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LA FRANCE ET LA CRÉATION DE L’OTAN LA SÉCURITE DE LA FRANCE DANS L’APRÈS-GUERRE Georges-Henri SOUTOU La politique française de sécurité a connu deux bouleversements entre 1945 et 1949 : le passage de la menace allemande à la menace soviétique et l’engagement historique des Etats-Unis pour la sécurité de l’Europe dès le temps de paix. Il faut bien mesurer l’ampleur et la difficulté de ce changement radical, politique mais aussi intellectuel et moral. 1 Certes les dirigeants français n’ont pas découvert la guerre froide en 1947 seulement, avec le discours Truman et l’échec de la conférence de Moscou en mars-avril 1947, mais à la suite d’un processus complexe. Pour certains responsables, mais qui étaient fort minoritaires au début, l’inquiétude apparut dès 1945, quand commencèrent à devenir évidentes la puissance soviétique et les orientations politiques de Moscou, après la défaite du Reich et dans la perspective d’un départ d’Europe rapide de la part des Américains. 2 Mais une fois admise la priorité de la menace soviétique (le problème allemand n’étant néanmoins jamais perdu de vue) et une fois abandonnées les illusions d’une Europe « Troisième force », les responsables se divisèrent en deux grandes tendances : les par- tisans d’une politique française de sécurité appuyée d’abord et aussi directement que possible sur les Etats-Unis ; les partisans d’un regroupement de sécurité européen, certes allié à l’Amérique 21

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OTAN et France

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LA FRANCE ET LA CRÉATION DE L’OTAN

LA SÉCURITE DE LA FRANCEDANS L’APRÈS-GUERRE

Georges-Henri SOUTOU

La politique française de sécurité a connu deux bouleversementsentre 1945 et 1949 : le passage de la menace allemande à lamenace soviétique et l’engagement historique des Etats-Unis pourla sécurité de l’Europe dès le temps de paix. Il faut bien mesurerl’ampleur et la difficulté de ce changement radical, politique maisaussi intellectuel et moral.1

Certes les dirigeants français n’ont pas découvert la guerrefroide en 1947 seulement, avec le discours Truman et l’échec dela conférence de Moscou en mars-avril 1947, mais à la suite d’unprocessus complexe. Pour certains responsables, mais qui étaientfort minoritaires au début, l’inquiétude apparut dès 1945, quandcommencèrent à devenir évidentes la puissance soviétique et lesorientations politiques de Moscou, après la défaite du Reich etdans la perspective d’un départ d’Europe rapide de la part desAméricains.2

Mais une fois admise la priorité de la menace soviétique (leproblème allemand n’étant néanmoins jamais perdu de vue) et unefois abandonnées les illusions d’une Europe « Troisième force »,les responsables se divisèrent en deux grandes tendances : les par-tisans d’une politique française de sécurité appuyée d’abord etaussi directement que possible sur les Etats-Unis ; les partisansd’un regroupement de sécurité européen, certes allié à l’Amérique

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mais conservant son indépendance, pour des raisons stratégiquesmais aussi politiques.

Les projets initiaux de De Gaulle pour l’après-guerre : la menace allemande, les trois étages de la sécurité et le Bloc occidental

Dès Alger, de Gaulle et le CFLN avaient envisagé pour laFrance après la guerre une sécurité à trois étages, tournée essen-tiellement contre l’Allemagne : une alliance franco-soviétique prio-ritaire, ensuite une alliance franco-britannique, en dernière lignela garantie américaine dans le cadre de la future organisation mon-diale de sécurité collective.3 En effet, de Gaulle estimait quel’URSS serait la plus disposée à soutenir la France contre l’Alle-magne et à maintenir celle-ci dans une situation de faiblesse, alorsque les Anglo-Saxons auraient la tentation de la relever rapide-ment et seraient en tout cas moins disposés à agir rapidement poursoutenir la France en cas de difficulté. Il était en effet entenduque l’Allemagne resterait la menace principale, soit par elle-même,soit comme l’enjeu international majeur pouvant susciter un conflitentre les vainqueurs. Pour de Gaulle, l’Allemagne perdrait ses pro-vinces orientales au profit de la Pologne, ses régions occidentalesseraient détachées et étroitement contrôlées par la France (Sarreet Rhénanie) ou soumises à un régime international (Ruhr). Lereste du Reich serait divisé ou ne formerait tout au plus qu’unetrès lâche confédération.4

En même temps de Gaulle était parfaitement conscient du poidsqu’aurait l’URSS en Europe après la guerre. Pour rééquilibrerMoscou, il comptait sur l’alliance franco-anglaise, sur la partici-pation américaine à la future ONU,5 et sur le « Bloc occidental »,ou « groupement occidental », ou « Fédération de l’Europe occi-dentale », notion apparue à Alger à l’automne 1943 et officialiséepar de Gaulle lui-même qui la reprit, en parlant d’un « groupe-ment occidental », dans un discours prononcé le 18 mars 1944devant l’Assemblée consultative. Il s’agissait de réunir autour dela France les pays du Bénélux, peut-être l’Italie, ainsi que la Sarre,la Rhénanie et la Ruhr détachées du Reich. Cet ensemble, éven-tuellement appuyé sur la Grande-Bretagne, serait capable de faire

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contrepoids à l’URSS et de l’empêcher d’étendre sa dominationsur l’Europe occidentale.

Contrôler l’Allemagne avec l’aide de l’URSS, lui enlever, avecl’appui de Moscou, la Ruhr et la Rhénanie, puis avec ces deuxrégions et le Bénélux constituer autour de la France un regroupe-ment de l’Europe occidentale capable de rétablir l’équilibre faceà l’URSS, voilà qui me semble avoir constitué le cœur de la poli-tique de sécurité de De Gaulle en 1944.6

1945 : l’échec du projet initial et l’apparition de la menace soviétique

Mais dès 1945, et en fait dès le voyage de De Gaulle à Mos-cou en décembre 1944, ce premier projet de sécurité devaitéchouer. A Moscou, en effet Staline avait refusé d’appuyer lesrevendications de la France à l’égard de l’Allemagne. Outre le faitqu’il avait déjà choisi de jouer la carte d’une Allemagne unitaireet communisée, il avait sans doute compris les arrière-pensées deson interlocuteur. Comme le dit le diplomate américain Bohlen,qui connaissait admirablement la politique soviétique, à un col-lègue français fin août 1945 : « [Les Soviétiques] ne désirent pasvoir se dresser une seconde grande puissance sur le continenteuropéen. Ils pensent qu’inévitablement elle sera utilisée en faced’eux comme un contrepoids. »7

En ce qui concerne la Grande-Bretagne, et malgré de nom-breuses invites de Londres au début de 1945, l’alliance envisagéene fut finalement pas conclue. En effet le Général exigea que fûtau préalable réglé le contentieux franco-britannique au Levant, etque Londres s’engageât à appuyer les revendications françaisessur l’Allemagne.

Mais outre l’échec du projet initial, ce fut la nature même dela menace qui très vite commença à changer aux yeux de DeGaulle. Il est nécessaire d’indiquer ici certains éléments plus oumoins bien connus. Depuis le printemps 1945, Paris voyait affluerles informations concernant la mainmise soviétique sur l’Europede l’Est : les rapports de la DGER (le service de renseignementde l’époque) et des militaires étaient soigneusement exploités auCabinet du général de Gaulle, en particulier pour la Pologne et laYougoslavie.8 Dès le 13 août 1945, une note de synthèse du Quai

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d’Orsay rédigée en vue du voyage de De Gaulle à Washingtonrésumait la situation : l’URSS avait établi « une série de gouver -nements à sa dévotion » en Europe orientale ; d’autre part, lesannexions réalisées par l’URSS et les modifications de frontièresen Europe orientale correspondaient à d’évidentes visées straté-giques de Moscou, avec « deux pointes offensives l’une dans laBaltique vers les détroits danois, l’autre vers la Méditerranée parle Bosphore et les Balkans » ; la note concluait : « Les années quiviennent montreront si l’URSS réussit à implanter son influencejusqu’au cœur de l’Europe ou si elle est obligée de reculer dansles limites qui correspondent mieux aux traditions historiques despays russes. »9

De ce point de vue, le voyage de De Gaulle à Washington enaoût 1945 fut très significatif : les collaborateurs de De Gaulle etde Gaulle lui-même en présentant leurs thèses sur l’Allemagneinsistèrent à plusieurs reprises, pour justifier les revendicationsfrançaises concernant le détachement de la Rhénanie et de la Ruhret contre le rétablissement d’administrations centrales allemandes,sur le fait qu’à leurs yeux la vraie menace n’était plus tellementl’Allemagne en tant que telle qu’une Allemagne dont l’URSSprendrait le contrôle10 ; de Gaulle lui-même dit à Truman le 22août que le rétablissement de l’unité allemande serait dangereux,car « l’Allemagne finirait par s’allier un jour au puissant blocslave constitué par les décisions de Yalta et de Potsdam ».11

Bien entendu, il y avait là aussi un argument destiné aux Amé-ricains pour tenter de les convaincre d’accepter les objectifs fran-çais en Allemagne. Mais l’argument correspondait aussi à unecrainte sincère. Ce passage de la perception d’une menace alle-mande (considérée encore comme unique lors de la signature dutraité franco-soviétique le 10 décembre 1944) à la perception d’unemenace par conjonction germano-soviétique a constitué unmoment dialectique essentiel dans le processus de compréhensionde la guerre froide par les Français.

