalisé ce type d’union.

... Le Luxembourg s’apprête, lui aussi,à reconnaître le “mariage” homosexuelLe gouvernement du Grand-Duché du Luxem-bourg, dirigé par le Premier ministre Jean-Claude Juncker (du parti chrétien-social), et dans laquelle le PCS est largement majoritaire, a déci-dé de légaliser le “mariage” entre personnes ho-mosexuelles. Le projet de loi a été annoncé le 8 juillet dernier par le Ministre François Biltgen, du PCS. Cette même coalition va prochainement déposer un autre texte visant à libéraliser l’avor-tement, lequel a été dépénalisé en 1978. Le PCS avait largement remporté les élections de 2009, sans que le programme gouvernemental men-tionne ces deux initiatives.

Le Conseil régional d’Ile-de-France finance le Pass-contraceptionLa commission permanente du conseil régional d’Ile-de-France a voté le 8 juillet une première enveloppe de 800 000 euros pour la mise en place à la rentrée de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les étudiants bour-siers, et un crédit de 400 000 euros pour une campagne de communication sur le Pass contra-ception.

95 % des profanations visent les chrétiensEn 2007, en France, elles s’élevaient à 92,1 %. En 2008, les profanations visant des lieux de cultes ou cimetières chrétiens sont passées à 94,4 % des profanations constatées. L’an dernier, elles ont atteint 95,6 %.

ON AIME ON AIME MOINS

La reconnaissance des diplômes des universités catholiquesLe Conseil d’Etat a rejeté l ’ensemble des recours dont il avait été saisi contre un décret du 16 avril 2009, qui entérine un accord du 18 décembre 2008 por-tant sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l ’enseignement supérieur signé entre Paris et le Vati-can. L’accord permet ainsi la validation par le Va-tican de diplômes obtenus dans des universités catholiques françaises (bac, licence, master, doc-torat et des diplômes à caractère religieux).

Saint Benoît, patron de l’EuropeExtrait des paroles du Pape avant l’Angélus du 11 juillet : « Chers amis, l’Eglise fait mémoire de saint Benoît de Nursie, le grand patron de mon pontifi-cat, père et législateur du monachisme occidental. Comme saint Grégoire le Grand le raconte, il « a été un homme à la vie sainte... de nom et par grâce ». « Il a écrit une règle pour les moines... miroir d ’un ma-gistère incarné dans sa personne : en effet, le saint n’a ab-solument pas pu enseigner autre chose que ce qu’il vi-vait ». Le pape Paul VI a proclamé saint Benoît patron de l’Europe le 24 octobre 1964, en redé-couvrant son œuvre merveilleuse pour la forma-tion de la civilisation européenne ».

Du chant grégorien aux FrancofoliesA la demande de l’évêché de La Rochelle, dirigé par Mgr Housset, un temps de chant grégorien a été proposé en prélude au festival des Francofo-lies. Au programme : florilège marial en l’église St Sauveur, suivi d’une messe selon la forme ordi-naire du rite romain, avec introït, ordinaire, alle-luia, chant de communion (adoro Te) et chant final (Salve Regina) en grégorien.

Patrick Nouaille-Degorce honoréNotre collaborateur, le Dr. Patrick Nouaille-De-gorce, historien spécialiste des Zouaves Pontifi-caux et Volontaires de l’Ouest, a reçu le Tombeau d’Or 2010, catégorie individuelle, décerné par l’as-sociation internationale Zuavos del Mundo. La ré-daction des Cahiers lui adresse ses vives félicita-tions. http://zuaus.blogspot.com

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A chaque apparition, Marie fait faire à Bernadette un signe de Croix, un beau signe de croix ; à l’île Bouchard, Marie fait faire à celle qui la voit, un signe de Croix extrêmement lent.

A Lourdes, Marie fait vivre à Bernadette le mystère pascal. D’abord Marie invite Bernadette à venir pendant quinze jours. Bernadette, en acceptant, fait l’offrande d’elle-même, car cette décision va lui coûter. Ses parents et les autorités veulent l’en empêcher, pourtant, envers et contre tous, elle monte à Jérusalem, envers et contre tous, elle prend le chemin de la Croix. Aussi, la Croix est-elle présente dès le début des apparitions, à travers les oppositions, les insultes, les calomnies. Comme autour de Jésus, seulement, un tout petit cercle, croit en son honnêteté.

Lorsque Marie demande à Bernadette, de boire à la fontaine et de manger de l’herbe pour les pécheurs, c’est l’abîme de l’anéantissement total. C’est en quelque sorte, le vendredi Saint, avec ses humiliations et sa déchéance Jésus se trouve relégué au rang des pécheurs et meurt sur la Croix pour les pécheurs. Lorsque, Bernadette accomplit ce que lui demande la Dame, qu’elle s’humilie en mangeant l’herbe et en buvant la boue, elle est prise pour une folle et reléguée au rang le plus bas.

Aujourd’hui, lorsque nous nous rendons aux piscines, nous sommes, comme Jésus, dépouillés de nos vêtements. Nous avons à nous abandonner et faire, comme Bernadette, un geste que nous ne comprenons pas vraiment. Nous avons à nous abandonner et, comme au baptême, plonger ou plutôt être plongés dans l’eau. Comme à notre baptême, nous avons à nous anéantir, pour ressusciter.

Nous avons à vivre, avec Jésus, l’hymne aux Philipiens Ph2,2-11Ayez entre vous, les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus : 06 lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à

l’égal de Dieu ; 07 mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu

semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, 08 il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. 09 C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les

noms, 10 afin qu’au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l’abîme, tout être vivant tombe à genoux, 11 et que toute langue proclame : « Jésus Christ est le Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père. Nous pouvons alors, redire avec Paul : « Grâce à la Loi (qui a fait mourir le Christ) j’ai cessé de vivre pour

la Loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis fixé à la croix : 20 je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd ’hui dans la condition humaine, je

la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi ». Ainsi, en nous rendant aux piscines, pouvons-nous répondre comme Bernadette, à la demande de

Marie et vivre la Croix, avec le Christ. En ce lieu, nous pouvons, de manière toute spéciale, nous unir au Christ qui souffre sa Passion et offre sa vie pour le Pardon de nos péchés.Bernadette, elle-même, a vécu à Nevers une véritable Passion, tant par les souffrances physiques qui ont fini par l’emporter, que par les persécutions morales que lui ont infligées ses sœurs et sa propre famille qui a exploité sa parenté, pour de l’argent…Mais, après la Croix, vient la Résurrection, et la Vierge fait aussi vivre, à Bernadette, la Résurrection. En effet, lorsque Marie lui révèle qu’elle est l’Immaculée, le curé Peyramale reconnaît que la jeune fille a dit vrai et la prend sous sa protection.

AVEC BERNADETTE FAIRE LE SIGNE DE LA CROIXCONFÉRENCE DONNÉE À L’OCCASION DU PÈLERINAGE À LOURDES DE L’ORDRE DE MALTE

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En cette année sacerdotale, il est important de souligner le rôle du prêtre dans cette Résurrection. Le temps pascal est le temps de la naissance de l‘Eglise. Nous le voyons, aussi bien, avec les lectures quotidiennes des actes des Apôtres, qu’avec les lectures dominicales, en particulier, celle du Bon Pasteur de Dimanche dernier. Jésus a voulu les prêtres pour prolonger sa présence au milieu des hommes, pour transmettre sa vie de ressuscité. C’est l’abbé Peyramale, qui en donnant foi aux apparitions, a permis la résurrection de Bernadette et ainsi, c’est grâce à lui, indirectement, et grâce à Mgr Laurence que nous pouvons être, ici, aujourd’hui ; l’Eglise ayant reconnu officiellement les apparitions de Lourdes

Ce sont les prêtres qui ont mis en valeur, Lourdes. « Allez dire aux prêtres de bâtir ici une chapelle !» Marie a tenu à passer par l’Eglise. Elle n’a pas voulu enseigner Bernadette en dehors de l’Eglise. C’est un critère de vérification (un problème de Medjugorge). Quand, au plus profond de sa nuit spirituelle, Bernadette doute, même, des apparitions, ses sœurs lui font remarquer que cela ne lui appartient plus, car l’Eglise les a reconnues ! Cela représente pour elle une grande consolation.

La plongée dans l’eau des piscines comprend ; souvent, à la sortie, une guérison et des grâces. Nous, aussi, nous sommes, donc, invités à vivre, ici, à Lourdes, tout le parcours du Baptême, tout le mystère pascal. Nous sommes, aussi, appelés à vivre la Résurrection, à travers la vie de l’Eglise et particulièrement, à travers les liturgies qui sont le Ciel sur la Terre. Or la Procession eucharistique fait vraiment vivre cela. C’est vivre, un moment, au ciel, dans une grande liturgie, telle qu’elle est décrite par le voyant de l’apocalypse.

Ainsi, à l’anéantissement de la Croix vécu aux piscines, succède la Résurrection manifestée tant par la Procession eucharistique que par celle des lumières. En effet c’est dans la nuit de Pâques qu’a été allumé le cierge pascal et que nous y avons allumé nos cierges. Dans la procession, nous, baptisés, qui avons reçu la lumière du Christ, nous la portons cette lumière de notre baptême, cette lumière du Christ. Le Christ est marqué dans son éternité par la Croix, aussi le cierge pascal est-il porteur du signe de cette Croix. Les signes des plaies commémorent cette Croix, comme Thomas a pu le constater le huitième jour après la Résurrection.

En faisant le signe de Croix, à Lourdes, comme à notre retour chez nous, rappelons-nous tout cela. Rappelons-nous que le Fils de Dieu est venu parmi nous, pour nous sauver. C’est ce que représente la ligne verticale que nous traçons sur nous en faisant le signe de la Croix. Nous enveloppons notre corps de la Croix, pour signifier que c’est tout notre être qui est marqué de la Croix, en particulier notre intelligence et notre cœur. C’est au milieu de notre poitrine, sur notre cœur, que se croisent les deux bras de la croix. C’est là que se croisent la descente de Dieu dans l’humanité et la dimension horizontale de notre vie.

C’est-à-dire notre amour pour les autres auquel nous pousse l’Esprit Saint.Et, ici, à Lourdes, à travers le soin des malades, cet amour se manifeste, tout spécialement. Les

malades sont vraiment, ici, nos seigneurs comme le proclament les statuts de l’Ordre de Malte depuis leurs originesAinsi faut-il nous rappeler, sans cesse, la dimension verticale de notre vie par notre relation à Dieu passant par l’incarnation et nous faut-il mettre en pratique la dimension horizontale, concrètement, par la charité qui doit nous porter les uns vers les autres ; là-même où nous sommes. C’est notre mission, ici, à Lourdes, mais c’est surtout notre mission, à notre retour !

+ Abbé Xavier Snoëk

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 Pouvez-vous nous pré-senter ce groupe ?Le groupe d’études à vocation internationale sur le Saint -Siège est un groupe politique fort d’une cinquantaine de dé-putés qui se veut un lien privi-légié entre l’Assemblée Natio-nale et le Vatican.Le groupe se réunit six ou sept fois par an mais les missions peuvent être plus nombreuses, et nous nous rendons à Rome assez régulièrement.

Les autres groupes d’étu-des de ce genre entretien-nent des liens diplomati-ques mais aussi économi-ques, touristiques… avec les Etats. Or, là il s’agit d’un Etat essentiellement catholique : vos membres ont-ils des rapports qui les lient à la foi, chrétienne en particulier ?Les membres du groupes ap-partiennent à différents cou-rant religieux ou philosophi-ques, il serait contraire au principe de laïcité prôné par la République que d’imposer la foi chrétienne aux membres du groupe.

Vous-même, êtes-vous ca-tholique ?Oui, je suis catholique.

Dans votre dernier rap-port d’information, datant

de septembre 2009, vous êtes revenus sur « l’excès des médias français », no-tamment par rapport aux propos du Pape sur le Sida lors de son voyage en Afri-que.Que diriez-vous, aujour-d’hui, par rapport au trai-tement médiatique des af-faires de pédophilie au sein de l’Eglise ?La communication n’est jamais une chose aisée. Dans le cas des affaires de pédophilie, je trouve que l’attitude du Pape Benoit XVI est claire et sans équivoque.

Vous notez aussi un « chan-gement de style » dans vos relations depuis l’avène-ment de Benoît XVI. De quoi s’agit-il ?Ce serait une lapalissade que dire que Benoit XVI est diffé-rent de Jean-Paul II. Je note, il est vrai, plus de conservatisme qu’avant mais la très grande qualité du Saint-Père, comme

de la Curie, me laissent à pen-ser que nous vivons un magni-fique pontificat.

Que pensez-vous du fait que les racines chrétiennes de l’Europe n’aient pas été prises en compte en pré-ambule du traité constitu-tionnel de l’Union euro-péenne ?Je le regrette sincèrement car affirmer les racines chrétiennes de l’Europe n’est ni du prosély-tisme, ni du dogmatisme mais un des fondements historiques de l’Europe. C’est bien sur le terreau du christianisme qu’est né l’humanisme européen.

Vous évoquez la révision d e s l o i s b i oét h i q u e s comme « une persistance des divergences » entre le Vatican et la France.Pensez-vous que des élus français puissent se dire catholiques alors qu’ils prennent position en fa-veur de l’avortement, de la contraception, de la légali-sation de l’euthanasie… et défendent ainsi des idées c o n t r a i re s à c e l l e s d u Saint-Siège ? La perte des valeurs morales, la crise profonde de la société sont autant de domaines où le Vatican joue son rôle de garde-fou et peut apporter des ré-ponses.

« LA FRANCE RESTE ET RESTERA LA FILLE AÎNÉE DE L’ÉGLISE »

Député UMP de la 8e circonscription de l’Isère et maire de Vienne, Jacques Remiller est aussi président du Groupe d’études à vocation internationale sur les relations avec le Saint-Siège, de l’Assemblée Nationale. Il nous précise les missions de ce groupe et revient sur son dernier rapport d’information.

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Pendant des siècles et jus-qu’à peu encore, la France était qualifiée de « Fille aî-née de l’Eglise ». Comment la qualifierez-vous aujour-d’hui ?La France reste et restera la Fille aînée de l ’Eglise, car même si nos liens se sont par-fois un peu distendus, notre histoire, nos clochers, nos hommes d’Eglise illustres té-moignent encore de ce lien indéfectible à travers les âges.

Quelle est, selon vous, la bonne définition d’un Etat laïc ? En grec Laikos signifie « du peuple ». Nous sommes donc bien dans une laïcité à la Fran-çaise, où le peuple est souve-rain et ce n’est pas une « op-position » au religieux, mais bien une dissociation entre le politique et le spirituel.

L’histoire des catholiques français est très diverse. Quelle est la spécificité du « catholicisme français », selon vous ?Comme je le disais précé-demment, je pense que le ca-tholicisme français a été le creuset de l’humanisme. De Montaigne à Pascal nous pou-vons nous enorgueillir d’avoir vu naître de grands penseurs qui ont insufflé au catholi-cisme les atouts de sa moder-nité.

C o m m e n t v o ye z-v o u s l’évolution des relations entre la France et le Saint-Siège dans les prochaines années ?Le groupe que je préside a la volonté de renforcer et d’amé-liorer encore les relations avec le Vatican. N’oublions pas que la diplomatie du Vatican est

considérée à juste titre comme la meilleure du monde.

Le Saint-Père souhaite que les catholiques s’engagent en politique, ce qui était d’ailleurs le thème de la dernière Assemblée plé-nière du Conseil pontifical p o u r l e s l a ïc s , d o n t l e thème choisi est : « Témoi-g n e r d u Ch r i s t d a n s le monde politique ». Qu’en pensez-vous ?C’est, en effet, une bonne chose dans le respect de la laï-cité.

Entretien : L.G.

Pour consulter le rapport :www.assemblee-nationale.fr/13/rap-dian/dian079-2009.asp

Jacques Remiller président du groupe d’études à vocation internationale sur le Saint-Siège avec le Nonce Apostolique, S.E. Mgr Fortunato Baldelli, devenu depuis Grand Pénitencier de l’Eglise Romaine et remplacé par S.E. Mgr Luigi Ventura.

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En cette année du 4e centenaire de la fondation de la Visitation, nous avons eu l’occasion de rappeler de quelle manière Saint François de Sales avait été amené à envisager la fondation de l’Ordre, avec Sainte Jeanne-Françoise de Chantal, et comment s’était passée l’ouverture du premier monastère au bord du lac d’Annecy. Profitons aujourd’hui de ce que cette année la divine Providence a justement voulu que la fête de la Visitation de Notre-Dame coïncidât avec un premier vendredi du mois, jour dédié au Sacré-Coeur de Jésus, pour approfondir la fin propre de l’Ordre et l’esprit particulier que les Saints Fondateurs lui ont donné.

Combien de fois n’ai-je pas entendu dire que saint François de Sales aurait voulu fonder une congrégation de religieuses dans le but d’en faire des visiteuses des malades et des indigents mais que - les règles canoniques de l’époque ne permettant pas à des religieuses de quitter leur clôture - il avait dû se résigner à n’en faire “que” des contemplatives, lesquelles n’auraient gardé du dessein initial que le nom! Certains ajoutent même que Monsieur Vincent aurait ensuite repris l’idée et aurait réalisé ce que l’évêque de Genève n’avait pas réussi, en contournant l’obstacle des lois ecclésiastiques alors en vigueur et en ne donnant pas aux “Filles de la Charité” le statut canonique de religieuses.

S’il y a quelques petits éléments de vérité dans cette façon de présenter les choses, l’ensemble est néanmoins profondément inexact. Saint François de Sales n’est pas Saint Vincent de Paul et son dessein n’était nullement de créer une congrégation vouée aux oeuvres extérieures de charité. Le nom donné à la fondation n’a pas été choisi en rapport avec  la visite des nécessiteux, mais pour honorer un mystère évangélique : la Visitation de Notre-Dame à Sainte Elisabeth.

