repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par
TRANSCRIPT
Document de travail (Scientifique) Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par
l’innovation dans les modèles de développement
Présenté par
Rafiou Alfa Boukari
Ingénieur agro économiste (Université de Lomé), MSc. M2
Économie et management publics (Université de Montpellier) &
MPhil M2 Economie du développement (Montpellier Supagro),
PhD Sholar en Commerce équitable appliqué à l’économie
internationale
Horizons University
2
Sommaire
Introduction ............................................................................................................................................. 3
1. Contexte et Problématique .............................................................................................................. 7
2. Analyse critique de la littérature sur les questions de la pauvreté et des inégalités ...................... 10
2.1. Revue conceptuelle de la pauvreté et des inégalités .................................................................. 10
2.1.2. Critique de la pensée de Rawls par Nozick ......................................................................... 11
2.1.3. Brève analyse de la pensée de Sen ...................................................................................... 13
2.1.4. Critique de la pensée de Rawls par Sen et apport de Nussbaum ......................................... 13
2.1.5. Conception utilitariste et marginaliste de la pauvreté.......................................................... 15
2.2. Outils de mesure et instruments d’analyse de la pauvreté .......................................................... 17
2.2.1. La pauvreté monétaire : pauvreté absolue et la pauvreté relative ........................................ 17
2.2.2. La pauvreté non monétaire : Pauvreté en condition de vie et pauvreté subjective .............. 19
2.2.3. La pauvreté multidimensionnelle ........................................................................................ 21
2.3. Inégalités, croissance, redistribution et réduction de la pauvreté : Schéma de la lutte contre la
pauvreté au Nord ............................................................................................................................... 23
2.4. Les politiques de développement comme outil de lutte contre la pauvreté au Sud .................... 26
3. Au-delà des théories binaires de macroéconomie keynésienne et de la micro-économie
néoclassique : réflexion sur la théorie de la complexité comme outil d’appréhension et de prise en
charge de la pauvreté ............................................................................................................................. 30
4. Au-delà de la pensée binaire d’individualisme et d’holisme méthodologique : remettre la pensée
complexe dans l’appréhension des phénomènes de la pauvreté et des inégalités ................................. 36
Conclusion et perspectives .................................................................................................................... 41
Bibliographie ......................................................................................................................................... 44
3
Introduction
Le caractère multidimensionnel de la problématique de la pauvreté en fait une question sociale
et politique tout autant qu’économique. La pauvreté pour un individu n’est pas forcément
synonyme de la pauvreté pour un ménage, ni celle d’un territoire. « Pour un individu, la
pauvreté est d’abord perçue comme une détérioration des liens qui l’attachent à une
communauté de vie. L’appauvrissement est d’abord exclusion des modes d’accès aux
ressources productrices de revenus et de liens sociaux (…), l’appauvrissement est une
désocialisation » (Marc Levy & Anne-Sophie Brouillet, 2003).
La compréhension et l’appropriation du concept de la pauvreté n’est donc pas chose
schématique et linéaire. Elle passe en effet par une appréhension globale des dynamiques
économiques, sociales et humaines: l’étude des différents acteurs, de leurs pratiques et de leurs
normes, l’analyse des dynamiques du développement international, l’analyse des secteurs qui
sous-tendent l’économie selon l’activité et la finance correspondante, l’étude des rapports entre
les systèmes économiques nationaux, régionaux ou sous-régionaux et les modes de pénétration
de l’économie globale internationale dans ces systèmes ainsi que les réactions et conflits
d’intérêts qui en résultent. Une meilleure compréhension des dynamiques économiques et
sociales n’est pas chose aisée à appréhender non plus. Elle nécessite de croiser et d’articuler
différentes échelles dont les niveaux d’activité (primaire, secondaire, tertiaire), les secteurs
d’intervention (santé, éducation, agricole, agroalimentaire, pharmaceutique minier, numérique,
etc.), le monde de la finance (microfinance, banques, bourses et actions), les domaine
d’études (microéconomie, méso-économie, macroéconomie) les territoires impliqués (pays
développés versus pays en développement), de faire appel à plusieurs disciplines (sciences
politiques, économie, sociologie, statistiques, anthropologie, géographie, histoire, etc.), et de
confronter plusieurs acteurs (les politiques, les chercheurs, les universitaires, les opérateurs
économiques, les collectivités décentralisées, les organisations internationales, les institutions
publiques). D’où la complexité du phénomène ; complexité qui d’ailleurs, peut expliquer
l’existence de « trappe à pauvreté » (poverty trap) que Costas Azariadis et John Stachurski
(2005) définissent comme « tout mécanisme auto-renforçant qui amène la pauvreté à persister
».
En effet, le phénomène des trappes à pauvreté a connu une évolution depuis l’après-guerre et
ne cesse de donner questions à débats chez les acteurs sociopolitiques et économiques tant au
niveau des pays développés que des pays en développement. Au niveau des pays développés,
4
le débat s’articule autour des politiques de croissances inspirées des modèles de Robert Solow
(1956), des politiques d’arrangements institutionnels (North, 1981, 1990) et des politiques
redistributives (Cahuc, 2003; Bourguignon 2004) couplées aux politiques sociales et actives de
soutien à l’emploi (Card, 2014) pour gérer les fractures sociales et endiguer les inégalités
galopantes, ceci avec comme soubassement les contributions de la littérature de l’Economie
comportementale (Kahneman et al., 2000) et de l’Economie du bonheur (Senik, 2014). A la
différence des pays du Nord, les actions en faveur de la lutte contre la pauvreté au niveau des
pays du Sud se focalisent majoritairement sur les politiques de développement sous les
directives de la Banque mondiale, des organisations du Systèmes des Nations Unies dont le
PNUD et les ONG internationales, politiques construites sur instrumentalisation inspirée
historiquement de l’approche des Capabilités d’Amartya Sen (1981) pour en faire des indices
statistiques composites dont l’IDH (Indice du Développement Humain) pour la Banque
mondiale et l’IPH (Indice de Pauvreté Humaine) pour le PNUD. Mieux, la lutte légale et morale
en faveur de l’égalité de traitement hommes-femmes dans la sphère sociale, est récupérée
instrumentalement pour en faire des indices composites regroupés sous le vocable
d’« Indicateurs sexo-différenciés » dont l’ISDH (Indicateur Sexospécifique du Développement
Humain) et l’IPF (Indicateur de la Participation des Femmes) ; tout ceci légitimé par les moteurs
« d’Empowerment » et la promotion de la microfinance (Prévost et Palier, 2007) pour, au sens
microéconomique, lutter contre la pauvreté dans les pays en développement où, faut-il le
rappeler, l’activité est encore majoritairement et fortement dominée par le secteur primaire et
informel pour la plupart des cas.
Par ailleurs, alors que la plupart des pays dits « développés » avec des économies fortement
industrialisées et tertiarisées, utilisent les instruments macroéconomiques telle la balance
commerciale et les politiques monétaires entre autres pour contrôler et gérer leurs relations
économiques internationales, stabiliser leurs agrégats macroéconomiques intérieurs et assurer
le financement du fonctionnement de leurs économies internes respectives via des approches
« appui budgétaire » favorisant ainsi une forme de lisibilité de leurs ressources - emplois et une
complémentarité entre l’Etat et le marché dans la gestion de leurs économies respectives, la
plupart des pays en développement sont toujours borgnes du PIB (Produit intérieur brut) et
n’ont pour bible pour justifier leurs performances économiques respectives sur la scène
internationale, que l’obsessionnelle atteinte des taux de croissance à deux chiffres chapotée par
la bonne gouvernance. Quand bien même le cadrage macroéconomique est dicté par le Fonds
monétaire international avec des dispositifs de fonctionnement économique via des prêts
5
concessionnels à taux d’intérêt colossal pour financer des « projets de développement » décidés
majoritairement par ceux-là même qu’ils qualifient de « Partenaires techniques et financiers »
dont la Banque Mondiale comme chef d’orchestre. Le PIB et le taux de croissance du PIB étant
également et le plus souvent contrastés avec les indices IDH et IPH, et déconnectés de la réalité
socio-économique au sens microéconomique de leurs populations respectives toujours sous le
poids de la pauvreté et vivant avec pour la majorité, moins de 1, 25 dollars/jour (Ravaillon
1992). Ceci interroge d’une part, sur la nature et l’organisation entre le marché et l’Etat dans le
fonctionnement économique et sociologique tant au niveau des pays développés que des pays
en développement. Comprendre une telle complémentarité ne saurait se soustraire de l’analyse
historique des théories économiques et l’évolution du rôle de l’Etat et du marché dans la pensée
économique avec les complexités qui les caractérisent, tout en mobilisant les outils de
l’Economie politique, la nouvelle sociologie et anthropologie économique et/ou de la nouvelle
économie institutionnelle.
