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Résumés et extraits des conférences et activités organisées par la Soka Gakkai France en 2004 et en 2005 Au 21 e siècle, cultivons la paix Soka Gakkai France ACTIVITÉS 2004 2005

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Page 1: Soka Gakkai Au 21 esiècle, France · éducateur, Josei Toda, la Soka Kyoiku Gakkai (Société pour une éducation créatrice de v aleurs). L eur but est l’application des prin

Résumés et extraits des conférences et activités organisées par la Soka Gakkai France en 2004 et en 2005

Au 21e siècle, cultivons la paix

Soka GakkaiFrance

ACTIVITÉS

20042005

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CONFÉRENCES EN 2004

04 Prévenir la violenceMICHEL BOURGATMédecin, adjoint au maire de Marseille31 janvier 2004

08 Victor Hugo et le sac du Palais d’ÉtéNORA WANGProfesseur à l’université Paris VII 27 février 2004

09 Fondements méthodologiques du dialogue transculturel et transreligieuxBASARAB NICOLESCUPhysicien théoricien au CNRS, université Paris VI26 mars 2004

12 De l’eau salubre pour tous au 21e siècle ?Réalités, enjeux et perspectives… ALAIN L. DANGEARDÉconomiste des matières premières minérales et de l’environnement30 avril 2004

15 C’est quoi, la cabale ?MARC-ALAIN OUAKNINRabbin, docteur en philosophie20 juin 2004

18 L’humanisme de Charlie ChaplinKAMEL BENKAABADe l’université de provence10 septembre 2004

19 L’esclavage, le grand dérangementCLAUDE FAUQUE, consultante en muséologieMARIE-JOSÉ THIEL, ethno-anthropologue3 décembre 2004

COLLOQUE INTERRELIGIEUX

23 Vers une éducation à la paixALEXANDRA BERGHINO, MARIE-LAURE DENÈS,HASSAN FERECHTIAN, TENZIN KUNCHAP,GILBERT PRESLE, MARIE-LISE RESCOUSSIÉ20 novembre 2004

ÉVÉNEMENTS CULTURELS ET CONFÉRENCES

24 Exposition à NantesConcerts à ParisConférences : - Développement pour la paixNINA OKAGBUE, analyste en santé25 juin 2004- L’auteur de manga Osamu TezukaJEAN-PAUL JENNEQUIN, spécialiste de bande dessinée29 octobre 2004

CONFÉRENCES EN 2005

25 La France face au pluralisme religieux et l’EuropeBRUNO ÉTIENNE, directeur de l’Observatoire du religieux14 mars 2005

26 Les enfants de la Shoah, la transmissionsilencieuse de la douleurALEXANDRA BERGHIN, historienne et psychanalyste 28 avril 2005

28 L’éducation spécialiséeSABURO SHOSHI, fondateur d’une école spécialisée20 mai 2005

29 Économie et solidarité sont-elles compatibles ?MAURICE PARODIProfesseur émérite de l’université de la Méditerranée28 mai 2005

32 L’action humanitaire aujourd’hui EMMANUELLE ROUFFIPrésidente de l’Association française de soutien à l’UNHCR24 juin 2005

33 Le soutien à la cause des réfugiésPIERRE-BERNARD LEBAS, de l’UNHCR6 juillet 2005

34 Le génocide au Rwanda de 1994YOLANDE MUKAGASANAMédecin, écrivain, fondatrice de “l’Association pour lamémoire du génocide au Rwanda et la reconstruction”28 octobre 2005

38 Alexandre le Grand, la Macédoine et son universalisme à l’échelle internationaleJORDAN PLEVNESAncien ambasadeur de Macédoine en France 30 novembre 2005

COLLOQUES INTERRELIGIEUX

42 Dialogues interreligieux pour une éthique de l’environnementSous le haut patronage d’ÉMILE MOATTI

ALEXANDRA BERGHINO, HASSAN FERECHTIAN, JEAN LABROUSSE, PHILIPPE MOREAU, CÉCILE RENOUARD, MARIE-HÉLÈNE TREBOUT

CHRISTIANE NOEL, BRUNO PLISSON, YAHIABAAMARA, HUGUES RAVENEL, NOELLE PONS,PHILIPPE RONCE, ANDRÉ THIBAUDEAU

MICHAEL AMAR, KRABEH MOHAMMED EL MAHDI,MAURICE RAETZ, ANNE LELONG-TROLLIET19 novembre 2005

Sommaire

Réalisé par la Soka Gakkai France, septembre2006. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

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AU 21E SIECLE CULTIVONS LA PAIX ∂ 3

E n 2004 et en 2005 l’association bouddhiste SokaGakkai France (SGF) a continué le cycle de conférences“Au 21e siècle, cultivons la paix” organisées depuis

2001 en soutien à la Charte de la Terre*. Ces conférencessont gratuites, vous pouvez en consulter le programme surle site Internet de la SGF www.sgi-france.org .Des rencontres interreligieuses ont aussi eu lieu sur le thèmede l’éducation à la paix en 2004 à Paris et en 2005 sur le

thème de l’éthique de l’environnement dans les centres dela SGF à Paris, à Nantes et à Trets( p.21et p.42).Vous trouverez dans ces pages les comptes rendus desconférences, des expositions et des concerts, tels qu’ilssont parus dans les publications de la SGF TroisièmeCivilisation et Cap sur la paix.La SGF fait partie de la Soka Gakkai internationale dont lesbuts et les engagements sont définis par une charte (p.48).n

Avant-propos

* La Charte de la Terre est une déclaration de principes fondamentaux pour une société juste durable et pacifique. Cette charte est le pro-duit d’une décennie de consultations de nombreuses organisations dans le monde depuis le Sommet de la Terre organisé à Rio en 1992.La version finale a été établie en 2000à Paris au siège de l’UNESCO (www.chartedelaterre.org).

Qu’est-ce que le bouddhisme de Nichiren et la Soka Gakkai ?

Depuis 1961, les actions de l’association des pratiquantslaïcs du bouddhisme de Nichiren Daishonin, la Soka Gakkaifrançaise, se fondent sur les principes humanistes et pacifiques du bouddhisme.

Le Bouddha historiqueNé il y a environ trois mille ans au sud de l’actuel Népal, SiddhartaGautama dit Shakyamuni parvint à clarifier les problèmes fonda-mentaux de l’être humain en s’éveillant à la Loi de la vie. Il fut appeléBouddha (c’est-à-dire “Éveillé”) et enseigna pendant cinquanteans afin que chacun puisse obtenir le même éveil que lui et se libé-rer des quatre souffrances (naissance, maladie, vieillesse et mort).Ses enseignements, appelés sûtras, donnèrent naissance à diffé-rentes écoles. Le Sûtra du Lotus fut l’un des derniers mais des plusimportants et des plus populaires de tous ceux qui se répandirenten Asie centrale, en Chine, en Corée et jusqu’au Japon. Il met l’accentl’existence de la boddhéité inhérente à la vie de tous.

Nichiren DaishoninIl vécut au Japon au 13e siècle. Entré dans la vie monastique à l’âgede douze ans, il étudia pendant vingt ans l’ensemble des textesbouddhiques. Il se basa sur le Sûtra du Lotus pour révéler NamMyoho Renge Kyo comme étant à la fois le Bouddha et la Loi ultimequi régit tous les phénomènes et qu’il matérialisa sous la formed’un mandala ou Gohonzon, objet de culte pour l’observation deson propre cœur.

Les éléments fondamentaux de la pratique du bouddhismede Nichiren Daishonin sont la foi, la pratique et l’étude. La foidésigne la croyance dans le Gohonzon. La pratique consiste à lirele texte du gongyo, à réciter Nam Myoho Renge Kyo et à aider lesautres à faire de même. L’étude consiste à comprendre et à expé-rimenter au quotidien l’enseignement bouddhique, moyen donnéà tout être humain, sans distinction de sexe, de culture, de niveausocial ou d’éducation, pour épanouir l’état de bouddha latent danssa vie. En développant courage, sagesse et liberté, c’est un ensei-gnement qui s’ancre profondément dans la réalité de la vie quo-tidienne et conduit naturellement vers un engagement actif avecles autres, au sein de la société.

La Soka GakkaiEn 1928, un éducateur japonais, Tsunesaburo Makiguchi, ren-contre le bouddhisme de Nichiren Daishonin et adopte rapide-ment cette religion. En 1930, il fonde en compagnie d’un autreéducateur, Josei Toda, la Soka Kyoiku Gakkai (Société pour uneéducation créatrice de valeurs). Leur but est l’application des prin-cipes bouddhiques dans le domaine de l’éducation.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir militaire, quia supprimé les libertés de religion et de pensée, les fait empri-sonner. En 1944, T. Makiguchi meurt en prison. Libéré l’année sui-vante dans un Japon en ruines, J. Toda décide de reconstruire l’orga-nisation, qu’il appelle alors de manière plus large Soka Gakkai(Société pour la création de valeurs).

Après le décès de Josei Toda en 1958, son disciple, DaisakuIkeda, en devient le troisième président, le 3 mai 1960. Ayantentrepris d’écrire La Révolution humaine pour transmettre la vieet l’esprit de son mentor, il va initier des dialogues avec différentespersonnalités au plan international dont l’historien britanniqueArnold Toynbee ; René Huyghe, de l’Académie française; YasushiInoué; Majid Tehranian; Mikhaïl Gorbatchev; René Simard et GuyBourgeault, de l’université de Montréal. Il rédige chaque annéedes propositions pour la paix dans lesquelles il explore les che-mins qui mènent à une paix durable.

En 1975 a été fondée la Soka Gakkai internationale (SGI)dont les membres sont présents dans 190pays et territoires. C’estune organisation non gouvernementale dotée de liens formelsavec les Nations unies. Développant de nombreuses actions enfaveur de la paix, de la culture et de l’éducation, elle est à la sourced’associations et institutions comme l’Institut de philosophieorientale, l’association des concerts Min-on, le musée d’art Fuji,les écoles et universités Soka, le Centre de recherche de Bostonpour le 21e siècle, l’Institut Toda pour la paix et le Centre derecherches écologiques d’Amazonie qui ont de nombreux pro-grammes d’échanges à travers le monde.

La Soka Gakkai France par l’organisation des activités d’étude,de pratique du bouddhisme et de différentes manifestations (confé-rences, concerts, expositions, etc.) souhaite nourrir la compré-hension et le respect mutuels entre les cultures. n

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fins “politiques”. Grâce à la formationque j’avais, je ne me suis pas laissé empor-ter. J’ai dit simplement ce que j’avais surle cœur et cela a bien été interprété parune ville qui a encore un lien social. Mal-gré ses défauts, cette ville a une âme etun cœur. Il y a eu des milliers de personnesqui m’ont accompagné et m’ont soutenuet si je suis là c’est grâce à ces gens-là età ceux qui m’ont fabriqué.Je me suis posé la question : “Est-cequ’une victime peut être utile à sasociété ?”. Psychologiquement, quandon est victime, il y a une attitude quetout le monde attend : on va hurler, pleu-rer et râler. Ce jour-là j’ai été un peusurprenant, j’ai dit autre chose. J’ai réa-lisé le drame que je vivais et j’ai voulucomprendre ce qui se passait, pour quecela ne se reproduise ni pour moi ni pourd’autres. Il y a des phrases que je tenais à vousciter et qui m’ont énormément aidé : “Ne pas être désespéré doit signifier ladestruction de l’aptitude à l’être. Pourqu’un homme vraiment ne le soit pas, ilfaut qu’à chaque instant il en anéantisseen lui la possibilité.” 1

“Le destin conduit celui qui acquiesce etentraîne celui qui refuse.” 2

Accepter est très, très important. J’aicompris qu’il n’y avait rien d’autre à faireque d’accepter la réalité telle qu’elle étaitet essayer de ne pas me résigner. J’aicherché à comprendre ce qui s’étaitpassé, au moins à mon niveau, pour nepas avoir de regret, parce que je sup-porte mal le regret. Ce jour-là, les valeursqu’on m’avait inculquées sont ressorties,j’ai essayé de faire un travail sur ce phé-nomène qui m’atteignait de plein fouet.La délinquance juvénile était un sujetdont on ne parlait pas trop à ce moment-là. J’ai compris que plein de chosesn’allaient pas : Nicolas est assassiné dansla rue, à midi et demi, le jour de la ren-trée des classes, par un jeune d’originemarocaine, multirécidiviste notoire. J’aiappris qu’il aurait dû être en prison, ce

“Pour quelques-uns, dont j’aila chance de faire partie,nos défenses naturellessont restées efficaces.Nous étions prêts à sur-

vivre psychologiquement, au-delà de laperte brutale d’un enfant, au-delà d’autresviolations de notre intégrité. Il y a desexemples célèbres de résistance au mal-heur, il faut s’en inspirer.”Le ton est donné. À partir du drame quia marqué sa vie, Michel Bourgat, loin dese laisser aller à la haine, a décidé d’entirer l’énergie et la force nécessaire pourmettre en place une prévention de ladélinquance juvénile. Il s’est engagé àcomprendre ce qui se passait dans la têtede ces jeunes et de leur famille:“L’écoutedes autres, peut devenir, alors, uneméthode de récupération…”. Pour cela ils’est investi dans plusieurs associationsde soutien aux familles des victimes, etc.et dans l’écriture.

Merci de m’accueillir, je suis trèsému de voir une salle aussiimpressionnante et aussi rem-

plie. Je ne pensais pas avoir un tel impactet cela fait du bien aux gens qui essaientde se battre pour améliorer les chosesqui ne tournent pas rond.J’ai pu faire tout cela car j’avais un ter-rain bien préparé; je veux remercier mesparents et certains formateurs qui m’ontsi bien fabriqué. Aussi, le jour où il y a euun gros dérapage, une énorme plaquede verglas dans ma vie, j’avais heureu-sement un bon équilibre qui m’a énor-mément aidé et je souhaite cela à toutle monde. Je voudrais vous parler de mon cursus,de mon combat de tous les jours, de mahantise quotidienne : la prévention dela délinquance. Il est vrai que j’avais cettepréparation. Pendant des années, j’aiété vacataire à Médecins du Monde : jem’occupais des SDF de Marseille, pourdes raisons de vie, parce que j’avais com-pris qu’on pouvait déraper et se retrou-ver un jour dans la rue. Et puis, un jour,il m’est arrivé un drame : mon fils a étéassassiné dans la rue, il y a sept ans,

c’était le 9 septembre 1996 et là aussij’ai eu une réaction. Marseille en a euune autre, et je dois rendre hommage àma ville.

Tentative de récupérationCette ville a eu une réaction exception-nelle et c’est pour cela que je la défendset que j’ai envie de la servir. Ce jour-là,on a essayé de récupérer la haine à des

PRÉVENIR LA VIOLENCE

DR

Résumé de la conférence de Michel Bourgat

Le 31 janvier 2004,

Michel Bourgat, médecin

généraliste, spécialiste,

entre autres, de la préparation

de grands sportifs, a donné

une conférence à l’Institut

européen de la SGI à Trets.

Adjoint au maire de Marseille,

il œuvre pour la prévention

de la délinquance juvénile

et a fondé une association

de soutien aux familles

des victimes.

1. Traité du désespoir de Sören Kierkegaard

2. Sénèque

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jour-là, car il était condamné à deux moisferme. Or il était dehors; j’étais perplexe.S’il avait été en prison, il n’y aurait paseu de mort, ni de meurtrier. Mais c’étaitplus compliqué que cela. Bien sûr on aenvie de crier, d’insulter de trouver lesfaux responsables, de montrer du doigtdes boucs émissaires. C’est ce qu’onattend d’une victime et c’est surtout cequ’il ne faut pas faire. Quand on est au fond du gouffre, on aenvie de remonter. Et on regarde lesquelques lumières qui nous restent, c’est-à-dire les valeurs, tout ce qui fait la gran-deur de l’homme, ce qui est extra humainmais beau et vous savez ce que je veuxdire. Vous êtes tous très attachés auxvaleurs spirituelles. Je ne suis pas trèsreligieux mais je reconnais que j’étaistrès attaché à l’amour, à la communica-tion, au respect et surtout, puisque jesuis médecin, à la vie.

Attaché à la vieMédecin généraliste dans un quartier dif-ficile, je suis aussi médecin en hôpitalpsychiatrique, à Édouard Thoulouse. Jesuis même le généraliste le plus classiqueface à des personnes difficiles. La vie atoujours été mon phare, mon horizon,mon but ; j’ai un tel respect pour la vieque je suis contre la peine de mort, et j’aiosé le dire malgré la mort de Nicolas. J’aidu mal à supporter la vie qu’on régente,l’euthanasie. Je ne conçois pas la vie d’unhomme enfermée dans un texte de loi.Je le savais, je tentais de m’accrocher àces valeurs, comme un alpiniste qui aquelques cordes et des pitons. J’ai étéaidé dans ce travail par la ville de Mar-seille mais aussi par des amis fantas-tiques, mon épouse, ma famille, des gensqui m’entouraient et des sportifs. On a

créé une association : le Comité défenseà la mémoire de Nicolas Bourgat. Elle agità Marseille et elle a réussi à faire évoluerles mentalités au sujet de la réinsertionet de la violence. La non-violence est-elle une bonneréponse à la violence? J’ai coutume dedire que la violence est naturelle en nous,elle nous permet de nous sortir d’unemauvaise passe ou d’une agression. Le danger de la violence, quand on lalaisse exploser sans raison, est qu’on seretrouve avec des résultats imprévus. Lacanalisation de la violence me semblaitplus intéressante. Comme j’ai été moi-même un sportif de combat, avec mesamis des arts martiaux, nous avonsessayé d’avoir un langage commun entrenous, personnes structurées, et quelquesenfants des rues ou gamins difficiles.C’était une bonne interface. Il y en ad’autres : l’art, la danse, le théâtre, la lit-térature entre autres. L’important étaitde comprendre comment fonctionnaientces jeunes cerveaux qui arrivaient un jourau passage à l’acte, brutal et irréparablepour leurs victimes.

L’harmonieJ’ai eu la chance d’être formé par desparents exceptionnels, adeptes d’ungrand psychologue, peu connu du grandpublic, Paul Diel. Il m’a appris quelquechose que j’essaie de transmettre dansmon travail quotidien et dans la répara-tion pénale que je pratique avec desdélinquants, quelque chose de fantas-tique : la maîtrise des excitations pourl’équilibre des pulsions. Qu’est-ce que c’est ? J’explique à mesmalades ou à mes gamins que l’hommea trois pulsions :lLa pulsion matérielle, qui nous fait nous

lever le matin, manger, aller chercher lapitance de tous les jours.l La pulsion spirituelle, qui nous diffé-rencie des animaux, car on a un esprit.lLa pulsion sexuelle, qui fait que l’espècehumaine se reproduit. C’est aussi notrevie sentimentale.Ces trois pulsions, si elles sont bien équi-librées, donnent une assise stable et uneforme d’harmonie.C’était ce que je voulais expliquer à cesjeunes qui ont tué mon fils et qui, enmême temps, gâchent la vie de beaucoupen donnant un sentiment d’insécurité.En même temps, cela me posait un pro-blème, car la France est un pays vieillis-sant. Nous sommes de plus en plus vieuxet il y a de moins en moins de jeunes. Sien plus nous ne les éduquons pas, si nousles laissons dériver, nous scions la branchesur laquelle nous sommes assis. C’estdans ce sens que je voulais agir. Moi aussi j’ai commis un vol, dans monenfance, un superbe canif fluo. J’avaisdéjà le goût des armes, comme les gar-çons. Je l’ai vite mis dans ma poche etune fois chez moi, je l’ai déplié. Ma mèrel’a vu, elle a instantanément compris cequi était arrivé. Elle et mon père m’ontsérieusement remonté les bretelles. J’airapporté le couteau aux commerçants,amusés, vu le peu de valeur de l’objet,et ma spirale de la délinquance s’estarrêtée là. Dans notre travail, les critères pour dépis-ter ces quelques jeunes sont simples. Cesont souvent des personnes égocen-triques, avec une affectivité quasi nulleet une instabilité d’humeur qui facilitentdes passages à l’acte. Leur famille eststéréotypée : un père absent pour de mul-tiples raisons (chômeur, parti, toxico oudéstructuré) et une mère “excusante”ou trop protectrice, impuissante à cana-liser ses enfants.

Les valeursJe le répète, ces jeunes peu nombreuxmais posant tant de problèmes, vivent,la plupart du temps, dans des cités oudes milieux dit criminogènes, que les spé-cialistes appellent “les cultures souter-raines de violence”. Ce n’est pas le faituniquement de la précarité, la pauvreténi des milieux difficiles. Des familles trèspauvres transmettent des valeurs. Voussavez comme moi qu’ il y a des délin-quants dans les milieux aisés. Des valeurs sont transmises dans lessociétés traditionnelles, en particulier

DR

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avec lui les causes, motivations et cir-constances de son acte. Une fois l’his-toire reconstituée, il peut être resocia-liser dans un groupe de dix douze etensuite passer en milieu ouvert. Ces centres fermés, en cours de création,doivent rester ouverts au monde exté-rieur. Cela peut se faire par des rencontresavec des intervenants brillants et moti-vés qui aideraient ces jeunes à com-prendre et réagir. Ils sont peu nombreuxet sont notre futur, tout déstructurésqu’ils soient. Quand je fais de la répara-tion pénale, les magistrats me confientces gamins toute une matinée. J’essaie,avec des éducateurs, de leur faire prendreconscience de ce qu’est une victime, dece qu’ils ont fait, de ce qu’est la sociétéet surtout conscience de leur valeur. Ilsont une image détruite d’eux-mêmes.

La reconstructionLa punition n’intervient que s’il y a trans-gression de la règle établie en commun.Elle doit être comprise par l’enfant, sansl’humilier. Une fois qu’il a payé, c’est fini,on repart de zéro. La deuxième chose que l’on a demandéest une échelle des peines pour lesmineurs. Nous n’avons pas encore abouti.Actuellement les peines débutent à l’âgede 13 ans, c’est trop tard. S’il existait uneéchelle de peines pour les plus jeunes, ceserait plus efficace. Comme celle que mamère, avec tout l’amour qu’elle me por-tait, m’a donnée le jour où j’ai fauché lepetit canif vert fluo.

Le détachementJe représente le maire au conseil localde sécurité et de prévention de la délin-quance. Je suis entouré par les acteursde la prévention de la délinquance (pro-cureur de la République, préfet de région,préfet de police, sous-préfet à la ville, ins-pecteur d’Académie, Protection judiciairede la jeunesse). Je ne suis pas là pour mevenger mais pour dire certaines réalités.J’ai beaucoup appris et j’ai rectifié cer-taines de mes premières déclarations quifurent parfois coléreuses, mais jamaishaineuses.Comme le dit Schopenhauer : “La hainevient du cœur, le mépris vient de la tête.”L’un exclut l’autre. Je préfère le déta-chement. C’est nécessaire pour agir aumieux. La haine ronge celui qui la nour-rit. J’essaie plutôt de faire un travail entransversalité, de construire des straté-gies en m’appuyant sur des associations

reconnues comme l’ARS (Associationpour la Réadaptation sociale) spéciali-sée dans la prévention de nuit. Je travaille aussi avec l’associationJeunes Errants. La semaine dernière,j’étais en Roumanie avec la directrice del’association pour travailler sur les migra-tions et les trafics d’enfants, avec l’aided’associations roumaines. Je travaille avec des associations dejeunes majeurs, de gosses des rues entre4 et 13 ans. Je suis aussi médecin du sportd’une association qui s’occupe des gossesdes rues, dans le quartier de la Porte d’Aix(à Marseille), à l’initiative d’un prêtreouvrier. Ils sont entourés par des éduca-teurs du quartier, dont certains furenteux-mêmes des délinquants.

Le bilanPour autant, si j’explique les phénomèneset les comportements d’enfants, je ne lesexcuse pas. Cette théorie selon laquellela délinquance juvénile est le résultat dela société est erronée. Nous sommes desindividus pourvus du libre arbitre. La pré-vention intéresse peu de gens. On neretient que les explosions de cité, les voi-tures brûlées, images médiatiques. Jetiens à dire que la prévention et la répres-sion c’est un couple. Les maires peuventagir sur le tissu social (mouvements reli-gieux, sportifs, philosophiques), sur l’envi-ronnement commercial et l’urbanisme.Ils le font avec les associations. À Marseille, il n’y a pas d’exclusion urba-nistique, d’un côté la Méditerranée, ungrand paradis, de l’autre les collines dePagnol, le soleil trois cents jours par anet 111 noyaux villageois, les banlieues sontau milieu ; comparativement à une villetraditionnelle, avec un centre ville trèsriche, la banlieue chic, la banlieue un peumoins chic, la banlieue pauvre et, presqueà la fin, presque derrière la couronne del’autoroute, on place les cités en ghetto. En urbanisme, on crée presque les pro-blèmes. À Marseille, ce n’est pas le cas.Le lien social n’est pas mort et vingt-sixsiècles de mélange font que Marseillec’est beaucoup d’étrangers, l’esprit latinde Marseille, l’esprit oriental de Marseilleet puis une association qui est MarseilleEspérance, une association géniale oùl’on réunit autour du maire tous les chefsreligieux (pas des sectes évidemment,pas des extrémistes). On a subi des ten-tatives de déstabilisation, beaucoup deces gens ne discutent pas de théologie,mais essaient de voir ce qu’ils vont faire

chez les primo arrivants. Elles le sontmoins avec les deuxième et troisièmegénération. Pourquoi? Le sport peut être une sous culture deviolence comme le sport médiatique,commercial, celui du dopage. Les valeursde l’homme, le travail, sont niés. Dans cemilieu, seuls comptent la réussite indivi-duelle, le matérialisme forcené et l’argent,quels que soient les moyens. Ces socié-tés vont mettre en exemple la triche,modéliser la fraude.Face à ces problèmes, on a des réponses:la police et la justice. Je travaille beau-coup avec elles. Pour s’occuper desmineurs, les magistrats disposent dedeux lois, l’une étant l’Ordonnance de1945 que je défends ardemment. Elle a,philosophiquement, un principe magni-fique : elle privilégie l’éducation sur larépression. Encore faut-il adapter le prin-cipe éducatif. Ce fut une erreur de pri-vilégier le principe de ce que j’appelle“l’éducatif- plaisir”, qui n’a fait que dépla-cer les problèmes dans l’espace et letemps. Les gens qui font de la pédago-gie ont un principe très important : semettre d’accord sur une règle et s’il y atransgression, punir. La punition peutêtre éducative si elle est lisible pour unenfant, non humiliante, et adaptée à lataille, à l’esprit, à l’âge de l’enfant. Mal-heureusement, on punit souvent desmineurs selon une échelle de peine desmajeurs, divisée par deux. Les moyensmanquent à l’application de cette ordon-nance de 1945.

AgirJe vous rappelle que le budget de la Jus-tice représente 3 % du budget de l’État,dont 1 % pour la justice des mineurs. Lesmoyens ne sont pas adaptés à la gravitéde la situation. J’ai beaucoup travaillé là-dessus avec la Fédération de parentsd’enfants victimes. Nous avons présenténos propositions à Mme Guigou, ministrede la Justice de l’époque. Adjoint au mairede Marseille, j’ai travaillé avec M. Perben,actuel ministre. Mon livre, Comment desenfants deviennent des assassins, a ététrès bien reçu. Nous avons aussi demandéla création de centres fermés, non car-céraux, pour les non multirécidivistes. Ce seraient des internats, fermés letemps de la phase aiguë de traitementdu multirécidiviste. Dès qu’un enfantpeut être remis en milieu ouvert, il fautle faire. Dans ces internats, la stratégieest de responsabiliser le jeune. Étudier

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pour leurs concitoyens et comment fairepasser ce message dans les lieux de culte. Je vous laisse la parole.

QUESTIONS-RÉPONSESÀ votre avis quel est en pourcentage,l’impact que peut avoir la corruption deshommes politiques sur cette jeunesse?Le pourcentage je ne vous le donneraipas, je l’ai pas, je pense qu’on peut don-ner à quelqu’un des exemples, des limites,c’est l’enseignement au sens noble duterme. Cependant, quand nos politiques,quel que soit leur bord, ne donnent pasl’exemple, je me doute bien que dans uneculture souterraine de violence dont jevous ai décrit les critères, ça ne peutavoir que des effets effroyables. Surtoutqu’on disait tout à l’heure que l’influencedes parents, de la famille était prépon-dérante. Entre la naissance et 3 ans,

entre 3 ans et 6 ans, où il y a des struc-turations par étapes dans le cerveau desenfants, les enfants étaient structurésà 98 % par leurs parents et arrivaientensuite vers leurs pairs, les autres gosseset se faisaient une autre structurationplus sociale, plus élargie. Maintenant, etce n’est pas un jugement de valeur, lesmères travaillent plus qu’avant, lesenfants vont beaucoup plus facilementen crèche et avec leurs pairs, et je vousai tout à l’heure décrit l’absence despères… vous voyez le problème. Donc,grosse influence entre eux. Des parentsvous disent : “je ne sais pas commentfaire” parce que la famille imprègnebeaucoup moins qu’avant l’enfant, et latélévision c’est une nounou gratuite. Ilssont dans un bain d’images qu’on necontrôle pas. Ils sont dans le virtuel. Entrele fait qu’on ne donne ni d’exemple ni

limite et qu’on les fasse vivre dans duvirtuel non expliqué, sans sens, celam’inquiète beaucoup.La notion de socialisation par la res-ponsabilisation est très importante, ellepermet de valoriser la personne. Com-ment vous, qui n’êtes pas un religieux,développez-vous cette notion?Je ne suis pas un religieux pratiquantmais j’ai un grand respect pour les reli-gions, dans ce livre j’en parle. J’ai un cha-pitre qui s’appelle “La divinité” dans lequelje donne quelques explications sur lamanière dont je vois les choses. J’ai eudes amis religieux de très haut niveauqui m’ont beaucoup appris. Je tiens à dire que j’ai été déçu quand jevoyais comment la justice des mineursconcevait le problème avant 1996, c’estlà où j’ai mis les pieds dans le plat. Pendant très longtemps il ne fallait sur-tout pas parler de l’acte à des délinquants,il fallait presque l’oublier. C’était un prin-cipe “éducatif plaisir”. On disait : “Lepauvre c’est pas sa faute, c’est la fauteà son milieu. On va lui faire faire du ski,du vélo, on va le transbahuter.”On résolvait le problème sur le moment,mais quand on le replaçait dans le milieucriminogène, on remettait toutes lesconditions opératrices. Le microbe repro-liférait aussi bien mais on ne voulait pasparler de l’acte. Dans le centre fermé dont je rêve, qui, jel’espère, verra le jour, le travail de psy-chologie sera fait par des spécialistes surtout le chemin qui a conduit ce jeune àson acte. Sans le juger, ni le stigmatiser,chercher pourquoi il en est arrivé là. Ilfaut démonter le mécanisme pour pou-voir faire ce travail et, à ce moment-là,on va pouvoir le socialiser. L’étape était complètement court-cir-cuitée par les magistrats et les systèmesqu’il y avait avant. On ne peut pas réin-sérer des jeunes en ne parlant pas de cequi fâche ! n

Propos recueillis par Guylaine Grison Brahimi

Bibliographiel Rue Nicolas Bourgat, Éditions Favre, 1998l Comment des enfants deviennent des assassins, Éditions Favre, 1999l Le deuil n’est pas une fin, Éditions Favre, 2003

Quelques chiffres

Je voudrais vous livrer quelques chiffres importants quand on travaille sur la délinquance juvénile. Si vous prenez cent jeunes, normaux, ils ont

tous fait une bêtise plus ou moins grave dans leur vie. Les pédopsychiatresdisent que 95 à 98 % des jeunes ont un jour une conduite de transgression. S’ils étaient attrapés ce jour-là par la police, ils passeraient au tribunal etdeviendraient des primo délinquants. Ensuite, sur cent primo délinquants, 70 % comprennent et ne recommencentplus jamais. Ils ont senti “le vent du boulet” et ils guérissent tout seul. 30 % vont faire une deuxième bêtise, dont un noyau qui va systématiquementrecommencer et même y trouver du plaisir ou une motivation. C’est ce qu’on appelle les multi récidivistes, les multi réitérants ou les réitérants permanents. Ce sont eux qui posent problème. Ils sont entre quatre et cinq mille en France, chiffre malheureusement en augmentation. Ils sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes et ils occupent presque 55 à 60 % du temps des tribunaux d’enfants. J’ai compris que c’estavec ce public là qu’il faut travailler. C’est un problème complexe et je n’ai pasplus que les autres la clé à ces réponses, juste quelques pistes.

