roman fiction || fiction et contrefactuels

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Armand Colin Fiction et contrefactuels Author(s): CLAIRE BEYSSADE Source: Littérature, No. 123, ROMAN FICTION (SEPTEMBRE 2001), pp. 67-85 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704826 . Accessed: 16/06/2014 06:03 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.76.45 on Mon, 16 Jun 2014 06:03:43 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Armand Colin

Fiction et contrefactuelsAuthor(s): CLAIRE BEYSSADESource: Littérature, No. 123, ROMAN FICTION (SEPTEMBRE 2001), pp. 67-85Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704826 .

Accessed: 16/06/2014 06:03

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■ CLAIRE BEYSSADE, UNIVERSITÉ DE PARIS 3 ET FRE 1 147

Fiction et contrefactuels

INTRODUCTION

La fiction nous plonge dans des mondes possibles, dont on il fau- drait préciser le lien avec le monde réel. La fiction reproduit-elle le réel {mimesis), institue-t-elle le réel ou le juridique, ou crée-t-elle un univers absolument étanche par rapport au réel (selon la position de Genette pré- sentée par Christine Montalbetti l) ?

Il convient d'étudier en détail les relations qui peuvent être établies entre mondes possibles et monde réel, et en particulier les relations de sens qui peuvent être définies. Depuis Frege et l'article « Sens et dénotation », on sait que le sens dépasse l'analyse en terme de valeur de vérité, qu'il ne suffit pas de pouvoir dire si un énoncé est vrai ou faux pour prétendre en avoir cerné le sens ; mais on sait aussi que l'analyse des conditions de vérité contribue à l'analyse du sens. Il est clair que les deux énoncés suivants (la) et (lb) n'ont pas le même sens :

(la) Jean est venu , et il s'est tu. (lb) Jean est venu, mais il s'est tu.

Mais pour préciser ce qui différencie ces énoncés, il est important de pouvoir exprimer clairement ce qu'ils ont en commun. Et pour ce faire, l'examen de leurs conditions de vérité est éclairant : il est impossi- ble de trouver (ou de construire) un monde dans lequel (la) et (lb) n'auraient pas la même valeur de vérité, ne seraient pas soit tous les- deux vrais, soit tous les deux faux. En fait, ce qui distingue « et » de « mais » n'est pas exprimable en terme de condition sur les objets du monde, de condition objective sur le monde. La distinction entre « et » et « mais » repose sur une appréciation des faits ou des relations entre les faits, et relève en quelque sorte d'un autre ordre, de la subjectivité du locuteur qui voit un contraste entre deux faits objectifs.

Sur le cas d'un type de discours particulier, les contrefactuels, l'étude des conditions de vérité ou plutôt une étude des approches véri- conditionnelles et de leurs limites permet d'éclairer la question du sens et de donner un peu d'épaisseur technique à une idée que Tiphaine Samoyault soutient et illustre au moyen de différents exemples très convaincants 2 : l'idée selon laquelle l'analyse des rapports entre fiction et réel doit être envisagée en terme de débordement réciproque et non en terme de confrontation à la vérité. 1. Voir ici même p. 47 et suiv. 2. Voir p. 56-66.

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■ ROMAN FICTION

Le mouvement de cette étude sera donc d'analyser le sens des con- tractuels, en réfléchissant à la façon dont peut se mesurer la distance entre mondes (entre monde réel et mondes possibles ou même entre mondes possibles), pour revenir ensuite sur la distance entre réel et fic- tion, et envisager les effets de la fiction à partir de cette mesure. La question des effets de la fiction sur le lecteur, du sens de la fiction, pour autant qu'on conçoive le sens en terme d'inférences ou d'utilité (en logique, on peut identifier le sens de X et l'ensemble des inférences qui découlent de X, et plus couramment, on peut mesurer « le sens d'un geste » par exemple en terme d'utilité), devrait en être éclaircie.

Une fois passées en revue les analyses traditionnelles de « si » et leurs limites, une seconde partie montrera comment le recours aux mon- des possibles conduit à chercher des critères permettant de mesurer la distance entre deux mondes. Le retour à des considérations plus linguis- tiques permettra alors de mettre en évidence à la fois la difficulté et la nécessité d'une analyse des usages contrefactuels, très courants dans le langage.

CONDITIONNELS ET CONTREFACTUELS

Qu'appelle-t-on un contrefactuel ?

On définit couramment les contrefactuels comme un sous-ensemble des conditionnels. Les conditionnels sont tous les énoncés de la forme « si A alors B », où A et B sont des propositions. Les logiciens comme les linguistes ont répertorié de nombreux emplois de « si » dans la lan- gue 3 et on distingue souvent plusieurs types de conditionnels :

- les conditionnels causaux : « Si A alors causalement B » - les obligations conditionnelles : « Si A alors B devrait être le cas » - les conditionnels génériques : « Si A alors normalement B » - les contrefactuels : « S'il avait été vrai que A, alors il aurait été vrai que B » On notera immédiatement que cette classification n'est pas

homogène. Ces quatre classes ne sont pas exclusives : on peut construire un contrefactuel causal, une obligation contrefactuelle, ou encore un contrefactuel générique.

Dans les trois premiers cas, c'est le lien entre A et B qui est modi- fié à l'aide d'un adverbe («causalement», «normalement»...), alors que dans le dernier cas, c'est la nature même de l'antécédent (à savoir A) qui est importante. On suppose quelque chose, A, dont on sait ou dit que ce n'est pas le cas. Les contrefactuels sont des conditionnels qui ont ceci de particulier que leur antécédent est faux.

3. C'est le cas en particulier de Cornulier (voir bibliographie en fin d'article).

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

Il existe trois types d'analyses face aux constructions conditionnel- les. Le premier type d'analyse regarde toutes ces constructions comme mettant en rapport un antécédent A et un conséquent B, l'analyse du conditionnel étant réduite à la caractérisation du lien intentionnel mis entre A et B. Ce lien correspond à l'expression « Si... alors » et aux adverbes utilisés : « normalement », « causalement » etc.