Aussi le choc exogène que subit l’économie mondiale depuis mars 2020, consécutivement à la
crise sanitaire liée au coronavirus, vient mettre à nu toutes les défaillances du fonctionnement
économique dans le monde. La crise économique vient bousculer le dogme économique selon
lequel l’Etat n’intervient dans l’économie que pour gérer les défaillances du marché pour faire
resurgir le débat sur la place de l’Etat providence et régulateur dans un contexte où l’Economie
de marché et les échanges commerciaux internationaux sont soumis à rude épreuve. Cette crise
vient mettre aussi en lumière le voile que constitue la dette dans le fonctionnement économique
où tous les acteurs économiques, qu’ils soient du marché ou de l’Etat sont pratiquement tous
endettés. Au moment où les pays développés optent pour les politiques de créations monétaires
(bien que discutables) et la gestion mutualisée de leurs dettes publiques dictées par le
mécanisme des taux directeurs au niveau de leurs Banques centrales respectives et l’incitation
à la consommation pour relancer l’Economie, les Pays du Sud n’ont globalement pour seuls
leviers, alternatives et arguments pour la relance que de quémander l’annulation de leurs dettes
extérieures auprès de ceux qualifiés de Club de Londres (dettes privées) et Club de Paris (dettes
publiques) de même que la pression fiscale sur leurs populations respectives de la classe
moyenne. C’est dire combien le monde de la finance internationale avec sa libéralisation et ses
mécanismes de marchés financiers assure également une forme d’autonomie dans leur
fonctionnement et une hégémonie sans partage sur le financement de l’économie réelle. Comme
l’a si bien mis en lumière François-Xavier Merrien (2000), « la réorientation des États-
providence dans un sens plus néo-libéral est expliquée par quatre facteurs, souvent connectés :
6
la pression de la nouvelle économie internationale, le diktat des marchés financiers, la
diminution des marges de manœuvre des États nationaux et la conversion des élites au nouveau
référentiel des politiques publiques ». Les marges de manœuvre des gouvernements et de l’Etat
étant globalement étroites et circonscrits, ils se doivent non seulement d'éviter de prendre des
décisions politiquement impopulaires mais aussi ne peuvent faire totalement abstraction des
pressions des hommes d'affaires. Ils ne peuvent pas non plus « négliger les implications
financières de leurs décisions » et ils « s'émancipent difficilement de la théorie économique
aujourd'hui hégémonique. » Par ailleurs la crise sanitaire et sa conséquence de crise
économique systémique, vient mettre en lumière et confirmer hautement l’hypothèse de
Banerjee et Duflo (2012) selon laquelle « la Santé peut-être une source de trappe à pauvreté »
et remet sur la table de discussion la recommandation formulée par les auteurs quant au rôle de
l’Etat de concentrer les efforts en matière d’incitations à la prévention et une meilleure
utilisation optimale des outils de santé publique, donc une forme redynamisation du rôle de
l’Etat.
Au regard des défis actuels de la globalisation et de la mondialisation des économies, des
réflexions qui font donc appel à une transdisciplinarité et curiosité d’esprit et qui suscitent
l’émergence d’une intelligence collective nous paraissent primordiales. C’est partant de cette
logique de pensées et pour aider à l’émergence d’une telle intelligence collective, que nous nous
intéressons à la question de la pauvreté, problématique qui relève non seulement du champ des
sciences économiques, mais aussi des autres disciplines sociales susmentionnées,
problématique qui, nous dirons, se situe au centre des débats sur l’existence humaine toute
chose égale par ailleurs. C’est pour lancer les bases d’un travail éclectique empruntant une
approche systémique pour appréhender la problématique de la pauvreté et des inégalités
sociales, la recherche de la justice sociale et le bien-être individuel et collectif que nous nous
intéressons au sujet de ce travail.
7
1. Contexte et Problématique
Le titre de cet article, tel formulé « Repenser la lutte contre la pauvreté et des inégalités par
l’innovation dans les modèles de développement », est vecteur en soi de toute la problématique
à laquelle notre travail se propose d’apporter une lumière et des approches de compréhension.
Pour Slim (2010), quiconque cherche à appréhender la problématique de la pauvreté rencontre
immédiatement des problèmes de trois ordres : conceptuel, statistique, analytique. Le premier,
conceptuel, et de loin le plus problématique, consiste à s’entendre sur la définition exacte de la
pauvreté, « une notion qui s’avère très difficile à cerner précisément tant son contenu dépend
des conventions normatives admises à un moment donné dans une communauté donnée ». D’où
la nécessité de clarification étant donné que toute définition retenue conditionne un deuxième
problème d’appréhension statistique, ceci suivi d’un troisième problème d’ordre analytique qui
consiste en l’analyse des causes et du choix des politiques publiques résultantes. Deux
principales visions des causes de la pauvreté s’affrontent ainsi donc : dans la vision standard du
changement soutenue par la pensée dominante, la persistance de la pauvreté est liée aux rigidités
et obstacles qui continuent de peser sur la construction du capitalisme et, plus particulièrement,
sur le fonctionnement des marchés, empêchant les ajustements automatiques de ces derniers
(Hulme & Shepherd, 2003). À l’opposé, les approches hétérodoxes considèrent que la pauvreté
est inhérente au capitalisme et qu’elle accompagne logiquement sa construction (Slim, 2010).
Dans tous les cas, le constat demeure. Si l’humanité, et notamment les pays dits « développés
» et « émergents », n’ont jamais produit autant de richesses, les inégalités dans leur répartition
sont, elles, à leur paroxysme (Godin, 2015). Les inégalités sont multiples et l’inégalité des
richesses constitue une dimension observée parmi d’autres comme celle du pouvoir, du prestige,
de la santé, de l’éducation. Pour illustrer cette idée de multi dimensionnalité des inégalités,
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn (2008) décrivent les contours des inégalités sociales qu’ils
définissent comme étant : « le résultat d’une distribution inégale, au sens mathématique de
l’expression, entre les membres d’une société, des ressources de cette dernière, distribution
inégale due aux structures même de cette société et faisant naître un sentiment, légitime ou non,
d’injustice au sein de ses membres ». Les auteurs distinguent trois grandes catégories
d’inégalités : (i) les inégalités dans l’ordre du savoir, (ii) les inégalités dans l’ordre du pouvoir,
et (iii) les inégalités dans l’ordre de l’avoir auxquelles les économistes orthodoxes s’intéressent
le plus souvent postulant qu’elles peuvent engendrer à elles seules, d’autres formes d’inégalités
par effet de conséquence ou boule de neige, toute chose égale par ailleurs.
8
Dans une étude réalisée par l’ONG Oxfam international en 2015, l’organisation tire une
sonnette d’alarme sur l’écart qui se creuse entre les pauvres et les riches (Pirlot, 2016). Selon
les calculs de l’ONG, réalisés à partir de données établies par le Crédit Suisse : « En 2014, les
1 % les plus riches détenaient 48 % des richesses mondiales, laissant 52 % aux 99 % restants.