DR

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un ensemble de constructions inexpri-mables, quelque chose comme un édificelunaire, et vous aurez le Palais d’Été.Bâtissez un songe avec du marbre, du jade,du bronze, de la porcelaine, des charpentesen bois de cèdre, couvrez-les de pierreries,drapez-les de soie, mettez ici un sanctuai-re, là un harem ; et cette merveille a dispa-ru. Un jour, deux bandits sont entrés dans lePalais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié.La victoire peut être une voleuse à ce qu’ilparaît. Une dévastation en grand du Palaisd’Été s’est faite. Ce qu’on avait fait auParthénon, on l’a fait au Palais d’ Été, pluscomplètement et mieux, de manière à nerien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédralesréunies n’égaleraient pas ce splendidemusée de l’Orient. Il n’y avait pas seule-

Cette conférence fut l’occasion pourMme Nora Wang de nous relater lesrépercussions du pillage du Palaisd’Été, ainsi que l’attitude de Victor

Hugo vis-à-vis de la Chine, et surtout de nousprésenter avec une grande clarté et unegrande rigueur la symbolique et l’histoirede ces merveilleux jardins et palais impé-riaux en Chine. Pour situer le contexte historique, le sac duPalais d’Été a eu lieu à Pékin, en 1860, pardes troupes anglaises et françaises, et lalettre de Victor Hugo est datée de novembre1861 : Hugo se trouve en exil dans les îlesanglo-normandes et en profite pour écrirequantité de textes sur nombre de problèmesinternationaux qui le scandalisent. Ici, ilrépond par voie de presse à une lettre ducapitaine Butler. Il s’agit d’un texte extrê-mement véhément sur ce fameux sac duPalais d’Été dans lequel il dénonce l’appâtdu gain, le vandalisme et le mépris pour laculture, qui est l’une des plus hautes expres-sions des êtres humains.

Un cri de révolte… “Il y avait dans un coin du monde une mer-veille du monde, cette merveille s’appelaitle Palais d’Été. L’art peut être ainsi, l’idéequi produit l’art européen et la chimère quiproduit l’art oriental. Le Palais d’Été était àl’art chimérique ce que le Parthénon est àl’art occidental. Tout ce que peut enfanterl’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas comme leParthénon une œuvre rare et unique, c’étaitune sorte d’énorme modèle de la chimère,si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez

ment là des chefs-d’œuvre de l’art, il y avaitun entassement d’orfèvreries. Chacunremplit ses poches et l’on est revenu enEurope bras dessus, bras dessous en riant.Telle est l’histoire.”Qui sont ces deux bandits dont parle VictorHugo ? Ce sont la Grande-Bretagne et laFrance, au cours de la deuxième guerre del’opium. Les soldats se sont rués sur tous lesobjets fantastiques que recelait le Palaisd’Été. Ce qu’ils ne pouvaient pas emmener,ils le cassaient. Entre-temps on a découvertà l’intérieur du Palais des otages et onapprend que certains sont morts et qued’autres ont été extrêmement maltraités.Pour effectuer des représailles, ils décidentd’incendier le Palais. Entre le 6 et le 8 octobre,on a pillé amplement et, pour finir, on a misle feu. Cet épisode a créé une certaine gêneen Occident. Certains intellectuels s’indignent mais une partie des hommes politiques trouve fina-lement que “c’était la guerre, que la prise deguerre est quelque chose de légitime, quepar conséquent ce n’est pas si scandaleuxque ça”. En ce sens, la lettre d’indignationde Victor Hugo fait figure de texte assezexceptionnel.

… fondé sur des principes humanistes, plus que sur un intérêt pour la ChineChose curieuse, dit Mme Nora Wang, VictorHugo n’est pas quelqu’un qui s’intéresse réel-lement à la Chine. C’est d’autant plus éton-nant qu’il y est très aimé. À partir de 1880, ilest largement diffusé en Chine et au Japon.Son roman, Les Misérables,traduit en 1905,aura un succès considérable. Le premier filmtourné sur ce thème date de 1934. Le rôle de la lettre à Butler, qui est davanta-ge connu en Chine qu’en France, est consi-dérable parce que c’est la seule fois qu’unécrivain de statut international a pris laplume pour condamner quelque chose decourant à l’époque, la déprédation et le pilla-ge. Mais, ajoute Mme Wang : «Il se trouve quec’est un peu un amour en sens unique, et jelaisse à Victor Hugo la responsabilité de cequ’il dit par ailleurs sur la Chine :“…faire detout un peuple un immense martyr, changerles jours en nuit, changer l’Europe en Chine”.Je ne suis pas sûre que les lecteurs chinoisaient prêté attention à ces petits indices quimontrent que Victor Hugo, au mieux, ne s’estpas préoccupé vraiment de la Chine et, aupire, fonctionne avec un certain nombred’idées reçues.» n

Propos recueillis par Yannick Dabrowski

Le 27 février 2004, Mme NoraWang, professeur à l’universitéParis VII, spécialiste de l’histoirede la Chine contemporaine, est venue au Centre culturel Paris-Opéra de la SGF présenterl’ouvrage Victor Hugo et le sac du Palais d’Été. S

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Cet ouvrage a étéconçu à l’occasion

de l’année de la Chine.Il s’articule autour de la lettre de réponse de V.Hugo au capitaineButler. C’est le produitd’une collaboration entre Mme NoraWang,le calligraphe Wang Lou, journalis-teà RFI-Chine et le peintre Ye Xin,maître de conférences en Arts plas-tiques à Paris VIII,qui participe à l’expo-sition Confucius,au musée Guimet.Ye Xin s’est imaginé enfant sur les lieuxaux côtés de V. Hugo pour réaliser unesérie de 37 planches intitulée Le songedu Palais d’Été.

Coédition Les Indes savantes/You Feng

CONFÉRENCE

Victor Hugo et la Chine

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sance sans précédent de savoirs à notreépoque, et aux dangers que fait courir lamondialisation par l’homogénéisationculturelle et religieuse qu’elle produit,ainsi que les paroxysmes de conflits eth-niques et religieux, suscités comme réac-tions de défense de ces cultures et civi-lisations.Elle concerne la correspondance entrele monde externe, la nature, le monde,l’univers et le monde interne. Là, pour lesbouddhistes, le monde interne est unechose, pour les musulmans autre chose,mais au-delà de cette diversité il existequelque chose qu’on peut appeler “sujet”.Dans le transhumanisme, “il s’agit de cher-cher ce qu’il y a entre, à travers et au-delàdes êtres humains, ce qu’on peut appelerl’Être des êtres” (La transdisciplinaritéde B. Nicolescu, Éd. du Rocher).Dans ce genre de démarche, la logiquede la connaissance habituelle oui/non, detype universitaire, n’est pas appropriée,parce qu’elle part de l’idée qu’on peut sefaire une connaissance du monde si ondécoupe la réalité en morceaux et queces morceaux sont étudiés in vitro, c’est-à-dire en laboratoire, et du principe que,grâce à cette connaissance des lois scien-tifiques, on va pouvoir manipuler la nature.L’être humain dans son essence se trouveexclu des préoccupations. Dans la transdisciplinarité on estconfronté à différents ordres de réalité,la logique oui/non ne suffit plus. Il faut unnouveau type d’intelligence lié à un équi-libre entre le mental, les sentiments etle corps. Quand j’ai commencé à parlerde ces choses-là dans les livres, ça sem-blait une bizarrerie totale.

Quels sont les piliers de la transdisciplinarité?Ce sont trois postulats :Premier postulat :l’existence de niveaux de réalitéCe postulat découle de la découverte audébut du 20e siècle de l’infiniment petit :infiniment petit veut dire que vous pre-nez un centimètre et le divisez par dix,vous prenez un dixième et le divisez pardix, et vous continuez cette opération

La conférence de Basarab Nicolescu sur la transdisciplinarité est venue ébranler un certain nombre de convictions et ouvrir sur de vastes horizons. Il nous a dit entreautres que :

-La logique telle que nous la connaissons,fondée sur le oui/non, n’est pas la seulelogique qui régisse l’univers. Il s’agit d’unsystème qui fonctionne sur le mode del’efficacité et de l’exclusion, qui mènel’homme à son autodestruction.-La mécanique et la physique quantiquequi explorent le monde de l’infinimentpetit et de l’infiniment bref, découvertesau début du siècle, fonctionnent sur unautre système logique, totalement enrupture avec le premier, ce qui ne lesempêche pas de coexister, la preuve :notre propre existence.-La transdisciplinarité nous fournit desfondements méthodologiques indiscu-tables pour créer un dialogue intercul-turel et interreligieux. Elle marque ledébut d’une nouvelle étape de notre his-toire. Un nouveau type d’évolution se faitjour, lié à la culture, à la science, à laconscience, à la relation à l’autre. […] Leschercheurs transdisciplinaires apparais-sent de plus en plus comme “redresseursde l’espérance” pour reprendre la belleexpression de M. Nicolescu.La transdisciplinarité, écrit par BasarabNicolescu, paru aux éditions du Rocher,très accessible aux non-scientifiques,développe largement les points abordésdans ce compte rendu. On y trouvenotamment le manifeste de la transdis-ciplinarité.

Mais qu’est-ce que la transdisciplinarité ?La transdisciplinarité ne doit être confon-due ni avec la pluridisciplinarité, quiconcerne l’étude des objets d’une seuleet même discipline par plusieurs disci-plines à la fois, ni avec l’interdisciplina-rité, qui est un transfert des méthodesd’une discipline à une autre. Elle en est

radicalement différente de par sa finalité :la compréhension du monde présent quipasse par la compréhension du sens dela vie et du sens de notre mort en cemonde qui est le nôtre. C’est une disci-pline récente, le mot a été utilisé pour lapremière fois par Piaget en 1970 et le pre-mier Congrès mondial de la transdisci-plinarité a eu lieu au Portugal, en 1994. Elle est apparue en réponse à la crois-

Fondements méthodologiques du dialogue transculturel et transreligieux

Résumé de la conférence de Basarab Nicolescu

Le 26 mars 2004,

au centre culturel Paris-Opéra,

en soutien à la Charte de la Terre,

a eu lieu la conférence de

Basarab Nicolescu,

physicien théoricien au CNRS,

université Paris 6.

Membre de l’Académie roumaine

et président du Centre

international de recherches

et d’études transdisciplinaires,

il est également le fondateur

et le directeur de la collection

“Transdisciplinarité”

aux Éditions du Rocher.

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treize fois, quatorze fois. Essayez doncde visualiser ça ! Maintenant, pour letemps, prenez une seconde, divisez-lapar dix et si vous faites cette opération43 fois, vous serez aux portes du mondequantique * ! On a fait des millions et desmillions de fois l’expérience, et des loisse dégagent. Mais la surprise, c’est que ces lois sontcomplètement différentes des lois quirégissent l’univers habituel des planètes,des galaxies, etc. telles que Newton, Gali-lée, Kepler, les grands fondateurs de laphysique dite classique les ont imaginées. C’est une idée de rupture totale, et c’estla grande nouveauté parce que la philo-sophie, telle qu’on la connaît est fondéesur l’idée d’un seul niveau de réalité. Pouravoir une image de cette rupture, je vaisvous demander de faire encore un effortd’imagination : imaginez un oiseau surune branche, vous le regardez et toutd’un coup vous voyez qu’il s’est maté-rialisé sur une autre branche, mais sanspasser par aucun point intermédiaire.C’est ça la discontinuité quantique. Com-ment s’en accommoder? Mais quelqu’un,l’être humain, peut le faire car il y a ennous ce qu’on appelle des “niveaux deperception”. Cette idée date d’un siècle,du philosophe Husserl, le maître de Hei-degger, et celle de “niveaux de réalité”,c’est moi qui l’ai lancée en 1983.

Deuxième postulat : le principe du tiers inclus Sans le savoir, tout ce que vous faitesdans la vie, vous le faites au nom d’unelogique. Les machines humaines sontfondées sur des normes, si on n’a pas denormes on va à l’hôpital psychiatrique.

Encore faut-il définir le sens de cettelogique car lorsque quelqu’un dit “le bien”,c’est “le mal” pour d’autres, et lorsqued’autres disent “le mal”, c’est “le bien”pour celui qui est en face. Alors que font-ils? ils s’entre-tuent, il n’y a pas d’autresolution, sauf s’ils suivent un cours dephysique quantique ! Aristote, philosophegrec appartenant à notre logique clas-sique disait que toute notre pensée estfondée sur trois axiomes :4 l’axiome d’identité : A est A, parexemple un Français est un Français,4 l’axiome de non-contradiction : A n’estpas non-A, une chose n’est pas soncontraire, un Français n’est pas un non-Français,4 l’axiome du tiers exclu : il n’existe paschez Aristote un troisième terme T (T detiers inclus) qui est à la fois A et non-A. Eh bien, même ce principe du tiers excluest remis en question par la physiquequantique.Par exemple, il n’y a pas quelqu’un quisoit Français et non-Français. Et pour-tant, c’est complètement faux parce quevous en avez un devant vous, je suis Fran-çais et je suis Roumain et heureux d’êtreles deux. La solution à vrai dire est très simple,c’est moi qui l’ai offerte en 1983 : si vousavez des niveaux de réalité différents, ilest possible qu’il y ait un tiers T entre lesniveaux de perception et les niveaux deréalité, donc le sujet et l’objet. Ainsi lasolution est simple, mais l’effort mentalest terrible, car il faut renoncer à des habi-tudes mentales qui consistent à répondreà une question par oui ou par non. Cetiers, peu importe le nom que vous luidonnez, moi je l’ai appelé “le sacré” parce

qu’il ne faut pas inventer tout le tempsdes mots nouveaux. Et c’est un mot uti-lisé par Mircea Eliade qui est le fondateurde l’histoire moderne des religions et quien donne la définition suivante : “Le sacrén’implique pas la croyance en dieu, desdieux ou des esprits, c’est l’expérienced’une réalité et la source de la conscienced’exister dans le monde.” C’est donc uneexpérience qui est en quelque sorte trèsreligieuse, fondatrice des religions, maisce n’est pas la religion.

Troisième postulat : la complexitéEn même temps que l’émergence desniveaux différents de réalité et des nou-velles logiques, un troisième facteur estvenu s’ajouter pour donner le coup degrâce à la vision classique du monde : lacomplexité. Comment peut-on comprendre le mondeprésent s’il n’y a pas une unité desconnaissances ? Et comment peut-onavoir une unité de connaissances quandil y a 8 000 disciplines ? Par la logiquedu tiers inclus, le sujet lui-même.

En quoi la transdisciplinaritéchange-t-elle notre vision du monde ?Entre autres, en ce qu’aucun niveau deréalité ne peut être dominant par rap-port aux autres ! C’est très difficile àaccepter parce que chacun est dans sonpetit domaine, dans sa petite religion, sagrande religion : “Oui, je veux bien enga-ger le dialogue, mais ’ma’ religion est lameilleure…” Un niveau de réalité est cequ’il est parce que tous les autres niveauxde réalité existent à la fois. Et s’il n’y apas de culture dominante, qu’est-ce qu’ily a de dominant ? C’est ce qui relie lescultures. Ce qui relie, c’est aussi quelquechose d’existant. C’est forcément exis-tant. Si nous parlons des religions trans-cendantes, s’il n’y a pas quelque chosede commun entre les différentesapproches religieuses, comment peut-ondialoguer un jour ? Il faut donc quelque chose de commun,mais quelque chose sur lequel personnene peut mettre la main, quelque chosede l’ordre du non rationnalisable, de l’ordredu “sacré”.

* La mécanique quantique et la physique quan-tique : ensemble des théories issu de l’hypo-thèse des quanta d’énergie de Planck, d’abordappliquée par Einstein à la lumière, puis parBohr et Sommerfeld à la physique de l’atome(définition du Petit Robert).

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donne des sons, des textes sur Internet.Ce sont des portes ouvertes, portes fer-mées dans le monde quantique, mais c’estune information. Donc la matièreaujourd’hui veut dire substance, énergie,espace-temps, information. Alors qu’est-ce qu’il y a de matériel dans tout ça ? Quelleest la différence avec ce que les gens clas-siques appelaient l’esprit ? En conséquence,les mots “esprit” et “matière” sont desmots dépassés. Il faut renoncer à cettedichotomie, mais ce n’est pas facile parceque la peur régit nos besoins de s’appuyersur des mots. Cette peur peut être dépas-sée par un moyen rationnel : la pratiquedu tiers inclus.

Dans notre philosophie bouddhique, on pense qu’une cause créée ici peutavoir un effet très loin et cela medonne de l’espoir. Est-ce que cela rejoint la physique quantique?L’une des caractéristiques de la physiquequantique est la non-séparabilité. Vousprenez deux photons, vous les séparez,vous en envoyez un dans une galaxie etvous gardez l’autre ici. Sans transmis-sion de signal, sans transmission d’éner-gie, automatiquement, le photon qui estdans l’autre galaxie va savoir instanta-nément ce qui se passe ici et va réagir.Ce monde de l’infiniment petit et de l’infi-niment bref est non séparable. En ce sensil y a une interrelation, et on retrouve ce

principe d’interdépendance de toutes lesgrandes traditions. Le problème, c’estque notre monde n’est pas quantique,notre corps est immense par rapport àla physique quantique, quoique le corpssoit également formé de particules quan-tiques. Quand je parle, il y a des milliardset des milliards de processus quantiquesqui se passent dans mon cerveau. On ne sait pas encore les explorer, maisces phénomènes existent. Au début del’univers tel que nous, scientifiques, l’ima-ginons, c’est-à-dire au début du big bang,au tout début, tout était relié. La vie n’estapparue que plus tard, mais au tout débutil y avait les particules quantiques, et cesparticules gardent certainement unemémoire de ce qui fut.

Étudie-t-on ces phénomènes pardes formules mathématiques?Non, par des expériences physiques : 10%du PIB (Produit intérieur brut) des États-Unis est dépensé pour la physique quan-tique. Les banques sont particulièrementintéressées à cause des pirates des cartesbancaires qui entrent dans le cyberes-pace et trouvent les codes, même s’ilssont très compliqués. Le code quantiquefondé sur la non-séparabilité est le seulcode impossible à déchiffrer. Ce typed’expérience se fait tous les jours, maiscela peut devenir aussi une expérienceintérieure, si vous faites un petit effort.n

QUESTIONS-RÉPONSESPour moi, la physique est quelquechose de matériel et là, on est dans le domaine de l’immatériel, n’est-ce pas?Votre question est dans la logique binaire,parce que vous avez dit matériel et imma-tériel. Eh bien, ça ne va pas de soi dans lesens suivant : au début de la sciencemoderne, la substance était identifiéeà la matière, qui avait du poids, qu’onpouvait mesurer… Avec l’apparition dela théorie de la relativité restreinte d’Ein-stein, avec sa célèbre formule E=Mc2, ily a équivalence entre l’énergie et la sub-stance, la matière devient à la fois éner-gie et substance. Une troisième théorie essentielle appa-raît, toujours par Einstein, la théorie de larelativité générale : il montre mathéma-tiquement, avec équation indiscutable,que la soi-disant substance est liée àl’espace-temps. Autrement dit, il suffit d’unecourbure de l’espace pour produire la sub-stance, c’est quelque chose d’incroyable.L’espace-temps devient une composantede la matière, déjà dans les années 30.Avec le développement de la physiquequantique et encore plus avec le déve-loppement de l’informatique, la théoriede l’information, on voit une quatrièmecomposante de la matière qui apparaît :l’information qui peut se dispenser de toutsupport matériel, 0-1, 0-1, 0-1… qui vous

Basarab Nicolescuest physicien théoricien au Centre national de la recherchescientifique (CNRS), au laboratoire de Physique nucléaire et des Hautes Éner-gies, et à l’université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.

Il est président-fondateur (1987) du Centre international de recherche et étudestransdisciplinaires (CIRET), association loi 1901 regroupant 170 chercheurs devingt-deux pays, cofondateur, avec René Berger, du Groupe de réflexion sur latransdisciplinarité auprès de l’UNESCO (1992).

Fondateur et directeur de la collection “Transdisciplinarité”, Éditions du Rocher.

Fondateur et directeur de la collection “Les Roumains de Paris”, Éditions Oxus.

Membre du Conseil de rédaction de la revue Mémoire du 21e siècle, Paris.

Spécialisé dans la théorie des particules élémentaires, il est l’auteur d’une cen-taine d’articles scientifiques publiés dans des revues internationales et de nom-breuses contributions à des livres scientifiques collectifs.

Intéressé aux relations entre l’art, la science et la tradition, il a publié de nom-breux articles de réflexion sur le rôle de la science dans la culture contempo-raine dans des revues en France, en Roumanie, en Italie, au Royaume-Uni, auBrésil, en Argentine, en Syrie, au Japon et aux États-Unis.

Il a également participé à plus de cinquante émissions radiophoniques (FranceCulture, France Inter, etc.). n

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Millenium. Ce marché parallèle qui exploseen Amérique latine et en Asie, de 30% à40 % par an, a pour conséquence unerésistance latente aux hausses de tarifsdes services urbains. L’économie géné-rale des services en réseaux s’en trouvebouleversée. Mais comment éviter de setrouver dans un cercle vicieux suite àcette “évasion”, hors du service public,des classes moyennes ?Le rythme de progression des investis-sements dans l’eau ne suit pas l’accrois-sement des besoins respectifs en infra-structures vitales : les montants consacrésà l’eau par les institutions financièresinternationales dans les investissementsen infrastructures sont minoritaires(quelques 10%) par rapport à ceux inves-tis dans l’énergie, les transports et lestélécommunications.

Une conception conservatrice des systèmes de gestion de l’eauEn Europe, l’ordre de grandeur du prix àpayer pour l’eau courante au robinet etl’assainissement varie beaucoup d’unpays à l’autre, mais, en moyenne, il estde l’ordre de 1 euro par jour et par foyer.Y ajouter les dépenses pour l’eau embou-teillée double le budget. Cependant, alorsque les centres urbains des pays indus-trialisés sont capables de lever des reve-nus de l’ordre de 2 900 dollars/habitantpar an, en Asie, la moyenne est de 153 dol-lars dans les villes asiatiques. On comprend facilement comment enregard, dans de nombreux pays en déve-loppement, les services de captage et dedistribution absorbent l’essentiel desmoyens publics, et, quand ils fonction-nent, délivrent une qualité imprécise.Quant à l’assainissement, il est le plussouvent différé. La plus grande partie des effluentspollués est rejetée sans traitement. Enmilieu urbain, la collecte reste enmoyenne inférieure à 15-20 % deseffluents domestiques et industriels, etle traitement est de moins de 10 %. Enmilieu rural, le traitement de la pollutionest le plus souvent inexistant. Enfin, le cyclede l’eau est en outre mal ou surexploité

Le fait d’avoir institué l’année del’eau en 2003 illustre clairementà quel point il s’agit d’un sujetd’actualité préoccupant pour

l’humanité. En effet, l’eau, ressourcevitale mais dont l’accès et la qualitédeviennent de plus en plus inégalementrépartis à l’échelle de la planète, est lapire des inégalités. M. Dangeard nous adonné les principaux éléments pourmieux en comprendre les réalités, lesenjeux et les perspectives.

LA RÉALITÉ.Des disparités inacceptables Les 2/3 de la population mondiale viventdans des pays ayant une situation inégaleet inéquitable face à l’eau. Il faut savoirqu’aujourd’hui les maladies hydriquessont la deuxième cause de mortalité dansle monde. En prenant comme seuil destaux de mortalité infantile à 5 ans (Q5)supérieurs à 7 fois ceux de la France (6pour mille x 7 = 42), on trouve unetrentaine de pays totalisant 2,5 milliardsd’habitants, dont des États comme laTurquie et les pays de la Communautédes États indépendants (NEPAD). Cette situation trouve bien entendu sonorigine dans l’énorme disparité desdépenses liées à l’eau selon les régionsconcernées : dans les pays développés,soit 18,5 % de la population mondiale,elles sont de 250 milliards de dollars, etdans les autres pays à revenus moyensou faibles, soit les 2/3 de la populationmondiale, il s’agit seulement de 75 mil-liards de dollars. En d’autres termes, 30%du chiffre d’affaires de l’eau est censésatisfaire les besoins de services vitauxde plus de 80% des populations.

Des recours à des solutions privées qui bloquent l’améliorationdes services publicsDans un tel contexte, les usagers qui enont les moyens compensent par le recoursà des systèmes de traitement individuels(UV, filtres, pompes, fuel cells) ou à del’eau livrée séparément en jarres à despoints déterminés (refilling stations, fran-

chisés) après traitements dans des usinesultramodernes de purification. Seuls lesvraiment pauvres n’utilisent que l’eau durobinet ou des fontaines publiques. Onrejoint la description de la pauvretéabsolue, celle que visent les objectifs du

De l’eau salubre pour tous au 21e siècle ?Réalités, enjeux et perspectives...

Résumé de la conférence de Alain L. Dangeard

Le 30 avril 2004,

au centre culturel Paris-Opéra,

en soutien à la Charte de la Terre,

a eu lieu la conférence de

Alain L. Dangeard,

économiste des matières

premières minérales

et de l’environnement,

P-dg de la société MEED

(Matières premières, eau,

environnement, développement).

Il fait partie du groupe de travail

de la Commission européenne

sur les indicateurs

de développement durable

pour les industries extractives.

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(exemple de l’irrigation par pompage etde la baisse du niveau des nappes dansles régions de la révolution verte en Inde).

LES ENJEUX.Pour aborder les problèmes liés à l’eau,il faut garder à l’esprit la croissance sansprécédent de la population mondialeprévue dans les prochaines décennies,de 6,2 milliards en 2003 à 8,13 en 2030.Par suite de l’augmentation des popula-tions, les ressources par tête diminuentet les disparités augmentent. Le “stress”hydrique fixé à 1 000 m3 par tête et par anconcerne aujourd’hui les pays d’Afriquedu Nord et de l’Est, les pays du Golfe, leMoyen-Orient et l’Asie du Sud. Dans vingtans, 40 % de la population mondialevivra en-dessous de ce seuil. Ces chiffres sont inhérents à des réalitésgéographiques et climatiques, au contexteenvironnemental, social et économique.Dans un tel contexte, les enjeux sontmultiples : d’abord remédier d’urgenceà la grave insuffisance des services dedistribution et d’assainissement, puisentreprendre des actions à la portéedes revenus urbains et des ruraux, et,par voie de conséquence, se demandercomment réduire les coûts directs etindirects de la gestion de l’eau. Il faut donc maîtriser de gros postes dedépenses, au premier rang desquelsvient la consommation d’énergie pourle transport et le stockage. L’industrie de l’eau est une industrie detransport : le transport sous pressionpeut représenter jusqu’à 2/3 du coûttotal. Il s’agirait par exemple de réduirele calibrage des canalisations, de lisserles pics de consommation journalière et

saisonnière par des stockages appropriésindividuels et collectifs, de réduire lesvolumes des rejets industriels. C’est également rationaliser les modesde consommation de l’eau courante carles modes de consommation des paysindustrialisés ne sont pas généralisables:aux États-Unis, la moyenne de consom-mation est de 262 litres par personne etpar jour, où seulement 9% concerne l’eaucomme boisson et nourriture. Dans les pays de l’Est européen, le chan-gement de régime politique a modifié lesstyles de consommation. La prioritédevient alors la faible qualité de l’eaulivrée dans des réseaux surdimension-nés. Mais, il est difficile de changer lamentalité qui lie quantité consommée etniveau de vie. Pour mieux le faire com-prendre, il faut convaincre de l’intérêt deréserver l’eau distribuée pour les usagesnobles et non pour le transport des

déchets humains. Enfin, c’est valoriserl’eau recyclée. comme en Californie : réuti-lisation par l’industrie (5%), agricultureirriguée (45 %) irrigation des parcs oumaintien des écosystèmes (35%). Cesmarchés croissent de 15 % par an auxÉtats-Unis et progressent également enChine.Mais actuellement, dans nombre de paysémergents, les usages de la réutilisationaprès traitements classiques sont encorede faible valeur ajoutée (jardins publics,pelouses, etc.) au détriment d’usages plusproductifs, à même de mieux amortir lacharge d’investissement. Le débouchéagricole repose sur la capacité desfermiers concernés de payer l’eau traitéepour l’irrigation.