Mais on objecte fréquemment que les actions, par exemple, ne peu- vent pas être considérées comme des propositions. D'où une seconde ligne d'approches, qui ne considèrent pas l'antécédent comme une pro- position liée au conséquent, mais plutôt comme une expression linguisti- que d'un type particulier, une action ou une cause, et où l'intentionnalité n'est pas vue au niveau du lien, mais au niveau de l'antécédent lui- même. On note alors le conditionnel « [A] B » c'est-à-dire si A est effectuée, comme action ou programme, alors B en est le résultat. C'est le point de vue des logiques dynamiques, et en particulier de la sémanti- que des mises à jour 4. Dire que A est effectuée, c'est, dans le cadre d'une sémantique du discours, dire que A a été prononcée, énoncée.

Le troisième type d'approche est le symétrique du second, mais l'antécédent exprime le contexte et le conséquent l'action effectuée : si le contexte vérifie la proposition A, alors l'action B est effectuée. C'est essentiellement l'approche développée par Segerberg.

Ce sont les deux premiers types d'étude qui seront ici privilégiés. Dans le premier courant d'analyse, les recherches sur les contrefactuels ont joué un rôle important, en particulier parce que Goodman a remar- qué que l'analyse des factuels (2b), celles des semi-factuels (2c) et celles des conditionnels causaux (2b') se heurtent aux mêmes problèmes que l'analyse des contrefactuels (2a) :

(2a) Si ce morceau de beurre avait été chauffé à 65 degrés , il aurait fondu. (Goodman) (2b) Puisque ce morceau de beurre n'a pas fondu, il n'a pas été chauffé à 65 degrés. (2b') Quand il pleut, la route est mouillée. (2c) Même si ce morceau de beurre avait été chauffé à 65 degrés, il n'aurait pas fondu.

Le factuel (2b) est en fait la contraposée de (2a). Quant au conditionnel semi-factuel, il a la capacité de nier ce qu'un contrefactuel affirme : (2c) est le semi-factuel correspondant à la négation du contrefactuel (2a).

Les contrefactuels, nous l'avons déjà mentionné, sont les condi- tionnels dont l'antécédent est faux. Mais selon Goodman, les contrefac- tuels intéressants sont ceux pour lesquels l'antécédent et le conséquent sont faux. Car le nœud de la question n'est pas de savoir si l'antécédent est vrai ou faux, mais de savoir si une analyse formelle du lien intention- 4. VoirVeltman.

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■ ROMAN FICTION

nel entre antécédent et conséquent peut être donnée. On sait aujourd'hui qu'une telle analyse est possible. C'est ce que prouvent d'une part les travaux de Stalnaker et Lewis, qui ont proposé des formalisations de ces questions5, et d'autre part, plus récemment, les travaux sur le raisonne- ment non monotone et la révision des croyances, relevant de l'Intelligence Artificielle (IA), et portant essentiellement sur les génériques 6 :

(3a) Typiquement, si A, alors B. (3 b) Typiquement, si un animal est un oiseau, alors il vole. (3c) Un oiseau, typiquement, ça vole .

Analyses de cas Prenons quelques exemples de contrefactuels. Ceux qui ont intéressé

les philosophes dans les années 40 étaient des exemples du type de (4), comprenant un terme dispositionnel. Ils s'inscrivaient dans une réflexion épistémologique sur le statut des énoncés scientifiques.

(4) Un corps est soluble si et seulement si s'il était placé dans l'eau, il se dis- soudrait.

Mais on trouve beaucoup d'autres exemples dans la littérature logique:

(5a) Si les grenouilles étaient des mammifères, elles auraient des mamelles. (5b) Si les grenouilles étaient des mammifères, ce serait les seuls mammifères à ne pas avoir de mamelles.

(6a) Si Napoléon n'avait pas attaqué l'Angleterre, il aurait régné longtemps en paix. (6b) Si Napoléon n'avait pas attaqué l'Angleterre, il aurait été renversé par les royalistes. (6c) Si Napoléon n'avait pas attaqué l'Angleterre, il aurait été renversé par les républicains.

(7a) Si César avait dirigé la guerre en Corée, il aurait utilisé la bombe ato- mique. (7b) Si César avait dirigé la guerre en Corée, il aurait utilisé des catapultes.

(8a) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Italiens. (8b) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Français. (8c) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Allemands (8d) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été soit Italiens, soit Français.

5. Le premier ouvrage de référence dans le domaine étant le volume « ifs » édité par Harper Stalnaker et Pearce enl981. 6. On distingue les jugements génériques des jugements universels. Un universel doit être vérifié par tout élé- ment de la classe, alors que le générique précise une propriété de l'espèce, mais pas de tous les individus de cette espèce. Ainsi par exemple, le jugement (3c) ne sera pas invalidé par un oiseau blessé qui ne volerait plus.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

Il ne serait pas satisfaisant de considérer que tous ces exemples se valent, en terme de valeur de vérité. C'est pourtant ce que fait l'analyse traditionnelle de l'implication, qui considère que toutes ces phrases sont vraies, partant du principe que «du faux, tout découle ». La table de vérité du connecteur « si » est la suivante, satisfaisante pour les cas où l'antécédent est vrai, assez arbitraire pour les cas où l'antécédent est faux :

P Q Si P alors Q Vrai Vrai Vrai Vrai Faux Faux Faux Vrai Vrai Faux Faux Vrai

Que penser des différents exemples ci-dessus ? Tous les énoncés sont-ils également vrais, comme le voudrait l'analyse logique tradition- nelle ? Il semble clair, à partir des exemples (7) de Quine sur César, que les contrefactuels ne doivent pas être envisagés ni étudiés en terme de valeur de vérité, mais plutôt en terme de potentiel informationnel, et le cadre des approches dynamiques est sans doute adéquat pour cela. La question de l'orientation du discours est pertinente, orientation ou struc- turation en thème et rhème, distinction entre ce dont on parle (le thème) et ce qu'on en dit (le rhème). Quel est le thème du discours dans le cas de (7) : parle-t-on de César autrefois, ou de la guerre de Corée au ving- tième siècle ?