Certes, de Gaulle estimait que, même si les choses avaient évo-lué depuis son voyage à Moscou, le traité franco-soviétique res-tait utile contre une éventuelle résurgence du « germanisme » ;officiellement Paris bien sûr continuait à exalter l’entente des alliésdu temps de guerre, et dans ses discours de Gaulle (comme dansson discours radiodiffusé du 17 novembre 1945) soulignait « lapolitique française d’équilibre entre deux très grandes puis -sances ». Mais néanmoins en privé, le Général tenait un langagedifférent, beaucoup plus incisif. Par exemple devant le président

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du gouvernement chinois Soong, le 19 septembre 1945, de Gaullerappela que l’Europe de l’Est était « inféodée (...) en partie sousla contrainte » à l’URSS, et que la France cherchait à constituerà l’Ouest de l’Europe une « association d’intérêts ».12

Cette perspective de regroupement de l’Europe de l’Ouest étaitd’ailleurs clairement évoquée dans certaines manifestationspubliques du Général, comme son interview au Sunday Times du10 septembre. Lors de son voyage en Allemagne quelques joursplus tard, début octobre 1945, de Gaulle mentionna un ensembled’Europe occidentale incluant la partie occidentale de l’Allemagneet utilisa constamment le terme d’Européens occidentaux...13 Enfait, il s’agissait bien de la notion déjà évoquée d’un « Bloc occi-dental », regroupant la France, le Bénélux, l’Italie, la Rhénanie etla Ruhr, peut-être la Grande-Bretagne, notion apparue dès 1943.Ce Bloc occidental était certes destiné d’abord à permettre decontrôler l’Allemagne, mais aussi, on l’a vu, à rééquilibrerl’URSS.

D’autre part, malgré le pacte franco-soviétique, les rapports avecMoscou avaient été décevants tout au long de l’année 1945 : Mos-cou en particulier avait refusé la participation de la France à laconférence de Potsdam, et à la conférence de Londres en sep-tembre n’avait pas voulu que Paris participe au règlement de lapaix en Europe de l’Est ; un entretien entre les deux ambassadeurs,Catroux et Bogomolov, le 15 octobre, (dont le compte rendu futlu par le Général lui-même) ne pouvait que constater le désac-cord.14

A cette déception et à ces inquiétudes politiques devaient s’ajou-ter très vite des inquiétudes proprement militaires, restées àl’époque très secrètes mais néanmoins bien réelles. Le généralBillotte (gouverneur de Rhénanie et Hesse-Nassau) avertit deGaulle le 17 août que les Soviétiques ne démobilisaient pas alorsque les Etats-Unis le faisaient très vite. Il lui remit une note le 15septembre préconisant un accord militaire secret entre la France,la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Le 20 octobre, il revit deGaulle qui lui exprima son accord et décida de le nommer chefd’état-major adjoint de la Défense nationale, en particulier pourpréparer la négociation et la réalisation de cet accord.15

Parallèlement à l’EMGDN le colonel Lassalle, dans une notedu 22 octobre 1945 qui eut l’accord de Juin, préconisait un sys-tème de défense occidental en Europe avec un commandementunique et la participation de 450 000 soldats américains.16

Notons que d’autres responsables militaires ne partageaient pas

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cette analyse. On peut citer ici les réactions particulièrement inté-ressantes du général de Lattre. Nommé inspecteur général et chefd’état-major général de l’Armée le 29 novembre 1945, de Lattreavait auparavant accompagné de Gaulle en Allemagne débutoctobre. Il avait entendu et peu apprécié les discours du Généralsur la solidarité des Européens de l’Ouest, y compris des Rhé-nans. A cette occasion, et de nouveau en décembre à un officierrevenant des Etats-Unis, il tint un ensemble de propos très clairs :la notion d’un Bloc occidental était dangereuse, parce qu’elle pro-voquerait une réaction russe à laquelle on ne pourrait rien oppo-ser ; les Soviétiques maintenaient 460 divisions sur le pied deguerre pendant que les Etats-Unis démobilisaient ; la situation poli-tique intérieure française était très fragile : la politique du Blococcidental risquait de provoquer une guerre civile, avec interven-tion des Américains et des Soviétiques. Certes, la France faisaitpartie de l’ensemble libéral, mais pour le moment il n’y avait riend’autre à faire que gagner du temps par la diplomatie ; c’était seu-lement quand on aurait obtenu de « sérieuses garanties deWashington » que l’on pourrait envisager autre chose et passer unealliance avec les Etats-Unis (retenons cette idée essentielle pourla suite et sans doute fort répandue chez ceux des responsablesqui étaient conscients du problème soviétique).17

1946 : la politique de neutralité

En 1946, après le départ du général de Gaulle en janvier, laposition officielle du gouvernement « tripartite » était plus quejamais, plus même qu’en 1945, de s’en tenir à l’unité des alliésde la guerre face à la menace allemande et au refus de prendreparti dans le conflit naissant entre Washington et Moscou. La pré-sence du PCF au gouvernement et le large noyautage de l’admi-nistration, la position de la SFIO en faveur de la neutralité dansle conflit Est-Ouest commençant, l’état de l’opinion publique, lemaintien du programme concernant l’Allemagne qui supposaitl’accord des trois autres occupants, tout cela interdisait un autrechoix. Ajoutons-y les échéances de politique intérieure : le 5 maile référendum qui vit le rejet du projet de constitution socialo-communiste (premier reflux de la vague qui paraissait conduire laFrance vers la Démocratie populaire), le 2 juin les élections qui

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virent une stagnation (certes à 26 %) du vote communiste et unenette progression du MRP, devenu le premier parti de France. L’at-titude prudente de la France dans les différentes crises de 1946(comme l’affaire iranienne ou celle du plan Baruch à l’ONU)témoigne d’une réelle volonté de neutralité entre Washington etMoscou.

Cette politique de neutralité dans le conflit Est-Ouest com-mençant commandait également la politique militaire ; le généralEly, directeur du Cabinet militaire du ministre des Armées Miche-let, dans une note du 23 août 1946 recommandait une neutralitéappuyée par des accords avec les deux camps : la France entreraiten guerre contre celui des deux qui l’agresserait, avec appui del’autre !18 Selon Ely, toute autre politique (soit l’alliance avec Mos-cou, soit avec les Anglo-Saxons) aggraverait les divisions inté-rieures du pays.

Néanmoins tous les responsables politiques, diplomatiques etmilitaires n’étaient pas d’accord et derrière cette politique offi-cielle il y en avait toutefois une autre, plus secrète, représentée augouvernement par certains ministres, MRP en particulier. C’estainsi qu’après le départ de De Gaulle en janvier 1946 et avec sonaccord, Billotte parla de son projet d’alliance franco-américaineau nouveau chef du gouvernement provisoire, Gouin, dès soninvestiture. Celui-ci ne l’approuva pas (il faut rappeler ici le poidsdu tripartisme et la position de la SFIO en faveur de la neutralitéentre Moscou et Washington, très forte encore en 1946, y com-pris chez Blum...). Mais Michelet, ministre MRP de la Défense,décida d’envoyer Billotte à la délégation française aux Nations-Unies, en fait comme couverture en vue de conversations explo-ratoires auprès des autorités américaines.19 Billotte partit, avecl’accord de Juin et de De Gaulle, et devait effectivement jouer unrôle important en 1947-48.

De la même façon, au Quai d’Orsay on constatait l’existenced’un groupe interne, qui correspondait de préférence par lettresparticulières (on se méfiait des circuits officiels) et qui préparaitune politique sensiblement différente de la politique officielle àpropos du problème Est-Ouest. On compte dans ce groupe en par-ticulier le ministre Bidault et son cabinet, le secrétaire général,Chauvel, l’ambassadeur à Londres, Massigli, l’ambassadeur àWashington, Bonnet, le conseiller politique auprès du comman-dant en chef en Allemagne, Tarbé de Saint-Hardouin, c’est-à-direun véritable réseau d’hommes établis aux postes clef. Ils admet-taient que la menace soviétique était désormais prioritaire et que

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la France devrait se rapprocher des Anglo-Saxons, quitte à modi-fier profondément une politique allemande qui leur paraissait detoute façon peu réaliste.20

On voit donc que dans certains milieux politiques, diploma-tiques et militaires initiés le problème de la menace soviétique etd’une alliance avec l’Amérique était clairement évoqué, même sice n’était qu’en grand secret, par-delà la ligne officielle de l’en-tente maintenue entre tous les alliés...

Le choc de la conférence de Paris : le rapprochementavec l’Angleterre et le traité de Dunkerque

D’autre part, le problème allemand apparaissait de plus en plusinextricablement mêlé au problème soviétique, comme déjà onl’avait noté à Paris l’année précédente. En particulier, les diri-geants français et britanniques furent d’accord pour considérer quele discours prononcé par Molotov le 10 juillet 1946 à la confé-rence de Paris fermait la porte à tout accord à Quatre sur l’ancienReich conforme aux principes établis à Potsdam, et confirmait lavolonté soviétique d’un contrôle exclusif sur l’Allemagne.21

Bidault et Bevin (ce dernier soulagé par l’échec relatif des com-munistes aux élections du 2 juin), unis par une très vive inquié-tude devant la perspective d’un ensemble germano-soviétique,entamèrent alors le rapprochement franco-anglais, qui fut confirmépar Blum lors de son passage à la tête du gouvernement provi-soire en décembre-janvier 1946-1947 et qui aboutit au traitéfranco-britannique de Dunkerque du 4 mars 1947.22 C’est ainsique, début septembre 1946, Bidault avait écrit à Attlee pour luiproposer un « arrangement d’ensemble franco-britannique » met-tant donc fin au contentieux entre les deux pays (question alle-mande et Moyen-Orient) ; le 11 octobre, dînant avec Bevin chezDuff Cooper, l’ambassadeur britannique à Paris, Bidault proposaque les deux pays marchent ensemble, les Etats-Unis faisantpreuve d’« un excès de légèreté optimiste ».23 Comme on le voit,l’alliance franco-britannique au moins en son principe sembleavoir été préparée par Bidault dès avant l’arrivée au pouvoir deBlum, contrairement à la thèse habituelle.

