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Réponse de Roland Goigoux à la seconde question de la conférence de consensus Comment organiser et planifier l’enseignement de la lecture aux différentes étapes de la scolarité primaire ?
Comment doser les différentes composantes de cet ensemble ? Quelle est la pertinence des diverses méthodes ?
Introduction : une réponse pour le cycle 2
Nul n’est censé ignorer la loi. Or, dans le domaine de l’enseignement de la lecture, la loi s’exprime sous forme de programmes dont la dernière édition, parue en 2002,
répond en partie à la question qui nous est posée. Ces programmes, dont nous
partageons les grandes orientations, ont été largement inspirés par les résultats des
recherches dont nous sommes également porteurs. Nous nous efforcerons cependant
de préciser les points laissés dans l’ombre et d’apporter des éléments de réponse aux
plus controversés d’entre eux, non sans rappeler qu’une partie des doutes des
enseignants provient justement des hésitations, voire des contradictions, de cette
prescription officielle au cours des trente dernières années. Pour rester dans les limites
d’espace qui nous sont imparties, nous nous centrerons sur le cycle 2, objet de toutes
les polémiques.
La question qui nous est adressée pose le problème de la planification de l’enseignement de la lecture. Elle concerne donc l’activité professionnelle des maîtres,
c’est-à-dire la préparation et la réalisation de tâches qu’il s’agit de choisir et d’agencer
dans le temps et dont il faut réguler le déroulement en classe. Pour y répondre, nous
décrirons d’abord les différentes composantes impliquées dans l’enseignement de la
lecture puis la manière dont elles sont traitées par les méthodes utilisées au cycle 2.
Quelles sont les « composantes de l’enseignement de la lecture » que les maîtres doivent « doser » aux différents moments de l’apprentissage ?
Quatre composantes sont impliquées dans l’enseignement de la lecture, indissociable
de celui de l’écriture : l’identification et la production des mots, la compréhension de
textes, la production de textes et l’acculturation à l’écrit . Inutile de revenir ici sur les trois premières puisqu’elles sont largement développées dans les réponses aux
questions n°1, n°3 et n°4 de la conférence de consensus. Mais il faut nous arrêter un
instant sur la quatrième de ces composantes, que nous désignons par le terme
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acculturation, et qui concerne le travail d’appropriation et de familiarisation avec la culture écrite, ses œuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales : elle vise
notamment à faire découvrir aux élèves le pouvoir d’action et de réflexion que confère
la maîtrise de la langue écrite (les maîtres parlent à ce sujet de construction d’un
« statut » ou d’une « posture » de lecteur). Ce processus d’acculturation permet
l’acquisition de nouveaux savoirs, de nouvelles attitudes et de nouveaux usages qui
dépassent amplement les seuls apprentissages linguistiques. Les programmes de 2002
précisent à ce sujet que les ouvrages de littérature de jeunesse constituent « la base
culturelle » de l’enseignement de la langue écrite.
Quelles sont les pratiques effectives au cours préparatoire aujourd’hui ?
Toutes les recherches descriptives portant sur les pratiques d’enseignement au CP
montrent que les maîtres consacrent l’essentiel du temps alloué à l’apprentissage de la
lecture à la construction et à l’automatisation des procédures d’identification des mots,
priorité qu’on peut schématiser ainsi :
Schéma n°1 : les pratiques majoritaires au cours préparatoire
Acculturation
Production Compréhension de texte de texte
Identification et production de mots
Sur notre mappemonde didactique, la position des points sur les axes correspond (approximativement) à la
proportion du temps d’étude consacrée à chaque composante. Le cercle (en pointillé) représente le seuil de 50 %
du temps global d’enseignement de la langue écrite.
On note aussi que la plupart d’entre eux se préoccupent plus de compréhension de
phrases que de compréhension de textes. Dans les classes, l’accès au livre est souvent réservé aux meilleurs lecteurs, ceux qui ont terminé leur travail avant les autres. Il
semble également que les pôles « production de texte » et « acculturation » soient peu
explorés au cours préparatoire.
On peut comprendre ce choix comme le résultat d’une conception étapiste de
l’enseignement de la lecture : les élèves devraient apprendre à identifier les mots écrits
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avant d’être mis face à des problèmes de compréhension de textes1, maîtriser les mécanismes de base avant d’accéder à culture écrite, apprendre à lire avant
d’apprendre à écrire. On peut aussi l’interpréter comme une restriction délibérée, donc
stratégique, du nombre d’objectifs d’enseignement à viser au cours préparatoire afin
d’assurer la plus grande maîtrise possible des seuls mécanismes opératoires. Mais,
pour être pertinente, cette stratégie supposerait que trois conditions soient réunies :
1. que les élèves arrivent au cours préparatoire dotés des habiletés requises pour
bénéficier de l’enseignement formel qui y sera délivré (les habiletés phonologiques
et visuelles, spatiales et temporelles, de comparaison et de catégorisation, les
habiletés de copie, de mise en relation de la chaîne orale et de la chaîne écrite – au
niveau des mots et des constituants des mots : principe alphabétique, etc.)
2. qu’ils soient familiarisés avec la langue écrite (lexique, syntaxe et genres textuels), 3. qu’ils aient abondamment bénéficié d’une initiation à la culture écrite (ses
référents, ses réseaux, ses fonctions et ses usages).
On peut d’ailleurs remarquer que les familles de milieux sociaux favorisés contestent
rarement ces choix pédagogiques (mieux, elles les réclament) tant elles ont confiance
dans leur capacité à apporter elles-mêmes lesdites connaissances à leurs enfants. Ils ne
le sont pas plus dans les familles de milieux populaires, pour des raisons qui tiennent
cette fois aux représentations qu’elles se font de l’apprentissage et au crédit qu’elles
accordent à l’école. Cet apparent consensus parental ne doit donc pas masquer des
attentes différentes envers l’école.