LES PERSPECTIVES.Pour une réutilisation à forte valeur ajou-tée (potabilisation directe ou indirecte),il faut recourir à des technologies de fil-tration coûteuses mais dont le prixdiminue. Contrairement à des idéesreçues, la réutilisation après traitementpoussé n’est pas réservée aux paysriches : elle est sans doute plus indis-pensable encore dans les pays à forteurbanisation et à climat sec. Certaines catégories de producteursd’eaux usées (par ex. l’industrie, les socié-tés immobilières et les commerces) com-mencent à y recourir, grâce aux incita-tions par des mesures législatives etréglementaires (plus ou moins appliquées)ou par des facteurs externes (par ex. letourisme). Par ailleurs, les progrès des technolo-gies de traitement et de productiond’énergie constituent un véritable saut

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Les objectifs du MilleniumCe sont des engagements solennels des dirigeants mondiaux, souscrits auxréunions internationales de Johannesburg (Sommet mondial sur le dévelop-pement durable en 2002) et de Kyoto (3e Forum mondial de l’eau de 2003):

Pour atteindre l’objectif de développement pour le Millenium (“réduire demoitié, d’ici 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès à de l’eaupotable”), 274 000 personnes supplémentaires doivent être connectées à un service d’approvisionnement en eau potable chaque jour. Pour atteindre l’objectif équivalent dans le domaine de l’assainissement, éta-bli lors du Sommet mondial sur le développement durable, (“réduire de moi-tié, d’ici à 2015, la proportion de personnes qui n’ont pas accès à des servicesd’assainissement de base”), 342 000 personnes supplémentaires doiventêtre connectés à un réseau d’assainissement chaque jour. Atteindre ces objectifs a un coût énorme et constituera probablement l’un des défis les plus importants que la communauté internationale aura à relever au cours de ces prochaines années.

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entièrement entre les mains des déci-deurs locaux. Mais, qu’il s’agisse de soli-darité ou de prévention, les décisionscentrales ne suffisent pas, et leur miseen œuvre n’a de sens qu’en fonction del’adhésion des acteurs locaux auxméthodes préconisées.

CONCLUSION.“Les aspects les plus élaborés des ges-tions locales sont comme un écho desgrands enjeux internationaux. C’est pourcela que chacun est concerné par le débatmondial. Pour y participer et aider à sortirdes impasses actuelles, il est d’abord néces-saire de comprendre et de s’impliquer dansles opérations en France et en Europe. Au vu du progrès des connaissances dansles risques pollutions diffuses, les réponsesne sont pas différentes d’un pays à l’autre.La convergence européenne sur les règlesà suivre en est un exemple. Le plus difficile est de faire comprendreaux décideurs nationaux que les appels àla solidarité ne suffisent pas, et que seuleune approche déterminée peut répondreau risque énorme que comporte le videactuel, celui de notre propre sécurité.” n

technologique. Elles n’offrent pas de solu-tions miracles mais un large éventail depropositions alternatives à sources mul-tiples en fonction des besoins. Parexemple, le recours aux techniques mem-branaires. L’intérêt essentiel des nou-velles technologies est leur flexibilité quipermet d’optimiser les concepts au plusprès des conditions locales, ce que lessystèmes centralisés à qualité et fluxlinéaire unique ne peuvent offrir.Notons cependant que dans un rapportde la Banque mondiale sur les objectifsdu Millenium, publié à l’occasion de laréunion du G7, le peu de place donnée àl’innovation technique est pour le moinssurprenant. Ceci confirme que les ques-tions liées à la gestion locale de l’eau nesont pas seulement affaire de spécialistes.Les acteurs locaux sont les mieux à mêmede savoir l’importance de protéger leursressources. Le choix entre la re-qualification de l’eaudu robinet et l’achat d’eau purifiée est uneaffaire domestique. Les marchés eux-mêmes ne fonctionnent que s’ils visentles préoccupations de tout un chacun.Certes, les règles à suivre ne sont pas

Alain Dangeard : ancien élève de l’Éna, licencié en Droit et diplômé d’étudessupérieures en Économie, Alain L. Dangeard devint diplomate aux Nations unies,puis membre du cabinet du Secrétaire général à l’Onu. Il fut pendant cinq ansdirecteur général délégué de l’ORTF.

Par la suite, il devint directeur général adjoint du Bureau de recherche géolo-gique et minière et, parallèlement, président de l’Agence nationale pour la récu-pération et l’élimination des déchets.

En 1993, il a fondé une société de consultants (MEED SA) spécialisée dans l’éco-nomie en matières premières et dans l’environnement. Elle intervient au niveaude la conception de projets viables, là où des situations d’échec portent sur degros enjeux (ressources en eau du bassin du Jourdain, Club de l’eau pour larelance des investissements par la baisse des coûts en Asie du Sud, Turquie etNEPAD).

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Les techniques membranairesCes techniques dites de séparation par membranes constituent une mini-révolu-tion dans le traitement de l’eau. Leur principe consiste, non plus à éliminer chimiquement les micropolluants, mais à les extraire physiquement. Elles présentent en effet le très gros avantage de n’utiliser aucun réactif chimique,sauf pour leur entretien. Très fiables, elles permettent de traiter des eaux trèspolluées et de produire une eau très pure, sans goûts désagréables ni mauvaisesodeurs, et de qualité constante, quelles que soient les variations de qualité de l’eau à traiter. Elles commencent depuis peu à être utilisées à grande échelleau niveau industriel. Le seul inconvénient de ces nouveaux traitements est leur coût élevé. Le principe d’action de ces membranes est simple puisqu’ilconsiste ni plus ni moins en un filtrage mécanique. Mais quel filtrage !

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dire. Pour illustrer le “le grand autre” quise situe dans la transcendance, c’est-à-dire au-delà de soi par opposition au moienfermé dans l’immanence, il propose des’imaginer dans une bulle fermée commedans le ventre de la mère. Pour pouvoirentrer dans la vie, on ouvre et on rentredans la vie. Mais si on est dans la vie, seul,sans la rencontre avec l’autre, on resteenfermé dans l’immanence de soi-même.Le but de la cabale c’est la rupture del’immanence, c’est-à-dire rompre cet enfer-mement en soi pour accéder à la rencontreà l’autre, c’est-à-dire le lien avec la trans-cendance.

C’est la raison pour laquelle, dans leTalmud et la cabale, on dit qu’il faut com-mencer une réflexion ou un enseignementpar quelque chose de l’ordre de l’humourcar l’humour ouvre l’esprit.

Le “dénouage” des nœuds Les concepts font partie de ces nœudsde la parole et de l’esprit qu’il est néces-saire de dénouer, car ils figent la réalité,enferment : “Il y a une méthodologie pourarriver à formuler non pas des conceptsmais des non-concepts, parce que leconcept philosophique est une définitiongénérale qui enferme l’homme ou unechose dans quelque chose de définitif.

Par exemple, si je dis à quelqu’un :«C’est un homme»ou «Tu es un homme»,le terme conceptuel d’homme vient enfer-mer ce qui était en fait une créature infi-nie qui se trouve au monde.

Le terme d’homme est violent, je nepeux pas dire à quelqu’un : « Tu es telleou telle chose » sauf à le tuer. La formulefrançaise « tu es » est intéressante, caril y a quelque chose de l’ordre du meurtredans la définition et l’enfermementconceptuel.

Dans la cabale, nous sommes dansle non-concept, nous sommes dans ce quiest peut-être déjà au-delà de la parole.”

L’ATTITUDE PROFONDE :La capacité d’étonnementLe texte biblique montre le chemin pourcréer cette ouverture dans la Révélation(chapitre 3 verset 1 de l’Exode) lorsque

Paradoxalement, le mot caba-le dans le langage courantévoqueun monde associé àl’idée de complot alors quel’idée essentielle de la caba-

le c’est de “recevoir” et de “donner”.Pourquoi recevoir et donner ? parce que“si je ne peux pas recevoir et si je ne peuxpas transmettre, je ne suis plus traversépar le vivant, donc même si j’apparaiscomme vivant, je suis déjà un être mort”,dit Marc-Alain Ouaknin. Or, recevoir n’estpossible que s’il y a ouverture de l’esprit,du cœur. S’il y a des nœuds, nœuds de l’âme,nœuds de la parole, nœuds de l’esprit, il n’ya pas rencontre de l’autre et comment envi-sager la paix sans rencontre de l’autre ? Ilnous dit encore : “Ce qu’il faut bien fairecomprendre, c’est que nous sommes frèresen l’humanité unique avec différentes pos-sibilités et perspectives de servir le mêmeDieu” pour ce qui concerne les trois reli-gions monothéistes du Livre, le judaïsme,le christianisme et l’islam, et “la paix com-mence à partir de cette conscience préci-se de l’unicité de dieu, c’est-à-dire que toutest relatif dans ma manière d’aborder ledivin”que l’on va appeler dans la traditioncabaliste “le tout autre”, le“grand autre”,la transcendance. En d’autres termes, lacabale c’est le contraire du complot, c’estun ensemble de méthodes pour ouvrirl’ensemble des propos et des idées quienferment. C’est une mystique réaliste, quiprend l’homme tout entier, dans le concretde l’action, dans une expérience profon-dément humaine.

Ouvrir pour recevoir Dans la cabale, quand un maître va direquelque chose, on dit “il a ouvert et il adit”. Pourquoi ne se contente-t-on pas dedire “il a dit” ? Parce que le but de sondire n’est pas de parler mais d’ouvrirl’esprit, de préparer à quelque chosed’absolument essentiel, la rencontre avecl’autre qui prend plusieurs formes : uneautre personne ou ce que l’on va appelerdans la tradition cabaliste le grand autreou ce qu’on appelle en langage “vulgaire”dieu, car, selon Marc Alain Ouaknin, dieuest un terme qui ne veut strictement rien

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Résumé de la conférence de Marc-Alain Ouaknin

Le 20 juin 2004,

Marc-Alain Ouaknin,

rabbin, docteur en philosophie,

directeur du centre de

recherches et d’études juives

ALEPH (Paris) et professeur

associé à l’université

de Bar-Ilan (Israël),

où il enseigne la philosophie

et la littérature comparée,

a donné une conférence

sur la cabale : qu’entendre

par ce terme à la connotation

si mystérieuse ?

C’ESTQUOI,LA CABALE ?

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Moïse conduit son troupeau au-delà dudésert et qu’un ange lui apparaît dans uneflamme de feu au milieu d’un buisson. Ils’agit de l’épisode célèbre du buissonardent dans lequel un buisson brûle maisn’est pas consumé, symbolisant le faitqu’il existe quelque chose que rien ne peutdétruire. Moïse se détourne pour aller voirce grand prodige. “Il accepte la surprisede l’événement, il accepte la fracture d’unmonde déjà existant qui s’ouvre à quelquechose de complètement nouveau, il vavers le buisson et dit : « Pourquoi ? » Celasignifie que la première chose est d’êtreéveillé aux changements qui existent dansle monde et d’avoir suffisamment de cou-rage pour se détourner du chemin qui estdéjà tracé, car nous sommes tous dansdes chemins déjà tracés. Nous avons unehistoire, des parents, des enfants, unereligion, une philosophie, une nationalitéet il est facile de mourir de la même façonque nous sommes nés, sans le vouloir. Etsi nous mourons sans le vouloir, de lamême façon que nous sommes nés sansle vouloir, la vie, elle, est égale à rien. Ona le choix, soit d’être rien, soit d’inventersa liberté. (…) L’essence de l’homme c’estsa capacité de poser des questions, j’aiinventé le mot « quoibilité ».En hébreux, les mots sont aussi desnombres, car chaque lettre est un nombre,et il est intéressant de voir que l’hommea une valeur numérique de 45, le mot quiveut dire « quoi », s’ouvre par la ques-tion à un au-delà de soi-même. La dignitéde l’homme repose sur sa capacité à poserdes questions.”

Le concret et le simple Quand Dieu appela Moïse, celui-ci répon-dit : “Me voici”. (…) “Et à ce moment-là,que se passe-t-il ?

Dieu lui dit : « Ne t’approche pasd’ici, enlève tes chaussures de tes pieds,car l’endroit sur lequel tu te tiens deboutest une terre de sainteté. »

C’est ce que j’appelle une méta-physique de la chaussure. Je souligne ceque le philosophe Ricœur appelle uneinsolence sémantique où le plus haut — lamétaphysique — et le plus bas — la chaus-sure — se rencontrent dans une mêmelocution. Après la mise en scène de l’éton-nement, de la capacité du détour, de lacapacité de la question, ce texte vientdire « attention, les grandes choses serencontrent dans les petites choses ».

Ce n’est pas dans l’infini d’uneméditation transcendante que je peux

rencontrer le divin, le tout autre, legrand autre, le très haut, mais dansl’attention à quelque chose de petit, desimple, littéralement de terre à terrecomme la chaussure. Mais, pourquoi est-ce un endroit de sainteté ? Parce qu’il ya eu appel (de Dieu) et réponse (de Moïse),c’est-à-dire responsabilité de la rencontrepar rapport à l’autre.

Voilà donc situé ce que l’on va appe-ler l’esprit de la cabale.”

Les outils“J’ai exposé que l’idée essentielle de lacabale, c’est l’ouverture de l’esprit, de latête, du geste, de la rencontre. Pour celail y a des outils, le concret de l’objet, lachaussure, mais essentiellement le Livrede la loi. J’ai dit que dans la pensée juiveon ne pense pas.

Quelqu’un qui dit : « Je pense doncje suis », c’est bizarre, quelqu’un qui dit :« Je marche donc je suis » c’est déjàmieux, mais dans la tradition hébraïquec’est : « je prends le livre, je l’ouvre, je lis,j’interprète, je commente, je discute, doncpeut-être un jour je peux espérer être ».”

La chaussureDe façon très concrète, la marche est lesymbole de l’histoire de chacun. “Ce n’estpas « je pense donc je suis », mais « jemarche donc je suis ». L’idée essentiellece n’est pas d’être avec quelqu’un, maisd’aller vers quelqu’un, aller à la rencontrede quelqu’un. Pour que je puisse aller loinune expression en hébreu dit « qui veutaller loin ménage ses chaussures ». Lefait d’enlever ses chaussures veut direqu’il y a des moments où il faut savoir

s’arrêter pour rencontrer l’autre : c’estun temps de méditation, de réflexion etsurtout un temps de réception, c’est-à-dire un temps d’accueil.”

Le Livre“Un penseur hébraïque n’est pasquelqu’un qui pense, mais qui a une ren-contre avec les mots, avec le langage. Lerapport au Livre est quelque chose d’abso-lument essentiel, sans lequel on ne peutrien comprendre ni à la cabale ni aujudaïsme. Si on supprimait le bouquet defleurs, le verre, l’eau, je serais toujourshumain, mais le Livre ne peut pas êtresupprimé sauf à supprimer l’humain. Êtrec’est être au Livre. Être passe par la lec-ture, une lecture qui n’est pas la répéti-tion mais l’interprétation. Si je ne suis pasdans un monde de lecture, d’études etd’interprétation, je ne peux pas être dansla cabale. Il y a un texte célèbre qui dit :« J’espère (c’est Dieu qui parle) qu’un jourmes enfants m’auront oublié mais qu’ilsn’oublient jamais mon livre. » Comprenezbien qu’il ne s’agit pas simplement desavoir, il ne s’agit pas simplement d’écou-ter et d’entendre, mais d’avoir un rapportà l’étude et à l’interprétation.”

La démarche :Faire le vide“Le texte de la cabale dit : « La lumièreest toujours donnée, il faut apprendre àla recevoir » et cette manière de recevoiret d’être traversé, c’est la possibilité defaire un vide à l’intérieur de soi. (…) Ima-ginons qu’on prend quelqu’un dans la rueet qu’on lui coule du béton dans la bouche,dans l’œsophage, l’intestin. Quand j’ouvre

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plit et le redonne, alors que la mer Mortele reçoit mais ne donne rien.

Quand on reçoit et qu’on donne, onest dans la pureté, quand on reçoit etqu’on ne donne rien, on est dans l’impu-reté. Le mot « impureté » en hébreux sedit « être bouché », rien qui passe. Dupoint de vue des changements de climatauxquels nous assistons aujourd’hui, dansvingt ans, il n’y a plus de mer Morte. Ilexiste un projet de canal entre la merRouge et la mer Morte pour retrouver lasurface normale qui est annoncé par leprophète Ezéquiel.”

Poser des actes “Quand j’ai dit que la cabale ce n’est passimplement des idées métaphysiquesmais qu’il y a la « concrétude », je veuxdire qu’au-delà de l’ouverture à la lumièrede l’infini, c’est aussi quelqu’un qui, quandil a du pain, est incapable de le mangertout seul parce qu’il a une conscienceaiguë qu’il doit le partager avec quelqu’und’autre. S’il est seul, il doit rompre le painpour faire le geste symbolique d’être prêtà partager avec quelqu’un, donc le cou-per pour dire je suis prêt à manger avecun autre.

Je termine par la citation du « Maîtredes lumières » : « Fils de l’homme regarde,contemple la lumière de la présence qui

réside dans tout l’existant. Contemplela force joyeuse de la vie des mondesd’en haut, vois comme elle descend etimprègne toute parcelle de vie que tu per-çois avec tes yeux de chair et tes yeux del’esprit. Contemple les merveilles de lacréation et la source de tout vivant quirythme chaque créature. Apprends à teconnaître, apprends à connaître le monde,ton monde, découvre la logique de toncœur et les sentiments de ta raison.

Ressens les vibrations de la sourcede vie qui est au plus profond de toi, au-dessus de toi et autour de toi, l’amour quibrûle en toi, fais-le monter vers sa racinepuissante, étends-le à toute l’âme de tousles membres, regarde les lumières, regardeà l’intérieur des lumières, monte, monteet monte car tu possèdes une force puis-sante, tu as des ailes de vent, de noblesailes de l’aigle. Ne les renie pas de peurqu’elles te renient, recherche-les et immé-diatement elles te trouveront. Tu es unoiseau, vole, ne l’oublie jamais. »” n

pour savoir quelle est la forme qu’a prisle béton, je m’aperçois qu’il s’agit d’unserpent. J’en prends un autre et je couledu béton dans la bouche, la trachée artèreet les bronches et j’ouvre, ça prend laforme d’un arbre. On a deux symboles,l’arbre et le serpent. Or ce sont les deuxsymboles de la faute primordiale qui, dansla tradition biblique, est de ne pas avoirrespecté le vide qui est en nous. Ce videqui existe physiquement, par lequel peuttransiter la respiration et la nourriture,pour la cabale, il existe au niveau del’esprit. Il y a en l’homme une espèce deconduit qui permet de recevoir l’énergie,la lumière de l’infini par laquelle je reçoisle vivant. Imaginez qu’il y ait un nœuddans ce conduit, à ce moment-là je nepeux pas recevoir et je ne peux pas trans-mettre, je ne suis plus traversé par levivant, donc même si j’apparais commevivant, je suis déjà un être mort.”

Pour illustrer la mort, Marc-AlainOuaknin prend l’exemple concret du lacde Tibériade et de la mer Morte : “Israël,c’est 400 km de long. À l’est, il y a le Jour-dain qui sort de la montagne au nord,arrive en Galilée au lac de Tibériade puiscontinue et se jette dans la mer Morte.Mais de la mer Morte, il n’y a aucun fleuvequi sort. La différence, c’est que le lac deTibériade reçoit le Jourdain, il s’en rem-

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Marc-Alain Ouaknin est né à Paris en 1957, auteurde nombreux ouvrages traduits dans le mondeentier, il a publié entre autres Le Livre brûlé (LeSeuil, 1992), Lire aux éclats (Le Seuil, 1994), LesMystères de l’alphabet (Assouline, 2003), LeMystères des chiffres (Assouline, 2004).

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Une belle surprise attendait les par-ticipants du cours d’été jeunessede la SGF au Centre de Trets.Monsieur Benkaaba, chargé

de cours en cinéma-audiovisuelà la faculté d’Aix-en-Provence, estvenu présenter une conférenceayant pour thème “L’humanis-me de Charlie Chaplin”. Au-delà du personnage mondia-lement célèbre de Charlot s’estrévélé un homme engagé et pro-fondément humaniste. Originaire d’une famille anglaised’artistes de music hall, le jeune Chaplinconnut une enfance très difficile. Sonpère, alcoolique, meurt alors qu’il a 12ans. Sa mère sera internée un an plustard. Dès lors, livré à lui-même, il estaccueilli par une compagnie de cirque,puis une troupe de théâtre burlesqueavec laquelle il traverse l’océan pour lesÉtats-Unis. Là-bas, remarqué par l’indus-trie du cinéma, il devient acteur et le per-sonnage du Vagabond emporte rapide-ment un franc succès. Considérant queles réalisateurs ne lui permettent pas des’exprimer pleinement, il décide de fon-der sa propre compagnie, la UnitedArtists en 1919. The Kidsort en 1921. Si ses premiers filmsrelatent l’histoire du clochard au cœurd’or confronté à des situations pitto-resques face auxquelles il ne renoncejamais, son discours évolue cependant àmesure qu’il prend conscience de sa res-ponsabilité en tant qu’être humain. Avecl’avènement du film parlant en 1927, lacarrière de Chaplin prend un tournant.Alors que l’ensemble des compagniess’empressent d’adopter ce procédé révo-lutionnaire, il réalise en 1931 Les lumièresde la ville dans lequel il tourne le parlanten dérision et continue de s’en tenir à l’artde la pantomime. Dans Les temps modernes (1936),Chaplin critique ouvertement l’avène-ment du Taylorisme et persiste dans sonrefus d’adopter le cinéma parlant qu’ilconsidère comme un instrument demanipulation. La prise de pouvoir du mouvement nazidans l’Allemagne des années 30 suscite

de vives inquiétudes chez le cinéaste quidécide en 1938 de réaliser “Le Dictateur”(1940).Monsieur Benkaaba fit la mise en paral-lèle du Triomphe de la volonté(1934), filmde propagande nazie de Riefensstahl etla scène du discours d’Adenoid Hinkel,caricature à peine nuancée d’Adolf Hitler.La conférence prend fin avec la derniè-re séquence du film où Chaplin se posi-tionne non plus en tant que cinéaste maisen tant qu’être humain. Pris de face enplan rapproché, Chaplin s’adresse à lacaméra et aux citoyens du monde entier.Le spectateur est interpellé par le regardet le discours emprunt de convictionquant à la responsabilité et le devoir dechaque citoyen à se dresser seul face àla dictature.Une salve d’applaudissements chaleu-reux clôturera cette belle soirée qui per-mit à bon nombre d’auditeurs de décou-vrir ou redécouvrir Charlie Chaplin.Cinéaste génial, il aura marqué sonépoque et délivré à l’humanité de pré-cieux et magnifiques messages d’espoirqui demeurent à jamais d’actualité.Mille mercis, Monsieur Benkaaba. n

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L’humanisme de Charlie ChaplinLe 10 septembre 2004, Kamel Benkaaba, chargé de cours à l’universitéd’Aix-en-Provence a donné une conférence sur le parcours du célèbre artiste humaniste Charlie Chaplin.

CONFÉRENCESnDialogue interreligieux à Nantes

Le 24 mars 2004, une table ronde surle dialogue interreligieux s’est tenue auCentre culturel de la SGF à Nantes.Étaient présents : Christiane Noël, chré-tienne qui a fondé le groupe “Dialogue pourla paix” à la Roche-sur-Yon en Vendée,après le 11 septembre 2001 pour dénoncerceux qui avaient commis ces attentats aunom de Dieu ; Slimmane Aït Amou, quifonda à la même époque l’Association fran-co-musulmane de Vendée afin de faireconnaître que le sens du mot “islam” signi-fie “la paix”, et devint co-fondateur du grou-pe “Dialogue pour la paix” avec Christiane.Le quatrième participant, Éric Piard, par-ticipe au goupe “Dialogue pour la Paix” entant que bouddhiste de la Soka Gakkai.Devant une public de 80 personnes lesinterventions de chaque conférencier puisles questions du public se sont succédéesdans une ambiance détendue. “Notre res-ponsabilité de croyants est de mettre auservice du monde l'énergie que nous pro-cure notre foi, de travailler aux liens entrenous, et à poser des actes de paix, de véri-té et de justice qui nous rendent crédiblesaux yeux des autres” a dit Christiane.Selon Slimane la véritable force n’est pasde terrasser un ennemi, mais de maîtrisersa propre colère. Il a aussi cité le ProphèteMohammed qui au retour d’une conquê-te dit à ses compagnons : “Vous revenezd'une petite Jihad,mais vous devez désor-mais aller à la grande Jihad, qui est celleoù il faut combattre son âme, changer cequ'il y a à changer en sois-même”.Au delà du nécessaire dialogue interreli-gieux, la discussion avec le public a aussiporté sur la nécessité de dénoncer ceuxqui détournent la religion de son objet ori-ginel. Slimane a exprimé les difficultés ren-contrées par la communauté musulmanepour exister en tant que communautédans notre société, ce qui oblige à encoreplus d'efforts individuels pour maintenirla qualité de la croyance et du dialogue, etlaisse parfois certains individus démunisface à ceux qui détournent la religion. n

Éric Collias

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Pourquoi ce titre ? Mme Claude Fauquerépond : “La mise en esclavage de plusde vingt millions d’Africains pendantquatre cents ans constitue certainementle plus grand dérangement de l’histoire,dérangement au sens du Grand Déran-gement des Acadiens que les Anglais ontchassés du Canada jusqu’en Louisiane,et nous avons choisi ce nom de dérange-ment parce qu’il nous semblait appropriéà ce phénomène.”

Les débuts de la traite négrière transatlantiqueL’esclavage a toujours existé chez lesÉgyptiens, les Romains, les Grecs… Doncle problème n’est pas l’esclavage, ilconcerne les quatre cents ans au coursdesquels sont liés la traite et l’esclavagedans les économies de plantation. Toutcommence en 1441, lorsque les Portugaisemmènent quelques esclaves d’Afriquechez eux au Portugal. Quatre ans après,à Lagos, il existe déjà le premier marchéaux esclaves. Une Bulle du pape Nicolas V en 1452, quiautorise les Portugais à réduire en escla-vage tout être non chrétien, va servir decouverture au problème économique. Dixans plus tard, le pape suivant émettra unelettre aux évêques de Guinée en qualifiantla traite des Noirs de grand crime et enmenaçant d’excommunication tous ceuxqui la faisaient, mais il ne sera pas écoutécar le système économique s’est emballéen 1492 lorsque Christophe Colomb adécouvert le Nouveau Monde, des terresimmenses à mettre en valeur et pas detravailleurs sur place. Au Portugal et enEspagne, on avait vu combien les Noirstravaillaient bien la terre et résistaient àla chaleur : un premier contingent d’Afri-cains va partir de Séville pour les Antilles,en 1505. Cinq ans plus tard, débutent lespremières “exportations” directes de cequ’on appellera le commerce triangulaire.

Nous portons tous en nous profondémentune image de ce crime contre l’humanité que fut l’esclavage,

source de malaise pour les Blancs, de colère et de haine pour les Noirs. Lors de cette conférence, les deux conférencières, Madame ClaudeFauque et Madame Marie-Josée Thielnous ont présenté le cheminement de ces 400 ans de traite négrière, avecexactitude, honnêteté et objectivité.Nous avons pu ainsi en appréhendertous les aspects les plus concrets, économiques, politiques, éthiques,humanistes, tous les liens du point devue mondial et international ainsi que les conséquences qui en découlent. En voici les grandes lignes.

La naissance d’un livreD’abord ce fut en Afrique où elle cherchaità travailler sur les tissus qu’on a offert àMadame Claude Fauquin un collier deperles en lui disant : “Elles sont belles,elles sont tombées de la lune.” En réalitéelles venaient de Venise, c’était un collierqui servait dans les échanges d’esclaves.Puis au Congo, un vieux monsieur lui amontré un anneau rouillé en lui disant :“C’est là qu’on les attachait avant de par-tir.” Ensuite des rencontres aux États-Unis dans les États du Sud, à Charlestonvisitée du côté blanc et du côté noir avecun guide noir : d’un côté la grande mai-son, de l’autre côté l’arrière. Puis l’océanIndien, à l’Île Maurice, où elle a monté unmusée dans une ancienne usine à sucrealors que tout le monde fermait les yeuxsur la question de l’esclavage. Elle s’estalors rapprochée de l’Unesco, et a com-mencé à travailler avec Madame Marie-Josée Thiel car, localement, elle rencon-trait certaines difficultés pour fairecomprendre qu’on ne pouvait pas conce-

voir un musée sur une ancienne usine àsucre en laissant de côté la vraie histoirede cette usine, du côté blanc et du côténoir. Il fallut beaucoup de diplomatie et lepoids du programme “la route de l’escla-vage” de l’Unesco pour aboutir.À la suite de quoi, dans un souci d’infor-mation vers un large public, elles ontdécidé d’écrire Les routes de l’ esclavage,histoire d’un très grand dérangement.

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Le 3 décembre 2004,

Claude Fauque,

consultante en muséologie

et Marie-Josée Thiel,

ethno-antropologue,

ont donné une conférence

au Centre culturel

Paris-Opéra de la SGF,

sur le problème délicat

de l’esclavage, abordant

plus particulièrement

différents aspects

de la traite négrière.

“L’ESCLAVAGE,LE GRAND DÉRANGEMENT ”

Compte rendu de la conférence en soutien à la Charte de la Terre

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L’Europe s’organise : la traite c’est uni-quement le fait de prendre des gens et deles transporter, mais en amont, il va fal-loir armer des navires, réunir des capi-taux, des hommes, produire des objetsqui vont servir d’échange. En aval, unefois les captifs (devenus esclaves) débar-qués, on va transporter les produits descolonies vers l’Europe et développer toutun système pour les mettre en valeur.

