scØnes de russie prokofiev stravinsky on stage 2... · 2019-02-26 · 3 5 7 9 1 1 13 15 j e a n s...

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3 5 7 9 11 13 15 Jean Saulnier Yegor Dyachkov CHOUT (The Tale of the Buffoon) Prokofiev ballet based on an old Russian folktale CHOUT ou Le Conte du bouffon Ballet de Prokofiev d’après un vieux conte russe 17 19 4 6 8 10 12 14 16 18 One day, a Buffoon says to his wife (track 7), “Seven fools will soon pay us a visit. When they arrive, I will order you to set the table, and you will refuse in such a way that in a feigned outburst of anger, I will ap-pear to kill you. While you are lying on the floor, pretending to be dead, I will take out my whip and continue to beat you. After two lashes, you will pretend to gradually come back to life. After the third, you will rise up and go to set the table. In this way, we will fetch a good price for the whip.” No sooner is said than done (track 9), and so the whip is sold for 300 rubles. Upon their return home, the seven fools kill their wives and try unsuccessfully to revive them using the whip. In a rage, they return to the Buffoon’s house, but he hides his wife, dresses in woman’s clothing, and sits at the spin-- ning wheel, pretending to be his own sis-- ter. The fools search the house high and low and, finding nothing, carry off the “sister” as a hostage. “She shall be our cook,” they say, “until the Buffoon is found.” Now the seven fools have seven daughters of marrying age. Two matchmakers come to call with a rich merchant in tow. The seven daughters dance for him (track 11), but in the end he chooses the “cook”! In the bridal chamber on the evening of the wedding, the new “bride” finds “herself” in a delicate situation, to say the least. She says to her husband, “Oh Dear! I do not feel well at all,” and implores him to lower her down from the window on the end of a bed sheet to take some fresh air. “You can pull me back up when I give the signal.” Full of concern, the husband agrees and in his wife’s absence dreams about what awaits him (track 8). But when he hauls the sheet back up, he finds not his wife, but a goat. “Help! Someone has turned my wife into a goat,” he cries desperately to his servants. They grab hold of the goat and begin to shake it to break the spell—so violently, in fact, that the poor beast dies. Disconsolate, the merchant prepares to bury his “wife” (track 10). Suddenly, the seven fools arrive and exclaim: “It’s your own fault for choosing our cook!” Then along comes the Buffoon accompanied by seven soldiers. “What have you done? Where is my sister?” he cries to the merchant. The dead goat is brought to him, and in a feigned rage, he seizes the merchant by the beard and exclaims, “You take away my sister and bring me a dead goat? I should have you locked up for this!” To avoid prison, the merchant pays the Buffoon 300 rubles. And so all is well that ends well: the Buffoon and his wife double their profit on the whip, and the seven fools find seven sturdy soldiers to marry their daughters. Yegor Dyachkov violoncelle • cello Jean Saulnier piano SCÈNES de russie ProkoFiev Stravinsky On Stage & Sergeï Prokofiev (1891-1953) CENDRILLON • CINDERELLA Extraits du ballet • Excerpts from the ballet 1 Adagio (transcription S. Prokofiev) 4:59 2 Valse-Coda • Waltz-Coda (transc. M. Rostropovich) 3:02 ROMÉO ET JULIETTE • ROMEO AND JULIET Extraits du ballet • Excerpts from the ballet 3 Mort de Tybalt • Death of Tybalt (transc. J. Saulnier) 4:03 4 Les adieux de Roméo et Juliette • Romeo Bids Juliet Farewell (transc. J. Saulnier) 8:08 5 Danse des Antillaises • Dance of the Antilles Girls (transc. A. Vlasov) 2:47 L’AMOUR DES TROIS ORANGES • LOVE FOR THREE ORANGES Extrait de l'opéra • Excerpt from the opera 6 Marche • March (transc. M. Rostropovich) 1:37 CHOUT (Le conte du bouffon • The Tale of the Buffoon) Suite tirée du ballet • Suite from the ballet (transc. R. Sapojnikov) 7 Le bouffon explique son plan à la bouffonne • The Buffoon Explains his Plan to his Wife 1:47 8 Le rêve du marchand • The Merchant’s Dream 1:30 9 La bouffonne • The Buffoon’s Wife 0:55 10 Le marchand est inconsolable • The Merchant is Disconsolate 1:43 11 La danse des filles des bouffons • Dance of the Fools’ Daughters 1:01 12 BALLADE Op.15 11:23 Igor Stravinsky (1882-1971) MAVRA Extrait de l'opéra • Excerpt from the opera 13 Chanson russe • Russian Song (transc. D. Markevitch • I. Stravinsky) 4:00 SUITE ITALIENNE Suite tirée du ballet Pulcinella • Suite from the ballet Pulcinella 14 Introduzione 1:54 15 Serenata 3:10 16 Aria 5:36 17 Tarantella 2:18 18 Minuetto e Finale 4:38 Total 66:14 Yegor Dyachkov violoncelliste Proclamé Artiste de l'année par la Société Radio-Canada et le Toronto Wo-- men's Musical Club et récipiendaire du Young Canadian Musician Award en 2000, Yegor Dyachkov mène une carrière riche et variée. Récitaliste inspiré, cham-- briste convaincu et soliste réputé, il se produit en Europe, en Asie, en Amérique latine, au Canada et aux États-Unis. Il est l'invité de grands orchestres tels l'Orches-- tre symphonique de Montréal, le Toronto symphony Orchestra, l'Orchestre royal philharmonique de Flandre, le CBC Van-- couver Orchestra, I Musici de Montréal, le Nouvel Ensemble Moderne et l'Orches-- tre de Chambre de Genève. Il participe aussi à de nombreux festivals interna-- tionaux, dont ceux d'Évian, Kronberg, Tanglewood, Ottawa, Lanau- dière et Vancouver. Ce parcours artistique engendre de préci-- euses collaborations avec des ensem-- bles et interprètes marquants. La musi-- que de chambre demeurant au centre de ses intérêts, Yegor Dyachkov s'associe volontiers aux quatuors Arditti, Arthur- Leblanc, Borromeo et St. Law- rence, aux pianistes Jean Saulnier, Stéphane Lemelin, Lois Shapiro et Anton Kuerti, aux violonistes James Clark, Antje Weithaas, Scott St. John et Yehonatan Berick, au violoncelliste Steven Isserlis et aux clarinettistes James Campbell, Todd Palmer et André Moisan. Yegor Dyachkov accorde une place de choix à la création musicale d'aujour-- d'hui. Il crée plusieurs œuvres qui lui sont dédiées : la Sonate de Jacques Hétu, Ironman pour violoncelle et orches-- tre de Michael Oesterle, Vez pour violon-- celle seul d’Ana Sokolovic, ainsi que Menuhin : Présence, un concerto écrit pour lui par le regretté André Prévost. Il assure les premières française et canadienne de Diplipito pour violoncelle, haute-contre et orchestre de Giya Kancheli. Yo-Yo Ma et Sony Music l'invi-- tent en outre à participer au « Silk Road Project ». Né à Moscou en 1974, Yegor Dyachkov étudie avec Aleksandr Fedorchenko au Conservatoire Tchaïkovski et Yuli Turovsky à l'Université de Montréal. De 1995 à 1998, il est l'un des deux élèves de Boris Pergamenschikov, à la Hoch-- schule de Cologne. Même s'il privilégie le concert, les enregistrements lui permet-- tent d'élargir ses frontières. Grâce à l'obtention du premier prix au Concours international d'Orford en 1997, il réalise son premier disque compact en gravant le Concerto Ballata de Glazounov. D'autres disques, tous accueillis avec élo- ges par la critique, sont consacrés aux sonates de Brahms, au Concerto pour violoncelle de Dvorak, aux sonates de Chostakovitch, Schnittke et Prokofiev (Prix Opus 2001), aux sonates de Strauss et Pfitzner ainsi qu’aux œuvres de Jacques Hétu et André Prévost. De plus, ses prestations sont régulièrement radio et télédiffusées au Canada et ailleurs dans le monde. Il est essentiel pour Yegor Dyachkov de maintenir ses activités de pédagogue et d’entretenir un dialogue avec les jeunes musiciens. Il donne régulièrement des clas- ses de maître et enseigne à l'École de musique Schulich de l’Université McGill ainsi qu’à l’Académie du Domaine Forget. Jean Saulnier pianiste Jean Saulnier mène une active carrière de soliste, chambriste et pédagogue. Au fil des ans, il a acquis une vaste expé-- rience du répertoire solo et de musique de chambre. Son aisance, sa souplesse et sa qualité d’écoute en font un partenaire recherché. Il a collaboré entre autres avec Barry Tuckwell, James Campbell, Robert Langevin, Emmanuel Pahud, Moshe Hammer, Theodore Baskin, Charles Neidich, les quatuors St. Lawrence, Alcan et Arthur-Leblanc. Il se produit régulièrement avec le violoncelliste Yegor Dyachkov. Leur pre-- mier disque, comprenant les sonates de Prokofiev, Schnittke et Chostakovitch, a été déclaré meilleur disque canadien de l’année par le magazine torontois Opus et s’est aussi mérité un prix Opus du Conseil québécois de la musique en 2001. Deux autres enregistrements, le premier, consacré aux sonates de Brahms, le second, à celles d’André Prévost et de Jacques Hétu, ont égale-- ment reçu un accueil enthousiaste de la critique. La discographie de Jean Saulnier comprend également les Sona-- tes pour clarinette et piano de Brahms et de Jenner, ainsi qu’un récital Chopin réalisé sur un piano Pleyel de 1848 dont l’originalité et le raffinement ont retenu l’attention. Jean Saulnier a remporté de nombreux prix dans des concours nationaux et internationaux dont les prestigieux con-- cours Prix d’Europe, William Kapell et Leschetizsky. Il se produit au Canada, aux États-Unis et en Europe et a été l'invité de plusieurs orchestres dont l'Orchestre symphonique de Montréal, l'Orchestre symphonique de Québec, l'Orchestre Métropolitain, le Rochester Philharmonic, et l'ensemble I Musici de Montréal. On peut également l’entendre dans les plus importants festivals de musique au pays ainsi qu’à la radio de la Société Radio-Canada. Jean Saulnier a étudié avec Marc Durand, Leon Fleisher et André Laplante. Son doctorat de l'Université de Montréal lui a valu la médaille d’or académique du Gouverneur général. Il est aujourd'hui professeur agrégé et responsable du secteur piano à la faculté de musique de l’Université de Montréal. Il enseigne éga-- lement au Centre d'arts Orford pendant l'été et est invité à donner des classes de maître dans différentes institutions d’enseignement. Un violoncelle sous influence Chants et danses au temps de la Révolution russe PROKOFIEV ET STRAVINSKI Le duo Saulnier-Dyachkov propose ici un programme Prokofiev-Stravinski