sobre el extranjero en simmel y weber

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L'tranger et le paria dans l'uvre de Max Weber et de Georg Simmel Author(s): Freddy Raphal Source: Archives de sciences sociales des religions, 31e Anne, No. 61.1, Socit Moderne et Religion: Autour de Max Weber (Jan. - Mar., 1986), pp. 63-81 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30118275 Accessed: 16/09/2009 20:35Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ehess. Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit organization founded in 1995 to build trusted digital archives for scholarship. We work with the scholarly community to preserve their work and the materials they rely upon, and to build a common research platform that promotes the discovery and use of these resources. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

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63 Arch.Sc. soc. des Rel., 1986,61/1 (janvier-mars), - 81 FreddyRAPHAEL

L'iTRANGER ET LE PARIA DANS L'tEUVRE DE MAX WEBER ET DE GEORG SIMMELwhile similarmethodological Basedon rather approaches, developed were some of theircontemporaries in themidstof defininga mythical vision of the national community,Max Weberand GeorgSimmel s arrivedat two very similar ideal types: the ((foreigner and the ( pariah people v.Based on an analysis of theforeigner'splace in societyand in the hostsociety symbolicimagination, 's followed by a history,they global interpretation the statusof theJew in Western of turntheforeigner a ((ferrymannwhoquestions hostsociety's into the to pretentions the absolute.His presencecan disruptthe patternof static, repetitivesocial relationships,releasing creative energies throughbreaksin tradition.

Il est significatif que Max Weber (1864-1920) et Georg Simmel (1858-1918) aient entrepris l'un et l'autre l'analyse de la condition de l'6tranger. Ils estimaient que c'6tait la situation du Juif tout au long de l'histoire et plus particulibrement dans la soci6t6 contemporaine, qui posait avec une acuit6 toute particulibre le problame de l'alt6rit6, de la tension entre l'unique et l'universel. Le problkme de la place d6volue i l'6tranger et du r61e qui lui est assign6 est devenu l'une des preoccupations centrales aussi bien des philosophes que des politiciens de leur temps. L'aspiration allemande, si souvent d69ue au cours des sibcles, de former une nation avait d6ji amend les romantiques i forger au d6but du XIXe si~cle une vision qui faisait de la nation une entit6 quasi organique < modele par une histoire, une langue et une culture sp6cifiques, et r~gie par des lois propres i sa nature particulibre a (1). Au milieu du sibcle, la rapidit6 et I'ampleur de la transformation 6conomique de l'Allemagne, ainsi que la faiblesse politique des classes moyennes, accentubrent le d6sarroi de ceux qui assistaient impuissants a la d6sint6gration des fondements de la culture traditionnelle. Ils prirent ombrage de l'ascension sociale et 6conomique des Juifs, ainsi que de leur importance croissante dans la vie culturelle. Le problbme de l'6tranger se posait avec d'autant plus d'acuit6 que les Allemands du Second Reich souffraient de l'absence des fondements n6cessaires &une d6finition incontest6e de leur identit6 nationale. Certains 6bauchbrent alors une vision mythique d'une communaut6 nationale, 63

DES RELIGIONS ARCHIVES SCIENCESSOCIALES DE

vou~e Aune mission exemplaire. < Lorsque le Reich reel, le Reich bismarckien, ne se r~vla pas A l'image du Reich messianique, lorsque l'image id~ale que les Allemands s'6taient forges fut menac~e par les transformations sociales et 6conomiques du XIXe sibcle, la crise survint: la question < Qu'est-ce que l'Allemand ?a et < Quest-ce que l'Allemagne ? > devint plus aigue que jamais > (2). Contre les forces d~sint~gratrices de la modernit6 s'affirma alors une identit6 mythique, dont le fondement indestructible 6taient le sang allemand et le rejet de l'6tranger. Max Weber et Georg Simmel ont par ailleurs ceci de commun, qu'ils s'accordent A reconnaitre la diversit6 et la fluidit6 de la societ6, ainsi que le caractere unilateral des outils conceptuels que l'historien et le sociologue &laborent pour l'appr~hender. La soci~t6 dans la perspective de Georg Simmel n'est pas une entit&close mais un champ anim6 par une multiplicit6 de relations. Elle n'est pas un systbme unitaire, mais repr~sente l'ensemble des formes de liaisons qui existent entre les individus. L'homme n'est inclus que partiellement dans la socitt6, et, dans une certaine mesure, il s'oppose Aelle. Elle constitue une structure d'existence, dont il participe tout en lui 6chappant. Le sujet subit l'influence de la situation sociale, mais une part de lui-meme, qui est irr6ductible, la transcende. La soci6t6 est compos6e A la fois de formes nettement d61imit~es, telles que la famille, l'Eglise, l'armde, I'&cole...et d'un ensemble plus mouvant d'influences, d'attractions et de repulsions. Ce sont ces relations changeantes qui confbrent la vie au macrocosme social. La soci~t6 n'est pas une substance, mais un devenir perp~tuel anim6 par les innombrables jeux de socialisation. La conception de l'histoire de Georg Simmel est trbs proche de celle de Max Weber. Pour l'un et l'autre, un fait ne devient historique que parce que notre regard le cr6dite d'une dimension suppl6mentaire. Nous abordons la r~alit6 historique avec des a-priori qui conf~rent un statut sp~cifique A certains &v~nements que nous analysons A l'aide de l'appareil conceptuel que nous avons 6labor6 et qui, en partie, forme le fait historique. L'histoire elle-meme est une reprise de la vie et de la continuit6 du devenir, qui introduit la discontinuit6; elle comprend le temps du pass6 en le niant comme dur6e. C'est une interpr6tationqui est de l'ordre de l'herm6neutique, et qui n'a rien d'ontologique. Par ailleurs, Max Weber et Georg Simmel s'accordent A reconnaitre que l'histoire repose sur une relation constante et dynamique entre la g6n~ralit6 et le comprendre >,. singulier, que l'historien ne peut < expliquer >, mais seulement >,expliquer, et verstehen >, comprendre. La compr6hension d'un 6v6nement comporte n6cessairement une part d'interpr~tation. Max Weber, cependant, pense qu'on peut avoir recours aux deux approches dans les sciences humaines. Pour Georg Simmel une loi physique est universelle, une thdorie historique reste toujours singulibre. I1affirme que la vie est un flux illimit6, se renouvelant sans cesse, mais qui ne peut etre appr~hend6 qu'A travers des formes. Ces constructions abstraites, bien que se renouvelant elles aussi, ne peuvent exprimer toute la vie dans sa continuit6. Celle-ci d6passe sans cesse et ses propres structures et les systbmes d'appr~hension que l'homme 6labore. Pour connaitre la vie, celui-ci l'immobilise par des structures de connaissance; il la fige, et par 1l, mime son approche est toute relative. L'6tre et le connaitre ne peuvent coincider. La religion, la science, l'art,64