Le traité de Dunkerque résume très bien les ambiguïtés del’époque, au sein de l’opinion dans son ensemble mais aussi sou-

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vent au sein de chaque responsable. Il était explicitement tournécontre l’Allemagne et contre elle seule ; c’était toujours en effetune obsession de l’opinion mais aussi des responsables que nousavons cités : évitons ici tout anachronisme. En même temps, cetraité correspondait au souci profond à l’époque des socialistesfrançais (y compris Blum, qui l’avait préparé lors de son passageau gouvernement en décembre 1946-janvier 1947) et des tra-vaillistes britanniques de voir les deux pays prendre la tête d’une« Troisième Force » européenne pouvant jouer le rôle de média-teur entre Moscou et Washington. Mais enfin ce traité était aussila marque d’une volonté de résistance face à la politique sovié-tique. C’est le sens qu’il avait sans doute pour Bidault, qui enavait lancé l’idée à l’automne 1946 comme on l’a vu et qui, trèsprobablement, voulait arriver à la conférence de Moscou de mars-avril 1947 muni de ce renfort. L’évolution générale de la positionde Bidault par rapport à l’URSS en 1945-1946 et ses conversa-tions avec les responsables anglais à partir de l’été 1946 m’amè-nent en effet à penser, contrairement à la thèse habituelle, que letraité de Dunkerque comportait déjà pour certains responsablesfrançais une orientation implicite de résistance face à l’URSS.

Les débats de 1947

En février 1947, juste avant la conférence de Moscou, Parismaintenait toujours sa politique officielle, consistant à refuser deprendre parti dans le conflit de plus en plus net entre les Etats-Unis et l’URSS, malgré les inquiétudes croissantes de certains res-ponsables. Mais une raison essentielle de cette prudence, outre laprésence du PCF au gouvernement, était l’absence d’engagementaméricain envers l’Europe occidentale : comment abandonner lapolitique de neutralité, de « Troisième Force » entre l’Est etl’Ouest, au prix d’une crise politique intérieure et d’une tensionavec Moscou, si on ne pouvait pas compter sur l’appui américain ?L’inaction quasi totale des Etats-Unis à propos de l’Europe orien-tale, où depuis l’été et l’automne 1946 les signes de mainmisecommuniste de plus en plus brutale se multipliaient, la propen-sion des Américains à soupçonner Anglais et Français, quand ilsrelevaient cet état de choses, de vouloir rétablir leur influence« impérialiste » d’avant-guerre dans cette région n’avait rien qui

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pût rassurer ceux des dirigeants français (encore rares) qui étaientconvaincus de la réalité de la menace soviétique et les inciter àprendre des risques. D’autant plus que d’autres dirigeants, en par-ticulier les socialistes et même Blum, pourtant plus lucide qued’autres, continuaient à croire possible une coopération à l’inté-rieur avec les communistes et à l’extérieur avec l’URSS, dans lecadre de l’ONU.

C’est pourquoi le discours par lequel le président Trumanannonça le 12 mars 1947 la doctrine, qui porta son nom et quirésumait la détermination nouvelle de l’Amérique à résister à l’ex-pansion du communisme, fut beaucoup plus déterminante pourl’évolution des dirigeants français que l’échec de la conférence deMoscou de mars-avril, qui ne leur apprit rien qu’ils ne sussentdéjà. Tous les documents internes le montrent : les responsablesMRP, en particulier, comprirent le 12 mars qu’enfin les Améri-cains s’engageaient. C’est cela qui détermina Paris à se rallier pro-gressivement (mais très progressivement, nous y reviendrons) auxpositions anglo-saxonnes et à abandonner la politique d’équilibreentre Américains et Soviétiques. Le 20 avril eut lieu une conver-sation capitale entre Bidault et son homologue américain, le géné-ral Marshall, qui annonçait toute la suite : les deux hommesconvinrent que les Etats-Unis et la France s’entendraient sur lareconstruction économique de l’Europe grâce à l’aide américaine,ainsi que sur la question allemande ; la France se considéraitcomme partie intégrante du monde occidental dans la crise Est-Ouest qui s’annonçait ; les communistes ne feraient plus longtempspartie du gouvernement.

Mais il faudra encore deux ans et force repentirs pour que cetaccord fondamental se traduise dans les faits, tant étaient grandesencore les divisions et les hésitations en France, non seulemententre responsables mais encore chez chacun d’eux, par exemplechez Bidault, qui eut encore besoin de toute l’année 1947 pour serésigner réellement à la guerre froide. C’est ainsi que le renvoides ministres communistes par Ramadier au mois de mai, quiapparaît certes avec le recul comme un moment capital, ne signi-fiait pas alors encore pour les socialistes (ni d’ailleurs pour lescommunistes) une rupture définitive mais une étape dans la com-pétition entre deux partis à la fois rivaux mais alliés. C’est ainsique, lorsque les Américains proposèrent au mois de juin l’« aideMarshall », le gouvernement français, Bidault en tête, souhaitaitprofondément que l’URSS participât au programme, afin d’éviterd’aggraver, disait-on, la division de l’Europe. C’est ainsi encore

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que si, dès l’été 1947, les responsables français admettaient enprivé que la zone française d’occupation en Allemagne devraitbien rejoindre la Bizone anglo-américaine, première étape vers laconstruction d’un Etat ouest-allemand, il faudra encore près dedeux ans et bien des péripéties pour en arriver là.

En fait, ce n’est qu’au cours de l’automne 1947 que la Francecommença à reconnaître réellement la réalité de la guerre froide.Georges Bidault fut frappé successivement par l’interdiction faiteà Moscou aux pays d’Europe orientale d’accepter l’aide Marshall,par la volonté de Moscou de transformer les traités d’alliance encours de négociation depuis le mois de février entre Paris, Var-sovie et Prague en système diplomatique anti-américain, par laréunion des partis communistes à Szlarska Poreba en septembreet la création du Kominform. Mais ce furent surtout les grandesgrèves insurrectionnelles déclenchées par les communistes ennovembre et décembre qui ouvrirent les yeux des responsables,quand le danger ne fut plus seulement extérieur et apparemmentlointain, mais très direct et proche, quand la politique intérieureet la politique extérieure se rejoignirent. C’est à partir de cemoment-là seulement que le gouvernement français, jusque-làextraordinairement prudent avec Moscou, décida de réagir et admi-nistra un premier signal avec la fameuse perquisition au camp deBeauregard (dépendance de l’ambassade soviétique aux activitéssuspectes) en novembre. C’est à ce moment-là seulement que lessocialistes abandonnèrent l’espoir de renouveler leur alliance avecles communistes.24

En effet jusque-là les socialistes, en particulier le présidentAuriol et Ramadier, président du Conseil, s’étaient montrés fortprudents. Ils avaient été encore loin au cours du printemps et del’été 1947 de suivre Bidault et les ministres MRP dans leur rapideévolution. Les chefs militaires, en fonction de ces incertitudes auplus haut niveau de l’Etat, étaient eux-mêmes dans cette périodedivisés quant à la politique de sécurité que la France devait suivre.Le 3 juin 1947, au cours d’une audience chez le président de laRépublique, de Lattre (qui depuis mars n’était plus qu’inspecteurgénéral de l’Armée, le poste de chef d’état-major ayant été confiéà Revers) et Auriol tombèrent d’accord qu’un conflit Etats-Unis-URSS était possible et infiniment plus probable qu’un conflit avecl’Allemagne ; mais ils continuaient d’envisager toutes les hypo-thèses possibles pour la France : la neutralité ou l’entrée en guerredans l’un ou l’autre camp.25

En revanche dès le 27 juillet 1947, le général Humbert, chargé

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de l’état-major de la Défense nationale après le départ de Juin enmai, écrivit au président du Conseil Ramadier pour tenir comptede la situation internationale nouvelle ; ses arguments furent reprisdans une note du 23 septembre26 en vue d’un Conseil restreint,qui se tint le même jour à propos de l’orientation de la politiquede défense.27

Selon le général Humbert, la neutralité était impossible pour laFrance, enjeu trop important pour les deux camps, et était incom-patible avec son rôle dans le monde. En outre, elle nécessiteraitun effort militaire encore plus important qu’une politique d’al-liance. La France devait choisir le camp anglo-saxon pour des rai-sons politiques fondamentales, mais aussi parce que seuls lesEtats-Unis étaient en mesure de l’aider économiquement et parceque c’était le seul moyen de conserver en cas de guerre l’unité del’Union française ; en effet, si Paris choisissait Moscou, les Anglo-Saxons s’empresseraient d’occuper cette dernière.

La conclusion du général Humbert était que la défense de l’Eu-rope de l’Ouest avec la « combinaison de moyens américains etd’un effort européen raisonnable et limité » était possible. Il fal-lait en persuader Washington : « Il n’est sans doute pas, d’aprèsles renseignements en notre possession, dans les plans américainsactuels de nous défendre de l’invasion russe. Peut-être est-il pos -sible de négocier avec succès un changement de leurs objectifsqui assurerait notre sécurité. »

Cela allait être le point crucial : en effet la stratégie américaineà cette époque en cas de guerre contre l’URSS était périphériqueet ne prévoyait pas de défendre l’Europe occidentale continentale ;le plan Pincher de 1947 (qui était plutôt d’ailleurs un exerciced’état-major, le premier prenant en compte l’hypothèse d’uneguerre contre l’URSS) prévoyait que le point de départ d’uneguerre serait le Moyen-Orient (en effet celui-ci focalisa les pre-miers affrontements de la guerre froide) ; les planificateurs esti-maient que les Etats-Unis n’avaient pas les moyens nécessairespour défendre l’Europe continentale devant la supériorité sovié-tique et prévoyaient un repli sur la Grande-Bretagne, l’Afrique duNord et la défense de Suez et du Golfe persique, de façon à conser-ver le pétrole et des bases aériennes contre l’URSS. Ensuite com-mencerait une campagne de bombardements stratégiques à partirde ces bases, pas seulement nucléaires (les bombes atomiquesétaient encore rares, on en comptait 13 en juillet 1947 !) maisessentiellement conventionnels ; puis, quand ce serait possible, on

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reprendrait l’offensive, mais à partir du Moyen-Orient, pour cou-per l’Armée rouge de son pétrole.28

La note du général Humbert du 23 septembre montre que l’état-major français était parfaitement conscient de cette stratégie péri-phérique et des problèmes qu’elle posait aux Européens. Cela allaitconstituer un aspect essentiel des négociations des années sui-vantes en vue de la mise sur pied d’une défense atlantique.

