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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes. 1

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AVERTISSEMENTCe texte a été téléchargé depuis le site

http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur.

En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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J' AI TUÉ QUI ?Comédie en trois actes de Bernard PHILIPPE

Nicole, mère de famille

Matteo, son ex-mari

Séverine, leur fille aînée

Elise, leur deuxième fille

Carole, leur troisième fille

Ludovic, leur fils

Stéphane, l'inconnu dans la maison

Laetitia, l'inconnue dans la maison

Aurélie, journaliste

Laurent, photographe

La pièce se passe dans le salon de Nicole.

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ACTE IScène 1

Ludovic, Séverine… et les autres.

Séverine est assise en train de broder.Ludovic (entrant et jouant avec un ballon de foot) : Salut, Pénélope !

Séverine : Je peux savoir pourquoi tu m'appelles comme ça ?

Ludovic : Je viens de voir ça sur blagues.net. Un mec qui s'était tiré de chez lui. Alors, tout le monde draguait sa nana. Mais elle, elle pensait qu'à faire un tricot géant, ou un méga-puzzle, je sais plus. Elle s'appelait Pénélope.

Séverine : Ludovic, Pénélope attendait Ulysse en faisant de la tapisserie.

Ludovic : Oh dis donc ! Toi aussi, tu surfes sur le web ? Terrible ! Et alors, qu'est-ce qu'il foutait, le mec de Pénélope ?

Séverine : Il a commencé par détruire Troie, et puis il s'est égaré en rentrant. Il a fait le tour du monde.

Ludovic : Il y a longtemps ?

Séverine : Oh oui !

Ludovic : Alors, c'est un peu l'inventeur du Vendée Globe ?

Séverine : Je ne connais pas le Vendée Globe.

Ludovic : Non ? Je le crois pas. Tu surfe sur le web et tu connais pas le Vendée Globe. C'est une course de voiliers. Comme ils font le tour du monde avec le vent, c'est pour ça qu'on l'a appelée le Vent des Globes. Qu'est-ce que tu fous exactement, Séverine ?

Séverine : De la broderie.

Ludovic : Ça a l'air vachement emmerdant.

Séverine : Reste poli, s'il te plaît.

Ludovic : D'accord. Je voulais seulement dire que c'était chiant. Tu en as pas marre ? Je pourrais jamais faire un truc comme ça.

Séverine : C'est pourquoi je ne te l'ai pas proposé, Ludovic.

Ludovic : Et à la fin, ça fait quoi ?

Séverine : Là, c'est un napperon.

Ludovic : Et avec ça, tu t'éclates un max ?

Séverine : J'éprouve une certaine satisfaction à faire quelque chose de joli.

Ludovic : Ouais ! C'est ce que je viens de dire.

Nicole entre, se précipite sur un meuble où se trouvent des flacons, en manipule, va ressortir.Ludovic : Bonjour, maman !

Nicole (très surprise) : Ludovic, mon chéri, je ne t'avais pas vu. Qu'est-ce que tu fais là ?

Ludovic : J'habite ici. Je loge chez ma mère.

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Nicole : C'est parfaitement exact. Alors, pourquoi me dis-tu bonjour ?

Ludovic : Parce qu'on ne s'est pas vus aujourd'hui.

Nicole : Ah oui ? Tu dois avoir raison. Où avais-je la tête ?

Ludovic : Au même endroit que d'habitude ; justement, c'est là ton problème.

Nicole : S'il te plait, ne sois pas insolent, je suis ta mère, quand même… (Elle sort.) Ludovic : Ça, c'est maman.

Séverine : Au moins, toi, elle t'a vu. Moi, je suis totalement transparente.

Ludovic : C'est normal, tu es tellement clean, on te confond avec la tapisserie.

Séverine (vexée) : Merci ! Il est vrai que je n'ai pas à féliciter maman sur la qualité de ton éducation. Arrête, tu vas finir par casser quelque chose.

Ludovic : Alors que toi, maman a su t'élever ? Mais c'était avec les bonnes vieilles méthodes.

Séverine : N'exagère pas. Je ne suis quand même pas si vieille que ça. Seulement, moi, j'ai fait les efforts nécessaires.

Ludovic : L'effort, toujours l'effort. Tu es super. Dis-moi, qu'est-ce qu'elle fout, maman, avec ses biberons ?

Séverine : Elle ne me tient pas au courant. Je crois qu'elle fait de la peinture.

Ludovic : Je sais bien qu'elle barbouille des trucs. Mais d'habitude ça se fait au pinceau, pas à la bouteille ?

Séverine : Je te dis qu'elle fait sa peinture, qu'elle la fabrique elle-même, qu'elle fait des mélanges subtils. Et comme elle laisse traîner n'importe quoi n'importe où, et qu'en plus elle n'est pas la seule dans cette famille, un de ces jours, on aura un problème.

Ludovic : Quel blème tu veux qu'on ait ?

Nicole (entrant, même jeu que précédemment, puis) : Tiens vous êtes là tous les deux ? Vous avez bien dormi ?

Ludovic : Mais oui, maman.

Séverine : Maman, il est onze heures, et nous nous sommes vues trois fois depuis ce matin.

Nicole : Vraiment ? Je n'ai pas vu le temps passé. Je suis si occupée. Excuse-moi. Il faut que j'y aille, j'ai de la peinture sur le feu. (Elle sort.)Ludovic : Maman, deuxième passage dans le brouillard ! Elle va nous percuter un platane et nous faire bouffer de la peinture comme dessert. Bon, je vais voir si je trouve quelque chose à grignoter.

Séverine : À onze heures du matin, je suppose qu'il est question de ton petit déjeuner ?

Ludovic : Tu as deviné. Tu veux que je te laisse mon ballon pour t'amuser un peu ? Bon. Salut, ma grande sœur adorée (Il l'embrasse, ce n'est pas réciproque, il croise Elise avant de sortir.) Salut, Elise ! Je te laisse avec Séverine. Ce matin, c'est ciel d'orage avec quelques éclaircies.

Séverine : Sale gosse !

Elise : Je viens de croiser maman. Elle, c'est plutôt nuages persistants en altitude.

Séverine : Ce n'est pas la peine de chercher pourquoi papa a fini par quitter la maison.

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Elise : De toute manière, lui, il n'y en avait que pour ses pousseurs de ballon rond. Il était jamais là. Ils ont dû se croiser trois fois en douze ans de vie commune.

Séverine : Nous sommes quatre. Je soupçonne qu'ils se sont croisés quatre fois.

Elise : Oui, tu as raison, quatre fois. Encore que, comme on connaît maman, elle pourrait avoir fait un ou deux d'entre nous avec un autre type, sans faire attention, en croyant que c'était son mari.

Séverine : En tout cas, Ludovic est bien de lui. Il est né avec un ballon de foot collé au bout du pied, comme son père. Il a dû être fabriqué dans un vestiaire un jour de défaite.

Elise : Au moins, grâce à lui et au club de foot, on a des nouvelles de papa.

Séverine : En admettant que ce papa soit à la fois le tien et le mien. Et, quand je te regarde, j'émets parfois des doutes sur le fait que nous soyons nées du même père.

Elise : C'est vrai qu'on se ressemble pas trop physiquement.

Séverine : S'il n'y avait que le physique !

Elise : Tu as envie de me dire quelque chose de désagréable. Ne te retiens surtout pas, j'adore ton style.

Séverine : Tu n'as pas deux sous de bon sens. Dès qu'il y a une sottise à faire, tu es partante.

Elise : Je préfère partir dans le sens des sottises que dans le sens du fil de la tapisserie, comme toi. Comment peux-tu supporter cette vie de routine ? Tu es là toute la journée à fabriquer tes torchons. Où est-ce que ça te conduit ? Moi, j'ai envie de vivre ! De vivre quelque chose de fort, d'intense ! De vivre pour de vrai, tu comprends ? Je veux bien mourir jeune, mais à condition d'avoir vécu.

Séverine : Vécu ! Le vécu ! Ça commence par le V de victoire et ça finit sur le cul. Excuse ma grossièreté.

Elise : Eh bien, ma petite vieille, je me sens jeune, et je n'en ai pas honte. Mais tu es quand même ma grande sœur chérie !

Séverine : Ah, toi aussi. Tout le monde m'aime, ce matin. Je traduis qu'on compte sur moi pour préparer le déjeuner, bien sûr. (Elle sort.)

Scène 2Stéphane, Elise, Carole… et Nicole

Elise : A bientôt, Sainte Séverine ! (Seule) Comment faire pour la décoincer ? Lui voler ses fringues et lui laisser seulement une minijupe ? La plonger toute nue dans un mélange chimique préparé par maman, à cause des couleurs ? Demander à papa de lui faire faire du foot ? Ou plutôt du rugby dans une équipe de mecs. Au milieu de la mêlée. (Entrée de Stéphane) Qu'est-ce que vous faites là, vous ?

Stéphane : La porte était ouverte.

Elise : Je sais, depuis que la libre circulation des personnes est un droit de l'homme, ma mère applique ça à sa porte d'entrée. Ce n'est pas une raison pour entrer comme ça.

Stéphane : Si, pour moi, c'en est une. Si la porte avait été fermée, je ne l'aurais pas défoncée.

Elise : C'est très cool de votre part. Et chaque fois que vous voyez une porte ouverte, vous entrez ?

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Stéphane : Oui, je me dis qu'avec un peu de chance, je vais rencontrer une jolie femme qui sort de sa douche.

Elise : Oh, je suis absolument désolée de ne pas faire l'affaire.