(…) Si cette tendance de concentration des richesses pour les plus riches se poursuit, ces 1 %
les plus riches détiendront plus de richesses que les 99 % restants d’ici seulement deux ans »
(Hardoon, 2015). Cette tendance se conforte avec notamment « 2.153 milliardaires de la planète
possédant en 2019 plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, soit 60 % de la population
mondiale » (CADTM, 2020). Plusieurs autres données dans la littérature économique,
corroborent avec ces statistiques fournies par l’ONG, études qui conceptualisent cet écart non
seulement entre citoyens d’un même territoire mais aussi d’un territoire à un autre (pays
développé versus pays en développement). Comme le démontre, entre autres l’étude de Branko
Milanovic (2012) via l’indice de Gini, indicateur fréquemment utilisé pour mesurer les
inégalités mondiales de revenus, le Gini 1 mettant en lumière les inégalités entre pays, le Gini
2 prenant en compte leur poids démographique, et le Gini 3 pour mesurer les inégalités entre
individus (Milanovic, 2012). Utilisant le coefficient de Gini pour analyser l’augmentation des
inégalités de revenus consécutives au post-colonialisme en Europe de l’Est de 1989 à 2007,
Richter (2009) estime que les inégalités naissent de la conjonction de plusieurs phénomènes :
profonde récession, libéralisation (des prix, des salaires, du commerce), redistribution des actifs
par le biais de la privatisation et désengagement de l’État (Aghion & Commander 1999, Richter,
2009). Dans le même ordre d’idée, Banerjee et Duflo (2012) évaluent dans leur ouvrage
Repenser la pauvreté, à près d’un milliard le nombre de personnes vivant avec moins d’un
dollar par jour en 2012 et rappellent que les politiques de développement destinées à lutter
contre la pauvreté semblent souvent incapables d’améliorer leurs conditions de vie. Prenant en
exemple le cas de l’Afrique Subsaharienne, Amougou (2008) démontre que c’est
l’environnement de pauvreté extrême qui a favorisé la réapparition d’anciens conflits ethniques,
les replis identitaires et l’explosion de conflits armés entre de nombreux pays. Avec la pauvreté,
des mouvances sectaires ou fondamentalistes se sont recomposées, s’affrontent et constituent
les nouveaux référents sécuritaires de populations qui ne se sentent pas intégrées dans la
modernité (Amougou 2008, Mbembe, 2000; Peemans, 2004; Tonda, 2005, Amougou 2008).
Face à ces constats, des questions méritent d’être posées et étudiées en profondeur : Qu’est-ce
qui justifie l’écart de richesses entre les pauvres et les riches malgré toutes les actions et efforts
effectuées tant sur la scène internationale qu’au niveau de chaque nation en matière de lutte
9
contre la pauvreté depuis des décennies ? A quand la fin de la pauvreté ? N’y-a t-il pas d’autres
moyens et manières d’appréhender la lutte contre la pauvreté ? Qu’entend-t-on réellement par
« pauvreté » ? Si pauvreté égale privation, alors privation de quoi à qui par qui et pour qui ?
Quels rapports entre pauvreté-croissance-inégalités ? La question de la pauvreté s’appréhende
–t’elle de la même façon selon que l’on se situe dans le cas des pays développés ou les pays en
développement ? Sinon quelles similitudes et ressemblances quand on passe d’un type de
territoire à un autre ? Comment les pensées de Rawls et Sen ont-ils façonné les politiques
économiques de lutte contre la pauvreté au Sud et au Nord ? Quels apports sur les pensées de
Rawls et Sen pour tendre vers une forme de société et justice sociale où les riches se soucieront
réellement de la situation des pauvres et où les pauvres vivront dignement et se satisferont de
leurs ressources minimums de bien-être sans envier les riches ? Quelles innovations dans les
modèles de développement pour se sortir de l’impasse. Ce sont autant de questions qui
interrogent notre esprit et poussent notre curiosité à en savoir plus et à creuser davantage en la
matière, d’où l’idée de cet article qui constitue une première étape d’exploration de ces
interrogations susmentionnées.
La complexité des processus sociaux, politiques et économiques, en particulier leur caractère
conflictuel, interconnecté et interdisciplinaire étant niée au profit d’une vision cartésienne et
édulcorée de la société marchande qui incarnerait le progrès et la modernité d’après la pensée
économique orthodoxe, l’angle d’approche de notre réflexion telle que nous la conceptualisons,
vient mettre en lumière cet état de chose en empruntant pour élément d’étude la pauvreté qui
par ailleurs est une problématique à la fois systémique et éclectique. C’est cette vision
rationaliste des processus économiques, que notre réflexion vient tenter de bousculer tout en se
donnant l’ambition de remettre la complexité des processus sociaux et économiques, autrement
dit l’essence même des politiques économiques et du développement, dans la lignée des études
holistiques et systémiques ayant traité des questions de l’Economie Politique et de la
Philosophie économique dans les pays du Sud et du Nord.
10
2. Analyse critique de la littérature sur les questions de la pauvreté et des inégalités
2.1. Revue conceptuelle de la pauvreté et des inégalités
Généralement assimilée à l’état de la privation, de misère ou d’insuffisance d’un bien matériel,
la notion de la pauvreté suscite toujours débat depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours et sa
définition universelle ne fait pas encore l’unanimité et consensus chez les penseurs tant dans le
monde politique ou économique que chez les sociologues et/ou philosophes. Les trois auteurs
dont les réflexions ont eu des portées retentissantes autour de la pauvreté dans le monde
scientifique et dont la littérature contemporaine en études du développement s’inspire dans son
investigation et réflexion sont John Rawls en 1971 dans son ouvrage Théorie de la justice,
Amartya Sen dans Poverty and Famines (1981), texte fondateur de la notion de capabilité et
Martin Ravallion (1998) dans ses travaux de recherches à la Banque Mondiale. L’angle
d’approche de Martin Ravallion (1992) est la pauvreté monétaire. Bien qu’avec des différences,
la philosophie d’Amartya Sen s’accorde avec celle de John Rawls sur le fait que la pauvreté
monétaire est un paramètre hautement réducteur pour mesurer l’ampleur et la complexité du
phénomène de la pauvreté. Sen estime que la pauvreté monétaire ne rend pas compte des
différences entre les individus ni des circonstances extérieures. La critique de Rawls est pour
sa part destinée à la théorie utilitariste du bonheur, dont le paramètre monétaire est une
composante.
2.1.1. Brève analyse de la pensée de John Rawls (1971)
Antérieure à la notion de capabilité, la théorie de Rawls s’articule autour de deux principes : (i)
– chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales
pour tous, compatible avec le même système pour les autres (principe d’égale liberté) ; (ii) –
les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, on
puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun, et à ce qu’elles
soient attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous (principe de différence). Aussi,
des valeurs sociales telles que, les droits, les libertés de base, les libertés professionnelles
(opportunités), les pouvoirs et les prérogatives, les revenus et les richesses, ainsi que la base
sociale du respect de soi-même qualifiés de « biens premiers » par John Rawls, se doivent d’être
réparties entre les individus de telle sorte que tous les membres de la société, considérés comme
libres et rationnels, acceptent le contrat social tant que les inégalités économiques et sociales
bénéficient à tous. Considérés par l’auteur comme ce dont ont besoin les citoyens pour être
qualifiés de libres et d’égaux, les biens premiers se doivent ainsi d’être utiles à chacun afin de
11
l’aider à réaliser ses projets de vie ; ils sont la base d’un véritable contrat social sur lequel
s’entendent tous les membres de la société, et sont une condition nécessaire pour l’exercice de
la justice et du bien (Rawls, 1976). Selon Surel (2003), l’idée fondatrice de l’ouvrage Théorie
de la Justice de John Rawls était de chercher à savoir dans quelles conditions pourrait être
instaurée, dans les sociétés modernes à économie de marché, une véritable justice
« distributive » en opposition au laisser-faire économique et à l’utilitarisme. La
conceptualisation du problème posé par Rawls peut être résumée comme suit : « Si tous les
individus partaient sur un pied d’égalité, la justice serait de traiter chaque individu de la même
manière ; or, la réalité veut que les chances soient, dès la naissance, très inégalement réparties,
d’où la nécessité d’accorder plus à ceux qui ont moins, si l’on veut être juste, afin de restaurer
une égalité de fait. ». Ainsi donc pour l’auteur, la justice appelle à une certaine dose d’inégalité
dans la redistribution des biens en société en ce sens que la justice ne s’exerce plus en termes
d’égalité « arithmétique » mais plutôt en termes d’équité que l’auteur qualifie de Justice as
fairness. Comme approche de solution, il propose la réactualisation d’une forme de contrat
social pour une société bien ordonnée (Surel, 2003) comme substitut à l’utilitarisme classique
prôné par les auteurs comme Bentham, Mill et Smith qui décrit une société bien ordonnée
comme une société où le groupe est synonyme d’un agrégat des individus et où la maximisation
de la satisfaction est atteinte par l’ensemble des individus. Dans son articulation de la justice et
de l’efficacité économique, Rawls met l’exigence de la justice qui devrait s’imposer à
l’économie avec ce qu’il estime être des missions économiques assignées au gouvernement et
qui sont (i) d’une part d’assurer la meilleure efficacité de la production, et (ii) d’autre part de
faire fonctionner un système de redistribution conforme à l’équité, avec comme fondement un
minimum social établi par le « principe de différence » (Dupuy, 1989).