Un conseil restreint, le 23 septembre 1947, réunit Ramadier, lesministres militaires et les chefs des Armées pour étudier la note dugénéral Humbert dans le contexte de la préparation des nouvelleslois militaires.29 Ramadier souligna les deux options possibles : laneutralité ou « l’option pour les Etats-Unis ». Mais il ne trancha paset refusa de suivre les conclusions d’Humbert. Il demanda simple-ment aux militaires, pour permettre l’élaboration des lois militaires,de donner les indications nécessaires pour tous les cas de figure :neutralité, action avec les alliés, défense de l’Union française. Jac-quinot (ministre de la Marine) et Maroselli (ministre de l’Air) affir-mèrent que la neutralité était impossible et l’alliance avec lesEtats-Unis nécessaire. Ramadier se refusa à trancher la questionpolitique avant d’avoir analysé les moyens nécessaires dans les dif-férentes hypothèses : « Il faut apporter les éléments militaires d’unedécision politique. On prendra alors parti. »

En fait d’ailleurs, Ramadier paraissait plutôt pencher pour laneutralité : il s’inquiétait à l’idée que les Etats-Unis pourraientvouloir réarmer Allemagne ; si la France n’était pas directementattaquée, il penchait pour la neutralité ; il envisageait le maintienpossible de la neutralité même dans le cas où la France ferait par-tie d’une coalition !

L’option qui avait la faveur de Ramadier était celle du repli surl’Afrique du Nord : le fait de tenir solidement celle-ci dissuade-rait Russes comme Américains d’intervenir en France. Cetteoption avait l’appui de l’amiral Lemonnier, chef d’état-major dela Marine. Comme on le voit, l’option de la neutralité était encoretrès présente au début de l’automne 1947.

Fin 1947 : le gouvernement français s’engage

La situation changea avec les grèves insurrectionnelles denovembre-décembre 1947, et l’échec au même moment de la

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conférence de Londres, à la fin de laquelle Bidault avait com-mencé à évoquer avec Marshall et Bevin un système de défenseoccidental. Au Conseil des ministres du 19 décembre 1947,Bidault fit accepter l’idée selon laquelle la neutralité n’était pasune solution pour la France, et il obtint l’accord de ses collèguespour susciter un « organisme militaire de sécurité » avec la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le Bénélux. Mais ce processus de ral-liement de l’ensemble des dirigeants aux options approfondies parBidault depuis mars 1947 fut loin d’être simple. Au départ lessocialistes, y compris Blum et le président de la République Vin-cent Auriol, étaient fort réticents et craignaient que l’on ne pro-voquât l’URSS sans bénéficier d’un appui américain suffisant : fin47-début 48, on continuait à envisager du côté de la SFIO uneEurope « Troisième Force ». Il fallut le « coup de Prague » du moisde février 1948 pour modifier cette attitude : un coup d’Etat com-muniste soutenu sur le plan international par l’URSS, voilà unprocessus que beaucoup, même chez les socialistes, pensèrentreproductible en France et en Italie.

Comme l’Amérique ne pouvait pas encore s’engager et mettaitcomme condition à un engagement éventuel, le 3 mars 1948, queles Européens s’organisent collectivement au préalable, on abou-tit à la conclusion, le 17 mars, du Pacte de Bruxelles entre laFrance, la Grande-Bretagne et le Bénélux (dans le climat d’in-quiétude qui suivit le « Coup de Prague » fin février) : ce Pacteétait tourné contre l’Allemagne, l’opinion publique n’aurait pasadmis qu’il ne le fût pas, mais aussi contre tout autre pays et évi-demment en fait contre l’URSS. Les Cinq décidaient dans l’im-médiat de constituer un embryon d’organisation militaire,comprenant, outre les réunions des cinq ministres de la Défense,un comité militaire permanent siégeant à Londres.

Parallèlement, en décembre 1947 Bidault avait chargé Billotte,en grand secret, de négocier avec les Etats-Unis un accord mili-taire franco-américain secret. On connaît le texte remis par Billotteau général Marshall le 29 décembre 1947 : il préconisait un accordmilitaire secret franco-américain pour la défense de l’Europe occi-dentale dans le cadre qui allait être celui du futur Pacte atlantique :Mer du Nord, Baltique, Méditerranée, Adriatique. Cette défensereposerait sur la combinaison d’armes classiques et d’armesnucléaires : selon Billotte l’effet dissuasif sur l’URSS serait suffi-sant.30 En janvier 1948, Billotte devait avoir des conversationscapitales avec le chef d’état-major américain, Ridgway, et son

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homologue britannique Morgan ; ces conversations sont à l’originelointaine du Pacte atlantique.

Indiquons ici que l’on va avoir à ce sujet une divergenced’orientation fondamentale, quoique feutrée, au sein du mondepolitique et militaire français : Bidault, Billotte et Juin donnaientla priorité à une entente bilatérale franco-américaine ; en fait ilsétaient très dubitatifs à l’égard du Pacte de Bruxelles, voulu audépart par Washington et Londres, pas par Paris ; Bidault craignaitque le Pacte de Bruxelles n’accentue la division de l’Europe, neprovoque les Soviétiques avant l’engagement américain et ne per-mette à Washington de se soustraire à ses responsabilités.

En revanche, pour Auriol et de Lattre il fallait d’abord consti-tuer un ensemble européen, auquel l’Amérique apporterait ensuiteune contribution ; c’était d’ailleurs au départ le point de vue desEtats-Unis ; cette divergence entre une formule européenne et uneformule atlantique est très importante à retenir pour comprendrela position des Français au moment de la conclusion du Pacteatlantique. Les enjeux de cette divergence parmi les responsablesétaient capitaux : il s’agissait de savoir si la France devait cher-cher à jouer un rôle mondial, sur le même plan que l’Angleterreet l’Amérique, ou se contenter d’un rôle européen. En outre cer-tains, comme Auriol, pensaient que c’était la formule européennequi provoquerait le moins l’URSS (le Pacte de Bruxelles était offi-ciellement tourné d’abord contre l’Allemagne...).31

En outre, nous le verrons, il y avait un débat stratégique : fal-lait-il se défendre en Europe et en France, pour tenir la ligne duRhin (ce qui était la thèse de De Lattre), ou fallait-il se conten-ter d’une stratégie périphérique et se résigner au repli en Afriquedu Nord (ce qui était la thèse des Etats-Unis et de nombreux chefsmilitaires français) ?

Quoi qu’il en soit, les discussions sur la défense de l’Europeoccidentale étaient donc bien entamées ; les Etats-Unis partici-paient à ces discussions, même s’ils n’étaient pas engagés juridi-quement. Il était donc clair dès le printemps 1948 que legouvernement français avait pris la décision de sortir de la poli-tique de neutralité et de s’engager dans la résistance à l’URSS,même si existaient encore des divergences sur le cadre de cet enga-gement (européen ou franco-américain) ; quant au soutien améri-cain, il pouvait être très sérieusement espéré (même s’il n’étaitpas encore acquis juridiquement, à cause des réticences duCongrès).

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La conférence de Londres, le choix décisif de la France :la résolution Vandenbergen échange de la création de la RFA

La conférence de Londres de janvier à juin 1948 fut une étapecapitale dans la clarification de la politique française de sécurité.Comme on le sait, cette conférence réunissait les représentants destrois grands Occidentaux avec ceux du Bénélux pour parler de lafusion des zones occidentales d’occupation et de la création d’unEtat ouest-allemand. La France ne voulait toujours pas d’une tellecréation ; mais les Anglo-Saxons lui mirent le marché en main :pas d’Etat ouest-allemand, pas d’organisation occidentale de sécu-rité, organisation dont on parlait en fait à Paris en secret depuis1945 mais que l’on réclamait avec énergie depuis décembre 1947.Bidault finit par franchir le pas décisif et accepta les résolutionsdites de Londres, du 4 juin, qui préparaient la création d’un Etatouest-allemand : enfin les responsables français devaient recon-naître que la menace soviétique était plus grave que l’allemande.La résolution Vandenberg, passée au Sénat américain le 11 juin,le fut justement pour faciliter, au nom de l’engagement des Etats-Unis pour la sécurité de l’Europe, le vote du Parlement français,acquis quelques jours plus tard à une majorité très faible, maisdécisive pour l’orientation finale de la France.32

Bien entendu, ce choix historique n’alla pas sans hésitations nidiscussions parmi les responsables, non seulement à propos de laquestion allemande33 mais à propos de la sécurité face à l’URSS.Des lettres particulières de Chauvel, secrétaire général du Minis-tère, à Bonnet, ambassadeur à Washington, montrent bien le cli-vage : autant Bonnet est d’avis de marcher vigoureusement dansle sens de la création de la RFA et de l’Alliance atlantique, autantChauvel se montre réticent, craignant que l’on ne provoque ainsiles Soviétiques et que ceux-ci ne réagissent avant la mise sur piedd’un système de défense occidental suffisant.34 Et les craintes deChauvel, dans ces semaines décisives de mars à juin 1948, alorsque le « petit blocus » de Berlin a commencé, sont entièrementpartagées par Vincent Auriol et les ministres socialistes.35 Le22 avril d’ailleurs, les ministres socialistes écrivent à Bidault pourlui demander de refuser la création d’un Etat ouest-allemand, quiaggraverait la tension Est-Ouest.36 Massigli, Couve de Murville,directeur politique, le général Koenig, commandant les forces fran-

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çaises en Allemagne, partagent ces craintes face à une éventuelleréaction soviétique.37