Stéphane : Tant pis, ce n'est qu'un demi-échec.

Elise : C'est-à-dire ?

Stéphane : Vous ne sortez pas de votre douche. Pour le reste, ça peut aller.

Elise (sèchement) : Alors, je suis à peu près à votre convenance ? J'en suis folle de joie. Bon, maintenant, ça suffit, sortez !

Stéphane : Vous êtes toujours coincée comme ça ?

Elise : Là, vous vous plantez, la coincée, ce n'est pas moi, c'est l'autre.

Stéphane : Quelle autre ?

Elise : Cherchez pas.

Stéphane : Alors, qu'est-ce qu'on fait ?

Elise : Comment ça, qu'est-ce qu'on fait ?

Stéphane : Eh bien, oui. Je peux m'asseoir ?

Elise : Si vous me disiez d'abord ce que vous venez faire…

Stéphane (s'assoit) : C'est pas important. On a le temps.

Elise : Non, moi je n'ai pas de temps à perdre avec un type comme vous. Allez-vous-en.

Stéphane : Vraiment, je ne vous plais pas ? Pourtant, d'habitude…

Elise : Quoi, d'habitude ? On se jette dans vos bras et on vous offre à boire ?

Stéphane : Oui, mais l'un après l'autre. Je ne veux pas vous brusquer : commencez par m'offrir à boire.

Elise : Il n'en est pas question !

Stéphane : Alors, venez dans mes bras.

Carole (entrant) : Salut ! Ça va bien, Elise ? (Baisers, puis à Stéphane :) Bonjour ! Moi, c'est Carole.

Stéphane : Moi, c'est Stéphane. (Baisers.)Carole : Je vous dérange pas ? C'est la première fois que tu nous amènes Stéphane à la maison. Vous vous connaissez depuis longtemps ?

Elise : Mais non, c'est…

Carole : Je sais ! Tu vas dire que ça ne me regarde pas. Elle me dit tout le temps ça. Mais moi, ça m'intéresse, ce qu'elle fait, ma sœur. (A Stéphane) C'est normal que je connaisse le garçon avec qui elle sort, tu ne trouves pas ?

Stéphane : Oh si, moi je suis d'accord.

Elise : Oh, j'hallucine !

Carole : Elle t'a même pas offert à boire, elle est nulle.

Stéphane : C'est ce que je lui ai dit. Mais elle voulait d'abord que je la prenne dans mes bras. Je peux comprendre.

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Elise : Pardon ?

Stéphane (à Elise) : Ah, écoute, je peux dire les choses à ta sœur. Tu m'as dit que tu n'étais pas du genre coincé.

Elise : Voilà qu'on se tutoie !

Carole : Non, c'est vrai, la coincée, c'est l'autre.

Stéphane : Quelle autre ?

Carole : Ah, tu la connais pas ? Elle vaut le voyage.

Nicole (entrant) : Tiens, vous êtes là, mes filles ? Bonjour, Monsieur.

Carole : Maman, je te présente Stéphane, le nouvel ami d'Elise.

Elise : Ça va pas, non ? T'es complètement…

Nicole : Oh, il n'y a pas de mal à ça, Elise. Amusez-vous, mes enfants, c'est de votre âge. Pourquoi donc sui-je venue dans cette pièce ? Je ne sais plus du tout. Je vous laisse. (Elle sort.)Stéphane : Alors, je suis le nouveau ? (A Carole) Pourquoi ? Elle drague sec, ta soeur ? Mademoiselle est consommatrice ? A quoi il ressemblait, le précédent ?

Carole : J'ai peut-être dit une connerie.

Elise : Depuis que tu es entrée, tu n'as dit que des conneries.

Carole : Ça, ce n'est pas gentil.

Stéphane : Non, ce n'est pas gentil, Elise. Ta sœur a raison.

Elise : Oh, vous, ou toi, je ne sais plus… Stéphane - c'est ça - tu ferais mieux de la fermer.

Carole : Oh non ! Vous n'allez pas vous disputer à cause de moi ! Ça m'embêterait.

Stéphane : Elle a encore raison. Ce serait trop bête de se disputer. Voyons, Elise, tu n'as aucune raison de te coincer.

Carole : Non. D'ailleurs, dans la famille, la coincée, c'est pas Elise. C'est…

Stéphane : Oui, je sais, c'est l'autre. On me l'a déjà dit.

Carole : Tu ne vas pas t'énerver aussi, Stéphane.

Stéphane : Moi, je n'ai aucune raison. Je suis très bien ici.

Carole : Tant mieux. Tu sais, ça fait plaisir de voir à la maison un beau mec plutôt sympa ; alors…

Elise : Voilà autre chose. Tu le dragues ou quoi ? Tu t'imagines des chose, alors tu veux me le piquer, c'est ça ?

Carole : Mais non, je peux quand même dire que j'aime bien ton nouvel ami… enfin, je veux dire ton ami, pas nouveau, pas nouveau, sans que ça…

Stéphane : Tu sais, Carole, il faut que les choses soient claires. Elise et moi, on est ensemble, comme ça, mais on n'a encore rien signé de définitif. Alors, si je te plais, on peut arranger le coup… Elise fera un peu la gueule, c'est normal, mais du moment que je reste dans la famille.

Elise : Je vais le tuer, ce mec !

Carole : Euh… Bon… Attendez… On le boit, ce verre ?

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Elise : Puisque vous vous êtes mis d'accord là-dessus tous les deux et que je n'ai pas mon mot à dire, on va le boire… Je ne vais pas faire la coincée…

Stéphane et Carole : Non, c'est l'autre !

Elise : Qu'est-ce que tu prends, Stéphane ?

Stéphane : Un whisky.

Elise : Carole, un jus d'orange ?

Carole : Comme d'hab.

Stéphane : On est bien, chez vous. L'accueil est sympa, les filles sont jolies. Je ferais bien un petit séjour. (A Elise) Si c'est permis, je préfèrerais de la bouteille qui est là, derrière.

Elise : Comme monsieur voudra.

Stéphane : Il me semble que je connais vaguement votre frère. Ludovic, c'est ça ?

Carole : Comment, Elise, tu ne lui as jamais parlé de Ludo ?

Elise : On n'a pas eu le temps.

Carole : Ah bon ? Quand vous êtes ensemble, vous êtes drôlement occupés, alors.

Stéphane : C'est ça. (Prenant le whisky) Merci.

Carole : Et qu'est-ce que tu fais de tes journées, habituellement ?

Stéphane : Je profite de la vie à fond la caisse. (Il boit, suffoque, se lève, et s'effondre à plat ventre par terre, en tenant son verre qui se vide). Carole : Là, tu profites pas bien. Ça ne va pas ?

Elise : Qu'est-ce qui se passe ?

Carole : Il bouge plus.

Elise : Non, il bouge plus.

Carole : Stéphane ?... Stéphane, réponds-moi.

Elise : Il a pas envie.

Carole : Parle-lui. C'est ton mec, après tout.

Elise : Tu crois qu'il est… ?

Carole : Je sais pas. Comment on peut le savoir ?

Elise : Je sais pas. En le tâtant quelque part.

Carole : Où ça ?

Elise : Je sais pas. Le cœur ?

Carole : Eh bien, vas-y, retourne-le.

Elise : Je pourrai jamais.

Carole : Prends-lui le pouls.

Elise : Tu crois ? (Elle le fait avec beaucoup de maladresse) Je ne sens rien.

Carole : Alors, il est mort ?

Elise : Oui, il est mort.

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Carole : C'est embêtant.

Elise : Surtout pour lui.

Carole (s'asseyant) : Qu'est-ce qu'il faut faire ?

Elise : Je sais pas.

Carole : Appeler la police ?

Elise : Oui.

Carole : Vas-y, appelle-la.

Elise (sans bouger) : Oui.

Scène 3Les sœurs, le corps… et les autres.

Séverine, entrant : Qu'est-ce que vous avez encore inventé ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

Carole : C'est Stéphane… enfin, c'était Stéphane.

Séverine : Et qu'est-ce qu'il fait là ?

Elise : Demande-lui. Moi, je ne sais pas.

Carole : Il est mort.

Séverine : Vous êtes sûres ?

Carole : Elise a vérifié.

Séverine : Qu'est-ce qui s'est passé ?

Carole : Il a bu un whisky et il est tombé.

Séverine : Ça ne m'étonne pas. J'ai horreur du whisky. Où est cette bouteille ?

Carole : C'est celle-là.

Séverine (Elle renifle) : C'est infecte, mais ce n'est pas du whisky. Une vague odeur d'alcool à brûler. Ne cherchez pas, c'est ça qui l'a tué.

Carole : On cherchait pas vraiment.

Entre Nicole. Elise se précipite pour lui cacher la scène en l'embrassant, le temps pour Séverine de jeter une couverture sur Stéphane. Elise : Bonjour, maman.

Nicole : Bonjour, ma fille. Mais nous nous sommes déjà vues ce matin. Oh, tu as une petite mine, tu as besoin de repos.

Séverine : Qu'est-ce que tu viens faire, maman ?

Nicole : Mais… il me semble que je suis ici chez moi. Je suis venue tout à l'heure chercher une bouteille, et je crois que je suis repartie sans l'avoir prise.

Séverine : Est-ce que tu ne pourrais pas mettre les bouteilles avec lesquelles tu t'amuses dans ton atelier et ne pas les laisser traîner avec les apéritifs.

Nicole : Mais je ne m'amuse pas. Je fais un nouvel essai de peinture et je veux y mettre une goutte de whisky. Je ne vois pas ce que ça a d'extraordinaire, tout le monde fait ça. Et puis c'est mon droit. Ça ne fait de mal à personne. Elle enjambe le corps et va prendre la bouteille.