On constate aussi qu’une orientation instrumentale du cours préparatoire est d’autant plus facile à soutenir que l’école maternelle s’est, en amont, attachée à réunir ces trois
conditions. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, en particulier lorsqu’elle ne
planifie pas de manière rigoureuse les activités nécessaires au développement de telles
habiletés. Les tâches d’enseignement sont parfois trop aléatoires, trop dépendantes des
projets liés à la vie de la classe, trop axées sur la découverte au détriment de la
réflexion, de la compréhension et de l’entraînement ; elles gagneraient à être plus
ordonnées, plus régulières et plus fréquentes.
1 Cette conception a prévalu durant les trois quart du siècle dernier. Les instructions de 1923, en vigueur jusqu’en 1972, répondaient à leur manière à la question qui nous est posée aujourd’hui. Elles découpaient l’enseignement de la lecture en trois étapes : apprentissage du déchiffrage (au cours préparatoire), lecture courante (au cours élémentaire) puis lecture expressive (au cours moyen).
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Lorsque les trois conditions énoncées plus haut ne sont pas réunies, les élèves tirent peu bénéfice de l’enseignement dispensé au cours préparatoire et pâtissent d’une
centration trop précoce et trop exclusive de l’enseignement sur l’identification et la
production de mots (le pôle sud de la planisphère didactique). Ils échouent par
exemple à traiter le langage comme un objet autonome que l’on peut étudier d’un point
de vue strictement phonologique et ne parviennent pas à relier les manipulations
linguistiques portant sur des unités autonomes et vides de sens (par exemple
transformer des lettres en sons) et les activités langagières riches de significations qui
leur sont familières. Or, pour réussir les exercices scolaires proposés dès le début du
cours préparatoire, il faut pouvoir s’intéresser à la langue pour elle-même,
indépendamment du sens qu’elle véhicule2. Et c’est précisément cette compétence qui
fait défaut aux élèves qui ont rarement l’occasion (à l’école comme à la maison) d’être confrontés à des situations qui favorisent son développement.
Ce sont ces élèves qui sont au centre de nos préoccupations didactiques, ceux qui
doivent impérativement construire à l’école (en grande section et au cours
préparatoire) ce que les autres enfants ont déjà construit hors l’école. Mais ces
préoccupations rencontrent-elles celles de tous les maîtres ? En d’autres termes, les
réponses techniques à la question qui nous est posée dépendent des priorités que se
donnent les enseignants et, à travers eux, l’État dans leurs choix éducatifs. On ne peut
traiter de la question des dosages et des équilibres sans avoir répondu préalablement à
la question : qui doit en bénéficier en priorité ? Si ce sont les élèves les moins
performants, ceux qui, selon nous, ont le plus besoin de l’école, alors l’équilibre présenté sur le schéma n°1 n’est pas le bon. C’est ce que la recherche pédagogique et
les centres de formation (Écoles Normales puis IUFM), le plus souvent relayés par les
corps d’inspection du premier degré, s’efforcent de dire depuis une trentaine d’années
sans toutefois être parvenus à construire une alternative satisfaisante.
2 Prenons un exemple pour être mieux compris. Dans beaucoup de classes, on demande aux élèves de chercher des mots qui riment avec leur prénom pour fabriquer une comptine du type « Je m’appelle Nicolas, j’aime bien le chocolat ». Pour donner une réponse correcte, il faut être capable 1° d’inhiber le traitement sémantique (ne pas dire ce qu’on aime vraiment : les frites !), 2° de décomposer son prénom en syllabe, 3° d’en abstraire la syllabe finale, 4° d’aller chercher dans son lexique mental un mot qui finit de la même manière… Autant de compétences qui, on le sait, font encore défaut à nombre d’élèves à l’entrée au CP si elles n’ont pas été exercées à l’école maternelle ou dans la famille. Et que les maîtres du cours préparatoire devront s’attacher à développer dès le début de l’année.
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Comment construire une alternative ?
Les méthodes ont évoluées pour répondre aux nouveaux objectifs assignés à l’école
primaire3 : depuis les années 1970, celle-ci n’a plus pour mission de fournir un simple
savoir déchiffrer mais de favoriser, pour tous, un apprentissage de la compréhension
des textes permettant de poursuivre des études secondaires. Dans l’esprit initié par le
« plan de rénovation du français » (cf. les instructions de 1972), enseignants et
formateurs ont mis au point des procédures ambitieuses d’enseignement de la
compréhension et de la production de textes, dès le cycle 2, en étroite relation avec la
découverte de la culture écrite et de la littérature de jeunesse. Malheureusement, ils se
sont plus attachés à la langue et la culture écrite qu’aux habiletés cognitives
impliquées dans l’apprentissage de la lecture. Pour mieux promouvoir leurs innovations, les formateurs d’enseignants ont souvent minimisé l’importance de
l’apprentissage des procédures d’identification des mots et sous-estimé le prix à payer
(c’est-à-dire les procédures à enseigner et le temps à consacrer) pour automatiser les
traitements de « bas niveau ». Nous pensons que cette erreur peut aujourd’hui être
rectifiée sans perdre le bénéfice des innovations conduites au cours des dernières
années.
Schéma n°2 : un deuxième équilibre inadéquat, celui des recommandations des
centres de formation durant les années 80-90
Acculturation
Production Compréhension de texte de texte
Identification et production de mots
Les recommandations des formateurs ont été d’autant mieux suivies qu’elles
rencontraient les préoccupations des maîtres soucieux de favoriser le développement
de la compréhension et qu’elles proposaient des alternatives à des pratiques
fastidieuses et inefficaces (la litanie des séances de lecture collective à haute voix par
exemple) et aux vieux manuels souvent indigents. Depuis, fort heureusement, de
nombreux travaux de recherche ont montré qu’il n’existe aucun antagonisme entre
3 N’oublions pas que l’ancien certificat de fin d’études primaires, réussi par seulement une moitié des élèves d’une génération, n’incluait aucune épreuve permettant de vérifier la compréhension des textes (la lecture était réduite à un simple exercice de lecture expressive).