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chacune de ces formesest capablede traduireen son langagela totalit6de la vie, mais cette traductionrestefragmentaire;chacune d'entreelles, en exprimantla totalit6de la vie, ne l'exprimeque d'un point de vue particulier. La formeest la n6gationde la vie, et cependantla vie ne peut se traduirequ'i traverselle. Le sociologue doit faire abstractiondu contenu pour atteindre la forme. II opbre avec des concepts deji constitu~s,qui investissent l'objet et le d6limitent,et qui sont en fait des formes.A l'aide de celles-ci, il entreprendune analyse aussi exhaustiveque possible des activit~ssociales.La sociologie est une fagon d'aborder la soci~t6 par le biais du concept et de l'abstraction, une 6tre dcmarcheheuristiquequi ne sauraitpr~tendre une science de la totalit6.Elle comme se situe toujours i un point de vue, et nul point de vue ne peut s'affirmer celui de tous les autres.Li encore,la convergencede l'approchede Max Weberet de celle de Georg Simmel est significative. de On peut voir dans l'oeuvre Max Weberle modbled'une sociologie a la fois historiqueet syst~matique, cherche a expliquercausalementles 6vnements qui et du passe, mais ceux-ci comportenttoujoursune marged'ind~termination sont le r~sultatd'un grand nombre de circonstances.Il ne nie pas le d~terminisme mais restitueaux 6vnements global des faits 6conomiquesou d~mographiques, du passe une dimension d'incertitudeet de probabilit6.En mime temps, cette et sociologie se veut syst~matique comprehensive; elle se propose d'6tudiernon seulement les circonstances uniques qui ont provoqu6 un certain v~vnement, entredeux ph~nom6nes.Il s'agita la fois de mais d'6tablirune relationr~gulibre des ~6vnementset de mettreau jour certainesr~gularit~s. respecterla singularit6 Tout en approfondissantce qu'il y a de singulier dans le judaisme antique, le christianisme,I'hindouisme,le confucianisme,Weberse propose de determiner ce qu'il peut y avoir d'analoguedans ces diversesconduites religieuses.Dans laMorale ~conomique des grandes religions, il fait observer qu'il prend la libert6

des d'etrenon historiquedans le sens oii l'&thique diversesreligions se pr~sente avec beaucoupplus d'unit6essentiellequ'ellen'en a jamais eu syst~matiquement Il ici au cours de son d~veloppement.> labor6 par G. Simmel. Quand &celui de Speuple paria (5). Le premier est caractiris6 par l'errance, ou du moins par la mobilit&saisonnibre, et parfois par le monopole traditionnel du commerce international. A cela s'ajoute, avec la division accrue du travail, le besoin de main-d'oeuvre dans les r~gions en voie de d~veloppement ainsi que la multiplication des t~ches infirieures, considir~es comme impures. La population locale r6pugnant a accomplir ces travaux,il est fait appel &une population 6trangbrequi s'installe en marge de la cit&. jouissant pas des mimes droits que les autochtones, elle est soumise &une Ne juridiction particulibre. Ses droits en tant qu'h6te lui sont garantis soit par les puissances religieuses, soit par l'autorit6 politique (6). I1 arrive souvent que les 6trangers,rel~gu~sdans des t~ches sp~cifiques, se voient interdire toute alliance avec un membre du groupe dominant et se trouvent 6cart~sde la table commune. De tels interdits rituels, concernant &la fois le connubium et la commensalit6, font du < peuple-h6te un groupe impur, que Max Weber d~finit cette fois comme un < peuple paria >>. C'est done le statutd'6trangerprovisoirement toler&, auquel s'ajoute rituelle, qui caracthrisela condition de paria. L'expression la plus pure l'impuret& d'une telle condition est constitute par l'absence de tout repbredans l'espace et de tout enracinement dans un lieu donn6, s'accompagnant d'une d~pendance totale sur le plan 6conomique. Max Webercite comme exemple type du peuple pariales Juifs & partir de la destruction du second Temple. Il analyse le passage progressif de la condition d'h6te tolkr6& laquelle est soumis un groupe 6tranger,fix6 en marge d'une population au profit de laquelle il remplit des tiches sp6cifiques, au statut de . Le fait de consid6rer un certain nombre d'occupations comme 66