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Elise : Non, pas celle-là !

Nicole : Et pourquoi, s'il te plaît ?

Elise : On ne sait jamais ! Rends-moi cette bouteille ! (Elle lui arrache avec difficulté, et lui en donne une autre.) Tiens, voilà du whisky !

Nicole : Et si je préfère l'autre.

Elise : Non ! C'est la bouteille de Stéphane… son whisky préféré.

Nicole : Ah, si c'est la bouteille de Stéphane ! Et où est-il passé ?

Elise : Il se sentait fatigué. Il se repose.

Nicole : Quelle drôle d'idée ! Quand j'étais plus jeune, un garçon ne se serait jamais senti fatigué en ma présence. Ce sont les garçons qui ont changé ou ce sont les filles ? (En parlant, elle enjambe à nouveau Stéphane pour sortir.) Tu l'as installé dans quelle chambre ? Bon, il faut que j'y aille.

Séverine : Heureusement, elle pose des questions mais elle n'attend pas les réponses. Et maintenant, si vous m'expliquiez ?

Elise : Y a rien à expliquer. Il a bu, il est tombé, il est mort.

Séverine : Toi qui voulais ta dose de vécu il y a cinq minutes, tu commences par un mort. C'est très fort.

Elise : C'était pour avoir quelque chose à raconter.

Séverine : Mais enfin ! Qui est-ce ?

Carole : C'est le copain d'Elise.

Elise : Mais pas du tout. C'est toi qui as inventé ça.

Carole : Tu m'as même accusé d'avoir voulu te le piquer.

Elise : J'ai dit ça comme ça, parce que tu croyais qu'il était avec moi et que ça m'a agacée quand j'ai vu que tu le draguais à mort. Euh… non, pas à mort.

Séverine : Alors, qui est-ce ?

Elise : Mais je n'en sais rien. Je ne l'avais jamais vu. Il est entré ici parce que la porte était ouverte et il s'est incrusté. Et cette gourde de Carole qui lui faisait du rentre-dedans.

Séverine : Qu'est-ce qu'il venait faire ?

Elise : Je n'en sais rien, je te dis. Je ne sais rien ! Tout ce que je sais, c'est qu'il a dit qu'il connaissait vaguement Ludo.

Séverine : Et qu'est-ce que tu comptes faire ?

Elise : Eh, pourquoi moi ? Il est pas à moi, ce type.

Carole : C'est quand même toi qui l'as empoisonné.

Elise : Ah ça, c'est le top ! C'est toi qui as voulu absolument qu'on lui offre à boire.

Carole : Oui, mais pas du whisky empoisonné !

Elise : Et alors ? C'est lui qui a choisi cette bouteille. C'est de sa faute.

Séverine : Un suicide ! Il s'est dit "Entrons ici et choisissons cette bouteille, je vais sûrement y passer !" C'est ce que tu penses ?

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Carole : Je te rappelle que tu as dit à un moment que tu allais le tuer.

Elise : J'ai dit ça, moi ?

Carole : Ouais !

Elise : Tu es stupide. C'est un accident. On ne sait pas ce que maman a fourré dans cette bouteille. (Entrée de Laetitia, une valise à la main.) Qui c'est celle-là ?

Laetitia : Merci de votre accueil.

Elise : Dites-nous tout : vous êtes entrée parce que vous avez trouvé la porte ouverte, et vous avez envie de boire un whisky. Ne vous gênez pas, on sait traiter le problème.

Laetitia (au bord des larmes) : Qu'est-ce que je vous ai fait ?

Séverine : Excusez ma soeur, on est un peu nerveuses en ce moment.

Laetitia : Vous avez des soucis ?

Carole : Un seul, mais il fait 70 kilos.

Laetitia : Je peux vous aider ?

Toutes : Non !

Laetitia : Bon, bon, ne vous fâchez pas.

Séverine : Dites-nous quand même qui vous êtes.

Laetitia : Je suis la femme de Ludovic. (Silence éloquent.)Séverine : Vous pouvez répéter ?

Laetitia : Je suis la femme de Ludovic, enfin presque.

Carole : Ça veut dire quoi ?

Laetitia (enthousiaste) : Eh bien, voilà. Je m'appelle Laetitia. J'habite Marseille. Mais je n'ai pas du tout d'accent parce que mon père, en fait…

Carole : Oui, tant pis pour l'accent, on vous en veut pas. Après ?

Laetitia : Ludovic et moi, on a fait connaissance quand il a fait son stage le mois dernier. On a tout de suite compris qu'on était faits l'un pour l'autre. Je lui ai écrit, mais il n'a pas dû recevoir mes lettres, j'ai téléphoné mais il n'était jamais là. Alors, me voilà.

Séverine (glaciale) : Je sens que ça va lui faire plaisir. Il nous a tellement parlé de vous.

Laetitia : Ça ne m'étonne pas. On s'aime tellement. (Montrant le corps) Je peux m'asseoir sur le pouf ?

Carole : Non ! Il est pourri.

Laetitia : Vous êtes les sœurs de Ludovic ? Qu'est-ce que ça me fait plaisir de vous connaître !

Séverine : Et nous donc !

Laetitia : Je parie que vous êtes Séverine.

Séverine : Oui. Comment avez-vous deviné ?

Elise : Ne lui dites pas, ça lui ferait pas plaisir.

Laetitia (A Elise) : Et vous, vous êtes…

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Elise : On n'a pas vraiment le temps de jouer aux devinettes. Revenez un autre jour, on fera un scrabble, promis.

Laetitia : Mais je n'ai nulle part où aller. Je ne connais personne par ici, je n'ai pas d'argent, et je pensais…

Carole (criant) : Ludo ! Une surprise pour toi !

Laetitia : Il est là ? Alors, j'ai de la chance.

Séverine : Oui, tout le monde ne peut pas en dire autant.

Carole : Tenez, faites-lui la surprise jusqu'au bout. Allez le chercher vous-même. (Laetitia se laisse pousser vers la sortie.) Et si vous rencontrez maman, refusez qu'elle vous offre à boire. (Laetitia sort.)Séverine : La prochaine fois que vous tuerez quelqu'un, pensez à fermer les portes. On en étions-nous ?

Elise : Je disais que c'était un accident.

Carole : De toute manière, c'est à la police de se débrouiller avec ça.

Séverine : Tu comptes appeler la police pour faire arrêter maman ?

Carole : Euh, non… Je ne sais pas. On est bien obligées…

Séverine : Eh bien, appelle-la.

Carole : Ah, non, pas moi !

Séverine : Qui alors ? Une volontaire ? (Silence.) Si personne ne veut appeler la police, il faut trouver une autre solution. Vous avez des idées ? (Silence.) Je n'en vois qu'une, c'est de faire disparaître le corps.

Carole : On va le brûler dans la cheminée.

Séverine : La seule cheminée que nous ayons dans la maison a la taille d'un four à micro-ondes. Tu coupes les morceaux et on s'occupe du reste.

Carole : Non. Je ne sais pas. C'est toi l'aînée, après tout.

Séverine : Merci de vous le rappeler, c'est le moment.

Carole : Tu sais qu'on a beaucoup parlé de toi et qu'il avait très envie de te connaître.

Séverine : Vraiment ?

Carole : Oui, on n'arrêtait pas de lui dire que la coincée, c'était pas…

Elise : Carole, tais-toi ! Ce n'est pas le moment.

Carole : N'empêche, j'aurais bien voulu lui présenter Séverine.

Séverine : Carole, on ne présente pas une femme à un homme. C'est l'homme qu'on présente à une femme.

Carole : Qu'est-ce que ça change ?

Séverine : C'est une question de savoir-vivre.

Elise : Et pour présenter un cadavre avec du savoir-vivre, on fait comment ?

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Séverine : Tu as raison, ce n'est pas le moment. Le plus urgent, c'est de le camoufler jusqu'à la nuit. Aidez-moi à le traîner jusqu'au coin…. Allez, on le retourne… Carole, tu prends les pieds… La prochaine fois, choisissez-en un moins lourd.

Carole : Je ne sais pas si c'est très légal, ce qu'on fait là.

Séverine : Quand tu le sauras, tu nous le diras.

Carole : Eh, les pieds dépassent !

Séverine : On va mettre le canapé devant. (Elles le font.) Carole, tu essuies par terre ? (Puis elles s'assoient, épuisées, sur le canapé.)Elise : Ça donne soif.

Carole : Tu veux un petit whisky ?

Ludovic, entrant : Alors, les filles, on prend du bon temps ?

Elise : On s'éclate un max.

Ludovic : Ça se voit. Pourquoi il est là, ce canapé ? C'était mieux avant. Poussez-vous, je le remets en place.

Carole : Non, nous on préfère comme ça.

Ludovic : Allez, déconnez pas. Laissez-moi faire.

Carole : On ne bougera pas d'ici.

Ludovic : Poussez-vous, je vous dis.

Carole : Pas question ! Les barricades, Azincourt, Fleurus, Waterloo, la garde meurt et ne se rend pas.

Ludovic : On dirait vraiment que vous cachez quelque chose derrière.

Séverine : Tu as deviné, on cache un cadavre.

Ludovic : Oh, c'est malin ! Vous êtes bêtes.

Carole : As-tu vu Laetitia ?

Ludovic : Qui ça ?

Carole : Laetitia, la femme de ta vie.

Ludovic : Vous êtes vraiment bêtes. Je n'ai aucune femme dans ma vie.