Une énorme hypocrisieLes grands profits ne viennent pas de latraite mais c’est elle qui va permettre àce système capitaliste international defonctionner. Trois grands pays vont sedétacher : l’Angleterre, le Portugal et laFrance, mais la Hollande, le Danemark, laSuède, tous ont été impliqués dans cetteEurope négrière, même la Suisse. Maiscomment des pays de religion chrétienneont-ils pu jouer le jeu ? La justificationsera l’étendard de la religion. JacquesSavary, un négociant marseillais, qui aécrit un traité de commerce, dit en 1675 :“Ce commerce paraît inhumain à ceux quine savent pas que ces pauvres gens sontidolâtres ou mahométans et que les mar-chands chrétiens, en les achetant à leursennemis, les tirent d’un cruel esclavageet leur font trouver dans les îlots où ilssont portés, non seulement une servitudeplus douce, mais même la connaissancedu vrai Dieu et la voie du salut par lesbonnes instructions que leur donnent desprêtres et religieux qui prennent soin deles faire chrétiens, et il y a lieu de croireque sans ces considérations, on ne per-mettrait pas ce commerce.”Bien entendu, dans le même temps, lesreligieux sur place ne pourront jamais niparler, ni instruire les esclaves. Donc

l’esclave, quand il est en Afrique, seraconsidéré comme un homme qu’on vapouvoir instruire.Une fois sur le bateau, il ne s’agit plusd’hommes, mais de marchandises : toutnotre système d’assurance a commencéà fonctionner à cette période. Les archivesde la Lloyd, compagnie d’assurance bienconnue, témoignent : à partir du momentoù ces hommes étaient considérés commedes choses, on pouvait les délester commedes paquets de farine ou de blé lors detempêtes, de poursuites de pirates oud’accident, en s’appuyant sur des contratsqui stipulaient que si la marchandise s’abî-mait, elle était remboursée.

Un système bien rodéLes échanges obéissaient à des tarifica-tions extrêmement précises. L’ étalon estl’homme de 20 à 30 ans avec toutes sesdents, bien fait. Pour avoir deux petitsnégrillons de 5 à 10 ans il faut donner lamême chose que pour un nègre étalon.En plus des tractations elles-mêmes, lesmatières premières sont elles aussi codi-fiées : beaucoup d’étoffes, des coquillagesqui servent de monnaie, des perles et despierres. En outre, il fallait verser les “cou-tumes”, les cadeaux qu’on donnait auxchefs, aux rois, aux seigneurs, auxministres. La rencontre des intérêts euro-péens et africains a été largement facili-tée par la pratique de la traite et de l’escla-vage qui existaient depuis le 6e siècle enAfrique, du nord au sud et d’ouest en est.De fait, concrètement les marchands euro-péens dépendaient en grande partie dubon vouloir des vendeurs africains quimaîtrisaient parfaitement les rouages ducommerce, comme l’indique ce témoi-gnage : “C’est extraordinaire parce que

les nègres organisent eux-mêmes larareté, on manque de marchandise maispourtant on sait qu’il y a des esclaves, ilsdeviennent de plus en plus chers en mêmetemps.”

Le code noirLe code noir a été fait dans l’esprit de LouisXIV et de Louis XV pour protéger lesesclaves en forçant les maîtres à leur assu-rer une vie correcte et à les instruire dansla religion. Mais on ne retiendra que toutce qui va aider à l’asservissement deshommes et au développement économique. Le code noir prévoyait que si un maîtretraitait mal son esclave, ce dernier pou-vait se plaindre aux instances de la ville.Quand on sait qu’ils n’avaient pas le droitde quitter la plantation et qu’ils ne par-laient pas correctement l’anglais ou lefrançais, on voit tout de suite commentla loi pouvait être appliquée.

L’abolition de la traiteDu côté des Blancs, le mouvement aboli-tionniste va s’imposer au 19e siècle, sur-tout en Angleterre et aux États-Unis. Lespays du Sud, la France notamment, serontbeaucoup moins réactifs. Un des moyensva être la demande de suppression de latraite. L’esclavage restait en place, maisil s’agissait néanmoins du début d’un mou-vement de réflexion. Le premier pays à abolir la traite en Europea été le Danemark en 1792. La traite atlan-tique fut abolie par les Anglais en 1807.Maîtresse des mers, l’Angleterre décidade faire appliquer la loi en visitant lesbateaux. C’est l’origine de la création d’unÉtat artificiel en Afrique, une colonieanglaise, la Sierra Leone, où l’on enverrales captifs pris sur ces navires : certes ilsn’auront jamais vu leur destination maisils ne reverront plus jamais non plus lepays d’où ils étaient partis. Du côté des Noirs, dans ce quotidien trèsdifficile, une résistance va s’installer : parexemple, de petits détournements commele fait de ne pas s’appeler entre eux parle nom que le propriétaire avait donné,mais de se donner des sobriquets, se réap-propriant ainsi leur identité. Par ailleurs,peu à peu, la population noire ne va plusavoir de prise directe avec son Afriquenatale et va ressentir le besoin de vivredans ces pays qu’elle est en train deconstruire. Enfin, elle va s’approprier laBible comme une théologie de la libéra-tion. Les recherches actuelles montrentque les abolitions ne sont pas seulement

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le nord, soit au Canada, soit quelquefoisdans les îles où ils vont être affranchis. C’est aussi la naissance du racisme qui aduré jusqu’aux années 60, car les plan-teurs sudistes, écrasés militairement età qui on n’a pas permis de se relever,eurent l’impression d’être trahis par cesNoirs qu’ils trouvaient ingrats et qui pre-naient leur place. Le 13e amendement dela Constitution des États-Unis fut votéseulement en 1865 : il abolissait définiti-vement l’esclavage.

Et après …À la fin du 19e siècle, les États-Unis , lesCaraïbes, l’Europe ne voudront pas aban-donner les plantations qu’ils ont mis envaleur pendant trois siècles. C’est la nais-sance des empires coloniaux qui vontsuccéder à l’esclavage. En Afrique, lesliens commerciaux entre gens de pou-voir Blancs et Noirs vont continuer dansle système colonial, lésant de nouveau lepeuple.

Aujourd’hui que faire ?Claude Fauque répond : “On ne peut pasindéfiniment porter sur nos épaules cettetragédie et faire que nos enfants se sen-tent coupables. On ne peut pas souhaiteraux Africains de cultiver une haine indé-finie dans leur cœur. Il faut d’abord queles Africains écrivent eux-mêmes leurhistoire. C’est extrêmement importantd’aider l’Afrique à oser regarder en face,parce que c’était aussi trop simple de

le fait de Blancs généreux et humanistes,c’est une conquête également du peuplenoir lui-même.

L’abolition de l’esclavageDébut 19e, des mouvements abolition-nistes de l’esclavage vont se développer.En France, la Convention en 1792 déclarel’esclavage aboli. Mais les colons planteursvont refuser catégoriquement. Puis Schoelcher, fils d’un porcelainier qui,après être allé travailler pour l’entreprisefamiliale aux État-Unis, était devenudéputé de la Martinique pour défendre lesNoirs, va profiter du désarroi de la révo-lution de 48 pour faire voter, par le gou-vernement provisoire, l’abolition de l’escla-vage dans les colonies françaises.L’Angleterre l’avait fait dix ans plut tôt. Ledernier pays sera le Brésil en 1888. Aux États-Unis, il fallut une guerre civilecar le Sud, profondément agricole, quientretenait des relations paternalistesavec ses esclaves, parlant d’eux commede grands enfants, ne comprit pas la révo-lution industrielle qui frémissait au norddu pays et qui fit prendre conscience qu’ilétait plus rentable de payer les gens pourfaire quelque chose que de les y obliger.Les abolitionnistes n’avaient pas que desvisées économiques, mais les idées vontse propager grâce au développementindustriel. Et pendant une vingtained’années “l’underground railroad” (laroute souterraine) va permettre aux Noirsde s’échapper et d’être amenés, soit dans

rejeter complètement le Blanc. Et il fautqu’ici, on se dise que quelque chose està reconstruire. Marie Josée parlait de la loi de ChristianeTaubira, maintenant encore faut-il qu’ellesoit appliquée parce que devant l’énor-mité des cataclysmes que tous cessiècles ont déclenchés, il faut savoirreconstruire ensemble. Je lisais tout àl’heure un article d’Edgar Morin, le grandsociologue actuel qui, à 80 ans, arrivemaintenant à découvrir que nous devonsconstruire tous ensemble, dans ce mon-dialisme dont on parle, une éthique pla-nétaire qui soit dominée par l’amour —or c’est un agnostique — et que la seulefaçon de résister à la barbarie humaine,c’est tous ensemble, côte à côte, deconstruire avec tout ça, parfois la fautede l’un ou la faute de l’autre, en essayantd’être lucide .”

QUESTIONS-RÉPONSESAu moment de la Révolution française,des Noirs sont arrivés en France avecles coloniaux. J’ai l’impression qu’on neraconte jamais leur histoire. Le chevalier de Saint-Georges n’était passeulement le maître de musique de Marie-Antoinette, c’est celui qui a constitué lepremier bataillon de révolutionnaires poursauvegarder la patrie contre les aristo-crates qui essayaient de revenir. On vientseulement cette année de nommer unerue “Chevalier Saint-Georges” à Paris.

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C’était un homme d’une qualité, d’unhumanisme extraordinaire, connu jusqu’enRussie comme ayant créé des orchestresde musique. On l’appelait le Mozart noir.Il était bel homme, c’était un bretteurextraordinaire, mais en 1804, année durétablissement de l’esclavage par Napo-léon, on va mettre une chape de plombsur sa mémoire comme sur celle de biend’autres, le père d’Alexandre Dumas parexemple et aussi des gens moins connus.Les archives s’ouvrent peu à peu et vontpermettre de raconter leur histoire.

Je viens du Tchad où les enfants desesclaves n’arrivent pas à accepter ce fait.Comment la paix pourra-t-elle s’insti-tuer avec cette situation ? L’Afrique est déjà en train d’écrire son his-toire depuis longtemps. C’est à partir desources africaines que nous avons pu fairenotre ouvrage et que les chercheurs dumonde entier qui travaillent sur ce thèmepeuvent écrire. Des représentants afri-cains affirment qu’il faut reprendre le dia-logue avec les gens : “En filigrane undevoir de mémoire inclut que dans chaquerégion de l’Afrique, et au niveau du conti-nent africain, un exercice du type dialoguevérité et réconciliation ait lieu, exerciceincontournable pour ce que je n’hésite-rai pas à appeler notre santé historique,et auquel nous invitent du reste nos tra-ditions si peu comprises, exercice aussidont notre histoire fourmille d’exemples.”(Son Excellence, l’Ambassadeur du Béninà l’Unesco). Et Monsieur Doudou Dien,directeur de la division, qui vient du Séné-gal : “Au 20e siècle, il s’agit de faire che-miner ensemble l’Europe, l’Afrique, l’Amé-rique et les Antilles pour se retourner surun passé qui puisse constituer la based’un futur commun, assumer ensemble

une tragédie pour, en toute connaissancede cause, en fertiliser les conséquencesdans l’esprit de la culture de la paix.” n

La route de l’esclaveC’est sur proposition de Haïti et des paysafricains que la Conférence générale del’Unesco a approuvé lors de sa vingt-sep-tième session, en 1993, la mise en œuvredu projet "La route de l’esclave". Depuis le lancement de ce projet, en 1994,le Comité scientifique international a tenuquatre sessions statutaires et deux ses-sions informelles :1. Ouidah, Bénin, 6-8 septembre 1994 (lan-cement du projet),2. Matanzas, Cuba, 4-6 décembre 1995(définition des activités prioritaires),3. Cabinda, Angola, 6-8 novembre 1996(mise en place des réseaux d’institutionset de recherches chargés de la mise enœuvre du projet),4. Lisbonne, Portugal, 11-12 décembre 1998(examen de la mise en œuvre du projet eten particulier la nature des réseaux et laquestion des fondements idéologiques etjuridiques de l’esclavage et de la traitenégrière),5. Palerme, Italie, 21-23 septembre 20006. Rio de Janeiro, Brésil, 17-21 décembre2001. Le Comité scientifique internatio-nal travaille en étroite collaboration avecle Secrétariat du projet à l’Unesco. 2 décembre 2004 : journée internatio-nale pour l’abolition de l’esclavage et clô-ture de l’Année internationale de com-mémoration de la lutte contre l’esclavageet de son abolition.La loi Christiane Taubira, votée en Francele 10 mai 2001, déclare l’esclavage crimecontre l’humanité. À ce jour, c’est le seulpays qui a promulgué cette loi dans lemonde, et elle est très peu connue. Elle a

également un agenda et pour l’appliqueril faut qu’elle soit connue. L’agenda comporte entre autres : le faitque les programmes scolaires et les pro-grammes de recherche en Histoire et enSciences humaines accordent à la traitenégrière et à l’esclavage la place consé-quente qu’ils méritent.Il prévoit également une requête enreconnaissance de la traite négrière trans-atlantique ainsi que de la traite dansl’océan Indien et de l’esclavage commecrime contre l’humanité auprès du Conseilde l’Europe, des organisations interna-tionales et de l’Organisation des Nationsunies. Enfin, il évoque la recherche d’unedate commune au plan international pourcommémorer l’abolition de la traitenégrière et de l’esclavage, sans préjudicedes dates commémoratives propres àchacun des départements d’Outre-mer.n

Claude Fauque, après une carrière dejournaliste, se consacremaintenant principale-ment à l’édition et auxévénements culturels. Ellea publié une vingtaine

d’ouvrages sur les textiles ou le tou-risme, dont le livre Provence, la mémoiredes matières, en 2003. Elle est expertauprès de l’Institut européen des iti-néraires culturels, et chargée de courssur l’histoire du textile. Parallèlement,consultante en muséologie, ClaudeFauque a collaboré à la création d’unécomusée à l’île Maurice.

Marie-Josée Thiel est ethno-anthro-pologue, spécialiste deprogrammes à l’Unescodepuis 1981. Elle a été pen-dant plusieurs annéesrédactrice en chef de la

revue Museum tout en ayant en chargele développement de la restaurationet de la conservation du patrimoineculturel mondial en partenariat avecIcomos, conseil international des siteset monuments. Elle a travaillé enétroite collaborations avec différentsorganismes universitaires dans lemonde, et depuis 2001 elle œuvre pourla création d’un institut internationalpour le dialogue interculturel et la paix.Enfin Marie-Josée Thiel est chargéed’un projet lié au programme de “Laroute de l’esclave” dans l’océan Indien.

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Cet événement réunissait des prati-quants de différentes confessions:Alexandra Berghino, membre de lacommunauté juive, historienne et

psychanalyste ; Marie-Laure Denès,membre de la congrégation des Domi-nicaines, secrétaire nationale de “Justiceet Paix-France” ; Hassan Ferechtian,Iranien musulman du courant chiite, doc-teur en droit et en théologie, auteur delivres sur le droit islamique et l’Islam ;Tenzin Kunchap, ancien moine du boud-dhisme tibétain, qui a témoigné par seslivres de sa vie et de ses combats au Tibet;Gilbert Presle, pasteur évangélique,membre du Conseil national de laFédération évangélique de France etMarie-Lise Rescoussié, pratiquante dubouddhisme de Nichiren Daishonin établisur la tradition du Sûtra du Lotus, direc-trice d’école maternelle. Les intervenants se sont notament expri-més sur le rôle de la spiritualité pour

contribuer à la paix et sur l’importancedu dialogue, facteur de respect mutuel.Ce colloque est le quatrième d’une sériede colloques annuels commencée en2001 ayant pour thème “D’une volontéde paix vers une culture de paix”.

Publication des actes du colloqueDe même que le colloque interreligieuxde 2002 “Religion, paix et non-violence”,les actes de ce colloque ont été publiésà L’Harmattan sous la direction de Lau-rent Dervieu qui travailla à l’organisationde cet événement. Dans ce livre les débats sont rassemblésautour de questions liées à l’éducation :La paix est-elle une utopie ? Comment laparole ou le message de Dieu pourraitréconcilier celui qui ne doute pas aveccelui qui doute ? Les hommes ont-ils lacapacité de s’ouvrir à la paix sur la basedu dialogue et de l’éducation ? Comment

développer humanisme et solidarité ? Undialogue entre des personnes aux fortesconvictions permettra-t-il de vaincrel’intolérance ? L’éducation, notammentreligieuse, peut-elle conduire à la com-préhension et la coopération ? (Vers une éducation à la paix, L’Harmat-tan, 2006. 88 pages. 11 euros) n

De gauche à droite : Marie-lise Rescoussié, Gilbert Pesle, Hassan Ferechtian,Alexandra Berghino, Marie-laure Denès, Tenzin Kunchap et Caroline Julliard (modératrice), le 20 novembre, au Centre Paris-Opéra de la SGF.

Le 20 novembre 2004, le Centre culturel de la Soka Gakkai France à Paris aaccueilli un colloque interreligieux sur le thème “Vers une éducation à la paix”dont les actes ont été publiés.

COLLOQUE INTERRELIGIEUX

Vers une éducation à la paix

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n Exposition à NantesLes 1er, 2 et 3 octobre 2004, eut lieu àNantes une présentation de la Charte dela Terre à un festival d’écologie. Seméesen novembre 2003 lors d’une expositionau Centre culturel de la SGF à Nantes, “LesGraines du changement” ont germé cetautomne : ce fut un grand succès.Grâce à une collégienne qui fit visiterl’exposition “Les Graines du changement:la Charte de la Terre et le potentielhumain”à l’une de ses amies l’an dernier,et qui à son tour la fit découvrir à sa mère,nous fûmes invités par l’associationHumus 44 (dont la maman en question estprésidente) à participer au festival d’éco-logie que cette association organisait à lamaison de quartier de Doulon à Nantes.Le 1er octobre, le film Une révolution tran-quille fut projeté en soirée d’ouverture,précédé d’une présentation de la Chartede la Terre par Yves Constantin, membrede la SGF engagé dans l’éducation à l’envi-ronnement, devant un public d’une cen-taine de personnes comprenant des élusde la ville de Nantes, du département etde la région Pays-de-Loire, ainsi que dereprésentants d’associations, tous impli-qués dans l’écologie et le développementdurable.Durant les deux jours du festival qui s’ensui-vit, les 2 et 3 octobre 2004, une vingtaine demembres de la SGF assumèrent la tenue d’un

stand faisant la promotion de la Charte de laTerre et diffusant une copie de la Charte, ainsiqu’une plaquette qui synthétise le thème del’exposition Les Graines du changement etcomporte un extrait de la proposition deDaisaku Ikeda : “Le défi d’un mondialisme àvisage humain : une éducation pour un ave-nir durable” (proposition présentée à l’occa-sion de l’inauguration du Sommet mondialpour un développement durable à Johan-nesburg, le 26 août 2002). Le film Une révo-lution tranquille fut projeté en boucle.Mais ce furent les mille sacs (en tulle multi-colore) de graines “du changement” prépa-rés parfois jusque tard dans la nuit par uneéquipe de membres nantais, accompagnésdu logo de l’exposition ainsi que d’un encou-ragement de Gandhi (“Incarnez le change-ment que vous souhaitez voir apparaîtrechez les autres”) qui touchèrent le plus lecœur des visiteurs à qui ils furent offerts. La chorale Magnolia s’est produite le

dimanche 3 octobre pour sa première pres-tation au sein de la société, et a été bissée,au point de motiver des spectateurs à vou-loir en faire partie. Durant ces deux jours, un équipe de jeunesmamans et une artiste marionnettiste ontanimé un atelier pour les enfants, une autreéquipe a participé à la buvette ainsi qu’austand de troc de plantes, et c’est en tout qua-rante-cinq membres de notre région qui ontparticipé à ce festival, chacun l’ayant vécucomme une expérience très positive. Nousavons eu un contact direct avec environ millepersonnes au cours de ce festival.De son côté, la présidente d’Humus 44, NoëllePons, est venue nous remercier très chaleu-reusement pour notre participation, à l’issuede notre réunion de bilan au Centre culturelde Nantes le 9 octobre. Nous avons évoquéde nouvelles perspectives pour soutenir ladécennie d’éducation au développementdurable qui démarre en janvier 2005.Cette victoire est aussi celle de MartinePradel, dont la contribution à l’équipe des“Graines du changement” a été détermi-nante, notamment pour les activités desti-nées à permettre l’implication des plus jeunesdurant l’exposition de 2003, et qui malheu-reusement est brutalement décédée peu detemps avant la tenue de ce festival.n

Éric Collias, pour l’équipe des “Graines du changement”

n Concerts à ParisLe 20 juin 2004,succès pour la chorale Soleil, présentée par l’association Rétina (quicollecte des fonds consacrés à la recherche sur les problèmes de vue). La chorale Soleil,chorale des femmes de la SGF (qui participe depuis plusieurs années à des manifesta-tions avec Rétina France), a chanté devant 800 spectateurs en avant-première de laFête de la musique, dans la grande salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris avec plu-sieurs autres chorales, réunies sous le label À cœurVoix. n

n ConférencesLe 25 juin 2004, Nina Okagbue, ana-lyste en santé qui travaille en Afriquepour une banque de développement adonné une conférence au Centre cultu-rel de la SGF à Paris sur le thème du“Développement pour la paix”.Le 29 octobre, Jean-Paul Jennequin,traducteur, scénariste et spécialiste dela bande dessinée a parlé de “L’auteurde manga Osamu Tezuka, un combattantpour la paix”. n

ÉVENEMENTS CULTURELS ET CONFÉRENCES

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La France face au pluralisme religieux et l’Europe

Le lundi 14 mars 2005, s’est tenueau Centre culturel Opéra de la SGF, à l’initiative de l’Institut de philosophie orientale, une conférence de Bruno Étiennesur le thème : “La France face aupluralisme religieux et l’Europe”.

Professeur de sciences politiques etdirecteur de l’Observatoire du reli-gieux à l’Institut d’Études Politiquesd’Aix-en-Provence, Bruno Étienne,

outre son travail sur l’Islam, aborde depuisun certain nombre d’année la thématiquesectaire notamment dans son ouvrageLa France face aux sectes (Hachette lit-térature, 2002). Pour comprendre, nousexplique-t-il, cette obsession françaisede la chasse aux sectes, peu compré-hensible pour le reste de l’Europe, il fautla replacer dans une perspective histo-rique plus large, remontant bien avant lepremier rapport parlementaire. Il faut eneffet mettre en parallèle ce combat avecla construction du territoire. En effet, laFrance s’est bâtie en éliminant les péri-phéries religieuses et culturelles. Avecl’Édit de Villers-Cotterêts (août 1539), parexemple, il s’agit de mettre au pas lesminorités et d’imposer la langue françai-se comme langue officielle. Plus tard, laRévolution française voit le triomphe ducentralisme jacobin au détriment des par-ticularismes régionaux. Petit à petit, avec la République triom-phante, la culture dominante correspondavec la langue du culte catholique, end’autres termes la culture française et lareligion catholique s’harmonisent. Bienque sérieusement attaquée par la loi de1905, l’Église se rallie d’ailleurs à cetteRépublique au lendemain de la PremièreGuerre mondiale. Avec la vague de déco-lonisation, la France se trouve confron-tée à une arrivée importante d’immigrésentre 1973 et 1983. Une demande de plu-ralité apparaît alors, d’autant plus qu’uncertain nombre de textes européens laconforte. Or face à cela, l’État françaiscontinue de se reposer sur les lois de 1901et de 1905. La réponse du législateur à

cette demande de pluralité est un rapportparlementaire (Vivien 1983) qui ne défi-nit jamais ce qu’est une religion, mais endéfinit les “bonnes” et les “mauvaises”.Des groupes n’ayant aucun rapport entreeux s’y trouvent ainsi amalgamés. Or, mal-gré une idée largement répandue (notam-ment parmi de nombreux élus), ce texte

et ceux qui suivent n’ont en aucun cas devaleur législative. La loi Picard de 2001reprend les mêmes travers en voulantcombattre ce qu’elle ne définit jamais : lessectes. Le problème français peut doncêtre aisément résumé dans le décalageexistant entre la sociologie qui étudie lefait religieux et le domaine politique. La situation dans le reste de l’Europe estsensiblement différente. Globalement, laquasi-totalité des États fonctionne avecla pratique des cultes ou confessionsreconnus. Même lorsqu’il existe une reli-gion hégémonique, l’État reconnaît uncertain nombre de groupes religieuxcomme confessions. Dans ce cas, ce n’estpas le contenu idéologique qui comptemais la fonction sociale de ce groupe. Auniveau européen, il n’y a donc aucune dif-férence entre les principes de la loi fran-çaise de 1901 (organisation des cultes ausein de la République), organisations cul-turelles et associations n’ayant pas unstatut différent.

Pour approfondir ces questions, on pour-ra par exemple consulter l’ouvrage deBruno Étienne à paraître : Heureuxcomme Dieu en France : La Républiqueface aux religions, Bayard). n

CONFÉRENCE

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La deuxième s’appelle Judith. Elle appar-tient à la quatrième génération. Dès 12 ans,elle s’est mise à grossir inconsidérément,alors que ses frères et sœurs paraissaientnormaux.

Ce cas a permis à Alexandra de se rendrecompte que le temps intérieur n’était paslinéaire. Non seulement Judith n’avait pas étédéportée, mais elle était trop jeune pour savoirce qui s’était passé. Néanmoins, son corpsavait réagi, poussé un cri, expulsé un incons-cient familial. Cette masse corporelle repré-sentait exactement l’inverse des gens qui ontsurvécu.

La troisième se prénomme Hélène. Ellea été cachée à 1 an et demi, dans une cave:elle a vécu trois ans dans l’obscurité. De cefait, elle a contracté la phobie du noir. Unephobie qui n’est que le symptôme d’un syn-drome du divorce entre le corps et l’esprit.

Concrètement, il en ressort que ces troispersonnes ont été marquées dans leur chair,au point de devoir réapprendre à vivre, réap-prendre à dénouer les nœuds des muscleset des nerfs, avant de pouvoir ouvrir labouche.

Le but de la psychanalyste était juste-ment d’ouvrir notre esprit et de nous pous-ser à prendre la parole, d’où le débat qui asuivi.

Fonction cathartique de la parole :À la suite de deux intervenants, Alexandrarevient sur la notion de trauma et sa concep-tion humaniste de la psychanalyse. Certes,il ne s’agit pas pour elle de minimiser laShoah et les faits. Toutefois, elle entend don-ner à son art thérapeutique une portée uni-verselle.

Cela ne signifie pas non plus pour ellerenier ses affects ou passer sous silence sespropres souvenirs. Non, elle cherche à incar-ner son savoir.

Aussi nous parle-t-elle de son père, unJuif allemand, membre d’une famille bour-geoise, obligé de s’enfuir en Italie et de seréfugier chez les jésuites à Turin.

Alexandra Berghino posed’emblée une démarcheinductive: elle part de cas de patients pour en dégager des lignes

de force, afin d’engager le débat et susciter notre réflexion, faire résonnerle silence.

Ces patients incarnent des situations diffé-rentes et plusieurs générations.

Son savoir d’analyste lui a fourni deuxpoints d’appui sur lesquels elle insiste avantd’exposer plus amplement les “cas” de cesvictimes de la Shoah.

D’une part, elle souligne l’importance dela lecture et des références culturelles commecelles de L’Enfer de Dante ou Lantzmann.D’autre part, elle met l’accent sur la formepoétique, point commun de ces lectures.Son credo est le suivant : “Ce n’est que parune forme poétique que l’on peut cueillir ladouleur.”

En effet, la douleur ne se présente pascomme un bloc homogène. Chaque trauma-tisme déclenche une réaction particulière,spécifique à chaque individu.

Alexandra Berghino explique qu’elle avoulu se servir de son expérience de psycha-nalyste et de son histoire personnelle poursoigner ses patients, qu’ils soient juifs ounon.

Pour elle, la Shoah nous concerne touscar elle a marqué une rupture décisive dansl’histoire des hommes, un avant et un aprèsd’une violence indicible : “ Il n’y a que deshistoires d’hommes, pas de petite ou degrande histoire”.

Les enfants de la Shoah, qui sont-ils?Pour eux, le silence n’est pas d’or. Le silenceles emprisonne encore. Chacun a été unenfant caché ou un être qui a dû cacher sapropre existence.

La première personne citée s’appelleEdmond. Il a été caché à l’âge de 8 ans dansune maison de redressement pour jeunes

Le 28 avril 2005,

Alexandra Berghino,

historienne et psychanalyste

a donné au Centre culturel

Paris-Opéra de la SGF

une conférence sur les enfants

de la Shoah et la difficulté

d’exprimer l’innommable.

LA TRANSMISSION SILENCIEUSE

DE LA DOULEURCompte rendu de la conférence en soutien à la Charte de la Terre

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délinquants, afin d’échapper aux camps deconcentration. Il est venu faire une analysetrès tard, sans parler directement de lui-même. Contrairement à son attente, cequ’Alexandra Berghino appelle “la jouissancede l’attente” en psychanalyse, c’est-à-direses propres idées reçues, le patient procèdepar ellipses, par non-dits et périphrases,comme si chaque traumatisé produisait sapropre stratégie de l’évitement.

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Plus tard, son père n’a pu lui parler desa jeunesse douloureuse. Il a seulement pului écrire des poèmes pour tenter d’esquis-ser le dialogue avec l’adolescente éprise devérité qu’elle était. Son père, dit-elle, lui alégué l’épaisseur du silence, l’épaisseur dutemps, en somme une durée psychologique.

Une épaisseur à découdre, à recoudre?De son père, elle a appris la vertu du langagepoétique, le seul capable de cerner le noyaude l’être, le seul capable d’envelopper“l’ossature psychique” (le moi profond) miseà mal par les nazis, ces ennemis du pourquoi.Elle nous rappelle que ceux-ci interdisaienttout questionnement, toute interrogation surle devenir de l’humanité. Chaque prisonnierdevait se taire et accepter l’inacceptable.

Elle en a eu la confirmation lors du sui-cide de son ami Primo Levi. Celui-ci n’arrivaitplus à écrire. Les souvenirs de la déportationl’étouffaient. Soudain impuissant face à sadouleur muette, il s’est jeté dans le vide d’unescalier, sans doute pour éviter la folie quile menaçait.