essen-- tiellement constitué de séduisants chants et danses tirés de leurs ballets et opéras qui, par leur caractère intemporel, « inac-- tuel » aurait dit un certain Nietzsche, ont su traverser une époque de grande turbu-- lence tant sur le plan esthétique que sociopolitique, une époque où les guerres idéologiques faisaient rage, une époque sous influence. Igor Stravinski (1882-1971) et Sergeï Prokofiev (1891-1953) demeurent sans conteste les deux figures dominantes de la musique russe du début du 20 e siècle. Si le premier est de quelque dix ans l’aîné du second, tous deux firent cependant leurs percées respectives au même moment, en 1910. Encore inconnu alors qu’il approche la trentaine, Stravinski devait connaître cette année-là une gloire instantanée avec L’Oiseau de feu, partition écrite pour une chorégraphie à partir d’une idée originale du directeur des tout nouveaux Ballets Russes, Sergeï Diaghilev, qui voulait faire de cette figure légendaire du folklore de son pays l’emblème du renouveau résolument moderne qu’il en-- tendait insuffler à la danse. Le soir de la première à Paris, Debussy, Ravel, de Falla, Satie et plusieurs autres sont dans la salle. À la tombée de rideau, on se rue sur le compositeur pour le féliciter chaude- ment. Avec Petrouchka en 1911, et surtout Le Sacre du printemps qui, en donnant au rythme préséance sur la mélodie, fit scandale en 1913, Stravinski devait rapidement s’imposer comme l’un des phares de la musique d’avant-garde. Au même moment, en Russie, alors qu’il franchit tout juste la vingtaine, l’enfant prodige qu’avait été Prokofiev comme pianiste, stupéfie lui aussi comme com-- positeur. Dans Suggestion diabolique (1910) et ses deux premiers concertos pour piano (1912 et 1913), œuvres aux rythmes et harmonies exacerbés, il affiche un anti-romantisme sans compro-- mis. Composée en 1912, la Ballade pour violoncelle et piano op.15 semble, de ce point de vue, quelque peu paradoxale. Le thème qui ouvre et conclut l’œuvre, lui donnant ainsi une forme en arche ABA’ des plus classique, est élégiaque et romantique à souhait. Mais ce n’est que pour mieux faire ressortir la modernité de la section centrale, fusionnant de manière originale l’expressionnisme d’un Scriabine et l’impressionnisme d’un Debussy. 1910, c’est cinq ans après la tragique mutinerie du Cuirassé Potemkine (1905) dont Eisenstein, en la portant à l’écran en 1925, allait faire l’emblème de la Révolu-- tion russe qui finit par éclater en 1917. Mais dès 1907, au lendemain de cette mutinerie brutalement réprimée par les soldats du Tsar, le poète Alexander Blok, leader de la communauté artistique et intellectuelle russe de l’époque, écri- vait : « Dans nos cœurs, l’aiguille du sismo-- graphe a bougé. Une implacable impres-- sion de catastrophe pèse sur les esprits. » Dans les milieux artistiques européens, des changements esthétiques radicaux anticipèrent les catastrophes appréhen-- dées : la Première Guerre mondiale et, dans sa foulée, la Révolution russe. Et les premières œuvres de Stravinski et Prokofiev s’inscrivent d’emblée dans ce bouillonnement intempestif. Au lendemain de ces catastrophes cependant, les deux compositeurs senti-- rent, chacun à leur manière, le besoin de revenir à des sources plus sereines de leur art, aux chants et danses de la Russie ancestrale, mais aussi au 18 e siècle qui vit se succéder le haut baroque et le classicisme. Et tous deux, mainte-- nant reconnus à travers le monde comme les plus importants compositeurs russes de leur temps, prirent aussi le chemin de l’exil. La vie de tournée entraîne d’abord au Japon et aux États-Unis le virtuose du piano qu’était demeuré le Prokofiev adul-- te, défenseur de ses propres œuvres, alors que Stravinski, après quelques mois en Suisse, s’installe en France qui avait été la première à reconnaître son génie. C’est aux États-Unis qu’en 1919, Prokofiev termine son plus célèbre opéra, L’Amour des trois oranges, d’après la comédie de Gozzi, dramaturge italien du 18 e siècle. Tout réalisme et psychologie y est banni au profit d’une stylisation des personnages renouant avec la commedia dell’arte, dont Gozzi incarne le chant du cygne. Prokofiev voulait ainsi rompre avec le « théâtre bourgeois », en propo- sant un spectacle plus proche du cinéma nais-- sant, tout en énergie, rythme et vitesse, comme dans les films de Chaplin, où le petit peuple triomphait par le rire. Ainsi, dans cette partition tout feu tout flamme, ce ne sont pas les airs qui retiennent l’at-- tention, mais les « danses », « cortèges » et, bien sûr, la fameuse « Marche » qui a rendu l’opéra célèbre et dont le grand virtuose Rostropovich a fait une brillante transcription pour violon- celle et piano. Dans les années 1920, Prokofiev rejoint Stravinski à Paris et compose à son tour trois ballets pour Diaghilev dont Chout ou Le Conte du bouffon. Ce ballet, tout aussi clown-esque que l’opéra précédent, est inspiré d’un des contes populaires russes d’Afanassiev, qui a joué un rôle immense dans la folklorique russe. Stravinski puisa plus d'une fois dans ces trésors pour L’Histoire du soldat, Renard et L’Oiseau de feu et c'est lui qui les fit connaître à Prokofiev. Ce dernier fut emballé par le loufoque très particulier de Chout, dont on peut lire en encadré un résumé. Roman Sapojnikov, un autre virtuose du violoncelle, a tiré du ballet une suite complète pour son instrument. Un jour, un Bouffon dit à sa femme (plage 7) : « Sept bouf- fons vont bientôt venir nous voir. Lorsqu’ils seront là je vais t’ordonner de mettre la table et tu refuseras de sorte que dans un feint accès de colère je fasse semblant de te tuer. Lorsque tu seras étendue sur le sol simulant la mort, je prendrai mon fouet et continuerai à te battre. Aux deux premier coups, tu feras semblant de revenir peu à peu à la vie. Au troisième, tu te lèveras et iras mettre la table. Nous devrions ainsi être en mesure d’obtenir un bon prix pour la vente du fouet. » Ainsi fut dit, ainsi fut fait…(plage 9) Et le fouet fut vendu pour 300 roubles. De retour chez eux, les sept bouffons tuent leurs femmes et essaient sans succès de les ressusciter à l’aide du fouet. En colère, ils retour-- nent chez leur confrère, mais le bouffon cache sa femme, se travestit et se fait passer pour sa propre sœur en s’installant au rou- et. Les autres fouillent la maison de fond en comble et, en désespoir de cause, prennent la « sœur » en otage. « Qu’elle soit notre cuisinière, se disent-ils, en attendant que le Bouffon ne soit retrouvé. » Mais les sept bouffons avaient sept filles en âge de se marier. Deux entremetteuses amènent un riche marchand qui « inspecte la marchandise » alors que les sept filles dan- sent pour lui (plage 11). Mais il choisit finalement… la « cui-- sinière » ! Le soir des noces, dans la chambre nuptiale, la nouvelle mariée se trouve en situation plutôt délicate. Elle implore son mari : « Oh ! Chéri, je ne me sens vraiment pas très bien. Voudrais-tu me faire descendre par la fenêtre au bout d’un drap, que je puisse prendre l’air frais ? Tu me remonteras lorsque je te ferai signe. » Plein de sollicitude, le mari s’exécute et en son absence, rêve agréablement à ce qui l’attend (plage 8). Mais lorsqu’il la remonte, il trouve au bout du drap… une chèvre ! « Au secours ! Ma femme a été changée en chèvre » bêle-t-il désespéré en appelant ses serviteurs à l’aide. Ils se saisissent d’elle et pour briser le sortilège, la secouent tant, que la pauvre bête en meurt. Inconsolable, le marchand s’apprête à faire inhumer sa « femme » (plage 10). Les sept bouffons surgissent et lui crient : « C’est ta faute ! Tu n’avais qu’à ne pas choisir la cuisinière ! » Mais survient alors le Bouffon accompagné de sept soldats : « Qu’as-tu fait, téméraire ! Où est ma sœur ? », crie-t-il à son tour au marchand. On lui apporte alors la chèvre morte. Dans une fausse colère, il attrape le marchand par la barbe : « Tu enlèves ma sœur et me rends une chèvre morte ? Je devrais te faire enfermer pour cela ! » Pour éviter la prison, le marchand lui paie 300 roubles. Ainsi, tout est bien qui finit bien et plus que doublement bien : car, si le Bouffon et sa femme virent leur profit doubler, les sept bouffons trouvèrent pour leurs filles à marier… sept beaux soldats ! Mais, séduit par les promesses d’un avenir meilleur pour l’Homme que faisait miroiter la nouvelle Union des républi-- ques socialistes soviétiques (URSS), Prokofiev devait finalement rentrer au pays en 1932, pour mettre son art au service du peuple. Malgré les tracas d’une bureaucratie suspicieuse, il parvint à y conserver l’originalité de sa voix, car elle rejoignait les diktats de l’esthétique nationale, ce que l’on appelait le « réalis-- me soviétique ». De ces dernières décen-- nies datent ses deux plus célèbres ballets, Roméo et Juliette (1935) et Cendrillon (1944). De Roméo et Juliette, le duo Saulnier- Dyachkov présente ici trois tableaux dont les deux premiers dans une transcription du pianiste. Jean Saulnier nous explique sa démarche: «Prokofiev, avec son sens exceptionnel de la caractérisation, a créé dans son ballet Roméo et Juliette une musique tellement belle et au charme si immédiat qu’on peut l’écouter avec satisfaction, indépendam- ment de toute référence à l’intrigue. Il en a tiré trois suites pour orchestre et une suite pour piano, dans lesquelles il ne se sent pas l’obligation d’observer de façon stricte la structure dramatique du ballet. Dans le même esprit, des chefs d’orchestre ont imaginé différents agencements à partir des suites et du ballet. L’agencement proposé par Michael Tilson Thomas notamment, dans sa merveilleuse interpré- tation avec le San Francisco Symphony, m’a paru très convaincant. Son approche se distingue par son souffle dramatique et m’a donné envie de tenter quelque chose dans la même perspective. Pour la présente transcription, j’ai retenu La mort de Tybalt, qui conclut la première suite, et Les adieux de Roméo et Juliette, qui constitue le cœur de la seconde suite. Les Adieux sont à notre répertoire depuis plusieurs années. Nous avons voulu jouer ce tableau au départ, autant pour ses extraordinaires mélodies