Carole : Laetitia, que tu as connue à Marseille pendant ton stage.

Ludovic : Ah, celle-là. Oui, on a vaguement flirté. Depuis, elle m'a écrit une fois ou deux des lettres complètement dingues. Heureusement que Marseille, c'est loin. Sinon, j'aurais la trouille.

Séverine : Mon pauvre petit frère.

Ludovic : Qu'est-ce qu'il y a ?

Elise : Chacun ses soucis.

Carole : Nous, on a un petit problème, c'est normal que tu aies le tien aussi.

Elise : Mais il faudrait pas que ton problème vienne se mêler du nôtre. Alors, ta Laetitia, elle est ici, dans la maison, avec sa petite valise, et elle te cherche.

Ludovic : Oh putain !

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Elise : Tu en fais ce que tu veux : tu l'épouses, tu l'emmènes à l'hôtel, tu la pousse sous une bagnole, tu l'étrangles, mais elle ne met pas les pieds dans cette pièce ! Nous avons du ménage à faire. Est-ce que c'est compris ?

Ludovic : Oh putain ! (Il sort.) Séverine : Bon, les filles, nous avons paré au plus pressé mais cela ne règle pas le problème. Il faut nous débarrasser du cadavre.

Elise : Et comment ?

Séverine : Tu as ta voiture ?

Elise (peu enthousiaste) : Oui. Vous auriez pu passer votre permis, vous deux. Au lieu de faire de la broderie…

Séverine : Cette nuit, on va l'embarquer dans un endroit désert. Comme personne ici ne le connaît et qu'il ne connaît personne, on ne remontera jamais jusqu'à nous.

Elise : Il a quand même dit qu'il connaissait vaguement Ludovic.

Séverine : Vaguement. Ça n'engage pas à grand-chose.

Carole : J'ai hâte que la nuit tombe. (Noir.) J'ai été entendue !

Séverine : Mais non, c'est une panne de courant. Il y a une bougie sur la table et des allumettes à côté. Vas-y.

Carole : J'essaye.

Elise : Dépêche-toi, j'ai la trouille.

Séverine : De quoi as-tu peur ?

Elise : Je ne sais pas. Dépêche-toi, Carole.

Carole : Je fais ce que je peux.

Elise : Aaaah ! Au secours ! Il m'attaque !

Carole allume la bougie. On voit Elise aux prises avec Laetitia.Carole : Laisse tomber, c'est ta belle-sœur.

Elise (A Laetitia) : Encore vous ! Qu'est-ce que vous faites là ?

Laetitia : Je cherche Ludo.

Elise : Ce n'est pas une raison pour vous jeter sur moi.

Laetitia : Mais c'est vous qui m'avez bousculée quand j'ai voulu entrer.

Elise : Ça va pas ! Allez, allez chercher Ludovic. Il est sorti, il est allé faire un tour en ville. Allez voir.

Laetitia : Quand même, il se passe de drôles de choses, ici. (Elle sort.)Carole : C'est sinistre. (La lumière revient.) Ouf, j'aime mieux ça.

Nicole (entrant) : Qu'est-ce qui se passe ?

Séverine : Rien du tout, maman, une coupure de courant, c'est tout.

Nicole : Tiens, le canapé a été déplacé.

Carole : C'est une idée qu'on a eue, toutes les trois. Qu'est-ce que tu en penses ?

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Nicole : C'est comme voulez, mes chéries. Mais moi, je l'aurais vu plutôt de ce côté. Vous ne voulez pas essayer ?

Carole : À propos d'aménagement, maman, je me suis toujours demandée pourquoi tu avais fait murer cette fenêtre. C'est idiot de se trouver dans le noir en plein milieu de journée à cause d'une panne de courant.

Elise : Et moi, je me demande pourquoi tu laisses toujours la porte d'entrée ouverte.

Nicole : Ma chérie, il ne faut pas rester replié sur soi, barricadé. J'ai toujours essayé de vous apprendre le sens de l'accueil. Je suis très déçue de votre attitude.

Elise : T'inquiète pas, ça marche comme tu veux. Il y a des gens qui rentrent, il y a des gens qui sortent. Le problème, c'est qu'il en rentre plus qu'il n'en sort.

Nicole : À propos, qui est cette charmante jeune femme qui circule dans tous les sens.

Séverine : C'est ta belle-fille, ou peu s'en faut.

Nicole : J'ai une belle-fille, je ne savais pas. C'est quand même curieux.

Scène 4Matteo, Nicole… et les autres.

Matteo, entrant : Bonjour, charmantes dames. Comment se porte mon ex-épouse ? Comment vont les trois plus jolies filles de cette ville ?

Carole : Bonjour, papa. J'adore tes compliments à l'italienne. (Les trois vont l'embrasser.) Nicole : Qu'est-ce qui nous vaut l'honneur de ta visite ? Si tu cherches des footballeurs, il n'y en a plus. Tu as déjà pris mon fils, tu me laisses mes filles.

Matteo : Je me permets de te rappeler que ce sont aussi mes enfants.

Nicole : Ce n'est pas une raison.

Matteo : Ne t'inquiète pas. Je n'ai pas l'intention de constituer une équipe mixte. Nicole, je voudrais te parler seul à seule.

Nicole : Qu'est-ce qui se passe ? Rien de grave, j'espère ? Les filles vont nous laisser.

Elise : Ah non ! Nous on reste ici.

Nicole : Qu'est-ce qui te prend, Elise ? J'ai quand même le droit de parler en tête à tête avec votre père.

Elise : Non ! Ou alors, ailleurs. Pas sous le toit conjugal. Et surtout pas dans cette pièce. Ce salon qui me rappelle toutes les heures de bonheur que nous avons vécu ensemble, tous les six… Je me revois encore quand j'étais petite fille, avec Ludovic qui jouait à quatre pattes par terre avec ses petites voitures… Imaginez que vous vous y discutez comme ça, en tête à tête, comme deux étrangers, ça me ferait trop de peine. Dites quelque chose, les filles.

Carole : Euh… oui. Elise a raison. Les petites voitures, tout ça…

Matteo : Séverine, dis à tes sœurs de se montrer raisonnables.

Séverine : Non, pour une fois, je suis de leur avis. Vous pouvez discuter, mais dans cette pièce, c'est impossible.

Nicole : Je ne sais pas ce qui se passe avec les filles aujourd'hui. Elles sont bizarres. Le whisky est sous protection, le canapé se déplace. Vous avez quelque chose à cacher dans cette pièce ?

15

Carole : Mais non, maman, pourquoi tu dis ça ?

Nicole : Alors, laissez-nous.

Séverine : Allez, on n'a pas le choix, les filles. Tan pis, on y va. (Elles sortent.) Nicole : Qu'est-ce qui se passe, Matteo ? Si tu veux me parler seul à seule, c'est que c'est important pour toi, je te connais. Et tu sais bien que je n'aime pas les choses importantes.

Matteo : Je sais : dès que tu as un problème sérieux à régler, tu t'enfuis.

Nicole : C'est ce que tu penses ? Ce n'est pas une fuite. Je refuse simplement de prendre au sérieux des choses qui n'ont que l'importance que certains prétendent leur donner.

Matteo : C'est pour moi que tu dis ça ?

Nicole : Pour toi, et pour plein de gens qui me sont beaucoup plus indifférents.

Matteo : Alors, je ne te suis pas indifférent.

Nicole : Tu en doutais ?

Matteo : Un peu, depuis notre séparation.

Nicole : Matteo, pourquoi es-tu parti ?

Matteo (stupéfait) : Mais… parce que tu m'as mis à la porte.

Nicole : Oh, tu crois vraiment cela ?

Matteo : Tu as prétendu que je passais plus de temps sur un terrain de foot qu'à avec toi.

Nicole : C'était vrai.

Matteo : Oui. Alors, comme tu me reprochais d'être trop peu avec toi, tu m'as chassé. Je n'ai pas bien compris.

Nicole : Tu ne m'as jamais très bien comprise, Matteo.

Matteo : J'ai essayé, pourtant.

Nicole : Peut-être pas avec toute la patience nécessaire.

Matteo : Il faut vieillir un peu pour apprendre la patience. Je ferai mieux la prochaine fois.

Nicole : Avec qui ?

Matteo : Avec une femme qui me donnera une deuxième chance.

Nicole : Ne rêve pas trop. Que voulais-tu me dire ?

Matteo : Je voudrais que, même si ça te coûte un gros effort, tu considères comme important le fait de fermer la porte de ta maison. Les filles et toi, vous n'êtes pas en sécurité, ici.

Nicole : Tu n'es quand même pas venu pour me dire ça ? Les filles se sont plaintes auprès de toi ?

Matteo : Pas du tout. Mais j'ai vu ça en arrivant, une fois de plus, et ça m'inquiète.

Nicole : Ce n'est pas grave. Ici, c'est la maison du bon Dieu. Ouverte à tous.

Matteo : Tu n'es pas raisonnable.

Nicole : Non, je ne suis pas raisonnable. Et en plus, je suis complètement tête en l'air, je suis tellement distraite que je suis capable de demander à rencontrer quelqu'un et de le quitter en oubliant d'aborder le sujet. Tes enfants pensent que je suis folle.

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Matteo : Tu n'es pas folle du tout. Tu comprends tout. Mais tu suis ton idée. Pourquoi as-tu changé la place du canapé ?

Nicole : Ce n'est pas moi, ce sont les filles.

Matteo : Et tu trouves ça bien ?

Nicole : Non.

Matteo : Je vais le remettre comme avant ?