Aux religieuses de la Visitation sont donnés comme modèle et idéal de leur consécration les vertus particulières et l’esprit du mystère de la Visitation : mystère d’intime piété, mystère de ferveur simple et joyeuse,  mystère dans lequel l’esprit de contemplation imprègne l’accomplissement des tâches ordinaires, mystère d’émulation discrète, mystère de profonde humilité, mystère de délicat service mutuel, mystère de charité fraternelle…

LA FIN ET L’ESPRIT DE L’ORDRE DE LA VISITATION

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Il est vrai que dans le premier essai des Constitutions de la jeune fondation, Saint François de Sales avait écrit : “Cette Congrégation a deux principaux exercices, l’un de la contemplation et oraison (…); l’autre du service des pauvres et des malades” (Constitutions de 1610). Toutefois l’étude des documents primitifs prouve bien que cette visite des pauvres n’était qu’une “pratique accessoire” (l’expression est de Monseigneur Trochu). En effet ces visites ne devaient prendre aux Visitandines qu’une part restreinte de leur temps : il était prévu qu’elles ne s’y employassent qu’à tour de rôle et deux par deux, désignées pour un mois, et pas plus de deux heures par jour. Dès que le chiffre de douze religieuses était atteint, cela signifiait pour chacune dix mois de l’année pendant laquelle elle ne sortait pas du monastère. Si le saint évêque voulait que ses filles remplissent à la fois le rôle de Marthe et celui de Marie, il n’en demeure pas moins que ce qui était essentiel pour lui était la “meilleure part” (cf. Luc X, 38-42), qu’il donnait l’absolue priorité à la vie de contemplation et de retrait du monde, et qu’il voulait qu’elles soient pleinement des religieuses.

En 1615, la fondation de la Visitation à Lyon (il n’est pas possible de détailler ici toutes les péripéties liées à ce premier essaimage) entraînera l’abandon du projet de visite des pauvres et des malades : les Visitandines seront dorénavant soumises à la clôture, elles prononceront les voeux solennels et seront , dans toute la plénitude canonique du terme, des moniales.S’il y eut bien une forme de sacrifice dans cette évolution, saint François de Sales n’y vit point de changement substantiel de son oeuvre. A Monseigneur Denis de Marquemont, archevêque de Lyon, qui lui demandait : “Monseigneur, que l le intention eûtes-vous en fondant ce nouvel institut de femmes, puisque déjà on en

compte un si grand nombre?”, le saint évêque de Genève répondit : “C’est pour donner à Dieu des filles d’oraison et des âmes si intérieures, qu’elles soient trouvées dignes de servir sa Majesté infinie et de l’adorer en esprit et en vérité. Laissant les grands Ordres déjà établis dans l’Eglise honorer Notre-Seigneur par des vertus éclatantes, je veux que mes filles n’aient d’autre prétention que de le glorifier par leur abaissement ; que ce petit institut de la Visitation soit comme un pauvre colombier d’innocentes colombes, dont le soin et l’emploi est de méditer la loi du Seigneur, sans se faire voir ni entendre dans le monde.”“Pour en venir en particulier à la fin pour laquelle notre Congrégation a été érigée, et par elle

comprendre plus aisément quel est l’esprit particulier de la Visitation, j’ai toujours jugé que c’était un esprit d’une profonde humilité envers Dieu et d’une grande douceur envers le prochain” répètera Saint François de Sales aux premières religieuses (Entretiens spirituels).

Plus que partout ailleurs, c’est dans son oeuvre de fondateur que Saint François de Sales apparaît avec le plus de réalisme comme le Docteur de l’Amour divin. Ecartant résolument les prescriptions de grandes austérités habituelles dans les grands Ordres monastiques, voulant que la Visitation puisse recevoir des candidates de petite santé, il ordonne toutes choses à la pratique de la Charité selon le modèle donné par la Vierge Marie dans le mystère de sa Visitation.

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Tout au long des Constitutions, Directoires et Coutumier, par mille et une petites remarques ou annotations, Saint François de Sales précise l’esprit de l’Institut. S’il souhaite que la nouvelle congrégation soit accueillante à des postulantes ayant déjà un certain âge aussi bien qu’à des jeunes filles, à des constitutions fragiles aussi bien qu’à des vigoureuses, il déclare de manière ferme et nette : “pourvu qu’elles aient l’esprit sain et bien disposé à vivre en une profonde humilité, obéissance, simplicité, douceur, résignation” (Constitutions). S’il accepte les boiteuses de corps, il écarte résolument les boiteuses d’âme, les mélancoliques, les inconstantes et les opiniâtres !

Les prétendantes à la vie religieuse seront éduquées au courage, elles travailleront à extirper de leur âme tout ce qui peut l’affaiblir et à se comporter en filles fortes, généreuses et magnanimes, pratiquant une piété virile, solide, large, sans mièvrerie : leurs principales mortifications doivent prioritairement être celles de l’imagination et des humeurs, de l’amour-propre et de la satisfaction sensible. La Visitandine doit avoir sans cesse les yeux de l’esprit fixés sur le Calvaire afin de ne plus vivre, comme Jésus-Christ son divin Epoux, que pour le salut et la sanctification des âmes.

Le saint fondateur exhorte avec insistance ses filles à n’avoir qu’un seul coeur et une seule âme, à conserver en toutes choses une vigilante sollicitude les unes pour les autres, à être toujours plus délicates dans l’exercice de la charité fraternelle. Il les avertit aussi qu’il ne suffit point d’avoir reçu une excellente formation pour se croire parvenu à la perfection mais qu’elles devront jusqu’à leur dernier souffle travailler à de nouveaux progrès : “Les voeux ne sont jamais accomplis tant qu’il y a quelque chose à faire, et l’obligation de servir Dieu et de faire progrès en son Amour dure toujours jusqu’à la mort“.“Tout par amour…” On connaît la formule, justement célèbre, qui sonne comme un mot d’ordre.

Saint François de Sales insiste à temps et à contretemps pour faire comprendre que si l’Amour est le but de toute vie chrétienne, et à bien plus forte raison de toute vie consacrée, il est aussi le moyen et la voie pour parvenir à ce but. Il a écrit que “l’Amour est l’abrégé de toute la théologie” (Traité de l’Amour Divin VIII,1) : les entretiens spirituels qu’il vient donner à ses filles (et sont aussitôt retranscrits par elles), les réflexions et avis pratiques qu’il donne à certaines occasions, les billets et les diverses lettres de direction, et jusqu’aux anecdotes en apparence les plus anodines montrent son souci de leur faire comprendre que l’amour est aussi l’abrégé de toute la vie religieuse et comment il s’incarne dans tous les détails de leur vie d’oblation.

Communiant ardemment à l’amour qui brûle au Coeur du Verbe incarné, Saint François de Sales - comme nous avons déjà eu l’occasion de le faire remarquer - prépare sa chère Congrégation a être le lieu privilégié des révélations du Sacré-Coeur de Jésus grâce auxquelles la ferveur de toutes les familles religieuses et la vie spirituelle de toute l’Eglise seront revivifiées et portées à une perfection nouvelle.

+ Frère Maximilien-Marie http://leblogdumesnil.unblog.fr

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LES VITRAUX HISTORICISTES REPRÉSENTANT SAINT FRANÇOIS DE SALES

Richement représentée dans les peintures, l’iconographie de saint François de Sales ne man-que cependant ni d’intérêt ni d’importance dans les vitraux. Dès l’ère chrétienne, grâce à la place accordée à la fenêtre, le vitrail orne les édifices religieux. Sa forme et sa composition ont évolué au gré des techniques, des changements architec-turaux et de l’habileté artistique du maître-ver-rier. Après les destructions consécutives à la Ré-volution, place aux réparations et aux reconstruc-tions. Les autorités civiles et religieuses condui-sent le renouveau. En Savoie, mais pas seule-ment, elles accordent une large place à la repré-sentation de saint François de Sales, souvent seul en scène. Quatre édifices, parmi d’autres, recensent un en-semble de vitraux historicistes dédiés à la vie de saint François de Sales et dont l’originalité séduit le spectateur et l’interpelle sur les causes d’un tel engouement et d’une telle disparité géographi-que. Par ordre chronologique d’édification, il s’agit de l’église Saint-François de Sales, Paris XVIIe (1873), de l’église de Seyssel construite en 1901, de la chapelle de l’Institut Florimont à Ge-nève (1905) et de la basilique du monastère anne-cien de la Visitation consacrée en 1949.Pourquoi ces édifices ont-ils dévolu leurs verriè-res au saint savoyard ? Quels épisodes de sa vie sont mis en exergue ?

L’église parisienne Saint-François de Sales réunit deux églises reliées par un couloir. Leurs cons-tructions répondaient à une forte augmentation démographique redevable à l’exode d’une popula-tion ouvrière expulsée du vieux Paris en cours de rénovation et qu’il s’agissait d’encadrer spirituel-lement. Consacrée en 1873, la plus ancienne est celle qui nous intéresse. Mais, pourquoi une église dédiée à saint François de Sales si loin de la Savoie ?Mgr de Ségur présidait alors l ’Association de Saint-François de Sales qui, impulsée par Pie IX et sou-cieuse de propager la foi, a participé aux finan-cements des travaux. L’admiration et la ferveur que saint François de Sales suscite chez le fils de la comtesse de Ségur constituent une réponse à la

présence des vitraux historicisés. Ces vitraux d’inspiration romantique sont autant d’images d’un modèle à imiter. De plus, nous sommes dans une temporalité qui s’inscrit entre 1860, date du rattachement de la Savoie à la France, et 1877, année de l’élévation au doctorat de saint Fran-çois. Nul doute que la notoriété du saint évêque était très présente, à Paris, parmi les fervents de la religion catholique.Réalisés dans l’atelier parisien d’Henri Chabin, peintre-verrier, dix-neuf médaillons ornent les fenêtres, par groupes de quatre, de chaque côté et au-dessus des fonts baptismaux. Chaque vitrail de verre peint, étroit et arrondi en berceau sur le sommet, rassemble deux médaillons évoquant une séquence biographique de la vie de saint François de Sales. Séparés par un trèfle à quatre feuilles ornées des fleurs de lys, ils sont disposés sur un fond géométrique en grisaille, le tout en-cadré de rinceaux de feuillage sur le pourtour.

En 1823, Seyssel est rattachée au diocèse de Bel ley et , sur l’emplacement d’une partie du cloître de l’ancien couvent des August ins , une église est édifiée sur la r ive droite du Rhône. Achevée en 1831, elle se révèle v i te t rop pet i te . Démolie en 1899, une aut re , p lus grande, composée

d’une nef à chevet plat et de deux nefs latérales, la remplace, en 1901. Chaque travée est éclairée par une grande ver-rière composée de trois fenêtres de verre blanc orné de motifs géométriques. Plein centre, neufs tableaux peints figurent des épisodes de la vie du saint évêque. L’ensemble fait référence à son ul-time voyage en compagnie de Charles Emmanuel 1er qui l’a enjoint de l’accompagner en Avignon pour rencontrer Louis XIII.

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Déjà très affaibli, François quitte alors Annecy à cheval. À Seyssel, il embarque sur le Rhône pour gagner Lyon. Ce cycle historié est un hommage au saint prélat et à la batellerie puisque les Sa-voyards qui souhaitaient gagner Lyon et la France empruntaient un bateau à Seyssel. Auteurs de ces verrières, les très réputés ateliers grenoblois Bes-sac ont orné la plupart des églises des Pays de Savoie.

Le troisième édifice significatif est l’Institut Flo-rimont, à Genève. Fondé en 1905 par les Mis-sionnaires de saint François de Sales, suite à la loi de séparation des Églises et de l’État, cet établis-sement scolaire renommé intègre une chapelle dont les vitraux sont une ode à saint François de Sales, patron de l’Ins- titut. Offerts par des familles d’élèves et des ecclésiastiques identifiés au bas de chaque représenta-tion, les vitraux déroulent de cha-que côté de la nef des épisodes de sa vie. Conçus par Jérémy Falquet , professeur à Flori-mont, les cartons ont été exécutés par M. Dunant, ancien élève de Florimont et peintre-verrier aux Acacias, à Genève. Les baies étroites et arrondies en plein-cintre sont ornées de vitraux décomposés en trois sé-quences verticales séparées par des motifs fleuris et cernées d’un ruban de volutes. Divers écussons brillent dans le plein-cintre qui couronne la ver-rière. Constitué d’un médaillon rond, le motif établit un parallélisme entre la scène salésienne inscrite au-dessus dans une forme oblongue et une page des Saints Livres. Un saint n’est-il pas une fleur de l’arbre évangélique ou biblique ? Une première séquence, mise en place en 1922, est consacrée à « l’étudiant et l’humaniste ». La seconde séquence, inaugurée en juin 1929, illustre saint François de Sales dans ses fonctions sacrées, dans le rayonnement de son influence et de son patronage. Ces vitraux colorés, destinés aux élè-

ves de l’Institut constituent un modèle de sainte-té à suivre.Ce bref panorama des vitraux historicistes s’achève avec ceux qui appartiennent au dernier édifice érigé à la gloire de saint François et de sainte Jeanne de Chantal : la basilique de la Visi-tation à Annecy.

Réalisés en 1941 par Francis Chigot, maître-ver-rier à Limoges, à partir des dessins de Charles Plessard, artiste peintre et décorateur à Sceaux, ils illuminent la nef de couleurs vives et chaudes et rendent plus précieuse encore la présence des saints Fondateurs de l’Ordre de la Visitation. Six vitraux architecturés en voûte déroulent, à droite de la nef, la vie de sainte Jeanne de Chantal et,

côté gauche, la vie du saint savoyard, Les scènes princi-pales occupent la plus grande partie de l a ve r r iè re . Complétée au faîte par des armoiries, chaque scène est surmontée de qua-tre saynètes dispo-sées en quinconce.

Indépendamment des techniques et des diffé-rents matériaux utilisés, les scènes représentées prennent leur source dans les grands moments de son hagiographie :

- son enfance puis son adolescence assortie d’études à Paris et à Padoue,- sa décision d’entrer dans les ordres après sa dé-livrance auprès de Notre-Dame dans l’église No-tre-Dame-des-Grès, - son accession à la prévôté et sa mission de re-conversion du Chablais- sa consécration à l’épiscopat, occasion d’évo-quer des faits lumineux dont il est gratifié pen-dant le sacre puis lors des prédications du carême à Chambéry.

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- sa rencontre avec Jeanne de Chantal et la fon-dation de l’Ordre de la Visitation.- ses missions diplomatiques et ses rencontres avec Henri IV ou Vincent de Paul- enfin, l’apothéose et les miracles qu’on lui re-connaît avant et après sa mort.

Néanmoins, chaque édifice a mis en exergue tel ou tel épisode hagiographique en lien direct avec la vie locale et agrémenté parfois d’anecdotes plus spécifiques.À Paris, l’église Saint-François de Sales renferme le seul vitrail répertorié à ce jour qui montre la tonsure du jeune François et ses trois chutes de cheval, à Sonnaz, près d’Aix-les-Bains. La croix formée à trois reprises par son épée et sa gaine tombées à terre lui confirme la justesse de sa vo-cation. Un autre vitrail illustre la scène de la pose de la première pierre du monastère de la Visita-tion à Annecy. La fondation de la première Visi-tation à Paris suivra rapidement (1619) et c’est à Monsieur Vincent, rencontré à Paris et futur saint Vincent de Paul, qu’il en confie la direction. La scène se trouve donc là fort à propos. À Seyssel, les commanditaires se sont focalisés sur le passage de François de Sales dans leur ville avant et après sa mort. Un vitrail le représente embarquant pour Lyon. Un autre évoque le transbordement de son cercueil, scènes très liées au site, point de départ de la navigation fluviale et de l’entrée des Savoyards dans le royaume de France.

À Genève, plusieurs scènes identifiées par un texte enrichissent la connaissance de la vie de saint François par les jeunes étudiants de l’Insti-tut Florimont. Ainsi, la scène du prélat à cheval accompagné de sa troupe traversant la ville calvi-niste au nez et à la barbe des autorités constituait une indéniable provocation au cœur de la « Rome protestante ». De même, peut-on voir le jeune François faisant le catéchisme à ses pe-tits camarades, image parfaitement convenue dans un établissement scolaire religieux. Un autre vitrail figure sa rencontre avec Jacqueline Coste, jeune servante catholique, à qui il donnera secrè-tement la communion et qui deviendra la pre-mière moniale tourière à la Maison de la Galerie, à Annecy. Si la fondation de l’Ordre n’est pas

évoquée, l’image du culte rendu au Sacré-Cœur avec Marguerite-Marie Alacoque est bien pré-sente.

À la basilique du monastère d’Annecy, les verriè-res sont une ode au grand prélat continuateur de la Réforme tridentine, à l’écrivain renommé et initiateur de l’Académie Florimontane, au di-plomate de la Maison de Savoie et au fondateur de l’Ordre de la Visitation avec sainte Jeanne de Chantal avec qui il partage la gloire dans l’en-semble historicisé de l’édifice. La multiplicité des scènes complétées par des vitraux spécifiques dédiés à sainte Jeanne de Chantal offre un pano-rama plus exhaustif et agrémenté sur chaque ver-rière de citations lisibles au graphisme moderne et coloré. Désireux de convaincre son père, Fran-çois le supplie : « Qu’il vous plaise, mon père, de me permettre que je sois d’église » alors que, de passage à Thonon, et en référence au discours tenu aux protestants, le duc de Savoie s’écrie : « Faictes place au milieu, ceux qui sont des nô-tres, qu’ils viennent à ma droite ». Des fidèles relèvent que : « comme étranger au monde, son visage devint étincelant ». Sa notoriété d’écrivain lui valut le titre de patron des écrivains catholi-ques : « Icy, certes, je parle pour les âmes avan-cées en dévotion » tandis que sa modestie appa-raît dans sa réponse à Mgr de Gondi, cardinal de Retz et évêque de Paris, qui lui proposait d’être son coadjuteur : « Je ne crois pas devoir changer une pauvre femme pour une riche ». Les ultimes événements de sa vie se résument ainsi : « Déli-vrez mon âme de la prison du corps afin que je chante les louanges de son saint nom ».