1948 : l’élaboration d’une politique de sécurité française

Il faut bien avoir conscience des incertitudes américaines del’époque et des difficultés, politiques et stratégiques, tout au longde l’année 1948, pour la mise en place d’un système occidentalde sécurité : les militaires français, et en particulier de Lattre, enétaient informés et soucieux au plus haut point. Les indicationsqui parvenaient au Quai d’Orsay de l’ambassadeur à WashingtonHenri Bonnet, qui avait de très bons contacts au Pentagone, recou-paient parfaitement celles adressées à l’état-major par les attachésmilitaires à Washington (n’oublions pas, le 20 mars 1948, le départdu maréchal Sokolovski du Conseil de contrôle à Berlin et le débutdu « petit blocus » en avril : la tension montait). Dans une série detélégrammes, Bonnet, en avril et mai 1948, soulignait que dansl’immédiat les Etats-Unis envisageaient dans un premier temps unrecul jusqu’aux Pyrénées, puis la reconquête par l’Espagne et leProche-Orient ; dans un premier temps, ils se contenteraient debombardements stratégiques, mais plus classiques que nucléaires.Il faudrait deux ans pour réarmer les Etats-Unis et l’Europe maisactuellement, à cause de la situation politique, aucun engagementn’était possible, même pas l’équivalent du prêt-bail pour rééqui-per les armées européennes...38

Ni sur le plan politique, ni sur le plan stratégique, ni sur le plandu matériel, rien de tout cela n’était satisfaisant. Mais cela n’em-pêcha pas le général de Lattre d’élaborer les bases de la stratégiede défense de l’Europe occidentale.39 La pensée stratégique et poli-tique de De Lattre fut définitivement formulée dans une « Notesur la défense de l’Europe occidentale » du 20 juin 1948 d’uneexceptionnelle importance40 : ce texte, qu’il faut comprendre etresituer dans le débat de l’époque, répondait à des objections, enAmérique et en France, et cherchait visiblement à convaincre. Ildépasse à mon avis la personne même de son auteur et est trèsreprésentatif de tout un courant d’idées au sein des milieux diri-geants français.

Selon cette note, si l’URSS venait à occuper le « centre indus -

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triel » de l’Europe occidentale, « la guerre était perdue pour lesAméricains (...) C’est ce qu’il faut faire comprendre aux Améri -cains, a priori peu enclins à participer directement à une bataillede l’Europe. Alors tout plutôt que de leur laisser croire que nouspourrions concevoir une telle bataille comme un combat d’arrière-garde destiné à couvrir un repli. Il faut que les Américains com -prennent que cette bataille d’Europe c’est aussi leur batailledécisive – et qu’ils se décident le plus tôt possible à y participeravec les moyens que mérite leur salut, et à temps. »

Les Américains le comprendraient d’ailleurs quand ils seraientsortis de leur campagne électorale présidentielle : « La protectionde l’Europe occidentale est la seule chance de défense militairede l’Amérique. » C’était la réponse à la stratégie périphérique desAméricains mais aussi à ses partisans français, qui préconisaientle repli en Afrique du Nord : « Si on abandonne la France, on nela retrouvera plus. » L’Afrique ne pouvait être qu’une « basearrière », donnant profondeur et ressources économiques.

C’était seulement si les Américains pouvaient assurer cinq à sixans de paix avec « leur supériorité scientifique » que l’on pourraitse consacrer d’abord au relèvement économique de l’Europe prévupar le plan Marshall et se contenter d’une préparation militaire àlong terme. Mais visiblement de Lattre n’y croyait guère : « Toutbloquer sur la bataille pour l’Europe (...) la bataille du Rhin (...)dès maintenant, résolument (...) progressivement ».

Mais pour cette défense sur le Rhin, qui correspondait à ladéfense du « bloc » de l’Europe occidentale comprenant l’Alle-magne occidentale, la France, le Bénélux, la Suisse, l’Italie duNord, l’Angleterre, la Méditerranée, en comptant sur la « sympa -thie scandinave », la France ne suffisait pas, il fallait une « solu -tion sur le plan européen ».

Et on en arrive au point essentiel, sur lequel de Lattre s’oppo-sait aux partisans (comme Billotte et Juin) d’une entente directeavec Washington plutôt que du Pacte de Bruxelles : « Il n’y a pasde solution dans la vassalité par rapport à l’Amérique. (Le planMarshall a le grave inconvénient de nous placer dans une tropgrande dépendance de l’Amérique). La vassalisation américainea évidemment comme terme fatal le combat entre deux forces équi -valentes. En effet, si le bloc occidental s’organise uniquement dansla dépendance américaine, cela revient à prendre position a priori– à ne former plus qu’un avec l’Amérique. Le jeu serait plussouple avec une Europe qui chercherait au moins une apparenced’indépendance. »

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C’était toute la position de Schuman, Auriol, Monnet et d’unebonne partie des diplomates du Quai d’Orsay (comme Chauvel etMassigli) contre les partisans d’une alliance trop étroite avec lesEtats-Unis, qui risquerait à leurs yeux d’aggraver la guerre froide.

La crise du Blocus de Berlin

Le 24 juin 1948 marqua le début du blocus de Berlin. Celui-cirésultait de la volonté soviétique d’empêcher la création et l’inté-gration à l’Ouest de la RFA, décidée le 4 juin par la conférencede Londres. C’était le point de départ d’une grave crise, avec biendes hésitations initiales de la part des Occidentaux, tant que laformule du pont aérien (un peu due au hasard au début) n’eût pasfait la preuve de son efficacité.41

La situation était très grave, et le Quai d’Orsay se montrait peuoptimiste : le secrétaire général Chauvel notait le 17 juillet que,malgré la résolution Vandenberg votée le 11 juin, les Etats-Unisn’estimaient toujours pas possible politiquement de s’engager juri-diquement à l’avance pour la défense de l’Europe : le Congrèsdéciderait le moment venu et donc l’incertitude subsistait.42 Enoutre, une très grande inquiétude régnait à Paris sur les projetsmilitaires américains : la correspondance entre Chauvel et Bonnetà Washington durant l’été 1948 porta largement sur ce sujet ; orBonnet confirmait que les Etats-Unis en étaient toujours à la stra-tégie périphérique du plan Pincher : on procéderait d’abord à l’éva-cuation de l’Europe occidentale continentale.43 Et ce, malgré lesaffirmations de Billotte selon lesquelles les Américains étaient dèsmaintenant disposés à défendre l’Europe au moyen d’armesnucléaires.

De Lattre par exemple était parfaitement conscient de la gra-vité de la situation. En outre, il savait que les alliés anglo-saxonsn’étaient pas encore décidés ou capables d’abandonner leur stra-tégie périphérique. Il vit Montgomery le 9 juillet ; celui-ci affirmabien sa volonté de tenir le Rhin, mais insista autant sur la défensedu Moyen-Orient et préconisa même la défensive à l’Ouest et l’of-fensive au Moyen-Orient !44

Le 17 juillet de Lattre rencontra le général Wedemeyer, chefd’état-major de Bradley, de retour de Berlin, et rendit compte dèsle lendemain au ministre de la Défense Pierre-Henri Teitgen.45

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Wedemeyer et de Lattre avaient été d’accord pour estimer qu’uneguerre pour Berlin serait pour l’Europe occidentale « une catas -trophe vertigineuse ». Pour de Lattre, il n’y avait aucun doute : ilfallait négocier avec les Soviétiques, et c’était ce qu’il conseillaità son ministre et avait conseillé la veille à Robert Schuman lorsd’un entretien rapide ; pour agir autrement il aurait fallu avoir desarmes et « que la défense du Rhin soit en garde », ce qui n’étaitpas encore le cas. De nombreux responsables français partageaientd’ailleurs la prudence de De Lattre, envisageant même encore enjuillet la possibilité d’une évacuation de la garnison française deBerlin, et Léon Blum plaidant dans Le Populaire pour une négo-ciation avec les Soviétiques...46

Pour le plus long terme, pour la période qui suivrait la crise deBerlin, de Lattre continuait à préconiser une stratégie européenne,contre les partisans d’une stratégie périphérique. En effet il semblequ’une partie des chefs militaires français, d’accord en cela avecles Américains, envisageaient toujours beaucoup plus un repli surl’Afrique du Nord qu’une défense sur le Rhin.

Et plus profondément encore, de Lattre préconisait une straté-gie générale certes alliée aux Etats-Unis, mais spécifiquementeuropéenne ; dans une allocution prononcée à Mutzig fin juillet1948 à la suite d’un important exercice d’état-major, on voit appa-raître sa philosophie profonde, qui correspondait à celle du cou-rant plus modéré à Paris, plus soucieux de ménager l’URSS touten s’appuyant sur les Etats-Unis, courant plus « européen », celuid’Auriol, de Jean Monnet, de Robert Schuman (contre un courantplus « atlantiste », celui de Billotte, Juin et Bidault) : « Quand onvoit les deux antagonistes, on voit : du côté américain l’intentiond’arrêter la marche révolutionnaire avec bombes atomiques etavions ; de l’autre côté, la stratégie révolutionnaire avec son obs -cur fanatisme et le déferlement des armées. Entre les deux nousdevons mettre la stratégie européenne, seule conforme à notregénie sur le plan militaire, et aussi économique et politique. Leplan Monnet représente quelque chose entre les deux systèmeséconomiques : libéralisme et dirigisme. Notre but est de conser -ver, de reconstituer notre continent et d’accorder les deux anta -gonistes, et de maintenir la Paix. Si la planète se découpe en deuxblocs nettement et résolument opposés chaque jour un peu plus(...) le terme fatal d’une pareille situation, c’est (...) la Guerre. Sil’Europe et la France sont animatrices de ces situations, si cheznous, malgré notre faiblesse, l’esprit français peut animer unestratégie européenne et découvrir les moyens d’opérer entre ces

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deux blocs et d’arriver à les séparer pour empêcher l’étincelle,nous aurons bien fait notre métier. »

De Lattre concluait en soulignant que la combinaison d’une stra-tégie militaire accompagnée par une stratégie économique (l’unionéconomique du continent) et politique (la démocratie parlemen-taire) était indispensable : « A cette seule condition peut-être l’Eu -rope pourra soutenir l’assaut que lui livre l’idéologie soviétique. »Si on compare ce texte à la note rédigée par Jean Monnet le 1er mai1950 lors de la préparation du plan Schuman, on constate uneextraordinaire convergence de la réflexion des deux hommes.47

La mise en place de l’état-major du Pacte de Bruxelles et le débat politico-stratégique à Paris

En septembre 1948, le Conseil des ministres de la Défense duPacte de Bruxelles décida que l’on se défendrait aussi loin à l’estdu Rhin que possible et organisa un commandement militaire. Lecomité militaire permanent de Londres avait prévu trois com-mandants Air, Terre, Mer, sous l’autorité d’un chef d’état-majoraméricain ; mais les Etats-Unis n’étaient pas encore prêts à alleraussi loin, et l’on se contenta provisoirement d’un Comité descommandants en chef Terre, Air, Mer, sous la présidence d’ungénéral anglais ; Comité qui serait chargé d’élaborer les plans stra-tégiques et assumerait le commandement en cas de guerre.