Nicole (hésite) : Non, laisse-le. Si ça leur fait plaisir… Oh, je pense à une chose…

Matteo : Ne la laisse pas filer.

Nicole : Filer quoi ?

Matteo : La chose.

Nicole : Quelle chose ?

Matteo : Là, je crois que tu le fais exprès.

Nicole (se moquant) : Oh mais non. Je voudrais bien que tu m'expliques ce que c'est que cette gamine qui se promène dans la maison en disant qu'elle est ta fille. Nous sommes séparés depuis cinq ans, et tu as une enfant qui en a plus de vingt ? Tu me dois quand même quelques explications.

Matteo : Mais je ne sais pas.

Nicole : Ne te moque pas de moi. Et dis-moi la vérité.

Carole (passant la tête) : Tout va bien ?

Nicole : Evidemment, tout va bien. Pourquoi veux-tu que ça n'aille pas bien ? Nous ne sommes plus mariés, nous n'avons aucune raison de nous disputer.

Matteo : Fiche-nous la paix, Carole, s'il te plaît.

Carole : Bon, d'accord, excusez-moi. (Elle sort.) Matteo : Je t'assure que je ne sais pas du tout qui est cette fille. Qu'est-ce qu'elle dit exactement ?

Nicole : Je n'en sais rien. J'ai croisé cette Laetitia aujourd'hui, je ne l'avais jamais vue, nous nous sommes dit bonjour. Et juste avant que tu entres, là, tout de suite, Séverine me dit qu'elle est ma belle-fille. Comme je n'ai jamais eu d'autre mari que toi, je te pose la question.

Matteo : Je ne connais pas de Laetitia. Elle est folle.

Nicole : Tu crois que je suis contagieuse ?

Matteo : Arrête… Le mieux, c'est que tu lui poses la question.

Nicole : J'essaierai d'y penser. Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu venais faire.

Matteo : J'avais envie de te voir, tout simplement.

Nicole : Ton équipe de foot ne va pas comme tu veux ?

Matteo : Tu es injuste. Tu n'es pas pour moi un lot de consolation. Et d'ailleurs, mon équipe va très bien, au contraire. Ton fils commence à se débrouiller pas mal du tout. Et j'ai un attaquant de pointe comme je n'en ai jamais vu ici, en vingt ans. Je ne vais pas le garder.

Nicole : Pourquoi ?

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Matteo : Parce qu'il va se faire remarquer par une équipe pro. En attendant, Stéphane nous fait gagner tous nos matches.

Nicole : Stéphane ? Il me semble que j'ai entendu ce prénom-là récemment. C'était quand ?... Oh, je ne sais plus. Ça me reviendra… peut-être.

Scène 5Les quatre enfants… et les autres.

Elise (passant la tête) : On peut revenir ? On voudrait bien voir un peu notre père.

Matteo : Oui, vous pouvez venir ; mais pas pour me voir, désolé : j'ai rendez-vous, je dois partir. Je reviendrai, je vous le promets. (Il va pour embrasser Nicole, qui tend sa joue. Puis il embrasse Elise et sort.) Veille bien sur ta mère. A bientôt.

Elise : Qu'est-ce qu'il voulait ?

Nicole : Ah, nous avons nos petits secrets.

Elise : De vrais gamins.

Carole (entrant, suivie de Séverine) : Il ne traîne pas chez ses filles, le paternel. (Regardant le canapé) Bon, tout va bien.

Nicole : Tant mieux si tout va bien. J'ai toujours rêvé de faire de cette maison un havre de paix et de sérénité.

Séverine : On y est presque, maman, encore un problème à évacuer et c'est tout.

Ludovic (entrant en trombe) : Elle me poursuit. Je ne sors plus dans les couloirs, je ne vais plus aux toilettes, je me cache dans les placards.

Elise : Est-ce que tu lui as parlé ?

Ludovic : Mais non ! Je ne veux pas la voir.

Séverine : Tu devrais quand même avoir une véritable explication avec elle. Un peu de courage, bon sang !

Ludovic : Je ne sais pas quoi lui dire. Laissez moi un peu de temps pour me remettre, pour respirer un peu.

Nicole : Je peux savoir de qui vous parlez ?

Séverine : Il s'agit de Laetitia.

Nicole : Alors, écoutez, je ne sais absolument pas comment votre père peut avoir mis au monde cette fille.

Tous : Quoi ? Comment ? Qu'est-ce que tu racontes ? Pardon ?

Séverine : Tu veux dire que Laetitia est la fille de papa ?

Nicole : Bien sûr ! Vous ne le saviez pas ? Qui donc m'a dit ça ?

Carole : Tu vois, Ludo, tout s'arrange : c'est ta sœur !

Ludovic : Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Je comprends rien. Je veux pas la voir. Si c'est ma sœur, empêchez-la de me violer, ce serait un inceste. (Il pointe le bras sur le rideau qui bouge.) Aaah !

Laetitia entre. La soeur la plus proche se précipite vers elle bras levés et écartés pour lui cacher la pièce, les deux autres la rejoignent.

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Laetitia : Vous n'avez pas vu Ludovic ? Je le cherche partout. J'ai l'impression de l'avoir aperçu, mais à chaque fois il disparaît.

Nicole : Vous pouvez me dire à quoi vous jouez ?

Laetitia : Ça suffit, laissez-moi passer ! Qu'est ce qui se passe ici ?

Ludovic, qui regarde le canapé depuis un moment se jette à plat ventre derrière. Les sœurs se retournent et restent bouche bée. Pendant la suite, elles se rapprocheront lentement du canapé. Carole (au bout d'un silence) : Il va se passer quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais il va forcément se passer quelque chose.

Laetitia : Enfin, qu'est-ce que vous avez à cacher comme ça, dans cette famille ?

Nicole : Dites donc, ça vous va bien de critiquer ma famille. Quand on est l'enfant d'un adultère, on ne la ramène pas.

Laetitia : Moi ? Un adultère ? Qu'est-ce que j'ai fait ? (Elle fond en larmes.)Nicole (allant vers elle) : Oh, allons bon. Qu'est-ce que j'ai encore dit ? Ecoutez, l'adultère, c'est pas encore sûr. Et, de toute manière, vous n'y êtes pour rien. Venez avec moi. (Elles sortent.)Carole (par-dessus le canapé) : Ça se passe bien ?

Elise : Ludovic, dis quelque chose !

Ludovic (lève la tête, souriant) : Elle est partie ?

Elise (hébétée) : Qui ça ?

Ludovic : Laetitia.

Elise : Je ne sais pas.

Séverine : Bien sûr, elle est partie. Et toi, ça s'est passé comment, là derrière ?

Ludovic : Un peu dur, mais pas de problème.

Carole : Et… avec lui ?

Ludovic : Qui ça ?

Carole : Le… le type qui était là ?

Ludovic (riant) : Quel type ? Il n'y a personne.

Séverine : Personne ! (Elles se précipitent toutes les trois.) Ludovic : Vous vous attendiez à trouver qui ?

Séverine : Oh, eh bien, personne.

Elise : Non, personne.

Carole : Bien sûr, personne.

Ludovic : En tout cas, les filles, merci. Vous avez été terribles sur ce coup-là. Je vais me planquer ailleurs. (Il sort. Accablement général.) Séverine : J'ai beau savoir qu'on voulait se débarrasser du corps et que c'est fait, ça ne me fait pas tout le plaisir que j'espérais.

Noir.

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ACTE IIScène 1

Aurélie, Laurent… et Laetitia.

Aurélie et Laurent entrent avec précaution. Il est équipé d'un appareil photo dont il va se servir abondamment et il mâche du chewing-gum. Laurent : Ma chérie, on est dans la place.

Aurélie : Ne parle pas si fort. Je ne suis pas sûre qu'on ait bien fait d'entrer comme ça.

Laurent : On aurait tort de se gêner. C'est trop facile ! Ils laissent tout ouvert, ces abrutis. C'est quand même bizarre qu'on voit personne. Les tauliers doivent se planquer. On va leur flanquer la trouille de leur vie.

Aurélie : S'il te plaît, Laurent, on n'est pas là pour jouer les justiciers ou pour semer la pagaille, on est ici pour faire une enquête.

Laurent : Et alors, ça n'empêche pas de rigoler un peu.

Aurélie : Non. On est là pour faire notre travail de journalistes, un point, c'est tout.

Laurent : Oh la la ! Tu sais, ma petite, notre boulot consiste à creuser dans la fosse à purin des autres pour en sortir les cadavres. Alors, si tu respires pas un grand coup entre deux plongées, tu vas finir par détester l'odeur.

Aurélie : C'est justement parce que c'est parfois dégueulasse qu'il faut garder toute notre dignité.

Laurent : Oh la dignité, dis donc ! Si tu l'avais pas si pointue, je m'assoirais dessus. Attends que je fasse une photo de la dignité au début du reportage. (Il la photographie.) Aurélie en pleine crise de moralité… Mais tu sais que tu m'emmerdes, ma chérie.

Aurélie : Ça m'est complètement égal. Et puis, arrête de m'appeler "ma chérie".

Laurent : C'est plus fort que moi. J'adore appeler comme ça les femmes que j'aime pas.

Aurélie : Alors elles y ont toutes droit. Tu es incapable d'aimer une femme.

Laurent : Tu n'as pas toujours dit ça.

Aurélie : Quand j'étais gamine, j'admirais les voyous. Maintenant, je suis grande.

Laurent : Ça remonte à dix-huit mois. Tu as grandi vite.

Aurélie : C'est grâce à toi. J'ai beaucoup appris.