qui n’atten-- daient que le violoncelle, que pour la richesse de son contenu psychologique. Ce tableau représente presque un arché-- type du cycle de la naissance, de la crois-- sance et de la mort. À l’aurore, dans la chambre de Juliette, les amoureux font leur dernier pas de deux au réveil dans une atmosphère de recueillement et de sérénité. Puis, dans la partie centrale, le chant d’amour est déployé jusqu’au point d’incandescence avec, en arrière-plan, un sentiment de fatalité. Finalement, le cré-- puscule, Juliette seule, l’absence, l’éter-- nité. Le motif de Juliette est entendu transfiguré, pratiquement déma- térialisé, au piano. Le temps s’écoule ensuite jusqu’à l’extinction. Ce tableau a une résonance encore plus grande lorsqu’on y parvient après un sommet dramatique, comme c’est le cas dans le ballet. L’angoisse et l’action sans répit de La mort de Tybalt mènent à la sérénité et à la contemplation des Adieux. L’intensité sonore, les cris et la révolte se résolvent dans le silence, le chant, l’acceptation. Dans La mort de Tybalt, le rythme de l’action dramatique est tellement rapide qu’il en devient oppressant. Les duels Mercutio/ Tybalt et Roméo/Tybalt, s’en-- chaînent sans interruption, et nous som-- mes ensui- te précipités sans ménagement dans une marche funèbre dévastatrice. On assiste pratiquement à un duel entre le violon- celle et le piano. L’intention, presque utopique, de rendre le paroxys- me de sono- rité de l’orchestre avec deux instruments seulement ne fait qu’ajouter à la tension dans la conclusion de ce tableau. Comme dans le ballet, les Adieux sont suivis de la Danse des Antillaises, parfois appelée en français « Danse des jeunes filles au lys ». Cette pièce de caractère suggestive et toute en légèreté accompagne la danse des jeunes filles devant Juliette, qui semble morte. » De Cendrillon, Prokofiev tira lui-même l’arrangement pour violoncelle et piano du sommet romantique de l’œuvre, l’« Adagio », un « pas de deux » sur lequel, au bal, Cendrillon et le Prince font enfin plus ample connaissance. Rostropovich devait y ajouter le numéro suivant, la « Valse-Coda » sur laquelle les deux amants dansent jusqu’à l’ivresse, ivres-- se brusquement interrompue par les douze coups de minuit que l’on sait… De son côté, Stravinski devait finir ses jours aux États-Unis où l’avait refoulé en 1939 l’éclatement en Europe de la Seconde Guerre mondiale. Mais dès 1920, il avait commencé à explorer sans complexe des avenues esthétiques les plus diverses, voire totalement oppo-- sées, du pastiche baroque de Pulcinella (1920) à l’expérimentation de la musique atonale et sérielle dans les œuvres reli-- gieuses des années 1950, en passant par différentes formes de néoclassicisme dans les concertos et symphonies des années 1930-40. Le ballet Pulcinella, conçu dans la plus pure tradition des jeux masqués de la commedia dell’arte, est contemporain de Chout. Par l’influence de la commedia dell’arte, de Gozzi et des contes d’Afanassiev, L’Amour des trois oranges, Pulcinella et Chout, s’inscrivent dans une suite logique. Pulcinella consiste en un classique chassé-croisé amoureux plein de rebondissements, de ruse et d’hu-- mour. Le ballet fut composé à la deman-- de de Diaghilev à partir de concerti grossi de Pergolèse. Stravinski en tirera en 1932, en collaboration avec son ami Gregor Piatigorsky, la délicieuse Suite italienne pour violoncelle et piano. Quant à Mavra, il s’agit d’un opéra bouffe qui, en 1922, s’inscrivait aussi dans cette veine du pastiche. En 1938, le compositeur fit une transcription pour violoncelle et piano de l’air embléma-- tique de l’œuvre, une « Chanson russe » que chante en rêvant à l’amour Paracha, la jeune fille qui se trouve au cœur de l’intrigue. © Guy Marchand, 2006 Yegor Dyachkov cellist Proclaimed "Artist of the Year" by the Canadian Broadcasting Corporation (CBC) and the Toronto Women's Musical Club, and winner of the 2000 Young Canadian Musician Award, Yegor Dyachkov is enjoying a rich and multi-faceted career. An inspired recitalist and chamber musi-- cian and respected orchestral soloist, he has performed throughout Europe, Asia, Latin America, Canada and the United States. In addition to a concert schedule including invitations from such noted ensembles as the Orchestre symphoni-- que de Montréal, the Toronto Symphony Orchestra, the Royal Philharmonic Or-- chestra of Flanders, the CBC Vancouver Orchestra, I Musici de Montréal, the Nouvel Ensemble Moderne and the Geneva Chamber Orchestra, he has also performed at a wide array of festivals such as those in Évian, Kronberg, Tanglewood, Ottawa, Lanaudière and Vancouver. These engagements have led to many invaluable partnerships with outstanding ensembles and performers. Deeply com-- mitted to chamber music, Yegor Dyachkov has performed with the Arditti, Arthur- Leblanc, Borromeo and St. Lawrence Quartets, pianists Jean Saulnier, Lois Shapiro, Anton Kuerti and Stéphane Lemelin, violinists Antje Weithaas, Scott St. John and Yehonatan Berick, cellist Steven Isserlis, and clarinetists James Campbell, Todd Palmer and André Moisan. Yegor Dyachkov accords a prominent place to contemporary music in his repertoire. He gave the premiere perform-- ances of several works that are dedicat-- ed to him: the Sonata by Jacques Hétu, Ironman for cello and orchestra by Michael Oesterle, Vez for solo cello by Ana Sokolovic, as well as Menuhin: Présence, a concerto written for him by the late André Prévost. He was the soloist for both the first French and the first Canadian performances of Giya Kancheli's Diplipito for cello, counter- tenor and orchestra. He has also been invited by Yo-Yo Ma and Sony Music to take part in the Silk Road Project. Born in Moscow in 1974, Yegor Dyachkov studied with Aleksandr Fedorchenko at the Tchaikovsky Conservatory, and Yuli Turovsky at the Université de Montréal. From 1995 to 1998, he enjoyed the rare privilege of being one of two people to study under Boris Pergamenschikov at the Hochschule in Cologne. Although he continues to favour live performance, recording is a way to extend his horizons. Winning the Orford International Competition in 1997 led to an invitation to record his debut CD featuring Glazunov's Concerto Ballata. He subsequently made critically acclaim-- ed recordings including sonatas by Brahms, the cello concerto by Dvorak, the sonatas by Shostakovich, Schnittke and Prokofiev, works by Jacques Hétu and André Prévost, as well as sonatas by Strauss and Pfitzner. His performan-- ces have been broadcast and televised in Canada and abroad. The breadth of Yegor Dyachov's musical commitment also extends to teaching master classes and to maintaining a dialogue with young musicians. He teach-- es at the Schulich School of Music at McGill University, and at the Domaine Forget Academy. Jean Saulnier pianist Jean Saulnier leads an active career as a recitalist, chamber musician and teacher. A much sought-after chamber musician, he has collaborated with Barry Tuckwell, James Campbell, Robert Langevin, Emmanuel Pahud, Moshe Hammer, Theodore Baskin, Charles Neidich, Anton Kuerti, Yuli Turovsky, the St. Lawrence, the Alcan and the Arthur-Leblanc String Quartets among others. He plays regular-- ly with cellist Yegor Dyachkov. Their recording of the Shostakovich, Schnittke and Prokofiev Sonatas was honoured by Opus magazine with an award as best Canadian chamber music recording of the year 2001 and was given an Opus prize from the Conseil québecois de la musique for best clas- sical recording. Critics also received their subsequent recordings with much enthusiasm: the first grouping three Brahms Sonatas, the second devoted to works by André Prévost and Jacques Hétu. Jean Saulnier’s discography also includes Brahms and Jenner clarinet and piano sonatas as well as a Chopin recital recorded on an 1848 Pleyel piano which has been praised for its refinement and originality. Jean Saulnier won numerous prizes in national and international competitions, including the prestigious Prix d’Europe, William Kapell International Piano Competition and the Leschetizsky Com-- petition. He has given recitals in Canada, the United States and Europe. He has been guest soloist with orchestras of renown such as the Orchestre symphonique de Montréal, the Orchestre symphonique de Québec, the Orchestre Métropolitain, the Rochester Philharmonic and I Musici de Montréal. He has been heard in major Canadian music festivals and on CBC radio. Jean Saulnier studied with Marc Durand, Leon Fleisher and André Laplante. He holds a doctorate from the Université de Montréal where he is currently Associate Professor and Head of the Piano Department. He also teaches at the Orford Arts Centre during the summer and is regularly invited to give master classes in Canada and abroad. CELLO UNDER THE INFLUENCE Songs and Dances from the Time of the Russian Revolution PROKOFIEV AND STRAVINSKY This disc features the Saulnier- Dyachkov duo in a program of captivating songs and dances from the ballets and operas of Prokofiev and Stravinsky, who-- se timeless character—or as Nietzsche might have put it, “untimely” charac-- ter—allowed them to survive a period of great aesthetic and socio-political uphea-- val and immense ideolo- gical conflict. Igor Stravinsky (1882–1971) and Sergei Prokofiev (1891–1953) were incontes-- tably the two dominant Russian compo-- sers of the early 20 th century. Stravinsky was ten years older than Prokofiev, but both made their breakthroughs at the same time, in 1910. Still an unknown in his late twenties, Stravinsky became an instant star with The Firebird, a score written for a choreo-- graphy based on an original idea by Sergei Diaghilev, director of the brand new Ballets Russes. Diaghilev wanted to transform this figure from his native country’s folklore into a symbol of the un-- flinchingly modern renewal he intended to breathe into dance. Debussy, Ravel, de Falla, Satie and several other composers were in the audience the night of the work’s premiere in Paris. After the curtain fell, they all rushed up to Stravinsky to offer their congratulations. With Petrush-- ka in 1911, and