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impures,exclut ceux qui s'y adonnent de la communaut6,car tout contact avec eux, m~me avec l'air qu'ils respirent,est I l'origined'une souillure. Max Weber distingue6galementles pariasqui se r6ftrentau mime systhmede croyancesque des la majorit6qui les met i l'6cart, groupesde pariasqui n'ontaucune place dans l'6conomie du salut; faisant appel i des normes et des croyances religieuses diff6rentes,ces derniers ne sauraientfigurerdans la hi6rarchiequi ordonne le monde et la soci6t&. Selon Max Weber,la hi6rarchiestatutaire constitueun systbmeferm6,rigide et intangible,lorsqu'elleest garantienon seulementpar des lois mais 6galement rituelles.Cettestructure sur par des barribres g6n6ralement la base de la s'l61abore conviction de la singularit6ethnique, et la caste constitue alors la forme qui permet i des groupes ethniques de vivre c6te Ac6te au sein d'une m~me soci~t6. Ces groupesethniquesse fondentsurla communaut6de sang et condamnenttout mariage exogame, ainsi que la frequentationd'autresgroupes.Ils entretiennent qui l'adh6sion aux valeurs communes et vivent dans une < diaspora >> 6vite tout contact superflu avec la soci6t6 environnante. Pour Max Weber(7), les Juifs constituentl'exemplehistoriquele plus impressionnantd'une telle communaut6 de parias. La hi~rarchiestatutaire,qui constitue la charpente d'un systbmede castes, ne saurait 8tre assimil6e a une simple s6gr6gationethnique, car elle introduitdans le plan de la diff6renciation horizontaleun systbmede subordination verticale(8). Il n'en demeurepas moins que mime un < peuple paria > des plus m~pris~s parvient i maintenir,d'une certainefagon, la croyanceen sa propredignit6.Tel est, selon Weber,le cas des Juifs.Cependant,le < sens de la dignit6 > ne se fonde pas sur la mime base de r~frrenceselon qu'il s'agitd'un groupeprivilkgi6ou au contraire d'un groupe m~pris6.Dans le premier cas, c'est l'essence mime du groupe, < sa beaut6 et son excellence >,, qui justifient sa supr~matie car son royaumeest de ce monde ; ses membresvivent dans le presenten exploitantleur glorieux passe. Inversement,le sens de la dignit6 du grouped~favoris6se fonde sur un avenir i construire dans ce monde ou dans l'autre.Ce qui assure sa p~rennit6,c'est la croyanceen une mission providentielleet en un honneur tout du particulierque Dieu lui confbreau terme de ses efforts.La dignit& < peuple les 61u, repose sur la conviction que, dans l'au-delh, , ou encore que l'avbnementdu Messie rambneraen pleine lumibre l'honneur du peuple paria m~pris6par un monde qui les voue a l'opprobre. Max Weber affirme que, d~s la p~riode de l'exil, les Juifs sont devenus Seffectivement un peuple paria; ils le devinrent < formellement,, aprbs la destruction du Temple. Le concept de (15). Il est exact que le ressentiment a souvent 6t6 un facteur important, 6thique Sc6tc d'autres, dans le rationalisme l61abor6 la religion des couches sociales par Il s'est d~velopp6 sur le terrain de la religion 6thique de salut des defavorisees. Juifs, car il constitue un phtnombne propre i l'6thique religieuse des couches n6gativement privil6gi~es qui, en prenant le contrepied de l'ancienne croyance, se consolent de l'in~gale r6partitiondes sorts terrestresen disant qu'elle repose < sur le p6ch6 et l'injustice de ceux qui sont dotes de privilbges positifs et que, t6t ou tard, cette injustice attirera sur eux la vengeance divine a (16). Sous la forme de cette th6odic6e des couches opprim6es, le moralisme sert alors de moyen pour 16gitimer une soif de vengeance, consciente ou inconsciente. M. Weber refuse, cependant, de r6duire le besoin de salut et la th6odic6e des Juifs i une manifestation du < ressentiment , et i ne voir en eux a que l'aboutissement d'une r6volte des esclaves dans la morale > (17). Tout en qualifiant de , Max Weber (18) affirme que parmi les mobiles determinants le ressentiment n'a souvent aucune place. Certes, la th6odic6e de la souffrance pouvait 6tre teint~e de ressentiment. < Mais le besoin d'une compensation pour l'insuffisance du sort ici-bas ne portait point, en r~gle g6n~rale, I'empreinte fondamentale du ressentiment >. Ce qui caractbrise pr~cisement le Talmud c'est l'absence de toute haine passionn6e et de tout ressentiment violent. Certes, le Talmud n'ignore pas la rationalisation religieuse du besoin de vengeance contre les ennemis ou contre69