2.1.2. Critique de la pensée de Rawls par Nozick
Parmi les procès et critiques adressés à la pensée de Rawls, celle de la matérialisation de sa
réflexion fait le plus écho notamment l’application des principes de la justice aux institutions
et transformation de sa théorie en pratique institutionnelle et politique concret. Selon Surel
(2003), ce qui ressort de la théorie rawlsienne de la participation politique, c’est la recherche
perpétuelle d’un équilibre entre les exigences formulées par les traditions libérales d’une part
(priorité des libertés individuelles) et socialistes d’autre part (“valeur équitable” des libertés
politiques). D’après Delacampagne (2000), parmi les théoriciens libertariens ayant critiqué
John Rawls, celui qui s’est montré le plus virulent est Robert Nozick. En substance, Nozick
12
(1974) reproche à Rawls de proposer, au travers du second principe de justice, un idéal de
justice distributive incompatible avec la défense du principe de liberté, d’où l’incohérence de
la théorie rawlsienne selon l’auteur. L’auteur justifie sa position en indiquant que les individus
ont des droits qui ne peuvent être violés par rien ni personne, et que le transfert coercitif de
ressources d’un individu à un autre est une atteinte aux droits individuels. D’après la pensée de
Nozick (1974), l’accusation de Rawls envers l’utilitarisme peut se retourner contre lui. « Rawls
écrit des utilitaristes qu’ils appliquent faussement une théorie individuelle au groupe ; Nozick
lui reproche la même chose, en ne tenant pas compte du droit de propriété de tout un chacun
sur ses ressources naturelles individuelles, que Rawls considère comme un « fond commun »
(Surel, 2003). Ensuite, Rawls finit, selon Nozick, dans sa description du principe de différence,
par conclure que presque tout ce qui forme un individu est facteur extérieur de cet individu.
Ceci sous-entend donc que Rawls affaiblit l’importance des choix autonomes selon Nozick.
Que lui reste-t-il pour défendre l’importance prioritaire des libertés de base (premier principe)
? S’interroge l’auteur dans son analyse. Il y a ainsi, selon Nozick, incompatibilité des principes
énoncés par Rawls. En effet, toute l’argumentation de Nozick (1974) dans son ouvrage
Anarchie, État et utopie, consiste donc à montrer que (i) les critères de justice de John Rawls
violent les droits fondamentaux, en particulier, le droit de propriété, et sont donc en réalité
immoraux ; (ii) l’État minimal est le seul type d’État justifiable au regard de ces droits
fondamentaux. (Delacampagne, 2000 ; Surel, 2003). Des problématiques que reprennent
Alchian et Demsetz (1973) dans leur analyse de la Théorie économique des droits de propriétés.
De même, la théorie de rationalité limitée d’Herbert Simon (1987), qui postule « des décisions
individuelles partiellement irrationnelles compte tenu des contraintes cognitives, d'information
et de temps », vient également donner un coup de massue au premier principe de Rawls, bien
que dans des contextes et champs d’analyse différents.
Dans le même ordre d’idée de critique, et argumentant la vision de la pauvreté d’après Rawls,
Raphaëlle Bisiaux (2011) estime que la pauvreté est définie de manière universelle par le
manque de biens premiers et que le fait d’utiliser la théorie de la justice de Rawls comme
définition de la pauvreté est un exercice difficile, puisque cela signifie qu’il est possible de
définir un ensemble de besoins primaires universels, communs à tous, et sans tenir compte des
variabilités individuelles (Bisiaux, 2011). Au-delà donc de l’opportunité qu’offre la Théorie de
la Justice de John Rawls depuis plusieurs décennies en balisant et structurant un ensemble de
débats et recherches sur l’éthique sociale, sa conceptualisation en termes d’instrument de lutte
contre la pauvreté, laisse présager que la pensée de Rawls relève d’un fondement purement
13
philosophique et son application à la réalité individuelle et sociale d’une manière universelle
peut s’avérer difficile, sinon relever d’une utopie si l’on ose employer l’expression.
2.1.3. Brève analyse de la pensée de Sen
L’approche de la pauvreté par les capabilités initiée par Amartya Sen, économiste indien
nobelisé en 1998, trouve ses racines au début des années 1980 dans un contexte d’explosion de
la dette des pays du Sud. Initialement développée dans son ouvrage Poverty and Famines
(1981), cette approche avait pour aspiration de proposer un cadre conceptuel alternatif à la
vision orthodoxe de la pauvreté basée sur le revenu. A l’époque, l’approche monétaire souffrait
de plusieurs critiques dont les plus abouties sont d’après Bertin (2007) à mettre au crédit
d’Amartya Sen (1981). En effet selon Sen, l’approche monétaire de la pauvreté est limitée parce
qu’elle ne se concentre que sur les moyens dont disposent les individus et elle ignore la diversité
humaine. La formalisation du concept des capabilités par Sen découle tout d’abord de celle de
l’analyse du bien-être individuel. Définir la pauvreté « comme synonyme de faible revenu » et
non « comme une incapacité à édifier son bien-être » est réducteur et ne démontre qu’une
facette du phénomène, d’après l’auteur. Pour étayer sa thèse, Sen estime que le bien-être
individuel doit être évalué à partir « des différentes choses qu’une personne peut aspirer à être
ou à faire à partir des ressources dont elle dispose », différentes choses qu’il nomme par la
terminologie « fonctionnements » et qui sont par exemple le fait de se nourrir, d’avoir un bon
niveau d’éducation ou de participer à la vie de la communauté. Les différentes combinaisons
de fonctionnements qu’il est donc possible de mettre en œuvre constituent la capabilité. En ses
termes, Amartya Sen définit donc la Capabilité comme « une forme de liberté substantielle de
mettre en œuvre diverses combinaisons de fonctionnements » (Sen, 1999). Être « pauvre »
revient donc pour un individu à ne pas posséder la liberté d’accomplir l’ensemble des
fonctionnements qu’il valorise.
2.1.4. Critique de la pensée de Rawls par Sen et apport de Nussbaum
Bien que conciliant avec Rawls sur l’aspect réducteur du critère monétaire pour justifier la
pauvreté, Sen reproche également aux « biens premiers » de Rawls de ne pas tenir compte du
fait que les individus peuvent retirer différents degrés de satisfaction de biens premiers
universels. Des différences d’usage et d’utilité liées au sexe ou à l’âge, par exemple, peuvent
mener à beaucoup de possibilités différentes malgré des ressources au départ identiques
(Bisiaux, 2011). D’après Bisiaux (2011), l’approche de Sen n’est pas exempte de critique : « un
14
des griefs que l’on peut adresser aux capabilités tient à la difficulté de distinguer les choix
véritablement faits par l’individu des circonstances dans lequel il se trouve et qui le poussent à
prendre une certaine décision ; les circonstances semblent ainsi parfois prendre le pas sur cette
théorie de la liberté de choix plutôt utopiste que Sen a formulée » (Bisiaux, 2011). Parmi les
critiques adressées aux « Capabilités » de Sen, celles les plus vulgarisées viennent de Martha
Nussbaum (2006).
S’inscrivant dans la même logique que Sen avec qui elle a travaillé sur les « Capabilités »,
Nussbaum se démarque de Sen en circonscrivant les capabilités à l’individualisme donnant ainsi
donc une image riche de ce qu’est une vie humaine pleine, et parle en termes de « personnes et
vie réelles », en opposition aux « abstractions » de l’idée initiale des « Capabilités » telle que
la conçoit Sen. C’est ainsi qu’elle parle de « capabilités humaines » en identifiant ce que sont
d’après elle les dix « capabilités humaines centrales » : (i) la vie ; (ii) la santé du corps ; (iii)
l’intégrité corporelle ; (iv) les sens (associés à l’imagination et la pensée); (v) les émotions ;
(vi) la raison pratique ; (vii) l’affiliation ; (viii) les autres espèces ; (xi) le jeu ; (x) le contrôle
sur son propre environnement (Nussbaum, 1995).