Ainsi, c’est en rapprochant les différentes repré-sentations de saint François de Sales dans ces quatre édifices que l’on a conscience de la grande vénération portée au saint savoyard et de son appropriation par des communautés différentes. En effet, c’est dans la récurrence des thèmes de sa vie qui ont forgé son hagiographie que s’inscrit la dévotion populaire. Nous invitons tous les lec-teurs à visiter ces églises et chapelles où chacun éprouvera un plaisir tant intellectuel qu’artisti-que. Josette Curtil

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Dès le début des hostilités, le gouvernement d ’Union Sacré , soucieux de se ménager l’opinion catholique et de soutenir le moral des

troupes que l’on envoie à la boucherie, a mis une sourdine, proche de l’éteignoir, au laïcisme militant. Les mesures contre les congrégations ne sont plus appliquées et finalement abrogées, des aumôniers sont affectés aux divers degrés des unités, des offices en armes se déroulent régulièrement, et mieux, tous les morts sont enterrés sous une croix de bois,

sauf les musulmans et les juifs, ce qui revient à considérer tous les autres comme des chrétiens. Ce renversement politique inattendu moins de dix ans après les lois de séparation de l’Eglise et

de l’Etat permet de fait une action missionnaire militante accompagnant la vague de ferveur religieuse qui saisit le pays. Le souvenir des Zouaves Pontificaux et Volontaires de l’Ouest est encore tout proche, et une vingtaine d’entre eux, malgré l’âge, sont au front. Le culte du Sacré-Cœur, stimulé par l’érection récente de l’imposante basilique qui lui est consacré sur la butte Montmartre, connaît un développement tout-à-fait remarquable.

La leçon donnée au monde par les Volontaires de l’Ouest à Loigny semble avoir été parfaitement assimilée par nombre de combattants de la Grande Guerre : des millions de sauvegardes timbrées du Sacré-Cœur, - petites pièces d’étoffes que l’on coud sur ses vêtements ou cocardes métalliques que l’on agrafe sur le képi-, sont diffusées, certaines ayant l’aspect de la bannière de Loigny. Les manifestations patriotiques et religieuses se multiplient, quatre offices par jours se succèdent, à Paris, dans la basilique, pour le succès de nos armes. Le 12 décembre 1914, les évêques consacrent, diocèse par diocèse, la France au Sacré-Cœur, mais évidemment, les autorités civiles ne s’y associent pas. Le 24 mai 1915, le cardinal Amette, archevêque de Paris, reprenant les propos de Léon XIII dans son encyclique Annum sacrum du 21 mai 1889 consacrant le genre humain au divin Cœur, renouvelle la proposition d’une consécration solennelle du pays. Le silence du gouvernement dominé par les partisans de la laïcité reste total, pourtant une célébration aux apparences officielles a lieu le vendredi 11 juin 1915, en raison de la présence de dix-sept députés, de treize sénateurs et de dix-huit membres de l’Institut, revêtus des insignes de leurs charges et dignités, qui prononcent tour à tour le serment. Les autorités gouvernementales sont quelque peu piégées : d’une part, elles ne peuvent cautionner des pratiques exclues par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, et d’autre part, elles ne peuvent mécontenter ni l’Eglise ni les innombrables soldats catholiques qui tiennent les tranchées. L’œuvre du Sacré-Cœur, dirigée par les Jésuites et dont le siège est à Lyon, distribue, pendant toute la guerre, douze millions de sauvegardes, un million et demi de fanions tricolores timbrés du Sacré-Cœur, de format 18x19 cm, muni de deux lacets pour être fixés aux fusils et plus de trente-deux mille drapeaux pareillement marqués sur tous les fronts, jusqu’en Italie, Serbie et Roumanie. On verra même le cuirassé Voltaire arborer un tel pavillon bien peu réglementaire. Il est vrai d’ailleurs qu’il reste à flot lors d’un torpillage en 1918 et l’équipage y reconnaît la protection divine. On voit donc, assez curieusement, affecter à un usage militaire et patriotique le drapeau arboré pour la première fois à Montmartre le 29 juin 1890, par Léon Harmel, en tant que drapeau syndical de l’Union Fraternelle du Commerce et de l’Industrie.

LE CULTE DU SACRÉ-CŒUR DURANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

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Il est vrai que par ce geste et l’exhibition d’un tel symbole, le catholicisme social, suivant en cela les prescriptions de Léon XIII, reconnaissait la légitimité du régime républicain. La Patrie et la forme de l’Etat n’étaient plus deux entités distinctes.

Le culte du Sacré-Cœur connaît son apogée aux heures difficiles de 1917. A la fin de 1916, Claire Ferchaud, jeune fille de Loublande, dans les Deux-Sèvres, affirme avoir reçu du Sacré-Cœur, lors d’apparitions, un message confirmant celui rapporté par Marguerite-Marie Alacoque sous le règne de Louis XIV; elle obtient l’appui du député de Vendée Baudry d’Asson et écrit, le 1er janvier 1917, par son entremise, au président Poincaré, afin que le divin Cœur figure non seulement sur le drapeau national mais aussi sur ceux des alliés. Le 27 février, dans une seconde lettre, elle dénonce les manœuvres des francs-maçons dans cette affaire. Bien qu’ils la prennent pour une illuminée, le cardinal Amette et le président de la République finissent par recevoir la voyante, en toute discrétion, mais répondent à ses demandes de façon dilatoire. Elle ne se décourage pas et envoie, le 7 mai, une lettre réitérant les mêmes recommandations à quinze généraux dont Lyautey, Pétain, Castelnau, Nivelle, Fayolle et Foch. Rome, inquiète de l’agitation mystique autour des apparitions de Loublande, prend une position extrêmement réservée, mais la prudence et la suspicion des autorités ecclésiastiques ne sont pas partagées par les foules. Le gouvernement, soucieux de préserver la laïcité, s’il tolère le port des insignes privés, tente de réagir par des arrêtés préfectoraux interdisant les exhibitions d’emblèmes ou de drapeaux timbrés du Sacré-Cœur, à l’arrière, et, au front, en interdisant le port des insignes et l’utilisation de drapeaux non réglementaires, le général Pétain relayant par ses ordres les instructions ministérielles. Plus surprenant, on tente de créer une confusion en favorisant la diffusion d’emblèmes maçonniques du Sacré-Cœur ! Les promoteurs de cette action, éditent un journal, L’Echo de l’Invisible, dont le siège est à Bordeaux. La sauvegarde maçonnique est une étoile à cinq branches timbrées d’un Sacré-Cœur enflammé et surmonté d’une croix, mais ceint d’une chaîne fraternelle et entouré de la devise : Psychologie Science. Le drapeau tricolore est timbré du même cœur ceint de palme, en fait un cœur de l’Humanité et comporte également, outre l’invocation Sacré-Cœur de Jésus Sauvez la France, une étoile dite de Jeanne d’Arc. L’ampleur de la diffusion de ce contre-feu et son efficacité sont inconnues. C’est trop tard et bien inutile. Sur le front, la situation est catastrophique, plus encore à la suite de l’échec de l’offensive du général Nivelle au Chemin des Dames. Les réactions sont très contrastées, et alors que se développe dans certaines unités un climat délétère conduisant aux mutineries, dans d’autres on se rue littéralement vers le Sacré-Cœur, et les propos du Pape n’y font rien. Ainsi l’année 1917 marque l’apogée du culte militaire du Sacré-Cœur que le colonel d’Albiousse, officier des Zouaves Pontificaux et Volontaires de l’Ouest appelait de ses vœux un demi-siècle auparavant. Le 26 mars 1917, à Paray-le-

Monial, dans la chapelle de la Visitation, près des reliques de la Bienheureuse Marguerite-Marie, sous la présidence de Mgr Bourne, primat d’Angleterre et de Mgr Berthoin, évêque d’Autun, se déroule une bénédiction solennelle des drapeaux, écussonnés du Sacré-Cœur, des pays alliés : France, Angleterre, Belgique, Italie, Roumanie , Russ ie e t Serb ie . A Montmartre, le 15 juin, fête du Sacré-Cœur, Mgr Amette, pourtant hostile à l’adoption du drapeau religieusement timbré, prononce la consécration des soldats catholiques.

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Dans les tranchées, les consécrations d’unités se multiplient, ainsi le 26 mars, en union avec la cérémonie de Paray-le-Monial, le colonel Arnoux, consacre au Sacré-Cœur le 116e R.I. et on arbore des drapeaux non réglementaires, timbrés du Divin Cœur et agrémentés d’invocations et devises pieuses. Ainsi le colonel Marchant dote le 17e B.C.A. d’un tel fanion, les 3e et 4e régiments de hussards adoptent un étendard analogue, les 114e, 116e, 167e, 265e et 268e R.I. en font de même, plus encore, on voit apparaître des drapeaux divisionnaires, comme celui de la 16e D.I., alors que le règlement n’en prévoit pas. Combien de régiments ou de bataillons se sont élancés sous le drapeau du Sacré-Cœur ? La dernière charge de cavalerie de la guerre, à la fin juin 1918, en lisière de la forêt de Villers-Cotterêts, s’est faite sous un tel étendard. Finalement, le général Foch, commandant suprême des forces alliées, consacre les forces armées françaises et alliées au Sacré-Cœur le 16 juillet 1918, au cours d’une cérémonie privée.

A première vue, un tel engouement pour le divin Cœur et la montée au feu sous son égide semblent s’inscrire dans le droit fil de la charge de Loigny, les combattants manifestant leur confiance absolue dans l’amour divin au moment de mourir pour la patrie, et la présence du Sacré-Cœur sur le drapeau national semble répondre exactement aux exigences de Jésus exprimées par Marguerite-Marie Alacoque. Or justement, même si la bannière des Volontaires de l’Ouest ne leur est donnée que par une série de hasards, elle n’est pas ce symbole guerrier qu’est le drapeau national, elle n’est qu’un acte de foi, une proclamation de l’infinie miséricorde de Dieu. Les soldats catholiques de la Grande Guerre font appel à Dieu pour chasser l’ennemi et recouvrer les provinces perdues, ils attendent de lui la protection et la victoire. Bien sûr, ils pensent que les multiples revers éprouvés au long des combats sont une punition des fautes de la Nation, son orgueil, son matérialisme et les menées antireligieuses des gouvernants, quoique cette thématique soit plutôt celle du discours ecclésiastique et des multiples feuilles pieuses de l’arrière, suscitant parfois même des mises au point de l’épiscopat gêné par ces atteintes indiscrètes à l’Union Sacrée.

De leur côté, les Volontaires de l’Ouest savent que la déroute des armées françaises est la juste punition du « crime national », la trahison et l’abandon de la Papauté, les prélats les plus autorisés le leur ont dit et redit ; certes, ils se battent pour vaincre, mais surtout pour expier, à l’exemple du Christ, les fautes des coupables, obtenant ainsi la rédemption de la France ; ils aspirent au martyre, car mourir à l’ombre du Cœur de Jésus, c’est mourir avec lui et en lui, c’est quitter l’Eglise militante pour accéder directement à l’Eglise triomphante. La perspective est bien différente. Qu’importe, le 2 décembre 1918, dans l’église de Loigny, les derniers Zouaves Pontificaux, à la fin de l’office, entonnent la Prière des Zouaves, deux couplets célébrant la victoire ont été ajoutés, et au dernier refrain la supplication « Cœur de Jésus sauvez la France » fait place à une certitude : « Le Sacré-Cœur sauve la France ».

Patrick Nouaille-Degorce

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« J’AI RENCONTRÉ UNE VISIONNAIRE CANONISÉE... »

J’ai rencontré une visionnaire canonisée. Ou plus exactement, j’ai fait, tout récemment, plus ample connaissance avec une sainte Visitandine. C’était par un frais matin d’arrière-été, sous le ciel chargé d’un orage annoncé, le nez en l’air, dans le bourg de Charolles, en Bourgogne du Sud. Une belle façade Renaissance attire le re-gard, celle de l’ancien couvent des Clarisses. C’est là que fut mise en pension une petite fille de huit à neuf ans, peu après la mort de son père. Entrons. Une étroite cour fer-mée. Des piliers et une belle fenêtre ogi-vale semblent être les derniers vestiges de la chapelle où Margue-rite Alacoque fit sa premiè re commu-nion, en 1656. Née le 22 juillet 1647 à Vérosvres, tout près de là, sœur Mar-guerite-Marie Alaco-que est l’instigatrice de la dévot ion au Cœur Sacré de Jésus.

Sa vocation serait née dès son plus jeune âge puis confirmée dans l’épreuve. Toute en-fant, marquée par sa rencontre avec une religieuse, fille de sa marraine, elle aurait fait vœu de chasteté, sans bien savoir ce que cela signifie. Quand la maladie la cloue au lit pendant quatre ans, elle promet de se faire religieuse si elle guérit. Après des années passées à soigner sa mère, dans des

conditions familiales difficiles, elle entre au cou-vent de la Visitation de Paray-le-Monial en 1671. Elle a vingt-quatre ans. Une voix intérieure lui a signifié : « c’est là que je te veux » ! Le 6 novem-bre 1672, elle prononce ses vœux. Dès 1673 Jésus lui apparaît montrant Son cœur rayonnant entouré d’une tresse d’épines et surmonté d’une croix. Marguerite ressent qu’Il prend son cœur à elle pour le plonger dans la

plaie du Sien avant de le lui rendre… Quel bouleversement ! L’année sui-vante, autre appari-tion, le premier ven-dredi du mois. ‘Jésus est tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies brillant comme cinq solei ls ’ . I l la charge d’être sa mes-sagère pour recom-mander la commu-nion fréquente, plus particulièrement le premier vendredi de chaque mois. Ce se-rait cette seconde apparition qu’a voulu représenter Luc Bar-bier en décorant le chœur de la chapelle du couvent de cette immense fresque réa-lisée entre 1966 et 1973 : En 1675, nouvelle

apparition, nouvelle demande : qu’une fête soit consacrée au Sacré Cœur, ‘ce cœur qui a tant aimé les hommes’1. Entre temps elle a eu des extases, des visions…

le père Claude de La Colombière, et soeur Marguerite-Marie chapelle du couvent de la Visitation, en communion avec le Sacré-Cœur.

1 - La chapelle primitive, dans le jardin, bénie en 1688.

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Quand elle en parle à sa communauté, bien entendu elle rencontre scepticisme et suspicion. Mais, en cette année 1675, un nouveau supérieur est nommé au collège des Jésuites, le père Claude de La Colombiè re , or ig ina i re du Dauphiné . Confesseur des religieuses, il devient son directeur de conscience, prend le temps de l’écouter, la rassure, la soutient… jusqu’à son départ pour Londres.

Et Marguerite-Marie continue ses heures d’adoration, accède à la charge de confiance de maîtresse des novices, invite les nouvelles à vénérer l’image qu’elle a dessinée de ce Cœur de Jésus. La critique fait bientôt place à la dévotion, puis à la célébration, le vendredi 21 juin 1686, de la première Fête du Sacré Cœur à la Visitation de Paray-le-Monial. La Supérieure accepte même qu’une chapelle soit édifiée, consacrée au Sacré Cœur.

Les apparitions continuent. Les injonctions sont plus délicates, comme demander à Louis XIV de dédier une chapelle au Sacré Cœur, de faire figurer cette image sur les étendards de ses armées…

L’apparition du 2 juillet 1688, jour où l’Eglise fête la Visitation de Marie, Jésus apparaît à Marguerite-Marie « dans les flammes où il trône, avec sa plaie qui jette des rayons si lumineux et si ardents que tout l’endroit en fut éclairé ».

Le 17 septembre 1690 meurt, au couvent de la Visitation de Paray-le-Monial, cette visionnaire de 43 ans, toute habitée de la dévotion qu’elle a coanimée et qui va s’étendre, soutenue par diverses congrégations dont les Visitandines. Coanimée, sans le savoir ! Parce qu’elle n’est pas seule alors à initier ce culte du Sacré Cœur. Jean-Eudes dans sa recherche de l’amour de Dieu pour les prostituées, a composé et fait chanter une «messe au cœur de Marie» et une autre «au cœur de Jésus» ; messes qu i « t rè s v i te , se ront cé lébrées chez l e s Bénédictines de Montmartre, là où, deux siècles plus tard, on érigera le Sacré-Coeur ».

Aujourd’hui, Paray-le-Monial est un haut-lieu de pèlerinages. Sa basilique romane, bien que d’origine clunisienne, est placée sous le vocable du Sacré-Cœur de Jésus, comme beaucoup d’églises, et des plus grandes !

Marguerite-Marie, béatifiée en 1864 par Pie IX, est canonisée en 1920 par Benoît XV. Ce serait Talleyrand qui aurait introduit son procès en béatification, qui l’eut cru ? Elle est fêtée le 16 octobre or, c’est justement le 16 octobre 1978 que Jean-Paul II est élu pape… c’est ce qu’il rappela aux nombreux fidèles, religieux et moniales à la messe qu’il célébra à Paray-le-Monial le 5 octobre 1986.

L’Ordre de la Visitation a été choisi pour être le

dépositaire du Cœur de Jésus. En cette année du 4e centenaire de la fondation

de la Visitation à Annecy, rappelons que François de Sales († 1622) disait à ses soeurs : « Vraiment notre petite congrégation est l’ouvrage du cœur de Jésus et de Marie… » et sainte Jeanne de Chantal : « Si les soeurs de la Visitation sont bien humbles et fidèles à Dieu, elles auront le cœur de Jésus pour demeure ».

Qui n’a eu quelque distraction pendant la

messe en contemplant les divers « Coeurs sacrés » de Jésus ou de Marie, si souvent représentés, en stuc, en bois, en couleurs… dans nos églises savoyardes ? Ayons alors une petite pensée pour la sainte visionnaire !

Claude Constantin de Magny

2 - (1601-1680), prêtre, disciple du cardinal Pierre de Bérulle, fondateur d’un Ordre destiné à montrer la miséri-corde de Dieu aux filles perdues et le Cœur énorme de Marie et de Jésus.

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Ils nous parlent de saint François... 24

Je ne suis pas un spécialiste de saint François de Sales.Je sais que je le devrais. Mais c’est ainsi.Je le devrais parce que, après Bérulle, saint Jean Eudes doit

beaucoup à l’évêque de Genève.Les connaisseurs affirment que Jean Eudes a relu Bérulle avec des

yeux formés par saint François. C’est possible.En tout cas, chez François, comme chez saint Jean Eudes,

l’intelligence, la réflexion sont comme transcendées par l’affectif.Jean Eudes n’en finit pas de s’épancher et beaucoup de « O »

admiratifs ponctuent son œuvre.Jean Eudes aime à crier « Vive Jésus »… un « Vive Jésus » qui rappelle la fin du Traité de l’Amour de

Dieu : « Ou aimer ou mourir  ! Mourir et aimer  ! Mourir à tout autre amour pour vivre à celui de Jésus, afin que nous ne mourions point éterne&ement ; mais que vivant en votre amour éternel, ô Sauveur de nos âmes, nous chantions éterne&ement   : vive Jésus   ! J’aime Jésus   ! Vive Jésus que j’aime   ! J’aime Jésus qui vit et règne en siècles des siècles. Amen ».