Laurent : Je suis heureux d'avoir fait ça pour toi. Je t'ai fait souffrir ?

Aurélie : Toi ! Pour qui te prends-tu ? Allez, on n'est pas là pour se faire des déclarations de désamour. On a du travail.

Laurent : Travail, travail ! Tu n'as que ce mot-là à la bouche. Bon, puisqu'on est dans la place, on va pousser un grand coup de gueule et ils vont tous se radiner.

Aurélie : Non, on va attendre calmement que quelqu'un arrive et on s'excusera d'être entrés.

Laurent : C'est nul, ton style "femme bien élevée".

Aurélie : Laurent, je suis le chef d'équipe et c'est moi qui décide de ce qu'on fait et comment on le fait.

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Laurent : Bien, chef ; entendu, chef… (Il commence à toucher à tout et à photographier.) Dis donc, chef, dis-moi un peu la vérité. C'est ta grande moralité qui te fait dire des conneries ou est-ce que tu as la trouille de te faire mal voir dans ton ancien bled par tes anciens petits copains ?

Aurélie : Je ne vois pas pourquoi j'aurais peur de qui que ce soit. Je te rappelle que c'est moi qui ai insisté pour venir ici.

Laurent : Qu'est-ce qu'il disait, exactement, le coup de fil anonyme ?

Aurélie : Un jeune footballeur sur le point de passer pro vient d'être assassiné. Il se nomme Stéphane Bernier. Et le message conseillait de venir enquêter dans cette maison.

Laurent : Et tu connaissais la baraque ?

Aurélie : J'ai habité à deux pas d'ici, il y a longtemps.

Laurent : Il disait rien d'autre, le corbak, quand il a appelé le canard ?

Aurélie (gênée) : Si. Il disait aussi de me prévenir, moi.

Laurent : Alors, tous les Maigret de canard se sont mis à cogiter et sont arrivés à une conclusion - comment dit-on ? - irréfutable : le type qui a appelé te connaît.

Aurélie : Je suis quand même assez connue dans le métier.

Laurent : Dis donc, tu te la fais modèle Julie Lescaut ? Avec moi, ça ne marche pas. Ma petite Aurélie, ta seule célébrité, c'est d'être connue comme une emmerdeuse dans tout le journal. Non ! Le type t'a connue ici, y a pas à sortir de là. Qui c'est, les occupants de cette crèche ?

Aurélie : Je les connais à peine. J'ai un peu connu le fils. Il est un peu plus jeune que moi. Il s'appelle Ludovic.

Laurent : Connu ? Comment ?

Aurélie : C'était un bon copain.

Laurent : Ah, je vois !

Aurélie : Tu ne vois rien du tout.

Laurent : Bon, ça va, t'excite pas. J'en ai rien à faire de ce que tu as foutu avec ce mec. Et le footeux, tu le connaissais, le Stéphane ?

Aurélie : Non, je ne crois pas, je ne me rappelle pas. S'il te plaît, arrête de toucher à tout. Prends des photos tant que tu veux, c'est ton métier. Mais laisse cette maison tranquille.

Laurent : Et moi, elle m'a laissée tranquille ? Tes copains, les assassins nous obligent à venir leur faire une visite alors que j'allais passer un week-end pénard.

Aurélie : Je t'interdis de parler comme ça. Ce ne sont ni mes copains, ni des assassins.

Laurent : C'est ce qu'on verra, ma chérie. Le seul intérêt de ce truc, c'est de me rappeler des bons souvenirs en passant le week-end avec toi. (Il la photographie) Pour ton physique. Parce que, pour le baratin, tu es toujours aussi chiante.

Aurélie : Le seul inconvénient de cette mission, c'est de passer le week-end avec toi. Et ta conversation ne vaut pas mieux que le reste.

Laurent : Pourquoi tu m'as emmené ?

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Aurélie : J'ai demandé qu'on me fasse partir avec un bon photographe, mais ils étaient tous pris.

Laurent : Tu ne voulais pas qu'avec toi, on mette quelqu'un de bien. Il t'aurait écrasé de sa compétence et tout le monde aurait vu que tu étais nulle.

Aurélie : On n'était pas non plus obligé de me donner un incapable et un type sans éducation.

Laurent : Terrible ! Je sens qu'on va faire une équipe explosive. Ils ont intérêt à raser les murs. Tout baigne… dans le sang, bien sûr. Tiens, voilà du monde. (Entrée de Laetitia.)Aurélie : Bonjour, Mademoiselle.

Laetitia : Bonjour !

Aurélie : Je comprends votre surprise. On s'est permis d'entrer parce que la porte était ouverte. Je m'appelle Aurélie, je suis journaliste, et voici Laurent, mon photographe.

Laurent : Ton photographe ! Ne te gène pas, tu as toujours voulu me posséder. Mais c'est raté, ma chérie.

Aurélie : Bon, le photographe du journal, d'accord. Excusez-nous.

Laetitia : C'est pas grave.

Aurélie : Est-ce que je peux savoir qui vous êtes ?

Laetitia : Je suis Laetitia.

Aurélie : Et qu'est-ce que vous faites ici ?

Laetitia : Je cherche Ludovic.

Aurélie : D'accord. Mais qu'est-ce que vous faites dans la maison ?

Laetitia : J'habite ici.

Aurélie : Depuis longtemps ?

Laetitia : Depuis hier.

Aurélie : Ah bon ! Et à quel titre ?

Laetitia : Je suis la femme de Ludovic.

Aurélie : Ludovic est marié !

Laurent : Je sens que tu as bien fait de venir. Tu vas te plaire ici.

Aurélie : Tu vas te taire. (A Laetitia) Depuis quand ?

Laetitia : Oh, on n'est pas vraiment mariés, mais je l'aime et il m'aime.

Aurélie : Et vous habitez ici ensemble ?

Laetitia (radieuse) : Oui.

Aurélie : Dans la même chambre ?

Laurent : Ça se fait souvent comme ça.

Laetitia : Eh bien, à vrai dire, non, je ne l'ai pas encore vu.

Laurent : Vous vous aimez par téléphone mobile ? Ou sur Internet ?

Aurélie : Il n'est pas là en ce moment ?

Laetitia : Si, il paraît qu'il est là. Mais je n'arrive pas à le voir.

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Aurélie : Vous ne voulez pas vous asseoir ? C'est un peu bizarre, non ?

Laetitia : Tout ce qui se passe dans cette maison est bizarre.

Aurélie : Ah bon ? Qu'est-ce qu'il y a d'autre ?

Laetitia : Ils disent des choses étranges, ils parlent à voix basse.

Aurélie : Et qu'est-ce qu'ils disent comme choses étranges ?

Laetitia : Je n'écoute pas.

Laurent : Oh, non ! Vous n'écoutez pas, mais vous entendez. (Menaçant) Dites-nous tout. Vous savez, nous, on est comme les flics, il y a une gentille et un méchant. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, le méchant, c'est moi.

Aurélie : Laurent, ça suffit. Laisse-moi mener comme je l'entends cet interrogatoire ! Non, je veux dire : cette conversation. Vous disiez donc ?

Laetitia : Que je n'écoute pas.

Aurélie : Oui, mais vous êtes une fille astucieuse. Vous comprenez tout.

Laetitia : C'est vrai. Je les soupçonne de m'empêcher de voir Ludovic.

Aurélie : Vous croyez ? Et pour quelle raison ?

Laetitia : Je suis sûre qu'ils l'ont drogué.

Aurélie : Non !

Laetitia : Si ! Et puis, il y a ce canapé qui s'est déplacé mystérieusement. C'est Nicole qui me l'a dit. Je pense qu'il y a un secret dans cette pièce.

Aurélie : Vous me faites frémir. Quel genre de secret ?

Laetitia : Je ne sais pas.

Aurélie : Je suis sûr que vous en avez une idée. Est-ce que, par hasard, vous ne penseriez pas à un assassinat ?

Laetitia : Oh oui, sûrement. Mais il y a quelque chose de pire.

Aurélie : Pire qu'un meurtre ? Qu'est-ce c'est ?

Laetitia : Vous ne voyez pas ?

Aurélie : Non.

Laurent : Deux meurtres ? Trois meurtres ?

Laetitia (A voix basse) : Espionnaaage.

Aurélie : Vraiment ?

Laetitia : Vous voulez savoir ce que je pense ?

Laurent : Non.

Aurélie : Oui, bien sûr.

Laetitia : Tout concorde. Un espion italien est arrivé hier, envoyé par la mafia. Ils l'ont tué. Ils ont mis son corps dans ce canapé et ils ont tout recousu après. Ludovic a tout vu, il a voulu parler, alors ils l'ont enfermé. Mais mon Ludovic, il ne s'est pas laissé faire, il s'est échappé. Et puis je suis arrivée alors qu'on ne m'attendait pas. Il a essayé de me voir pour soulager sa conscience - c'est normal, je suis sa femme - alors, ils l'ont drogué.

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Laurent (prenant la fameuse bouteille) : Vous ne voulez pas boire une petit whisky ?

Aurélie : Oui, ça me fera du bien. (Se ressaisissant) Mais non, voyons, nous ne sommes pas chez nous, ici. Laisse cette bouteille.

Laetitia : Je ne vous ai pas tout dit.

Laurent : Ah, je me disais aussi… L'espionnage, la mafia, c'est pour tous les jours. Mais il y a aussi un vrai problème.

Laetitia : Je ne sais pas si je dois vous en parler.

Aurélie : Mais si, voyons !

Laetitia : Il y a un Italien qui tourne dans le coin. Je suis sûr que c'est un complice de l'autre. Il cherche à le venger.