especially The Rite of Spring in 1913—which created a scandal with its precedence of rhythm over melody—Stravinsky quickly became one of the leading lights of avant-garde music. While Stravinsky’s star ascended in Paris, in Russia, Prokofiev, a former child prodigy of the piano and now barely into his twenties, began to amaze audiences as a composer as well. Suggestion diabolique (1910) and his first two piano concertos (1912 and 1913) feature exaggerated rhythmic figures and harmo-- nies, demonstrating an uncompro-mising anti-romanticism. In this context, the Ballade for Cello and Piano, Op.15, composed in 1912, seems somewhat paradoxical. The theme that opens and closes the work—giving it a classic ABA’ ternary form—is as plaintive and roman-- tic as one could wish; yet this merely emphasizes the striking modernism of the middle section, which blends Scriabin- like expressionism with Debussy-like im-- pressionism in a highly original fashion. The year 1910 was just five years after the Potemkin uprising of 1905, upon which Sergei Eisenstein based his silent film The Battleship Potemkin in 1925. The movie transformed that event into a symbol of the Russian Revolution, which finally broke out in 1917. But as early as 1907, not long after the mutiny was brutally put down by the Tsar’s soldiers, the poet Alexander Blok, a leader of the Russian artistic and intellectual commu-- nity at the time, wrote, “In our hearts, a seismograph needle has twitched. A sense of impending catastrophe weighs on our minds.” In European artistic circles, radical aesthetic changes would anticipate these impending catastrophes of World War I and the Russian Revolution that occurred in its wake. The first works of Stravinsky and Prokofiev were perfectly in keeping with this seething context. In the post-war period, however, both composers felt the need, each in his own way, to seek out calmer wellsprings of their art: the songs and dances of their native Russia but also the music of the 18 th century, which saw the High Baroque give way to the Classical period. And both composers, now recognized the world over as the greatest Russian composers of their time, took the road of exile. Although no longer a child prodigy, Prokofiev continued to tour as a piano soloist and promote his own composi-- tions, traveling first to Japan and then to the United States. Stravinsky spent several months in Switzerland before settling in France, where his genius was first recognized. It was in 1919, while in the U.S., that Prokofiev finished his best-known opera, The Love for Three Oranges, based on a comedy by the 18 th -century Italian dramatist Carlo Gozzi. The work abandons realism and psychology in favour of a character stylization more typical of commedia dell’arte, a genre for which Gozzi represented the swan song. Prokofiev wished to break with bourgeois theatre by creating a spectacle that had more in common with the emerging genre of cinema—something energetic and fast- paced like a Charlie Chaplin film, in which ordinary people triumphed through laughter. As a result, it is not the arias of this wild and animated score that hold our attention, but the “dances,” “proces-- sions” and, of course, the well-known “March,” for which the opera is famous and which the great virtuoso Mstislav Rostropovich brilliantly transcribed for cello and piano. In the 1920s, Prokofiev joined Stravinsky in Paris, where he composed three ballets for Diaghilev, including Chout (The Tale of the Buffoon). The ballet, as clownish as the opera that preceded it, was inspired by a popular Russian folk tale of Alexander Afanassiev, who played a huge role in popularizing Russian folklore. Stravinsky drew from these treasures more than on-- ce in writing The Soldier’s Tale, Renard, and Firebird. It was in fact Stravinsky who introduced them to Prokofiev, who was particularly enamoured by the wackiness of the tale “Chout” (see inset). Roman Sapojnikov, another cello virtuoso, drew from Prokofiev’s ballet an entire suite for the instrument. But, drawn by the hope of a better future for humanity promised by the new Union of Soviet Socialist Republics (USSR), Prokofiev finally returned to Russia in 1932 to exercise his art in the service of the people. Despite the headaches of a distrustful bureaucracy, and because his music fell in line with the diktats of the state-defined aesthetic (“Soviet realism”), he was able to maintain the originality of his writing. From these latter decades co-- me his two most famous ballets, Romeo and Juliet (1935) and Cinderella (1944). The Saulnier-Dyachkov duo plays three scenes from Romeo and Juliet on this disc, the first two of which were transcribed by Jean Saulnier. The pianist describes his process: "With his exceptional descriptive sense, Prokofiev created in his ballet Romeo and Juliet music of such beauty and imme-- diate charm that one can listen to it with great satisfaction even outside of its dramatic context. In the three orchestral suites and piano suite that he drew from the ballet, he did not feel the need to strictly follow its dramatic structure; and in a similar spirit, conductors have as-- sembled their own suites from Prokofiev’s original orchestral suites and the ballet. The version compiled by Michael Tilson Thomas, wonderfully performed and re-- corded with the San Francisco Symphony, seemed to me especially convincing. The dramatic flare of his approach made me want to attempt something along similar lines. For this transcription, I chose “Death of Tybalt,” which ends the first suite, and “Romeo Bids Juliet Farewell,” which makes up the core of the second suite. The “Farewell” has been in our repertoire for many years. We were first drawn to the piece as much for its gorgeous melodies—which simply cry out to be performed on cello—as for its rich emotional content. The scene is almost an archetype of the cycle of birth, growth and death. At dawn, upon waking in Juliet’s chamber in an atmosphere of meditation and serenity, the lovers dance a final pas de deux. In the middle section, the love theme grows until it reaches an incandescent culmination, with all the while a sense of fate in the background. And at the end, at dusk, Juliet is alone, facing emptiness and eternity. Her theme is heard on the piano, transfigured almost to the point of dematerialization. At the end, the notion of time gradually dissolves. The scene creates an even greater effect if approached from a dramatic climax, as is the case in the ballet. The unrelenting anguish and action of “Death of Tyblalt” contrasts the serenity and contemplation of the “Farewell.” The intensity of sound—the screams and fury—resolve into silence, into singing and acceptance. In “Death of Tybalt,” the dramatic pace is so quick that it becomes oppressive. The duels that Mercutio and Romeo fight with Tybalt happen one after the other and lead abruptly into a devastating funeral march. The listener hears what is almost a duel between cello and piano. The some- what idealistic intention of recreat-- ing the heights of an orchestral sonority with only two instruments merely adds to the tension at the conclusion of this scene. As in the ballet, the “Farewell” is followed by the “Dance of the Antilles Girls” or as it is sometimes called, “Dance of the Girls with Lilies.” This character piece, so light and suggestive, accompanies the young girls dancing beside Juliet, who appears dead." From Cinderella, Prokofiev himself arran-- ged for cello and piano the “Adagio,” a pas de deux that serves as the ballet’s romantic climax, when Cinderella and the Prince meet at last. Mstislav Rostropovich later added the “Waltz-Coda,” to which the two lovers dance elatedly, an elation that is brusquely interrupted, as we know, by the clock striking twelve… For his part, Stravinsky ended his days in the United States, where he took refuge in 1939 when World War II broke out in Europe. But as early as 1920, he began an unashamed exploration of diverse and sometimes completely opposing aesthe-- tic avenues, from the baroque pastiche of Pulcinella (1920), to various neoclas-- sical forms in his concertos and sympho-- nies of the 1930s and 40s, to atonal and serial music in his religious works of the 1950s. The ballet Pulcinella, composed in pure commedia dell’arte tradition, is a clas- sic story of amorous intrigue replete with unexpected turns, ruses and humour. Commissioned by Diaghilev, the score is based on concerti grossi by Giovanni Battista Pergolesi. In 1932, Stravinsky teamed up with his friend Gregor Piatigorski to create from Pulcinella the delightful Suite italienne for cello and piano. Mavra is an opéra bouffe Stravinsky composed in 1922; like Pulcinella, it is also written in the pastiche style. In 1938, he transcribed for cello and piano the opera’s anthem, a “Russian Song” sung by Parasha, the young heroine at the centre of the story as she dreams of love. © Guy Marchand, 2006 • Translation: Peter Christensen Déjà parus chez Analekta • Previously released by Analekta: Brahms, Sonates pour violoncelle et piano • Sonatas for Cello and Piano Op.38,99 & 78. Enregistré du 2 au 4 novembre 2005 à • Recorded on November 2, 3, and 4 2005 at: Salle Françoys-Bernier, Domaine Forget. Réalisateur Producer Carl Talbot, Productions Musicom Preneur de son Sound Engineer Marc Paquin Montage Editing Pascal Gélinas, Martin Léveillé Producteur, Directeur artistique Executive Producer, Artistic Director Mario Labbé Producteurs délégués Assistant Executive Producers Pascal Nadon, Julie Fournier Accord du piano Piano tuning Michel Pedneau Révision Proofreading les beaux écrits Photos Pierre Yves Gagnon Conception et production graphique Graphic Design and Production Anne Tardif Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds de la musique du Canada. We acknowledge the financial support of the Government of Canada through the Canada Music Fund. AN 2 9900 Analekta est une marque déposée de Groupe Analekta Inc. Tous droits réservés. Analekta is a trademark of Groupe Analekta Inc. All rights reserved. Fabriqué au Canada. Made in Canada.