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déchiffrer et comprendre et que les dénonciations péremptoires des années 80 n’avaient plus cours. Les usages de la lecture à haute voix, qu’il convient de conserver
mais sous d’autres formes (notamment celle d’entraînements postérieurs à une
première lecture-compréhension), ont été redéfinis. L’édition scolaire a également
beaucoup évolué en proposant des manuels qui échappent aux principales critiques des
années 70 : les textes proposés sont, pour certains, suffisamment complexes pour
permettre un véritable enseignement de la compréhension et suffisamment intéressants
sur le plan symbolique, imaginaire et culturel pour initier des enfants de 6-8 ans à la
lecture.
Il nous paraît donc inutile et dangereux, en réaction aux outrances passées (et au prix
d’une amplification caricaturale de dérives ponctuelles), de vouloir redresser brutalement la barre en sur-valorisant une seule composante didactique. Les
programmes eux-mêmes suggèrent un point d’équilibre qui accorde la part belle à
l’hémisphère nord sans négliger le sud ! (cf. schéma n°3).
Schéma n°3 : un équilibre possible pour le cycle 2 Acculturation
Production Compréhension de texte de texte
Identification et production de mots
La répartition du temps indiquée sur ce schéma (P : 15%, A : 20% , C : 25%, I : 30%)
n’a qu’une valeur indicative : aucune recherche n’a exploré la question des meilleurs
dosages temporels. Le problème posé reste donc entier : la nécessité de ne laisser
aucune composante dans l’oubli ne signifie pas qu’il faille les traiter de manière équivalente tout au long du cycle 2.
Les ouvrages proposés pour la formation des maîtres dressent l’inventaire des activités
capables de contribuer à la formation de bons lecteurs. Il serait facile de les
additionner aux quatre coins de notre mappemonde didactique ; mais le temps scolaire
n’est pas illimité et il convient de choisir parmi ces activités celles qui constituent le
« noyau dur » des programmations d’un niveau donné. Si enseigner c’est choisir, dans
le cas de l’apprentissage de la lecture, choisir c’est d’abord renoncer. Pour cela il faut
définir les apprentissages qui conditionnent les apprentissages ultérieurs, comme nous
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l’avons fait collectivement dans la brochure « Lire au CP » (document d’accompagnement des programmes 2002). Il faut également distinguer les activités
qui peuvent être réalisées simultanément, à la même période de l’année, de celles qui
doivent se succéder selon un ordre pré-établi.
Que sait-on de l’efficacité des différentes méthodes ?
Peu de choses.
Les nombreuses recherches de psychologie sur l’apprentissage initial de la lecture
conduites au cours des deux dernières décennies se sont attachées à étudier un élève
générique, hors de tout contexte social et pédagogique. À de rares exceptions près,
l’intervention des maîtres a été ignorée car jugée sans grande influence sur la dynamique de cet apprentissage. Lorsqu’il a été pris en compte, l’enseignement a été
décrit de manière très sommaire, en opposant le plus souvent les méthodes dites
globales et celles qualifiées de phoniques. De surcroît, cette opposition a été abordée à
partir des seules affirmations des maîtres se réclamant de telle ou telle méthode. En
conséquence, la dimension idéologique y tenait toujours une place dominante.
La mise en évidence de « l’effet - maître » dans le champ des sciences de l’éducation
n’a pas fondamentalement modifié cet état de faits. Elle a contribué à faire ressortir
l’impact du rôle des enseignants (on sait qu’il en est de plus « efficaces » que d’autres)
sans toutefois élucider quelle composante de leur activité influait sur les performances
des élèves.
Les didacticiens du français, quant à eux, ont élaboré de nombreuses propositions
d’ingénierie didactique, assorties d’études descriptives, mais ils n’ont pas cherché à en évaluer la portée (voire la pertinence) à travers une mesure de leur impact sur les
apprentissages des élèves.
Si aucune étude comparative des méthodes de lecture n’a permis d’établir la
supériorité de l’une par rapport à l’autre, ce n’est pas parce que toutes les pratiques se
valent mais parce que la variable « méthode », trop grossière et mal définie, n’est pas
une variable pertinente pour une telle recherche. Pour comprendre ce qui différencie
véritablement les choix pédagogiques opérés par les maîtres et leur effet sur les
apprentissages des élèves, il est nécessaire de substituer à cette approche en termes de
« méthode » une analyse reposant sur l’examen simultané de nombreux indicateurs et
de dépasser les déclarations de principes pour entrer dans le détail des pratiques
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concrètes. Des recherches en cours s’efforcent de le faire, mais elles sont encore trop balbutiantes pour que l’on puisse en tirer des conclusions catégoriques.
Répondre à la question n°2 est donc une gageure sur le plan scientifique tant nous
manquons de recherches fiables qui mettraient en relation les pratiques effectives
d’enseignement de la lecture avec les performances des élèves. Ce qui est possible, et
nous nous y emploierons, c’est d’inférer les caractéristiques des pratiques efficaces à
partir de ce que nous savons des processus d’apprentissage des élèves et des études
quasi expérimentales qui ont cherché à évaluer l’impact de telle ou telle dimension de
l’acte de lire. Mais, dans les deux cas, le risque d’erreur n’est pas négligeable car si
l’apprentissage de la lecture permet de nombreuses compensations (ainsi, au début de
l’apprentissage, une insuffisante automatisation des processus d’automatisation des mots peut être compensée par des traitements contextuels reposant sur de bonnes
connaissances linguistiques et culturelles), son enseignement en autorise également
beaucoup. Tel enseignant, par exemple, qui accorde peu de place au décodage grapho-
phonologique parvient à d’excellents résultats avec ses élèves en leur proposant de
nombreuses tâches d’écriture qui les obligent à une intense activité d’encodage phono-
graphique. Une observation exclusivement centrée sur les procédures d’identification
des mots pourrait passer à côté d’une interprétation pertinente des performances
constatées.