Considérant Nussbaum comme une néo-aristotélicienne dans son article intitulé « Sen’s
Capabilities Approach and Nussbaum’s Capabilities Ethic », Des Gasper (1997) argumente les
« capabilités » de Nussbaum comme « une éthique » comparativement aux « capabilités » de
Sen qu’il considère comme « une approche ». Pour Slim (2010), nombre d’auteurs ont cherché
à établir la liste des capabilités essentielles qu’il convient de mesurer. Des tentatives ont abouti
à une « structure de capabilités » composée de quatre catégories d’espaces de fonctionnement :
(i) la capabilité économique définie comme la possibilité de gagner un salaire, d’user de ses
actifs ; (ii) la capabilité sociale, à savoir la liberté de mobiliser son réseau social, de participer
à la vie de la communauté ; (iii) la capabilité humaine, c’est-à-dire la liberté d’accéder aux
institutions, à l’éducation, aux services de santé, et (iv) la capabilité environnementale qui
renvoie à la possibilité de vivre en harmonie avec la nature (Gasper, 1997; Nussbaum 2006;
Sumner, 2006; Bertin, 2007; Slim, 2010). Les individus les moins à même de recomposer leurs
espaces de fonctionnement constituent le groupe le plus vulnérable à la pauvreté (Slim, 2010).
15
2.1.5. Conception utilitariste et marginaliste de la pauvreté
➢ Conception utilitariste de la pauvreté
Répondant à la question « Qu’est-ce qu’être pauvre ? » dans ses travaux sur les formes de
pauvreté en Europe de l’Est, Slim (2010), estime que la pauvreté n’est pas un phénomène
homogène prenant un visage identique en tout lieu et en tout temps ; être pauvre en France ne
signifie pas la même chose qu’être pauvre en Bulgarie, être pauvre aujourd’hui n’a pas la même
signification qu’il y a quelques décennies ou quelques siècles : « Non seulement ce mot n’a
jamais eu le même sens pour tout le monde, mais le concept reste une construction sociale
impossible à définir sur un plan universel. » (Rahnema, 2003 ; Slim 2010). Pour l’auteur, la
conception historico - économique de la pauvreté est celle d’appréhension utilitariste qui définit
la pauvreté comme un niveau d’utilité inférieur à une norme préalablement définie : « C’est la
première approche de la pauvreté qui procède directement de l’utilitarisme ; l’utilitarisme dont
les pionniers sont Jeremy Bentham, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Etienne Dumont, Charles
Compte, John Stuart Mill » et dont la critique par John Rawls a abouti à ses réflexions dans la
Théorie de la justice (1947). Ainsi, l’Utilitarisme, inspiré historiquement de l’eudémonisme et
mettant le bonheur (eudaimonia) au centre du but de la vie, est un courant philosophique anglo-
saxon né au XVIII ème siècle dont le principe fondateur est basé sur « la bonne vie » qui permet
à l’être humain d’être le plus heureux possible. Selon Bentham (1829) par exemple cité par
Slim (2010), le bonheur est fait de l’« agrégation des plaisirs et de l’évitement des souffrances ».
L’interprétation qu’il en fait est que « ce principe implique qu’on puisse attribuer une valeur
aux plaisirs et aux peines de manière à les agréger afin de comparer les différents états possibles
selon l’utilité procurée ». L’utilité renvoie ici à « la propriété présente en tout objet de tendre à
produire bénéfice, avantage, plaisir, bien ou bonheur (…) ou (…) à empêcher que dommage,
peine, mal ou malheur n’adviennent au parti dont on considère l’intérêt » (Bentham, 1789, 1829
; Slim, 2010). Cette approche, conceptualisée comme psychologique de l’utilité est
appréhendée économiquement en termes de « richesses » par les classiques anglais du XIXè
siècle comme Adam Smith et John Stuart Mill pour qui le pauvre est celui qui ne fournit pas
suffisamment d’effort au travail et n’est, en conséquence, pas récompensé par l’accumulation
de richesses qui lui permettrait de subvenir à ses besoins. La pauvreté est ainsi perçue par les
utilitaristes comme relevant de la responsabilité des individus eux-mêmes.
La pauvreté telle que perçue par les utilitaristes comme relevant de la responsabilité des
individus eux-mêmes est sans doute celle qui jette les bases de l’analyse contemporaine que
16
font Aart Kraay et David McKenzie (2014) dans leur première interprétation des trois
explications concurrentes qu’ils formulent pour justifier pourquoi la pauvreté persiste. En effet,
dans leur travail intitulé « Do Poverty Traps Exist ? Assessing the Evidence », les auteurs ont
mis en évidence trois composantes concurrentes pour expliquer la persistance de la pauvreté
depuis des décennies. (i) D’après leur première interprétation, chacun peut réussir en travaillant
dur et en épargnant : c’est l’effet du rêve américain (american dream effect) estiment-ils ; les
ménages et pays seraient capables de s’en sortir et, s’ils n’y parviennent pas, c’est parce qu’ils
n’auraient tout simplement pas fourni d’efforts. Selon leur deuxième interprétation, la pauvreté
est le résultat de mauvais fondamentaux (institutions sous-développées, dotations insuffisantes,
manque de qualifications, etc.), auquel cas les autorités publiques pourraient placer l’économie
sur une trajectoire de croissance plus robuste en modifiant les fondamentaux. Enfin, selon leur
troisième interprétation, la pauvreté est un cercle vicieux : la pauvreté d’aujourd’hui s’explique
par la pauvreté d’hier et elle engendrera la pauvreté de demain ; cette dernière interprétation
que Costas Azariadis et John Stachurski (2005) qualifient de « trappe à pauvreté » (poverty
trap) mentionnant « tout mécanisme auto-renforçant qui amène la pauvreté à persister ».
➢ Conception marginaliste de la pauvreté
Dans le sillage du courant utilitariste endossé par les classiques anglais du XIX ème siècle, était
apparu le courant marginaliste dont les pionniers sont Carl Menger, William Stanley Jevons,
Léon Walras (Slim, 2010) qui introduisent le concept d’utilité marginale dans la définition de
la pauvreté, utilité marginale qu’ils qualifient d’utilité procurée par la dernière unité d’un bien
consommé. Pour les tenants de ce courant, chaque individu cherche à optimiser sa fonction
d’utilité (ou de production) sous contraintes de ressources et l’optimum individuel n’est atteint
que lorsque chaque unité d’un bien est utilisée au mieux par l’individu, toute autre combinaison
ne pouvant mener qu’à un niveau de satisfaction inférieur. Afin de rendre comparables les
niveaux d’utilité entre individus, Arthur Pigou (1920) propose dans son ouvrage economic
welfare la convertibilité des fonctions d’utilité individuelle en monnaie. Les valeurs monétaires
obtenues représentent ce que les individus seraient prêts à payer pour obtenir un panier de biens
donnés, c’est-à-dire ce que l’auteur qualifie de « satisfaction mentale » que les individus
retireraient de cette consommation, leur « bien-être économique ». Ce dernier, exprimé en
termes monétaires, peut constituer une approximation du bien-être total de l’individu (Bertin,
2007). Pour Atkinson (1970), l’un des premiers instigateurs du concept de « pauvreté
monétaire », la pauvreté est alors perçue comme une situation de manque de ressources
monétaires qui empêche les individus de se procurer les éléments nécessaires à leur survie
17
(Atkinson, 1970). Concepts que Ravallion (2003) reprendra plus tard pour conclure que la
pauvreté est un état dans lequel l’individu considéré ne posséderait pas suffisamment de
ressources monétaires pour atteindre le niveau de bien-être économique censé être un minimum
acceptable au regard de la société dans laquelle il vit. D’après François Bourguignon (2003), le
paradigme de la pauvreté monétaire explore la pauvreté en tant que non-réalisation d’un certain
standard de vie, exprimé monétairement ; le revenu ou les dépenses de consommation sont
mesurés et déterminent si un individu est en dessous d’un seuil arbitraire, le seuil de pauvreté.
Au cours des dernières décennies, ce paradigme a créé un consensus et a été largement
approfondi ; l’hypothèse principale étant que les différences de revenu ou de consommation
permettent de rendre compte des différences de conditions de vie. La pauvreté monétaire est
alors vue comme prenant en compte les différences entre les individus, qui cherchent tous à
maximiser leur bien-être avec les ressources qu’ils possèdent et parviennent ainsi à des niveaux
de satisfaction différents. « La catégorie des pauvres est alors celle qui ne peut pas, avec les
ressources qu’elle possède, acquérir un panier de biens et de services qui est pourtant nécessaire
à sa survie. » (François, 2003 ; Bisiaux, 2011)
2.2. Outils de mesure et instruments d’analyse de la pauvreté
Une fois que les bases de la conceptualisation de ce qu’est la pauvreté sont posées, l’autre aspect
traité par la littérature économique sur la pauvreté concerne sa mesure et ses principales sources
dont les frontières avec sa conceptualisation ne sont pas forcément marquées. De ces tentatives
d’appréhension holistique de la pauvreté sous toutes ses formes, est institutionnalisée une
typologisation du concept de la pauvreté où l’on retrouve dans la littérature économique des
expressions comme la pauvreté multidimensionnelle, la pauvreté absolue, la pauvreté
chronique, la pauvreté relative, la pauvreté extrême, la pauvreté générale, la pauvreté profonde,
la pauvreté subjective et la pauvreté objective, entre autres.