Nous aimons aimer Dieu. La seule question est comment.Saint François de Sales, encore plus que saint Jean Eudes, prêche la simplicité.« Certes, si nos esprits voulaient faire retour sur eux-mêmes, par les réfléchissements et replis dans leurs actions, ils

entreraient dans des labyrinthes desquels ils perdraient sans doute l ’issue… ce seraient des entorti&ements que nous ne pourrions défaire ». (Traité de l ’Amour de Dieu, VI. 1).

La simplicité est celle de l’amour.En notre temps où la lectio divina reprend vigueur… il peut sembler que saint François ose aller au-

delà et s’affranchir du support immédiat de l’Ecriture pour exprimer son amour… en un colloque, un « devis », une conversation… bref, une oraison.

L’oraison, pour lui, s’apparente à la théologie mystique parce qu’elle parle à Dieu. « E&e s’appe&e mystique parce que la conversation y est toute secrète et ne se dit rien en ice&e entre Dieu et l ’âme que de cœur à cœur, par cette communication incommunicable à tout autre qu’à ceux qui la font. Le langage des amants est si particulier que nul ne l ’entend qu’eux-mêmes ». (Traité de l ’Amour de Dieu, VI. 1).

« Le langage des amants est si particulier que nul ne l ’entend qu’eux-mêmes »L’audace affective de saint François de Sales est, pour moi, fondatrice. Comment vivre de Dieu et en

témoigner sans elle ?Pour autant, l’emploi du mot théologie rappelle que saint François n’exclut pas l’intelligence en

parlant affectivement : pour lui, l’oraison doit être à la fois parole à Dieu, parole sur Dieu, Parole de Dieu.

Ils nous parlent de saint François...

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Ils nous parlent de saint François... 25

Je ne suis pas un spécialiste de saint François, mais ce que j’ai retenu de lui, c’est la nécessité – quels qu’en soient les moyens et les lieux - de l’oraison, du laisser-faire de l’amoureux en nous pour rencontrer, vivre et parler du Christ. Je n’entre pas ici dans sa distinction entre oraison et méditation. On peut les assimiler (ce que François ne fait pas) pour ce que j’ai à dire :

La méditation doit toujours être première : « La méditation est mère de l ’amour, mais la contemplation est sa fi&e : c’est pourquoi j’ai dit que la contemplation était une attention amoureuse » (Traité de l’Amour de Dieu, Livre VI. III).

C’est peut-être cela que j’ai retenu de saint François : l’amour doit toujours être premier dans le cœur et c’est lui, alors, qui fait que nous prions, contemplons, rencontrons… et c’est pourquoi toute vie chrétienne peut se résumer par son « Jésus, je t’aime ! »

+ Mgr Michel Dubost Evêque d’Evry-Corbeil-Essonnes

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Ils nous parlent de saint François... 26

« La charité et la douceur de saint François de Sales me guideront en toutes choses » promettait l’abbé Bosco au soir de son ordination sacerdotale, le 5 juin 1841 à Chieri. Pourquoi un tel attachement de ce jeune prêtre à la figure de François de Sales,qu’il avait découverte au séminaire ? Parce qu’il avait découvert très tôt, dès l’âge de 9 ans, nous dit-il, que la douceur était le secret de la rencontre réussie avec l’adolescent en difficulté. Cette intuition lui était apparue au cours d’un songe effectué à cet âge : «  Je fis un rêve qui me laissa pour toute la vie une profonde impression. Pendant mon sommeil, il me sembla que je me trouvais près de chez moi, dans une cour très spacieuse. Une multitude d’enfants, rassemblés là, s’amusaient. Les uns riaient, d’autres jouaient, beaucoup blasphémaient. Lorsque j’entendais des blasphèmes, je m’élançais au milieu d’eux, et, des poings et de la voix, je tentais de les faire taire. A ce moment apparut un homme d’aspect vénérable, dans la force de l’âge et magnifiquement vêtu. Un manteau blanc l’enveloppait tout entier. Son visage étincelait au point que je ne pouvais le regarder. Il m’appela par mon nom et m’ordonna de me mettre à la tête de ces enfants. Puis il ajouta : « ce n’est pas avec des coups mais par la douceur et l’amour que tu devras garder leur amitié »1.

Il lui faudra du temps et bien des désillusions pour comprendre la portée de ce rêve. Une vie d’homme ne suffit pas bien souvent pour réaliser ce qu’enfant on a entrevu comme dans un rêve. Et François de Sales n’a cessé d’être pour lui l’apôtre de la douceur. Voilà pourquoi il plaça son message au cœur de la pédagogie qu’il initia, faite d’affection et de confiance, pédagogie que nous qualifions aujourd’hui de salésienne, en référence à cette source.

« La charité et la douceur de saint François de Sales me guideront en toutes choses ». Telle est la devise que font leur tous ceux qui ont choisi de suivre les pas de Don Bosco en entrant dans la congrégation qu’il fonda voici 150 ans, et qu’il a nommée : Société de saint François de Sales. La douceur constitue en effet le mot clef de la pédagogie et de la spiritualité salésienne.

La douceur, c’est un courage sans violence, une force sans dureté, un amour sans colère. L’agressivité est une faiblesse, la violence non maîtrisée est une faiblesse. La douceur est une force, paisible et douce, pleine de patience et de mansuétude.

La douceur est accueil, respect, ouverture. Elle se soumet au réel, à la vie, au devenir, à l’à peu-près du quotidien. C’est la vertu du pragmatisme.

Oui, heureux les doux. Car le plus violent des adolescents, celui qui se serait brutalement rebellé contre toi, s’il s’était senti agressé par ta peur et ton mépris, ne résistera pas à la force tranquille de ton regard posé sur lui, non pas pour le juger, mais pour le comprendre, non pas pour le mépriser, mais pour l’aimer.

La douceur de saint François de Sales, qui, pour reprendre une de ses expressions favorites, nous perfectionne avec le prochain, tel est, à mes yeux, l’héritage le plus important laissé par ce saint. Combien il ne cesse de m’inspirer lorsque je veux éviter de sombrer dans la spirale de la violence dans laquelle bien souvent les adolescents en grande difficulté, accueillis au Valdocco, veulent nous enfermer ! Une illustration sera plus éclairante qu’un long discours.

Ils nous parlent de saint François...

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D’astreinte une semaine sur deux au foyer Laurenfance, ce foyer géré par l’association Le Valdocco et habilité par le ministère de la Justice, qui accueille des adolescents en grande difficulté aux comportements souvent marqués par la violence, je fus appelé une nuit lors d’une situation de crise.

Un adolescent de 15 ans, que j’appellerai Amine, arrivé depuis quelques jours au foyer dans le cadre de la procédure d’accueil d’urgence, refusait de se coucher, et menaçait tout le monde, les autres pensionnaires du foyer, et les éducateurs travaillant ce soir-là. Il s’agissait d’un jeune incapable de résister à la moindre frustration. Le dernier « non » posé par l’éducateur qui lui refusait d’ouvrir une pièce s’était soldé par la chute de ce dernier dans l’escalier, l’adolescent l’ayant violemment poussé, et la destruction de la porte fermée à clé. Et ce soir-là, un nouveau conflit, d’apparence mineure, avait dégénéré.

Au volant de ma voiture, je méditai sur quelques paroles de François de Sales qui me revenaient en mémoire, me préparant à garder mon calme quelle que soit l’ampleur des tensions que j’allais découvrir.

« Ne vous courroucez point du tout, s’il est possible, et ne recevez aucun prétexte quel qu’il soit pour ouvrir la porte de votre coeur au courroux »2.

Arrivant au foyer, je découvris effectivement Amine dans une grande agitation, terrorisant avec une branche qu’il tenait fermement en main un adolescent qui s’était enfermé dans la voiture du centre et menaçant l’éducateur qui lui barrait l’accès au foyer. Les autres pensionnaires, apeurés, s’étaient enfermés dans leur chambre. M’approchant calmement du garçon, en ayant soin de n’induire aucun rapport de force, je l’interpellais doucement sur son comportement, lui demandant ce qui n’allait pas. Il m’indiqua n’avoir plus de cigarette, alors qu’il voulait fumer pour se détendre. Je lui proposais alors de l’emmener dans ma voiture pour tâcher d’en trouver. Ma proposition le déconcerta : « Vous allez faire ça pour moi, Monsieur ? » « Pourquoi pas ? » lui répondis-je, heureux qu’il accepte de s’installer calmement dans ma voiture, ce qui me laissait le temps de rassurer l’adolescent terrorisé, de le ramener dans le pavillon de l’internat et de demander à l’éducateur d’assurer tranquillement le coucher des autres résidents.

Parvenus dans le centre ville de Tassin, commune d’appartenance du foyer, le garçon de me dire : « On ne trouvera pas de tabac ouvert ici à cette heure ! » Il est vrai que minuit était déjà passé depuis longtemps. Pensant que le moment n’était pas vraiment propice à un cours de prévention anti-tabac, je réponds : « Qu’à cela ne tienne ! On trouvera bien quelque chose d’ouvert à Lyon » « Vous allez faire cela pour moi ! » répéta l’adolescent, qui avait perdu toute confiance dans l’adulte, suite à de multiples exclusions des lieux antérieurs où il avait été placé.

Nous trouvons enfin un tabac ouvert au centre de Lyon, et, lui rappelant l’interdit de fumer dans le véhicule, je lui propose de se promener un peu. Il faisait beau, et nous arrivons Place Bellecour. Là, il s’assied sur une marche aux pieds de la statue de Louis XIV, et, rattrapé par son passé, me raconte : « C’est là que j’ai vu ma mère pour la dernière fois. Elle m’a dit, « Attends moi, je n’en ai pas pour longtemps », elle est partie vers la rue là bas et elle n’est jamais revenue ! », et le regard du garçon se perd dans cette rue. Abandonné par sa mère, il fut confié à un oncle qui l’abusa sur le plan sexuel durant plusieurs années, avant que les services sociaux, enfin au courant, le place en établissement d’éducation spécialisée, où ses modes de comportement marqués par la violence l’empêchent de tenir une place. C’est un garçon calme et posé, au visage empreint de tristesse, que je ramenais à l’internat. Durant cette nuit, quelque chose avait changé dans notre relation, ce qui me permit de gérer sans difficulté les innombrables conflits qu’il continue de susciter.

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« La charité et la douceur de saint François de Sales me guideront en toutes choses ». Bien sûr, je ne serai pas honnête avec vous si je vous disais être capable d’appliquer les conseils de

François de Sales en toutes circonstances. Il m’arrive parfois à moi aussi, quand la fatigue est grande, de ne pas savoir garder mon calme face aux multiples provocations des adolescents confiés. Mais, dans ce cas-là, où je me sens un peu furieux contre moi-même de m’être laissé emporter, j’aime, là encore, méditer cette parole de François de Sales : « L’une des bonnes pratiques que nous saurions faire de la douceur, c’est celle de laquelle le sujet est en nous-mêmes, ne dépitant jamais contre nous-mêmes ni contre nos imperfections ; car encore que la raison veut que quand nous faisons des fautes nous en soyons déplaisants et marris, si faut-il néanmoins que nous nous empêchions d’en avoir une déplaisance aigre et chagrine, dépiteuse et colère. En quoi font une grande faute plusieurs qui, s’étant mis en colère, se courroucent de s’être courroucés, entrent en chagrin de s’être chagrinés, et ont dépit de s’être dépités ; car par ce moyen ils tiennent leur coeur confit et détrempé en la colère : et si bien il semble que la seconde colère ruine la première, si est-ce néanmoins qu’elle sert d’ouverture et de passage pour une nouvelle colère, à la première occasion qui s’en présentera ; outre que ces colères, dépits et aigreurs que l’on a contre soi-même tendent à l’orgueil et n’ont origine que de l’amour-propre, qui se trouble et s’inquiète de nous voir imparfaits ».

Il ne s’agit pas seulement d’être doux envers les autres, mais aussi envers soi-même. Merveilleuses paroles de sagesse de saint François de Sales !

+ Père Jean-Marie Petitclerc

1- Don Bosco, Souvenirs autobiographiques, Médiaspaul, 1945, p. 29-302- François de Sales, Introduction à la vie dévote, tome III, chapitre VIII

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L’ACTUALITÉ DE L’ORDRE DE MALTE

Suite aux inondations meurtrières qui ont frappé le Pakistan, l’Ordre de Malte, présent de-puis plusieurs années dans la région, a développé des cliniques mobiles pour venir au se-cours des populations. Plus de 1000 personnes sont soignées chaque jour dans ses centres.

Première visite d’un président de la Commission européenne à l’Ordre de Malte. Le Grand Maître a remercié le président Barroso pour les «ex-cellentes relations » entre les deux institutions, qui ont tiré une nouvelle sève de la signature, en 2009 à Bruxelles, de l’accord de coopération entre la Commission européenne et l’Ordre de Malte, en particulier dans les domaines de l’assistance sanitaire et des secours d’urgence (des projets humanitaires communs sont en cours au Congo, en Thaïlande, au Cambodge et au Myanmar). « Parmi nos projets, a-t-il rappelé, figure celui de collaborer pour la liberté d’accès et la protection des sites reli-gieux dans le monde ».

Sa Sainteté le Pape Benoît XVI a reçu en audience, au début de l’été, Fra’ Matthew Festing, Grand Maître de l’Ordre de Malte, accompagné par les membres du Souve-rain Conseil. Lors du long entretien privé, ont été évoqués les initiatives de l’Ordre de Malte en faveur du dialogue interreligieux, l’engagement en Terre Sainte, les résultats des activités médicales et humanitaires dans certaines des zones les plus dramatiques de la planète, parmi lesquelles Haïti et l’Afrique, qui font souvent l’objet d’appels du Pape. Le Pape Benoît XVI a demandé au Grand Maître d’éten-

dre ses vœux à tous les membres de l’Ordre de Malte pour la fête de saint Jean-Baptiste.

Le Pakistan vient de vivre la pire mousson de mémoire d’homme vivant. Grâce à sa présence sur place depuis le tremblement de terre de 2005, l’organisation internationale de Secours d’Urgence de l’Ordre de Malte (Malteser International) a été en mesure d’as-surer très rapidement des interventions médicales et fournir du matériel de soins aux populations touchées de la région de la vallée de Swat.Les équipes médicales de Malteser International travaillent dans trois Centres de Soins en pleine coopération avec les équipes pakistanaises. Les routes et les ponts ayant été totalement détruits, les populations ont beaucoup de difficultés à atteindre ces Centres de Soins. L’Ordre de Malte a donc renforcé ses moyens d’intervention en développant des Unités Mobiles qui se déplacent et interviennent dans les villages en fonction des besoins. Des problèmes de violentes diarrhées, de pneumonie et d’affections de la peau sont les maladies les plus courantes ; elles frappent principalement les femmes et les enfants ainsi que les personnes âgées vulnérables. Simultanément l’Ordre a distribué des tablettes d’épuration de l’eau à environ 1000 autres familles qui se sont présentées dans les Unités Mobiles de Soins. La fourniture et le stockage sont abso-lument essentiels, particulièrement dans les zones ou les affections cutanées, les diarrhées et les diverses maladies ont été signalées. A terme, ce sont plus de 2800 familles des districts de Swat et Kohistan qui seront secourues par des fournitures alimentaires et produits d’hygiène. Les besoins urgents des familles les plus affectées portent sur les ressources alimentaires, l’eau potable et les matériels d’épuration d’eau, les produits de santé, des tentes, bâches et moyens pour abriter les per-sonnes, du matériel de cuisine, des moustiquaires et toutes les fournitures nécessaires à la vie courante. FAIRE UN DON : www.ordredemaltefrance.org/index.php?/Don-en-ligne.html

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L’identité de l’Inaccessible1.- Les mots sont arbitraires. Ils n’en sont pas moins expressifs de ce qu’ils servent à désigner.

L’attention portée à leur signification doit être d’autant plus grande que celui qui les utilise est plus susceptible de le faire en connaissance de cause, c’est-à-dire avec intelligence et dans le champ de ses compétences. C’est là le premier “lieu” de leur compréhension.

Qui, mieux que Dieu, peut nous dire ce qu’est la sainteté ? Lui « seul est saint », et la sainteté emplit sa maison (Ps. 92,5). Elle est son éclat (Ex. 15,11). Il est, nous dit-il de lui-même, « le Saint »1. La sainteté est ainsi donnée pour être l’expression de son être : unique, comme il l’est lui-même. La sainteté est son identité, autant que son nom, au-dessus de tout nom (Ps. 148,13). Dire “Dieu” ou dire “le Saint”, c’est l’atteindre également, comme dire “Amour” (1 Jean 4,8), encore que pour nous chaque mot serve à exprimer une perfection diverse. En parlant de sa sainteté, Dieu, qui connaît tout dans la contemplation de soi-même2, parle en connaissance de Cause.

2.- Dieu, certes, n’a parlé que par les Prophètes et par « le Fils » (Héb. 1,2), de sorte que le mot “saint” reste l’un de nos mots humains. Mais qu’il puisse être donné en propre à Dieu et qu’il lui ait plu d’en inspirer l’usage pour se révéler nous aide à en saisir le sens. Denys, dans son Traité des Noms divins, indique que « dans notre langage habituel, sainteté s’entend d ’une pureté sans péché, totalement et pleinement immaculée » et que ce terme - inséparable de celui de seigneurie - nous sert à « célébrer de façon parfaite la Cause qui s’élève au-delà de toute réalité  »3. Saint Paul ne s’exprime pas autrement. Parlant de Jésus, il le décrit de la sorte : « Saint, innocent, immaculé, séparé (…) des pécheurs, élevé plus haut que les cieux » (Héb. 7,26).