Pour les mêmes raisons, des chercheurs comparant les effets des méthodes phoniques
et globales ont eu bien du mal à expliquer et à interpréter la supériorité des élèves
soumis aux méthodes globales, supériorité qui allait croissante au cours du cycle 2 après un départ plus lent que celui des élèves bénéficiant des approches phoniques
strictes. Ils avaient négligé le fait que les méthodes globales (contrairement aux
méthodes idéo-visuelles qui s’y refusent) organisent une substantielle étude des
relations graphophonologiques fondée sur la recherche d’analogies entre les mots
étudiés.
La confusion règne, au point que les enseignants eux-mêmes demandent une
clarification sur les méthodes d’enseignement de la lecture. C’est d’autant plus utile
que chacune de ces méthodes répond, explicitement ou non, à la question des choix
(donc des renoncements) entre les multiples activités d’enseignement possibles.
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Quels sont les critères qui permettent de distinguer les principales méthodes d’enseignement de la lecture au cours préparatoire ?
Pour simplifier cette présentation, nous emploierons le mot « méthode » pour désigner
l’ensemble constitué par les principes théoriques qui guident la planification et la
réalisation de l’enseignement et par les objets matériels qui facilitent sa mise en oeuvre
(exercices, textes supports, affichages, etc.).
Nous définirons les critères qui permettent de distinguer les principales méthodes en
parcourant successivement les quatre composantes présentées ci-dessus.
Nous mentionnerons les plus significatifs de ces critères sur un schéma (n°4) faisant
apparaître six ensembles : syllabique, mixte, phonique, interactive, naturelle (ou globale) et idéo-visuelle.
Schéma n°4 :
Apprentissage initial de la lecture : les principales méthodologies d’enseignement
Identifier les mots (2 voies)
Enseignement des correspondances oral / écrit
Mémorisation orthographique
Primeur Signe Sens
Écrit Oral
Lettre Lettre Phonème Phonème Texte Texte Texte Unités Syllabe Syllabe Graphème Graphème Phrase Phrase Phrase
Mot Mot Mot Mot Mot Mot Phrase Phrase Gr-Ph
Étude Du code
(GP)
Synthèse Synthèse Synthèse Analyse et synthèse
Analyse aucune
Dominante Décodage des mots Compréhension de texte Culture écrite Interactions lecture / écriture
Nom d’usage
Syllabique Mixte Phonique Interactive Naturelle (Globale)
Idéo-visuelle
Auteurs cités
Boscher Bentolila Gombert Chauveau Tauveron Freinet Foucambert
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Les pratiques pédagogiques, comme toutes les pratiques sociales historiquement situées, sont le fruit de métissages. Les enseignants, bricoleurs éclectiques, n’hésitent
pas à emprunter aux différentes méthodes ce qui leur semble le plus pertinent, sans
souci de filiation théorique. C’est aussi pourquoi l’analyse de leurs pratiques ne peut se
réduire à l’étude de la méthode qu’ils déclarent choisir. Leurs inventions quotidiennes,
leurs recompositions entre de multiples ingrédients hétérogènes, nous incitent à parler
d’un continuum de pratiques plus ou moins influencées par les méthodes de référence.
Premier critère : les relations entre l’oral et l’écrit
Ce premier critère permet de distinguer les méthodes qui prennent en charge, d’une
manière ou d’une autre, l’enseignement des correspondances entre langue orale et langue écrite (notamment entre lettres et sons) et celles qui s’y refusent. (cf. schéma
n°4 : 1ère ligne)4
Dans ce deuxième cas, on parle de méthode idéo-visuelle (Foucambert préfère parler
d’enseignement exclusif de la voix directe). Cette approche, aujourd’hui quasi
disparue des classes de cours préparatoire, proscrit l’étude des correspondances
graphophonologiques. Prenant appui sur une description des procédures expertes5 de la
lecture, elle bannit tout enseignement du déchiffrage considéré comme un frein au
développement d’une lecture authentique. Elle systématise donc les entraînements à la
mémorisation et à la discrimination visuelle : les élèves doivent retenir les mots écrits
un à un, en prenant appui sur leur structure orthographique et morphologique.
Le fait que cette méthode (la seule qui soit véritablement proscrite par les programmes
qui font aujourd’hui obligation aux maîtres d’étudier les correspondances graphophonologiques) ne soit plus utilisée ne signifie pas qu’elle n’ait pas eu
d’influence positive. L’attention portée au développement de la voie directe a en effet
bénéficié à toute la pédagogie de la lecture ; elle a contribué à l’élaboration de
techniques d’enseignement qui ont été reprises dans la plupart des autres méthodes (on
en trouve des traces dans la majorité des manuels) et qui sont explicitement
mentionnées dans les programmes. Ces techniques visent la constitution d’un lexique 4 Cette opposition renvoie directement à la différence entre « voie directe » (reconnaissance visuelle des mots écrits) et « voie indirecte » (reconnaissance auditive de mots oraux obtenus grâce à un déchiffrage des mots écrits). (cf. les réponses à la question n°1) 5 En passant d’une modélisation de l’activité de lecture réalisée par le lecteur accompli à celle de l’apprentissage de cette même activité, en refusant la distinction entre lire et apprendre à lire, les promoteurs de l’approche idéovisuelle sous-estiment les contraintes développementales qui pèsent sur les mécanismes d’acquisition de la lecture et négligent les différences profondes entre les processus des apprentis lecteurs et ceux des lecteurs confirmés.