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

ceux que favorise le sort, qui fait passer au second plan le d6sir de vengeance personnelle contre l'injustice,car Dieu l'ex6cuteraavec d'autantplus de rigueur dans ce monde ou dans l'autre. .Nul commandementn'estsoulign6avec plus de force que celui qui enjoint de ne pas humilier autrui(19). M. Weber de affirme que la lutte des rabbins contre l'int~riorisation la vengeance est trbs impressionnantesur le plan 6thique et t6moigne d'une trbsgrande maitrise du aux Juifs une 6thique du sentiment moral. I1 ne convient done pas d'attribuer , qui t6moigneraitde leur impuissance et de leur assujettisseau peuple l61u fut encore ment. Leur conscience,jamais,abolie,d'appartenir , les plus caract6ristiquesde l'Israel antique. Mais le l1vitisme connait des cruels p~riodesd'6clipseoi l'allianceparaitremiseen cause, oi des conqubrants menacent le pays, oti I'horizon politique semble bouch6: alors se lIvent des hommes qui d~noncentles abominationsd'Israel,qui affirmentque le chitiment et est m~rit6et qui maudissentla dynastiearrogante le peuple impie. < La panique devantl'ennemi,la rageet la soif de vengeance,la peurde la mort,de la mutilation, de la d6vastation, de l'esclavage et de l'exil, tout comme le problbme de la de 16gitimit6 la resistanceou de la soumission Al'Egypte,Al'Assyrie,ABabylone ou d'une alliance avec ces pays, tels 6taientles sentiments et les problkmesqui leur r~quisitoire agitaientla population > (20).L'6landes prophates, passionn6ne visent pas A instaurerun ordre nouveau mais A r6introduiredans l'histoire la dimension de l'alliance.La proph~tieh~braiqueexige le retourAd'autresformes se de vie et fustigela corruption.Comme ses repr6sentants considbrentnon pas comme des receptacles du divin, mais comme des instrumentsde Dieu, cette messianiqueavaitune profondeaffinit6avecla conceptiondu Dieu de la proph6tie creation, transcendant, personnel, colkreux, pardonnant, aimant, exigeant, chitiant, en opposition Al'6tresupremedu proph~tismeexemplairequi 6tait,en un r~glequasi g~n~rale, etre impersonnelpuisqu'accessiblepar la seule contemplation en tant que pure existence. Si la proph~tieh6braiqueest une proph~tie missionnairede l'engagementactif dans le monde et qu'elle s'adressenon pas A une l61ite et n'aurait r~ussi dans ses efforts pour gagner & sa cause des pros6lytes. qu'ils assumentn'estpas absurde(25), ainsi que le soulignentles deux types d'explicationshabituellementavanc~es: ou bien, comme l'affirmele il Deutbro-Isa'e, leur faut expier les fautes de leurs ancetres,ou bien il leur faut souffrirafin de promouvoirle salut du monde. La subversion de la hi~rarchie sociale et politique est justifibe aux yeux des proph~tes,car elle constitue une consequence n~cessaire de la rupture de l'alliance. Mais Dieu s'adresse aux puissants qui triomphent pour leur rappeler que leur rbgne sera 6ph~mbre. (26). Avec l'universalismecroissantde la conception de Dieu, la place privilkgi~e d'Israelapparutcomme un paradoxe. On tenta de la justifier en red~finissant de comme une promessearbitraire Dieu, l'alliance,qui fut dor~navantpr~sent~e resultantd'un amourgratuit,mais subordonn~e&l'ob~issanced'Israel.De plus, elle apparut comme la consequence de la confiance inconditionnelle que les ancitres avaient manifest~ea son 6gard,en s'oposant aux cultes abominables auxquels se livraientles autrespeuples. < C'estpr~cistmentlorsque Dieu apparaitde plus en plus comme le souveraindes cieux et de la terre,comme le Dieu de tous les peuples, qu'Isra~ldevint le < peuple 6lu >. C'est sur cette election que furentfondusles droits et les devoirsparticuliers,&la fois ~thiqueset rituels,des Israelites.Or, durantleur dispersion et leur exil, les Juifs ne renoncbrent pas & leurs droits; tout au plus durent-ils patienter sous le joug de l'oppresseur.Ils pas n'&laborbrent de justifications pour se d~roberaux charges sp~cifiquesqui leur incombaient.La conscience de ces privilkgeset de cette mission, ainsi que la de total de leur condition,les emp~ch~rent sombrer certituded'un renversement dans le fatalismed'un < peuple paria >. Dans un passage du Talmud(BabaBatra 10 B) un pbre demande &son fils de lui d~crireune vision extatique.L'enfant < r~pond: J'aivu un monde renvers6:les plus hautsen bas, les plus bas en haut >>. Sur quoi le pbredit: < C'est un monde transfigureet juste que tu as vu >. Pour Max Weber, I'enseignementdu Deutbro-Isafre, exalte l'humilit6, qui renvoiea la situationpath~tiqued'un peuple de parias qui souffreet espbreavec patience.Il explique < ce regard6trangerque les Juifsjetrent sur le monde tout au long de l'histoire> (27). Ceux-ci trouvirentdans ce livre leur justificationla ce plus solide,jusqu'& que cetteoeuvrede l'exil agissecomme l'un des fermentsles Tousles plus actifs de la croyancedans le Christ qui 6taiten train de s'6laborer. tels utopiquesde la prediction6vang6lique, que < ne r~sistepas au mal 6l1ments La par la force >, y sont d~jA prefigures. (28).Cetteexaltationenthousiastede la souffrancecomme instrument de salut pour le monde apparait au prophtte comme l'ultime et dit de supremeaccomplissement la promessefaite &Abraham,oi il &tait que son nom seraitun jour < une b~n~dictionpour toutes les nations >. Max Webermet fait de en relationcette< 6thiquemis~rabiliste la non-resistance>,tout& originale &l'6poque,avec le Sermon la Montagne. conceptiondu martyre de la mort et sur La sacrificielledu Serviteurde Dieu innocent contribuaainsi &la naissance de la christologie.La parole du Christsur la croix : ( Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonn6? > se trouve d~j&en tate du Psaume 22, qui reprend la proph~tie d'humilit6 d'Isaie ainsi que la pr6diction du Serviteurde Dieu. Si effectivementce n'estpas la communaut6chr~tienne,mais Jesuslui-m~mequi le de premiera apliqu6ce verset Lsa proprepersonne,il est 16gitime conclure avec Max Weber,qu'il n'6taitpas au comble du d~sespoiret de l'amertume,mais au72

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contrairequ'il partageaitla certitudemessianique d'Isaie ainsi que l'esp~rance toutefois sur la pertinence du formulke i la fin du Psaume.On peut s'interroger rapprochementop~r6par Max Weberentre l'attentepassionn~e suscit~epar les proph~teset I'imminencede l'avinementdu Royaumeannonc6parJ~sus.Il nous semble en effet que Jesus a mis l'accent sur la dimension cosmique d'une revolutionqui doit s'accomplir,alorsque les proph~tesen appellentau repentir,ala < techouva n, des hommes afin de r~aliser le Royaume sur terre. Ne pourrait-on

dire que le message de J~susest plus de l'ordrede l'eschatologieapocalyptique, alors que celui des proph~tesrelkvedavantagede l'eschatologie6thique?...La sigrigation rituelle C'est le d~veloppement du particularisme rituel d'Israel qui, en s'accentuant au cours de l'Exil, favorisa la transformation de la communaut6 israelite et lui valut son statut de < peuple-h6te >. II convient de souligner le fait que c'est pr~cis~ment la communaut6 exilke de Babylone, ainsi que ceux qui rdorganisbrentcette communauti son retour en Israel, qui propagbrent la s~gr~gation rituelle dans le domaine de la commensalit6, du mariage et de l'observance du Sabbat. Ainsi que le relbve Max Weber (29), lorsqu'on considbre la situation des exilks de Babylone, qui &tait bien plus favorable dans l'ensemble que celle des exilks d'Egypte, puisqu'ils 6taient moins rejet6s par leur entourage, et lorsqu'on remarque par ailleurs que ce sont pr~cis~ment ces Juifs de Babylone qui instituarent les barribres rituelles les plus importantes pour se prot~ger contre le dehors, que ce vers sont eux qui dotbrent la communaut& d'une organisation tournm~e l'int~rieur et qui devinrent plus tard les repr~sentants de l'enseignement talmudique, on mesure l'importance tout i fait exceptionnelle de la proph~tie et des espoirs qu'elle suscitait pour la formation et la preservation du judafsme. Analysant la s~gr~gation rituelle croissante des Juifs, M. Weber affirme que > dans l'Antiquit6 mais, ayant constat& que ce rejet graduel des Juifs se dcveloppe exactement au mime titre que le refus de plus en plus prononc& des Juifs euxmimes d'6tablir des liens avec les non-Juifs, il en conclut qu'il ne s'agit nullement d'une antipathie .Selon lui, ce n'est pas le caractbre 6trange de leurs rites, pas plus que l'indiffrrence que les Juifs affichent i l'6gard des dieux de la cite qui les a accueillis, qui sont la cause d~terminante de l'hostilit6 qu'on leur voue. C'est plut6t l'attitude negative des Juifs eux-memes envers leur entourage qui ditermina la nature des relations mutuelles... En allant au fond des choses, il leur haine des autres apparait que l'on reproche essentiellement aux Juifs ,leur refus fondamental du connubium, de la commensalit& et de toute du espbce de fraternisation ou > (31). L'isolement social des Juifs, qui r~sulte d'un libre choix et d'une libre d~cision, s'est progressivement renforc6 sous l'influence des Pharisiens. Ceux-ci dcfendirent avant tout une doctrine rituelle, < une confession, et non pas - ou du moins pas en premier lieu - une nationalit&.En meme temps qu'ils s'isolaient de ceux qui 6taient rituellement impurs, ils faisaient une propagande effr~n~e pour le compte de leur communaut6 auprbs de ceux qui 6taient a l'ext~rieur et s'employaient activement a faire des pros6lytes >,(32). 73