Rien n’est par conséquent gagné. Ladensité, la qualité du silence, l’absence dedéfenses de l’individu déterminent la psy-chose: un temps peut sauter une génération.On ne sait pas pourquoi, comme l’exemplede Judith l’illustre.

S’il y a des douleurs qu’on ne peut pasréélaborer comme la Shoah, il s’agit de nepas les taire, sinon il n’y a plus d’issue. Et lesilence se referme à jamais sur le mutilé.

À son avis, l’analyse peut donner unespoir à celui qui a subi un tel choc. Celanécessite une écoute extraordinaire car lepsychanalyste est sommé de donner le

meilleur de lui-même dans cette séance com-parable à un exercice d’équilibristes à deux.

Reste le problème de la culpabilitéqu’on ne peut pas éluder. Pour la psychana-

lyste, il nous concerne tous, Juifs ou non,parce que nous sommes des êtres humainset qu’à tout moment nous pouvons choisirla voie du Bien ou du Mal.

Or le mérite d’Alexandra Borghino estde nous faire partager sa vision humanistede l’Histoire. Chacun, à notre manière, nouspouvons peut-être aider notre prochain àfaire sa révolution humaine, pour reprendreune expression de la Sokka Gakai.

L’angoisse, poursuit-elle, c’est tout sim-plement la peur de la vie. Après tous ces casexposés, il en ressort pour nous, individusd’une modernité souvent réductrice, une invi-tation à l’action, puisqu’au fond, ajoute-t-elle, “c’est plus facile de se réfugier dans sapropre mort”.

Pour nous autres, bouddhistes, il s’agitsûrement de ne pas se replier sur soi-mêmeet de participer à la vie cosmique, cet état deVie qui transcende la dualité occidentaleentre vie et mort, afin d’atteindre un jourl’Éveil. n

Fabienne Leloup

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n L’éducation spécialiséeLe vendredi 20 mai 2005, au Centre cultu-rel de la SGF à Paris, le groupe des éduca-teurs de la SGF invitait M. Saburo Shochipour une conférence sur le thème de l’édu-cation spécialisée. Originaire de la ville deFukuoka au sud de l’archipel japonais,M. Shochi, qui fêtera ses 99 ans en août pro-chain, est le fondateur d’une école spécia-lisée qui accueille des enfants atteints detroubles psychomoteurs.

Il a eu trois enfants, dont deux garçonsatteints de poliomyélite dès l’âge de un an.Souffrant de les voir mal intégrés, voire reje-tés par l’école traditionnelle, M. Shochi afondé sa propre école en 1954. À cette date,il est déjà instituteur à l’école primairedepuis près de trente ans. Cette expérience

lui permet de développer sa propre théorieet d’élaborer des outils pédagogiques (lapremière édition de son manuel s’est ven-due à plus de un million d’exemplaires en1954 et il a construit environ 5 000 objetséducatifs).Les dix points de sa théorie sont : 1) stimu-ler, 2) intéresser, 3) ne pas gronder, 4) féli-citer, 5) donner confiance, 6) anticiper, 7)diversifier, 8) se concentrer, 9) agirensemble, 10) créer un contact physique.M. Saburo Shochi a reçu le prix Pestalozzien 1956. Il est titulaire de doctorats enmédecine, philosophie, littérature et édu-cation. Il a reçu des distinctions universi-taires de la République populaire de Chine,de la Corée du Sud et du Japon.En avril 2005, il a commencé une tournéemondiale qui l’a mené dans diverses villeset universités aux États-Unis, en Asie et enEurope (Grande-Bretagne, Suède, France,Italie).C’est ainsi qu’il s’efforce de partager sa pas-sion de l’éducation en invitant son auditoireà pratiquer des exercices d’assouplisse-ment au bâton ou en expliquant que pourrester en bonne santé il faut mastiquer30 fois par jour. Toujours alerte et vif,M.Saburo Shochi a commencé à apprendrela langue chinoise à l’âge de 95 ans ! n

Le 27 mai 2005, conférence sur Haïti et la lit-térature par Yves Chemla au Centre culturelde la SGF à Paris.

Le 19 juin 2005, concert classique del’orchestre de la SGF Fleurs de la Culture auCentre culturel de la SGF à Paris.

Le 24 et 25 septembre 2005, exposition surla Charte de la Terre et le développementdurable, présentation du film Une révolutiontranquille ainsi que l’exposition “Dessinsd’enfants du monde” au festival d’écologie del’association Humus 44 à Saint-Herblain.

Le 20 mars 2005, conférence sur “L’éduca-tion, source de paix” au Centre culturel euro-péen de la SGI à Trets avec Louis Basco, ensei-gnant à l’université et Tsutomu Takashima,universitaire spécialisé dans l’histoire de laguerre.

Le 21 juin 2005, les chorales de la SGF, Soleilet Phœnix, participent pour la première fois àla fête de la musique au kiosque à musiquedu jardin des Champs-Élysées (ci-dessus).

Le 19 mars 2005, les chorales Soleil et Clairde Lune (ci-contre) et l’orchestre Fleurs de laCulture de la SGF, se sont produites, dans lecadre de Mille chœurs pour un regard, au pro-fit de Rétina-France, association pour larecherche des maladies de la vue à l’égliseluthérienne de la Rédemption, Paris 9e.

CONFÉRENCES ET ÉVENEMENTS CULTURELS

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de l’écrivain), “prophète” des coopératives.Jean-Pierre Beluze, disciple de Cabet(2), lui,fonde un parti politique coopérativiste, en1868. Dans un appel aux démocrates, ildéclare: “Qu’est-ce que le système coopé-ratif ? C’est l’alliance du principe libéralavec le principe de solidarité. C’est l’initia-tive individuelle renforcée par la puissancede la collectivité. Les travailleurs repoussentl’intervention de l’État. À vrai dire, ils ne veu-lent d’aucun patronage, ils veulent amélio-rer eux-mêmes, par leurs propres efforts, leursituation. Mais se sentant faibles dans leurisolement, ils se groupent, ils s’associentpour le crédit, la consommation, la produc-tion et l’assistance mutuelle. Ils ne deman-dent au pouvoir politique qu’une seulechose, la suppression des entraves qui lesgênent, rien de plus, rien de moins.” Il fait,ici, allusion à l’entrave aux initiatives soli-daires, sanctionnées d’emprisonnement pourdélit de coalition par la loi Le Chapelierjusqu’en 1864.

Les courants de penséeCette invention de l’économie sociale est lefruit à la fois des acteurs de la classe ouvrièreet du mouvement des idées. La plupart desthéoriciens se trouvaient aussi acteurs parla mise en pratique de leurs idées. Troissources doctrinales s’imposent. • Une source libérale, incarnée par les éco-nomistes Dunoyer, Paul Leroy-Beaulieu(3),Jean-Baptiste Say (4). Pour eux l’économiesociale se définit comme une économie libé-rale tempérée par des chapitres sociaux (plusproche de l’économie sociale de marché). • Le christianisme social avec Le Play (5)

(catholique) et Charles Gide (protestant). Àla fin du 19e siècle (1891) se dessine une pen-sée sociale de l’Église catholique à traversdes encycliques sociales. Pensée influencéepar ceux qui se sont engagés dans les mou-vements syndicalistes et coopératifs. Onretrouve une même préoccupation du sortde la classe ouvrière dans la revue protes-tante Christianisme social. De nos jours sub-

L’économie sociale relève de plusieurs courants de pensée, porteurs d’une éthique chère àMaurice Parodi, lui-même

de tradition catholique et socialiste.L’expression “économie sociale”remonte à deux siècles, mais les formesd’organisation, d’activités humainesqui prétendaient concilier économiqueet social n’ont pas cessé de se développer depuis le début du 19e siècle. Par “social” on peut entendresolidarité, égalité des chances,éthique… Coopératives, mutuelles et associations gestionnaires–composantes de l’économie sociale–,s’avèrent fortement instituées et structurées. Il existe des unions, des fédérations départementales,régionales, nationales voire internationales. Le commerce équitable constitue une innovationsociale dans le champ général de l’économie solidaire.

Un mouvement ouvrierLes premières formes d’économie socialeremontent vers 1830, en Angleterre et enFrance. Cette invention du 19e siècle naît enréaction contre le capitalisme industriel, nonrégulé, non réglementé, générateur de condi-tions misérables dans la classe ouvrière. Lescréateurs de coopératives voulaient per-mettre aux ouvriers d’accéder à des biens deconsommation de première nécessité: lait,farine, pain. Des associations populaires,ancêtres des scoops (société coopérativeouvrière de production) rassemblaient desmétiers qualifiés qui à travers le compa-gnonnage pratiquaient un travail réglementé,interdit par la loi Le Chapelier(1).Les premières associations ouvrières secréent d’abord à Paris autour des anciens“Compagnons” puis dans l’Ouest de laFrance, unissant les boulangeries et les meu-neries, afin de proposer un pain de qualité à

Le 28 mai 2005,

Maurice PARODI,

professeur émérite

de l’université

de la Méditerranée

et Président du Collège

coopératif Provence-

Alpes-Méditerranée,

a donné une conférence

au Centre culturel

européen de Trets.

ÉCONOMIE& SOLIDARITÉSONT-ELLES COMPATIBLES?Coopératives, mutuelles, associations, commerce équitable

Compte rendu de la conférence en soutien de la Charte de la Terre

un meilleur prix. Apparaissent aussi lescoopératives de crédit et les sociétés desecours mutuel, répondant à des besoins desolidarité élémentaire, comme enterrer sesparents et accéder aux soins. Parmi les économistes porteurs de cesconceptions, on trouve Charles Gide, (oncle

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sistent encore à travers les partis démocrateschrétiens la notion de bien commun et le prin-cipe de subsidiarité .•Une source socialiste, de courant “utopique”,avec Fourier(6), Cabet, Leroux, Enfantin, JeanneDeroin, jusqu’à Beluze, Louis Blanc, MarcelMoss (théoricien du don et du contre-don),Proudhon… Il s’agit d’un “socialisme d’ensei-gnement” qui entend contrer la tendance natu-relle à l’égoïsme par l’éducation pour créerune société plus fraternelle.

Les principes fondateursLe mouvement d’origine ouvrière va rebon-dir dans le milieu agricole qui se trouve enconcurrence avec les produits importés despays neufs (Russie, État-Unis, Argentine).Mais au contraire des ouvriers, les paysansvont se regrouper avec l’appui des pouvoirspublics, notamment le ministre Méline quiva aider à créer les premières coopérativesde crédit et d’agriculture. En fait, la coopé-ration est la fille de la nécessité. Des groupessociaux menacés dans leur vie, leur déve-loppement voulaient sauver ou développerune série d’activités (consommation, crédit,santé, production, logement…). La questionétait d’accéder au marché en devenant dis-tributeurs ou producteurs, de biens ou deservices, mais avec des règles inventées etune volonté d’autonomie à l’égard de l’État. Cela explique une série de principes spéci-fiques, que l’on retrouve dans le mondeentier. D’abord le principe de libre adhésion(libre entrée, libre sortie), qui préserve l’auto-nomie. Ensuite, le principe de gestion démo-cratique (une personne, une voix), qui va à

l’encontre du pouvoir des actionnaires majo-ritaires dans les sociétés anonymes de droitcommun. Également, le principe de lucrati-vité limitée ou de non-lucrativité, qui impliquele réinvestissement des bénéfices pour ledéveloppement de l’association. Pour lesassociations, il y a interdiction de répartitiondes bénéfices alors que pour les mutuelles,il peut y avoir redistribution indirecte desexcédents, par exemple en baissant le tarifdes cotisations. Les coopératives, quant àelles, répartissent l’excédent au prorata del’activité des membres. Ce principe induit uncomportement responsable de chacun.Déterminant aussi, le principe d’inter-coopé-ration, de régulation de la concurrence, quidevrait exclure les associations avides de sejeter sur les parts de marché et de mangerles associations voisines. Enfin, le principed’éducation coopérative des membres, quiconsidère nécessaire d’éduquer les mana-gers, les salariés et les adhérents.Ces grands principes ont été réactualisés.En 1980, une Charte de l’économie socialeénonce, par exemple, dans son article 3 :“Tous les sociétaires étant au même titre pro-priétaires des moyens de production, lesentreprises de l’économie sociale s’effor-cent de créer, dans les relations socialesinternes, des liens nouveaux par une actionpermanente de formation et d’information,dans la confiance réciproque.” L’article 4précise : “Les entreprises de l’économiesociale revendiquent l’égalité des chancespour chacune d’elles, affirment leur droit audéveloppement dans le respect de leur totaleliberté d’action.”

Aujourd’hui l’économie sociale représenteune pensée renouvelée et un secteur d’acti-vités clairement voulu par ses acteurs, auniveau régional, national, européen. Il vabientôt exister un statut européen des asso-ciations, et les mutuelles s’y attèlent aussidepuis quelques temps.

Un poids économiquePour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur:10 % des salariés à temps complet appar-tiennent à ce secteur économique. Depuisces dernières années, malgré la récession,ce secteur associatif s’avère le plus créateurd’emplois.Les banques coopératives (crédits mutuels,caisses d’épargne, crédits coopératifs, banquespopulaires) représentent 56% des dépôts,38 % des encours de crédit, dont 55 % descrédits à l’habitat et 50% des crédits d’équi-pement pour les entreprises. La mutualité française couvre 36 millions depersonnes, ce qui représente 62% des assu-rés disposant d’une assurance complémen-taire. Les coopératives agricoles revendi-quent 110 000 salariés ce qui recouvre aussi500 000 chefs d’exploitation qui emploient800 000 actifs à temps plein. Sans les coopé-ratives agricoles, la moitié au moins de ces500 000 exploitations ne survivrait pas. Lapêche artisanale revendique 2 500 salariésmais 17 000 pêcheurs coopérateurs, essen-tiellement sur la côte atlantique. La pêcheartisanale subsiste grâce aux coopérativesde crédit maritime. Les artisans comptent4 700 salariés mais 80 000 sociétaires sur800 000 artisans. Il en est de même descoopératives de transporteurs, des taxis, despéniches ou des compagnies de transportroutier. Des centaines de milliers d’entre-prises, d’exploitations ou de PME disparaî-traient ou ne pourraient accéder au marchési elles n’étaient pas épaulées par des coopé-ratives. Ces structures sociales concourentlargement au développement local. L’État etles collectivités locales ne peuvent pas,aujourd’hui, se passer des associations pour“faire société”.S’agissant des innovations plus récentes del’économie solidaire, Maurice Parodi donneplusieurs exemples. Le commerce équitable, innovation écono-mique lancée par Max Havelaar avec le café,prend place. Une série de grandes surfacesappuient ces initiatives en s’ouvrant aux pro-duits du commerce équitable. Celui-ci nereprésente que 0,04 % du commerce mon-dial mais grâce à ce mode d’échange, desdizaines de milliers de petits producteursreçoivent 4 fois plus que le prix du marché

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mondial. De plus, il s’agit d’organiser lespetits producteurs dans une perspective dedéveloppement durable. Les chartes défi-nissant les conditions réelles de productionet de diffusion des épices, du café, du cotonet l’artisanat représentent une garantie defiabilité.Le tourisme équitable s’inscrit dans unéchange solidaire. Par exemple, des circuitsau Maroc proposent des gîtes ruraux et unebonne partie de la somme versée pour cesvoyages revient aux villages plutôt qu’auxtours opérateurs. Des migrants installés enEurope sont encouragés à investir dans desgîtes, dans leur pays, afin d’y rapatrier desrichesses.D’autres innovations de systèmes d’échangeslocaux se développent. Par exemple, entrevoisins un plombier fera quelques travauxcontre d’autres travaux, évalués avec unemonnaie d’échange dite “grain de sel”. Lesréseaux d’échanges de savoir consistent àéchanger des savoir-faire, souvent dans lecadre des centres sociaux. Le crédit solidaire, les finances éthiques per-mettent aux personnes parfois exclues dusystème bancaire d’accéder à des crédits,facilités par les placements éthiques. Main-tenant il est possible de placer une partie deson épargne dans des placements éthiques,souvent moins risqués et moins rémunérés.L’insertion par l’activité économique offredes initiatives intéressantes. Maurice Parodi,à la fois penseur et acteur, participe à un pro-jet en Avignon qui réunit des dirigeantsd’entreprises d’insertion par l’activitééconomique. Par exemple, les Jardins deCocagne qui rassemblent environ 85 jardinsdans toute la France en réseau coopératif,axés sur les trois composantes du dévelop-

pement durable : être économiquementviable, socialement équitable, et écologique-ment durable. Dernier exemple de créativité, notammentdans le pays salonnais, des associations quiorganisent le co-voiturage, pour rompre l’iso-lement de personnes qui ne savent pasconduire ou qui n’ont pas de véhicule pourse déplacer.Ainsi les principes nés au 19e siècle demeu-rent vivants et actualisés.n

Marie-Pierre Carre

Londres était publié Le Manifeste du parti communistede Marx et Engels. 3. Leroy-Beaulieu (Paul). Économiste français (Saumur,1843-Paris, 1916). Il fut l’un des principaux représentantsde l’École libérale et fonda l’Économiste français (1873).Il est aussi l’auteur de La Répartition des richesses (1896).4. Say (Jean-Baptiste). Économiste et homme politiquefrançais (Lyon 1767-Paris 1832). Un des maîtres de ladoctrine libre-échangiste, vulgarisateur d’Adam Smith,il publia Simple Exposé de la manière dont se forment,se distribuent et se consomment les richesses (1803),la taduction de l’œuvre principale de David Ricardo (1819),Lettre à Malthus (1820) et un Cours complet d’écono-mie politique pratique (1828-1830). Il formula la loi desdébouchés : théorie économique selon laquelle touteproduction ouvre un débouché à d’autres produits.Contrairement au pessimisme des théories de l’Écoleéconomique libérale classique repérésentée par lesAnglais Adam Smith, Thomas Robert Malthus ou DavidRicardo, son libéralisme économique est profondémentoptimiste. Dans le domaine économique, le libéralimeest partisan de la libre entreprise et de la concurrence,l’intervention de l’État ayant pour seul rôle de corrigerles abus des “lois du marché” si nécessaire. Politique-ment, le libéralisme veut limiter les pouvoirs de l’État auprofit de la défense des droits de l’individu à l’intérieurde la société.5. Le Play (Frédéric). Ingénieur, économiste et socio-logue français (La-Rivière-Saint-Sauveur, Calvados, 1806-Paris, 1882). Polytechnicien devenu conseiller d’État en1855, il créa la Société d’économie sociale (1856) et futl’initiateur de la méthode monographique en sociolo-gie. Il fut le principal représentant du catholicisme socialde tendance conservatrice et traditionaliste et il exerçagrande influence sur le mouvement social patronal(appelé “paternalisme”) de la deuxième moitié du 19e

siècle. (L’Ouvrier européen ; La Réforme sociale, 1864). 6. Fourier (Charles). Philosophe et économiste français(Besançon, 1772-Paris, 1837). Fils d’un riche commer-çant, il perdit sa fortune à 21 ans, après une spéculationmanquée, et devint commis voyageur puis caissier d’uneentreprise à Lyon. Décidant de se consacrer entièrementà l’élaboration de son projet de réforme économique,sociale et humaine, il publia à Paris le Traité de l’asso-ciation domestique et agricole (1822), puis Le NouveauMonde industriel et sociétaire (1829) où il préconise uneorganisation sociale fondées sur de petites unités auto-nomes : les phalanstères. Il édita de 1832 à 1849 la revuehebdomadaire La Réforme industrielle ou le Phalanstère,devenue La Phalange : il critiquait la société industriellebourgeoise mais également les théories de Robert Owenet le saint-simonisme. L’organisation sociétaire qu’ilprône a pour centre la phalange, un petit groupe de tra-vailleurs associés en une sorte de coopérative par actions,ce qui doit avoir pour résultat l’harmonie universelle. Sice projet utopique n’a pas pu se réaliser, le fouriérismeeut des adeptes, notamment : • Victor Considérant (1808-1893) qui dirigea l’hebdo-madaire La Phalange (1832 ; 1834-1844). Il publia Des-tinées sociales (1834-1838), “exposition élémentairede la théorie sociétaire”, et fonda le journal Démocratiepacifique (1843). Il est l’auteur des Principes du socia-lisme (1847) et de la Théorie du droit de propriété et dudroit au travail (1848). Député en 1848, il sera exilé sousNapoléon III.• Jean-Baptiste Godin (1817-1888) qui fonda un établis-sement industriel en 1859, coopérative inspirée des idéesde Fourier, le Familistère de Guise, qui devint, à sa mort,la copropriété du personnel.

Références: Quid (Éd. Robert Laffont), Larousse, Le Robert

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NOTES1. Le Chapelier (Isaac René Guy). Homme politique fran-çais (Rennes, 1754-Paris, 1794). Avocat député du tiersétat aux États généraux, co-fondateur, avec Lanjuinais,du Club breton renommé Club des jacobins (1789), il par-ticipa aux réformes votées par l’Assemblée nationaleconstituante , notamment il fut le rapporteur de la loiqui porte son nom (14 juin 1791). La loi d’Allarde (mars 1791) venait d’abolir jurandes, maî-trises et corporations, associations entre gens de mêmemétier ou qui regroupaient les salariés d’un même sec-teur d’activité et assuraient des règles de vie, d’organi-sation du travail pour les contrats, les salaires et la régu-lation de la concurrrence. Par la limitation des droitsd’association, l’interdiction des coalitions d’ouvriers etde la grève, la loi Le Chapelier va constituer l’une desbases fondamentales du capitalisme libéral. Parti en Angleterre en 1792, Le Chapelier fut, à son retouren 1794, condamné comme émigré et guillotiné. 2. Cabet (Étienne). Théoricien et socialiste français (Dijon,1788-Saint-Louis, États-Unis, 1856). Adepte de laCharbonnerie, il a participé aux mouvements insurrec-tionnels contre la monarchie en 1830 et fondé le journalLe Populaire. Il publia en 1832 son premier ouvrageHistoire de la révolution de 1830. Ayant dû émigrer enAngleterre et influencé par les théories de Robert Owen,il rédigea L’Histoire populaire de la Révolution françaisede 1789, publiée à son retour en France (1839). Pour pro-pager le communisme pacifiste et idéal qu’il décrivitdans Le Voyage en Icarie (1842), il comptait sur l’exemplede petites communautés qu’il tenta, sans succès, de fon-der avec ses disciples en Amérique en 1848, tandis qu’à

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Emmanuelle Rouffi, directrice del’association française de soutien à l’UNCHR (Haut Commissariatdes Nations unies aux réfugiés),

a fait le point surl’action humanitairedu UNHCR auprèsdes réfugiésaujourd’hui.

Elle y clarifie l’action du HCR(Haut Commissariat aux réfugiés), parfois bien éloignédu cliché du “french doctor avec son sac de riz sur le dos”.

Le HCR a été crée par les Nationsunies en 1951 pour venir en aide à nosparents, en Europe, victimes de laseconde guerre mondiale. Cette

crise touchait une population de 6 mil-lions de réfugiés et le contrat du HCRdevait se terminer au bout de quatre ans.Toutefois, il a été constamment renou-velé pour de nouvelles périodes de quatreans, face aux conflits qui apparaissaientun peu partout dans le monde, comme parexemple la guerre froide.

Qu’appelle-t-on un « réfugié » ? C’est une personne qui a franchi la fron-tière de son pays où il se trouvait en dan-ger de mort. Du temps de l’ex-UnionSoviétique, cela concernait des individusisolés mais aujourd’hui, cette situationconcerne des populations entières, fuyantla guerre ou la guerre civile (Soudan,Colombie, Nigeria, Afghanistan). Parexemple, au Darfour, la frontière souda-no-tchadienne, plus de 2 millions de per-sonnes ont fui le Soudan, et s’entassentactuellement dans les camps du HCR surun terrain de plus de 600 km. Concrètement, la mission du HCR estd’offrir un abri, de la nourriture et une pro-tection juridique à toutes ces personnes,mais aussi de permettre à des familles dis-persées de se regrouper.

Retrouver son autonomie Sur le plus long terme, une nouvelle poli-tique se développe, pour permettre auxindividus de se sortir de cette situation“d’assistance” et de retrouver leur auto-nomie. Il s’agit de la mise en place de micro

crédits : Le HCR va par exemple payer laformation de menuisier à un individu et luiprêter de l’argent pour lui permettred’acheter ensuite le matériel nécessairede façon à monter sa propre fabrique. Ilvend ses produits à la communauté et enretour, peut nourrir sa famille. Ce dernierdevient alors un véritable acteur de la viesociale.

Quelle est alors la différenceentre le HCR (organe des Nationsunies) et une ONG (organisationnon gouvernementale) ? Le HCR a un “mandat ” des Nations unies;cela signifie qu’il est obligé d’intervenirdans toutes les situations qui rentrentdans le cadre de sa mission d’aide aux réfu-giés. Les ONG (Organisations non gou-vernementales) à l’inverse, choisissent oùintervenir et comment, en fonction de cri-tères qui leur appartiennent.La grande difficulté du HCR, pour menerà bien sa mission, est que les gouverne-ments le financent librement alors que, deson côté, il est obligé d’intervenir danstoutes les situations. Et il faut admettreque certaines crises ne vont pas toujoursêtre financées par les gouvernementspour des raisons humanitaires, mais pourprotéger des intérêts économiques oupour répondre à une campagne média-tique. Il existe donc des crises dramatiquesdont personne ne parle et que peu de gou-vernements veulent financer, comme leDarfour que nous citions plus haut.

La sécurité : une nouvelle donne L’action humanitaire a aussi changé devisage sur le front de sécurité depuis 1951:avant, et jusque encore récemment,appartenir à l’ONU (Organisation desNations unies) ou au HCR vous protégeaitrelativement ; aujourd’hui à l’inverse,

comme on l’a vu en Irak ou en Afghanistan,vous devenez une cible. Le HCR commeun certain nombre d’ONG est doncaujourd’hui contraint de travailler conjoin-tement auprès des militaires, voire demilices privées, le risque d’être tué ouenlevé contre rançon étant devenu tropimportant. Bien plus que d’apporter simplement dessacs de nourriture, l’humanitaire estaujourd’hui une entreprise extrêmementcomplexe, qui regroupe une multitude demétiers, de la finance à la médecine enpassant par la logistique, la communica-tion, etc.

Garder la “foi” dans son action Comment ne pas perdre courage lors-qu’ayant travaillé plusieurs années à larésolution d’un conflit et à combattre lamisère qu’il gènère, on voit le même conflitse répéter quelques années plus tard ?Comment lutter contre cette sensationque “tout cela ne sert finalement à rien”?Emmanuelle Rouffi croit qu’il vaut mieuxaider, même si c’est une goutte d’eau dansl’océan, que ne rien faire.

Le HCR ouvre ses portes pour permettre au citoyen de s’impliquer davantage Le HCR développe d’ailleurs depuis peu lanotion de “Citoyen UNCHR” à l’attentionde tous les particuliers qui perçoivent dif-ficilement la finalité concrète de leursdons. Elle permet notamment de ciblerquelle action nous souhaitons soutenir enpremier lieu : la première urgence, la santé,la protection ou l’éducation, de participeraux réunions annuelles où sont présentesles missions et les stratégies financièreset enfin de donner son avis ou de recevoirdes informations privilégiées. Commel’explique Emmanuel Rouffi : “La présen-ce des citoyens à nos côtés est une partd’humanité supplémentaire attachée ànos actions. Notre aide est la réunion demultiples engagements”.1 n

Résumé de la conférence d’Emmanuelle Rouffi, le 24 juin 2005 au Centre culturel Paris-Opéra de la SGF.

L’action humanitaire aujourd’hui

Renseignements complémentaires : www.unhcrfrance.org

1. E. Rouffi, in. dépliant «Citoyen UNCHR»

CONFÉRENCE

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Discours de Pierre-Bernard Lebas(UNHCR), le 6 juillet 2005 au Centre culturel européen de la SGI à Trets.

Le soutien à la cause des réfugiés

Avec humour et générosité, M.Lebas, chefdu secteur privé et des affaires publiquesde l’UNHCR, s’est longuement exprimé ausujet du sens de sa mission et des liensd’amitié tissés au fil des ans avec lesmembres de la Soka Gakkai.

“Il y a quelques jours, le 20 juin, a eu lieula journée mondiale des réfugiés. Cettejournée marque cinquante-cinq annéesde lutte intense en faveur de plus de50 millions de déracinés partout dans lemonde, pour les aider à reconstruire leurvie. Leur seule faute est d’avoir été au mau-vais endroit au mauvais moment avec uneseule solution : fuir pour survivre. La plu-part d’entre eux ont tout perdu : leursproches, leurs biens, leur identité… maisils n’ont pas perdu l’espoir ni le courage.Ils n’ont pas perdu non plus leur volontéde recommencer une nouvelle vie. C’estpour cette raison que je travaille au-jourd’hui pour l’UNHCR (l’agence desNations unies pour les réfugiés), malgrétous les défis que nous devons relever.

[...] Le rôle de l’UNHCR est de s’assurerque chaque réfugié est traité dignementen tant qu’être humain et qu’une solutionest trouvée pour chaque personne. Cettetâche est impossible sans foi, sans idéa-lisme, sans courage et quelquefois sans

inconscience ! Nous devons être un peufous pour faire le travail que nous faisons,mais nous sommes fiers d’être fous! Maisvous aussi, membres de la Soka Gakkaiinternationale, avez été un peu fouslorsque vous avez décidé de nous aider !Le soutien de la SGI a démarré il y a long-temps au Japon et en Europe, ce qui repré-sente plus de 30 ans d’un soutien constantet solide partout dans le monde. En Bosnie,au Kosovo, en Côte d’Ivoire, lors du tsu-nami est-asiatique : lors de toutes cescrises, les membres de la SGI ont soutenul’UNHCR en priant pour la paix et avec desdons financiers. Cette aide a été cruciale,mais ce qui a été encore plus fondamen-tal est le soutien moral. Je n’oublieraijamais quand, en janvier dernier, justeaprès le tsunami, Bertrand Rossignol estvenu à notre bureau de Paris, très calme,humble, presque timide. Il a juste dit :“Nous avons décidé d’apporter une aide,voici un don de la part des membres de laSoka Gakkai France.” Et il m’a tendu unesomme d’argent significative. J’ai été émucar cela ne représentait pas seulement un

soutien financier, mais surtout l’amour, ledévouement et l’engagement de nom-breux membres de la SGI qui avaient justedécidé de répondre présents et de faireun geste extraordinaire pour aider les pluspauvres parmi les pauvres auxquels il nerestait plus que le fait d’être en vie. C’estce genre de geste venu du cœur qui m’inci-te depuis 25 ans à travailler dans des orga-nisations humanitaires.”