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Page 1: SCØNES de russie ProkoFiev Stravinsky On Stage 2... · 2019-02-26 · 3 5 7 9 1 1 13 15 J e a n S a u l n i e r Y e g o r D y a c h k o v CHOUT (The Tale of the Buffoon) Prokofiev

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Jean Saulnier

Yegor Dyachkov

CHOUT (The Tale of the Buffoon) Prokofiev ballet based on an old Russian folktale

CHOUT ou Le Conte du bouffonBallet de Prokofiev d’après un vieux conte russe

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One day, a Buffoon says to his wife (track 7), “Seven fools will soon pay us a visit. When they arrive, I will order you to set the table, and you will refuse in such a way that in a feigned outburst of anger, I will ap-pear to kill you. While you are lying on the floor, pretending to be dead, I will take out my whip and continue to beat you. After two lashes, you will pretend to gradually come back to life. After the third, you will rise up and go to set the table. In this way, we will fetch a good price for the whip.” No sooner is said than done (track 9), and so the whip is sold for 300 rubles.

Upon their return home, the seven fools kill their wives and try unsuccessfully to revive them using the whip.

In a rage, they return to the Buffoon’s house, but he hides his wife, dresses in woman’s clothing, and sits at the spin--ning wheel, pretending to be his own sis--ter. The fools search the house high and

low and, finding nothing, carry off the “sister” as a hostage. “She shall be our cook,” they say, “until the Buffoon is found.”

Now the seven fools have seven daughters of marrying age. Two matchmakers come to call with a rich merchant in tow. The seven daughters dance for him (track 11), but in the end he chooses the “cook”!

In the bridal chamber on the evening of the wedding, the new “bride” finds “herself” in a delicate situation, to say the least. She says to her husband, “Oh Dear! I do not feel well at all,” and implores him to lower her down from the window on the end of a bed sheet to take some fresh air. “You can pull me back up when I give the signal.” Full of concern, the husband agrees and in his wife’s absence dreams about what awaits him (track 8). But when he hauls the sheet back up, he finds not his wife, but a goat. “Help! Someone has turned my wife into a goat,” he cries desperately to his servants. They grab hold of the goat and begin to shake it to break the spell—so violently, in fact, that the poor beast dies.

Disconsolate, the merchant prepares to bury his “wife” (track 10). Suddenly, the seven fools arrive and exclaim: “It’s your own fault for choosing our cook!” Then along comes the Buffoon accompanied by seven soldiers. “What have you done? Where is my sister?” he cries to the merchant. The dead goat is brought to him, and in a feigned rage, he seizes the merchant by the beard and exclaims, “You take away my sister and bring me a dead goat? I should have you locked up for this!” To avoid prison, the merchant pays the Buffoon 300 rubles. And so all is well that ends well: the Buffoon and his wife double their profit on the whip, and the seven fools find seven sturdy soldiers to marry their daughters.

Yegor Dyachkovvioloncelle • cello

Jean Saulnierpiano

SCÈNES de russie ProkoFiev

StravinskyOn Stage

&

Sergeï Prokofiev (1891-1953)  

CENDRILLON • CINDERELLAExtraits du ballet • Excerpts from the ballet 1 Adagio (transcription S. Prokofiev) 4:59

2 Valse-Coda • Waltz-Coda (transc. M. Rostropovich) 3:02

ROMÉO ET JULIETTE • ROMEO AND JULIET Extraits du ballet • Excerpts from the ballet 3 Mort de Tybalt • Death of Tybalt (transc. J. Saulnier) 4:03

4 Les adieux de Roméo et Juliette • Romeo Bids Juliet Farewell (transc. J. Saulnier) 8:08

5 Danse des Antillaises • Dance of the Antilles Girls (transc. A. Vlasov) 2:47

L’AMOUR DES TROIS ORANGES • LOVE FOR THREE ORANGESExtrait de l'opéra • Excerpt from the opera6 Marche • March (transc. M. Rostropovich) 1:37

CHOUT (Le conte du bouffon • The Tale of the Buffoon)Suite tirée du ballet • Suite from the ballet (transc. R. Sapojnikov)7 Le bouffon explique son plan à la bouffonne • The Buffoon Explains his Plan to his Wife 1:47

8 Le rêve du marchand • The Merchant’s Dream 1:30

9 La bouffonne • The Buffoon’s Wife 0:55

10 Le marchand est inconsolable • The Merchant is Disconsolate 1:43

11 La danse des filles des bouffons • Dance of the Fools’ Daughters 1:01

12 BALLADE Op.15 11:23

Igor Stravinsky (1882-1971)

MAVRAExtrait de l'opéra • Excerpt from the opera13 Chanson russe • Russian Song (transc. D. Markevitch • I. Stravinsky) 4:00

SUITE ITALIENNESuite tirée du ballet Pulcinella • Suite from the ballet Pulcinella14 Introduzione 1:54 15 Serenata 3:10 16 Aria 5:36 17 Tarantella 2:18 18 Minuetto e Finale 4:38

Total 66:14

Yegor Dyachkovvioloncelliste

Proclamé Artiste de l'année par la Société Radio-Canada et le Toronto Wo--men's Musical Club et récipiendaire du Young Canadian Musician Award en 2000, Yegor Dyachkov mène une carrière riche et variée. Récitaliste inspiré, cham--briste convaincu et soliste réputé, il se produit en Europe, en Asie, en Amérique latine, au Canada et aux États-Unis. Il est l'invité de grands orchestres tels l'Orches--tre symphonique de Montréal, le Toronto symphony Orchestra, l'Orchestre royal philharmonique de Flandre, le CBC Van--couver Orchestra, I Musici de Montréal, le Nouvel Ensemble Moderne et l'Orches--tre de Chambre de Genève. Il participe aussi à de nombreux festivals interna--tionaux, dont ceux d'Évian, Kronberg, Tanglewood, Ottawa, Lanau-dière et Vancouver.

Ce parcours artistique engendre de préci--euses collaborations avec des ensem--bles et interprètes marquants. La musi--que de chambre demeurant au centre de ses intérêts, Yegor Dyachkov s'associe volontiers aux quatuors Arditti, Arthur-Leblanc, Borromeo et St. Law-rence, aux pianistes Jean Saulnier, Stéphane Lemelin, Lois Shapiro et Anton Kuerti,

aux violonistes James Clark, Antje Weithaas, Scott St. John et Yehonatan Berick, au violoncelliste Steven Isserlis et aux clarinettistes James Campbell, Todd Palmer et André Moisan.

Yegor Dyachkov accorde une place de choix à la création musicale d'aujour--d'hui. Il crée plusieurs œuvres qui lui sont dédiées : la Sonate de Jacques Hétu, Ironman pour violoncelle et orches--tre de Michael Oesterle, Vez pour violon--celle seul d’Ana Sokolovic, ainsi que Menuhin : Présence, un concerto écrit pour lui par le regretté André Prévost. Il assure les premières française et canadienne de Diplipito pour violoncelle, haute-contre et orchestre de Giya Kancheli. Yo-Yo Ma et Sony Music l'invi--tent en outre à participer au « Silk Road Project ».

Né à Moscou en 1974, Yegor Dyachkov étudie avec Aleksandr Fedorchenko au Conservatoire Tchaïkovski et Yuli Turovsky à l'Université de Montréal. De 1995 à 1998, il est l'un des deux élèves de Boris Pergamenschikov, à la Hoch--schule de Cologne. Même s'il privilégie le concert, les enregistrements lui permet--tent d'élargir ses frontières. Grâce à l'obtention du premier prix au Concours international d'Orford en 1997, il réalise

son premier disque compact en gravant le Concerto Ballata de Glazounov. D'autres disques, tous accueillis avec élo-ges par la critique, sont consacrés aux sonates de Brahms, au Concerto pour violoncelle de Dvorak, aux sonates de Chostakovitch, Schnittke et Prokofiev (Prix Opus 2001), aux sonates de Strauss et Pfitzner ainsi qu’aux œuvres de Jacques Hétu et André Prévost. De plus, ses prestations sont régulièrement radio et télédiffusées au Canada et ailleurs dans le monde.

Il est essentiel pour Yegor Dyachkov de maintenir ses activités de pédagogue et d’entretenir un dialogue avec les jeunes musiciens. Il donne régulièrement des clas-ses de maître et enseigne à l'École de musique Schulich de l’Université McGill ainsi qu’à l’Académie du Domaine Forget.

Jean Saulnierpianiste Jean Saulnier mène une active carrière de soliste, chambriste et pédagogue. Au fil des ans, il a acquis une vaste expé--rience du répertoire solo et de musique de chambre. Son aisance, sa souplesse et sa qualité d’écoute en font un partenaire recherché. Il a collaboré entre

autres avec Barry Tuckwell, James Campbell, Robert Langevin, Emmanuel Pahud, Moshe Hammer, Theodore Baskin, Charles Neidich, les quatuors St. Lawrence, Alcan et Arthur-Leblanc. Il se produit régulièrement avec le violoncelliste Yegor Dyachkov. Leur pre--mier disque, comprenant les sonates de Prokofiev, Schnittke et Chostakovitch, a été déclaré meilleur disque canadien de l’année par le magazine torontois Opus et s’est aussi mérité un prix Opus du Conseil québécois de la musique en 2001. Deux autres enregistrements, le premier, consacré aux sonates de Brahms, le second, à celles d’André Prévost et de Jacques Hétu, ont égale--ment reçu un accueil enthousiaste de la critique. La discographie de Jean Saulnier comprend également les Sona--tes pour clarinette et piano de Brahms et de Jenner, ainsi qu’un récital Chopin réalisé sur un piano Pleyel de 1848 dont l’originalité et le raffinement ont retenu l’attention.

Jean Saulnier a remporté de nombreux prix dans des concours nationaux et internationaux dont les prestigieux con--cours Prix d’Europe, William Kapell et Leschetizsky. Il se produit au Canada, aux États-Unis et en Europe et a été l'invité de plusieurs orchestres dont

l'Orchestre symphonique de Montréal, l'Orchestre symphonique de Québec, l'Orchestre Métropolitain, le Rochester Philharmonic, et l'ensemble I Musici de Montréal. On peut également l’entendre dans les plus importants festivals de musique au pays ainsi qu’à la radio de la Société Radio-Canada.

Jean Saulnier a étudié avec Marc Durand, Leon Fleisher et André Laplante. Son doctorat de l'Université de Montréal lui a valu la médaille d’or académique du Gouverneur général. Il est aujourd'hui professeur agrégé et responsable du secteur piano à la faculté de musique de l’Université de Montréal. Il enseigne éga--lement au Centre d'arts Orford pendant l'été et est invité à donner des classes de maître dans différentes institutions d’enseignement.

Un violoncelle sous influenceChants et danses au temps de la Révolution russePROKOFIEV ET STRAVINSKI

Le duo Saulnier-Dyachkov propose ici un programme Prokofiev-Stravinski essen--tiellement constitué de séduisants chants et danses tirés de leurs ballets et opéras

qui, par leur caractère intemporel, « inac--tuel » aurait dit un certain Nietzsche, ont su traverser une époque de grande turbu--lence tant sur le plan esthétique que sociopolitique, une époque où les guerres idéologiques faisaient rage, une époque sous influence.

Igor Stravinski (1882-1971) et Sergeï Prokofiev (1891-1953) demeurent sans conteste les deux figures dominantes de la musique russe du début du 20e siècle. Si le premier est de quelque dix ans l’aîné du second, tous deux firent cependant leurs percées respectives au même moment, en 1910.