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orthographique (au début du CP, les mots les plus fréquents et les mots outils) en exerçant la discrimination et la mémorisation visuelle des mots considérés comme des
suites ordonnées de lettres et non pas des silhouettes dont on mémoriserait le contours.
Ce qui doit être rejeté, car dommageable aux apprentissages des élèves, c’est
l’exclusivité de cette modalité d’enseignement de l’identification des mots.
Second critère : primeur au signe ou au sens ?
Le second critère permet de distinguer, parmi toutes les autres méthodes, celles qui
privilégient une entrée par l’étude des signes linguistiques et celles qui privilégient une
entrée par le sens des textes. (cf. schéma n°4 : 2ème ligne)
Parmi celles qui accordent la primeur aux signes linguistiques, les plus anciennes partaient des lettres et les associaient à leur valeur sonore de référence (on considère
que la lettre O fait le son /o/ sans se soucier du OU et du ON) puis combinaient
voyelles et consonnes pour former toutes les syllabes possibles que les enfants
devaient mémoriser avant de les combiner à leur tour en des unités plus large, les
mots. Ces méthodes syllabiques, basées sur la combinatoire, ont ensuite évolué vers
des méthodes mixtes qui reposaient sur les mêmes principes à ceci près que la
découverte d’une lettre était précédée par une mise en scène des mots dans une phrase
illustrée (exemple : papa fume sa pipe) très rapidement découpée en mots et en
syllabes.
Ces méthodes procédaient à un amalgame entre lettres et sons qui a cessé dans les
années 1970 avec l’introduction de la distinction entre phonèmes et graphèmes (le
phonème /o/ peut être retranscrit par trois graphèmes : O, AU, EAU). Depuis lors, toutes les méthodes synthétiques, c’est-à-dire celles qui partent des petites unités pour
les combiner progressivement en unités plus grandes, partent d’une étude des
phonèmes puis cherchent à établir leurs correspondances avec les graphèmes. Ces
méthodes sont donc phono - graphiques ou, plus simplement, phoniques. Le
déroulement canonique d’une leçon consiste à identifier auditivement un phonème,
puis à le localiser dans un mot oral pour, enfin, en découvrir la transcription écrite.
Il existe de très nombreuses variantes de ces méthodes phoniques qui sont aujourd’hui
largement majoritaires dans le paysage pédagogique français (deux manuels qui se
réfèrent à ces principes sont aujourd’hui en tête des ventes de l’édition scolaire). Pour
les distinguer, il faut examiner plusieurs sous-critères : l’ordre et le rythme d’introduction des différents phonèmes, la place accordée aux activités portant sur la
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combinatoire, l’introduction simultanée ou différée des différentes graphies d’un phonème en fonction de leur fréquence d’usage, le recours ou non à l’alphabet
phonétique international, etc.
Troisième critère : l’ordre d’étude des différentes unités linguistiques
Le troisième critère est donc celui de la nature des unités linguistiques qui font l’objet
du travail et de l’ordre dans lequel elles sont abordées. (schéma n°4 : 3ème ligne)
Les méthodes synthétiques que nous venons d’évoquer (celles qui vont du simple au
complexe, des parties au tout) considèrent l’accès au sens comme le produit du travail
de déchiffrage. En début d’apprentissage, le travail sur la compréhension des textes est
donc impossible en raison des piètres performances de décodage des élèves. Plusieurs mois sont consacrés à l’étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la
littérature pour la jeunesse (tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de
connecteurs, peu de substituts nominaux, etc.). Tous les efforts des élèves sont orientés
vers l’identification des mots. Comme ils ne peuvent, seuls, éprouver le plaisir du texte
ou du récit, leur motivation est entretenue de manière extrinsèque : la promesse d’un
plaisir futur, la gratification des adultes, l’habillage iconographique du manuel,
l’accroche affective d’un personnage assurant la liaison entre les exercices, etc.
Les méthodes qui au contraire privilégient l’entrée par le sens fondent leur démarche
sur l’intérêt porté par les élèves au contenu des textes écrits qui leur sont proposés et
lus, dans un premier temps, par les enseignants. Elles postulent également que ce sont
les messages écrits complets et contextualisés qui sont simples à comprendre, pas les unités linguistiques abstraites.
Une partie d’entre elles sont dérivées de la méthode globale sous la forme que Decroly
lui avait donnée au début du siècle. Cette méthode qui était basée sur la mémorisation
de mots écrits provenant de phrases proposées par les enfants, a rapidement évolué en
France vers la méthode naturelle de Freinet qui fait du texte l’unité élémentaire
d’étude et qui accorde à l’écriture (au sens de production de mots et de textes) une
importance capitale dès le début de l’apprentissage, tout en insistant sur la dimension
sociale de la communication écrite. Pour ce qui est de l’identification des mots et de la construction du système de correspondance grapho-phonologique, ces méthodes, analytiques, procèdent donc à l’inverse des méthodes syllabiques : elles vont du tout aux parties, c’est-à-dire de la phrase (ou du
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texte) aux mots, puis aux syllabes et enfin aux lettres et à leurs correspondances avec les sons. Schéma n°5 : démarche analytique versus synthétique
Synthèse
Phrase
Mot Syllabe
Graphème / Phonème
Analyse
(dominante dans les approches syllabiques) (dominante dans les approches globales)
Les programmes 2002 reprochent à la méthode naturelle de laisser les connaissances
relatives aux correspondances grapho-phonologiques se constituer au hasard des
rencontres et des réactions des élèves. Cependant aucun impact négatif de cette
méthode n’a été empiriquement établi tant les performances des élèves semblent
dépendre de l’expérience et l’habileté des maîtres à solliciter et organiser la démarche
analytique.