Les exemples (5) à propos des grenouilles vont exactement dans le même sens, mais mettent nettement en lumière une conséquence de l'idée précédente : même si (5a), comme (5b), est possiblement vraie, il semble difficile de soutenir que (5a) et (5b) seraient simultanément vraies. Ces deux phrases ne peuvent pas être vraies ensemble.

Le cas de (8) est différent, puisqu'on peut dire que si (8a) et (8b) peuvent chacune être vraies (et même simultanément vraies dans la mesure où les nationalités ne sont pas exclusives), il semble naturel de considérer que (8c) est fausse, et que (8d) est vraie.

De façon générale, si je soutiens un contrefactuel, je fais une révision de mes croyances et j'évalue le lien entre A et B une fois mes croyances révisées. Quand je suis face à deux contrefactuels ayant le même antécédent, comme dans les exemples ci-dessus, pour évaluer « si A alors Cl » et « si A alors C2 », je ne peux pas faire les mêmes révisions de mes connaissances, pas choisir le même ensemble T de con- naissances qui restent vraies.

Concrètement, pour évaluer (5a), j'efface de mes connaissances toutes les phrases référant aux caractéristiques physiques des grenouilles,

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■ ROMAN FICTION

et pour évaluer la seconde (5b), j'efface toutes les phrases référant à la classification zoologique des grenouilles. Bien que l'antécédent soit le même, je ne fais pas la même révision de mes croyances. Mais comment expliquer, justifier, légitimer cette révision plutôt qu'une autre ? Il faut avoir recours à l'idée selon laquelle le discours se construit de façon cohérente autour d'un thème7.

S'imposent donc les conclusions suivantes: a) selon le contexte, un même contrefactuel peut être dit vrai ou

faux 8. Cas des grenouilles, de César etc. b) Il est aussi des cas de contrefactuels dont on a envie de dire

qu'ils sont faux, comme (8c). Toujours faux. c) Et des cas où l'on a envie de dire que le contrefactuel est vrai,

indépendamment du contexte. cl) Lorsque l'antécédent est impossible, le contrefactuel semble trivialement vrai :

(9a) Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. (9b) Si les poules avaient des dents, bla bla bla...

Si l'antécédent est impossible, alors il est logique de dire que tout est possible. Cependant, il faut distinguer les cas où l'antécédent est impos- sible, des cas où il est seulement faux. Mais laissons comme Lewis les contrefactuels avec antécédent impossible de côté, pour ne traiter que des autres contrefactuels.

c2) Les contrefactuels dont le conséquent est vrai relèveraient aussi de cet ensemble. Cependant, on remarque qu'il n'y a pas ou peu d'exemples, dans la littérature comme dans la langue ordinaire, de con- trefactuels dont le conséquent serait trivialement vrai, tautologique. On n'a pas l'équivalent mutatis mutandis de (9a) ni de (9b)9.

(9c) Si..., 2 et 2 feraient 4.

À première vue, (8d) est un cas de ce genre, un exemple dont le conséquent est vrai. Mais il demeure que le conséquent n'est pas trivia- lement vrai. Car on pourrait bien faire un ajustement différent de nos croyances, et imaginer un monde, dans lequel Bizet ne serait pas Fran- çais, et Verdi pas Italien, et les deux compatriotes. 7. Certains préféreront parler de « topique » plutôt que de « thème ». 8. On aurait pu aussi reprendre 1 exemple de Lewis :

If kangaroos had no tails, they would toplle over. Si les kangourous n 'avaient pas de queue, ils basculeraient.

Ce jugement est assertable dans une discussion sur les principes du mécanisme, mais non assertable dans une discussion sur l'évolution des espèces. En effet, dans ce second cadre, c'est la phrase suivante qui serait vraie :

Si les kangourous n'avaient pas de queue, le poids de leur corps serait réparti autrement, de sorte qu 'ils ne basculent pas.

9. On pourrait cependant avoir : Si X était ministre des sports, les hommes seraient des hommes.

Mais l'interprétation serait un peu forcée et plus naturelle avec un adjectif évaluatif comme « vrai» : Si X était ministre des sports, les hommes seraient de vrais hommes.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

On voit clairement sur cet exemple qu'une analyse en termes pure- ment vériconditionnels n'est pas satisfaisante et que ce dont on a besoin, c'est de mesurer le coût cognitif de la révision des croyances que nécessite un contrefactuel, c'est de mesurer la distance qui sépare le monde réel du monde contrefactuel à construire.

DES CONDITIONS DE VÉRITÉ AUX MONDES POSSIBLES

Il ne faudrait pas pour autant penser qu'il n'y a rien à dire des conditions de vérité des contrefactuels. Lewis souligne très justement qu'entre ne rien dire et tout dire, il y a une solution intermédiaire, celle du vague. Et il se propose de dire quelque chose de précis sur le vague. En se plaçant dans la sémantique des mondes possibles et en cherchant sur quels critères mesurer la distance entre deux mondes.

Goodman et la cotenabilité Lewis (comme Stalnaker) reprend la réflexion là où l'a laissée

Goodman, d'où la nécessité de rappeler préalablement les termes du débat. Deux grands thèmes de recherche occupaient les philosophes dans les années 40 :

- les termes dits dispositionnels comme « être soluble », ou « être malléable ». Carnap s'est penché sur la définition suivante « Un corps est soluble si et seulement si s'il était placé dans l'eau, il se dissoudrait. ». On voit donc pourquoi l'analyse des termes disposi- tionnels conduit à une analyse des contrefactuels. - Ramsey et le problème de la causalité. Plus généralement, dire que si A alors B, c'est envisager d'ajouter A à un certain stock d'hypothèses H et montrer que de A et H découlent B. Dans le second cas, la difficulté consiste à déterminer comment

choisir H, en évitant quelques écueils. D'une part, il ne faut pas que H soit trivial, en particulier, pas que H contienne non A. Pour ce faire, il ne suffit pas d'enlever A et non A à H, il faut aussi enlever tous les faits qui impliquent non A. D'autre part, il ne faut pas non plus que H con- tienne B, sinon, on ne dit rien.