2.2.1. La pauvreté monétaire : pauvreté absolue et la pauvreté relative
Pour Slim (2010), toute tentative de mesurer la pauvreté se heurte à une difficulté
méthodologique majeure qui consiste à distinguer de la manière la plus objective possible les
groupes pauvres des groupes non pauvres. Le choix de la méthode ayant un impact non
négligeable sur l’évaluation de la pauvreté, l’auteur distingue deux types d’instruments de
mesure de la pauvreté : (i) ceux issus des approches utilitaristes et (ii) ceux issus des approches
non utilitaristes. En effet, La définition utilitariste de la pauvreté suggère l’existence d’un seuil
18
monétaire censé différencier les ménages pauvres et les autres. Deux approches – « absolue »
et « relative » – coexistent.
➢ La pauvreté absolue
La pauvreté « absolue », connue encore sous le nom de « grande pauvreté » est définie par
rapport à un panier de biens alimentaires et non alimentaires considérés comme indispensables
à la survie quotidienne. Le contenu de ce « panier » peut avoir des variations selon les époques
et selon les pays. Parmi les nombreuses méthodes existantes pour mesurer la pauvreté absolue,
la plus courante est celle d’un seuil normatif de pauvreté exprimé en prix constant et en parité
de pouvoir d’achat (PPA) et vulgarisé par la Banque Mondiale (2010). À l’époque de la
publication de son article, Slim (2010) estime que le seuil de pauvreté est fixé à 2 $ PPA par
jour et par individu et le seuil d’« extrême pauvreté » à 1,25 $ PPA. Ces seuils ne sont pas sans
critique selon Clément (2006) qui trouve que ce sont des « grandeurs largement arbitraires » et
« décontextualisées » puisqu’on les applique telles quelles à chaque pays sans tenir compte des
spécificités locales susceptibles de fausser le calcul des PPA et, plus généralement, celui de la
pauvreté. Ce genre de critiques est l’une des raisons qui amènent la Banque mondiale, selon
l’auteur, à faire varier le seuil selon l’économie étudiée en instituant un seuil de « vulnérabilité
». Malgré ses limites, l’approche absolue est aujourd’hui privilégiée dans les comparaisons
internationales « car, dans ce domaine, les mesures relatives sont d’un usage délicat » (Dell &
Verger, 2006). Se limiter toutefois à l’approche absolue serait de prendre le risque de prescrire
plutôt que de décrire la situation en vigueur dans chaque pays (Ponty, 1998 ; Slim, 2010).
➢ La pauvreté relative
Pour Jean-Luc Dubois (2009), face au seuil de pauvreté absolue, on oppose un seuil de
« pauvreté relative » qui est fixé non pas sur une norme de consommation, notamment
alimentaire, mais en fonction de la distribution du niveau de vie au sein d’une société donnée.
Elle est qualifiée de « relative » car l’accent est mis sur la comparaison du niveau de vie des
individus et constitue à ce titre, davantage une mesure de l’inégalité qu’une véritable mesure
de la pauvreté (Slim, 2010). Plusieurs manières de saisir le niveau de vie relatif existent et la
plus courante consiste à utiliser les revenus ; la pauvreté dans ce cas est alors définie par rapport
à un seuil exprimé en pourcentage du revenu moyen ou médian (Fuchs, 1967).
Comparativement aux seuils absolus, les seuils relatifs permettent d’inclure dans la pauvreté
19
non seulement les personnes au niveau de vie absolu très bas, mais encore des personnes ayant
des ressources faibles mais suffisantes pour leur assurer un niveau de consommation minimale.
Slim (2010) estime que cette méthode de calcul est privilégiée à l’OCDE ainsi qu’au sein de
l’UE. En conséquence, les offices statistiques nationaux des pays européens proposent
généralement deux seuils de pauvreté relative fixés de manière normative à 50 et 60 % du
revenu médian équivalent ménage (tenant compte de la composition et de la taille des
ménages) ; l’office statistique des communautés européennes, Eurostat, ne retient qu’un seuil,
celui de 60 % du revenu médian de la population. L’intérêt de cette convention au niveau
européen étant de permettre de surmonter les différences nationales dans l’appréhension de la
pauvreté. Le choix d’un indicateur fondé sur la médiane plutôt que sur la moyenne paraît plus
judicieux dans la mesure où il n’est pas influencé par les valeurs extrêmes de la répartition des
revenus (Fuchs, 1967 ; Slim, 2010).
2.2.2. La pauvreté non monétaire : Pauvreté en condition de vie et pauvreté subjective
➢ La pauvreté en condition de vie
Au-delà du contexte de toute évaluation monétaire de la pauvreté, existent deux types
d’instruments de mesure notamment ceux permettant de mesurer la « pauvreté en conditions de
vie » et ceux destiner à l’évaluation de la « pauvreté subjective » (Slim, 2010). La « pauvreté
en conditions de vie » consiste à recenser les privations d’ordre matériel (logement,
environnement, accès aux services collectifs, etc.) que subit le ménage. Proposée pour la
première fois par Townsend (1979), cette méthode est particulièrement adéquate pour saisir les
formes non monétaires de la pauvreté. L’on peut ainsi évaluer correctement les situations dans
lesquelles les individus sont les plus mal dotés en biens premiers sociaux (en référence à
l’approche de Rawls) et donner en même temps une idée des capabilités bridées et non réalisées
des individus (en s’inspirant de l’approche de Sen).
Relativement aux méthodes de mesure monétaires, la « pauvreté en conditions de vie » a en
outre l’avantage de ne requérir que le décompte des privations subies par les individus, «
opération statistiquement plus simple et aux résultats en principe plus robustes que la mesure
des revenus » (Accardo & Saint Pol, 2009). Toute la difficulté réside dans le choix des
privations à prendre en compte. Dresser une liste restreinte de privations peut en effet influencer
le résultat des enquêtes. Pour surmonter cette limite, Slim (2010) estime qu’il convient de
20
proposer la liste la plus exhaustive possible et de repérer les taux de citation les plus fréquents,
une démarche adoptée par l’INSEE en France d’après l’analyse de l’auteur.
➢ La pauvreté subjective
La pauvreté « subjective » consiste pour sa part à recenser les difficultés ressenties par les
individus. Le sentiment de privation, complexe par nature, résulte aussi bien de difficultés
monétaires (comment équilibrer les revenus et les dépenses mensuelles) que non monétaires
(mauvaises conditions de vie), d’où la nécessité d’en tenir compte pour appréhender les aspects
subjectifs de la pauvreté. Des ménages ayant l’impression d’être pauvres peuvent parfaitement
avoir des revenu relativement satisfaisants, le sentiment de privation provenant d’une disparité
entre les aspirations (de consommation, sociales, culturelles, etc.) et les capacités (niveau de
ressources monétaires et non monétaires) des individus. En ce sens, mesurer la « pauvreté
subjective » revient à estimer les privations ressenties dans le domaine des « espaces de
fonctionnement ».
➢ La pauvreté profonde
Eu égard aux composantes de « la pauvreté en conditions de vie » et de « pauvreté subjective »,
l’évaluation des conditions de la pauvreté non monétaire est primordiale pour identifier les
groupes d’individus les plus vulnérables à la pauvreté afin « de cibler efficacement les
politiques économiques de lutte contre la pauvreté ». La méthode élaborée par l’INSEE prend
en considération la proportion de ménages cumulant les trois formes de pauvreté (monétaire,
en conditions de vie et subjective) en mesurant les différents aspects de la pauvreté des ménages
et en leur attribuant des « scores », ce qui permet de distinguer trois groupes de pauvres en
fonction du nombre de symptômes qu’ils présentent. Il est ainsi possible d’isoler un groupe de
personnes incontestablement pauvres puisqu’elles se caractérisent simultanément par de faibles
revenus déclarés, des conditions de vie médiocres et l’incapacité de réaliser leurs aspirations.
Cette situation est appelée « pauvreté profonde » par l’INSEE (Festy et al., 2005).