Si la méthode naturelle n’a jamais été mise en œuvre par plus de quelques centaines de militants pédagogiques, elle n’en a pas moins fortement influencé d’autres méthodes
relayées par les mouvements d’Éducation Nouvelle (autour de la notion de pédagogie
du projet et des méthodes actives d’enseignement) et par les réseaux de l’innovation
pédagogique liés à l’I.N.R.P. (qui ont développé et structuré le travail de production de
texte et l’insertion culturelle de la pédagogie de la lecture).
Nous qualifierons, à la suite de Chauveau, ces méthodes d’interactives parce que,
issues d’une double tradition d’enseignement (cf. schéma n°4, colonne centrale), elles
incitent les élèves à avoir recours à des stratégies interactives à quatre niveaux :
1. pour établir les correspondances grapho-phonologiques, ils font interagir des
opérations d’analyse et de synthèse ;
2. pour identifier les mots écrits hors contexte, ils combinent les voies directes et indirectes (construites simultanément et en interaction);
3. pour identifier les mots écrits en contexte, ils coordonnent traitement des mots et
traitement du contexte (la phrase et/ou le texte dans lesquels le mot est inséré) ;
4. pour comprendre un texte, ils mobilisent à la fois les données du texte et leurs
propres connaissances (cf. schéma n°8 en annexe).
Dans les démarches interactives, comme dans celle initiée par Freinet, les élèves sont
incités à faire « feu de tout bois » pour résoudre les problèmes d’identification des
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mots, en ayant recours à des traitements analogiques en plus des traitements orthographiques (reconnaissance visuelle) et grapho-phonologiques (déchiffrage). (cf.
schéma n°6)
Schéma n°6 : un exemple de combinaison de procédures
1. Voie indirecte (déchiffrage) 2. Voie directe (reconnaissance de mots
L’enfant sait déchiffrer : CH déjà mémorisés) : il connaît BIEN, RIEN
3. Par analogie, il déduit : IEN
4. Il identifie :
CHIEN
De la même manière, lorsque les mots sont en contexte, d’autres traitements contextuels (qualifiés de descendants) peuvent venir compléter les processus de
décodage (traitements ascendants). Une observation armée des pratiques
professionnelles permet d’inventorier le recours à sept types d’aides de la part des
enseignants (cf. schéma n°7). La proportion de ces différentes aides est différente
selon les méthodes et selon les enseignants. En revanche elle est relativement stable
pour un enseignant donné au cours de chaque période de l’année scolaire, ce qui
pourrait en faire une caractéristique révélatrice de sa pratique didactique (dans la
perspective d’une construction de variables quantifiables).
Schéma n°7 : 7 modalités d’aide à l’identification des mots en contexte
Utiliser les contextes
1. Monde de référence
2. Texte
3. Phrase (syntaxe)
Identifier un mot 7. combinaison de procédures
4. Procédure orthographique (reconnaître)
5. Procédure graphophonologique (déchiffrer)
6. Procédure analogiques (comparer des segments de mots)
Décoder
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Quatrième critère : les modalités d’identification des mots en contexte
Nous venons de le voir, dans les approches interactives, les mots sont le plus souvent identifiés en contexte. Les maîtres incitent les élèves à être opportunistes et à recourir à toutes les procédures à leur disposition pour les identifier. En revanche, dans les approches synthétiques, notamment dans les méthodes phoniques les plus strictes, il n’est pas question, si l’on suit les recommandations de Bentolila, de supputer, de tâtonner ou d’interroger le contexte dans lequel se trouve un mot pour identifier celui-ci : on doit le déchiffrer. Et pour éviter aux élèves toute tentation de devinette, on n’hésite pas à le présenter seul, hors contexte. Ou dans des textes si peu cohérents que toute anticipation contextuelle serait bien hasardeuse. La première manière de faire semble plus cohérente avec ce que nous savons de l’acte de lire et de son apprentissage : la plupart des chercheurs s’entendent désormais sur des conceptions interactives qui font intervenir simultanément l’analyse perceptive des stimuli visuels et les multiples connaissances du lecteur (connaissances sémantiques, syntaxiques, orthographiques, alphabétiques, phonologiques) pour faciliter la reconnaissance des mots. Le recours au contexte, s’il peut être considéré chez le lecteur adulte comme un indicateur de médiocrité de son niveau en lecture (il traduit le plus souvent une mauvaise automatisation des processus de reconnaissance des mots, compensée par des opérations de plus haut niveau), joue en revanche un rôle positif pour l’apprenti lecteur. Il facilite les premières identifications de mots et favorise la dynamique d’auto-apprentissage6. Dans les méthodologies interactives, la « leçon de lecture » est avant tout une lecture
collective de texte. Elle met en scène, sous la tutelle du maître, les activités cognitives
complexes qui constituent l’acte de lecture afin qu’elles soient progressivement
reconstruites puis intériorisées par chaque élève. En d’autres termes, le maître incite à
réaliser successivement, lentement et collectivement, les actions que les élèves devront
ensuite mettre en œuvre simultanément, rapidement et individuellement.
Selon les enseignants, l’étude du code graphophonologique occupe plus ou moins de
place au cours de cette phase de découverte de texte. Les uns ne manquent aucune
occasion de guider publiquement les procédures de déchiffrage, les autres préfèrent
différer la plus grande part de cet enseignement à des phases ultérieures, plus 6 La dépendance contextuelle constatée en début d’apprentissage ne préfigure pas un comportement de « mauvais lecteur », elle concerne tous les élèves, même les meilleurs. Elle n’est donc pas un comportement déviant qu'il faudrait faire disparaître au plus vite.