Une théorie de la dérivation des conditionnels contrefactuels est une théorie selon laquelle « si A alors B » est asserté, en gros, si et seulement si B peut être dérivé de A et de certains jugements vrais qui sont compatibles avec A. Un contrefactuel est vrai, ou assertable, si et seulement si son antécédent, accompagné d'autres prémisses adéquates, implique son conséquent. D'où une règle du type :

A, XI,..., Xn B

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■ ROMAN FICTION

Donc un contrefactuel peut être reformulé comme une implication (« an entailment » ) selon laquelle le conséquent dérive de l'antécédent et d'un stock préalable de connaissances. Et le contrefactuel est dit vrai ou faux selon qu'il existe ou non un tel ensemble XI,..., Xn. On ne peut donc pas rendre compte des contrefactuels en termes purement déductifs.

La difficulté réside essentiellement dans le choix de Xl,...Xn. Comment déterminer cet ensemble H d'hypothèses tacites, que Good- man appelle les cotenables du contrefactuel? Si A est l'antécédent du contrefactuel, « H doit être non seulement compatible avec A, mais aussi cotenable par elle-même, si ne se présente pas le cas suivant: si A était vrai, H ne serait pas vrai.» 10 Prenons un exemple. Si on veut affirmer (1) et nier (2), alors on a un jugement E compatible avec A, mais pas cote- nable avec A.

(1) Si l'allumette avait été frottée, elle se serait allumée. (2) Si V allumette avait été frottée, elle n'aurait pas été sèche. A: L'allumette a été frottée E: L'allumette n'est pas sèche

En fait, il existe toujours plusieurs choix possibles pour H, mais aucun moyen de trouver un sous-ensemble maximal commun à tous ces choix. Qu'est-ce qui intervient donc dans la détermination de cet ensemble d'hypothèses cotenables. Il semble clair que l'antécédent du contrefactuel ne suffit pas pour déterminer ce choix. Le cas des exemples (7) à propos de César en est une illustration. Concrètement, dans le cas de César, il existe plusieurs façons de générer cet ensemble H de « cotenables » ; il en existe au moins deux, ce qui amène à considérer à la fois (7a) et (7b).

La prise en compte conjointe de l'antécédent et du conséquent ne suffit pas non plus, même si souvent le conséquent donne une indication sur l'orientation du discours, le thème du discours. En (7) toujours, le conséquent permet certes de préciser ce cotenable (point de référence actuel ou point de référence passé), mais est-ce le conséquent à lui seul, ou tout le contexte et en particulier la structure informationnelle du contexte? Le rôle du contexte est essentiel et explique par exemple le caractère étrange d'un discours comme le suivant :

(7c) Hier, le professeur d'histoire nous a parlé des batailles menées par César. Il a même dit que si César avait dirigé la guerre en Corée, il aurait utilisé la bombe atomique. Enfin dans le cas des dispositionnels, il faut avoir recours à toute

une somme de connaissances du monde. Dans le cas de l'allumette, Goodman reformule le contrefactuel comme suit: si cette allumette avait été frottée, elle se serait enflammée. À condition qu'elle ait été sèche, qu'on fût dans un milieu avec de l'oxygène... 10. Goodman, p. 39.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

En résumé, l'originalité de Goodman est d'avoir introduit cette idée de « cotenabilité ». Mais le traitement qu'il propose est en fait circulaire : Goodman ne parvient pas à réduire les contrefactuels à des jugements vérifonctionnels. On ne peut réduire les contrefactuels qu'à d'autres contrefactuels : A est cotenable avec S si et seulement si il ne serait pas le cas que S ne serait pas vrai si A l'était.

La question de la reconstitution des hypothèses qu'on considère comme cotenables avec l'antécédent est au cœur du problème des con- trefactuels. Cette question peut être reformulée en terme de distance entre mondes : c'est la même question que celle de la similarité ou de la proximité entre mondes. Et sur ce point précis, les propositions de Lewis et Stalnaker permettent de faire avancer le débat.

Stalnaker et Lewis Stalnaker et Lewis partent du commentaire du même passage de

Ramsey 11 dans leur analyse des contrefactuels. Stalnaker écrit : « Que faire dans le cas où vous savez ou croyez que l'antécédent A est faux ? Là, vous ne pouvez pas purement et simplement ajouter A à votre stock de croyances et de connaissances, sinon, il y aurait une contradiction, vous devez donc procéder à des ajustements en effaçant ou en changeant celles de vos croyances et connaissances qui sont en conflit avec l'anté- cédent A. [...] Voilà comment vous évaluez un conditionnel. D'abord, vous ajoutez l'antécédent à votre stock de croyances, ensuite, vous faites tous les ajustements requis pour maintenir la cohérence de l'ensemble, et enfin, vous considérez si le conséquent est vrai ou non. » Le terme important ici est celui d'ajustement.

On appelle couramment cette procédure le test de Ramsey. Son idée est d'aller évaluer « si A alors B » dans un monde maximalement proche de w, mais dans lequel A est vrai. A - > B est vrai dans un monde w si et seulement si B est vrai dans tous les mondes qui vérifient A et qui sont similaires à w. Mais existe-t-il un monde maximalement proche de w, ou plusieurs ? Le passage du singulier au pluriel est le fait de Lewis.

Du point de vue formel, cette analyse en terme de monde(s) possi- ble^) est absolument équivalente à celle en terme de « cotenabilité ». Il n'en reste pas moins que du point de vue intuitif, elle semble plus réa- liste et plus informative que la précédente. Mais il reste à déterminer ce que c'est qu'un monde proche d'un autre, et même plus précisément, un monde «maximalement» proche d'un autre. Pour répondre à cette ques- tion, il faut étudier la notion de similarité entre mondes.