Comme l’on sait, le président du Comité fut le maréchal Mont-gomery. Pour la Terre, on avait d’abord pensé à Juin, mais celui-ci se récusa en arguant du manque de moyens disponibles pourdéfendre la ligne du Rhin, et finalement l’on choisit de Lattre,nommé le 7 octobre. Mais cette affaire allait sans doute au-delàdes questions de personnes ou d’une opposition entre la prudencede Juin et la discipline de De Lattre et elle recouvrait les débatsde l’époque que j’ai soulignés. Une remarque d’Auriol dans sonJournal est à mon avis très exacte : « Je me demande si la raisonprofonde du refus de Juin n’est pas dans le fait que la formulede coopération militaire issue du Pacte de Bruxelles lui paraîtmauvaise, et que, pour lui, il serait préférable de demander direc -tement aux Etats-Unis l’aide dont la France a besoin. »48

Notons également cette autre remarque du Journal d’Auriol, le24 octobre 1948, rapportant des indications de Ribière, directeur

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du SDECE : « Lorsque Juin a été pressenti pour être commandanten chef des forces terrestres, il a demandé à Billotte de venirimmédiatement à Paris. Billotte est venu et il a dit à Juin que legouvernement américain lui déconseillait formellement d’accepteret souhaitait le voir demeurer à son poste [de résident général auMaroc], en raison de l’exceptionnelle importance que ce gouver -nement attribuait à l’Afrique du Nord comme bastion dedéfense. »49

Il y avait accord entre les chefs militaires français, évidemment,pour considérer que la participation militaire des Etats-Unis à ladéfense de l’Europe était indispensable et qu’il fallait les intégrerd’une façon ou d’une autre le plus vite possible à cette défense.50

Mais il y avait divergence sur les conséquences à en tirer :l’EMGDN, Billotte, Juin, le général Revers chef d’état-major del’Armée, pensaient semble-t-il que l’essentiel était le lien directentre la France et les Etats-Unis ; de Lattre voulait aussi établirce lien, mais plutôt entre un ensemble européen et les Etats-Unis.Les uns paraissent avoir été prêts à abandonner l’Union occiden-tale au profit d’accords directs avec les Etats-Unis, de Lattre sou-haitait l’intégration des Etats-Unis à l’Union occidentale.

En outre (mais c’était lié au point précédent), de Lattre étaitassez isolé sur le problème stratégique au sein des chefs militaires :il voulait la défense sur le Rhin, alors que les autres doutaient desa possibilité et adhéraient dans l’ensemble à la stratégie péri-phérique américaine et comptaient surtout sur l’Afrique du Nord.

Mais de Lattre avait pour ses thèses l’appui des politiques, enparticulier Auriol, le ministre des Forces armées Ramadier et leministre des Affaires étrangères Schuman : une annotation duJournal d’Auriol du 15 octobre 1948 montre que les trois hommesétaient d’accord pour rejeter les thèses périphériques de Juin, pourmaintenir le Pacte de Bruxelles malgré le scepticisme évident dela plupart des chefs militaires, et pour estimer avec de Lattre quel’on pourrait convaincre les Etats-Unis de fournir l’appui néces-saire pour défendre le Rhin si les Européens se montraient fer-mement décidés à le faire et s’organisaient en ce sens, d’autantplus que l’Angleterre avait accepté dans le cadre de l’Union occi-dentale l’engagement historique d’une défense à l’Est.51

On peut imaginer une raison possible de cette divergence : laplupart des chefs militaires raisonnaient en termes purement mili-taires ; en effet, dans l’immédiat, en cas d’attaque soviétique etsur un plan strictement militaire, il n’y avait sans doute pas autrechose à tenter qu’une défense périphérique. Mais les politiques et

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de Lattre réagissaient différemment, plus politiquement : dans unpremier temps ils avaient suggéré des négociations avec les Sovié-tiques à propos de Berlin ; ensuite, lorsque le succès du pont aérieneût montré que le danger de guerre n’était pas immédiat, ils esti-mèrent que l’on avait le temps de bâtir un ensemble européen avecl’appui américain, et que l’on pourrait ainsi mieux influencerWashington et réduire l’intensité du conflit Est-Ouest, conformé-ment aux idées exprimées par de Lattre à Mutzig fin juillet 1948.

Début 1949: le désaccord stratégique franco-anglais :de Lattre tente de convaincre les alliés d’abandonnerla stratégie périphérique

Début 1949, la collaboration avec les Britanniques dans le cadrede l’Union occidentale se développait, les états-majors étaient enplace et commençaient à préparer des plans ; avec les Etats-Unisles contacts étaient établis par le biais des conversations avec lescommandants des forces d’occupation en Allemagne, par des offi-ciers de liaison américains en poste à Fontainebleau et par la mis-sion américaine au Comité militaire de Londres ; en outre depuisla réélection de Truman, les préparatifs en vue du Pacte atlantiqueprogressaient (il serait signé le 4 avril 1949). Il fallait donc com-mencer à préciser les options stratégiques, et de Lattre allait cher-cher à convaincre les Anglo-Saxons de la justesse de ses idées.

Dans une note capitale du 3 janvier 1949 « sur les possibilitésd’attaque soviétique contre l’Europe occidentale et les moyens ày opposer », de Lattre résumait ses conceptions stratégiques, qu’ilallait essayer de faire partager aux Anglais et aux Américains, enparticulier en prenant le contre-pied de deux thèses fréquentes àl’époque dans les milieux anglo-saxons et qui recouvraient undébat crucial.52

Tout d’abord, selon de Lattre, la bombe atomique ne pouvaitpas suffire à stopper une attaque soviétique (un débat très vif étaiten cours aux Etats-Unis sur ce point) ;53 le fait de frapper lescentres stratégiques de l’URSS n’empêcherait pas l’Armée rouge,en attendant l’issue de cette campagne de bombardements straté-giques, de conquérir l’Europe occidentale, car elle pouvait démar-rer tout de suite avec ce dont elle disposait en Allemagne.

La deuxième thèse essentielle de De Lattre était que le théâtre

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d’opérations européen n’était pas secondaire par rapport au théâtredu Moyen-Orient. Or c’était une perception fréquente chez lesAnglo-Saxons, surtout les Anglais, très préoccupés par le Moyen-Orient54 (de fait, c’était là que s’étaient déroulés depuis 1945 lespremiers affrontements avec l’URSS) et qui pensaient que lesSoviétiques attaqueraient d’abord dans cette région, en Europeseulement après. Pour de Lattre en revanche, les Russes attaque-raient d’abord en Europe, ou au moins simultanément dans lesdeux directions ; ils en avaient les moyens.

Il fallait donc absolument renforcer la couverture en effectifs eten moyens de l’Europe occidentale ; la note concluait : « Déclarera priori que le théâtre d’opérations occidental aura une impor -tance secondaire et en tirer argument pour négliger sa prépara -tion est exposer notre pays à un danger mortel. Si l’on peutadmettre d’autre part que la bombe atomique peut paralyser lesarrières et stériliser les sources de la puissance soviétique, on nepeut guère imaginer qu’elle puisse stopper l’avance du dispositifsoviétique en place. Nous devons combattre ces conceptions. »

De Lattre ne parvint pas à convaincre Montgomery de la néces-sité d’une défense sur le Rhin, et celui-ci, comme on sait, persis-tait à préparer une manœuvre en retraite couvrant les IlesBritanniques.55 Il s’en plaignit à Auriol le 21 janvier 1949.56

Notons ici que dans toutes ces discussions de Lattre a agi avecl’accord complet et l’appui d’Auriol et du ministre de la DéfenseRamadier : il vit celui-ci le 25 janvier de 11 heures du soir à deuxheures du matin pour parler de Montgomery ; citons égalementl’étude d’Elisabeth du Réau, « Paul Ramadier et les prémisses duPacte atlantique »,57 qui montre l’accord stratégique et aussi poli-tique entre les deux hommes autour de la notion d’une défense del’Europe sur le Rhin et dans l’alliance avec les Etats-Unis, maisen maintenant un ensemble européen distinct.