La sainteté exprime ainsi la pureté absolue, la séparation, la surélévation royale, toutes perfections dites, en notre langage, par rapport à la transcendance de Dieu et aux limites de notre monde. Ce que la sagesse divine et humaine expose de la sorte, la critique savante le confirme, tant pour l’hébreu biblique que pour le latin ou le grec. Le mot “sainteté” et le mot “sacré”, qui ont même racine, évoquent la puissance, la fécondité, l’intégrité. En grec, le terme agios, que l’on rencontre jusque dans la liturgie latine du Vendredi Saint4, ou dans la liturgie mozarabe, indique également l’idée de séparation, comme le terme hébreu qadosh. Il exprime encore l’idée de crainte de Dieu, associée à la glorification de sa majesté et de sa puissance.

Quelles que soient ces subtilités de langage, en lesquelles nous n’avons pas à entrer, elles traduisent conjointement, par la notion de “sainteté”, ce que Benveniste appelle une réalité « à double face » : positivement, « ce qui est chargé de présence divine », négativement, « ce qui est interdit au contact des hommes ». La sainteté, le sacré, désignent ce qui est réservé, intouchable. Inaccessible.

LA SAINTETÉ : LA RAISON D’ÊTRE FONDAMENTALE DE TOUT HOMME

1 - « Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ? Car seul tu es saint ; et tous les païens viendront se prosterner devant toi » (Apoc. 15, 4) ; « Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis : le Saint » (Osée, 11, 9). Ce genre d’affirmation est maintes fois repris dans le Lévitique : 11,44-45 ; 19,2 ; 20,26 ; 21,8.2 - «Dieu ne saisit rien par son intelligence si ce n’est en ayant l’intelligence de soi-même» (s. Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, L. 2, chap. 24).3 - Trad. M. de Gandillac, Ed. Aubier, Paris, 1941, chap. 12, §§ 1-2.4 - Il s’agit du Trisagion [“ trois fois saint”], emprunté par l’Eglise latine à la liturgie de saint Jean Chrysostome : «Saint est Dieu, Saint est le Puissant, Saint est l’Immortel, aie pitié de nous.»5 E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Ed. de Minuit, 1969, t. 2, pp. 179-207.

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La Sainteté qui se communique à sa création3.- Autant dire, dès lors, qu’il n’y a rien qui nous soit a priori plus étranger. La sainteté marque entre

nous et Dieu une distance infinie. Pourtant l’infini, paradoxalement, n’est que de notre côté. Comme dans la représentation de la création de Michel-Ange, Dieu n’a qu’à tendre le bras pour le combler. Sa « sainteté royale », en nous permettant de L’exprimer parfaitement comme Cause, ainsi que le dit Denys, nous a rendu intelligible cette merveille, inimaginable de prime abord pour la créature déchue : si saint, si élevé soit-il, Dieu, de fait, n’est pas fermé sur soi. Souverain Bien, il est souverainement incliné à se répandre. Cette Cause, ajoute Denys, qui a créé les hommes, a fait rayonner sur eux « la plénitude éclatante de son identité ». Elle leur a octroyé « la possession pleine et entière de toute beauté, de toute Providence bienfaisante, car e&e est à la fois contemplatrice et conservatrice de ceux auxquels e&e distribue ses biens lorsqu’e&e fait don de soi, comme il convient à sa bonté  »6. L’histoire de la Révélation est l’histoire de ce rayonnement et de sa découverte progressive.

Rayonnement d’identité, octroi de beauté, don. Autant d’expressions qui décrivent l’œuvre libre et féconde de Dieu, effet de son amour infini – ou, ce qui est tout un, de son inclination infinie à l’amour. La création du temps a immédiatement reçu l’impression de cette touche : « Dieu bénit le septième jour et le sanctifia » (Gen. 2,3). En créant les hommes, il leur a fait don de soi, selon la loi de tout amour. « Que pouvait-il, d ’ai&eurs, leur donner, tout Dieu qu’il est, qui valût mieux que lui ? »7 Don de l’être, bien sûr, et d’une âme immortelle, mais don de l’identité, aussi. C’est ce qu’exprime le livre de la Genèse en nous enseignant que Dieu a créé l’homme et la femme « à son image et ressemblance » (Gen. 1,26). Or cette identité, nous venons de le voir, n’est autre que sa sainteté. Ce n’est évidemment pas un don externe, comme les cadeaux matériels que nous remettons à nos amis. C’est un don de nature, qui a accompagné la création de nos premiers parents, créés dans l’amour et pour l’amour8. De fait, ces derniers ont été créés avec la grâce sanctifiante - ce don gratuit qui rend saint, dans la possession paisible du Trésor ineffable de la Trinité habitant sans obstacle en leurs âmes.

La grâce de nos premiers parents9 les confortait dans un état d’harmonie, que l’on appelle la “justice originelle”. Celle-ci nous est devenue inimaginable. Nous ne nous en formons plus que des images lointaines, parfois infantiles, souvent marquées de naturalisme. Elle n’en fait pas moins partie de l’histoire universelle. Cette sainteté leur donnait, dans une parfaite soumission à Dieu, domination de leur âme sur leur corps, de leur raison sur leurs passions, domination sur l’univers, sans souffrance, sans division, sans conflit, sans mort. “Domination” : il faut insister sur ce terme, qui exprime analogiquement en l’homme la seigneurie dont nous avons vu plus haut qu’elle sert à caractériser la sainteté de Dieu. Il révèle la connivence originelle de la sainteté, de la pureté et du pouvoir, et, partant la sacralité fondamentale de ce dernier, don de la toute-puissance de Dieu, telle que nous la confessons et la louons solennellement dans le Credo10. En cela, toujours, nos premiers parents étaient bien « à la ressemblance » de Dieu, lequel a voulu l’homme « un peu moindre qu’un dieu » (Ps. 8,6). Tel était l’homme sorti de ses mains.

6 - Denys, Loc. cit.7 - Saint Bernard, Opuscule [8ème] sur l ’amour de Dieu, chap. 1.8 - « Dieu ayant créé l’homme à son image et semblance, veut que comme en lui tout y soit ordonné par l’amour et pour l’amour » (saint François de Sales, Traité de l ’amour de Dieu, chap. VI).9 - Nous ne nous intéressons pas ici aux privilèges donnés en propre à Adam, et qui ne devaient pas lui subsister, en particulier la science infuse qu’il avait de toutes choses (s. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, 1, q. 94 a. 3), mais aux dons faits à la nature humaine elle-même, et qui auraient dû être reçus, si le péché n’était survenu, par tous les hommes jusqu’au terme de l’histoire. Ainsi, en particulier, par chacun d’entre nous.10 - « Le pouvoir est la réalité la plus saisissable de Dieu, sa première révélation. Il appartient aussi à la création, comme similitude, mais similitude réelle, et il appartient au sens propre à la tête de la création : à l’être humain qui est une créature créatrice » (T. Haecker, Le chrétien et l ’histoire, Ed. du Cerf 2006, p. 65).

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La sainteté, condition originelle de l’homme4.- Ainsi la sainteté fit-elle, en reine, son entrée dans l’univers. Que l’on veuille bien réfléchir, sur le

principe, à ce que cela signifie : la sainteté, au fond, est la condition normale de l ’être humain. Celui-ci a été pensé, dans le projet de Dieu, pour tenir par en haut, en adéquation avec la grâce. La cause fondamentale des dysfonctionnements physiques ou moraux auxquels il est désormais réduit – cause qu’un chrétien ne devrait jamais perdre de vue dans l’analyse ou l’organisation de sa vie privée et publique11, est dans la désarticulation de cet être originel. C’est pourquoi la résignation personnelle ou politique au mal est, de ce point de vue, une attitude contre nature. Au rebours de nos convictions, de notre expérience, du spectacle social et de nos trahisons personnelles, c’est l’absence de sainteté qui est une profonde anomalie, au sens propre du terme. La survenance du péché originel et la généralisation de ses effets dans le monde n’ont pas changé cette donne première. Nous avons peine, il est vrai, à le comprendre. En cela comme en beaucoup de domaines, la raison ne joue plus spontanément par rapport à la perception du monde moral le rôle que joue naturellement le cerveau par rapport à la vue. Avec la perte de la “domination” originelle, nous voyons les choses… à l’envers. Nous avons besoin de ce que l’astronomie appelle, en sa discipline, un “redresseur terrestre”, et qui est ici la Révélation reçue par la foi dans l’Eglise.

Le péché, consommé dans la désobéissance et l ’outrecuidance, a certes fait passer les hommes, de génération en génération, de l’état d’harmonie originel à un état de guerre. Il les a désarticulés et “désidentifiés”. Les hommes sont désormais enclins à préférer quotidiennement l’image, même absurde, qu’ils se forgent d’eux-mêmes à celle qu’ils ont reçue de Dieu. Ils ont pris le goût profond de ressembler aux dieux auxquels ils se livrent, au point qu’on peut percevoir en leurs yeux abîmés, et parfois malheureusement dès l’enfance, l’ambition, la cupidité et l’impureté. Leur norme première leur est devenue si étrangère qu’elle a dû être rappelée à grand bruit dans le Décalogue - avec le succès d’ailleurs relatif que l’on sait. Le péché a introduit de faux plis, ouvert de fausses routes, brouillé les yeux et les cœurs, opacifié le vrai et le bien, perverti l’usage du pouvoir, de la parole, du pain et de la terre. Il a rendu l’homme ennemi de son environnement et de son frère12. Il a introduit ses règles et ses conventions destructrices, sous l’impulsion jalouse du Père du mensonge, jusqu’à donner l’illusion de l’existence d’un Nouveau Monde meilleur - appelé le monde, comme s’il devait effacer la création qu’il vampirise. Le péché peut ravaler les hommes au rang des bêtes et même, comme le dit saint Thomas, en faire moins que des bêtes, celles-ci n’ayant pas la faculté d’oublier ce qu’elles sont.

Cependant, si loin qu’il pénètre en ses ravages, le péché ne pourra jamais ôter de l’homme la loi radicalement inscrite en lui, ni détruire sa nature. Cette loi trouve sa pérennité dans l’Amour créateur, lequel, comme le disait Denys plus haut, conserve ceux auxquels il distribue ses biens. La nature humaine n’a pas changé, et elle ne changera jamais. Dès lors, pour être non seulement un homme mais un homme digne de ce nom, il faudra toujours, comme à la caresse du premier souffle de vie, comme à la douceur de la première aurore, être un saint.

11 - « Nous touchons (là) - disait le Père Lacordaire, à propos du péché originel - non seulement au dogme fondamental du christianisme, mais au dogme, où tout ordre, toute morale, toute politique prennent avec leur source la règle de leur cours. Selon le parti qu’embrassent à cet égard les sages et les conducteurs des nations, tout change, tout s’en va sur une pente ou sur une autre pour ne se rencontrer plus jamais. Car il est impossible qu’avec un point de départ aussi différent sur l’état intérieur et natif du genre humain, on n’arrive pas à des conclusions d’une irrémé-diable inimitié » (64e Conférence à Notre-Dame, Exorde).12 - « Un lien indissoluble apparaît toujours plus clairement entre la paix avec la création et la paix entre les hommes. L’une et l’autre présupposent la paix avec Dieu » (Benoît XVI, Message pour la 40e journée mondiale pour la paix, 1er janvier 2007).

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Seul le saint, il faut s’y résoudre, peut être un homme accompli. La théologie établit d’ailleurs qu’il nous est impossible, en l’état qui est désormais le nôtre, de réaliser même le bien naturel sans la grâce. C’est donc jusque dans la création que s’enracine la doctrine proclamée par le deuxième Concile du Vatican sur l’appel universel à la sainteté. Le texte de Lumen gentium, en effet, ne manque pas d’indiquer que cette sainteté ne peut que « contribuer à rendre plus humaine la manière de vivre dans la société terrestre e&e-même »13.

La vaine nostalgie de la sainteté perdue5.- Même dans les obscurités du péché, les hommes ont toujours conservé l’intuition de cette

inclination. Ils ont cherché à retrouver confusément, comme des brebis égarées, les voies perdues de la sainteté perdue. Mais comment ? La haine de Dieu, au sommet de cet égarement, n’est-elle pas elle-même, en quelque manière, l’expression la plus chimiquement pure de l’impuissance à y parvenir ?

Benvéniste, précédemment cité, indique qu’entre l’inaccessible sacré et le profane, qui en est par hypothèse séparé14 , il n’existe qu’une seule passerelle possible : le sacrifice. C’est-à-dire, au sens propre du terme, l’acte qui rend saint, qui élève au monde du sacré. De fait, nous connaissons les efforts des hommes pour tenter, à contre-pente de leur chute originelle, de jeter d’eux-mêmes cette passerelle et de la franchir, habités par la lancinante nostalgie des bonheurs perdus15 : la magie, les incantations, les brebis voire les humains immolés, les holocaustes, la graisse et le sang répandus en libation. Le mot “saint”, nous dit Isidore de Séville serait une contraction de l’expression antique sanguine tinctus, c’est-à-dire “coloré par le sang”, parce que, ajoute-t-il, « ainsi que les anciens en sont d ’accord, ceux qui voulaient être purifiés étaient aspergés avec le sang des victimes »16.

Le Christ, passerelle et unique chemin de sainteté6.- Cependant, où puiser la capacité de rendre quoi que soit saint quand on est soit même déchu de

toute sainteté ? Ces oblations, ces prières et ces sacrifices seraient demeurés des « souhaits vains, suffoqués et inutiles »17, lancés dans une nuit sourde et sans espoir, si Dieu lui-même n’avait encore fait le premier pas, lui, le Saint, qui nous a aimés le premier. Saint Jean, avec ses mots de feu, l’exprime ainsi : « En ceci s’est manifesté l ’amour de Dieu pour nous : (…) ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu » de l’amour des saints, parce que nous en étions désormais radicalement incapables. « C’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés (…) comme Sauveur du monde » (1 Jn 4, 9-10, 14).

C’est ce Sacrifice-là qui a donné, dans l’histoire sainte, une dignité préfigurative aux misérables sacrifices antérieurs du peuple choisi – à ceux, du moins, qui n’étaient pas contre nature. Ces sacrifices rappelaient certes le péché des hommes mais étaient impuissants à les ôter ou à rendre parfaits ceux qui voulaient s’approcher de Dieu (Héb. 10, 1-11).

13 - Constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen gentium, 21 novembre 1964, chap. 5, n. 40.14 - Le “fanum” désigne en latin le lieu consacré. Etre “pro-fanum”, c’est être devant ce lieu, et donc être hors du sacré. La pro-fanation, pratique si répandue de nos jours, consiste à arracher le sacré de son sanctuaire, à le désa-craliser, ou, au contraire, à y porter une main impure.15 - Ici aussi, l’étymologie nous est d’un grand secours. Le mot “nostalgie”, très affaibli en notre langue, vient de deux mots grecs : nostos, qui signifie le retour, et algos, qui signifie la douleur. C’est la souffrance de l’homme privé de sa patrie.16 - Isidore de Séville († 636), Les Etymologies, X, n° 241.17 - Saint François de Sales, Traité de l ’amour de Dieu, chap. VII.

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Le Sacrifice du Fils a taillé une route nouvelle, et la seule empruntable, vers la sainteté perdue. Jésus ne laisse aucun doute sur ce point, qui se décrit lui-même comme l’unique « passage » de la mort à la vie (Jn 5,24), l’unique « chemin » conduisant au Père, source de toute sainteté (Jn 14,6). « Je suis la porte », dit-il, et « si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jn 10,9). Il fallait à l’humanité une passerelle, disions-nous. Cette passerelle est le Christ. C’est pourquoi lui est donné, dans la plénitude du terme, le nom de “Pontife”, qui signifie étymologiquement “celui qui fait le pont” : « Tel est précisément le Pontife qu’il nous fa&ait » dit saint Paul (Héb. 7,26)18.

Le Sang a ainsi acquis une vertu réellement purificatrice, ce Sang-là du Verbe incarné. On pourrait dire une vertu re-créatrice, car il atteint l’être même de l’homme, qu’il guérit, surélève et applique au Bien divin. Ce Sang n’est pas seulement un sang qui teint celui qui en est aspergé, sans atteindre les souillures ou les structures de son âme. Il revivifie celui qui le reçoit, en fait un homme nouveau, le rend victorieux de la mort et du Diable qui en est le fourrier (Apoc. 12,11). C’est pourquoi dans le Ciel, le plus haut titre de gloire des saints, sera d’avoir eu leur robe blanchie dans ce Sang de l’Agneau (Apoc. 7,14) - terme dont la racine grecque exprime encore et toujours la pureté, la séparation, la sainteté. L’étymologie de saint Isidore trouve ainsi, en christianisme, un sens tout à fait vrai qui se fonde sur l’événement le plus considérable de l’histoire de l’univers. Dans sa très belle méditation sur les sept paroles du Christ en croix, K. Rahner, évoquant le « tout est accompli » du Christ (Jn 19,30), s’adressait à lui en ces termes : « Oui, tu as tout porté à sa plénitude. (...) La porte de la vie s’est ouverte en grand. La liberté des enfants de Dieu a été conquise. Désormais, le vent impétueux de la grâce peut souffler   ! Le monde plongé dans l ’obscurité commence, lentement, à ?émir à l ’aube de ton amour ».

La sainteté revenue et l’identité chrétienne : une sainteté de combat7.- La sainteté est ainsi revenue dans le monde par le Sacrifice du Fils, qui est le point cardinal de

l’histoire. Du côté transpercé du Saint, du Juste, est né tout mérite, toute justification, toute sainteté, tout désir efficace, tout amour pur, vécus avant ou après le drame rédempteur de la Pâque. Le Christ ainsi réidentifie les hommes qui adhèrent à lui, leur fait recouvrer la ressemblance du Père en en faisant ses frères.

Cependant, il ne s’agit pas là d’un “retour à la case départ” de la création, qui redeviendrait désormais telle qu’elle fut au premier jour. Le Christ n’est pas venu effacer l’ardoise humaine pour simplement restaurer un édifice ruiné, comme si rien ne s’était passé. Le péché demeure, et demeurera toujours, du moins jusqu’à la fin des temps, une fracture historique conditionnant le monde, y établissant ses lois, ses modes de pensée dévoyés. S’adressant à son Père, peu avant d’entrer dans sa Passion, Jésus lui parle de ces hommes qui lui ont été donnés et qui se trouvent dans le monde. Il ajoute qu’il prie pour eux, et non pour le monde, dont il n’est pas lui-même (Jn 17, 6-19). Il y a ainsi un aspect tragique dans la Révélation : la condamnation du péché, en tant que révolte contre l’oeuvre de Dieu, est totale, définitive. Elle évoque le caractère irrémédiable de l’enfer lui-même, lieu du refus de Dieu sans retour, du refus de miséricorde sans remède, sans espoir, dont le monde ici évoqué est souvent l’antichambre.