11. « In general, we can say with Mill that "if p then q" means that q is inferrable from p, that is, of course, from p together with certain facts and laws not stated but in some way indicated by the context. This means that p -> q follows from this facts and laws. . . If two people are arguing "if p will q ?" and are both in doubt as to p, they are adding p hypothetically to their stock of knowledge and arguing on that basis about q. », Ramsey cité dans Hansson, p. 16.

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■ ROMAN FICTION

Pour définir la similarité, il convient d'ordonner les mondes, donc de se donner le moyen de mesurer la distance entre les mondes. Ou bien on propose une mesure quantitative (approches probabilistes), ou bien on se contente d'une approche qualitative (plus proche, moins proche). Lewis opte pour la seconde option et soutient que la similarité est vague, mais que ce n'est pas parce qu'elle est intrinsèquement vague qu'elle ne peut pas être strictement définie. Il montre à quels paramètres se rattache ce vague. Même si les contrefactuels sont vagues, on peut rendre compte de façon claire de leurs conditions de vérité. Une théorie des contrefac- tuels doit donc soit être exprimée avec des termes vagues (ce qui ne veut pas dire incompréhensibles « ill-understood »), soit être relative à certains paramètres dont la valeur ne sera fixée qu'à l'intérieur de limites gros- sières.

En fait, pour évaluer un contrefactuel, il est nécessaire d'avoir recours à la notion de similarité et c'est cette notion qui sera relative, comparative, disons qualitative et non quantitative 12 .

Finissons par l'analyse, dans ce cadre, de deux exemples classique, dont le premier sert de fil conducteur au travail de Lewis :

(10) If Kangaroos had no tails, they would topple over. Si les kangourous n'avaient pas de queue, ils basculeraient.

(10) signifie que dans tous les états possibles du monde (en d'autres termes dans tous les mondes possibles), dans lesquels les kan- gourous n'ont pas de queue, mais qui ressemblent au monde actuel autant que cela est possible, alors les kangourous basculent. Il analyse donc les contrefactuels comme des conditionnels stricts dans des mondes possibles. Le contrefactuel est comparable à un conditionnel strict qui repose sur la prise en compte de mondes possibles similaires, et les mon- des comparables sont des mondes accessibles, accessibles selon une cer- taine relation, qui par exemple, pour le cas de la nécessité physique, conserve l'ensemble des lois de la nature. L'accessibilité est donc une relation relative.

Dans le cas de (10), il faut regarder tous les mondes dans lesquels les kangourous n'ont pas de queue mais dans lesquels aussi tout le reste demeure comme dans le monde actuel. Bien sûr, de tels mondes n'exis- tent pas. S'ils n'ont pas de queue, les kangourous ne peuvent pas avoir le même code génétique que dans le monde actuel par exemple. Il y a nécessairement des changements à faire, des ajustements. Il n'existe pas

12. Lewis écrit : « Je n'ai utilisé qu'un concept qualitatif de similarité, mais je n'ai donné aucun moyen de quantifier la distance entre deux mondes. Mais même avec un concept qualitatif de similarité, on peut parler de degré de similitude. » Et il ne considère pas la possibilité comme une alternative entre tout ou rien. On dira que certaines choses sont plus possibles que d'autres. Il est plus possible qu'un chien parle plutôt qu'une pierre parle et plus possible qu'une pierre parle plutôt que 18 soit un nombre premier.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

de monde identique ou similaire, toute chose égale par ailleurs. C'est plutôt un monde similaire mutatis mutandis que l'on construit. Similaire donc, mais seulement jusqu'à un certain point. Des ajustements sont nécessaires et c'est la relation d'accessibilité qui formalise cette notion d'ajustement.

Selon Lewis, l'antécédent explicite est le réel antécédent, et il en appelle au contexte pour expliquer le vague lié à l'idée de similarité comparative. Il est important de ne pas faire disparaître le vague intrin- sèquement lié au contrefactuel. On notera qu'un tel travail sur la distan- ce entre mondes ne permet pas une mesure quantitative, mais plutôt un classement des différentes lois « de sens commun », ou « d'arrière plan ». Un classement des lois en fonction de leur importance. On ne peut pas, d'après Lewis, ou difficilement, abandonner les lois logiques, ni les lois de la nature, ni les lois physiques...

Considérons maintenant l'exemple (8), dont l'analyse oppose Lewis et Stalnaker. La principale différence entre les systèmes de Lewis et de Stalnaker réside dans le fait que pour Stalnaker, il n'y a jamais qu'un seul monde qui soit le plus proche du monde réel. Du coup, la loi du tiers exclu pour les contrefactuels est valide.

(8a) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Italiens. (8b) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Français. (8c) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été Allemands. (8d) Si Bizet et Verdi avaient été compatriotes, ils auraient été soit Italiens, soit Français.

Pourquoi devoir choisir entre la vérité de (8a) ou de (8b) ? Un contrefactuel peut être vrai, faux, ou arbitraire (c'est-à-dire neutre), s'il est vrai relativement à certains mondes et faux relativement à d'autres. Selon Lewis, (8a) et (8b) sont faux, et par conséquent (8d) aussi. Alors que selon Stalnaker, (8a) et (8b) sont possibles et par conséquent (8d) est vrai.

En résumé, la notion de similitude est vague, mais bien formée. La similitude consiste en des similarités et des différences innombrables, balancées les unes et les autres selon l'importance relative que nous accor- dons à les comparer. Dans la mesure où cette importance relative diffère d'une personne à l'autre, d'une occasion à l'autre, et même pour une même personne, la similitude est indéterminée. L'importance est haute- ment volatile, affirmait Goodman. Voilà pourquoi l'on peut dire que la vérité des contrefactuels est fixe à l'intérieur de limites floues. Le paramè- tre frontière pour le vague des contrefactuels consiste en cette relation de similitude. Lewis soutient que le vague limité de la similitude rend bien compte du vague limité des contrefactuels, et il me semble qu'il a raison.