DES RELIGIONS DE ARCHIVES SCIENCESSOCIALES

Le renforcementdes barribresrituelles a 6t6 indubitablementun facteur d6cisif de la formationd'une communaut6confessionnelle,qui se vit conf~rerle a M. statutde a Gastvolk dans les pays qui l'accueillirent. Weberconstate Ajuste dans les castes titre les memes effets sp6cifiques d'une religiosit6 paria >> indiennes que chez les Juifs; plus la situation ofi se trouveplong6 un ( peuple paria est oppressante,plus la < religiosit6paria enchaine 6troitementAelle, et entreeux et Aleurposition de parias,ceux qui en relbvent, plus les esp~rancesde salut qui se rattachentAl'accomplissementdes devoirsreligieuxordonn~spar la divinit6 se font puissantes(33).II.- < L'ITRANGER SELONGEORGSIMMEL ,

Le texte intitul6 < L'tranger > n'est qu'une 6tude incidente d'environ six pages dans l'un des deux ouvragesmajeursque Georg Simmel a consacr~sA la n der Untersuchungen dieFormen Gesellschaft (Leipzig sociologie, a Soziologie. uiber 1908)(34). Dans cet essai il s'emploie Ad6finirla place singulibrede l'6tranger, dans l'espacephysique,dans le champ social et dans le champ symbolique.Tout n'estpas riv6 Aun point fixe ; mais Ala diff6rencede ce comme l'errant, l'6tranger il participe d'un lieu unissant les deux dimensions contraires de la dernier, ruptureet de l'appartenance.II est en marge de la soci~t6 d'accueil, mais par ailleurs,il s'yest install6avecla volont6de refairesa vie, touten sachantbien qu'il et sera peut 6treamendun jour Ase remettreen route.Ce sentimentd'alt6rit& de de s'ajoutantAun d6sirde participation,d~finitla position particulibre pr6carit6, (35). l'6tranger Georg Simmel rapprochel'6trangerdu pauvre et des divers < ennemis de du l'intdrieura, qui sont un 616ment groupe ; la place qui leur est d~voluesignifie Ala fois leur int6grationet une certaine r6pulsion.L'6tranger introduitdans un d'une communaut6,mais il est appr6hend6comme groupe,s'6tablitAl'intdrieur tout comme son mode de autre,et parfois,comme menagant.Son comportement, penser, heurtent des habitudes acquises. Il n'est pas perqu en tant qu'individu Le singulier, mais comme repr6sentantd'une race et d'une culture 6trangbres. regardque la soci~t6d'accueilporte sur lui le maintienttoujoursAdistance.Au moyen Age,souligne G. Simmel (36), alors que le chr~tien6tait impos6 selon sa fortune,le Juif devaitverserune capitationfixe. < Cetteuniformit6devantl'imp6t se fondait sur le principe que le statut du Juif 6tait d'etreJuif, et ne comportait aucun contenu objectif individuel a. dans le champ social et symbolique C'estAla presenceambiguede l'6tranger et de la soci~t6d'accueil,Atout ce qui le distinguede l'errant du < barbarea, qu'il convient de praterattention.L'ambivalencede sa representationdans l'imaginaire collectif, t~moin privilkgi6parce qu'exclu de la sphere de la comp6tition de sociale, fait de lui le repr~sentant la condition humaine, celle d'une certaine 6tranget6de l'homme Alui-mime. sont 6galementd~pourvuesde chaleurcar elles Les relationsavec l'6tranger et se fondent sur une communaut6de traitsg6n6raux, non point sur la solidarit6 organiqueque determineune communaut6de traitssp~cifiques. arrivememe,A I1 la limite, que c'estleur commune appartenanceAl'esp~cehumaine qui constitue le seul lien entre deux individus; mais cette similitude, dans son extreme les g6n~ralit6, maintient en fait 61oign~sl'un de l'autre.74