Aurélie : Vous croyez ?

Laetitia : Ça se voit à sa tête, c'est un tueur.

Aurélie : Et vous pensez qu'il va tuer… qui ?

Laetitia : Ça, je ne sais pas. Mais vous avez de la chance.

Aurélie : Hein ? Pourquoi ?

Laetitia : Vous êtes journalistes. Pour le prochain meurtre, vous serez sur place.

Laurent : Allez viens, on se tire.

Aurélie : Sûrement pas. On reste, au contraire.

Laurent : Ça pue l'embrouille. On se tire, je te dis.

Aurélie : Il n'en est pas question. Nous ferons notre travail jusqu'au bout. Si nous devons risquer notre vie, nous la risquerons.

Laurent : Alors, risque plutôt la tienne. Maintenant que tu as trouvé le scoop de ta vie, tu peux crever. Moi, je me casse, je raconterai ta mort héroïque sur mon portable une fois assis confortablement dans le TGV. (Il va pour sortir et se heurte à Matteo.)

Scène 2Matteo, Laetitia… et les autres.

Matteo : Buon giorno. (Gestes entre Aurélie et Laetitia.) Qu'est ce qui se passe ici ? Qui êtes-vous ?

Laurent : Des gens de passage. On a rien à voir avec ce qui se passe dans cette taule. Mais vraiment rien. Et nous ne savons rien. (Il prend Aurélie par la main et la tire dehors.) Fais ce que je te dis pour une fois !

Laetitia : Eh, ne me laissez pas.

Matteo : Qui vous êtes, vous ?

Laetitia (tremblante) : Laetitia.

Matteo : Laetitia ! Alors, restez ici, j'ai deux mots à vous dire.

Laetitia : A moi ? Je ne suis pour rien dans tout ça.

Matteo : Dans tout quoi ?

24

Laetitia : Dans toute cette histoire.

Matteo : Qui c'est, ces deux clowns qui viennent de sortir ?

Laetitia : Des journalistes.

Matteo : Ne me dites pas que vous avez convoqué la presse… pour ça.

Laetitia : Je n'ai convoqué personne, moi, je vous assure.

Matteo : Qu'est-ce que vous leur avez dit ?

Laetitia : Mais rien du tout, je vous jure.

Matteo : Alors, qu'est-ce qu'ils sont venus faire ?

Laetitia : Je ne sais pas.

Matteo : Qu'est-ce que c'est que cette histoire que vous racontez à mon sujet ?

Laetitia : Ce n'est pas ma faute… Après le premier meurtre, j'ai cru…

Matteo : Quel meurtre ?

Laetitia : Eh bien, justement, je ne sais pas.

Matteo : Il y a eu un meurtre ?

Laetitia : Vous devez bien le savoir, vous. Vous êtes là pour ça !

Matteo : Je ne sais rien. Je sais seulement que vous racontez partout que je suis votre père. La moindre des choses, si vous êtes la fille de Chantal, c'est de venir m'en parler à moi, au lieu d'aller raconter ça à Nicole et à mes enfants.

Laetitia : Mais enfin ! Ma mère s'appelle Chantal, et je ne vois pas pourquoi j'aurais honte de le dire, et je ne vois pas le rapport avec vous.

Matteo : Justement, le rapport, c'était entre votre mère et moi.

Laetitia : Quelle horreur !

Matteo : Merci.

Laetitia : Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.

Matteo : J'ai aimé Chantal. Ça fait tout juste vingt ans, à Torino.

Laetitia : Ma mère n'a jamais été à Turin. Elle n'a pas quitté Marseille.

Matteo : Vous êtes sûre ?

Laetitia : Absolument.

Matteo : Alors, ce n'était pas la même Chantal. Vous n'êtes pas ma fille.

Laetitia : Mais non !

Matteo : Alors, pourquoi vous racontez ça à tout le monde.

Laetitia : Je vous dis que je ne parle de rien, ni de vous, ni de la mafia, ni de l'espionnage…

Matteo : La mafia ? Qu'est-ce que j'ai à voir avec la mafia ?

Laetitia : Je ne sais pas. Je ne sais pas.

Matteo : Et le meurtre ?!

Laetitia : Quel meurtre ?

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Matteo : C'est vous qui avez parlé de meurtre !

Laetitia : Mais non !

Matteo : Vous savez, je ne sais pas ce qui me retient de vous étrangler !

Laetitia : Au secours !

Matteo : Eh ! Vous êtes folle de hurler comme ça.

Laetitia : Au secours !

Matteo : Arrêtez !

Entrent : Séverine, Nicole, puis Laurent.Séverine : Qu'est- ce qui se passe, papa ?

Matteo : Je lui ai parlé de l'étrangler, comme ça, pour dire quelque chose. Ça l'a mis dans tous ses états.

Nicole : Vous avez une curieuse manière de faire connaissance, surtout entre père et fille.

Matteo et Laetitia : Ah non, ça suffit.

Nicole : Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

Matteo : Laetitia n'est pas ma fille.

Laetitia : Cet individu n'est pas mon père.

Nicole : Je vous prie de parler correctement du père de mes quatre enfants : ce n'est pas un individu, c'est une institution.

Laetitia : Celui- là ? En tout cas, il ne peut pas être mon père. Ma mère n'est jamais allée à Turin. Alors, c'est impossible. Elle ne peut pas avoir…

Matteo : Bon, ça va, on ne va pas s'étendre là-dessus. Elle n'est pas ma fille, un point, c'est tout.

Nicole : Qu'est-ce que c'est que cette histoire de Turin ?

Laetitia : C'est parce que ce monsieur dit que la Chantal qu'il a connue…

Matteo : Rien du tout, je te raconterai.

Nicole : Quand as-tu connu une Chantal ?

Matteo : Chantal ? Ce nom ne me dit rien du tout.

Laetitia : Ça ne n'est pas vrai. Vous m'avez dit à l'instant que vous…

Matteo : C'est vrai que j'aurais dû vous étrangler ! Peux-tu m'expliquer pourquoi tu as inventé que Laetitia était ma fille ?

Nicole : Mais c'est Séverine qui me l'a dit.

Séverine : Quoi ? Je n'ai jamais rien dit de tel.

Nicole : Je me rappelle très bien : tu m'as dit ici même qu'elle était ma belle-fille.

Séverine : Maman, je t'ai dit qu'elle était presque ta belle-fille parce qu'elle était presque la femme de ton fils, tout au moins à ce que j'ai cru un moment, mais en réalité…

Nicole : Quel fils ? Ludovic ! Ce n'est pas possible… Il a à peine vingt ans. Vous ne vous rendez pas compte. (Un temps) Vous vous aimez vraiment, comme des grands ?

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Laetitia : Tellement qu'on arrive pas à savoir lequel des deux aime l'autre le plus fort.

Séverine : Ça, j'ai ma petite idée là-dessus. (Laurent prend une photo.) Qu'est-ce que vous faites là, vous ?

Laurent : Ça se voit, non ? Je vous tire le portrait.

Séverine : Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré ?

Laurent : La porte était grande ouverte, alors je me suis dit…

Nicole : Je sens qu'on va encore me faire des réflexions désagréables à propos de cette porte, je préfère m'en aller. Je vais aller féliciter Ludovic pour ses fiançailles.

Séverine : Non, maman ! (Nicole est sortie.) Annonce-lui au moins avec ménagement ! Dites donc, vous, je serais à votre place, je l'accompagnerais, car si vous pouvez encore sauver quelque chose, il vaut mieux que vous soyez présente au moment où ils vont parler de vous.

Laetitia : Vous croyez ?

Séverine : Allez ! (Laetitia sort.) Qu'est-ce que tu es venue faire dans cette galère, mon pauvre papa ?

Matteo : Je suis venu parce que je suis inquiet. Stéphane a disparu.

Séverine : Qui est Stéphane ?

Matteo : Mon meilleur joueur, mon attaquant de pointe. Et nous avons un match très important dimanche.

Séverine : Et pourquoi es-tu venu ici ?

Matteo : Je me suis demandé si Ludovic ne saurait pas quelque chose. Et puis quelqu'un a aperçu Stéphane dans le coin hier. Si Ludovic ne sait rien, je vais devoir prévenir la police.

Séverine : Oh non ! C'est beaucoup trop tôt. Il est majeur, ton Stéphane ? Il va bien reparaître un jour, mort ou vif ?

Matteo : Pourquoi mort ?

Séverine : Oui, pourquoi mort ?... Je ne sais pas, j'ai dit ça comme ça…

Matteo : C'est curieux parce que Laetitia m'a parlé d'une histoire de meurtre…

Laurent : A moi aussi, c'est marrant…

Séverine : Vous êtes encore là, vous ? Et d'abord, pouvez-vous me dire quand et comment vous avez rencontré Laetitia.

Laurent : Ah, vous voyez que je vous intéresse.

Matteo : Je vous laisse. Je vais essayer de voir Ludovic.

Séverine : Essaye de lui remonter le moral. S'il a appris qu'il est presque marié avec Laetitia, et, par-dessus le marché, avec la bénédiction de maman, tu vas le ramasser en miettes sur sa descente de lit. (Matteo sort.)

Scène 3Laurent, Séverine… et les autres.

Laurent : Qu'est-ce que tu veux savoir ?

Séverine : Comment vous faites pour me tutoyer alors qu'on ne se connaît pas.

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Laurent : Ça ne me dérange pas. Je suis assez cool, comme mec.

Séverine : Moi, ça me dérange. Je ne suis pas cool du tout.