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■ ROMAN FICTION

Lewis a montré comment rendre compte du changement des croyan- ces dans la sémantique des mondes possibles, la notion de monde possible étant analogue à celle de stock de croyances. Il peut sembler qu'on n'a guère progressé par rapport à la « cotenabilité » de Goodman, et cette impression tient au fait que la notion de similarité est vague. Mais les travaux sur les logiques non monotones offrent une tentative de formalisa- tion de cette question. Après la parution de Ifs, les chercheurs en intelli- gence artificielle ont apporté leur contribution à ces recherches. Depuis les années 1970, en IA, beaucoup de travaux ont porté sur les logiques non monotones et la révision des croyances. Tous ces travaux reposent pour l'essentiel sur un test de cohérence tel que l'on ajoute à l'ensemble des assertions toutes les formules non déductibles qui sont cohérentes avec lui, c'est-à-dire qui conservent la cohérence de l'ensemble 13.

Mondes possibles et mondes fictionnels

Quelles relations existe-t-il entre monde possible et monde fictionnel ? Dans Univers de la fiction, Pavel note un retournement amu- sant de la pensée philosophique et logique. Dans un premier temps, Fre- ge, Russell et le premier Wittgenstein se sont éfforcés de «libérer le discours rationnel de l'emprise du langage ordinaire», et en particulier, «puisque de nombreuses expressions du langage prélogique réfèrent dan- gereusement à des entités non existantes» (l'actuel roi de France, le plus grand nombre premier...), ils ont cherché à «discipliner le langage en éliminant ces références abusives». Les formalismes logiques proposés pendant cette période «bannissaient donc expressément le langage fictionnel». Plus tard, de façon amusante, les recherches en logique modale et en sémantique des mondes possibles ont inauguré un mouve- ment inverse qui rendit perceptible la parenté entre la fiction et le possi- ble. La fiction littéraire servit même de moyen pour mettre à l'épreuve les constructions de la sémantique formelle. Une multitude de proposi- tions ont vu le jour, concernant l'application de la sémantique philoso- phique à l'étude du sens littéraire. Citons seulement lector in fabula d'Umberto Eco, où les références aux mondes possibles sont constantes et où se trouve même une analyse d'une nouvelle d'Alphonse Allais qui répond aux critères de ce formalisme. Un débat s'est ouvert sur la réfé- rence littéraire et les mondes fictionnels. De vieilles questions se sont reposées, comme celles de la vérité littéraire, de la nature de la fictiona- lité, de la distance et de la ressemblance entre littérature et réalité.

Dans son travail sur la fiction, Pavel propose d'étudier le rapport entre monde fictionnel et monde possible afin, en particulier, de repenser les questions de démarcation entre fiction et non fiction. Il rappelle que, face à la question du statut des individus, entités et autres événements

13. Voir Gabbay, Makinson et Kraus.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

convoqués dans la fiction, on peut opter pour l'une ou l'autre des deux positions extrémistes, celle de l'étanchéïté, tellke que la pose Genette, ou celle de la perméabilité absolue, telle que la conçoit Meinong. Et lui- même milite pour une position moyenne. Je ne rappellerai pas ici la position « étanchéitaire », ou valorisant l'étanchéité, que Christine Mon- talbetti a décrite 14, mais je dirai un mot de la position de Meinong.

Meinong part du fait que chaque objet existant correspond à une liste de propriétés, et il inverse la proposition: à chaque liste de proprié- tés doit correspondre un objet. Du coup, les objets de fiction existent, font partie du monde réel, comme tout autre objet. Il suffit qu'on en parle pour qu'ils existent, mais ils existent comme objets de fiction, puisque c'est une de leur propriété que d'être apparus dans une fiction.

Pavel milite en faveur d'une troisième position qui ne veut pas régler si radicalement le problème du statut des objets fictionnels. Tout séparer ou tout inclure serait peu satisfaisant, d'autant qu'il y a claire- ment dans la fiction des objets mixtes, ceux qui allient éléments fictifs et éléments réels, et qui de ce fait accordent aux objets réels droit de cité dans la fiction. Il suggère, comme Parsons, de distinguer dans la fiction trois statuts : les personnages ou objets autochtones d'une part, les per- sonnages ou objets immigrés d'autre part, et enfin les substituts dans un texte. Les autochtones sont des personnages inventés, les immigrés vien- nent d'ailleurs, du monde réel ou d'un autre texte, et les substituts men- tionnent un objet réel, mais en le modifiant considérablement. Ce sont les répliques de Fauconnier ou de Zeevat.

La différence entre immigrés et substituts est difficile à faire. Genette soutiendrait qu'il n'y a que des autochtones, pas de substituts, et un vrai relativiste affirmerait qu'il n'y a que des immigrés. En fait, la distinction entre immigrés et substituts est, comme la notion similarité, sans doute vague, mais elle peut être faite par le truchement de la notion de distance entre monde. Cette différence dépend de la fidélité de la représentation, bien-sûr, mais la fidélité comme la similarité est relative. Quant il parle de distance entre mondes, Pavel écrit qu'«une certaine opacité graduelle à l'inférence, une certaine résistance accrue aux struc- tures maximales doivent assurément traverser les mondes fictionnels en les préservant de la croissance indéfinie dans des directions inutiles. On est face à l'inextricable question de l'inférence fictionnelle. » On sait que certains philosophes pensent que l'incomplétude est le principal trait dis- tinctif des mondes de la fiction. C'est une idée intéressante, qui expli- querait à la fois pourquoi il est difficile de mesurer la distance entre monde fictionnel et monde réel, et aussi pourquoi il y a place pour de multiples interprétations. Cela dit, le monde fictionnel, tout en étant incomplet, n'est pas pour autant vide, il pose certaines contraintes qui

14. Voir ci-dessus, p. 44-55.

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■ ROMAN FICTION

fixent des limites à l'interprétation (pour reprendre un titre de Eco) et doit rester cohérent.

Si l'on revient au rapport entre mondes fictionnels (considérés comme des mondes possibles) et monde réel, il existe trois façons d'envisager leurs relations.

On peut considérer que le monde fictionnel est un possible inacces- sible. C'est le choix d'une position étanchéïtaire, dont le coût est impor- tant car il faut reproduire dans le monde fictionnel tous les éléments du monde réel convoqués même à titre secondaire par la fiction.