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En 1928, dans son article ( Human Migration and the Marginal Man n (37), Robert E. Park, qui est un disciple de Georg Simmel, pr6cise que la mobilit6 ne saurait d~finir A elle seule le ph~nombne migratoire et la condition d'6tranger. Ceux-ci supposent la rupture des liens qui rattachent l'individu A son milieu d'origine, ainsi que la confrontation avec un mode de penser et de-vie autre. Les que populations < nomades >>, ce soient les gitans, les vagabonds ou encore ceux qui vivent toujours dans une chambre d'h6tel, ne font pas l'exp6rience d'une telle rupture, et leur culture ne se trouve pas remise en cause. < C'est le mouvement qui confbre une stabilit6 A l'existence nomade >, et assure la coherence de cette culture. Isaac Joseph (38) souligne judicieusement la diff6rence essentielle entre le migrant et le nomade. Ce dernier s'est, en quelque sorte, installk dans le voyage; il y trouve son 6quilibre, au milieu du groupe qui se d6place avec lui. Le migrant, par contre, a df rompre, ne serait-ce que temporairement, avec les siens, et briser des attaches qui assuraient sa s6curit6 mat6rielle, psychologique et affective. Son malaise est < celui d'un individu qui vit A la frontibre de l'ancien et du nouveau, dans l'intervalle entre le parental et la politique, sans racines et droit de cit6 >.Ala rupture dans l'espace et le temps s'ajoutent I'exp~rience de la diff~renciation souvent radicale, < l'6preuve de la coexistence d6chirante de la m6moire et de l'oubli >,(39). L'6tranger n'est pas un errant Ala derive. Le pays ant6rieur, parfois magnifi6 par le souvenir, demeure pour lui un point d'ancrage, quelles que soient les raisons qui l'ont amend Ale quitter. I1I peut signifier le lieu mythique de la dignit6 unjour recouvr~e. L'errance du Juif n'est pas qu'une exp6rience subie, d~pourvue de sens : il sait que c'est le code sur lequel il a construit son monde qui le d6signe A la vindicte de ceux qui pr6tendent avoir rnalis6 l'absolu. Lorsque le monde d'avant l'a rejet6 et expuls6, lorsque le Juif n'est plus que le survivant d'une communaut6 qui a disparu dans les flammes, il ne peut mime pas, comme le migrant dans ses moments de lassitude, se r6fugier dans l'dvocation magnifide du village d'origine. II sollicite alors ie souvenir de la socit6 juive d'autrefois, chaude et conviviale, oi les rapports humains 6taient denses, vibrants. Lorsque l'6tranger n'est pas pergu, au-delA de son aventure singulibre, comme un 616ment de la cite, dont il partage A sa fagon l'histoire, lorsqu'on met l'accent sur sa nature et son destin essentiellement diff6rents, la distance l'emporte sur la proximit6. Il est renvoy&a un groupe singulier, dont il est l'&manation, et dont il incarne les caractbristiques insolites. Et quoi qu'il fasse, il sera pergu avant tout dans sa redoutable alt6rit6. C'est cette tare r6dhibitoire qu'il lui faudra sans cesse expier pour que sa simple pr6sence soit tol~r6e. Parfois, on va jusqu'A refuser Al'6tranger le droit de pr6tendre qu'il fait partie de l'espbce humaine, et A nier l'existence de traits g~n~raux qui le rattacheraient A l'histoire des hommes dans l'univers. Le barbare n'entrait meme pas dans le champ social des Grecs, car il incarnait le n~gatif de tous les attributs qui les d6finissaient, eux, en tant qu'hommes. Les nazis firent des Juifs et des Gitans des sous-hommes, qu'il importait de d6truire pour le salut de l'humanit6. La place qu'une soci6t6 assigne A l'6tranger dans l'imaginaire collectif, la la repr6sentation mythique qu'elle l61abore, posture qu'elle lui fait assumer A l'horizon de son champ symbolique, le contraignent Ajouer des r6les contradictoires, d&passant sa fonctionnalit6 6conomique. C'est la combinaison particulibre de la proximit6 et de la distance, de l'attention et de l'indiffrrence >>qui, comme le souligne G. Simmel (40), fait parfois de l'6tranger un t6moin impartial. Ceci ne signifie nullement qu'il est 75

DES RELIGIONS DE ARCHIVES SCIENCESSOCIALES

dont il participe,mais qu'iln'estpas prisonnierdes au indiff6rent sortde la soci~t& opinions partisanesdes groupesqui rivalisentdans le champ social. La position ne de par particulibre l'6tranger suppose en aucune fagon un d6sint~ret rapport aux problkmesde la cite,et encoremoins une insensibilit6aux difficult~sque peut rencontrerun membre de la soci6t6 majoritaire.Bien au contraire,c'est i lui qu'on se confie le plus volontiers, qu', avou~es bien involontairement,il y a la dcmarche consciente de ceux qui prennentl'6tranger pour confident parce qu'il est a horsa surle plan social. I1ne pourrajamais pr~tendre rivaliseravecl'indigtne, qui jeu peut done se livrer a lui sans masque. Mais Georg Simmel est tout i fait conscient du danger que cette libert6 Elle d'espritet de jugementfait courira l'Stranger. l'expose i l'accusationde faire un facteurde troubles.Comme il n'est pas le jeu des ennemis exthrieurs, d'etre et prisonnierde traditionscontraignanteset routinibres, comme il n'estpas tenu les de respecterpar pi~t6des modes de penser et de comportementqu'ont16gu~s g~n~rationspr6c~dentes,l'6trangerapparait comme une force dissolvante qui mine l'6thos de la soci~t6majoritaire.Lorsqu'onle cr~dited'un savoir hors du commun, celui-ci n'est parfois que l'enversdu pouvoir mal6fiquequi est le sien. Aussi, le craint-on.C'est contre lui que les puissants d~tournentla vindicte des masses exploit6es,c'est sur lui que le peuple d6chargesa colbreet son angoisse quand des calamit~ss'abattentsurle pays. Et quand 6clatentdes troubles,c'estla de main de l'6tranger est accus~ed'en 8trel'instigatrice. L'objectivit6 l'6tranqui sur ger repose,comme nous l'avons signalk,sur son absence de pr~jug~s, le fait si qu'il n'est pas prisonnier de schemes de penser ou de jugements st6r6otyp6s, bien qu'il pergoitles choses sous un angle neuf, et qu'il appr6cieles situations hors de toute logique passionnelle. Cette attitude non partisane l'expose & l'accusation de traitrise, de faire le jeu de l'ennemi par son comportement Ceci explique6galement,selon nous, que le regimetotalitaire, est qui provocateur. et fond6 sur l'homog~n~it6, pour qui toute remiseen cause du conformismeexig6 apparait comme une declaration de guerre, ne peut tol6rer la pr6sence d'6trangers. la C'estle rejetde l'6tranger, < cl6ture > contrele < barbare>, qui constituent le facteurpremierde cohesion des petits groupes.Ce refus antagonistede l'autre s'accompagned'un contr6le coercitif,qui s'exerceavec rigueursur les membres la du groupe,dont on exige conformismeet totale soumission. C'est1& maladie infantile de toutes les communaut6spolitiques, familiales ou religieusesqui se Eglises,les partis et les syndicatsprennent de l'ampleur,lorsque le groupecroit < numdriquement, spatialement,en significationet en contenu de vie >,les lignes de d6marcationont tendance &s'estomper.En mime temps que les 6changes et s'intensifient,I'individugagne en libert&, affirmedavantagesa specificit6.De mime, ce n'estqu'enpassantde la petiteAlagrandeville que l'individu6chappeA dans tous les domaiun contr6le social tatillon et oppressif,qui entend 16gif6rer nes de son activit6 priv~e et publique. Georg Simmel 6tablit une correlation76