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décontextualisées. Aucune donnée empirique ne nous permet de trancher sur la supériorité d’une stratégie par rapport à l’autre d’autant que, dans les deux cas, des
temps spécifiques d’étude du code grapho-phonologique sont organisés suivant une
progression pré-établie. Même les maîtres qui travaillent sans manuel étudient chaque
année les mêmes phonèmes aux mêmes périodes, à quelques variations près.
Généralement, l’étude systématique débute un peu plus tard que dans les
méthodologies phoniques et elle se déroule selon un rythme plus lent au départ mais
qui va en s’accélérant (alors que le rythme des méthodes phoniques est plus régulier :
par exemple, un phonème par semaine).
Entre ces méthodologies interactives, on peut distinguer celles qui ont renoncé aux
manuels pour s’appuyer sur des textes longs issus de la littérature pour la jeunesse (produisant cependant des guides pour les maîtres, comme celui de Tauveron et de ses
collaborateurs) et celles qui, plus récemment, ont intégré les œuvres de littérature de
jeunesse dans les manuels (tous les grands éditeurs scolaires en proposent au moins
une).
Les premières présentent la combinatoire comme un outil de vérification, utilisé
seulement après une première formulation d’hypothèses : le travail sur les relations
graphies-phonies y est considéré comme une activité métalinguistique, traitée comme
une systématisation de savoirs en voie de structuration acquis au contact des textes lus
antérieurement. Elles visent également la construction de compétences langagières, de
compétences à communiquer et de compétences discursives progressivement
différenciées (décrire, raconter, argumenter, expliquer...). Dans ce but, on enjoint aux enseignants de diversifier les textes à lire et de proposer des situations qui motivent les
élèves, qui fassent sens pour eux.
Les secondes, dont les parts de marché éditorial augmentent chaque année, combinent
explicitement une double logique de planification de l’enseignement (repérable dans
les tables des matières) :
- une planification de l’étude des phonèmes et des graphèmes,
- une planification de l’étude des textes (contenu, complexité linguistique, genre
textuel).
La prépondérance de l’une ou l’autre de ces deux logiques définit à son tour de
multiples sous-ensembles au sein même des méthodes interactives. Certaines, par
exemple, proches des méthodes phoniques, proposent des textes qui évoluent progressivement en complexité mais privilégient surtout de rigoureuses progressions
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grapho-phonologiques et grapho-morphologiques (étude sémantique de la structure des mots : préfixe, suffixe, base. Cf. les choix didactiques de Gombert, Valdois et
collaborateurs).
Cinquième critère : l’importance accordée à la production de mots et de textes
La place réservée aux activités de production écrite est très variable selon les
méthodes : certains concepteurs jugent qu’elles sont prématurées, d’autres qu’elles
exigent trop de temps, d’autres enfin semblent manquer de techniques didactiques. Les
promoteurs des méthodes phoniques limitent le plus souvent leur ambition à l’écriture
des mots, alors que ceux des méthodes interactives s’efforcent de proposer des activités de production de textes.
Les recherches conduites à ce sujet indiquent que les activités d’écriture, même les
plus simples, conduites en étroite relation avec les activités de lecture, sont utiles au
développement des apprentissages langagiers des élèves à condition de ne pas
demander trop vite à ces derniers de prendre en charge seuls l’ensemble des
dimensions de l’activité rédactionnelle. Si la production autonome constitue un
aboutissement, rien n’oblige les enseignants à y soumettre d’emblée les élèves. Trois
dimensions peuvent donner lieu, parfois très précocement, à des activités spécifiques
et relativement indépendantes dont les élèves se verront confier la gestion d’ensemble
seulement plus tard (au cycle 3) :
- le caractère monologique de la production de texte, - la recherche et l’organisation des idées du texte,
- les contraintes propres à sa transcription.
Sixième critère : place de l’enseignement de la compréhension de textes et de l’acculturation
Ce critère différencie les méthodes qui ne visent que l’apprentissage de l’identification
des mots (au sein de phrases juxtaposées) et celles qui s’attachent simultanément au
travail d’acculturation et d’enseignement de la compréhension de textes.
Les programmes, en plein accord avec les résultats de la recherche, préconisent la
seconde solution. Ils recommandent aux enseignants que ce travail soit entrepris dès la maternelle, sans attendre que les processus d’identification des mots soient installés.
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L’intervention pédagogique doit se poursuivre au cours préparatoire en s’ajustant au développement intellectuel et affectif des élèves plutôt qu’à leur savoir-faire de
décodeur. La médiation de l’adulte permet dans ce cas l’accès à des textes longs et
complexes qui dépassent les capacités de lecture autonome des élèves (recours à des
textes lus à haute voix par l’enseignant). Les techniques didactiques sont maintenant
au point (cf. les réponses à la question n°4) : il reste à les diffuser plus largement. C’est
d’autant plus important que la fréquentation précoce, intensive et réfléchie de la langue
écrite, accompagnée d’un travail systématique de reformulation, permet un
accroissement significatif du lexique des élèves et des procédures sous-tendent la
compréhension de textes, progrès directement bénéfiques à leur activité ultérieure de
lecteur.
Comment choisir les textes supports à l’enseignement ?