On peut considérer que le monde fictionnel est un possible accessi- ble. En fonction de la distance, il y aura plus ou moins facilement un mouvement d'aller retour du possible au réel.

On peut enfin considérer que le monde fictionnel fait partie du monde réel, et c'est d'ailleurs aussi pourquoi il nous donne à voir le monde réel, selon Goodman et sa théorie des versions du monde. C'est plutôt la position que je soutiendrai, car s'il y a inclusion, il peut aussi y avoir comme le pense Tiphaine Samoy ault, débordement de l'un par l'autre. L'intérêt d'une telle approche est qu'elle ne condamne pas à des rapports de continuité ou de contiguïté entre monde réel et monde fic- tionnel, mais qu'elle permet une mise en relief de certains aspects de l'un par l'autre.

CONTREFACTUELS ET LANGUE

Revenons à l'observation de données linguistiques, pour montrer d'une part que le repérage des contrefactuels n'est pas chose simple (parce qu'il n'existe pas une forme linguistique unique pour générer des contrefactuels), et d'autre part que l'emploi de contrefactuel sémantique dans le discours est assez fréquent, et donc qu'il est nécessaire d'en faire une bonne analyse. Toute phrase ne peut pas être interprétée comme une phrase contrefactuelle, et il existe clairement des contraintes de nature linguistiques et surtout discursives sur l'apparition et l'emploi de contre- factuels dans la langue. Arrêtons-nous un instant sur deux classes de contrefactuels qui ont été étudiées par des linguistes, et qu'on appelle des contrefactuels nus.

Jean n'aurait pas fait ça, lui Il existe une étude de Kasper sur les contrefactuels nus, c'est-à-dire

des phrases au conditionnel qui s'interprètent selon lui comme des con- trefactuels mais qui ne nécessitent pas, pour être comprises, de contexte linguistique. Voici quelques exemples :

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

(9a) Jean n'aurait pas fait ça. Jean n'aurait pas fait ça, lui.

( 10a) Ta sœur aurait réussi. Ta sœur aurait réussi, elle.

On notera l'interprétation comparative ou contrastive soulignée par le redoublement clitique du sujet. Si Kasper parle de contrefactuels, c'est parce qu'on peut paraphraser les exemples comme suit :

(9b) S'il avait été à ta place, Jean n'aurait pas fait ça. (10b) Si elle avait été dans une telle situation, ta sœur aurait réussi.

Et s'il les nomme des contrefactuels nus, c'est parce que l'antécédent du contrefactuel n'est pas exprimé linguistiquement, mais reconstruit, au même titre que l'ensemble des autres hypothèses « cotenables ». Selon Kasper donc, il s'agit de contrefactuels, et on peut en déduire deux points. D'une part que Jean n'a pas été à ta place (respectivement que ta sœur n'a pas été dans une telle situation), d'autre part que Jean n'a pas fait ça (respectivement que ta sœur n'a pas réussi).

Il me semble que cette analyse est erronée. En effet, on voit bien que la seconde inférence à propos de (10) est trop forte. On ne peut pas déduire de (10) que ta sœur n'a pas réussi, mais seulement qu'elle n'a pas tenté l'examen, s'il s'agissait d'un examen, qu'elle n'a pas été dans une situation qui lui aurait permis de réussir. En fait, il me semble que ces exemples ne sont pas des cas de contrefactuels, mais plutôt des cas de comparaisons. Lorsqu'on asserte (9), on ne dit pas que Jean ne s'est jamais trouvé dans une telle situation, on ne dit pas que cette situation ne s'est jamais produite, qu'elle n'a pas existé. On ne se place donc pas dans une vraie hypothèse de contrefactuel, car c'est cela qui fait la spécificité du contrefactuel par rapport au potentiel par exemple. Un contrefactuel doit prendre pour hypothèse un fait faux, une contre-vérité. Une phrase comme (11) n'est pas contrefactuelle, mais seulement potentielle :

(11) Si j'étais riche, je m'achèterais un château en Touraine.

Un exemple comme (12) montre plus clairement que (9) et (10) le carac- tère non contrefactuel des cas étudiés par Kasper.

(12) Ma mère ne laverait pas le rouge et le blanc ensemble.

Cela ne signifie pas que ma mère n'a jamais été dans une situation où laver le rouge et le blanc ensemble, mais seulement que dans une telle situation, elle ne le ferait pas. Pour preuve, la cohérence du discours (13):

(13) - Jean n 'aurait pas fait ça, lui. - Comment le sais-tu ? - Je le connais bien, et puis surtout, il lui est arrivé la même chose qu 'à toi il y a deux jours, et il n 'a pas eu la même réaction.

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■ ROMAN FICTION

Il ne me semble pas que les phrases étudiées par Kasper soient véritablement des cas de contref actuels. Et si l'on cherche à reconstruire le contrefactuel avec sa structure pleine (« Si A alors B »), la seule phra- se qui soit contrefactuelle et qu'on puisse construire, est triviale. C'est : « ma mère n'est pas toi », « Jean n'est pas toi ».... Or on a déjà évoqué la difficulté qu'il y aurait à penser des contrefactuels dont l'antécédent serait trivialement faux.

Il n'a pas plu. La route serait mouillée Il est une autre série d'exemples, étudiés par Amsili et Corblin,

plus intéressante.

( 14a) Il n 'a pas plu. La route serait mouillée.

Ces exemples sont caractérisés par deux propriétés. D'une part, on peut reconstruire un contrefactuel avec sinon :

(14b) Il n'a pas plu. Sinon , la route serait mouillée. (14c) Il n'a pas plu. S'il avait plu, la route serait mouillée.

D'autre part, l'antécédent de ce contrefactuel est faux, et le conséquent aussi est faux. Donc la phrase au mode conditionnel est à interpréter comme une phrase niée : la route n'est pas mouillée. Il s'agit d'un emploi du conditionnel très différent de l'emploi «journalistique » de ce même mode, comme illustrée dans la phrase suivante qui est une structu- re conditionnelle classique :

(15) Si j'en crois mes informateurs, le dictateur serait en fuite. En (14), le conditionnel sert à asserter le contraire de ce que la phrase au mode indicatif dénote.