et les renforgant barrikres les frontibres. constituent, Lorsqueles Etatset les

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6troites entre l'6mergenceet l'affirmation de la singularit6des personnes, et En l'extensiondu groupedont elles participent. effet,< les groupesrestreints, pour leur propreconservation,se difendent de l'ample et de l'universel,comme de ce qui, en leur sein, se veut individuelet librede mouvement> (41).Le reversde cette libert6conquise sur la mesquinerieet les pr6jug~s,c'est l'exp~rienced'extreme solitude que l'homme peut faire au milieu de la foule dense, mais indiff~rente, d'une grande ville.CONCLUSION

Notre analyse a fait apparaitreAla fois la pertinenceet les limites de l'id~alque type wb&rien de l'6tranger. est regrettable Max Weberne se soit pas tenu I1 a avec rigueurAla distinction significativequ'il avait 6tablieentre > Gastvolk etaPariavolk v.

Ce dernierconcept n'estguereapproprieen tant que modulede l'exp&rience de la Diaspora juive A traversl'histoire.Les Juifs dans leur errance,comme le souligne Arnaldo Momigliano (42), ont continue a se donner des lois et ont leur pacte avec Dieu comme leur donnant l6galement droit A la consid~r& de r~cup~ration leur pays dans les temps messianiques.Leur morale contenait la rebellion contre l'injustice et le martyre- attitude que l'on n'associe pas normalementaux parias.I1resteune contradictionfondamentaledans l'analyse du judaisme faite par Max Weber.Plus que tout autrepeut-6tre,il a accord6de juridique- fond~esur le pacte d'alliance entre Dieu l'importanceAsa structure et la nation juive. Cependant,il n'en a pas appr~ci6toutes les consequences. A les travers si~cles,ce pacteest rest6Ala base de l'autor~gulation communaut~s des aux juives, et il a par consequent6pargn& Juifstouteformed'humiliationassocide au terme de paria a (43). L'attentedes temps futurset du roi sauveurs'est affirmdeen Israel avec une jusqu'Adonner tout leur sens aux 6preuvesde intensit6 et un elan particuliers, l'histoire.> (44). L'dthiqueprophrtique ne constitue pas une apologie de la mais une exhortationa ceuvrerAl'int&rieur monde; elle pr6ne un du passivit6 h~roisme de la vie quotidienne, une participation au monde environnant, en m~me temps qu'uneprise de conscience de sa relativit. Dans ce double mouvement d'adh~sionet de mise en question,il y a une tension que Gershom Scholem a d~finieainsi : Al'histoireet en m~metemps le refusd'admettre qu'ellesoit achev~e,la presence au monde et en meme temps le refus de s'y installer,telles sont les exigences de l'id~al nomade dont la proph~tiea fait retentirl'6cho tout au long de l'histoire juive. Dans le portraitconsacr6au prophbteJ~rrmie,qui a choisi la solitude pour d~noncer lucidement la corruptiondu monde et l'appelerau repentiractif, se dessine en filigrane une figure de voyant qui ressemble singulibrementA Max Weber.Ce mime appel A la probit& intellectuelle et A l'h~roisme de la tAche du quotidiennese retrouvedans son discourssurla " Vocation Savant, prononc677

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

et en 1918. Citant l'appel d'Isaie (21, 11-12): < Veilleur oh en est la nuit ? >> la du veilleur: , il ajoute : < Le peuple auquel on a dit cela n'a cess6 de poser la question et de vivre dans l'attente depuis plus de deux mille ans et nous connaissons son bouleversant destin... Rien ne s'est encore fait par la seule ferveur et par l'attente. II faut s'y prendre autrement, se mettre A son travail et r~pondre aux demandes chaque jour... > (46). Max Weber (47) attribue un r61e 6minemment cr6ateur A la marginalit&.Il souligne le fait que des conceptions religieuses radicalement neuves ne sont apparues que trbs rarement dans les grands centres ofi s'affirmait une culture consacr6e : . Certes, I'influence d'une zone de culture rationnelle avoisinante n'est pas n~gligeable. Cependant, pour que naissent de nouvelles idles religieuses, il faut que l'homme n'ait pas < d~sappris Aaffronter le cours des 6v~nements, A l'interroger et A se poser des questions. Et c'est pr6cis6ment celui qui habite Al'&cartdes grands centres de culture qui est pouss6 Aagir ainsi, lorsque leur influence commence Ale toucher ou qu'il se sent menace dans ses int6r~ts vitaux. L'homme qui vit dans des zones satur6es de culture et qui est pris dans le r~seau de leurs techniques s'interroge aussi peu sur le monde qui l'environne que l'enfant habitue A prendre quotidiennement le tramway ne se demande comment on r6ussit A le faire d6marrer>> (48). On peut se demander, en prolongeant l'analyse de Max Weber, si ce n'est pas la situation marginale des

de Juifs,leur condition de < peuple-h6te>, tol6r6parfois Al'intdrieur la cite sans