21
2.2.3. La pauvreté multidimensionnelle
Dans son rapport intitulé « Vaincre la pauvreté humaine » et diffusé en 2000, le PNUD distingue
trois sortes de pauvreté : (i) l’extrême pauvreté, (ii) la pauvreté générale et (iii) la pauvreté
humaine. Des éléments de ce rapport, il ressort qu’une personne vit dans la « pauvreté
extrême » si elle ne dispose pas de revenus nécessaires pour satisfaire ses besoins alimentaires
essentiels – habituellement définis sur la base de besoins caloriques minimaux. Elle vit dans
« la pauvreté générale » si elle ne dispose pas des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins
essentiels non alimentaires. La « pauvreté humaine », quant à elle, est présentée comme l’ «
absence des capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite,
mauvaise santé maternelle, maladie ne pouvant être évitée » (PNUD, 2000). Pour sa part, la
Banque mondiale (2000) appréhende la pauvreté en lui adjoignant trois principales causes : 1)
« Le manque de revenus et d’actifs pour réaliser des besoins de base – l’alimentation, le
logement, l’habillement, et des niveaux acceptables de santé et d’éducation » ; 2) « La sensation
d’être sans parole et sans pouvoir dans les institutions de l’Etat et de la société » ; 3) « La
vulnérabilité aux chocs défavorables liée à l’inaptitude de pouvoir les gérer ou d’y faire face »
(Banque Mondiale, 2000).
D’après Kerim (2016), la pauvreté telle que la conceptualise le PNUD et la Banque Mondiale
(2000), est celle de la Pauvreté multidimensionnelle qui trouve ses fondements dans la
sophistication de l’approche par les Capabilités d’Amartya Sen (1981) et mesurée par l’indice
de pauvreté humaine (IPH) introduite par le PNUD. Par ailleurs d’après l’auteur, la théorisation
de ces indices composites est inspirée de l’approche par méthode de comptage ou counting
conceptualisée par Atkinson (2003) qui est une approche intuitive de mesure de la pauvreté
multidimensionnelle. L’Indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) créé par l’Université
d’Oxford (Oxford Poverty & Human Development Initiative- OPHI) pour évaluer la pauvreté
dans les pays en développement (Alkire & Santos., 2010) est venue conforter cette idée de
concept de pauvreté multidimensionnelle. L’étude de Alkire et Foster (2011) évalue la pauvreté
multidimensionnelle en introduisant deux seuils : (i) seuil de privation selon les dimensions
retenues ; (ii) seuil de dimension minimum fixé par le décideur et en dessous duquel on est
considéré comme pauvre. Le concept de « pauvreté multidimensionnelle » et ses instruments
de mesures, se retrouvent plus dans les études et articles traitant des pays en développement.
Evoquant la pauvreté multidimensionnelle, Dubois et al. (2010) estime qu’il existe deux
méthodes de mesure de la pauvreté, toutes deux inspirées des approches de capabilité
22
d’Amartya Sen. Selon l’auteur, l’approche par les capabilités a conduit d’une part, au
développement (i) de méthodes spécifiques d’observation et de suivi de l’évolution de la
pauvreté, et d’autre part, à l’élaboration (ii) d’indicateurs synthétiques et de modèles visant
autant à estimer les capabilités dans leur dimension de libertés potentielles qu’à mettre en valeur
les facteurs explicatifs. Au niveau de méthodes d’observation, l’auteur estime qu’on s’appuie
sur la combinaison d’enquêtes quantitatives classiques (sur le revenu et la consommation, les
conditions de vie auprès des ménages et sur les données des collectivités locales), d’entretiens
qualitatifs (sur la base de récits de vie, les perceptions, aspirations et les représentations
sociales…) et d’échantillons témoins s’inspirant de l’économie expérimentale. Cela peut se
faire en concevant des systèmes d’enquêtes articulés. La mise en place d’observatoires
microéconomiques est alors souvent privilégiée compte tenu de leur permanence permettant de
suivre les entrées et sorties de la pauvreté et le renforcement des capabilités sur des panels de
ménages. Concernant les indicateurs, l’auteur conclut en estimant qu’ils sont essentiellement
synthétiques pour tenir compte de la multi-dimensionnalité du phénomène de pauvreté ; tant au
niveau macroéconomique, avec l’indicateur du développement humain (IDH) ou l’indice de
pauvreté humaine (IPH) qu’au niveau microéconomique avec les mesures de l’incidence et de
l’intensité de la pauvreté.
Dans un effort d’internationalisation de la pauvreté multidimensionnelle et dans le souci de
mettre en lumière la complexité de la pauvreté, une recherche participative internationale
conjointement menée par l’Université d’Oxford et ATD Quart Monde dans six pays
représentatifs des pays du Nord et du Sud. Cette recherche débutée en 2016 et dont les résultats
ont été publies en mai 2019, a fait travailler ensemble des personnes en situation de pauvreté,
des professionnels et des universitaires et impliquée des équipes au Bangladesh, en Bolivie, en
Tanzanie pour ce qui est des pays du Sud ; en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis pour
ce qui est des pays du Nord. D’après Bray et al. & De Laat (2020), des centaines de personnes
en situation de pauvreté ont participé à l’étude et leurs connaissances ont été croisées avec celles
d’universitaires et de professionnels dans le cadre d’un processus de discussions multiples et
collectivement mises à l’épreuve et évaluées. Des résultats cette recherche internationale, il est
apparu préférable de conceptualiser la complexité de la pauvreté en déterminant trois groupes
de dimensions interdépendantes. Le premier groupe matérialise le cœur de l’expérience de la
pauvreté et dont les dimensions sont (i) la dépossession du pouvoir d’agir, (ii) le combat et la
résistance, (iii) la souffrance dans le corps, l’esprit et le cœur. Le deuxième groupe de
dimensions fait référence à des dynamiques relationnelles : (iv) la maltraitance institutionnelle,
23
(v) la maltraitance sociale, (vi) les contributions non reconnues. Les privations constituent le
troisième groupe des dimensions évoqué par les auteurs notamment (vii) le manque de travail
décent, (viii) le revenu insuffisant et précaire, (ix) les privations matérielles et sociales.
L’ensemble de ces dimensions sont influencées par l’identité, le lieu d’habitation, le temps et
la durée, les croyances culturelles, l’environnement et la politique environnementale
La figure (figure 1) ci-dessous recapitule ces dimensions et leur interdépendance mis en exergue
par cette recherche internationale :
Figure 1: Dimensions complexes de pauvreté et leur indépendance
Source : Bray et al. (2020)
2.3. Inégalités, croissance, redistribution et réduction de la pauvreté : Schéma de la lutte
contre la pauvreté au Nord
Pour François bourguignon (2004), toute stratégie de développement est totalement fonction du
taux de croissance et des variations distributives au sein de la population, comme il l’a montré
à travers l’arithmétique de ce qu’il a qualifié de « triangle pauvreté-croissance-inégalités
(PCI) ». Il estime que c’est « du niveau de revenu agrégé et croissance » que génère « la
distribution et les changements distributifs », et vice-versa. La résultante constitue la stratégie
de développement visant la réduction de la pauvreté notamment celle de la pauvreté absolue
(figure 2).
24
Dans son approche, l’auteur utilise des régressions sur données de panel pour analyser le rôle
des inégalités sur la croissance et estime que l’on doit reconnaître que les régressions sur
données de panel, dont on peut supposer qu’elles tiennent compte des biais dus à la présence
d’effets fixes, donnent parfois lieu à des « surinterprétations ». Ce n’est pas parce que les
inégalités de l’année t servent à expliquer la croissance entre les années t et t + 10 que l’on peut
considérer les inégalités comme étant « exogènes » ; certains déterminants communs non
observés peuvent en réalité se cacher derrière les deux séries d’observations et aucun argument
ne sera assez convaincant pour corriger le biais d’endogénéité qui en résulte. D’après lui, pour
être capable d’identifier l’effet des inégalités sur la croissance, il faudrait donc pouvoir compter
sur des composantes véritablement exogènes dans les variables d’inégalités. « Mais quand et
où pareille variation « exogène » des inégalités s’est-elle déjà produite ? » s’interroge l’auteur.