Les attentes et les exigences de la France lors de lasignature du Pacte atlantique

Les négociations en vue de la mise sur pied du Pacte atlantiquecommencèrent à Washington en juillet 1948. Je n’en retracerai pasl’histoire, sinon pour souligner que Paris était parfaitementconscient des réticences américaines à s’engager pleinement et de

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façon automatique dans les textes. D’où un article 5 du Pacte,moins contraignant on le sait en ce qui concerne le casus foede -ris que le Pacte de Bruxelles. Mais les responsables français com-prenaient les contraintes politiques et constitutionnelles quipesaient dans ce domaine sur Washington, et comprenaient éga-lement que l’essentiel était l’engagement militaire effectif desAméricains, au-delà des textes. C’est ainsi que, notant que dès le22 juillet 1948 une mission militaire américaine allait participerau travaux du comité militaire du Pacte de Bruxelles, Chauvelécrivait le 17 juillet que cette présence constituerait un « engre -nage », liant bientôt les Américains aux Européens « davantagedans les faits que dans les textes ».58 Ce serait en effet la dyna-mique essentielle de l’Alliance atlantique. Néanmoins et bienentendu, les Français souhaitaient que l’engagement militaire amé-ricain fut précisé de la façon la plus puissante et la plus rapidepossible.59

Cependant lors des ultimes négociations, les négociateurs fran-çais du Pacte atlantique mirent un certain nombre de conditions àleur signature. Tout d’abord, celui-ci devait couvrir l’Afrique duNord. Dans un premier temps, Paris aurait souhaité que toutel’Afrique du Nord fût garantie, y compris le Maroc et la Tunisie.Mais on se contenta finalement d’obtenir des Américains, très réti-cents, l’inclusion des départements français d’Algérie. Celle-ciétait essentielle aux yeux du gouvernement bien sûr pour des rai-sons de politique intérieure : l’opinion et le Parlement n’auraientpas admis que le Pacte atlantique couvrît l’Alaska et pas l’Algé-rie.60 Mais elle correspondait également à la volonté de réorienterl’Alliance aussi vers la Méditerranée, zone essentielle pour lesintérêts et la stratégie de la France, alors que les Américainsavaient tendance à s’intéresser en priorité à la Scandinavie, routed’accès aéro-maritime privilégiée vers le cœur de l’URSS. C’estainsi aussi que la France joua un rôle déterminant, contre les réti-cences initiales des Anglais et des Américains, pour faire admettrel’Italie comme membre de l’Alliance dès sa conclusion.61

Une fois signé le Pacte atlantique se posa le problème du main-tien du Pacte de Bruxelles de mars 1948 et de ses rapports avecle nouveau traité. Le président de la République, Vincent Auriol,le ministre de la Défense, Paul Ramadier, les responsables du Quaid’Orsay avec à leur tête Robert Schuman et certains chefs mili-taires, en particulier le général de Lattre, commandant des forcesterrestres du Pacte de Bruxelles, étaient très attachés au maintiende celui-ci et de ses organismes, comme un pilier européen au

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sein de l’Alliance atlantique.62 Ce souci correspondait à un cer-tain nombre de préoccupations. Tout d’abord solidariser les Euro-péens pour qu’ils défendent en commun leurs intérêts àWashington, plutôt que de traiter chacun unilatéralement avec lesAméricains, en particulier pour l’aide militaire et la fournitured’armements.63 Ensuite, les Français étaient très conscients desavantages juridiques du Pacte de Bruxelles par rapport au Pactede Washington : assistance immédiate en cas d’agression, y com-pris par des moyens militaires, alors que le Pacte atlantique étaitbeaucoup plus vague sur ce point ; durée de cinquante ans alorsque l’Alliance atlantique pouvait être dénoncée après vingt ans.D’autre part, le maintien du Pacte de Bruxelles et de ses états-majors permettrait à la France de mieux défendre sa conceptiond’une défense de l’Europe occidentale aussi loin à l’est du Rhinque possible, contre les tendances anglaises et américaines à secontenter d’une stratégie périphérique, prévoyant dans un premiertemps l’évacuation de l’Europe occidentale continentale et sareconquête dans un deuxième temps seulement.64 Enfin, les diri-geants français de l’époque souhaitaient aussi maintenir une per-sonnalité européenne au sein de l’Alliance afin de pas donner àl’URSS l’impression que se formait contre elle un bloc rigide etde ménager certaines possibilités de médiation, le cas échéant,entre elle et les Etats-Unis.65 Ceci dit, d’autres responsables fran-çais, comme Georges Bidault, président du Conseil, le généralJuin, chef d’état-major de la Défense nationale, étaient hostiles aumaintien du Pacte de Bruxelles et souhaitaient au contraire garan-tir l’influence française sur les affaires stratégiques atlantiques parun rapport privilégié et bilatéral avec Washington. C’étaient deuxconceptions différentes de l’intérêt français et du rôle de la Francedans le monde, plus européenne pour les uns, plus atlantiste pourles autres.66

Un autre souci essentiel des Français dès la négociation du Pacteatlantique était d’être pleinement associés à ce que l’on appelaitla « stratégie mondiale » de l’Alliance. Dès 1948 Paris avaitdemandé, en vain, que des officiers français fussent associés auCombined Chiefs of Staff anglo-américain, remontant à laDeuxième Guerre mondiale. Dès janvier 1949 les Français récla-maient, dans le cadre de l’Alliance atlantique, la création d’unorgane stratégique anglo-américano-français, installé à Washing-ton.67 Lors de son séjour à Washington pour la signature du Pacteen avril 1949, Robert Schuman obtenait l’accord de principe deDean Acheson pour l’établissement d’un tel état-major tripartite à

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Washington : ce fut l’origine du Groupe permanent (StandingGroup), formellement établi en septembre 1949.68 Il s’agissait làpour Paris d’une affaire essentielle : un éventuel conflit avecl’URSS serait en effet mondial, et la France ne pourrait pas éta-blir son système de défense si elle n’était pas à même de partici-per aux décisions à ce niveau ; il fallait en particulier pouvoirparticiper aux décisions anglo-américaines concernant la stratégiemondiale et les théâtres du Moyen-Orient et du Pacifique, afin des’assurer que le théâtre européen ne serait pas négligé par lesAnglo-Saxons, toujours prêts à revenir à une stratégie périphé-rique. D’autre part et bien entendu, il était essentiel de ne pas lais-ser les Américains et les Anglais en tête-à-tête, dirigeant entre euxl’alliance occidentale : l’égalité de statut avec la Grande-Bretagnesera toujours dans les affaires du Pacte atlantique une préoccupa-tion fondamentale de Paris, on ne saurait trop insister sur cepoint.69 Enfin bien sûr, la France de 1949 conservait en Asie etau Moyen-Orient des intérêts considérables, qui à eux seuls jus-tifiaient une coordination stratégique étroite avec Londres etWashington, au-delà des arrière-pensées que je viens de souli-gner.70

Répétons enfin que les responsables français souhaitaient limi-ter les conséquences de la guerre froide et préserver les possibi-lités d’une négociation avec l’URSS. Par exemple, le 19 avril 1949Vincent Auriol et Robert Schuman, ministre des Affaires étran-gères depuis juillet 1949, tombaient d’accord pour souhaiter laréunion d’une conférence Est-Ouest pour tenter d’aplanir les dif-ficultés (ce serait d’ailleurs la conférence dite du Palais Rose enjuin).71 Outre des considérations de politique intérieure, et ausside prudence en règle générale tant que l’engagement militaireeffectif des Etats-Unis resterait limité, cette orientation corres-pondait au souci de préserver une possibilité de négociation avecMoscou, en particulier afin de contrôler l’évolution de la questionallemande, dans le cadre du « quadripartisme » issu des accordsde Potsdam que l’on ne souhaitait pas à Paris voir abolir totale-ment.72

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Conclusion

On a donc vu l’élaboration difficile mais décisive de la poli-tique française de sécurité en 1945-1949, et le passage progressifde la perception de la menace allemande à celle de la menacesoviétique. On a vu se dégager chez les responsables deux grandestendances, l’une plus atlantiste, qui recherche l’efficacité straté-gique et aussi la garantie des intérêts mondiaux de la France dansle rapprochement intime avec Washington. L’autre plus euro-péenne, qui veut, dans un cadre européen certes allié aux Etats-Unis, garder la possibilité de défendre une stratégie plus conformeaux intérêts européens que la stratégie périphérique qui, jusqu’àla guerre de Corée en fait, marque les orientations américaines.D’autre part, beaucoup d’hommes politiques et de diplomates(sans doute une majorité) et quelques militaires pensent qu’uneorganisation de sécurité occidentale montée sur deux piliers, amé-ricain et européen, serait moins provocante pour Moscou qu’unealliance atlantique tout entière dirigée de Washington et ménage-rait les chances d’une reprise du dialogue Est-Ouest.

Les deux tendances ne disparaîtront pas tout au long de la IVe

République. Mais au moment même où ils signent le Pacte atlan-tique, les responsables français, malgré leurs divergences sur biendes points, et en particulier sur le problème de la survie des orga-nismes militaires du Pacte de Bruxelles, paraissent néanmoinsd’accord sur quelques grandes orientations de sécurité : la volontéde voir les Américains s’impliquer plus directement sur le planmilitaire en Europe ; le refus de la stratégie périphérique ; le soucide voir la France recevoir une part convenable dans la future orga-nisation du Traité de l’Atlantique-Nord et dans l’aide militaireaméricaine, et en particulier de la voir pleinement associée à ladéfinition de la stratégie mondiale de l’Alliance ; l’égalité de sta-tut dans l’Alliance avec la Grande-Bretagne, dont les relations pri-vilégiées avec Washington sont jalousées ; le souci d’une grandeprudence à l’égard de l’URSS, ne serait-ce que parce qu’il faudrabien un jour parler avec elle de l’Allemagne. Ces orientationsfixées dès le départ marqueront toute la politique de la IVe Répu-blique face à l’Alliance atlantique, et leur écho, certes dans uncontexte différent, sera d’ailleurs parfois encore sensible après1958.

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NOTES

1 Pour le contexte général de la politique extérieure française en 1945-1949,consulter GERBET (Pierre), Le Relèvement 1944-1949, Paris, Imprimerie natio-nale, 1991 ; et SOUTOU (Georges-Henri), « France » in : REYNOLDS (David)(Dir.), The Origins of the Cold War in Europe, Yale University Press, 1994.

2 SOUTOU (Georges-Henri), « Les Dirigeants français et l’entrée en guerrefroide : un processus de décision hésitant (1944-1950) » in : Le Trimestre du Monde,3e trimestre 1993.

3 MASSIGLI (René), Une Comédie des erreurs 1943-1956, Paris, Plon, 1978,pp. 37 ss.

4 SOUTOU (Georges-Henri), « Frankreich und die Deutschlandfrage 1943 bis1945 » in : VOLKMANN (Hans-Erich) (Ed.), Ende des Dritten Reiches – Endedes Zweiten Weltkrieges, Munich, Piper, 1995.