Encore inconnu alors qu’il approche la trentaine, Stravinski devait connaître cette année-là une gloire instantanée avec L’Oiseau de feu, partition écrite pour une chorégraphie à partir d’une idée originale du directeur des tout nouveaux Ballets Russes, Sergeï Diaghilev, qui voulait faire de cette figure légendaire du folklore de son pays l’emblème du renouveau résolument moderne qu’il en--tendait insuffler à la danse. Le soir de la première à Paris, Debussy, Ravel, de Falla, Satie et plusieurs autres sont dans la salle. À la tombée de rideau, on se rue sur le compositeur pour le féliciter chaude-ment. Avec Petrouchka en 1911,

et surtout Le Sacre du printemps qui, en donnant au rythme préséance sur la mélodie, fit scandale en 1913, Stravinski devait rapidement s’imposer comme l’un des phares de la musique d’avant-garde.

Au même moment, en Russie, alors qu’il franchit tout juste la vingtaine, l’enfant prodige qu’avait été Prokofiev comme pianiste, stupéfie lui aussi comme com--positeur. Dans Suggestion diabolique (1910) et ses deux premiers concertos pour piano (1912 et 1913), œuvres aux rythmes et harmonies exacerbés, il affiche un anti-romantisme sans compro--mis. Composée en 1912, la Ballade pour violoncelle et piano op.15 semble, de ce point de vue, quelque peu paradoxale. Le thème qui ouvre et conclut l’œuvre, lui donnant ainsi une forme en arche ABA’ des plus classique, est élégiaque et romantique à souhait. Mais ce n’est que pour mieux faire ressortir la modernité de la section centrale, fusionnant de manière originale l’expressionnisme d’un Scriabine et l’impressionnisme d’un Debussy.

1910, c’est cinq ans après la tragique mutinerie du Cuirassé Potemkine (1905) dont Eisenstein, en la portant à l’écran en 1925, allait faire l’emblème de la Révolu--tion russe qui finit par éclater en 1917.

Mais dès 1907, au lendemain de cette mutinerie brutalement réprimée par les soldats du Tsar, le poète Alexander Blok, leader de la communauté artistique et intellectuelle russe de l’époque, écri-vait : « Dans nos cœurs, l’aiguille du sismo--graphe a bougé. Une implacable impres--sion de catastrophe pèse sur les esprits. » Dans les milieux artistiques européens, des changements esthétiques radicaux anticipèrent les catastrophes appréhen--dées : la Première Guerre mondiale et, dans sa foulée, la Révolution russe. Et les premières œuvres de Stravinski et Prokofiev s’inscrivent d’emblée dans ce bouillonnement intempestif.

Au lendemain de ces catastrophes cependant, les deux compositeurs senti--rent, chacun à leur manière, le besoin de revenir à des sources plus sereines de leur art, aux chants et danses de la Russie ancestrale, mais aussi au 18e siècle qui vit se succéder le haut baroque et le classicisme. Et tous deux, mainte--nant reconnus à travers le monde comme les plus importants compositeurs russes de leur temps, prirent aussi le chemin de l’exil. La vie de tournée entraîne d’abord au Japon et aux États-Unis le virtuose du piano qu’était demeuré le Prokofiev adul--te, défenseur de ses propres œuvres,

alors que Stravinski, après quelques mois en Suisse, s’installe en France qui avait été la première à reconnaître son génie.

C’est aux États-Unis qu’en 1919, Prokofiev termine son plus célèbre opéra, L’Amour des trois oranges, d’après la comédie de Gozzi, dramaturge italien du 18e siècle. Tout réalisme et psychologie y est banni au profit d’une stylisation des personnages renouant avec la commedia dell’arte, dont Gozzi incarne le chant du cygne. Prokofiev voulait ainsi rompre avec le « théâtre bourgeois », en propo-sant un spectacle plus proche du cinéma nais--sant, tout en énergie, rythme et vitesse, comme dans les films de Chaplin, où le petit peuple triomphait par le rire. Ainsi, dans cette partition tout feu tout flamme, ce ne sont pas les airs qui retiennent l’at--tention, mais les « danses », « cortèges » et, bien sûr, la fameuse « Marche » qui a rendu l’opéra célèbre et dont le grand virtuose Rostropovich a fait une brillante transcription pour violon-celle et piano.

Dans les années 1920, Prokofiev rejoint Stravinski à Paris et compose à son tour trois ballets pour Diaghilev dont Chout ou Le Conte du bouffon. Ce ballet, tout aussi clown-esque que l’opéra précédent, est inspiré d’un des contes populaires

russes d’Afanassiev, qui a joué un rôle immense dans la folklorique russe. Stravinski puisa plus d'une fois dans ces trésors pour L’Histoire du soldat, Renard et L’Oiseau de feu et c'est lui qui les fit connaître à Prokofiev. Ce dernier fut emballé par le loufoque très particulier de Chout, dont on peut lire en encadré un résumé. Roman Sapojnikov, un autre virtuose du violoncelle, a tiré du ballet une suite complète pour son instrument.

Un jour, un Bouffon dit à sa femme (plage 7) : « Sept bouf-fons vont bientôt venir nous voir. Lorsqu’ils seront là je vais t’ordonner de mettre la table et tu refuseras de sorte que dans un feint accès de colère je fasse semblant de te tuer. Lorsque tu seras étendue sur le sol simulant la mort, je prendrai mon fouet et continuerai à te battre. Aux deux premier coups, tu feras semblant de revenir peu à peu à la vie. Au troisième, tu te lèveras et iras mettre la table. Nous devrions ainsi être en mesure d’obtenir un bon prix pour la vente du fouet. » Ainsi fut dit, ainsi fut fait…(plage 9) Et le fouet fut vendu pour 300 roubles. De retour chez eux, les sept bouffons tuent leurs femmes et essaient sans succès de les ressusciter à l’aide du fouet. En colère, ils retour--

nent chez leur confrère, mais le bouffon cache sa femme, se travestit et se fait passer pour sa propre sœur en s’installant au rou-et. Les autres fouillent la maison de fond en comble et, en désespoir de cause, prennent la « sœur » en otage. « Qu’elle soit notre cuisinière, se disent-ils, en attendant que le Bouffon ne soit retrouvé. »

Mais les sept bouffons avaient sept filles en âge de se marier. Deux entremetteuses amènent un riche marchand qui « inspecte la marchandise » alors que les sept filles dan-sent pour lui (plage 11). Mais il choisit finalement… la « cui--sinière » ! Le soir des noces, dans la chambre nuptiale, la nouvelle mariée se trouve en situation plutôt délicate. Elle implore son mari : « Oh ! Chéri, je ne me sens vraiment pas très bien. Voudrais-tu me faire descendre par la fenêtre au bout d’un drap, que je puisse prendre l’air frais ? Tu me remonteras lorsque je te ferai signe. » Plein de sollicitude, le mari s’exécute et en son absence, rêve agréablement à ce qui l’attend (plage 8). Mais lorsqu’il la remonte, il trouve au bout du drap… une chèvre ! « Au secours ! Ma femme a été changée en chèvre » bêle-t-il désespéré en appelant ses serviteurs à l’aide. Ils se saisissent d’elle et pour briser le sortilège, la secouent tant, que la pauvre bête en meurt.

Inconsolable, le marchand s’apprête à faire inhumer sa « femme » (plage 10). Les sept bouffons surgissent et lui crient : « C’est ta faute ! Tu n’avais qu’à ne pas choisir la cuisinière ! » Mais survient alors le Bouffon accompagné de sept soldats : « Qu’as-tu fait, téméraire ! Où est ma sœur ? », crie-t-il à son tour au marchand. On lui apporte alors la chèvre morte. Dans une fausse colère, il attrape le marchand par la barbe : « Tu enlèves ma sœur et me rends une chèvre morte ? Je devrais te faire enfermer pour cela ! » Pour éviter la prison, le marchand lui paie 300 roubles. Ainsi, tout est bien qui finit bien et plus que doublement bien : car, si le Bouffon et sa femme virent leur profit doubler, les sept bouffons trouvèrent pour leurs filles à marier… sept beaux soldats !

Mais, séduit par les promesses d’un avenir meilleur pour l’Homme que faisait miroiter la nouvelle Union des républi--ques socialistes soviétiques (URSS), Prokofiev devait finalement rentrer au pays en 1932, pour mettre son art au service du peuple. Malgré les tracas d’une bureaucratie suspicieuse, il parvint à y conserver l’originalité de sa voix, car elle rejoignait les diktats de l’esthétique nationale, ce que l’on appelait le « réalis--me soviétique ». De ces dernières décen--nies datent ses deux plus célèbres ballets, Roméo et Juliette (1935) et Cendrillon (1944).

De Roméo et Juliette, le duo Saulnier-Dyachkov présente ici trois tableaux dont les deux premiers dans une transcription du pianiste. Jean Saulnier nous explique sa démarche:

«Prokofiev, avec son sens exceptionnel de la caractérisation, a créé dans son ballet Roméo et Juliette une musique tellement belle et au charme si immédiat qu’on peut l’écouter avec satisfaction, indépendam-ment de toute référence à l’intrigue. Il en a tiré trois suites pour orchestre et une suite pour piano, dans lesquelles il ne se sent pas l’obligation d’observer de façon stricte la structure dramatique du ballet. Dans le même esprit, des chefs d’orchestre ont imaginé différents agencements à partir des suites et du ballet. L’agencement proposé par Michael Tilson Thomas notamment, dans sa merveilleuse interpré-tation avec le San Francisco Symphony, m’a paru très convaincant. Son approche se distingue par son souffle dramatique et m’a donné envie de tenter quelque chose dans la même perspective.

Pour la présente transcription, j’ai retenu La mort de Tybalt, qui conclut la première suite, et Les adieux de Roméo et Juliette, qui constitue le cœur de la seconde suite.

Les Adieux sont à notre répertoire depuis plusieurs années. Nous avons voulu jouer ce tableau au départ, autant pour ses extraordinaires mélodies qui n’atten--daient que le violoncelle, que pour la richesse de son contenu psychologique. Ce tableau représente presque un arché--type du cycle de la naissance, de la crois--sance et de la mort. À l’aurore, dans la chambre de Juliette, les amoureux font leur dernier pas de deux au réveil dans une atmosphère de recueillement et de sérénité. Puis, dans la partie centrale, le chant d’amour est déployé jusqu’au point d’incandescence avec, en arrière-plan, un sentiment de fatalité. Finalement, le cré--puscule, Juliette seule, l’absence, l’éter--nité. Le motif de Juliette est entendu transfiguré, pratiquement déma-térialisé, au piano. Le temps s’écoule ensuite jusqu’à l’extinction.