M. Lebas a ensuite relaté quatre rencontresqui ont changé sa vision de la vie et lui ontappris le sens des mots “simplicité”, “huma-nité”, “dévouement total” et “confiance”:• en Inde, dans les bidonvilles, une vieilledame lui a donné de l’argent alors qu’ellemême était pauvre, en arguant du fait queles enfants en avaient plus besoin qu’elle ;• une jeune femme riche, belle, timide, ethumble, Angelina Jolie, a choisi d’êtreambassadrice de bonne volonté pourl’UNHCR qui défend la cause des réfugiés;• une doctoresse italienne, Mme Tonnelli,qui a consacré sa vie aux pauvres dans sonhôpital de Somaliland et a été assassinéedans son hôpital un mois après avoir reçuun prix pour son dévouement ;• une collègue qui avait besoin en urgen-ce d’une énorme somme d’argent pour desréfugiés gravement blessés au Burundi,que l’équipe de M. Lebas a réussi à réuniren deux heures.

Voici la fin de son discours :“Et aujourd’hui, en leur nom (NDLR : des 4personnes mentionnées ci-dessus) et aunom de M. António Guterres (HautCommissaire aux réfugiés), c’est avecgrand plaisir que je vous remets cetteplaque, pour Daisaku Ikeda, président dela Soka Gakkai internationale. Cette plaquelui est remise en reconnaissance de son etde votre engagement pour la paix, la cul-ture et l’éducation, de son et de votre res-pect de la dignité humaine, de son et devotre dévouement à la cause des réfugiés. C’est un privilège pour moi que de vous laremettre quelques jours après ce très signi-ficatif 60eanniversaire du 3juillet célébrépar la Soka Gakkai internationale. De la partde tous mes collègues et des millions deréfugiés partout dans le monde, veuillezaccepter cette plaque comme une marquede notre profonde appréciation pour plusde 30 ans d’un soutien inestimable.” n

n Aide aux victimes du tsunami en Asie du Sud-EstLa Soka Gakkai internationale dans sonensemble s’est mobilisée pour apporterdes ressources financières et humaines àla catastrophe du tsunami du 26décembre2004. Sur place, les organisations Sokade Singapour, d’Indonésie, de Malaisie,du Sri Lanka et de Thaïlande ont œuvréavec des ONG locales.La Soka Gakkai du Japon, de Corée etd’Inde ont envoyé rapidement des donsaux gouvernements des pays touchés.La Soka Gakkai France a regroupé lesdons envoyés par ses membres au pro-fit des victimes du tsunami pour l’asso-

ciation française de soutien au HautCommissariat des Nations unies auxréfugiés (UNHCR). Le montant du dondes membres de la SGF s'est élevé à89 300 euros. n

Programme de reconstruction de maisons dans la région de Aceh(Indonésie) grâce aux dons à l’UNHCR.

P-B. Lebas (à droite) remet une plaquede remerciement de l’UNHCR au représentant de la SGI, B. Rossignol.

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à torturer ma mère devant moi pour qu’elledise où il se trouvait et l’un d’eux m’a plantéune lance dans la cuisse droite. Ma mère n’arien dit et moi non plus. Les hommes sontpartis. Ma mère m’a tirée dans la bananeraiepour nous cacher et me dit “Tu ne dois paspleurer parce que s’ils t’entendent, ils vontrevenir pour nous tuer” et “Je ne peux past’emmener à l’hôpital, toutes les rues sontbarrées; on tue les Tutsi partout au Rwanda”.

Et moi de me questionner : “On estTutsi? Ces hommes veulent nous tuer, pour-quoi? Tout le monde est d’accord donc noussommes coupables de quelque chose, sinonpourquoi on nous tuerait?”

L’école de la honteCe questionnement m’est resté. On ne par-lait pas de tous les massacres au Rwanda,c’était interdit d’en parler. On avait trouvédes surnoms “le vent”, “les tourbillons”, toutsauf les massacres. Et à qui raconter les mas-sacres. Le pouvoir était toujours derrière.C’est à l’école que j’ai appris ce que voulaitdire Tutsi.

En préambule, ImmaculéeRangira Ramatani, membre de la SGF, travaillantà l’UNESCO, a présenté le Rwanda et les origines

du génocide dans lequel elle a perdu de nombreux membres de sa famille.

Rappelons que le Rwanda est un tout petit pays d’Afrique de l’Est (26 338 km2,comme deux fois l’Île-de-France), situéentre l’Ouganda au Nord, la Tanzanie à l’Est, le Burundi au Sud et le Congo àl’Ouest, à cheval entre les bassins duCongo et du Nil. C’est un pays de hautesterres au climat tropical tempéré par l’alti-tude. La population atteint 8 millions d’habi-tants, composée des Hutu (85%), des Tutsi(14%) et des Twa (1%).

Le 28 octobre 2005,

Yolande Mukagasana,

écrivain, mention d’honneur

en 2003 du “Prix de l’éducation

pour la paix” de l’UNESCO,

s’est adressée aux cent trente

personnes réunies

ce jour-là au Centre culturel

de la SGF Paris-Opéra.

RWANDA

Moi qui étais très attachée à monconfort, j’ai expérimenté comment on peutavoir tout et mourir comme un chien.

Les premiers massacres de Tutsi remon-tent aux années 50. À cinq ans, j’ai vu monpremier cadavre et ma mère torturée devantmoi ! Je suis la sixième de la famille. Mon frèreaîné avait fui avec mon père, mes grandessœurs étaient parties avec mon petit frèresur le dos pour se cacher. Je suis restée avecma mère. Des hommes armés (avec armestraditionnelles : machettes, lances, arcs etflèches) sont arrivés cherchant mon père pourle tuer. Ne le trouvant pas, ils ont commencé

Yolande Mukagasana

RWANDA

RWANDA

Kigali

OUGANDAREP. DÉM.DU CONGO

TANZANIEBURUNDI

SHIN

JI M

ITSU

NO

Deux grands défis : justice et réconciliation

Extraits de la conférence

Yolande Mukagasana, 52 ans, rescapée du génocide, vit maintenant àBruxelles. En 1994, elle étaitinfirmière à Kigali, capitale

du Rwanda. Elle anime l’association“Nyamiranbo-Point d’Appui” qui lutte pour la justice et le soutien, en particulier, de ceux qui au Rwandasont laissés dans la misère. Elle estl’auteure de plusieurs ouvrages: La mort ne veut pas de moi, (Paris,Fixot, 1997, 268 p.), Les blessures dusilence (Arles, Actes Sud et Médecinssans frontières, 2001, 160 p.)et N’aie paspeur de savoir (Paris, J’ai lu, 1999, 350 p.).Elle raconte:

Quand les survivants du génocide arrivent àparler, ils ne s’arrêtent pas… Je vais vous par-ler de mon histoire, comment j’ai perdu monmari, mes enfants, mes frères, mes sœurs,alors que personne n’était malade et quenous rêvions tous de longévité.

Compte rendu de la conférence en soutien à la Charte de la Terre

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Chacun est différent de son voisin; cen’est pas une raison pour être des ennemis.C’est pourtant ce que nous apprenions àl’école que j’appelle “l’école de la honte”.S’il n’y avait pas eu cette éducation à la divi-sion des enfants, peut-être que les causesn’auraient pas été au complet pour qu’ungénocide soit possible. Je suis convaincueque pour arriver à la paix il faut partir de l’édu-cation des enfants.

Ici vous vous occupez de la culture, del’éducation et de la paix. La paix ne peut résul-ter que de l’éducation à la paix, du respectde nos cultures comme de nos identités.

Pourquoi est-ce arrivé chez nous ?Et puis, les uns avaient plus de droits

que les autres. Nous avons été quelque partdes victimes consentantes. Nous n’avionspas de forces pour nous défendre. Nousn’avions personne pour comprendre notredétresse. Donc nous avons baissé la tête.

À l’école on humiliait les enfants Tutsi,surtout après les cours d’histoire... Une his-toire falsifiée du Rwanda pour pouvoir créerdes ethnies. Mais où sont les différences ?Au Rwanda nous avons la même culture, lamême langue.

Avant la christianisation, nous étionsun peuple monothéiste… Nous avons été divi-sés par le colonisateur, au nom de la science,de la colonisation, du développement. Jetrouve cela inacceptable : partout où diffé-rentes ethnies se côtoient, les gens nes’entretuent pas.

Pourquoi est-ce arrivé chez nous? Parceque les uns croyaient que les autres étaientleur ennemi dont il fallait se défendre. J’aigrandi dans ces non-dits. Je devais fairecomme si rien n’était arrivé. Il n’y avait nullepart où porter plainte. Cette impunité a finipar faire comprendre que les Tutsi n’avaientpas droit à la vie… Moi je n’ai pas connu lesDroits de l’Homme…

“Maintenant je refuse la violence”Au Rwanda les enfants meurent encore demaladies curables. Comment serais-je heu-reuse devant le malheur de l’autre? J’ai apprisà connaître les vraies valeurs.

J’ai grandi en sachant que je ne pour-rais pas épouser un militaire, un homme poli-tique, il y avait des interdits pour les Tutsi,basés sur un système de quotas. À chaquemassacre (perpétré par les amis, les voisins),les Tutsi ont fui le pays.

On sait toujours par où commence laviolence mais jamais où elle finit, ni qui serala prochaine victime. Donc je me suis dit :“maintenant je refuse la violence”.

En plus des quotas limitant les droitsdes Tutsi, il y avait des Hutu plus “hutu” qued’autres, ceux du Nord avaient plus de valeurque ceux du Sud, et au Nord certains Hutuétaient moins “hutu” que d’autres. C’est partidans un délire…

Où fuir ?Les Tutsi rescapés, réfugiés à l’étranger, ontorganisé des conférences à Paris, Rome, auxÉtats-Unis, pour revendiquer le droit de ren-trer dans leur pays. Certains étaient dans lescamps de réfugiés depuis 1959. Leurs des-cendants restaient des réfugiés. Ils n’ont passupporté et ont attaqué le pays. Nous quiétions à l’intérieur et qui avions une carted’identité tutsi, étions pris en otages. J’ai étéarrêtée, interrogée au Tribunal de crimino-logie avec mon mari et mes enfants. Il m’aété interdit de sortir de la ville jusqu’à la finde la guerre.

J’étais infirmière anesthésiste, res-ponsable du service le plus difficile (ORL-sto-matologie-ophtalmologie). J’administrais lesanesthésiants à de nombreux militaires quivenaient du front et j’avais peur de commettreune erreur et que l’on m’accuse de les tuersur table. Je n’étais plus libre de mes mou-vements. Donc, j’ai démissionné en 1992 etmonté un dispensaire privé.

Le 6 avril 1994 au soir, quand l’avion duPrésident Habyarimana a été abattu, j’étaisau dispensaire. Mon mari m’a téléphoné etj’ai senti dans sa voix quelque chose d’inha-bituel… Un ami de mon mari (qui devien-dra plus tard génocidaire) lui avait apprisla nouvelle…

Nous avons essayé de sortir de Kigali

mais il était trop tard, il y avait des barragespartout. Durant une semaine nous avonspassé la nuit dans un petit bois (une brousse).J’ai vu mes enfants fondre de faim et de soifsans pouvoir intervenir. Quand je parvenaisà rapporter quelque chose de la maison, ilsn’arrivaient pas à manger. On savait que nosvoisins étaient en train d’être tués et ilsavaient compris que ce serait bientôt notretour. Où fuir?

Je suis sauvée par une jeune fille hutuVous voyez peut-être depuis la France deuxcamps, les victimes et les bourreaux. En fait,il y eut des “justes” parmi les Hutu. Bienqu’ils sachent qu’ils seraient tués s’ils étaientpris en train de sauver des Tutsi, certainsHutu ne voulaient pas tuer.

Personnellement j’ai été cachée parune jeune fille pendant onze jours. Elle m’agardée sous son évier. Je trouvais qu’elleétait un peu “dérangée”. Elle priait beau-coup “Je vous salue Marie…” avec son cha-pelet… mais m’empêchait d’écouter d’oùpouvaient venir les assassins. J’étais révol-tée parce qu’on venait de tuer mon mari; ona torturé mes enfants sur son cadavre avantde les achever. Je ne voyais pas où était ceDieu que j’avais prié longtemps…

Des femmes et des enfants étaient vio-lés. Le viol était utilisé comme une arme,commis parfois avec des morceaux de verre.Mais ce n’est pas nécessaire de vous parlerde l’horreur, parce qu’au-delà de l’horreur,il n’y a rien, que des sentiments éphémères.Il y a peut-être la pitié. Et je refuse la pitié.La compassion? Mais le malheur des autres

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J’ai rencontré ces enfants et je me suisposé la question : aurais-tu préféré que tonenfant soit un bourreau ou une victime jetéedans une fosse commune comme de lasaleté ? Là, j’ai compris que j’acceptais masituation. Je dois vivre avec. Je me rappelleÉvariste. Il avait dix ans à l’époque et avaittué trois enfants. Je lui ai dit : “Est-ce qu’ilt’arrive de pleurer ?”

Il m’a répondu, tout de marbre: “Moi,pleurer ? Je ne suis plus un enfant, moi, jesuis un assassin.” Vous réalisez ?

C’est pour cela que je vous dis: ce quevous faites est merveilleux. Vous parlez depaix, je suis d’accord, mais la paix c’est unaboutissement. C’est comme quand onparle de réconciliation chez nous. Je dis : iln’y a pas d’humanité sans pardon, pas depardon sans justice, pas de justice sanshumanité. La paix c’est la même chose. Il ya un cheminement pour arriver à la paix. Il

ne faut pas que ce soit un mot vide. Mêmeceux qui prennent un fusil, ils font la guerreau nom de la paix. Quelle est la différenceentre eux et nous aujourd’hui ?

C’est vrai je souffre et c’est à vie. Àchaque instant je pense à mes enfants, enchaque enfant je vois mon enfant. Je doisvivre avec. Mais est-ce que c’est une raisonpour ne rien faire? J’ai compris la valeur d’unenfant maintenant que je n’en n’ai plus. Ilfaut les protéger, maintenant. La paix doitpasser par des actes. Voyons comment c’estarrivé, pour l’éviter dans l’avenir. En cemoment, il y a peut-être une femme ou unepetite fille qui est en train d’être violée, uneautre cachée sous un évier. Et nous, on rit,on pleure, on vit. Elle, ne vit pas. On ne peutpas changer le monde en un claquement dedoigts mais, chacun de nous, dans notreenvironnement, nous pouvons peut-êtrefaire quelque chose.

SHIN

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ne nous empêche pas de boire, manger,dormir. La vie continue !

L’instinct de survieLe “tourbillon” a été provoqué par l’hommesur l’homme. Imaginez que vous n’êtes rien,sans vie, sans avenir, traités de cafards oud’enfants de serpent ! Vous fuyez l’hommequi est votre semblable parce que, pour vous,il signifie la mort, la torture. Vous fuyez votreami, votre cuisinier.

Il m’est arrivé en passant ma main sousmon aisselle de trouver des poux. Moi, enarriver là? Pourquoi ne pas mourir? L’instinctde survie est là. On ne pense pas, on ne réflé-chit pas, on attend la mort, à chaque seconde,et l’attente est longue!

Qui va s’occuper des enfants des bourreaux ?Et des enfants-bourreaux ?Finalement l’essentiel ce n’est pas ce quenous avons vécu, c’est ce que nous allonstransmettre aux générations futures. Qu’est ce qu’on va leur transmettre? Notretraumatisme?

Est-ce que les survivants doivent trans-mettre la haine aux enfants? Est-ce que lesbourreaux vont transmettre leurs crimes auxenfants ? Qui va s’occuper des enfants desbourreaux?

En 1999, je suis retournée au Rwanda.J’ai fait le tour des prisons. J’allais supplierles bourreaux de me dire pourquoi ils avaientfait ça. J’avais besoin de savoir. Je n’ai pas eude réponse. Je suis allée voir les enfants-bour-reaux. Ils ne savaient pas pourquoi.

En les voyant, je me suis revue commeune mère devant mon enfant. Si j’avais épouséun Hutu mes enfants auraient été Hutu…

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C’est très important pour eux et pour noustous. Quand j’étais infirmière, mon plus grandbonheur était quand un patient (qui étaitmourant la veille) venait me voir le lende-main et me souriait. Je pense que le jour oùvous aurez posé quelque chose là-bas quicommence à sauver les vies, les valeurs, jesuis sûre que vous serez heureux. Faites toutpour. Bonne chance et merci ! n

QUESTIONOù en est le travail des gacaca(prononcer gatchatcha)?Y. M.: Les gacaca sont des tribunaux popu-laires basés sur la culture rwandaise. Aprèsle génocide il y avait plus de 120000 prison-niers dont la moitié a été libérée. On disaitque pour juger tous ces gens il faudrait plusd’un siècle! Les prisonniers sont des jeunes,l’avenir du pays, la main-d’œuvre également.Les familles qui devaient visiter les prison-niers ne travaillaient pas non plus. Toute l’éco-nomie était paralysée.

Que pouvions-nous faire pour, en mêmetemps, éradiquer l’impunité et ne pas gar-der les gens en prison?

Dans notre culture, la justice était baséesur la confrontation de l’agresseur et de la vic-time, en présence des deux familles. L’agres-seur demandait pardon et s’engageait à répa-rer. Maintenant, il faut aussi savoir ce quis’est passé. Seuls les bourreaux savent. Legénocide était perpétré de jour; les enfantsont tout vu, c’était un devoir de tuer, ils allaient“travailler”. Les gacaca en sont au stadeexpérimental.

Propos recueillis par Élisabeth Viel

BIBLIOGRAPHIE

Quelques références :

BRAECKMAN Colette, Rwanda. Histoire d’un génocide Paris, Fayard, 1944

CHRÉTIEN Jean-Pierre, L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire Paris, Aubier/Flammarion, 2000-2003

DE VULPIAN Laure,Rwanda. Un génocide oublié ? Un procès pour mémoire Bruxelles, Complexe, 2004

FRANCHE Dominique, Rwanda, Généalogie du génocide rwandaisBruxelles, Éd. Tribord, 2004

HUMAN RIGHTS WATCH et FIDH (ed.),Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au RwandaParis, Karthala, 1999

KAPUSCINSKI Ryszard, Ébène, Aventures africainesPocket, 2002

MAMDANI Mahmood, When victims become killers.Colonialism, nativism and the genocide in RwandaPrinceton University Press, 2001

NKUNZUMWAMI Emmanuel, La tragédie rwandaise. Historique et perspectivesParis, L’Harmattan, 1996

SAINT-EXUPÉRY Patrick de(journaliste au Figaro), L’inavouable : la France au RwandaÉd. Les Arènes, 2004

Sénat de Belgique, Rapport de la Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du RwandaBruxelles, 1997

Également, sur Internet :rubrique Rwanda.

La reconstruction par l’éducationAujourd’hui quand je vois les souffrances auRwanda, c’est épouvantable! Je me demandesi le monde veut vraiment que les rescapés

Tutsi du Rwanda se reconstruisent. Regardezle Tribunal pénal international mis en placepour le Rwanda. Dans le système même dutribunal il n’est pas prévu de réparation.Comment faire justice sans réparation ? Iciles bourreaux séropositifs qui ont violé lesfemmes, reçoivent des médicaments, maisleurs victimes meurent sur les collines duRwanda tous les jours. Qu’est ce qu’elles ontpu faire pour mériter ça? Si la justice existe,comment peut-on leur faire justice? Aujour-d’hui je m’occupe de 500 orphelins. Ils avaientdix ans en 1994. Ils n’ont pas été scolariséset sont le plus souvent sans abri. Que fontpour eux les adultes?

J’espère que les bouddhistes pourrontbientôt poser des actes au Rwanda. Le paysa besoin de paix. Mais la paix est d’abordintérieure sinon on n’aura pas de paix exté-rieure. On ne donne que ce que l’on possède.

‘‘’’

La paix : il y a un cheminementpour arriver à la paix.

Il ne faut pas que ce soit un mot vide.

Même ceux qui prennent un fusil

font la guerre au nom de la paix.

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EuripideDans son adolescence, Alexandre lit Eschyle(1)

Homère(2), Socrate(3), Platon(11), Sophocle (4)

et Euripide (5).Euripide a fréquenté la cour du grand-pèred’Alexandre, Archélaos (qui signifie “le com-mencement des peuples”. Il a d’ailleurs inti-tulé sa dernière tragédie, écrite dans un vil-lage de Macédoine, le Commencement despeuples, œuvre perdue ou volée après samort. Il l’a écrite sur 120 000 tablettes depierre noire avec une craie blanche et elle futjouée dans l’amphithéâtre d’Héracléa Lyn-kestis (où Alexandre jouera, enfant). Un versd’Euripide dit : “Pour ton bonheur, je suisobligé, avec les yeux grands ouverts, de plon-ger dans les profondeurs de ta souffrance.”

La pierre de RosetteLa pierre de Rosette, inscrite en 196 av. J.-C.,porte trois alphabets : égyptien, grec etdémotique. Les deux premiers, déchiffrés parJean-François Champollion en 1820, témoi-gnent de la construction de 77 Alexandries,77 villes construites par Alexandre et sa pos-térité dans le monde. Le troisième type dehiéroglyphes reste encore un mystère.

• Cette pierre fut découverte en août 1799 parPierre-François-Xavier Bouchard (1772-1832),jeune officier du génie, au cours de travaux deterrassement à Fort Julien, près du village deRachid (Rosette). Cette stèle portait la copie d’undécret du roi d’Égypte Ptolémée V Épiphane,inscrit en hiéroglyphes (en haut), en démotique(les 32 lignes du centre) et en grec (les 54 lignesdu bas). Elle se trouve maintenant au BritishMuseum de Londres. On peut aussi voir safidèle reproduction agrandie, avec sa traduc-tion au musée Champollion de Figeac (France).

Les portes du mondeDans le numéro d’août 1993 de µ, le pré-sident Ikeda disait : “Alexandre a ouvert lesportes du monde à l’espoir humain” …“Lanature révolutionnaire d’Alexandre vient dufait qu’il était originaire de Macédoine, exté-rieure à la Grèce.”Je pense qu’à deux mille trois cents ans dedistance, ces paroles sont un don de M. Ikeda

Jordan Plevnes a écrit plusieursouvrages et pièces de théâtre, traduiteset jouées aux États-Unis et en Europe. Il a écrit en français La huitième mer-veille du monde, son premier roman,publié le 6 octobre 2005 aux éditions La Table Ronde, une œuvre pleine de créativité, de poésie et d’humour.

PROLOGUEAprès avoir écouté la lecture de la Charte dela Terre, Jordan Plevnes, qui était accompa-gné du prince du Monténégro et d’une délé-gation venue de la Macédoine, a rebondi surle mot “terre” en nous contant l’anecdote sui-vante: alors qu’il était mourant, à Babylone,Alexandre le Grand a demandé à ses amisqu’une fois mort ils vident son corps (selonla tradition égyptienne) et le remplisse de laterre blanche de Macédoine (qu’il ne devaitjamais revoir), qu’il considérait comme “uneterre écologique”.Puis, dans une ambiance détendue et remplied’humour, M. Plevnes a voulu partager avecnous trente-trois références marquantes del’immortalité et de l’universalité d’Alexandre(mort à 33 ans) : “Il est, en effet, un des êtresvivants au niveau planétaire aussi bien visiblequ’invisible parce qu’il reste dans l’iconogra-phie d’une dizaine de traditions du monde, etinvisible aussi dans les traditions linguistiques.”L’universalité d’Alexandre est évoquée dans denombreux textes, événements et références.Nous reprenons ici quelques-uns des trenteexemples cités par Jordan Plevnes.

“Le secret des secrets”

C’est le titre d’un des textes les plusmystérieux de l’Histoire. Il s’agitd’une lettre envoyée par Aristoteà Alexandre, alors qu’il était éloi-gné par ses conquêtes.

Dans ce texte, on trouve des éléments d’astro-logie, de vertu, de conduite publique, de dié-tétique, de médecine. Il a été traduit au milieudu 13e siècle et diffusé par les traditionsmacédonienne, grecque, syriaque, indienneet autres, créant une unité dans la concep-tion de l’univers. On le retrouve dans une cen-taine de manuscrits de la même période.

Le 30 novembre 2005,

Jordan Plevnes,

ancien ambassadeur

de Macédoine en France,

ancien délégué permanent

et aujourd’hui conseiller

à l’UNESCO,

a donné une conférence

au Centre culturel

Paris-Opéra de la SGF.

ALEXANDRE LE GRAND,LA MACÉDOINE

et son universalisme à l’échelle internationaleCompte rendu de la conférence en soutien à la Charte de la Terre

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“Pour la première fois, les yeux balkaniquesont eu la vision de l’infini”, commente Milos̆N. Gjuric’, professeur à l’université de Belgrade.

•Aristote, philosophe grec, né à Stagire (Macé-doine) (384-322 av. J.-C.) fut le précepteurd’Alexandre le Grand et le fondateur de l’écolepéripatéticienne. Son système repose sur uneconception de l’univers, où la diversité de cequi le constitue exprime une unité, que le phi-losophe au savoir encyclopédique doit mon-trer dans un discours rigoureux. Aristote estl’auteur d’un grand nombre de traités delogique, de politique, d’histoire naturelle, dephysique et de métaphysique. Il est le fonda-teur de la logique formelle. Son œuvre a mar-qué la philosophie et la théologie du MoyenÂge, en Occident, et a influencé plusieurs phi-losophes de l’islam.

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à l’immortalité d’Alexandre, dans sa visionrévolutionnaire humaniste. D. Ikeda poursuit :“Nous vivons dans les Balkans (…) unedécennie macabre au 20e siècle.”Il cite encore une parole de Philippe à sonfils Alexandre : “La Macédoine est trop petitepour toi” et conclut en disant : “Après samort, sa réputation s’étendit jusque dansles pays musulmans et lui valut le nom deIskandar. Une légende rapporte qu’Iskandardevint en Inde Skanda, le dieu des armées.Skanda devint ensuite l’une des divinitésbouddhiques censées protéger la Loi. Cettetradition bouddhique fut transmise jusqu’auJapon où le dieu Skanda est appelé Ida Ten.”Je citerai encore l’amphithéâtre dePeshawar où Bouddha devient Apollon[ Voir “Gandhara” dans le Dictionnaire dubouddhisme, Éd. du Rocher, p. 161] ; et, en242, une grande réunion bouddhiste où legrec Ménandros est transformé en saint sousle nom de Milinda (période du roi Ashoka).[ Voir “Milinda” dans le Dictionnaire du boud-dhisme, Éd. du Rocher, p. 289] Ce n’est doncpas par hasard si je suis parmi vous ce soir !C’est aussi par amour pour mon épouse,grâce à elle, que je suis venu vers cettemagnifique énergie que la SGI dispense dansle monde. Parfois, c’est l’intemporalité quicompte dans le temps !

Les noces de SuseCes noces consacrent l’apothéosed’Alexandre. À Suse, il célébra son mariageainsi que celui de ses Compagnons, dix millesoldats avec dix mille filles de l’aristocratieet de toutes les couches des populations“barbares”, perses et mèdes. Ces noces sontrestées dans la tradition historique etmythique transmise dans plusieurs cultures.

C’est l’image idéale d’un passé éloigné mon-trant la politique d’intégration d’Alexandre. Les traditions musicales des noces méditer-ranéennes témoignent, elles aussi, d’unmonde unitaire.

• Suse : ancienne capitale de l’Élam, détruitev. 646 av. J.-C. par Assourbanipal. À la fin du6e siècle av. J.-C., Darios 1er (ou Darius), en fitla capitale de l’empire achéménide (perse).Arrien, historien et philosophe grec (105-180),dans son Anabase, raconte : “À Suse, il(Alexandre) célébra des mariages, les siens etceux de ses compagnons. Il épousa lui-même lafille aînée de Darius, Stateira, et, d’après ce quedit Aristobule, il en épousa aussi une autre, laplus jeune des filles d’Ochos, Parysatis ; il avaitdéjà épousé Roxane, la fille d’Oxyartès le Bac-trien. Il donna Drypétis à Héphaistion, elle aussifille de Darius, sœur de sa propre femme ; il vou-lait en effet que les enfants d’Héphaistion soientcousins des siens… Les mariages furent célébrésà la manière perse. Plusieurs rangées de fau-teuils avaient été placées pour les fiancés, etaprès une période de boisson, les futures épou-sées vinrent s’asseoir à côté de leur fiancé ; ceux-ci les accueillirent et les embrassèrent ; c’est leroi qui donna l’exemple, car tous les mariagesfurent célébrés en même temps, ce qui, plus quetoute autre action, fit d’Alexandre un partisandu peuple et un ami pour ses compagnons…Quant aux autres Macédoniens qui avaient prispour femmes des Asiatiques, il ordonna qu’onprenne aussi par écrit leurs noms, et ils étaientplus de 10 000. À eux aussi Alexandre offrit descadeaux de mariage.”Babylone, centre du monde à l’époque d’AlexandreLe professeur Milos N. Gjuric’, dans un textesur Alexandre, citait un vers de Njegos̆ publiéen 1954 dans la revue de la faculté de philo-logie de Skopje : “L’impossible devient pos-sible ; le combat de l’esprit humain resteéternel.” M. N. Gjuric’ poursuivait : “Alexandre

n’aurait jamais eu ce rayonnement mondials’il était resté dans les Balkans. Il a choisiBabylone parce que, de là il pouvait jeter unregard sur le monde entier.” C’est à Babylonequ’une vingtaine de délégations sont venuesrendre hommage au jeune roi.