cesser d'incarner l'6tranger et l'6trange, qui a 6t6 l'un des facteurs d6terminants de leur prodigieuse cr~ativit6 dans de multiples domaines. Cette situation, que d~finit la dialectique de la proximit6 et de l'bloignement analys6e par G Simmel, determine un comportement qui se caractdrise A la fois par l'engagement et l'indiff6rence. Il en r6sulte, chez le Juif, une plus grande objectivit6 par rapport aux valeurs dominantes, une certaine libert6 de jugement Al'6gard des prijug~s de son entourage, qui d6coulent du caractbre plus abstrait des relations qu'il entretient avec ce dernier. Parfois, lorsque cette objectivit6 s'accompagne d'une sympathie r6elle pour certains membres du groupe majoritaire, le Juif devient l'ami et le confident. Le Juif, en tant qu', intimement engage dans la vie sociale de son entourage cependant, ne souffre de sa condition marginale, Ala fois proche et lointaine, que lorsqu'il essaye de se fondre dans le groupe majoritaire. I1 se peut qu'il soit alors repouss& et tenu A distance. Lorsqu'il prend conscience que sa double allkgeance est d~nonc~e comme un stigmate qui le rend suspect, et empeche sa pleine participation au grand festin de l'universel, il devient un < paria a au sens oi l'entendait H. Arendt. En fait, la definition w~b~rienne de ( Gastwolka n'est pas incompatible avec la vocation du Juif. L'H6breu, 1' ivrin, est, dans sa signification 6tymologique, celui qui assure un . caract6risesa condition, c'est le sentiment de pr6carit6et l'instabilit6 qui le des rejettent i l'ext6rieur solidarit6sm6caniqueset organiques,comme des foules et des communions.Mais le plus souventla distanceque l'6tranger maintientavec la soci6t6 d'accueil, la fagon dont il s'inscrit dans cette b6ance, n'est pas une conduite d6sadaptee,car elle se fonde sur une vision du monde qui lui permetde transcenderle m6prisdont on l'accable.Son exp6riencen'estpas celle de l'exil ni de la d6r61liction. pr6sencedu Juifau monde est i la fois non coincidence avec La l'ordredes choses, anachronismevoulu, et participationdynamiqueet cr6atrice, n6cessaire invention i partir de la rupture. Il s'arrache i l'environnement, introduit la distance, pour jeter de nouveaux ponts. Comme le souligne Julien Freund(50), I'6tranger, tout en demeurant au milieu du groupe, >. Drrisoires charme et de gravit6intellectuellea pour essayer de convaincre autrui,et de se convaincre, qu'il a de telles attaches. Ses lettres de noblesse ne sont-elles pas prrcis~mentde remettreen question la croyanceen un lien consubstantielentre l'homme et la terre, selon laquelle il hrriterait,par la grace de la filiation, d'immortellesvertus? LAencore, il nous semble que la condition de l'6trangerprefigure la condition de l'homme, qui imprime sa marque sur les $tres et les choses. De sa grandeur t~moignent les traces si varides, qui expriment autant de fagons d'etre present au monde et aux autres.

Freddy RAPHAEL Universiti Strasbourg de

NOTES: Nazi, (1) Saul FRIEDLANDER,L'Antisimitisme Paris, 1971,p. 56. (2) Ibid.,p. 711. zur (3) Max WEBER,Aufsdtze Religionssoziologie, 1, 46me edition,Tiibingen1947,p. 267. T. internationale des (4) ReinhardBENDIX, Max Weberet la sociologiecontemporaine>,Revue sciences sociales,XVII (1965),p. 15. Paris,Plon, 1970,p. 19. Antique, (5) M. WEBER,Le Judai'sme (6) M. WEBER,TheReligionof India,New York,Glencoe, The Free Press, 1958,p. 11-15. New York,1964,p. 189. FromMax Weber, (7) H.H. GERTH,C. WRIGHTMILLS, (8) Ibid. et vol. (9) Max WEBER,Economie societd, 1, Paris,Plon, 1971,p. 513. a, (10) J. TAUBES,< Die Entstehungdes jtidischenPariavolkes in K. ENGISCH,B. PFISTER, Max Weber, J. WINDKELMANN, Berlin, 1966,p. 185-94. Gedaichtnisschrift, La de dissertation, Paris, 1964,p. 39. premidre (11) F. NIETZSCHE, Gindalogie la morale, Paris,Aphorisme43, p. 68. (12) F. NIETZSCHE, L'Antichrist, (13) F. NIETZSCHE,ibid.,p. 74. 80

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(14) F. NIETZSCHE, Gindalogie...,op. cit., p. 35. Archives de sociologie des La (15) M. WEBER, >, Religions, N0 9, 1960, p. 10, [trad. de M. Rubel]. (16) M. WEBER, Economie et socidt, op. cit., vol. 1, p. 514. (17) Ibid., p. 518. op. (18) M. WEBER, Morale &conomique..., cit., p. 10. (19) M. WEBER, Le Judaitsme,op. cit., p. 527. (20) M. WEBER, Le Judaisme..., op. cit., p. 398. (21) Andre NEHER, Amos, Contributiond lItude du Prophitisme, Paris, Vrin, 1950, p. 157. (22) M. WEBER, Le Judati'sme, cit., p. 376. op. (23) Ibid., p. 476. 2nd., Munich-Leipzig, 1924, p. 305. (24) M. WEBER, Wirtschaftgeschichte, M. WEBER, Economie et socidt, op. cit., vol. 1, p. 512. (25) (26) M. WEBER, Le Judaisme..., op. cit., p. 449. (27) Ibid., p. 495. (28) Ibid., p. 492. (29) Ibid., p. 467. (30) Ibid., p. 543. (31) Ibid. (32) Ibid., p. 544. (33) Economie et socet, op. cit., vol. 1, p. 513. (34) Georg SIMMEL, Soziologie, Leipzig, 1908, p. 685-91; - trad. anglaise par Kurt Wolf, The Sociology ofGeorg Simmel, New York, Free Press, 1950,p. 402-08. - trad. frangaise par Philippe Fritsch et Isaac Joseph, in Yves GRAFMEYER, Isaac JOSEPH, LEcole de Chicago, Paris, Aubier, 1984, p. 5359 > (35) Georg SIMMEL, - >, JOSEPH, L'Ecole de Chicago, Paris, Aubier, 1984, p. 53-59. - >, cit., p. 55.

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