Ce tableau a une résonance encore plus grande lorsqu’on y parvient après un sommet dramatique, comme c’est le cas dans le ballet. L’angoisse et l’action sans répit de La mort de Tybalt mènent à la sérénité et à la contemplation des Adieux. L’intensité sonore, les cris et la révolte se résolvent dans le silence, le chant, l’acceptation.

Dans La mort de Tybalt, le rythme de l’action dramatique est tellement rapide qu’il en devient oppressant. Les duels Mercutio/ Tybalt et Roméo/Tybalt, s’en--chaînent sans interruption, et nous som--mes ensui-te précipités sans ménagement dans une marche funèbre dévastatrice. On assiste pratiquement à un duel entre le violon-celle et le piano. L’intention, presque utopique, de rendre le paroxys-me de sono-rité de l’orchestre avec deux instruments seulement ne fait qu’ajouter à la tension dans la conclusion de ce tableau.

Comme dans le ballet, les Adieux sont suivis de la Danse des Antillaises, parfois appelée en français « Danse des jeunes filles au lys ». Cette pièce de caractère suggestive et toute en légèreté accompagne la danse des jeunes filles devant Juliette, qui semble morte. »

De Cendrillon, Prokofiev tira lui-même l’arrangement pour violoncelle et piano du sommet romantique de l’œuvre, l’« Adagio », un « pas de deux » sur lequel, au bal, Cendrillon et le Prince font enfin plus ample connaissance. Rostropovich devait y ajouter le numéro suivant, la « Valse-Coda » sur laquelle les deux amants dansent jusqu’à l’ivresse, ivres--se brusquement interrompue par les douze coups de minuit que l’on sait…

De son côté, Stravinski devait finir ses jours aux États-Unis où l’avait refoulé en 1939 l’éclatement en Europe de la Seconde Guerre mondiale. Mais dès 1920, il avait commencé à explorer sans complexe des avenues esthétiques les plus diverses, voire totalement oppo--sées, du pastiche baroque de Pulcinella (1920) à l’expérimentation de la musique atonale et sérielle dans les œuvres reli--gieuses des années 1950, en passant par différentes formes de néoclassicisme dans les concertos et symphonies des années 1930-40.

Le ballet Pulcinella, conçu dans la plus pure tradition des jeux masqués de la commedia dell’arte, est contemporain de Chout. Par l’influence de la commedia dell’arte, de Gozzi et des contes d’Afanassiev, L’Amour des trois oranges, Pulcinella et Chout, s’inscrivent dans une suite logique. Pulcinella consiste en un classique chassé-croisé amoureux plein de rebondissements, de ruse et d’hu--mour. Le ballet fut composé à la deman--de de Diaghilev à partir de concerti grossi de Pergolèse. Stravinski en tirera en 1932, en collaboration avec son ami Gregor Piatigorsky, la délicieuse Suite italienne pour violoncelle et piano.

Quant à Mavra, il s’agit d’un opéra bouffe qui, en 1922, s’inscrivait aussi dans cette veine du pastiche. En 1938, le compositeur fit une transcription pour violoncelle et piano de l’air embléma--tique de l’œuvre, une « Chanson russe » que chante en rêvant à l’amour Paracha, la jeune fille qui se trouve au cœur de l’intrigue.

© Guy Marchand, 2006

Yegor Dyachkov cellist

Proclaimed "Artist of the Year" by the Canadian Broadcasting Corporation (CBC) and the Toronto Women's Musical Club, and winner of the 2000 Young Canadian Musician Award, Yegor Dyachkov is enjoying a rich and multi-faceted career. An inspired recitalist and chamber musi--cian and respected orchestral soloist, he has performed throughout Europe, Asia, Latin America, Canada and the United States. In addition to a concert schedule including invitations from such noted ensembles as the Orchestre symphoni--que de Montréal, the Toronto Symphony Orchestra, the Royal Philharmonic Or--chestra of Flanders, the CBC Vancouver Orchestra, I Musici de Montréal, the

Nouvel Ensemble Moderne and the Geneva Chamber Orchestra, he has also performed at a wide array of festivals such as those in Évian, Kronberg, Tanglewood, Ottawa, Lanaudière and Vancouver.

These engagements have led to many invaluable partnerships with outstanding ensembles and performers. Deeply com--mitted to chamber music, Yegor Dyachkov has performed with the Arditti, Arthur-Leblanc, Borromeo and St. Lawrence Quartets, pianists Jean Saulnier, Lois Shapiro, Anton Kuerti and Stéphane Lemelin, violinists Antje Weithaas, Scott St. John and Yehonatan Berick, cellist Steven Isserlis, and clarinetists James Campbell, Todd Palmer and André Moisan.

Yegor Dyachkov accords a prominent place to contemporary music in his repertoire. He gave the premiere perform--ances of several works that are dedicat--ed to him: the Sonata by Jacques Hétu, Ironman for cello and orchestra by Michael Oesterle, Vez for solo cello by Ana Sokolovic, as well as Menuhin: Présence, a concerto written for him by the late André Prévost. He was the soloist for both the first French and the first Canadian performances of Giya

Kancheli's Diplipito for cello, counter-tenor and orchestra. He has also been invited by Yo-Yo Ma and Sony Music to take part in the Silk Road Project.

Born in Moscow in 1974, Yegor Dyachkov studied with Aleksandr Fedorchenko at the Tchaikovsky Conservatory, and Yuli Turovsky at the Université de Montréal. From 1995 to 1998, he enjoyed the rare privilege of being one of two people to study under Boris Pergamenschikov at the Hochschule in Cologne.

Although he continues to favour live performance, recording is a way to extend his horizons. Winning the Orford International Competition in 1997 led to an invitation to record his debut CD featuring Glazunov's Concerto Ballata. He subsequently made critically acclaim--ed recordings including sonatas by Brahms, the cello concerto by Dvorak, the sonatas by Shostakovich, Schnittke and Prokofiev, works by Jacques Hétu and André Prévost, as well as sonatas by Strauss and Pfitzner. His performan--ces have been broadcast and televised in Canada and abroad.

The breadth of Yegor Dyachov's musical commitment also extends to teaching master classes and to maintaining a

dialogue with young musicians. He teach--es at the Schulich School of Music at McGill University, and at the Domaine Forget Academy.

Jean Saulnierpianist

Jean Saulnier leads an active career as a recitalist, chamber musician and teacher. A much sought-after chamber musician, he has collaborated with Barry Tuckwell, James Campbell, Robert Langevin, Emmanuel Pahud, Moshe Hammer, Theodore Baskin, Charles Neidich, Anton Kuerti, Yuli Turovsky, the St. Lawrence, the Alcan and the Arthur-Leblanc String Quartets among others. He plays regular--ly with cellist Yegor Dyachkov. Their recording of the Shostakovich, Schnittke and Prokofiev Sonatas was honoured by Opus magazine with an award as best Canadian chamber music recording of the year 2001 and was given an Opus prize from the Conseil québecois de la musique for best clas-sical recording. Critics also received their subsequent recordings with much enthusiasm: the first grouping three Brahms Sonatas, the second devoted to works by André Prévost and Jacques Hétu. Jean Saulnier’s discography also includes

Brahms and Jenner clarinet and piano sonatas as well as a Chopin recital recorded on an 1848 Pleyel piano which has been praised for its refinement and originality.

Jean Saulnier won numerous prizes in national and international competitions, including the prestigious Prix d’Europe, William Kapell International Piano Competition and the Leschetizsky Com--petition. He has given recitals in Canada, the United States and Europe. He has been guest soloist with orchestras of renown such as the Orchestre symphonique de Montréal, the Orchestre symphonique de Québec, the Orchestre Métropolitain, the Rochester Philharmonic and I Musici de Montréal. He has been heard in major Canadian music festivals and on CBC radio.

Jean Saulnier studied with Marc Durand, Leon Fleisher and André Laplante. He holds a doctorate from the Université de Montréal where he is currently Associate Professor and Head of the Piano Department. He also teaches at the Orford Arts Centre during the summer and is regularly invited to give master classes in Canada and abroad.

CELLO UNDER THE INFLUENCESongs and Dances from the Time of the Russian Revolution PROKOFIEV AND STRAVINSKY

This disc features the Saulnier-Dyachkov duo in a program of captivating songs and dances from the ballets and operas of Prokofiev and Stravinsky, who--se timeless character—or as Nietzsche might have put it, “untimely” charac--ter—allowed them to survive a period of great aesthetic and socio-political uphea--val and immense ideolo-gical conflict.

Igor Stravinsky (1882–1971) and Sergei Prokofiev (1891–1953) were incontes--tably the two dominant Russian compo--sers of the early 20th century. Stravinsky was ten years older than Prokofiev, but both made their breakthroughs at the same time, in 1910.

Still an unknown in his late twenties, Stravinsky became an instant star with The Firebird, a score written for a choreo--graphy based on an original idea by Sergei Diaghilev, director of the brand new Ballets Russes. Diaghilev wanted to transform this figure from his native country’s folklore into a symbol of the un--flinchingly modern renewal he intended to

breathe into dance. Debussy, Ravel, de Falla, Satie and several other composers were in the audience the night of the work’s premiere in Paris. After the curtain fell, they all rushed up to Stravinsky to offer their congratulations. With Petrush--ka in 1911, and especially The Rite of Spring in 1913—which created a scandal with its precedence of rhythm over melody—Stravinsky quickly became one of the leading lights of avant-garde music.

While Stravinsky’s star ascended in Paris, in Russia, Prokofiev, a former child prodigy of the piano and now barely into his twenties, began to amaze audiences as a composer as well. Suggestion diabolique (1910) and his first two piano concertos (1912 and 1913) feature exaggerated rhythmic figures and harmo--nies, demonstrating an uncompro-mising anti-romanticism. In this context, the Ballade for Cello and Piano, Op.15, composed in 1912, seems somewhat paradoxical. The theme that opens and closes the work—giving it a classic ABA’ ternary form—is as plaintive and roman--tic as one could wish; yet this merely emphasizes the striking modernism of the middle section, which blends Scriabin-like expressionism with Debussy-like im--pressionism in a highly original fashion.