5 Sur ce point, cf. une note du Quai d’Orsay d’avril 1945 sur l’ONU approu-vée par de Gaulle, très éclairante, GAULLE (Charles de), Lettres, Notes et Car -nets, Juin 1943-Mai 1945, Paris, Plon, 1983, p. 420.

6 Cf. SOUTOU (Georges-Henri), « Le Général de Gaulle et l’URSS, 1943-1945 :idéologie ou équilibre européen » in : Revue d’Histoire diplomatique, 1994/4 ; ibi -dem, « Frankreich und die Deutschlandfrage 1943 bis 1945 », op. cit.

7 Note du 31 août 1945 sur les conversations de Washington, ministère desAffaires étrangères, Papiers Massigli, vol. 59.

8 Voir ministère des Affaires étrangères, Papiers Burin des Roziers, cartons 21,14 et 16.

9 Papiers Burin des Roziers, carton 12.10 MAE, Papiers Massigli, vol. 59.11 GAULLE (Charles de), Mémoires de Guerre, t. III, Le Salut 1944-1946, Paris,

Plon, 1959, p. 488.12 Ibid., p. 496.13 GAULLE (Charles de), Lettres, Notes et Carnets, 1945-1951, en particulier

le discours de Baden-Baden du 5 octobre.14 Papiers Burin des Roziers, carton 17.15 BILLOTTE (Pierre), Le Temps des armes, Paris, Plon, 1972, pp. 395 ss, et

note Billotte s. d. dans Papiers Burin des Roziers, carton 5 (la note du 15 sep-tembre n’a pas été retrouvée).

16 De Gaulle et la nation face aux problèmes de défense 1945-1946, Paris, Plon,1983, pp. 117-118.

17 SIMIOT (Bernard), De Lattre, Paris, Flammarion, 1953, pp. 249-251.18 SHAT, Fonds Ely, carton 6, dossier 2.19 BILLOTTE (Pierre), op. cit., pp. 423-437.20 SOUTOU (Georges-Henri), « La Politique française à l’égard de la Rhénanie

1944-1947 » in : HÜTTENBERGER (Peter) et MOLITOR (Hansgeorg), Franzo -sen und Deutsche am Rhein 1789-1918-1945, Essen, Klartext, 1989.

21 Lettre de Chauvel à Massigli du 24 juillet 1946, MAE, Papiers Massigli, vol.94.

22 SOUTOU (Georges-Henri), « Georges Bidault et la construction européenne1944-1954 » in : BERSTEIN (Serge), MAYEUR (Jean-Marie), MILZA (Pierre)(Eds.), Le MRP et la construction européenne, Bruxelles, Complexe, 1993.

23 Papiers Duff Cooper, Churchill College, Cambridge.

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24 SOUTOU (Georges-Henri), « Georges Bidault et la construction européenne1944-1954... », art. cit.

25 Journal du septennat, 1947, op. cit., p. 253.26 SHAT, Fonds Ely, carton 6, dossier 2.27 Cf. SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains, 1946-1949.

L’Alliance avant l’Alliance » in : Jean de Lattre et les Américains, colloque des26 et 27 mars 1994, Commission d’Histoire de l’Association « Rhin et Danube »et Centre d’Histoire nord-américaine de l’Université de Paris I, [1995].

28 HUMPHREY (Bruce), « The Plan to defeat the USSR » in : Strategy and Tac -tics, mai-juin 1984. Sur la stratégie américaine entre 1945 et 1949, cf. égalementKRIEGER (Wolfgang), « American Security Policy in Europe Before NATO » in: HELLER (Francis H.) et GILLINGHAM (John R.), NATO : The Founding ofThe Atlantic Alliance and the Integration of Europe, Londres, Macmillan, 1992.

29 SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains... », art. cité.30 Aide-mémoire de Billotte du 29 décembre 1947, AN, Papiers Bidault, 457

AP 25.31 SOUTOU (Georges-Henri), « Georges Bidault et la construction européenne,

1944-1954 », art. cité ; Journal du septennat, 1948, 2 octobre et 15 octobre.32 Cf. MELANDRI (Pierre), L’Alliance atlantique, Paris, Julliard, 1979, pp. 45

ss. ; SOUTOU (Georges-Henri), « Georges Bidault et la construction européenne1944-1954 », art. cité.

33 KNIPPING (Franz), « Que faire de l’Allemagne ? Die französische Deut-schlandpolitik 1945-1950 » in : KNIPPING (Franz) et WEISENFELD (Ernst)(Eds.), Eine ungewöhnliche Geschichte. Deutschland-Frankreich seit 1870, Bonn,EUV, 1988.

34 Cf. en particulier les lettres de Chauvel du 18 mars 1948, du 15 avril, et lesannotations et les réponses de Bonnet, MAE, Papiers Bonnet, vol. 1.

35 KRIEGER (Wolfgang), General Lucius D. Clay und die amerikanische Deut -schlandpolitik 1945-1949, Stuttgart, Klett-Cotta, 1987, pp. 353 ss.

36 MAE, Secrétariat général, dossier n° 1.37 Notes des 4 et 10 mai 1948, note de Couve de Murville du 17 mai pour

Bidault, MAE, Secrétariat général, dossier n° 1.38 Téls. de Bonnet des 25 mars, 6 avril, 30 avril et 16 mai 1948, 457 AP 24.39 SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains », art. cité.40 LATTRE (Maréchal Jean de), Ne pas subir, Paris, Plon, 1984, pp. 387-389.41 BUFFET (Cyril), Mourir pour Berlin, Paris, Armand Colin, 1991.42 AN, 457 AP 24.43 MAE, Papiers Bonnet, vol. 1, correspondance avec Chauvel, passim.44 SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains... », art. cité.45 Ibid.46 KRIEGER (Wolfgang), op. cit., pp. 384 ss. ; et BUFFET (Cyril), op. cit.,

pp. 189 ss.47 La Naissance d’un continent nouveau, Lausanne, Fondation Jean Monnet pour

l’Europe, 1990, pp. 164 ss.48 Journal du septennat, 1948, 4 octobre, p. 460.49 Ibid., p. 495.50 GUILLEN (Pierre), « La France et la question de la défense de l’Europe occi-

dentale, du Pacte de Bruxelles (mars 1948) au plan Pleven (octobre 1950) » in :Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains,n° 144, octobre 1986.

51 Journal du septennat, 1948, p. 484.

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52 LATTRE (Jean de), Ne pas subir, pp. 429 ss.53 FREEDMAN (Lawrence), The Evolution of Nuclear Strategy, Londres, Mac-

millan, 1981, pp. 53-54.54 SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains... », art. cité.55 Sur la stratégie de Montgomery, malgré tout plus complexe peut-être que ce

que percevaient les Français, cf. VARSORI (Antonio), Il Patto di Bruxelles (1948) :tra integrazione europea e alleanza atlantica, Rome, Bonacci, 1988, pp. 212-243.Citons également une lettre de Massigli à Chauvel du 12 janvier 1949, qui semblemontrer que Montgomery lui-même était assez disposé à prévoir une défense surle Rhin, et que les réticences provenaient plutôt du gouvernement britannique(MAE, Papiers Massigli, vol. 94).

56 Journal du septennat, 1949, p. 42. Voir également le 28 janvier, p. 71.57 BERSTEIN (Serge) (Ed.), Paul Ramadier. La République et le socialisme,

Bruxelles, Complexe, 1990.58 Note Chauvel, très secret, Papiers Bidault, AN 457 AP 24. Cf. également la

correspondance Chauvel-Bonnet en janvier 1949, papiers Bonnet, vol. 1. Les res-ponsables français comprennent parfaitement que vis-à-vis de l’opinion américaineWashington doit mettre d’abord l’accent sur les aspects politiques du Pacte. L’as-pect militaire suivra.

59 Cf. toujours la correspondance Chauvel-Bonnet.60 Note du secrétariat général du ministère des Affaires étrangères du 19 jan-

vier 1949, MAE, Service des Pactes.61 Ibid.62 DU REAU (Elisabeth), « Paul Ramadier et les prémisses du Pacte atlantique »

in : BERSTEIN (Serge) (Ed.), Paul Ramadier. La République et le socialisme,Bruxelles, Complexe, 1990 ; SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Amé-ricains... », art. cité.

63 Lettre de Ramadier, ministre de la Défense nationale, à Robert Schuman,ministre des Affaires étrangères, le 4 septembre 1949, MAE, Service des Pactes.

64 Note du Quai d’Orsay pour Ramadier du 26 septembre 1949, note du minis-tère de la Défense nationale du 27 octobre, MAE, Service des Pactes.

65 SOUTOU (Georges-Henri), « De Lattre et les Américains... », art. cité.66 SOUTOU (Georges-Henri), « Georges Bidault et la construction euro-

péenne... », art. cité. En outre, certains reprochaient au Pacte de Bruxelles de fairela part trop belle à la Grande-Bretagne et souhaitaient « parler directement auxAméricains sans avoir à passer par les Anglais » (STEHLIN (Paul), Retour à zéro,l’Europe et sa défense dans le compte à rebours, Paris, 1968, p. 58).

67 Note du secrétariat général pour le ministre du 19 janvier 1949, MAE, Ser-vice des Pactes.

68 Note pour le secrétaire général (approuvée par Robert Schuman) du 26 avril1949, MAE, Service des Pactes.

69 Ibid., et note de la Défense nationale du 23 septembre 1949, MAE, Servicedes Pactes.

70 Notes du secrétariat général des 17 février et 27 juillet 1949, MAE, Servicedes Pactes.

71 Cf. POIDEVIN (Raymond), Robert Schuman homme d’Etat, Paris, Imprime-rie nationale, 1985, pp. 304-305.

72 Sur cette question, en attendant la thèse de ROUCHE-MAELSTAF (Gene-viève), La France et le statut international de l’Allemagne, 1945-1955, qui pro-met d’être capitale, cf. son article : « Le Quai d’Orsay face au problème de la

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souveraineté allemande. La conjonction des Accords de Bonn et de Paris des 26et 27 mai 1952 » in : Revue d’Histoire diplomatique, 1990/1-2.

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