Les héritiers d’AlexandreÀ la mort d’Alexandre en 323, Aristote a 62 ans,Épicure 18, Zénon 9 ans. C’est le temps de l’épi-curisme(6) et du stoïcisme(7). L’une des tâchesdes successeurs d’Alexandre était d’établir lenéo-platonisme, puis la gnose (principaux fer-ments des quêtes spirituelles). Cela va durerjusqu’à la fermeture de l’Académie de Platonà Athènes par Justinien 1er (empereur byzan-tin, 482-565 ap. J.-C.) en 529 ap. J.-C. Dans différents textes, j’ai lu des analyses trèspoignantes sur l’influence du bouddhisme surle stoïcisme et le néo-platonisme(8). Mais ceciferait l’objet d’une autre conférence. Partoutles héritiers de cet universalisme naissent.Les mondes se côtoient et s’entremêlent.

La langue universelle koinéLa langue koiné était parlée en Macédoinedurant le règne de Philippe II et celui de sonfils Alexandre [par opposition aux dialecteslocaux, le koiné est une langue commune,basée sur le grec attique, diffusée dansl’ensemble du monde hellénisé après laconquête d’Alexandre]. Ce dernier avait ungrand rêve, celui d’unifier tous les êtreshumains et donc d’instaurer une seule languedans le paysage du monde connu de sonépoque. À ce propos, l’une des premières tra-ductions de la Bible fut réalisée en koiné àAlexandrie.Devant la démesure des conquêtes d’Alexandreet de ses rêves d’unification de l’Orient et del’Occident, Démosthène(13) fustigea Alexandre:“Qu’est-ce qu’il va faire, ce comédien ? Il vaenvahir le monde avec ses Compagnons, lesmusiciens et les comédiens, dans son théâtreambulant.”

• L’armée considérable d’Alexandre était eneffet accompagnée d’un interminable cortège :cuisiniers, médecins, infirmiers, concubines,acteurs, sportifs, menuisiers, marchands, scien-tifiques, chevaux de rechange, bêtes de sommeet d’abattage, chariots transportant vivres,bagages, armes, machines de guerre en piècesdétachées et fourrage.

Les 27 blessures d’AlexandreLes vingt-sept couleurs des mosaïques del’amphithéâtre macédonien d’Héraclae célè-brent la bravoure d’Alexandre qui, bien quefils du Soleil selon le mythe, n’en était pasmoins homme. Alors qu’il proposait aux vieux

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Macédoniens de les libérer de leurs devoirsmilitaires et de les renvoyer dans leurs foyers,ces derniers se sentant délaissés, Alexandreleur rafraîchit la mémoire : “Allons ! Que qui-conque a des cicatrices se déshabille et lesmontre, et moi je montrerai les miennes àmon tour. En ce qui me concerne, il ne resteaucune partie de mon corps, du moins pardevant, indemne de blessure et il n’estaucune arme, de main ou de jet, dont je neporte la trace sur ma personne : j’ai étéblessé par le glaive, au corps-à-corps, et j’aireçu des flèches, des projectiles… et ce pourvous, pour votre gloire et pour votre richesse.Je vous conduis en vainqueur par toute laterre, toute la mer, tous les fleuves, les mon-tagnes et les plaines…” (Arrien, dansAnabase.)

Les larmes d’AlexandreNéarque(9), Compagnon d’Alexandre, savantbotaniste, zoologue, méthodologiste, géo-graphe, a écrit un journal de bord lors de sanavigation sur les côtes de l’Inde et de laPerse. Le livre en main, Alexandre a pleuré,disant qu’il ressentait plus de joie à cettelecture qu’à la conquête de toute l’Asie. Ence sens, les larmes d’Alexandre relativisentson sentiment de toute-puissance tiré deses victoires.À propos de larmes, un archéologue macé-donien, M. Pasko Kuzman, du MuséeNational d’Okrid, a découvert en Macédoineun lacrymarium dans lequel se trouvait unliquide qui a été envoyé pour analyse dansplusieurs laboratoires du monde. Après delongues recherches, un laboratoire deToronto a identifié les larmes d’une jeuneprincesse morte à 17 ans, au début de notreère. On peut dire avec humour que cette

recherche symbolise l’universalisme del’archéologie moderne !

Diplomatie antique, diplomatiemoderne et diplomatie intemporelle[Jordan Plevnes a poursuivi avec humour :]À l’époque d’Antigonos Gonatas (320-239av. J.-C.), “héritier” d’Alexandre, contempo-rain du grand roi indien Ashoka (269-232 av.J.-C.), Pelléas a écrit un poème relatif à l’astro-nomie, “Les apparitions célestes”. On dit quele roi Ashoka lui aurait envoyé, à Pella (alorscapitale de la Macédoine), un remerciementdiplomatique.

•Gonatas était le fils de Démétrios 1er Polior-cète et le petit-fils d’Antigonos Monophtalmos,“le borgne”, brillant général d’Alexandre. Ilhérita du trône de Macédoine et le royaumeconnut un peu de stabilité.

Le réveil d’AlexandreAlexandre voulait qu’on le réveille avec cesmots “Réveillez-vous mon maître, vousn’êtes pas encore dieu, vous êtes toujoursun homme.”Dans sa façon de parler, Alexandre construi-sait ses phrases en plaçant toujours le verbeavant le sujet. Il disait : “penses-tu, fais-tu,aimes-tu”, pour “tu penses, tu fais, tu aimes”.En koiné, le verbe devait “faire le travail”.

L’œcumen cosmiqueCet autre nom pour “la paix” rejoint la notionde kosen-rufu dans le sens le plus profond.Alexandre a trouvé sa propre libération inté-rieure dans cette idée de la paix.

Alexandre, un mythe-histoireDans la tradition médiévale, Alexandre était unsujet d’inspiration pour les écrivains, reprisdans les traditions espagnole, arabe, syriaque,araméenne et d’Asie, et dans une centaine delangues. Quand un personnage historiquedevient une légende, il n’a plus rien à voir avecla réalité, mais avec le mythe.Dans la littérature arabe, Alexandre est aussiassimilé à Dul Qarnayn, l’Homme aux deuxcornes, celui qui parcourt le monde pouratteindre ses limites, aussi bien à l’est qu’àl’ouest de la Méditerranée. Cette image de“bicornu” apparaît dans le Coran.

Le manteau de pourpre d’AlexandreAlexandre de Paris, qui a repris au MoyenÂge le Roman d’Alexandre, raconte lalégende selon laquelle un druide celte(10)

aurait cousu un manteau de pourpre etl’aurait donné à Alexandre avant son départpour l’Inde, “manteau symbolique pour pro-téger son âme dans l’immortalité”.

“L’Alexandreide”De la même époque date l’Alexandreide, deGauthier de Châtillon, poème latin en dix livres,écrit entre 1178 et 1182 et dédié à l’archevêquede Reims, Guillaume. Ce poème à la gloired’Alexandre était déclamé et même chantédans les cours des princes.

L’adultère d’OlympiasLa légende raconte que Nectanébo II (359-341 av. J.-C.), dernier pharaon d’Égypte etgrand magicien, profitant, lors d’un séjouren Macédoine, de l’absence de Philippe IIparti en expédition, aurait séduit Olympias,mère d’Alexandre, sous les traits d’un bélieravec des cornes sur les tempes, le tout sem-blant en or. Il prit un sceptre en ébène, unhabit blanc et un manteau d’un extrême raf-finement, qui imitait la peau d’un serpent … Philippe accepta le récit que lui fit sa femmede l’origine divine de sa grossesse, et lorsquel’enfant naquit au milieu d’un violent orage,il y vit un signe divin, reconnut l’enfant pourson héritier, et lui donna le nom d’Alexandre.De son côté, l’historien Paul Faure pense quePhilippe II se trouvait bien en Macédoine, pré-cisément près du lac d’Ohrid, quand sonépouse Olympias apprit qu’elle était enceinte.

Lydia de MacédoineLydia était marchande de pourpre. Quandl’apôtre Paul est venu en Macédoine, elle l’ainvité chez elle, et sa maison est devenue lapremière église du pays. Elle a été baptiséeentre 40 et 50 après J.-C. et on la considèrecomme la première chrétienne d’Europe. Elleest en tout cas une figure très importantedans le domaine de l’universalismed’Alexandre. D’une part, en tant que repré-sentante de cette Macédoine antique, ellegardait le souvenir d’Alexandre ; d’autre part,elle inaugurait un autre rêve universel, avecl’arrivée de l’apôtre Paul.

Traces d’Alexandre en IndeUn écrivain indien, de Delhi, a écrit en 1299un livre sur Alexandre, disant : “Il a établi lenouvel ordre mondial, parce qu’il a vu lemonde dans le monde”.

• Sharmila Marius, agrégé de l’universitéParis IV, écrit dans un article intitulé “La Grèceet l’Inde sous les Mauryas” : «On considère habi-tuellement que l’invasion de l’armée d’Alexandredans le nord de l’Inde en 326-325 av. J.-C. a laissépeu de traces dans l’histoire de ce pays. En réa-lité, les conséquences de cette “conquête” furentimportantes et durables dans la mesure où elleseurent un effet profond sur les relations entrel’Inde et l’Occident. La naissance de ce que l’on a

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NOTES1. Eschyle : poète tragique grec, né à Eleusis (v. 525-456av. J.-C.). Ses œuvres qui exploitent les légendes thébaineset anciennes (Les Suppliantes, Les Sept contre Thèbes,L’Orestie), les mythes traditionnels (Prométhée enchaîné)ou les exploits des guerres médiques (Les Perses) font delui le véritable créateur de la tragédie antique.

2. Homère : poète épique grec, regardé comme l’auteurde L’Illiade et de L’Odyssée. Son existence problématiquefut entourée de légendes. Hérodote le considérait commeun Grec d’Asie mineure vivant vers 850 av. J.-C. La traditionle représentait vieux et aveugle, errant de ville en ville etdéclamant ses vers. Les poèmes homériques, récités auxfêtes solennelles et enseignés aux enfants, ont exercé dansl’Antiquité une profonde influence sur les philosophes, lesécrivains et l’éducation, et ont occupé, jusqu’au 21e siècle,une place importante dans la culture classique européenne.

3. Socrate : philosophe grec (v. 470-399 av. J.-C.). Hostileà tout enseignement dogmatique, il n’écrit pas mais tente,en posant des questions, d’accoucher les esprits en fai-

appelé “l’ère séleucide” et “l’ère maurya” est uneconséquence directe, historiquement et politi-quement, de la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C. En effet, c’est après cet événement que les conflitsentre les diadochoi (“héritiers”) de son empireont dessiné les contours de ce qui allait être,jusqu’à l’Empire romain, le monde des États hel-lénistiques. » (Le Trait d’union, organe de l’ami-tié franco-indienne, novembre 2000).

Saint Cyrille et saint MéthodeIls étaient deux frères venus de Constanti-nople en 863 pour évangéliser les Slavesd’Europe. Depuis la mort du pape NicolasXXIII, le clergé interdisait l’utilisation dansla chrétienté des langues slaves. Seulesétaient reconnues, le grec, l’hébreu et le latin.En réaction, saint Cyrille (826-869) s’exclameen 862, dans un vibrant plaidoyer : “Pourquoine nous laissez-vous pas parler nos diffé-rentes langues quand le soleil brille pour noustous, quand la pluie tombe pour nous tous,quand le ciel est bleu pour nous tous ?”Les élèves de saint Cyrille et saint Méthode(815-885) ont été vendus sur le marché auxesclaves de Venise, mais quelques-uns furentsauvés et sont parvenus jusqu’en Macédoine,près du lac d’Ohrid, où ils ont fondé la pre-mière université slave.

Alexandre, maître des seuils et des passagesJe pense que la citation qui suit vous inté-ressera particulièrement dans votrerecherche spirituelle de la Loi merveilleuse :“Dans la tradition antique, la maîtrise del’espace accordée aux conquérants se tra-duit par le fait qu’il n’est pas d’obstaclequ’Alexandre ne puisse franchir. Et ce thèmedu passage des seuils multiples non seule-ment jalonne le parcours du héros maisconstitue aussi un des ressorts essentiels del’insertion du légendaire et du merveilleuxdans la trame narrative d’origine historique. Frontières symboliques, les mers, fleuves,stèles et statues y font office de seuils nar-ratifs, voire d’appels à l’interpolation quiménage une progression dans la découvertede l’insolite…”

[ Jordan Plevnes a terminé sa conférence parces quelques mots ] : “Continuez cette quêteen parlant avec vos cœurs de la Loi mer-veilleuse qui, ce soir, nous a réunis dans l’hori-zon d’universalisme d’Alexandre le Grand deMacédoine.”n

BIOGRAPHIE D’ALEXANDREAlexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) était le fils dePhilippe II de Macédoine et d’Olympias.

L’enfancePhilippe II confia à Aristote l’éducation de son fils. Il litHomère, les poètes lyriques et les auteurs tragiques.cette culture classique fait de lui un parfait jeune noblegrec. Sa mère l’a convaincu qu’il descendait d’Héraclèspar son père et d’Achille par elle-même. À 13 ans, ildompte le cheval Bucéphale en comprenant que le che-val avait peur de son ombre. À 16 ans, en l’absence deson père, il assume la régence du royaume. À 18 ans, ilparticipe à la bataille de Chéronée (en 338) et écrase lebataillon sacré thébain, à la tête de la cavalerie macé-donienne. À 20 ans, à la mort de son père (en 336), illui succède. Thèbes et Athènes pensent pouvoir profi-ter de la jeunesse du roi pour s’affranchir de la tutellemacédonienne et fomentent une révolte tandisqu’Alexandre est occupé à combattre les tribus barbaresau nord de son royaume. Faisant volte-face, il revient àmarche forcée, met le siège devant Thèbes qu’il prendet fait raser (en 335) sauf la maison de Pindare et lestemples pour montrer qu’il n’est pas un barbare. Cettevictoire étouffa les velléités de révolte des autres citésgrecques.

À la conquête du mondeIl est nommé général en chef des contingents grecs enga-gés pour la campagne d’Asie. Il passe l’Hellespont auprintemps 334. Dès lors, sa vie n’est plus qu’une vasteconquête. La bataille du Granique lui ouvre l’Asiemineure. Il s’empare de la Syrie et met le siège (en 332)devant Tyr puis devant Gaza. L’Égypte l’accueille en libé-rateur et les prêtres lui confirment son origine divine. Ilfonde Alexandrie. Au printemps 331, il prend Babylone,Suse et Persépolis.La conquête (329-327) de la Bactriane et de la Sogdianeest difficile. En 327, il célèbre à Bactres son mariage avecRoxane, fille de Darius. En 326 av. J.-C., il descend la val-lée de l’Indus. Alexandre descend le long du fleuve etest blessé à l’assaut de la forteresse des Malliens. Peuaprès, son armée, épuisée, se rebelle. Alexandre se voitcontraint à rebrousser chemin. Revenu à Suse (en 324),Alexandre épouse une autre fille de Darius et prescritles mariages mixtes entre soldats macédoniens etfemmes issues des peuples conquis. Cette politiqued’assimilation lui fait perdre la confiance de nombreuxMacédoniens.

La mort d’AlexandreLe 30 mai 323 av. J.-C., alors qu’il préparait sa campagnede conquête de l’Arabie, Alexandre tombe malade. Sonétat empire rapidement et, le 10 juin 323 av. J.-C., aucoucher du soleil, il meurt à presque trente-trois ans,dans la treizième année de son règne.

sant découvrir à ses interlocuteurs la fausseté de leur pointde vue et les contradictions dans lesquelles il les emmène(dialectique).

4. Sophocle : poète tragique grec, né à Colonne (v.495-406 av. J.-C.). Il ne reste de lui que sept pièces (Ajax,Antigone, Œdipe roi, Electre …) et un fragment des Limiers.Il modifia le sens du tragique en faisant de l’évolution duhéros et de son caractère une part essentielle de la mani-festation du destin et de la volonté des dieux.

5. Euripide : poète tragique grec, né à Salamine (480-406av. J.-C.). Son théâtre, marqué par les troubles de la guerredu Péloponnèse, déconcerta ses contemporains, maisses innovations dramatiques (importance de l’analysepsychologique, rajeunissement des mythes, indépendancedes chœurs par rapport à l’action) devaient influencerprofondément les écrivains classiques français.

6. Épicurisme : selon Épicure, philosophe grec, né à Samosou à Athènes (341-270 av. J.-C.), la pensée fait des sensa-tions le critère des connaissances et de la morale, et desplaisirs qu’elles procurent, le principe du bonheur.

7. Stoïcisme : fermeté, austérité. Doctrine philosophiquede Zénon de Kition, puis de Chrysippe, Sénèque, Épictèteet Marc Aurèle). Le stoïcisme est surtout une éthique quis’appuie sur une conception du monde (physique) et unethéorie logique de la connaissance. Pour les stoïciens, lesouverain bien de l’homme consiste à vivre en harmonieavec lui-même, ses semblables et la nature, c’est-à-direà rechercher l’absence de troubles (ataraxie).

8. Néoplatonisme : éclectisme, mysticisme, ascétisme.Courant philosophique né avec Plotin (203-270 ap. J.-C.),qui fait du Parménide le dialogue principal de Platon.

Platon : philosophe grec, né à Athènes (428 ou 427-348ou 347 av. J.-C.). Disciple de Socrate, il fait parler son maîtredans des dialogues où il définit une notion (l’amitié, lavertu, etc.) puis développe une argumentation dialectiqueet mathématique. Distinguant le savoir de l’opinion et lemonde des idées et de la vérité du monde sensible, il éla-bore une philosophie idéaliste, où s’articule notammentune théorie de l’être et de la nature avec une théorie dulangage et de la politique. En 387 av. J.-C. ,il fonda à Athènesune école philosophique – l’Académie – et inaugura ainsiune tradition féconde, le platonisme.

9. Néarque : navigateur originaire de Crète, qui s’établità Amphipolis sous le règne de Philippe II. Sans doute guèreplus âgé qu’Alexandre le Grand, il participe à l’expéditiond’Alexandre et devient, sûrement en raison de son expé-rience de marin, satrape de Lycie et Pamphylie en 334 av.J.-C. Il rejoint le souverain en Bactriane vers 329. Son prin-cipal fait d’armes est le commandement de la flotted’Alexandre qui rejoint l’embouchure de l’Indus à celle del’Euphrate en 325 av J.-C. dans des conditions très difficiles.Il écrit par la suite un rapport détaillé de son voyage (Périple)qui inspire très largement Arrien dans sa Description del’Inde. Il se prépare à diriger la flotte dans une expéditioncontre l’Arabie quand Alexandre le Grand disparaît en juin323 av. J.-C. Il demeure ensuite dans l’entourage d’Antigonele Borgne et participe à la lutte contre Eumène de Cardia(321 av. J.-C.), puis il conseille le fils d’Antigone, DémétriosPoliorcète en Syrie entre 314 et 312 av. J.-C.

10. Celtes : groupe de peuples parlant une langue indo-européenne, individualisés vers le deuxième millénaire.Leur habitat primitif est sans doute le sud-ouest del’Allemagne. Ils envahirent au cours du premier millénairela Gaule et l’Espagne, les îles Britanniques, l’Italie, lesroyaumes hellénistiques et l’Asie mineure (Galatie). Lapuissance celtique fut détruite par les Germains et lesRomains ; seuls subsistèrent les royaumes d’Irlande.

Propos recueillis par Élizabeth Viel

BIBLIOGRAPHIEJordan Plevnes recommande, parmi les quelque troismille ouvrages sur Alexandre le Grand, La véritablehistoire d’Alexandre, de Jean Malye (Éd. Les BellesLettres, 2004)

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Alexandra Berghino,historienne et psycha-nalyste, membre de la communauté juive ;Hassan Ferechtian, Iranien musulman chii-te, écrivain, docteur en droit et en théologie;Jean Labrousse, directeur honoraire de lamétéorologie nationale, ancien directeurrecherche et développement de l’Orga-nisation météorologique mondiale, àGenève; Philippe Moreau,assistant du res-ponsable académique de la formation conti-nue de l’académie de Créteil, bouddhiste,adhérent de la SGF ; sœur Cécile Renouard,religieuse de l’Assomption qui, après avoirenseigné la philosophie en lycée, anime laformation humaine et spirituelle des élèvesde terminale de l’Institut de l’Assomption àParis. Elle rédige actuellement une thèse dedoctorat en philosophie politique sur le rôledes entreprises multinationales en matièrede développement durable dans les pays duSud et sœur Marie-Hélène Trebous, reli-gieuse Dominicaine. Caroline Juillard,professeur des universités,a eu, en tant que “modératrice”, la difficiletâche de faire respecter les temps de parole,rôle qu’elle a su tenir dans la bonne humeur.

PREMIERE PARTIELES RÉFÉRENCES RELIGIEUSES

Bertrand Rossignol, responsable général dela jeunesse de la SGF, a rappelé l’article 7 dela Charte de la Soka Gakkai internationale :“En se fondant sur l’esprit bouddhique detolérance, la SGI s’engage à respecter lesautres religions, à dialoguer et œuvrer avecelles pour résoudre les problèmes fonda-mentaux auxquels l’humanité est confron-tée.” Il a évoqué les différentes actionsmenées par la Soka Gakkai qui touchent aussibien les domaines de la culture, de la non-vio-lence, de la solidarité, que celui de la protec-tion de l’environnement. Pour célébrer l’entrée dans la “Décennie desNations unies pour l’éducation en vue dudéveloppement durable” (2005-2014), lethème choisi pour ce colloque a été celui del’éthique de l’environnement.Betty Mori, vice-directrice générale de la SGF,après avoir remercié les personnes présentes,en tant que porte-parole du président de la

Depuis trois ans, la SGF est à l’initia-tive de rencontres interreligieuses:en 2002 “Religion, paix et non-vio-lence”, en 2004 “Vers une éducationà la paix”. Ces colloques sont appré-

ciés du public pour l’espoir qu’ils apportent,car ils sont le fruit de dialogues entre des per-sonnes ayant des fondements religieux dif-férents mais une même aspiration à la paix.

Préparation et thème retenuC’est avec joie et optimisme que les inter-venants se sont retrouvés plusieurs fois dansl’année pour échanger leurs points de vue etréfléchir ensemble aux actions à mener pourun monde meilleur… De véritables liensd’amitiés se sont ainsi créés entre eux car lebut de la préparation et du colloque n’est pasd’aboutir à une sorte de syncrétisme, de toutmélanger, de gommer ou de nier ses diffé-rences pour simuler la tolérance mais biende faire un effort d’écoute et d’ouverture :afin de mieux comprendre l’autre – et l’autrereligion – dans sa différence et dans son uni-cité, tout en gardant l’objectif de trouver leséléments communs qui nous rassemblenten tant qu’êtres humains.C’est dans ce double mouvement d’ouvertu-re à l’autre et d’ effort pour clarifier son proprepoint de référence spirituelle que les acteursde ces colloques disent renforcer tout à la foisleur croyance et la conscience de leur huma-nité commune. Les trois rencontres de Paris, Nantes et Tretsprirent des formes différentes. À Paris, la ren-contre s’est articulée autour de deux axes: lematin, une première partie dédiée aux fon-dements religieux pour répondre à la ques-tion suivante : dans les textes religieux, à l’ori-gine, quelles sont les références liées àl’interaction homme-environnement ?L’après-midi, une session centrée sur la prisede conscience et l’action qui en découle : com-ment les religions cherchent-elles à éveillerl’homme et jusqu’où peuvent-elles aller,jusqu’où doivent-elles aller ? Comment pas-ser de la vision théorique à l’action ?Les questions-réponses avec le public furentparticulièrement appréciés. Les actes de cecolloque seront publiés en fin d’année, nousvous en présentons ici un bref résumé. n

Le 19 novembre 2005,

la Soka Gakkai a organisé

un colloque interreligieuxqui s’est déroulé sous la forme de

trois rencontres en trois lieux:

L’une au Centre culturel

de la SGF à Paris,la deuxième au Centre de la SGF

de Nantes et la troisième

au Centre européen de Trets.

DIALOGUES INTERRELIGIEUX POUR UNE ÉTHIQUE

DE L’ENVIRONNEMENTCompte rendu du colloque organisé par la Soka Gakkai France

LE COLLOQUE À PARIS

Émile Moatti,délégué général de la Fraternitéd’Abraham, membre du Comité directeur del’amitié judéo-chrétienne de France et ancienmembre du conseil d’administration de laConférence mondiale des religions pour lapaix, présidait ce 3e colloque interreligieux. Autour de lui, ont participé à la réunion :

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Soka Gakkai internationale, a précisé que cesdialogues permettaient de réveiller nosconsciences et d’élever nos âmes. Elle a rap-pelé que le rejet du dialogue est le dénomi-nateur commun à tous les maux du monde etque M. Ikeda a mené des dialogues avec denombreuses personnalités. Puis ÉmileMoatti a ouvert la première partiedu colloque : la présentation de la démarchereligieuse des différents intervenants.

Émile Moatti.Né au sein d’une famille nom-breuse en Algérie dans un petit village où l’har-monie règnait entre les juifs, les chrétiens etles musulmans, il est retourné aux racines dujudaïsme une fois installé à Paris pour prépa-rer les concours des grandes écoles, après laguerre d’Algérie. Pour lui, la Genèse [ premier livre de la Bible,consacré aux origines de l’humanité et à l’his-toire des familles d’Abraham, d’Isaac et deJacob], le livre sur l’être humain, associe à éga-lité les deux dimensions masculine et fémi-nine. L’idée centrale du judaïsme est que lacréation de l’être humain est bonne en soi. La méthode pédagogique du judaïsme est demontrer que l’homme n’est pas parfait et qu’ilfaut donc passer au crible tous ses aspects.L’être humain doit même arriver à utiliserl’énergie du mal qui est en lui pour la transfor-mer en bien.Toute la Genèse pourrait être appe-lée “l’émergence de la fraternité”. Le devenirdu monde est lié à l’éthique de la société, etdonc à la responsabilité de l’homme.

Jean Labrousse, qui assumait son rôle descientifique athée dans une assemblée spiri-tuelle, a très clairement mis l’accent sur l’undes aspects majeurs de l’environnement :l’évolution du climat. Il a varié alors quel’homme n’existait pas et il change tous lescent mille ans. Aujourd’hui, on peut consta-ter que l’ozone et d’autres gaz absorbent lesrayons infrarouges émis par le sol et ainsi blo-quent la chaleur, ce qui est appelé “effet deserre”. L’homme a sans aucun doute uneinfluence sur l’augmentation de l’effet deserre. Comment enrayer l’augmentation dela température et, à terme, celle du niveau dela mer est une question capitale pour l’avenir.

Jean Labrousse a parfaitement démontré, auxcours de ses deux interventions, que l’espè-ce humaine est totalement impliquée dansl’avenir de notre planète. Selon ses études,les simples citoyens et les États gouvernantsdoivent impérativement assumer leurs res-ponsabilités.

Sœur Marie-Hélène Trebous, ayant vécu dixans au Japon comme enseignante, a pus’ouvrir à une culture différente de la sienne,celle du bouddhisme et du shintoïsme. Elle perçoit que la culture occidentale se posi-tionne plutôt face à la nature qu’en relationd’harmonie avec elle. Elle s’est référée à laGenèse ainsi qu’à certains psaumes (chantsliturgiques bibliques). Par là, elle a souligné,pour le priant, la conscience d’appartenir autout du monde et de s’en savoir responsable.Dans le contexte actuel, constate sœur Marie-Hélène Trebous, les hommes exploitant lacréation au lieu de la gérer déclenchent desconséquences déjà dramatiques (pollution,épidémies, etc.). Faut-il désespérer de notremonde ? Non, car l’harmonie entre l’hommeet la nature n’est pas derrière nous, comme

un paradis perdu, mais devant nous, commeun projet à faire exister toujours plus : elle esten progression. Dans cette dynamique estengagé l’acte créateur de Dieu, qui nous meut.Il y a en Dieu une force de vie qui passe touteforme de mort et ressurgit.

Hassan Ferechtian a exprimé sa reconnais-sance pour sa troisième participation à un col-loque interreligieux de la SGF. Il explique quel’islam regarde la nature comme un signe deDieu. Dans le Coran [ livre sacré des musul-mans], la croyance s’appuie sur la sagesse del’individu. La nature n’est pas un objet: il fautavoir un comportement correct avec elle. LeProphète a dit : “La terre est comme votremère, les êtres humains doivent la protéger.Premièrement, la terre est votre matière debase; deuxièmement, cinq fois par jour on seprosterne sur cette terre lors des prières; troi-sièmement, en fin de vie c’est le retour à laterre. C’est de la terre que nous avons étécréés et c’est à elle que nous retournons.”L’agriculture est un travail sacré dans l’islam.Si nous exploitons la terre comme il faut, Dieuva bénir notre travail. Les terres non cultivéessont considérées comme appartenant à Dieu.

Alexandra Berghino vient d’une famille quia été victime de la Shoah et évoque le silencede la déchirure, et la force qu’elle tire del’étude de la Torah [la Loi]. Abraham est partide Mésopotamie vers la terre de Canaan, pro-mise par Dieu. Dans la culture juive, le bienagir est essentiel. Le désert est une double image : il n’appar-tient à personne et il faut trouver l’eau en pro-fondeur, c’est ça le questionnement. La Torahn’est pas un livre scientifique, on n’y trouvedonc pas de réponse toute faite, il faut cher-cher à l’interpréter par soi-même.

Pour Philippe Moreau, à l’origine, l’hommeest nu, physiquement et psychologiquement.Il a adressé des prières en reconnaissance àla nature pour ses bienfaits. Shakyamuni, enInde, a enseigné dans les huit dernièresannées de sa vie le Sûtra du Lotus qui consi-dère que l’individu contient l’univers toutentier. Tous les êtres humains possèdent l’état

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Les participants au colloque de Paris, de gauche à droite : Émile Moatti, Alexandra Berghino, Hassan Ferechtian, Jean Labrousse, Philippe Moreau, sœur Cécile Renouard et sœur Marie-Hélène Trebous.