The year 1910 was just five years after the Potemkin uprising of 1905, upon which Sergei Eisenstein based his silent film The Battleship Potemkin in 1925. The movie transformed that event into a symbol of the Russian Revolution, which finally broke out in 1917. But as early as 1907, not long after the mutiny was brutally put down by the Tsar’s soldiers, the poet Alexander Blok, a leader of the Russian artistic and intellectual commu--nity at the time, wrote, “In our hearts, a seismograph needle has twitched. A sense of impending catastrophe weighs on our minds.”

In European artistic circles, radical aesthetic changes would anticipate these impending catastrophes of World War I and the Russian Revolution that occurred in its wake. The first works of Stravinsky and Prokofiev were perfectly in keeping with this seething context.

In the post-war period, however, both composers felt the need, each in his own way, to seek out calmer wellsprings of their art: the songs and dances of their native Russia but also the music of the 18th century, which saw the High Baroque give way to the Classical period. And both composers, now recognized the world over as the greatest Russian composers

of their time, took the road of exile. Although no longer a child prodigy, Prokofiev continued to tour as a piano soloist and promote his own composi--tions, traveling first to Japan and then to the United States. Stravinsky spent several months in Switzerland before settling in France, where his genius was first recognized.

It was in 1919, while in the U.S., that Prokofiev finished his best-known opera, The Love for Three Oranges, based on a comedy by the 18th-century Italian dramatist Carlo Gozzi. The work abandons realism and psychology in favour of a character stylization more typical of commedia dell’arte, a genre for which Gozzi represented the swan song. Prokofiev wished to break with bourgeois theatre by creating a spectacle that had more in common with the emerging genre of cinema—something energetic and fast-paced like a Charlie Chaplin film, in which ordinary people triumphed through laughter. As a result, it is not the arias of this wild and animated score that hold our attention, but the “dances,” “proces--sions” and, of course, the well-known “March,” for which the opera is famous and which the great virtuoso Mstislav Rostropovich brilliantly transcribed for cello and piano.

In the 1920s, Prokofiev joined Stravinsky in Paris, where he composed three ballets for Diaghilev, including Chout (The Tale of the Buffoon). The ballet, as clownish as the opera that preceded it, was inspired by a popular Russian folk tale of Alexander Afanassiev, who played a huge role in popularizing Russian folklore. Stravinsky drew from these treasures more than on--ce in writing The Soldier’s Tale, Renard, and Firebird. It was in fact Stravinsky who introduced them to Prokofiev, who was particularly enamoured by the wackiness of the tale “Chout” (see inset). Roman Sapojnikov, another cello virtuoso, drew from Prokofiev’s ballet an entire suite for the instrument.

But, drawn by the hope of a better future for humanity promised by the new Union of Soviet Socialist Republics (USSR), Prokofiev finally returned to Russia in 1932 to exercise his art in the service of the people. Despite the headaches of a distrustful bureaucracy, and because his music fell in line with the diktats of the state-defined aesthetic (“Soviet realism”), he was able to maintain the originality of his writing. From these latter decades co--me his two most famous ballets, Romeo and Juliet (1935) and Cinderella (1944).

The Saulnier-Dyachkov duo plays three scenes from Romeo and Juliet on this disc, the first two of which were

transcribed by Jean Saulnier. The pianist describes his process:

"With his exceptional descriptive sense, Prokofiev created in his ballet Romeo and Juliet music of such beauty and imme--diate charm that one can listen to it with great satisfaction even outside of its dramatic context. In the three orchestral suites and piano suite that he drew from the ballet, he did not feel the need to strictly follow its dramatic structure; and in a similar spirit, conductors have as--sembled their own suites from Prokofiev’s original orchestral suites and the ballet. The version compiled by Michael Tilson Thomas, wonderfully performed and re--corded with the San Francisco Symphony, seemed to me especially convincing. The dramatic flare of his approach made me want to attempt something along similar lines.

For this transcription, I chose “Death of Tybalt,” which ends the first suite, and “Romeo Bids Juliet Farewell,” which makes up the core of the second suite.

The “Farewell” has been in our repertoire for many years. We were first drawn to the piece as much for its gorgeous melodies—which simply cry out to be performed on cello—as for its rich emotional content. The scene is almost an archetype of the cycle of birth, growth

and death. At dawn, upon waking in Juliet’s chamber in an atmosphere of meditation and serenity, the lovers dance a final pas de deux. In the middle section, the love theme grows until it reaches an incandescent culmination, with all the while a sense of fate in the background. And at the end, at dusk, Juliet is alone, facing emptiness and eternity. Her theme is heard on the piano, transfigured almost to the point of dematerialization. At the end, the notion of time gradually dissolves.

The scene creates an even greater effect if approached from a dramatic climax, as is the case in the ballet. The unrelenting anguish and action of “Death of Tyblalt” contrasts the serenity and contemplation of the “Farewell.” The intensity of sound—the screams and fury—resolve into silence, into singing and acceptance.

In “Death of Tybalt,” the dramatic pace is so quick that it becomes oppressive. The duels that Mercutio and Romeo fight with Tybalt happen one after the other and lead abruptly into a devastating funeral march. The listener hears what is almost a duel between cello and piano. The some-what idealistic intention of recreat--ing the heights of an orchestral sonority with only two instruments merely adds to the tension at the conclusion of this scene.

As in the ballet, the “Farewell” is followed by the “Dance of the Antilles Girls” or as it is sometimes called, “Dance of the Girls with Lilies.” This character piece, so light and suggestive, accompanies the young girls dancing beside Juliet, who appears dead."

From Cinderella, Prokofiev himself arran--ged for cello and piano the “Adagio,” a pas de deux that serves as the ballet’s romantic climax, when Cinderella and the Prince meet at last. Mstislav Rostropovich later added the “Waltz-Coda,” to which the two lovers dance elatedly, an elation that is brusquely interrupted, as we know, by the clock striking twelve…

For his part, Stravinsky ended his days in the United States, where he took refuge in 1939 when World War II broke out in Europe. But as early as 1920, he began an unashamed exploration of diverse and sometimes completely opposing aesthe--tic avenues, from the baroque pastiche of Pulcinella (1920), to various neoclas--sical forms in his concertos and sympho--nies of the 1930s and 40s, to atonal and serial music in his religious works of the 1950s.

The ballet Pulcinella, composed in pure commedia dell’arte tradition, is a clas-sic

story of amorous intrigue replete with unexpected turns, ruses and humour. Commissioned by Diaghilev, the score is based on concerti grossi by Giovanni Battista Pergolesi. In 1932, Stravinsky teamed up with his friend Gregor Piatigorski to create from Pulcinella the delightful Suite italienne for cello and piano.

Mavra is an opéra bouffe Stravinsky composed in 1922; like Pulcinella, it is also written in the pastiche style. In 1938, he transcribed for cello and piano the opera’s anthem, a “Russian Song” sung by Parasha, the young heroine at the centre of the story as she dreams of love.

© Guy Marchand, 2006 • Translation: Peter Christensen

Déjà parus chez Analekta • Previously released by Analekta: Brahms, Sonates pour violoncelle et piano • Sonatas for Cello and Piano Op.38,99 & 78.

Enregistré du 2 au 4 novembre 2005 à • Recorded on November 2, 3, and 4 2005 at: Salle Françoys-Bernier, Domaine Forget.

Réalisateur Producer Carl Talbot, Productions Musicom Preneur de son Sound Engineer Marc PaquinMontage Editing Pascal Gélinas, Martin Léveillé

Producteur, Directeur artistique Executive Producer, Artistic Director Mario Labbé Producteurs délégués Assistant Executive Producers Pascal Nadon, Julie Fournier Accord du piano Piano tuning  Michel Pedneau Révision Proofreading les beaux écrits Photos Pierre Yves Gagnon Conception et production graphique Graphic Design and Production Anne Tardif

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds de la musique du Canada. We acknowledge the financial support of the Government of Canada through the Canada Music Fund.

AN 2 9900 Analekta est une marque déposée de Groupe Analekta Inc. Tous droits réservés. Analekta is a trademark of Groupe Analekta Inc. All rights reserved. Fabriqué au Canada. Made in Canada.

Anne Tardif
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Page 2: SCØNES de russie ProkoFiev Stravinsky On Stage 2... · 2019-02-26 · 3 5 7 9 1 1 13 15 J e a n S a u l n i e r Y e g o r D y a c h k o v CHOUT (The Tale of the Buffoon) Prokofiev

Enregistrement, montage et mastering en 24 bit. / Recording, editing and mastering in 24 bit.

DÉPOT LÉGAL, Bibliothèque nationale du Québec, 2006

P Analekta 2006

AN 2 9900 66 min 14 secD D D

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Sergeï Prokofiev (1891-1953)  CENDRILLON • CINDERELLA Extraits du ballet • Excerpts from the ballet 1 Adagio 4:59 2 Valse-Coda • Waltz-Coda 3:02

ROMÉO ET JULIETTE • ROMEO AND JULIET Extraits du ballet • Excerpts from the ballet 3 Mort de Tybalt • Death of Tybalt 4:03 4 Les adieux de Roméo et Juliette • Romeo Bids Juliet Farewell 8:08 5 Danse des Antillaises • Dance of the Antilles Girls 2:47

L’AMOUR DES TROIS ORANGES • LOVE FOR THREE ORANGES Extrait de l'opéra • Excerpt from the opera6 Marche • March 1:37

CHOUT (Le conte du bouffon • The Tale of the Buffoon) Suite tirée du ballet • Suite from the ballet 7 Le bouffon explique son plan à la bouffonne • The Buffoon Explains his Plan to his Wife 1:478 Le rêve du marchand • The Merchant’s Dream 1:309 La bouffonne • The Buffoon’s Wife 0:55 10 Le marchand est inconsolable • The Merchant is Disconsolate 1:43

11 La danse des filles des bouffons • Dance of the Fools’ Daughters 1:01

12 BALLADE Op.15 11:23

Igor Stravinsky (1882-1971)MAVRA Extrait de l'opéra • Excerpt from the opera13 Chanson russe • Russian Song 4:00

SUITE ITALIENNE Suite tirée du ballet Pulcinella • Suite from the ballet Pulcinella14 Introduzione 1:54 15 Serenata 3:10 16 Aria 5:36 17 Tarantella 2:18 18 Minuetto e Finale 4:38

Yegor Dyachkov violoncelle • cello Jean Saulnier piano

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analekta.com

Recto

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