Le souci d’entreprendre dès le cycle 2 un travail sur la compréhension et la production
pose la question du choix des textes. Rien ne permet en effet d’affirmer que ce sont les
mêmes supports qui sont les plus adaptés aux différents objectifs poursuivis dans les
quatre grandes directions que nous avons définies. Il est parfois difficile, par exemple,
d’étudier le code graphophonologique à partir de textes littéraires dont les
caractéristiques lexicales ne sont pas nécessairement adéquates. Plus généralement, les
enseignants doivent éviter deux écueils :
- faire de la complexité du texte une valeur pédagogique en soi (éviter par exemple
de submerger les élèves en leur demandant de lire des textes qui leur posent
simultanément des problèmes de décodage, de lexique, de syntaxe, d’organisation
textuelle et de référent culturel, voire de lecture d’images !) ; - sous-stimuler les élèves sous prétexte de ne pas les submerger et ne leur proposer
que des pseudo-textes, de simples prétextes à l’enseignement du code ne leur
permettant d’acquérir aucune autre compétence.
Les solutions qui s’offrent à eux sont de deux ordres (dont malheureusement personne,
à notre connaissance, n’a évalué l’intérêt respectif) :
- soit diversifier les supports en fonction de l’objectif poursuivi (textes brefs
comportant un lexique familier pour enseigner le décodage et textes plus
complexes pour la compréhension) et diversifier les manières de faire en fonction
de cet objectif (faire lire les élèves dans le premier cas ou leur lire à haute voix
dans le deuxième, lorsqu’on vise à faire construire les procédures qui sous-tendent la compréhension et à faire prendre conscience aux élèves de leur rôle) ;
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- soit dissocier les phases d’étude d’un même texte selon les objectifs poursuivis et prendre en charge les dimensions non pertinentes pour l’apprentissage visé (le
maître peut, par exemple, s’assurer que le lexique qu’il va utiliser pour l’étude du
code est parfaitement connu de tous les élèves afin que certains d’entre eux, déjà
plus fragiles, n’aient pas une double tâche à accomplir : apprendre à déchiffrer et
apprendre du vocabulaire nouveau ; il peut aussi alléger la charge de travail des
élèves en les aidant préalablement à déchiffrer les mots d’un texte sur lequel il va
conduire ensuite un travail de compréhension).
Quels mauvais dosages éviter dans l’enseignement de la compréhension ?
Les recherches évoquées en réponse aux questions n°4 et n°5 montrent qu’une partie
des élèves en difficulté de compréhension se méprennent sur la nature de l’activité de lecture. À l’entrée au cycle 3, et parfois encore en 6ème, certains d’entre eux croient
qu’il leur suffit de décoder tous les mots d’un texte pour le comprendre : ils ne savent
pas qu’il est nécessaire de construire des représentations intermédiaires (et provisoires)
au fur et à mesure de l’avancée dans le texte, qu’ils doivent consacrer une partie de
leur attention à mémoriser les informations les plus importantes et chercher
délibérément à construire des relations logiques au delà de ce que le texte dit
explicitement. Ils s’efforcent de mémoriser la forme littérale des énoncés et procèdent
à l’inverse des lecteurs habiles qui centrent toute leur attention sur le contenu du texte
et non sur sa forme littérale (qui fait toujours l’objet d’un oubli rapide). Ils ignorent la
nécessité de moduler leur vitesse de lecture, de ralentir lorsqu’ils traitent un passage
délicat, de s’arrêter ou même de revenir en arrière pour s’assurer de la qualité de leur compréhension. Ils considèrent la lecture comme une suite d’identifications de mots
débouchant naturellement, et sans intention particulière de leur part, sur une
compréhension univoque du sens du texte.
Il est vraisemblable que ces comportements soient pour une part la conséquence des
pratiques pédagogiques dont les élèves ont bénéficié (ou pâti) au cours de leur
scolarité. C’est le cas lorsque, dès le cycle 2, on a excessivement dissocié déchiffrage
et compréhension, lorsqu’on a privilégié la compréhension littérale des segments de
textes au détriment d’une compréhension fine qui intègre les intentions de l’auteur,
lorsqu’on a survalorisé les activités de questionnement (répondre aux questions que
pose le maître ou le manuel) au détriment des activités de reformulation (traduire les
idées du texte avec ses propres mots). Sur ces trois aspects, de nouveaux équilibres
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pédagogiques sont à trouver si l’on veut favoriser le développement et la prise de conscience des stratégies qui assurent la compréhension et en permettent le contrôle.
Conclusion
Cet inventaire des principaux critères qui permettent de comparer les méthodes met en
lumière la complexité d’une entreprise scientifique qui s’attacherait à évaluer leur
efficacité respective. Cela est d’autant plus vrai que les pratiques effectives
d’enseignement donnent lieu à une créativité étonnante sur des aspects parfois
minuscules que cette présentation schématique ne peut laisser soupçonner (par
exemple les mille et une manières d’aider les enfants à mémoriser la valeur sonore des
graphèmes). Cependant, même si toutes les pratiques sont singulières, les six critères que nous proposons pourraient permettre de situer chacune d’entre elles par rapport
aux autres et, par conséquent, de comprendre quelles sont les configurations les plus
favorables à la réussite des apprentissages des élèves. Ce travail de recherche reste à
conduire.
Annexe
Schéma n°8 (cité page 13 ) : une définition de la lecture
« Ce que le lecteur a dans la tête »
Les connaissances du lecteur
sur le monde, sur la langue et le langage, sur les textes
Contrat de lecture
But de la lecture
Construction de significations
Jugement
Le texte
Unités infra-lexicales, lexicales, propositionnelles,
phrastiques, textuelles
« Ce que le lecteur a sous les yeux »
Nous définissons la lecture comme une construction de significations : elle est le résultat d'une interaction entre
les données propres au texte et les connaissances du lecteur (connaissances linguistiques et connaissances
conceptuelles) en fonction des buts qu'il poursuit à travers cette lecture. Les connaissances du lecteur conduisent
celui-ci à développer un horizon d’attente vis à vis du texte, selon le contexte de lecture. L’activité de lecture
aboutit à un retour personnel sur le contrat de lecture initial et à un travail interprétatif, autrement dit, au sens
large, à l’élaboration d’un jugement.