18 - « Puisque je t’ai dit que du Verbe mon Fils unique, j’avais fait un pont, et c’est la vérité, je veux que vous sa-chiez, mes enfants, que la route fut coupée par le péché et la désobéissance d’Adam, de telle sorte que nul ne pou-vait plus atteindre à la vie durable. (...) C’est pourquoi, voulant porter remède à de si grands maux, qui étaient vô-tres, je vous ai donné mon Fils comme un pont, sur lequel vous puissiez passer le fleuve sans vous noyer. Ce fleuve, c’est la mer pleine de tempêtes de cette vie ténébreuse » (sainte Catherine de Sienne, Dialogue, Trad. J. Hurtaud, 2e ré-ponse, chap. V (21).

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Dans le même passage, Jésus dit de ceux que le Père lui a confiés, qu’il prie pour eux, mais qu’il n’entend pas qu’ils soient ôtés du monde : « Je ne demande pas que tu les ôtes du monde, mais que tu les gardes du mal » (Jn 17,15). Ceci nous éclaire sur un point fondamental de la vie chrétienne : la sainteté recouvrée n’est pas, dans ses conditions d’exercice, une sainteté qui ignore le péché, ce n’est pas une sainteté adamique. Ce n’est pas davantage un angélisme. C’est une sainteté qui voisine sans illusion avec le péché. En une manière certaine, il s’agit désormais d’une sainteté de combat. Jésus, dans la même prière, nous le suggère. S’adressant à son Père, il lui dit, au sujet de tous ceux qui ont accueilli sa Parole : « Comme tu m’as envoyé au monde, de même je les ai envoyés au monde, et je me sanctifie pour eux afin qu’ils soient sanctifiés en vérité » (Jn 17,18-19). Jésus indique, par ce « de même », une analogie entre sa mission et la leur. Lui, le Saint, est venu pour sauver les hommes dans le monde ; eux, les sanctifiés, sont appelés à être saints pour la même oeuvre de salut.

Sainteté et haine de Dieu8.- Mais cette sanctification passe inévitablement pour eux comme pour le Christ par une passion

qui résulte de la confrontation au monde. Ce monde s’exprime en chacun de nous par nos inclinations au mal, lesquelles résultent de la nature blessée par le péché originel. Il s’exprime aussi socialement, parce que le monde, structurellement et idéologiquement, conspire et conspirera toujours contre la vérité et le salut, pour provoquer à la chute. Le monde, dit le Christ, en parlant de ses amis, « les a haïs parce qu’ils n’étaient pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde » (Jn 17, 14). Cette haine, qui de Jésus s’est reportée sur ses disciples, ainsi qu’en témoignent les Actes des Apôtres à propos de la prédication de Pierre, ou les Actes des martyrs de toute l’histoire, y compris contemporaine, ne doit jamais être perdue de vue. Jésus lui-même y a insisté : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : (...) S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront » (Jn 15, 20).

Cette haine à l’égard de Dieu est inextinguible, parce qu’elle est celle de Satan, l’Obstacle, dont elle constitue, depuis sa chute, la respiration spirituelle. Il y a ainsi analogiquement une participation à la haine de Satan, par l’état de péché, qui donne la mort, comme il y a une participation à l’Amour de Dieu par la grâce, qui vivifie. De cette perception est née la vision des deux Cités de saint Augustin, inspirées par deux amours inconciliables. C’est par une naïveté sans nom que certains s’imaginent, clercs ou non, qu’il est possible de composer avec cette haine [qu’ils n’identifient certes pas comme telle, mais qui est réelle] pour se ménager des espaces de tranquillité, un “tiers-monde” irénique et consensuel qui emprunterait à Dieu et au Diable pour effacer tout conflit, comme s’il était possible, malgré l’avertissement du Christ, de servir deux maîtres (Matthieu 6,24). Pour reprendre l’image de saint Jacques, l’entreprise est aussi vaine que de chercher à faire donner des figues à une vigne (Jacques 3,12).

La haine contre Dieu sourd, en arrière-plan, dans toutes les manoeuvres qui tendent à maintenir éloignées la nature et la grâce, individuellement ou politiquement, dans tout ce qui porte la main sur le créé ou le racheté, dans toutes les sécularisations, les désacralisations, les sacrilèges, dans tout ce qui porte atteinte à la vie, en ses multiples manifestations analogues, de la vie biologique à la vie de l’esprit, en tout, au fond, ce qui porte atteinte à l’écologie humaine telle qu’elle résulte du dessein de Dieu pour que les hommes vivent en paix entre eux et avec Lui. C’est elle, enfin, qui anime évidemment les attaques menées aujourd’hui contre l’Eglise et le Successeur de Pierre, il ne faut pas s’y tromper. C’est pourquoi, s’il est utile de mobiliser pétitions ou mouvements de presse pour les contrer, l’arme véritablement adaptée est celle de la pénitence et de la prière, « car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes » (Ephésiens 6,12).

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Sainteté donnée et sainteté à recevoir 9.- Ces circonstances particulières du rachat de l’humanité au milieu du monde de péché donnent à la

sainteté recouvrée sa double physionomie actuelle : celle d’une “sainteté présente”, déjà donnée, et celle d’une “sainteté à recevoir encore”. C’est en cela, si l’on peut dire, que nous sommes des saints appelés à le devenir, comme, dans l’ordre naturel, nous sommes des êtres humains appelés à s’humaniser, ce double mouvement d’accroissement ne pouvant s’opérer qu’avec le concours efficace de la grâce du Christ.

La “sainteté présente” est celle qui est donnée par le baptême, dans « l ’Esprit Saint et le feu » (Luc, 3,16), lequel imprime en l’âme le « sceau de Dieu » (Ephésiens, 4,30). Parce que ce dernier est un don gratuit, sans mérite préalable de notre part, il est appelé grâce. Et parce qu’elle rend saint, en participation de la nature divine (2 Pierre, 1,4), cette grâce est dite sanctifiante. Ce don, proposé à toute bonne volonté, opère une création nouvelle. L’homme devient fils adoptif de Dieu, membre du Christ, cohéritier avec lui et temple de l’Esprit-Saint19. Il devient véritablement un « homme nouveau,  créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ephésiens, 4,24), illuminé au-dedans par la clarté de la Résurrection. C’est pourquoi saint Paul identifie constamment, et sans hésitation, les disciples du Christ aux saints. Ainsi parle-t-il des saints de Jérusalem, de ceux qui sont en Achaïe, à Ephèse, à Philippes, à Colosses20 et, plus généralement, de tous les baptisés, qui ont en commun d’être, avec lui, « concitoyens (…) de la maison de Dieu » (Ephésiens 2,19).

Cette sainteté est ainsi une véritable identité, notre identité, et une identité sociale - en l’occurrence ecclésiale. Dieu reprend l’homme en sa famille, l’enfant prodigue est attiré dans l’étreinte du Père – lequel lui attribue un nom nouveau expressif de sa vie nouvelle. Ce nom, nous le recevons par son Fils : « Je vous appe&e amis » (Jean 15,15), nous dit-il, c’est-à-dire « les aimés ». Jésus justifie l’exactitude de ce nom par le don qui nous est fait d’entrer dans la confidence trinitaire : « Je vous appe&e (ainsi), parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l ’ai fait connaître ». A l’oreille du cœur de chacun, le Père murmure : «Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Luc 15,31). Un nom donné par Dieu, en effet, explique saint Thomas, signifie toujours un don gratuit de sa part21. Ce nom de “saint” ne résulte donc pas du hasard. Il s’agit, en quelque sorte, d’un terme efficace. Attribué à qui est donné d’entrer dans cette communion d’amour, il exprime que Dieu lui est livré. Il lui dit, avec toute l’indicible tendresse que peut contenir un mot divin, qu’il est rendu participant de sa pureté absolue, qu’il est surélevé, rendu fécond en œuvres de beauté et de grâce, pour lui et les autres hommes, et séparé enfin du monde, en tant que ce dernier est une communion de dissemblance. Les “notes” de la sainteté que nous avons relevées au début de cette étude à propos de Dieu se trouvent ainsi participées par ses enfants d’adoption. En retour de cette attribution d’un nom nouveau, Jésus nous a appris à reconnaître et à glorifier collectivement la sainteté de celui de Dieu, identifié à nos yeux comme un Père : « Pater noster (…) sanctificetur nomen tuum » (Matthieu, 6,9).

19 - Cf. Catéchisme de l ’Eglise catholique, n° 1265.20 - Romains, 15, 25-26 ; 1 Corinthiens, 1,1 ; Ephésiens 1,1 ; Philippiens, 1,1 ; Colossiens 1,2.21 - Somme de théologie, 3, 3, q. 37 a. 2. Le nom de “Jésus” lui-même, dit saint Thomas, a été donné au Fils parce qu’il a reçu, en tant qu’homme, ce don gratuit de sauver tous les hommes (cf. Matthieu, 1,21), et Pierre a reçu de Jésus ce nom parce qu’il lui a été donné de devenir le fondement de l’Eglise.

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“Saint”, “aimé”, est notre nom de famille. Mais ce nom se décline en une infinité de noms personnels, originaux, exprimant pour chacun le don qui lui est propre, l’amour spécial, unique, dont il est l’objet : « C’est pour toi, Blaise Pascal, que j’ai versé te&e goutte de mon Sang… ». Les Ecritures, là encore, en témoignent. Inscrit dans le Livre de vie (Apoc. 3,5), le nom personnel des aimés de Dieu est « un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit » (Apoc. 2,17). Elisabeth de la Trinité, on le sait, connaissait son « nom d ’éternité » : « Louange de gloire »22.

10.- Cependant, cette grâce qui rend saint n’est pas seulement un sceau, de sorte que la sainteté n’est pas uniquement un don reçu. Elle est tout à la fois un don qui reste à recevoir. Les Evangiles la comparent certes à une perle, à un trésor mais elle n’est pas pour autant un simple avoir. Elle ne fait pas du chrétien une sorte de bourgeois, possédant du don reçu, qui pourrait se donner toute liberté de l’enfouir ou de le dilapider. La parabole des talents condamne sévèrement cette conception (Matthieu 25, 14-30). La grâce est un principe vital, « une source jai&issante dont les eaux ne tarissent pas » (Esaïe, 58,11). Dans cette mesure, elle pousse le chrétien à grandir, à fructifier, à s’épanouir, à tendre à la perfection de la charité, en même temps qu’elle lui en offre les capacités, par l’exercice des vertus morales et l’impulsion des dons de l’Esprit-Saint. Le fait d’être un saint est dès lors indissociable du fait de tendre à l’être, comme le fait d’être au Christ est indissociable du fait de tendre à lui ressembler.

C’est pourquoi les Ecritures sont également remplies d’exhortations adressées à ceux qu’elle appelle les « saints par vocation » (Romains, 1,7). Pierre en a synthétisé l’expression par ces mots : « A l ’exemple du Saint – c’est-à-dire du Christ – qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, selon qu’il est écrit : “Vous serez saints, parce que moi, je suis saint” » (1 Pierre 1,15-16). Telle est la vocation des chrétiens que Dieu a élus en lui, dès avant la fondation du monde, afin qu’ils soient « saints et immaculés, en sa présence, dans l ’amour » (Ephésiens 1,4).

La valeur herméneutique de la sainteté11.- La condition présente de la sainteté au milieu du monde lui confère aussi une valeur

herméneutique particulière. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la création elle-même a révélé que l’homme avait été créé à cette fin : être un saint, c’est-à-dire vivre dans l’intimité de la vie de Dieu. Cependant, cet homme-là, en quelque manière, n’existe plus, même si la nature humaine demeure. Le temps d’Adam a cessé par le péché, et l’économie de grâce originelle avec lui. Adam a cessé d’être “chef” dans l’ordre de la grâce, par rapport à ses descendants. L’économie qu’il a inaugurée, par sa faute capitale, est l’économie de mort d’une nature blessée, disgraciée. Cette économie eut été irrémédiable si l’incarnation et la résurrection du Christ n’avaient fait voler en éclats son étreinte tragique sur l’humanité tout entière.

22 « Dans le ciel de notre âme, soyons louanges de gloire de la Sainte Trinité, louanges d’amour de notre Mère Im-maculée. Un jour le voile tombera, nous serons introduits dans les parvis éternels, et là nous chanterons au sein de l’Amour infini. Et Dieu nous donnera le nom nouveau promis au vainqueur. Quel sera-t-il ?... Laudem gloriae ! » (Elisabeth de la Trinité, extraits de Le Ciel dans la foi n°43-44, Lectionnaire du Carmel).

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Désormais, c’est le Christ qui est “chef ” de l’humanité, sans contradiction avec les desseins premiers du Père sur l’homme, ce qui détermine en tous ordres son Règne et sa juridiction sur le monde. Rien, en vérité, n’a jamais échappé au regard de Dieu, qui n’a pas été mis en échec par le péché. Le Christ a relevé le flambeau que le Père avait allumé mais que la main trop faible d’Adam a fait tomber. Il l’élève à une hauteur inégalable, jusqu’au sein de la Trinité, et par cette exaltation, le nouvel Adam projette une lumière magnifique sur le mystère même de l’homme. Adam, le premier Adam, était, de fait, la figure de Celui qui devait venir, le Christ-Seigneur (Romains 5,14). « Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l ’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation  »23.

Il nous est ainsi révélé que le Christ est le modèle de l’homme parfait, achevé, que l’homme est appelé à devenir par création comme par grâce, chacun en sa vocation, ce que ne peut plus être Adam pour nous. Le Christ nous apporte davantage encore, car tout en étant cet homme parfait, il est entré profondément dans les sillons de la souffrance et de la mort creusés par le péché du premier Adam. Celui-ci ne pouvait pas davantage nous offrir cet exemple car c’est précisément l’abandon de la sainteté qui lui a fait creuser ces sillons. En entraînant souffrance et mort dans son propre sillage, de son incarnation à sa passion et à sa résurrection, le Christ leur a donné un sens qui s’intègre désormais à jamais dans la quête de vie et de vérité de tout homme de bonne volonté. En mourant pour nous, il a également révélé l’immense valeur des hommes aux yeux de Dieu, c’est-à-dire la dignité de la personne humaine qu’il a créée, à son image et ressemblance, pour qu’elle entre en communion d’amitié avec Lui en son Fils, crucifié pour notre rédemption : « Vois », dit-il à chaque homme, « je t’ai gravé sur les paumes de mes mains » (Esaïe, 49,16).

Cette révélation a une incidence considérable sur la vie personnelle de chaque être humain. Le plus faible, le plus détraqué, le plus esseulé, le plus arrogant en ses richesses, le plus répugnant des hommes, comme le plus juste, tous sont faits pour le Christ qui les garde en ses plaies. Tous sont appelés à recevoir l’abondance de ses grâces afin d’être sanctifiés, par lui, en lui, avec lui. La nécessité de cette fin conditionne à la fois notre propre espérance, nous qui connaissons tant de façons de mourir ou d’être blessés, et le respect auquel nous devons nous contraindre à l’égard de chaque homme, en qui souffre toujours, à une profondeur ou à une autre, un pauvre sur lequel le regard du Christ est miséricordieusement posé.

Cette révélation a aussi une incidence considérable sur la vie politique de tous les hommes, parce qu’elle conditionne la reconnaissance publique de leurs droits fondamentaux, du début au terme de leur vie terrestre, et qu’elle rend exigible, comme un droit également fondamental, l’orientation de la vie sociale à son bien transcendant qui est Dieu.

Telle est en définitive la sainteté, dans l’économie actuelle du salut : le sceau de Dieu sur nous, qui nous communique son identité en faisant de nous ses enfants, et l’inclination en quelque sorte nature&e qu’il creuse en nos vies dans l’ordre surnaturel pour être, en son Fils, « régénérés en lui par son immaculée grâce spiritue&e »24. Telle est aussi universellement la sainteté, en cohérence parfaite avec le dessein “initial” de Dieu inscrit dans la création pour la réception d’un tel Don : la raison d’être fondamentale de tout homme.

Patrick de Pontonx

23 - Constitution pastorale Gaudium et spes, 7 mai 1965, n° 22.124- Saint Augustin, de Trinitate, L. 13, chap. 16

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L’appel à la sainteté fait partie de la vocation chrétienne. Comme le dit saint Pierre : « À l’exemple du Saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, selon qu’il est écrit : Vous serez saints parce que moi, je suis saint » (1 P 1,15-16).

Comme nous le savons, le concile Vatican II, dans sa constitution dogmatique Lumen gentium a voulu souligner au chapitre 5 la « vocation universelle à la sainteté dans l’Eglise ».

Au n. 56 de l’exhortation apostolique Christifideles laici de Jean-Paul II on peut lire : « Nous pouvons conclure en relisant une belle page de Saint François de Sales, qui a tant promu la spiritualité des laïcs. Parlant de la ‟dévotion”, c’est-à-dire de la perfection chrétienne ou de la vie selon l’Esprit, il présente d’une manière simple et splendide la vocation de tous les chrétiens à la sainteté et, en même temps, la forme spécifique dans laquelle la réalise chaque chrétien: ‟Dieu commanda à la création, aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son genre (Gn 1, 11) : ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu’ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier... C’est une erreur, même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, ne peut être exercée en ces vocations-là; mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent en états séculiers... Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à vie parfaite”».

L’appel à la sainteté s’adresse en particulier aux religieux, à propos desquels on peut lire dans le chapitre 6 de Lumen gentium : « Quant à tous ceux qui sont appelés à la profession des conseils, il leur appartient de veiller avec soin à persévérer dans la vocation, […] à y progresser sans cesse pour une plus grande sainteté de l’Église, pour la plus grande gloire de l’unique et indivisible Trinité qui, dans le Christ et par le Christ, est la source et l’origine de toute sainteté ».

Dans l’exhortation apostolique Vita consecrata, il est dit au n. 37 que « les Instituts sont invités à retrouver avec courage l’esprit entreprenant, l’inventivité et la sainteté des fondateurs et des fondatrices, en réponse aux signes des temps qui apparaissent dans le monde actuel. Il s’agit là surtout d’un appel à persévérer sur la voie de la sainteté, à travers les difficultés matérielles et spirituelles rencontrées dans les vicissitudes quotidiennes ».