Mon opinion est qu'il existe un certain nombre de contraintes for- melles sur l'apparition de ces contrefactuels, qui ne sont pas des con- traintes portant sur le temps ou le mode du verbe, mais plutôt des contraintes portant sur le type de texte (texte narratif, journalistique, iro- nique...) dans lequel ces contrefactuels nus apparaissent, sur la structure interne du texte, sa construction discursive (enchaînement, élaboration, contraste...), et ici la relation de justification joue. Cette relation montre encore l'importance d'une analyse en terme de thème et rhème.

CONCLUSION

Revenons pour conclure à la fiction. Comment l'analyse des con- trefactuels a-t-elle permis de déplacer la question du rapport entre réel et fiction et de la reposer ? La question des contrefactuels est une question difficile et qui reste ouverte. Néanmoins, elle permet de mettre en évi- dence un vrai problème, un problème en soi, mais aussi un problème

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

auquel sont rattachés une multitude d'autres, en rapport direct avec la question des relations entre réel et fiction.

• La question du Nom propre

(16) Si Jeanne avait été un garçon, elle aurait été footballeur. Mais si Jeanne avait été un garçon, que lui resterait-il de Jeanne, que lui resterait-il qui rendrait légitime qu'on l'appelle encore Jeanne ? Le pro- blème posé ici est celui de la relation de réplique entre mondes, problè- me dont traite par exemple Zeevat dans un article de Langage , mais aussi Fauconnier, ou d'autres quand ils étudient des énoncés linguisti- quement bien formés et porteurs de sens dont la structure logique est celle d'une contradiction par exemple :

(17a) La fille aux yeux bleus a en fait les yeux verts.

ou pour reprendre un exemple de Catherine Perret :

(17b) Les draps écarlates de Flaubert sont blancs. • La question des relations de réplique d'un monde à l'autre :

(18) Si le gagnant n 'avait pas soudoyé le juge, il n 'aurait pas gagné la course.

Comment parler d'un gagnant qui ne gagne pas. Il est clair qu'il n'y a pas d'étanchéïté entre les mondes, pas plus entre le monde réel et le monde fictionnel, qu'entre le monde réel et un monde possible. Ces mondes communiquent, au moins du point de vue de la dénomination. Le langage autorise des relations de coréférence entre éléments de mon- des distincts.

• La question du rapport entre sens et vérité Christine Montalbetti cite cette affirmation de Genette : «Le

texte de fiction ne conduit à aucune réalité extratextuelle, chaque emprunt qu'il fait (constamment) à la réalité se transforme en élé- ment de fiction, comme Napoléon dans Guerre et Paix ou Rouen dans Madame Bovary. » 15 « La fiction, selon Genette, explique C. Mon- talbetti, absorbe tout sous son régime. Elle n'est pas trouée de scories référentielles, mais au contraire elle fictionnalise chacun des éléments qu'elle convoque. » Or même si le roman ne change en rien la référence de Rouen quand il parle de Rouen, il en changera néanmoins l'idée que moi, lecteur, j'en ai. Donc en lisant, j'augmente mon expérience, ce qui fait que mon stock de croyances évolue et de ce fait ma vision du mon- de, mon approche du monde est changée, car j'appréhende toujours le monde au travers du filtre de mes croyances. Sur le plan de la théorie littéraire comme sur le plan logique, la position étanchéïtaire de Genette me semble inattaquable, mais elle ne permet pas de rendre compte des

15. Fiction et diction, Seuil, «Poétique», 1991, p. 37.

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■ ROMAN FICTION

effets de la fiction sur le lecteur. Il serait un peu malhonnête de lui en faire le reproche dans la mesure où ce n'est absolument pas son ambition.

Tiphaine Samoy ault, citant les propos d'Alexis Tadié, montre com- ment « la fiction ne s'oppose pas à la réalité, mais procède d'une prati- que langagière et cognitive indépendante d'une relation de vérité ou de fausseté. » Et elle explique comment l'attachement du lecteur pour le texte romanesque s'analyse en termes d'ouverture, de prolongement ou d'augmentation, comment l'enveloppement de la vie du lecteur dans le temps de sa lecture souligne le développement de l'un par l'autre, le débordement du temps de la vie par le temps de la lecture. Ce déborde- ment, ce prolongement entre temps de vie et temps de lecture montre qu'il ne faut surtout pas analyser la fiction comme un intermonde entre vrai ou faux, mais bien plutôt parler d'intensité ou d'accélération du réel dans et par la fiction. L'« accélération du réel dans ou par la fiction», comme «l'intensité de la présence du réel dans le langage » sont des idées intéressantes. L'analyse du rapport, de la distance entre monde réel et monde possible (ou monde fictionnel) peut être un moyen d'en rendre compte. Il semble important de souligner que rien n'oblige à mesurer cette distance de façon linéaire. On peut préférer superposer monde réel et monde fictionnel et chercher à voir s'il y a débordement de l'un sur l'autre, où il y a intensification de certains aspects de l'un dans l'autre... C'est cette superposition qui permet d'expliquer comment la fiction donne en retour du relief au réel, et une telle analyse présente l'avantage par rapport à une position étanchéïtaire de faire l'économie du dédoublement systématique de chaque entité du monde réel convoquée par la fiction.

La fiction n'est pas à analyser en terme de valeur de vérité, elle n'est ni vraie, ni fausse, mais elle permet de superposer au monde réel un monde possible qui lui donne un relief particulier. La mesure des similitudes et des différences entre ce monde possible ou fictionnel et le monde réel, si tant est qu'il existe, est laissée aux soins du lecteur. L'analyse des contrefactuels a le mérite de nous obliger à nous pencher sur cette question de la distance, de sa mesure, et sur le concept de similitude.

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FICTION ET CONTREFACTUELS ■

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