Laurent : Comme vous voudrez. (S'approchant) Je me demande quel âge vous pouvez bien avoir ? Quarante ? Cinquante ?

Séverine : Vous êtes un goujat. On ne vous l'a jamais dit ?

Laurent : Non. On me traite souvent de sale con, de pourriture. Mais goujat, c'est quand même autre chose. C'est de votre époque ?

Séverine : Oui, c'est du vieux français.

Laurent (s'approchant encore) : En y regardant de plus près, je suis sûr que…

Séverine (le repoussant d'un doigt) : Si vous êtes myope, faites-vous faire des lunettes.

Laurent : Dommage. Je peux prendre un whisky ?

Séverine : Non, pas de cette bouteille ! (Elle lui arrache la bouteille et la glisse sous le canapé.) Laurent : Pourquoi ?

Séverine : Elle est … réservée.

Laurent : A un mec qui boit sous le canapé ?

Séverine : Ça ne vous regarde pas.

Laurent : À votre place, j'aurais la trouille que les coutures craquent.

Séverine : Quelles coutures ? C'est vrai que j'ai deux kilos à perdre, mais ce n'est pas à vous de…

Laurent : Je parle des coutures du canapé, avec le mec à l'intérieur.

Séverine (inquiète sur son état mental) : Oui oui…

Laurent (la prenant en photo) : Je ne vous demande pas de sourire, étant donné les circonstances.

Séverine : Quelles circonstances ?

Laurent : Le meurtre.

Séverine (pétrifiée) : Pardon ?

Laurent : Le meurtre, l'espionnage, la mafia…

Séverine : Ah, vous m'avez fait peur, je pensais que vous parliez sérieusement.

Laurent : Je parle sérieusement. Laetitia m'a tout raconté.

Séverine : Je vous ai demandé quand vous l'aviez rencontrée, vous ne m'avez pas répondu.

Laurent : C'est vrai ? Secret professionnel, ma jolie… Allez, comme est presque deux potes, vous et moi, je vais vous le dire. Laetitia est mon indic, c'est moi qui l'ai infiltrée dans la place.

Séverine : Vous recrutez votre personnel dans les asiles d'aliénés ?

Laurent : Laetitia cache son jeu : elle a un diplôme du 3° cycle d'agent secret.

Séverine : de l'Université de Marseille.

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Laurent : Vous avez deviné.

Séverine : Et qu'est-ce qu'elle vous a dit ?

Laurent : Tout, je vous dis.

Séverine : Laetitia est une mythomane. Elle raconte ce qui lui passe par la tête.

Laurent : Faut voir. Vous ne savez pas tout, ma mignonne.

Séverine : Je sais que je ne suis pas votre mignonne.

Laurent : Est-ce que vous savez qui a passé le coup de fil anonyme ?

Séverine : Quel coup de fil ?

Laurent : Ah ah ! Quelqu'un a appelé le journal pour dire que le Stéphane de votre papa s'était fait descendre et qu'il faudrait venir voir par ici.

Séverine : Ce n'est pas vrai, vous mentez ! Quel journal ?

Laurent : Le journal où je bosse.

Séverine : Vous êtes journaliste ? Je vous croyais dans la police ou les services secrets. C'est encore pire !

Laurent : Qu'est-ce que ça peut vous foutre, s'il ne s'est rien passé ?

Séverine : C'est vrai, ça. Ça m'est égal. Complètement. (Un temps.) C'était qui, le coup de fil anonyme ?

Laurent : Oh la curieuse ! Il n'a pas dit son nom. C'est pour ça qu'il était anonyme.

Séverine (esquissant un sourire) : Idiot ! Je veux dire : c'était une voix d'homme, de femme ?

Laurent : Une voix d'homme. Vous savez, quand on vous regarde mieux, vous êtes pas si mal balancée que ça.

Séverine : Je suppose que c'est ce que vous appelez un compliment.

Laurent : Ça se pourrait. Sans les lunettes, sans le chignon, et avec une robe de toutes les couleurs… faut voir.

Séverine : Vous n'y pensez pas.

Laurent : A mon avis, vous seriez une jolie femme, de trente ans au maximum.

Séverine : Ne me demandez pas l'impossible. Bon, si c'est un homme qui a appelé au téléphone, ça ne vient pas de chez nous. Il n'y a que des femmes… à part Ludovic.

Laurent : Une femme a pu déguiser sa voix. Je suis sûr que vous en seriez capable.

Séverine : Pourquoi moi ?

Laurent : Parce que vous êtes la plus intelligente de la famille. Essayez un peu pour voir.

Séverine (voix grave) : Vous croyez que je peux passer pour un homme au téléphone ? (Ils rient.) Vous me faites rire, c'est ridicule.

Laurent : Non, c'est charmant. Vous devriez rire plus souvent.

Séverine : Je n'en ai pas souvent l'occasion. Il faut bien que je tienne cette maison.

Laurent : Lâchez-la un peu, elle va pas s'effondrer.

Séverine : Oh, si vous saviez !

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Laurent : Mais je ne demande qu'à savoir. Racontez-moi.

Séverine : Vous n'y pensez pas. La mafia me traque et les espions ont mis des micros partout.

Laurent : Je ferai un rempart de mon corps. J'irai cracher sur vos micros.

Séverine : Vous feriez ça ! C'est beau.

Laurent : A une condition : que vous me disiez qui est l'assassin ?

Séverine : Il ne peut pas y avoir d'assassin, il n'y a pas de corps ? Trouvez le corps, cherchez !

Laurent : Un jeu de piste ! Voilà qui n'est pas dénué d'intérêt, comme on dit dans votre milieu.

Séverine : Vous savez comment on parle dans mon milieu ?

Laurent : Oh, j'ai fait des études. Qu'est-ce que vous croyez ?

Séverine : Alors, pourquoi parlez-vous n'importe comment ?

Laurent : Pour emmerder ma collègue. (Entrée d'Aurélie.)Séverine : C'est malin. Et où est-elle votre collègue ?

Laurent : Derrière vous ?

Aurélie : Laurent, est-ce que tu peux me dire de quel droit tu t'es permis de revenir dans cette maison sans moi ?

Laurent (à Séverine) : Vous voyez, elle en vaut la peine.

Séverine : Je vois.

Aurélie : Ne recommence jamais ça. Je croyais que tu voulais absolument qu'on se tire d'ici.

Laurent : C'était pour que toi tu te casses. Mais finalement, on est pas mal ici.

Aurélie : Et tu es revenu, comme ça, sans aucune gêne ?

Séverine : C'est moi qui ai croisé monsieur dans la rue et qui lui ai dit de venir prendre un café.

Aurélie : Ah, dans ces conditions… Vous êtes ?

Séverine : Séverine, l'emmerdeuse de la famille.

Laurent : Aurélie, l'emmerdeuse du journal.

Séverine : Ah, nous sommes collègues ? Vous êtes la collaboratrice de Laurent ?

Aurélie : Non, c'est lui qui est mon collaborateur.

Laurent : Chacun à sa place. Je ne suis que le photographe. Seulement, grâce à moi, et à Séverine, l'enquête avance.

Aurélie : C'est-à-dire ?

Laurent : Séverine m'a avoué trois meurtres.

Séverine : Avec préméditation.

Laurent : Si tu veux un whisky pour te remettre, c'est sous le canapé. Tu soulèves le cadavre et tu te sers.

Aurélie : Dites-moi, est-ce qu'il vous appelle "ma chérie" ?

Séverine : Non. Il a essayé : "ma jolie", "ma mignonne".

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Aurélie : Et pas "ma chérie", vous êtes sûre ?

Séverine : Certaine. Ça vous regarde ?

Aurélie : Ça veut dire que vous êtes en danger. Vous allez tomber entre les griffes d'un prédateur redoutable.

Séverine (à Laurent) :Qu'est-ce que ça veut dire ?

Laurent : Qu'elle est jalouse.

Aurélie : Et le mafioso, où il est passé ?

Laurent (à Séverine) : C'est de votre papa qu'elle cause.

Aurélie : Votre père ? L'Italien ?

Séverine : Vous savez, depuis qu'on a fait l'Europe, on a échangé un peu de tout. Avec l'Italie, ce sont surtout des hommes. C'est ce qu'ils font de mieux.

Elise (entrant) : Séverine, j'ai quelque chose à te dire, de très important. (Aux journalistes) Bonjour !

Aurélie et Laurent : Bonjour !

Séverine : Je vous présente Elise, la deuxième fille de la famille. Laurent et… vous voulez me rappeler votre nom ?

Aurélie : Aurélie, l'emmerdeuse.

Séverine : Ils sont journalistes.

Elise : Oh, vous tombez bien !

Aurélie : Pour une fois qu'on nous dit ça…

Elise : Oui, j'ai des révélations à faire.

Séverine : Elise, tu m'inquiètes.

Elise : Asseyez-vous. Vous pouvez prendre des notes. C'est bon ? Est-ce que vous avez entendu parler d'un jeune footballeur plein d'avenir qui perd encore son temps dans notre équipe locale ?

Aurélie : Il s'agit de Stéphane Bernier ?

Elise : Lui-même.

Laurent : Depuis quelques jours, il ne nous a pas lâché une seconde.

Elise : Comment ça ?

Aurélie : Laurent veut dire qu'on fait une enquête sur lui.

Elise : Donc vous savez qu'il a disparu.

Aurélie : Oh oui, on sait.

Elise : Et savez-vous pourquoi ?

Aurélie : Non.

Elise : Parce que je l'ai tué.

Noir.DEMANDER LA SUITE A L'AUTEUR.

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