En ce IVe centenaire de la fondation de la Visitation il est bon d’écouter cet appel à travers la vie et les enseignements des fondateurs, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal.

Vie religieuse et saintetéIl convient de noter d’emblée que saint François de Sales, plus que sainteté, parlait de dévotion et

de perfection. Pour lui, la vie religieuse était « une école de la perfection », où l’on est plus totalement et plus facilement à Notre-Seigneur » (S IV 39). « La religion, disait encore le fondateur de la Visitation, est une école où l’on apprend sa leçon : le maître ne requiert pas toujours que l’écolier sache sa leçon sans faillir, il suffit qu’il ait attention de faire son possible pour l’apprendre » (E XIII 1178). Parlant de la congrégation qu’il avait fondée, il employait le même langage : « La congrégation est une école » (S III 113) ; on y entre « pour y vaquer à la perfection du divin amour » (O IV 52).

LA SAINTETÉ PROPOSÉE AUX ÂMES CONSACRÉESÀ PARTIR DU TRAITÉ DE L’AMOUR DE DIEU

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Cependant le terme de sainteté n’est pas rare sous sa plume. François écrivait à Jeanne de Chantal le 3 mai 1604 : « Je ne cesserai jamais de prier notre bon Dieu qu’il lui plaise de parfaire en vous son saint ouvrage, c’est-à-dire le bon plaisir et dessein de parvenir à la perfection de la vie chrétienne ; désir lequel vous devez chérir et nourrir tendrement en votre cœur, comme une besogne du Saint Esprit et une étincelle de son feu divin ». Ce qu’il aime en elle, c’est « l’arbre de du désir de sainteté » que le Seigneur a planté dans son âme. « Je le chéris tendrement », ajoute-t-il (L II 263-264).

Il revenait au fondateur de former ses filles spirituelles, faisant office d’« instituteur » et de « maître des novices ». Il y a excellé. Selon T. Mandrini, « saint François de Sales occupe dans l’histoire de la vie religieuse une place de premier ordre, comme saint Ignace de Loyola ; nous pouvons même affirmer que dans l’histoire de la vie religieuse féminine, saint François de Sales occupe la place que saint Ignace tient dans l’histoire de la vie masculine ».

Sainteté et charitéAvant toute chose il faut signaler le lien étroit que François de Sales établit entre sainteté et amour,

entre sainteté et charité. « La charité, écrit-il dans le TAD, est la racine et source de toute sainteté en l’homme » (TAD XI 5). Il dira également que nos actions « ont toute leur sainteté de la seule présence et société de la charité » (TAD XI 4), et que les vertus dépendent de l’amour sacré, « qui à toutes donne la sainteté qu’elles ont » (TAD XI 4). Nos œuvres seront « parfumées de sainteté », si nous y mettons l’amour de Dieu (TAD XI 2).

Pour lui, la charité résume absolument toute la vie et toute la sainteté chrétiennes. Elle comprend les 10 commandements de l’AT, les 7 dons du Saint-Esprit, les 8 béatitudes du discours sur la montagne, les 3 conseils évangéliques, les 12 fruits de l’Esprit-Saint… La plus grande des 3 vertus théologales est la charité.

Dieu a l’initiative de notre saintetéLe livre II du TAD s’intitule : Histoire de la génération et naissance céleste du divin amour. Dieu

« ne nous a pas seulement aimés avant que nous fussions, mais encore afin que nous fussions, et que nous fussions saints ; en suite de quoi il nous prévient ès bénédictions de sa douceur paternelle, et excite nos esprits pour les pousser à la sainte repentance et conversion » (TAD II 9).

Dans la grande œuvre de la sainteté les inspirations jouent un rôle primordial, essentiel : « O Dieu ! Théotime, si nous recevions les inspirations célestes selon toute l’étendue de leur vertu, qu’en peu de temps nous ferions de grands progrès en la sainteté ! » (TAD II 11).

La sainteté pour les « âmes consacrées » : le Traité de l’amour de DieuEn publiant en 1616 le Traité de l ’amour de Dieu, un livre « fait pour aider l’âme déjà dévote à ce qu’elle

se puisse avancer en son dessein » (PL 342), François de Sales reconnaissait tout ce qu’il devait à cette «bénite assemblée » de la Visitation et en particulier à la mère qui « y préside » et qui « n’a pas eu peu de pouvoir pour animer [mon âme] en cette occasion » (PL 348).

Faut-il en conclure que le TAD a été composé uniquement pour la vie religieuse ? Je crois qu’on peut souscrire à l’affirmation d’André Ravier quand il écrit que « le TAD n’est pas un livre à l’usage des seuls contemplatifs, ce n’est pas davantage un livre seulement apostolique : l’amour de Dieu dont il traite se situe au-delà de la contemplation comme au-delà de l’action ; il est à la fois source de la contemplation et source de l’action : il est la vie du chrétien parfait, la vie de pleine charité ».

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Pour François de Sales, dit encore André Ravier, « la vie mystique, c’est la vie, la vie quotidienne, la vie avec ses événements prévus et ses événements imprévisibles, ses souffrances et ses joies, ses amitiés et ses séparations, ses soucis et ses consolations, la vie naturelle mais toute pénétrée, ‟détrempée” pour reprendre son mot, par et dans la volonté de Dieu » (PL LXXXII).

Dans l’« Admirable exhortation de saint Paul à la vie extatique et surhumaine » (TAD VII 8), François de Sales nous livre, semble-t-il, le vrai sens de la consécration telle qu’il l’entend, que ce soit celle qui est vécue par les « âmes consacrées » dans la vie religieuse, ou celle qui se vit dans le monde ou dans la vie apostolique. Après avoir rappelé les immenses bienfaits que nous avons reçus de l’amour du Sauveur, l’auteur s’exclame : « Quelle conclusion avons-nous plus à prendre, mon cher Théotime, sinon que ceux qui vivent ne vivent plus à eux-mêmes, ains à Celui qui est mort pour eux ? c’est-à-dire, que nous consacrions au divin amour de la mort de notre Sauveur tous les moments de notre vie, rapportant à sa gloire […] toutes nos œuvres, toutes nos actions, toutes nos pensées et toutes nos affections » (TAD VII 8).

Une pédagogie de la sainteté : le Traité de l’amour de DieuComme on le devine, le Traité propose une doctrine sublime de l’amour de Dieu, qui valut à son

auteur le titre de «docteur de la charité», mais il le fait avec un sens pédagogique remarquable. Il est significatif d’emblée que le Traité soit dédié à un couple d’éducateurs dont il invoque l’aide et l’exemple ; la «très sainte Mère de Dieu», dont il exalte « l’unique amour maternel », et « le grand saint Joseph », son «secours et coadjuteur en la charge de la conduite et éducation» de l’enfance de Jésus (PL 333). Autant dire que l’auteur se propose, sur l’exemple de Marie et de Joseph, d’accompagner sur le chemin du plus haut amour une personne appelée Théotime, nom symbolique qui désigne « l’esprit humain, qui désire faire progrès en la dilection sainte » (PL 342). Son but est de montrer « l’histoire de la naissance, du progrès, de la décadence, des opérations, propriétés, avantages et excellences de l’amour divin » (PL 338-339). Le Traité, a écrit Louis Lavelle dans son livre intitulé Quatre saints, est « une sorte de bible de l’amour » (p. 184). À la manière d’un pédagogue, l’auteur ne se contente pas de dispenser à Théotime un pur enseignement, mais il veut le motiver en lui décrivant les « excellences » de l’amour divin.

L’ouvrage, considéré comme le chef-d’œuvre de saint François de Sales, se compose de douze « livres». Il commence par l’affirmation que l’amour est le sommet de la nature humaine et qu’il y a en l’homme une inclination naturelle d’aimer Dieu (Livre I). Mais l’amour doit être reconduit à sa véritable origine, qui est en Dieu, et celui-ci offre à l’homme une vraie amitié basée sur la réciprocité (Livre II). Cet amour ou amitié, Dieu le fait grandir dans la mesure où l’homme coopère avec la grâce (Livre III). Malheureusement, dit le livre suivant, il arrive que l’homme provoque la «décadence et ruine de la charité», ce qui permet toutefois à l’auteur de souligner la grandeur de sa liberté et sa responsabilité (Livre IV). Pour éviter ce malheur et grandir dans l’amour de Dieu, le premier exercice à pratiquer consiste à apprendre à se réjouir de toutes les perfections de Dieu en cultivant «l’amour de complaisance», et le second à désirer que Dieu soit connu, loué et aimé : c’est l’amour de bienveillance (Livre V). Le grand moyen pour grandir est la prière, que François de Sales appelle oraison ou théologie mystique, et qui se résume dans la méditation et dans la contemplation (Livre VI). Le point le plus haut de l’oraison consiste dans l’union avec Dieu (Livre VII). Mais l’oraison n’est pas tout : la recherche de la perfection requiert la conformité de notre volonté avec celle de Dieu, aussi bien avec celle qui nous est signifiée par les commandements de Dieu, les conseils évangéliques et les inspirations actuelles du Saint Esprit (Livre VIII), qu’avec celle que nous sommes invités à découvrir dans les événements de la vie où se manifeste «le bon plaisir de Dieu » (Livre IX). Parvenu à ce sommet, l’auteur consacre les livres restants au commandement d’aimer Dieu sur toutes choses (Livre X), à l’autorité exercée par l’amour sacré sur toutes les vertus, actions et perfections de l’âme (Livre XI), et pour conclure à quelques avis pour le progrès de l’âme (Livre XII).

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L’échelle de JacobParcourons donc le chemin de la sainteté proposé par saint François de Sales en nous servant d’une

image qu’il affectionnait particulièrement : l’échelle de Jacob. Déjà dans l’Introduction à la vie dévote François utilisait cette image : « Les échelons ne sont autre chose que les divers degrés de charité par lesquels l’on va de vertu en vertu, ou descendant par l’action au secours et support du prochain, ou montant par la contemplation à l’union amoureuse de Dieu (IVD I 2).

Attention : c’est Dieu qui nous tire vers lui sur cette échelle, explique le TAD : « Voyez, je vous prie, Théotime, comme Dieu va doucement renforçant peu à peu la grâce de son inspiration dedans les cœurs qui consentent, les tirant après soi comme de degré en degré sur cette échelle de Jacob » (TAD II 13).

Parlant des sept dons du Saint-Esprit, il écrit de même : « La charité nous sera une autre échelle de Jacob, composée des sept dons du Saint-Esprit, comme autant d’échelons sacrés par lesquels les hommes angéliques monteront de la terre au ciel pour s’aller unir à la poitrine de Dieu tout-puissant, et descendront du ciel en terre pour venir prendre le prochain par la main et le conduire au ciel » (TAD XI 15).

Le TAD nous propose d’escalader les échelons – je vous en propose sept – de cette échelle mystique de la sainteté.

1. La connaissance : un préalable« Théotime, la connaissance est requise à la production de l’amour, car jamais nous ne saurions aimer

ce que nous ne connaissons pas; et à mesure que la connaissance attentive du bien s’augmente, l’amour aussi prend davantage de croissance, pourvu qu’il n’y ait rien qui empêche son mouvement » (TAD VI 4).

La vérité fondamentale que Jésus enseigne est que Dieu est notre Père.Où trouver cette connaissance qui mène l’amour sinon à la fontaine de la foi ?  : « Éliéser cherchait

une épouse pour le fils de son Maître Abraham. Que savait-il s’il la trouverait belle et gracieuse comme il la désirait? Mais quand il l’eut trouvée à la fontaine, qu’il la vit si excellente en beauté et si parfaite en douceur, mais surtout quand on la lui eut accordée, il en adora Dieu, et le bénit avec des actions de grâces pleines de joie non pareille: le cœur humain tend à Dieu par son inclination naturelle, sans savoir bonnement quel il est; mais quand il le trouve à la fontaine de la foi, et qu’il le voit si bon, si beau, si doux, si débonnaire envers tous, et si disposé à se donner comme souverain bien à tous ceux qui le veulent, ô Dieu, que de contentements et que de sacrés mouvements en l’esprit pour s’unir à jamais à cette bonté si souverainement aimable ! » (TAD II 15). D’où l’importance de l’étude de la Parole de Dieu, des Pères, des saints, des philosophes…

2. La complaisance, ou le plaisir de la rencontreRencontrer quelqu’un qui m’aime procure une joie intense, à plus forte raison quand il s’agit de Dieu :

« Quand notre volonté a rencontré Dieu, elle se repose en lui, y prenant une souveraine complaisance » (TAD V 3).

« Ainsi, approuvant le bien que nous voyons en Dieu et nous réjouissant d’icelui, nous faisons l’acte d’amour que l’on appelle complaisance, car nous nous plaisons du plaisir divin infiniment plus que du nôtre propre; et c’est cet amour qui donnait tant de contentement aux saints quand ils pouvaient raconter les perfections de leur Bien-aimé, et qui leur faisait prononcer avec tant de suavité que Dieu était Dieu. […] Il est Dieu de notre cœur par cette complaisance, d’autant que par icelle notre cœur l’embrasse et le rend sien […]. Par cette complaisance nous buvons et mangeons spirituellement les perfections de la Divinité, car nous les rendons propres et les tirons dans notre cœur » (TAD V 1).

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Jésus nous a précédés dans cet amour de complaisance : « Il nous aima d’amour de complaisance, car ses délices furent d’être avec les enfants des hommes et d’attirer l’homme à soi » (TAD X 17).

Plaisir des sens : des yeux (voir Dieu dans ses œuvres, dans ses créatures, dans ses images), des oreilles (l’entendre dans sa parole), sentir la bonne odeur du Christ, l’encens de la prière, goûter sa douceur (le pain et le vin), toucher son vêtement (comme l’hémorroïsse). Plaisir de l’entendement, attentif au bien et au vrai, de la volonté, touchée de complaisance.

La rencontre en vient au partage des plaisirs et des souffrances (compassion). Le désir grandit d’être l’un avec l’autre, au point que le Christ vit en moi.

Quand je dis « Notre Père », quand je prononce le nom de « Jésus », quand je dis : « Marie, pleine de grâce, bénie entre toutes les femmes », j’éprouve un sentiment qui me comble…

Rappelons-nous l’expérience enivrante de François à Paris, découvrant le Cantique des cantiques...

3. La bienveillance, ou la louange de Celui qui nous aime Quand on aime quelqu’un, on lui veut du bien… C’est l’amour de bienveillance (notons que François

disait « bienveuillance »). Qu’a fait Jésus à notre égard ? « Il nous aima d’amour de bienveillance, jetant sa propre divinité en

l’homme, en sorte que l’homme fût Dieu » (TAD X 17).Comme je ne puis souhaiter à Dieu aucun bien qu’il ne possède déjà, la bienveillance s’exprime en

désir de louange de Celui qui m’aime : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne ! » Et j’invite toutes les créatures à bénir Dieu : « Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur ! »

Ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de nous unir à la louange éternelle que le Fils adresse à son Père : « Oh ! Quel cantique du Fils pour le Père ! » (TAD V 11). Nous unir aussi au cantique de Marie, de l’Église triomphante et militante. Quand Marie dit : Magnificat, elle n’entend pas ajouter quoi que ce soit à la grandeur de Dieu, mais elle « agrandit » Dieu dans son cœur en le louant pour sa miséricorde infinie.

« L’âme qui a pris une grande complaisance en l’infinie perfection de Dieu, voyant qu’elle ne peut lui souhaiter aucun agrandissement de bonté, parce qu’il en a infiniment plus qu’elle ne peut désirer ni même penser, elle désire au moins que son nom soit béni, exalté, loué, honoré et adoré de plus en plus. Et, commençant par son propre cœur, elle ne cesse point de le provoquer à ce saint exercice » (TAD V 8).

Après avoir fait sentir à François son amour de complaisance, Dieu a permis la crise de Paris pour l’amener à l’amour de bienveillance et peu à peu à « l’amour pur et net »…

4. La conformité : se rendre semblable à l’Aimé« Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel ».Voir la conformité de Jésus avec l’homme, se rendant semblable à lui.Transformation de notre volonté.« Ainsi, à force de se plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu, et notre volonté se transforme en

celle de la divine Majesté par la complaisance qu’elle y prend. L’amour, dit saint Chrysostome, ou il trouve ou il fait la ressemblance; l’exemple de ceux que nous aimons a un doux et imperceptible empire et une autorité insensible sur nous, il est force ou de les quitter, ou de les imiter » (TAD VIII 1).

« Quiconque se plaît véritablement en Dieu désire de plaire fidèlement à Dieu, et pour lui plaire, de se conformer à lui » (TAD VIII l).

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5. Le bon plaisir : union à Dieu dans tous les événements de la vieDieu me parle aussi à travers les événements de la vie, la plupart du temps imprévisibles : « On ne

connaît presque point le bon plaisir de Dieu que par les événements, et tandis qu’il nous est inconnu, il nous faut attacher le plus fort qu’il nous est possible à la volonté de Dieu qui nous est manifestée ou signifiée ; mais soudain que le bon plaisir de sa divine Majesté comparaît, il faut aussitôt se ranger amoureusement à son obéissance » (TAD IX 6).

« Que ta volonté soit faite ».« Que devient la clarté des étoiles quand le soleil paraît sur notre horizon ? Elle ne périt certes pas,

mais elle est ravie et engloutie dans la souveraine lumière du soleil avec laquelle elle est heureusement mêlée et conjointe. Et que devient la volonté humaine quand elle est entièrement abandonnée au bon plaisir divin? Elle ne périt pas tout à fait, mais elle est tellement abîmée et mêlée avec la volonté de Dieu, qu’elle ne parait plus et n’a plus aucun pouvoir séparé de celui de Dieu » (TAD IX 13).

6. La sainte indifférence : ne rien demander, ne rien refuserDisponibilité : SFS à Padoue, heureux de vivre, heureux de mourir.Quand deux amis ne sont qu’un cœur et qu’une âme, cet état crée la sainte d’indifférence à tout

événement qui n’est pas dans la volonté de Dieu (Lajeunie).Expérience de Jeanne de Chantal lors de la retraite de Pentecôte 1616 : entière nudité du cœur,

abandon.Apologue du musicien sourd qui continue de chanter pour le prince absent. « Le cœur indifférent est

comme une boule de cire entre les mains de son Dieu, pour recevoir semblablement toutes les impressions du bon plaisir éternel : un cœur sans choix, également disposé à tout, sans aucun autre objet de sa volonté que la volonté de son Dieu » (TAD IX 4).