MESSAGE DE MAJID TEHRANIAN

Majid Tehranian, universitaire et spécia-liste de l’islam, a écrit avec le président dela SGI, Daisaku Ikeda, un livre intituléBouddhisme et islam, le choix du dialogue(Éditions du Rocher, 2005). Invité au colloque de cette année,M.Tehranian, qui ne pouvait s’y rendre,a envoyé un message dont la lecture a étéfaite en ouverture:“Une culture de paix implique un certaindegré d’organisation humaine. Nousnaissons tous avec des tendances ins-tinctives aussi bien à l’agression qu’à lacoopération. Notre comportement estdéterminé par notre conscience indivi-duelle et notre appartenance à unesociété. Dans la mesure où nous prenonsconscience de ce fait, nous devenons dessujets actifs de l’Histoire, plutôt que desobjets passifs conditionnés par elle. Demanière générale, le rôle d’une religionest de nous aider à nous forger ce type deconscience.”

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de bouddha. Pour résumer rapidement, au6e siècle, le bouddhisme se développe enChine avec Tien-t’ai pour qui l’esprit et les phé-nomènes ne peuvent exister l’un sans l’autre.Miao-lo, 6e patriarche de la lignée de l’écoleTien-t’ai en Chine a écrit : “Dans le corps, toutest modelé sur l’univers… Les quatremembres sont comparés aux quatre saisons,les 360articulations aux jours de l’année, lessourcils à la grande ourse, les poils aux forêts,les os aux rochers, le sang aux rivières, etc.”Au 8esiècle, le bouddhisme est apporté, avecDengyô, de Chine au Japon où, au 13e siècle,naquit Nichiren Daishonin. Un principe bouddhique transmis par Nichirenexplique l’inséparabilité de soi et de son envi-ronnement (esho funi) : la vie représente lecorps et l’environnement l’ombre. Les êtressensitifs et non sensitifs possèdent l’état debouddha et tous les phénomènes sont eninteraction. Par la prière et par leur vie spiri-tuelle, les êtres humains ont la possibilité dechanger d’état de vie et donc de modifier leurenvironnement.

Pour Émile Moatti, une des erreurs de l’huma-nité après le déluge est la construction de laTour de Babel. Dieu a donné un pouvoir énor-me à l’être humain. Pouvoir qu’il a utilisé poursa perte : une société axée sur le seul maté-riel perd son âme. Avant la Tour de Babel,l’humanité parlait la même langue. Laconstruction de cette tour, image de l’ambi-tion démesurée de l’homme, a conduit à l’écla-tement de l’humanité en parlant des langagesdifférents. Le philosophe Alain a montrél’influence du rituel sur la pensée. Il note avechumour que le Français en général s’intéressesurtout aux idées, il est plus inventeurqu’applicateur; il lui faut donc faire un efforten ce sens. Ph. Moreau précise que c’est à nous d’exer-cer notre liberté. Nous, qu’est-ce qui nousoblige à utiliser les moyens de destruction ?H. Feretchian fait référence au Coran quiregardeavec harmonie les événements. C’estun livre pour les êtres humains, il change notreregard sur les événements naturels en voyantla nature comme un signe de Dieu.A. Berghino insiste sur l’importance del’étude qui doit mener à l’action.Selon sœur M.-H. Trebous, la Bible est faitepour nous pousser à chercher les réponses. A. Berghinoexplique que, dans le judaïsme,tout est basé sur le texte et son interprétation. Pour J. Labrousse, c’est peut-être la premièrefois que de tels phénomènes prouvent defaçon indiscutable l’interaction du mondeentier. C’est, dit-il, l’occasion de prendreconscience que nous ne pouvons pas avoir

d’actions indépendantes et devons œuvrerensemble à l’échelle mondiale.

DEUXIEME PARTIEDE LA THÉORIE À L’ACTION

C’est sur un fond d’impressions laissées parles images du film La Révolution tranquilleque débute l’après-midi de cette session. Les participants vont chercher à éclairer dequelle manière les religions, en éveillantl’homme, pourraient lui permettre d’agiradéquatement dans son environnement.

Le constat socio-environnementalLes nations semblent jusqu’ici avoir été bâtiessur des bases où l’agressivité interethniquea été le principal mode relationnel. Ces moti-vations de départ ont entraîné une attitudechez l’homme qui l’incite à un comportementnégatif, qui reste donc à redresser, commel’a expliqué Émile Moatti. Pour sœur Cécile Renouard, le matérialisme,la consommation à outrance, l’efficacité, larationalité sont devenus les maîtres mots denotre société. Ces aspects ne sont pas suffi-sants et deviennent dangereux quand ilsempêchent la relations aux autres et auxchoses sous le mode de la non-maîtrise, dela réceptivité et de la gratuité. Philippe Moreaua rappelé l’harmonie qui pré-valait au sein des tribus indiennes d’Amériquedu Nord. Ils ne déplaçaient pas une pierre sansune raison suffisamment importante maisl’arrivée des “Blancs” a bouleversé cet équi-libre. Cet exemple illustre, pour lui, le fait quela notion de reconnaissance qui a été perduechez l’homme entraîne sa perte et la des-truction de son environnement. Le boud-dhisme enseigne que les états d’enfer et decolère provoquent la guerre tandis que ceuxd’avidité et d’animalité amènent l’inflation.Ces états de vie éloignent progressivementl’homme de la nature dont il fait partie. À ce propos, Jean Labrousse, en scientifiqueaverti, a lancé un sévère rappel à l’ordre: troisgigatonnes de carbone en excès dans l’atmo-sphère, une fois la quantité absorbée par l’eaude mer et celle nécessaire à la croissance desarbres ôtée. La destruction des forêts, ledestockage du béton et les pollutions diversesdues à notre mode de consommation haus-sent dangereusement ce volume, augmen-tant l’effet de serre. Le réchauffement de laterre qui en découle entraîne la fonte des gla-ciers, provoquant une baisse de la salinité desmers, ce qui pourrait produire à long terme unrenversement des courants marins et/oul’arrêt du Gulf Stream. De même, la fonte du per-mafrost, qui a déjà débuté de manière impor-

tante en Sibérie, libère des molécules deméthane, accroissant l’effet de serre de maniè-re vingt fois plus importante que le gaz carbo-nique. Pour Jean Labrousse, les sentimentsressentis aujourd’hui sont partagés par beau-coup mais pourquoi n’arrivons-nous pas à“renverser la vapeur”? Même les pays les plusreligieux n’agissent pas.

Le rôle de la religion Hassan Ferechtiannous a rappelé que la paixest inconcevable sans la paix avec soi-même,avec ses voisins, avec la terre qui nousaccueille. Dans l’islam, la terre est considé-rée comme un dépôt divin. La première villeconstruite selon les instructions du Prophèteest Médine. À l’époque, certaines terresn’étaient pas fertiles, elles étaient abandon-nées. Le Prophète disait : si quelqu’un laisseune terre sans la cultiver pendant plusieursannées, il perd sa terre. Quand on construisait une mosquée, il étaittout aussi important de planter également desarbres aux alentours. Le Prophète considéraitle métier d’agriculteur comme le meilleur tra-vail parce qu’il est en harmonie avec la nature.La Terre ne nous appartient pas, elle est des-tinée à toutes les générations. Dans le Coranexistent de nombreux versets ayant trait à lamise en garde contre le gaspillage. Philippe Moreau a repris les paroles deDaisaku Ikeda expliquant qu’un esprit videet destructif produit un environnement déser-tique. En revanche, la force de la prière per-met une prise de conscience en profondeur,elle libère la volonté d’agir en déployant lecourage nécessaire. Toute personne possè-de ce pouvoir. Et, heureusement, l’état de vie de l’êtrehumain peut changer. Philippe Moreau nousa rappelé qu’il y a deux mille ans, vivait en Indeun roi violent et sanguinaire, le roi Ashoka,qui, après sa conversion au bouddhisme, éta-blit un règne pacifique et parvint pour la pre-mière fois à unifier l’Inde.Cécile Renouard a cité un théologien belgepour qui “le cosmos est la demeure du salut”,c’est-à-dire le lieu où se joue la responsabi-lité humaine. Pour elle, la religion se situe enamont, elle doit éclairer le sens et dynamisernotre vie et celle des institutions qui organi-sent la vie humaine de manière à nous don-ner un sens critique. “Les religions devraientdessiner des routes aux politiques mais sansjamais se substituer à eux, cela pour essayerde redéfinir ce qui compte, redonner un sensà notre existence et ce, avec une approchelucide.”Alexandra Berghino a expliqué que la Torahincite à agir d’abord pour comprendre ensuite.

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L’étude seule peut mener à l’auto-satisfac-tion, alors qu’agir, observer son action pouraller encore plus loin permet d’éviter l’enfer-mement dans ses propres certitudes. Le film Une révolution tranquille l’a renvoyéeà l’eau. La Torah est aussi source de vie, on lacompare à l’eau. Sans travail, il n’y a pas d’ali-ments, sans aliments, pas de paix pour lequestionnement, sans questionnement, pasde Torahet sans Torah pas de vie, autrementdit sans eau, pas de vie. Le fils de Jacob est lefils d’Israël, il a gagné une bataille sur l’angede la mort, cela la renvoie à une “guerre detitans” évoquée par les gigatonnes de carbo-ne à éradiquer de Jean Labrousse mais aussiau poids de la parole.Sœur Marie-Hélène Trebous a rappelé qu’entoute tradition religieuse sérieuse, la prièren’est pas démobilisation ni évasion commecertaines personnes le pensent, mais sourced’énergie pour inventer un avenir possible.

La clef : éduquer Alexandra Berghino a insisté sur l’importancedes mots pour enseigner une autre attitude.Agir est donc fondamental, le Talmud dit: “Quichange de terre, change de chance”. Éduquerest fondamental et doit se faire de manièrepermanente, car nous grandissons avec nosenfants.Émile Moatti a alors rappelé que c’est cequ’Abraham a enseigné. C’est-à-dire ensei-gner aux enfants, être solidaire des autres, etlutter pour créer un état de droit (la même jus-tice pour tous). Le prophète Isaï disait “l’espritde Dieu abondera dans le monde commel’eau des océans”, mais cela n’est possibleque par l’éveil des consciences. “Quelle tristesse si à 18 ans on pense qu’onne peut pas changer le monde!”,s’est excla-mée sœur Cécile Renouard qui, en interro-geant les élèves d’une classe, avait eu le sen-timent qu’ils n’avaient plus d’espoir. Unsentiment d’impuissance et un manque deconfiance les habitent, dit-elle.Il faut, développa ensuite sœur Cécile, édu-quer les enfants et aussi les adultes. Quand il s’agit de développement durable, leréflexe de survie peut, chez les uns, se limiterà vouloir garder leurs avantages, mais il peutaussi, chez d’autres, entraîner une inquiétu-de morale et spirituelle par rapport à leurs pro-jets et choix de vie. Le développement durabledoit répondre aux besoins présents, les nôtreset ceux d’autrui, sans compromettre l’avenirdes générations futures. Tel est le défi : réflé-chir à l’amélioration de notre vie, de notre tra-vail, de nos relations et notamment celles à lanature. Les entreprises parlent de “normes” quand il

À propos des jeunes manquant d’espérancedes jeunes évoqués par sœur Cécile, ÉmileMoatti a expliqué qu’il nous faut savoir fairel’éloge de la France, pays de droit, de raisonet de l’universel pour leur faire prendreconscience de la chance qu’ils ont. Il lui estarrivé de leur raconter ce qu’il a vécu en URSSdurant quinze mois, dans le cadre d’une mis-sion pour la construction d’usines françaises.Dans les régimes totalitaires, si on dit un motde travers on peut être dénoncé et se retrou-ver en Sibérie ! Quand on est dans un payscomme la France, il faut savoir reconnaître ceque celle-ci a apporté au monde.Pour sortir du ghetto, se connaître soi-mêmepermet de réfléchir à la façon de changer lemonde. Il est important de réduire les clivages exis-tant entre les différentes communautés reli-gieuses, et parfois même en leur sein. SœurCécile nous a dit : “Il faut construire sansattendre le lendemain”. Effectivement, il y ena qui attendent des solutions toutes faites,des Juifs y compris lorsqu’ils attendent toutdu Messie en particulier !

Pour conclure ce colloque à Paris, ÉmileMoatti a réussi le tour de force de synthétiserl’essentiel des convictions énoncées par lesintervenants et de les résumer au public ensoulignant ce qui, chez chacun d’eux, repré-sente le vrai trésor pour l’humanité. Chacun a pu apprécier la conviction profondedes intervenants d’avoir une identité parti-culière fondée sur des racines communes. n

Textes: Roselyne Kadyss, Vincent Pilley et Emmanuelle Sellal,

photos: Corinne Mayaudon.

s’agit de développement durable, mais la pro-blématique est bien plus profonde. Quellesalliances peuvent se produire entre l’hommeet la nature, quelles nouvelles formes de viepeuvent en surgir ? Quel est le rôle de l’éco-nomie, comment prendre en compte les éco-sytèmes, comment reconnaître la relationintrinsèque de l’activité humaine et de sonenvironnement ? Dans toutes nos actions, ilfaut penser “avenir” et non “immédiat”. Émile Moatti a ajouté qu’il faut en effet agirdans notre quotidien, au jour le jour, par despetites choses qui, finalement, s’addition-nent et finissent par changer l’état des choses.

BREFS RAPPELS

En 1979 a lieu la Conférence mondialesur le Climat, réunissant des scientifiquesqui établissent un constat de la situationde la Terre. Une Convention permettantde réduire les gaz à effet de serre est signéeen 1992 au Sommet de la Terre de Rio. En1997, le protocole de Kyoto est signé,imposant une diminution de 5% des gazà l’ensemble des pays. Pour entrer envigueur, il doit être signé par 55 pays res-ponsables de plus de la moitié des émis-sions. La signature de la Russie en 1994 apermis sa mise en application. Les États-Unis ne l’ont toujours pas signé.

Selon Jean Labrousse, compte tenu desschémas de développement économiqueactuels, nous ne pourrons échapper à unesituation dramatique dans les cent à centcinquante ans à venir. Il faut donc que laFrance diminue ses émissions de gaz dequatre fois pour participer équitablementà la réduction des trois gigatonnes de car-bone excédentaires sur la Terre. Et tousles pays doivent agir ensemble.

À Paris, au Centre culturel Paris-Opéra de la SGF, les sessions du matin et de l’après-midi, ont réuni près de 300 personnes.

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LE COLLOQUE À NANTES

À Nantes, ce dialogue interreligieux a eu lieugrâce à quelques adhérents de la SGF habi-tant la Roche-sur-Yon . En effet, en 2004, lorsd’une rencontre en notre centre nantais, ilsnous avaient présenté le groupe interreli-gieuxauquel ils participaient dans leur ville.Ce groupe avait été fondé à l’initiative deSlimane Aït Hamou et de Christiane Noëlaprès les dramatiques attentats du 11 sep-tembre, afin de prendre, en tant que per-sonnes ordinaires, l’initiative de bâtir la paix.

Il était dès lors tout naturel de solliciterChristiane Noël, et nous avons eu, avec lebénéficede son engagement et de son expé-rience, un soutien très précieux de sa partdurant la phase de préparation de ce col-loque, ainsi que pour le rôle de modératricequ’elle a accepté de jouer cet après-midi du19 novembre 2005. Un merveilleux momentfut la lecture qu’elle nous offrit d’une prièrede saint François d’Assise (“le Cantique descréatures”), dans laquelle il rend un vibranthommage à la nature, au pardon, à la paix età “notre sœur la mort corporelle, à laquellenul homme vivant ne peut échapper.”

Notre partenaire bouddhiste tibétain de la tra-dition Shambala, Philippe Ronce, avait déjàparticipé à un de nos précédents colloquesinterreligieux. Il apporta sa longue expérien-ce d’engagement en écologie politique. La cho-rale Magnolia, qui ouvrit le colloque, pouvait,selon lui, par l’apport de la voix unique dechaque personne, figurer le modèle d’un enga-gement de chacun au sein de sa propre tradi-tion pour le bénéfice de l’environnement. C’està l’éveil de la nécessité d’une action communeque Philippe Ronce nous a encouragés.

Invitée pour témoigner de ses initiatives (créa-tion du festival d’écologie de Nantes, promo-tion des gestes écologiques quotidiens, etc.),c’est la réforme intérieurequi était au cœur del’intervention de Noëlle Pons. C’est, dit-elle,en nous éveillant à notre interdépendance,aux pièges dans lesquels notre avidité nousenferme, que la sobriété devient une attitude.

Dès lors que nous sommes des observateursvigilants de ce qui se passe en nous, nousacquérons la force et le courage de prendreles initiatives que nous pensons nécessairesau sein de la société. Noëlle respecte sa terreMère et peut ainsi tout lui confier, y trouverconsolation dans les moments difficiles, etles réponses aux questions qu’elle se pose.

Né au sein du Sahara, dans la région du Mzaboù l’adversité climatique a rendu les hommeshumbles face à la nature, Yahia Baamara nousa fait part des grandes préoccupations del’islam pour la paix. En effet, “islam” vient desalama qui signifie la paix, et qui exprimeaussi la bonne santé de l’esprit et du corps :être en harmonie avec soi, avec les autres,avec toutes les créatures. L’intention (nyyâ )est une notion centrale de l’islam, où l’hommeest libre de ce qu’il fait et de ce qu’il dit, maisdont il devra rendre compte devant Dieu lemoment venu: il est responsable, ilsera jugéet sanctionné.

Engagé dans sa foi catholique comme dansl’écologie, Hugues Ravenel a entrepris uneconversion vers un mode de vie différent dumode de vie consumériste contemporain. Ilnous recommande de ne pas prendre l’AncienTestament au pied de la lettre, quand il y estdit “Soyez la crainte et l’effroi de tous les ani-maux de la terre et de tous les oiseaux duciel…”, et de le comprendre dans le contextehistorique d’un peuple en esclavage qui a

besoin d’espérance, et non comme une incita-tion à l’exploitation sans foi ni loi de la nature.La chrétienté a eu la chance de bénéficier del’expérience de vie de saint François, qui aentrepris sa propre conversion grâce à sa rela-tion avec la nature, qu’il a célébrée dans detrès beaux textes.

André Thibaudeau,qui représentait le boud-dhisme Soka, a expliqué comment nous pou-vons, quelles que soient nos conditions devie, nous appuyer sur la philosophie boud-dhique qui enseigne le principe d’interdé-pendance entre soi et l’environnement afinde mettre en œuvre notre propre révolutionhumaine. À partir d’une agression dont il fut victime etqui faillit lui coûter la vie, il a relevé le défi detransformer son mode de vie violent dont leseul horizon était de mourir jeune.Il dirige aujourd’hui un établissement scolai-re où il peut mettre en pratique sa passion del’éducation. C’est dans son environnementproche qu’il s’efforce d’agir sur la base decette inséparabilité enseignée par NichirenDaishonin: “À chaque instant, la vie inclut àla fois le corps et l’esprit, le soi et l’environ-nement de tous les êtres sensitifs et non sen-sitifs, plantes, arbres, ciel, terre et jusqu’auplus petit grain de poussière, dans toutes lesconditions de vie.”(L&T vol. 1, p. 3) n

Textes: Éric Collias, photos: Robert Wableet Christophe Simonato.

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Les participants au colloque de Nantes, de gauche à droite : Yahia Baamara, Christiane Noël, Bruno Plisson, Noëlle Pons,Hugues Ravenel, Philippe Ronce et André Thibaudeau .

À Nantes, au Centre de la SGF, environ 250 personnes ont participé aux débats.

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LE COLLOQUE À TRETS

Les intervenantsMichael Amar, talmudiste, responsableculturel et cultuel de la communauté juivelibérale de Marseille. Krabeh Mohammed ElMadhi,jurisconsulte musulman, ancien imamde Saint-Gilles, juriste, chercheur universi-taire à Perpignan en droit privé et sciencescriminelles. Maurice Raetz,pasteur de l’Égli-se réformée évangélique de Plan-de-Cuques.Anne Lelong-Trolliet, enseignante, prési-dente de l’association “Centre de formationet d’éducation Earth Charter”, bouddhiste,membre de la Soka Gakkai France. Modé-ratrice : Marie-Lise Rescoussié, directriced’école maternelle.À Trets (Bouches-du-Rhône) entre les deuxsession, il y eut la projection du film Une révo-lution tranquille, réalisé par le Conseil de laTerre en collaboration avec le Programme desNations unies pour l’Environnement et spon-sorisé par la Soka Gakkai internationale . Cefilm fut présenté au sommet de Johannesburgen 2002 et primé cette même année lors dedeux festivals, en Slovaquie et en Californie.

Les fondements religieuxMichael Amar: Il existe un lien entre la Bibleécrite, pour nous la Torah, et les problèmesd’environnement. Dans le Pentateuque, larelation entre l’homme et la nature est dictéepar les mitzvotsou bonnes actions. Certainsdes 613 commandements portent sur la rela-tion entre les hommes et la nature. Le respect du règne animal et végétal est illus-tré par le commandement du lin et de la lainequi demande de ne pas mélanger le lin et lalaine, pour l’habillement par exemple. Ce ver-set biblique demande de respecter ce qui aété dissocié par la nature. “La Genèse” indique que l’homme doit domi-ner la nature, il lui est bien supérieur mais ilne doit pas la mépriser. Il doit garder la terre,la cultiver, pour parachever la Création. Il n’enest pas propriétaire, car la terre appartient àDieu. La mission de l’homme est de parfairela création de Dieu. Anne Lelong -Trolliet: Je me base sur le Sûtradu Lotus, enseigné par Shakyamuni à la fin desa vie. Pour le bouddhisme, les causes d’har-monie et de disharmonie de l’environnementne peuvent exister en dehors du corps del’homme. Lorsqu’une vie paraît, elle est intrinsèque-ment liée à son environnement et peut doncagir sur lui. Les deux sont indissociables. Onappelle cela le principe d’esho funi. Nos viessont en interaction et en interrelation. Enprendre conscience est la première action qui

mène à la responsabilité que l’on peut avoirsur l’environnement. Une phrase bouddhiquedit : “Si le cœur des hommes est impur, leurterre est impure, mai si leur cœur est pur, leurterre l’est également. Il n’y a que la pureté oul’impureté de notre cœur.” (L&T vol. 1, p. 4)

Le grand maître T’ien-t’ai (538-597) a déve-loppé le concept de “trois mille mondes en uninstant” (ichinen sanzen). L’instant présentcontient à la fois le passé mais aussi lesgraines de l’avenir. C’est la conscience qu’ondéveloppe dans l’instant présent qui va per-mettre d’ouvrir de nouvelles potentialitéspour l’avenir ; c’est ce que nous faisons ennous réunissant aujourd’hui.Maurice Raetz : Pour nous, le fondementessentiel est la Bible, le Nouveau Testament.Nous vivons dans un monde créé par Dieu, etles humains ont été créés à son image, commeses représentants. Il dit : “Ayez des enfants,devenez nombreux, remplissez la terre, etdominez-la, commandez aux poissons dansla mer et aux oiseaux dans le ciel et à tous lesanimaux qui se déplacent sur la terre”. Il mesemble qu’ici, le terme “dominer” signifie“gérer”. Or le monde a été mal géré. Un couteau n’est en soi ni bon ni mauvais. Ilsert à peler une orange ou une pomme, maisce même couteau peut faire de “belles bou-tonnières” au ventre de certains ! Le mal estdans la relation que l’homme entretien avecles choses, et la nature subit ce mal. La foi chrétienne est une espérance en la résur-rection et la création d’une nouvelle terre, maisce n’est pas une raison pour laisser faire. Aucontraire, nous devons être actif. Je termineraiavec cette parole de Luther (1483-1546) :“Même si la fin de monde se produisait ce soirou demain, aujourd’hui, je planterai un arbre.”

Krabeh Mohammed El Madhi: Les trois fon-dements religieux de l’islam sont: 1) la Parolede Dieu, le Coran ; 2) la Parole du Prophète, lasunna, la tradition évoquée par le prophèteMohammed; 3) le consensus, l’unanimité dessavants, des théologiens sur des sujets quiconcernent l’homme et la nature qui sont indis-sociablement liés. Dans le Coran, plusieurs ver-sets disent que la protection de l’environne-ment incombe aux religieux et aux croyants.L’authenticité de la foi est illustrée par le com-portement des personnes. Un homme qui pro-tège l’environnement peut être qualifié de bonmusulman. La religion islamique exige l’entre-tien de la nature dans laquelle l’être humainpeut développer ses qualités, afin de vivre serei-nement et paisiblement, et permettre ainsi auxgénérations futures de vivre dans les mêmesconditions que les nôtres.

Les actionsKrabeh Mohammed El Madhi : Aujourd’hui,les programmes scolaires devraient sérieu-sement prendre en compte la question du lienentre l’homme et l’environnement. Et d’unautre côté, les États doivent prendre la res-ponsabilité de protéger l’environnement: éro-sion des sols, épuisement des ressources,rejet des eaux usées.Maurice Raetz: Nous ne parviendrons à rédui-re les risques des catastrophes naturelles ouautres que par la prise de conscience, l’évolu-tion de la science et la coopération de chacun.Par exemple, Peter Harris, pasteur anglican,anime des recherches sur les sites naturelsmenacés. Il a également créé plusieurs centresd’étude sur la faune et la flore, dont un dans lavallée des Baux et le SEL ou Service d’Entraideet de Liaison qui unit des artisans de tous pays. Anne Lelong-Trolliet: La Soka Gakkai a initiédes actions en faveur de l’environnementcomme la création d’un centre de recherchepour l’environnement en Amazonie (en 1993),la réalisation du film Une révolution tranquille. Michael Amar:Nous sommes responsablesde la protection des ressources du monde. Jeciterais l’action d’une association qui œuvreen Israël pour le développement durable.n

Textes : G.Brahimi, M.-P. Carre etN.Goubkine, photos: Véronique Fourment.

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Les participants au colloque de Trets, de gauche à droite : Michael Amar, KrabehMohammed El Madhi, Anne Lelong-Trolliet et Maurice Raetz.

À Trets, 380 personnes étaient réunisau Centre européen de la SGI.

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Charte de la Soka Gakkai internationale

Préambule

Buts et principes

1. La SGI s’engage à contribuer à la paix, la culture etl’éducation pour le bonheur et le bien-être de toutel’humanité en se fondant sur le principe bouddhiquede respect du caractère sacré de la vie.

2. La SGI, en s’appuyant sur l’idéal de citoyennetémondiale, s’engage à veiller au respect des droits fon-damentaux de la personne et à ne créer aucune dis-crimination entre les êtres humains, quelle que soitleur origine.

3. La SGI s’engage à respecter et à protéger la liberté dereligion et la liberté d’expression en matière religieuse.

4. La SGI s’engage à faire mieux connaître le boud-dhisme de Nichiren Daishonin en établissant deséchanges profonds, contribuant ainsi au bonheur detous.

5. La SGI s’engage, au sein des organisations qui laconstituent, à encourager ses membres à contri-buer à la prospérité de leur pays respectif en tantque bons citoyens.

6. La SGI s’engage à respecter l’indépendance et l’auto-nomie des organisations qui la constituent, en s’accor-dant aux conditions légales prévalant dans chaque pays.

7. Selon l’esprit bouddhique de tolérance, la SGIs’engage à respecter les autres religions, à dialogueret œuvrer avec elles à la résolution des problèmesfondamentaux auxquels l’humanité est confrontée.

8. La SGI s’engage à respecter la diversité des cultureset à promouvoir les échanges culturels afin decontribuer à la création d’une société mondiale fon-dée sur la compréhension mutuelle et l’harmonie.

9. La SGI s’engage à promouvoir la protection de lanature et de l’environnement en se fondant surl’idéal bouddhique de symbiose.

10. La SGI s’engage à contribuer à promouvoirl’éducation, la recherche de la vérité aussi bien quele développement des connaissances, pour per-mettre à tous les êtres humains de cultiver leursqualités particulières et de goûter des vies épa-nouies et heureuses.

Nous sommes bien conscients du fait :Que jamais encore dans son histoire, l’huma-

nité n’a connu plus violentes disparités entreguerre et paix, discrimination et égalité, pauvretéet abondance…

Que le développement de technologies militairestoujours plus sophistiquées, celui des armesnucléaires notamment, a conduit à une situation oùla survie même de l’espèce humaine est menacée…

Que les discriminations raciales et religieusesengendrent la violence, entraînant l’humanité dansun cycle incessant de conflits…

Que l’égoïsme de l’humanité et l’avidité sans freinont créé des problèmes à l’échelle planétaire, notam-ment la dégradation de l’environnement naturel,creusant toujours plus le fossé entre nations écono-miquement développées et nations en voie dedéveloppement, avec de graves répercussions pourl’avenir collectif de l’humanité. Nous avons la ferme conviction :

Que le bouddhisme de Nichiren Daishonin,

philosophie humaniste fondée sur le respectinaliénable du caractère sacré de la vie et sur unebienveillance n’excluant personne, permet auxêtres humains de cultiver et de faire jaillir leursagesse inhérente.

Qu’en nourrissant la créativité de l’esprit humain,ce bouddhisme permettra de surmonter les difficultéset les crises auxquelles l’humanité est confrontée, etd’établir un monde où les sociétés pourront coexis-ter et prospérer de manière pacifique. Nous, organisations constitutives et membres de la SGI, ennous fondant sur l’esprit humaniste du bouddhisme,résolus à lever bien haut la bannière de la citoyen-neté mondiale, de l’esprit de tolérance et du respectdes droits de la personne, déterminés à surmonterles problèmes auxquels l’humanité est confrontéedans le monde entier par le dialogue et par desefforts concrets fondés sur notre engagement irré-vocable à la non-violence.

Nous adoptons cette charte qui affirme les buts etprincipes suivants :

Nous, organisations constitutives et membres de la Soka Gakkai internationale (appelée ici SGI) adhéronsau but fondamental et à la mission de contribuer à la paix, la culture et l’éducation en nous fondant sur laphilosophie et les idéaux du bouddhisme de Nichiren Daishonin.

L’association Soka Gakkai France est une des organisations constitutives de la Soka Gakkai internationale (SGI). Elle partagel’engagement de la SGI pour la paix, la culture et l’éducation, basé sur le bouddhisme de Nichiren Daishonin. Elle adhère à lacharte de la SGI, qui affirme les idéaux de citoyenneté mondiale, de liberté religieuse, de tolérance et de respect pour les autresreligions. La charte de la SGI a été adoptée à la fin de l’année 1995.