Amour pur : « Tels sont donc les sentiments de l’âme laquelle est entre les angoisses spirituelles qui rendent l’amour extrêmement pur et net ; car, étant privé de tout plaisir par lequel il puisse être attaché à son Dieu, il nous joint et unit à Dieu immédiatement, volonté à volonté, cœur à cœur, sans aucune entremise de contentement ou prétention » (TAD IX 12).

7. L’extase de la vie et de l’actionIl y a trois extases : « Mon cher Théotime, quant aux extases sacrées, elles sont de trois sortes : l’une

est de l’entendement, l’autre de l’affection, et la troisième de l’action. L’une est en la splendeur, l’autre en la ferveur, et la troisième en l’œuvre. L’une se fait par l’admiration, l’autre par la dévotion, et la troisième par l’opération » (TAD VII 4).

Extase de la ferveur : « Le 25 mai 1595, le jour du Corpus Domini, en Chablais, à trois heures du matin, il est ravi par un amour si fort que « son cœur se laissant aller à trop de délices », il doit se jeter à terre et s’écrier : « Retenez, Seigneur, retenez les flots de votre grâce ! Seigneur, éloignez-vous de moi ! Je ne puis plus soutenir le poids de vos délices : c’est pourquoi je suis contraint de me prosterner ». Il demeura longtemps prosterné de son long et criant » (EA XXII 105-106, d’après Charles-Auguste et le P. de la Rivière).

Extase de l’intellect : « Le 25 mars 1599, à Rome, ayant reçu la sainte Eucharistie de la main du Souverain Pontife le jour de l’Annonciation, mon âme fut fort consolée intérieurement, et Dieu me fit la grâce de me donner de grandes linières sur le mystère de l’Incarnation, me faisant connaître d’une manière inexplicable comme le Verbe prit un corps, par la puissance du Père et par l’opération du Saint Esprit, dans le chaste sein de Marie, le voulant bien lui-même, pour habiter parmi nous…

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Cet Homme-Dieu m’a aussi donné une connaissance élevée et savoureuse sur la transsubstantiation, sur son entrée en mon âme, et sur le ministère des pasteurs de l’Eglise » (EA XXII 110).

Extase de Jésus qui est sorti de sa divinité: « Il s’est vidé de soi-même, il s’est épuisé de sa grandeur, de sa gloire, il s’est démis du trône de son incompréhensible majesté, et, s’il faut ainsi parler, il s’est anéanti soi-même pour venir à notre humanité, nous remplir de sa divinité; nous combler de sa bonté, nous élever à sa dignité, et nous donner le divin être d’enfants de Dieu » (TAD X 17).

Extase de Jésus qui ne vit plus en lui-même et pour lui-même : « Celui duquel si souvent il est écrit : Je vis moi-même, dit le Seigneur, il a pu dire par après, selon le langage de son apôtre : Je vis moi-même, non plus moi-même, mais l’homme vit en moi. Ma vie, c’est l’homme; et mourir pour l’homme, c’est mon profit. Ma vie est cachée avec l’homme en Dieu. Celui qui habitait en soi-même, habite maintenant en nous, et celui qui était vivant ès siècles dans le sein de son Père éternel, fut par après mortel dans le giron de sa mère temporelle; celui qui vivait éternellement de sa vie divine, vécut temporellement de la vie humaine, et celui qui jamais éternellement n’avait été que Dieu, sera éternellement à jamais encore homme, tant l’amour de l’homme a ravi Dieu et l’a tiré à l’extase » (TAD X 17).

Résurrection : « L’amour est fort comme la mort, pour nous faire tout quitter : il est magnifique comme la résurrection, pour nous parer de gloire et d’honneur » (TAD IX 16).

Triomphe de la vie : « Mourir à tout autre amour, pour vivre à celui de Jésus, afin que nous ne mourions point éternellement; ains que vivant en votre amour éternel, ô Sauveur de nos âmes, nous chantions éternellement: Vive Jésus! j’aime Jésus. Vive Jésus que j’aime ! J’aime Jésus qui vit et règne ès siècles des siècles. Amen » (TAD XII 13).

Que nous ne saurions parvenir à la perfection d’amour avec Dieu en cette vie mortelle (TAD III 6). Festin des noces de l’agneau.

Un moyen indispensable pour le progrès vers la sainteté : l’oraisonLe grand moyen pour grandir est la prière, que François de Sales appelle oraison ou théologie

mystique, et qui se résume dans la méditation et dans la contemplation.La méditation est « une pensée attentive, réitérée ou entretenue volontairement en l’esprit, afin

d’exciter la volonté à des affections et résolutions », pour « nous rendre bons et dévots » (TAD VI 2). La contemplation « n’est autre chose qu’une amoureuse, simple et permanente attention de l’esprit aux choses divines » (TAD VI 3). C’est « regarder Dieu d’une simple vue attentive, sans multiplier les regards » (TAD VI 5). La contemplation « se fait avec plaisir » (TAD VI 6).

La contemplation s’entoure de silence : « Et lors, l’esprit arrive en un lieu de silence, car nous ne savons plus faire autre chose qu’admirer » (TAD V 11). « L’hymne d’adoration ne se chante qu’en silence » (TAD V 12). « La révérence que l’âme porte à Dieu la tient en silence » (TAD VI 11).

Chacun de nous a sa façon de prier et de contempler, car « le langage d’amour est commun quant aux paroles ; mais quant à la manière et prononciation, il est si particulier… » (TAD VI 1).

La contemplation est recueillement et repos en Dieu : « On dit que la vue du soleil fait recueillir les fleurs de la flambe, autrement appelée glay, parce qu’elles se ferment et resserrent en elles-mêmes à la lueur du soleil » (TAD VI 7). « Les amants humains se contentent parfois d’être auprès ou à la vue de la personne qu’ils aiment, sans parler à elle, et sans discourir à part eux ni d’elle ni de ses perfections ; rassasiés, ce semble, et satisfaits de savourer cette bien-aimée présence » (TAD VI 8). « Quand notre volonté a rencontré Dieu, elle se repose en lui. Le repos du cœur ne consiste pas à demeurer immobile, mais à n’avoir besoin de rien » (TAD V 3).

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La « descente » vers le prochainSi l’amour de Dieu nous fait monter, l’amour du prochain nous fait descendre. L’amour de Jésus pour

l’humanité l’a fait descendre depuis le sein du Père jusqu’au fond du tombeau de Joseph d’Arimathie...Le TAD ne consacre que le chapitre 11 du IIe livre à l’amour du prochain, mais les autres écrits de

François de Sales, et surtout sa vie, nous permettent d’imaginer le Traité de l’amour du prochain qu’il aurait voulu écrire et auquel, paraît-il, il aurait voulu donner pour titre Le Philadelphe (amour fraternel).

Pourquoi devons-nous aimer notre prochain ? Pour l’amour de Dieu, Père et Créateur, de Jésus, Sauveur de tous, et de l’Esprit Saint qui veut donner à tous sa grâce et sa gloire. « Comme Dieu créa l’homme à son image et semblance (Gn 1,26), aussi a-t-il ordonné un amour pour l’homme à l’image et semblance de l’amour qui est dû à sa divinité. […] Quand nous voyons un prochain créé à l’image et semblance de Dieu, ne devrions-nous pas dire les uns aux autres : Tenez, voyez cette créature comme elle ressemble au Créateur ? Ne devrions-nous pas nous jeter sur son visage, la caresser et pleurer d’amour pour elle? » (TAD X 11). « Oh ! combien ce motif est prégnant pour nous inciter à l’amour de ce commandement et à son exacte observance : nous avons été également arrosés de ce sang précieux, comme d’un ciment sacré, pour serrer et unir nos cœurs les uns aux autres » (S IV 277-8). « Nous aimons le prochain en tant qu’il est […] créé pour communiquer avec la divine bonté, participer à sa grâce et jouir de sa gloire » (TAD X 11).

Descendons cette fois les échelons de l’échelle de Jacob pour vivre l’amour du prochain… Mettons qu’il y en ait sept  !

1. La condescendanceFrançois de Sales a consacré tout un entretien au thème « de la condescendance » : « Voyez-vous, mes

chères Sœurs, le grand saint Anselme se soumet en tout ce qui n’est point contre les Commandements de Dieu et de la sainte Eglise, ou contre ses Règles. […] Sa règle générale était de condescendre en tout et à tous. […] Je ne sache point de plus grande finesse, dit [le glorieux saint Paul], que de me rendre tout à tous (1 Co 9,22), rire avec les riants, pleurer avec ceux qui pleurent (Rm 12,15), boire avec ceux qui boivent, enfin me rendre un avec un chacun » (E XI 1127).

2. Amour actif, amour patient« L’amour parfait du prochain qui est selon Dieu, se communique en diverses manières : il l’aide par

paroles, par œuvres et par exemple ; le pourvoit de toutes ses nécessités entant qu’il lui est possible. Il se réjouit de son bonheur et félicité temporelle, mais beaucoup plus de son avancement spirituel » (L XI 145).

« Hélas ! ma Fille, c’est une grande partie de notre perfection que de nous supporter les uns les autres en nos imperfections; car en quoi pouvons-nous exercer l’amour du prochain, sinon en ce support ? » (L VI 118)

3. Douceur et cordialité« Le saint chrême […] est composé d’huile d’olive mêlée avec le baume, qui représente entre autres

choses les deux chères et bien aimées vertus qui reluisaient en la sacrée Personne de Notre-Seigneur, lesquelles il nous a singulièrement recommandées […] : Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29). L’humilité nous perfectionne envers Dieu, et la douceur envers le prochain » (D III 8).

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Dans l’entretien « De la cordialité », on lit : « Les religieux s’appellent tous frères, et partant ont un amour qui mérite vraiment le nom d’amitié par ensemble, mais non d’amitié commune, ains d’amitié cordiale. […] Cela est autant à dire qu’une amitié qui a son fondement dans le cœur » (E X 1110).

4. Affabilité et bonne conversation« Cet amour cordial doit être accompagné de deux vertus, dont l’une s’appelle affabilité, et l’autre

bonne conversation. L’affabilité est celle qui répand une certaine suavité emmi les affaires et communications sérieuses que nous avons les unes parmi les autres; et la bonne conversation est celle qui nous rend gracieux et agréables emmi les récréations et conversations moins sérieuses » (E X 1111).

5. Montre que tu aimes« Mes chères Filles, il faut témoigner que nous aimons nos Sœurs et nous plaisons avec elles […]. Le

même saint Paul, qui nous enseigne de faire que nos affections soient témoignées saintement, veut et nous enseigne de le faire gracieusement, car il nous en donne l’exemple : Saluez, dit-il écrivant aux Romains (Rm 16,16), un tel qui sait bien que je l’aime du cœur, et un tel, qui doit être assuré que je l’aime comme mon frère, et en particulier sa mère, qui sait bien qu’elle est la mienne aussi » (E X 114).

Saint Jean Bosco, disciple de saint François de Sales, a dit qu’il ne suffisait pas que les jeunes soient aimés, mais qu’ils doivent savoir que nous les aimons…

N’est-ce pas là la raison d’être évidente et le bien-fondé de la dévotion au Sacré-Cœur ? En effet, non seulement Jésus nous a aimés, mais il a voulu montrer qu’il nous aime en dévoilant son cœur à sa confidente, sainte Marguerite-Marie.

6. Pour ne faire qu’un seul cœur L’amour tend à faire la volonté du prochain chaque fois que c’est possible : « Quand l’âme dit avec

vérité : Je n’ai plus de volonté sinon la vôtre, Seigneur, alors elle est tout unie à Dieu ; de même, quand nous renonçons à notre volonté pour faire toujours celle du prochain, c’est la vraie union avec le prochain, et il faut faire tout cela pour l’amour de Dieu » (E II 1018).

L’amitié entre François et Jeanne a fait des deux un seul cœur : « Ma très chère Mère, c’est la vérité : j’ai une lumière toute particulière qui me fait voir que l’unité de notre cœur est ouvrage de ce grand Unisseur, et partant, je veux désormais non seulement aimer, mais chérir et honorer cette unité comme sacrée » (L VI 121).

7. Aimer jusqu’où ? Pour François de Sales, il ne suffit pas d’aimer le prochain comme nous-mêmes ‒ cela c’est l’Ancien

Testament, cité par Jésus qui ne l’abolit pas, mais le dépasse ‒ mais plus que nous-mêmes, comme Jésus a fait en donnant sa vie : « Le glorieux saint Bernard dit que la mesure d’aimer Dieu est de l’aimer sans mesure […]. Nous devons aimer nos sœurs de toute l’étendue de notre cœur et ne nous contenter pas de les aimer comme nous-mêmes, […] mais nous les devons aimer plus que nous-mêmes pour observer les règles de la perfection évangélique qui requiert cela de nous. Notre-Seigneur l’a dit lui-même. Aimez-vous les uns les autres, ainsi que je vous ai aimés (Jn 15,12). Cela veut dire, plus que vous-même » (E IV 1110). Cela veut dire : jusqu’à donner ma vie pour mon prochain, comme Jésus. Y compris pour les pécheurs et les ennemis, comme Jésus.

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ConclusionEn définitive, le Traité de l ’amour de Dieu se révèle comme le « manuel » de « l’école de la perfection »

que François de Sales a voulu créer. On y trouve même l’idée implicite de la nécessité d’une formation continue, qu’il illustrera au moyen de cette image végétale :

Ne voyons-nous pas par expérience que les plantes et fruits n’ont pas leur juste croissance et maturité que quand elles portent leurs graines et pépins, qui leur servent de géniture pour la production de plantes et d’arbres de pareille sorte ? Jamais nos vertus n’ont leur juste stature et suffisance qu’elles ne produisent en nous des désirs de faire progrès (TAD VIII 8).

Il faut en somme imiter ce curieux animal qu’est le crocodile, « qui étant extrêmement petit en son commencement ne cesse jamais de croître tandis qu’il est en vie » (TAD III 1).

L’amour est mouvement. Il ne dit jamais : ça suffit. L’amoureux va « d’amour en amour ». Benoît XVI a écrit dans l’encyclique Deus caritas est que ce processus (ce chemin vers l’amour) demeure constamment en mouvement : « L’amour n’est jamais ‟achevé” ni complet ; il se transforme au cours de l’existence, il mûrit et c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle à lui-même » (n. 17).

Face à la décadence et parfois à la conduite scandaleuse de nombreux monastères et abbayes, saint François de Sales a tracé un chemin exigeant, mais aimable vers la sainteté. Par rapport aux ordres réformés, où régnaient une sévérité et une austérité telles qu’elles éloignaient un bon nombre de personnes de la vie religieuse, l’intuition profonde de François de Sales fut de concentrer l’essence de la vie religieuse, comme de toute vie chrétienne authentique, simplement dans la recherche de la perfection de la charité. Avec les adaptations nécessaires, cette « pédagogie des sommets », née au contact de la Visitation, débordera largement les murs de son premier monastère et tentera d’autres « apprentis » de la perfection.

+ Père Morand Wirth

E Recueil des Entretiens spirituels, PL 973-1347.EA Œuvres de saint François de Sales, t. I-XXVII, Édition d’Annecy, 1892-1964.IVD Introduction à la vie dévote, PL 1-317.L I-XI Lettres, EA, t. XI-XXI.O I-V Opuscules, EA, t. XXII-XXVI. PL Saint François de Sales. Œuvres. Édition de la Pléiade, Gallimard, 1969.S I-IV Sermons, EA, t. VII-X.TAD Traité de l’amour de Dieu, PL 319-972.

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Les Cahiers de Saint François

Directeur de publication

et rédacteur en chef : Laurent Gruaz

Comité de lecture Abbé Thibault Nicolet ,

Isabel le de Roussy de Sales Claude de Magny, Catherine Hermann

ont collaboré à ce numéro

Mgr Michel DubostPère Jean-Marie Petitclerc

Père Morand Wirth sdbFrère Maximilien-Marie

Abbé Xavier SnoëkJosette Curtil

Patrick Nouaille-DegorcePatrick de Pontonx

Citations autoriséesavec mention d’origine.

ISSN 2102-6211

LIRE- Gilles Jeanguenin, Guérir

les blessures de l’âme. Editions de l’Emmanuel, 180 pages, 13,30 €.www.librairie-emmanuel.fr

ÉCOUTER- “Ce que je crois...” Hélie de

Saint-Marc : Entretien avec Guillaume Roquette et Inès de Warren. CD à commander à Valmonde - Service Librairie 3/5, rue Saint Georges 75009 Paris. 11,70 €. Tel. 01 55 56 70 94.

- Prêtre: pourquoi pas ?T h e w a y , p a r d e s séminaristes de la Légion du Christ.

www.youtube.com/watch?v=U-eiUY_cfmw&feature=player_embedded

© Les Cahiers de saint François

L e s C a h i e rs d e s a i n t Fr a nço i s sont une re vue internationale culturelle dont les thèmes abordés touchent à la fois l’Histoire et l’actualité catholique apostolique romaine. Elle paraît quatre fois par an.

L e s C a h i e rs d e s a i n t François se veulent un journal d’actualité trimestriel tout autant qu’une revue scientifique, dans le domaine de l’histoire religieuse notamment. À ce titre, el le publie des articles en français, en anglais et en italien, selon une norme de présentation précise. Un comité de l ec ture se prononce sur leur intérêt par rapport au champ couvert par la revue, leur qualité scientifique et leur apport théorique et/ou empirique.

L e s C a h i e rs d e s a i n t François font bien évidemment référence à saint François de Sales, patron des journalistes et illustre saint de Savoie, où est publiée la revue. Saint François de Sales était attentif à tout ce qui se passait dans son siècle ; c’est aussi fort modestement l’état d’esprit qui nous anime.

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Intention de prière générale de Benoît XVI pour le mois de septem-bre : “Pour que dans les régions les moins développées du monde, l’annonce de la Parole de Dieu rénove le coeur des personnes, en les encourageant à être acteurs d’un progrès social authentique”.