Pour illustrer cette externalité inhérente à l’endogénéité de toute variable explicative dans les
modèles, l’auteur emprunte un exemple qui par ailleurs illustre très bien l’inégalité sociale entre
les riches et les pauvres et justifie de ce fait les politiques redistributives pour pallier la situation,
d’où son idée de triangle. Il s’agit d’un exemple d’une société où les riches ont accès à un
marché du crédit avec un taux d’intérêt annuel de 10 % alors que les pauvres, par manque de
garanties collatérales, ont un taux d’intérêt de 50 %. Pour l’auteur, en l’absence de contrainte
quantitative sur le marché du crédit, cette segmentation signifie que tous les projets ayant un
taux de rentabilité de 10 % ou plus proposés par les individus du premier groupe sont
effectivement entrepris alors que, parmi les projets proposés par les individus du second groupe,
ne seront acceptés que ceux présentant un taux de rentabilité supérieur ou égal à 50 %. Selon
lui l’inefficacité est patente lorsque que les projets du second groupe ayant un taux de rentabilité
juste inférieur à 50 % – et supérieur à 10 % – restent inexploités. Pourtant, s’il y avait
redistribution des richesses du premier groupe vers le second, les plus pauvres auraient moins
besoin d’emprunter et pourraient lancer des projets ayant un taux de rentabilité légèrement
inférieur à 50 %. Dans ce cas, la redistribution des riches aux pauvres engendrerait donc
davantage d’investissements et/ou un taux supérieur de rentabilité du capital.
Bourguignon et al., (2003) soutiennent donc que les stratégies de développement doivent axer
leurs différentes résolutions sous deux principaux angles : i) l’élimination rapide de la pauvreté
absolue, sous toutes ses formes, qui doit d’ailleurs être un objectif essentiel du développement,
ii) et que cette réduction de la pauvreté passe par des stratégies de croissance et des politiques
redistributives dont la combinaison est propre à chaque pays. C’est ainsi qu’il évoque « les
politiques de croissance redistributive » comme soubassement à toute stratégie de
25
développement et des taux de croissances qui en résultent. « Le véritable enjeu de l’élaboration
d’une stratégie de développement visant à réduire la pauvreté réside davantage dans les
interactions entre distribution et croissance que dans les relations entre, d’une part, pauvreté et
croissance et, d’autre part, pauvreté et inégalités, qui restent essentiellement arithmétiques »,
affirme-t-il.
Abondant dans le même ordre d’idée pour caractériser la vulnérabilité des pauvres et
l’incidence de la croissance dans la réduction de la pauvreté via la redistribution, Piketty (2003)
estime que le non-accès des pauvres à l’emprunt (manque de garanties collatérales ou
imperfections du marché du crédit) et leur faible niveau initial de richesse les empêchent de
saisir des occasions d’investissement qui seraient plus profitables à la société et à eux-mêmes
que d’autres investissements réalisés ailleurs. Ainsi, les populations démunies n’ont pas les
mêmes chances dans la vie que les plus riches, car elles ne peuvent pas éduquer leurs enfants,
aussi doués soient-ils, ni obtenir des prêts pour monter une affaire ou adhérer à une assurance.
Les pays caractérisés par un indice numérique de pauvreté élevé ou une distribution inégale des
richesses sous-utilisent donc davantage leur potentiel de croissance que les pays comptant
moins de pauvres ou caractérisés par une distribution plus équitable. Plusieurs auteurs concluent
en général que la croissance est essentielle pour réduire la pauvreté (revenu), à condition que la
répartition du revenu reste plus ou moins constante (Deininger et Squire, 1996 ; Dollar et Kraay,
2002 ; Ravallion, 2001 ; Bourguignon et al., 2003). Cette forme de conception de la lutte contre
la pauvreté est celle que l’on remarque le plus dans les politiques économiques des pays
développés.
Figure 2 : Le triangle Pauvreté - Croissance - Inégalités (PCI)
Source : Bourguignon (2004)
26
2.4. Les politiques de développement comme outil de lutte contre la pauvreté au Sud
La lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud procède majoritairement par les politiques de
développement. Dans la pratique, deux modèles publics de mise en œuvre de politiques de
développement se dégagent le plus souvent : (i) « le développement partant de la base, à partir
de micro-projets très localisés, associant la population et faisant confiance à son initiative » et
(ii) « le développement à partir de gros projets d'investissements, qui bien que nécessaires et,
pour certains, indispensables, peuvent avoir des effets plus aléatoires et moins entraînants pour
le reste de l'économie ».
Pour Amougou (2010), l’analyse de la question de lutte contre la pauvreté n’est pas dissociée
au concept de développement et le développement ne peut échapper à la donnée historique,
temporelle et politique de son objet et des acteurs qu’il concerne. D’après l’auteur, les décisions
de court terme des politiques de développement actuelles ne peuvent en aucun cas améliorer les
situations sociales des pays ou territoires concernés sans tenir compte des structures historiques
sur lesquelles elles sont censées agir. C’est ainsi que l’auteur justifie l’importance des études
de développement dont le but est, non de classer les systèmes sociaux en « développés » en
haut de l’échelle et, « sous-développés » ayant un rattrapage à faire, mais d’analyser les
caractéristiques territoriales, démographiques, économiques, politiques, institutionnelles et les
modes d’intégration internationale des systèmes sociaux afin d’en comprendre les logiques, la
dynamique, le fonctionnement et de proposer, le cas échéant, des solutions possibles aux
problèmes spécifiques qu’ils connaissent. Joignant la théorie à l’empirique, l’auteur identifie à
travers ses travaux de terrain en 2005, cinq différentes formes d’exclusion sociale et de pauvreté
en Afrique subsaharienne et au Cameroun en particulier notamment (i) la pauvreté cognitive et
culturelle, (ii) la pauvreté économique, (iii) la pauvreté politique, (iv) la pauvreté
conjoncturelle, (v) la pauvreté sécuritaire.
Bien que ne s’inscrivant pas dans le sillage du courant dominant, nombreux auteurs se sont tout
de même donc intéressés à l’appréhension historique des questions de lutte contre la pauvreté
et des inégalités notamment au niveau des pays du Sud. C’est ainsi que pour caractériser
l’économie des pays sous-développés, l’économiste allemand J. H Boeke (1953) a fait usage du
concept de dualisme dans son ouvrage Economics and economic policy on dual societies,
concept dont il est le père fondateur et qu’il définit comme l’opposition entre le système social
importé (secteur moderne) et le système social indigène (secteur traditionnel) dans les théories
de développement (Amougou, 2010). D’après lui, les économies des pays sous-développés se
27
caractériseraient par une coexistence de deux secteurs séparés : le secteur traditionnel et le
secteur moderne. L’hypothèse de base de l’auteur étant que la présence du secteur traditionnel
dans l’économie sous-développée est un acquis et que la pénétration et l’intégration du secteur
moderne (hérité des pays du Nord) ne peut qu’engendrer des défaillances. Son concept de
dualisme, abordé sous un angle sociologique, évoque le fait que le capitalisme ne peut être
réalisé que par des individus qui ont une culture capitaliste et que, les territoires sous-
développés connaissent un conflit permanent entre un système social indigène et/ou traditionnel
de nature différente (Boeke, 1953 ; Amougou, 2010). Pour sa part, Fontaine (2008) estime que
lorsque l’on considère les thèmes majeurs abordés par les historiens de la pauvreté, on constate
que ce sont les manières dont les sociétés traitent leurs pauvres qui ont, pendant longtemps,
constitué le principal sujet d’étude avec plus d’attention accordée à l’objet de la charité privée
et les institutions charitables. Plus récemment, les historiens contemporains et les sociologues
y ont inclus une dimension politique et retracé l’histoire de la question sociale en essayant
d’adopter une perspective plus dynamique et plus individuelle et cesser de se contenter du point
de vue du riche qui fait l’aumône, ou de l’État qui crée des institutions.
Parmi les chercheurs ayant traité l’évolution de l’économie et des politiques de développement
en faveur de la lutte contre la pauvreté, Benoit Prévost (2005, 2007) n’est pas du reste. En effet
d’après l’auteur, il est important de distinguer trois grandes périodes dans l’évolution de
l’économie et des politiques de développement : (i) une première période qui va de l’après-
guerre jusqu’à la fin des années 1970 et marquée par une forte intervention de l’Etat, propre à
la fois au contexte international et à la situation de la théorie économique sous influence
keynésienne interventionniste ; (ii) la deuxième période qui s’étale entre 1980 et 1990
correspondant à la crise de la dette et une reprise du dessus de la théorie néoclassique dans les
universités occidentales et des institutions internationales desquelles découleront l’application
des Plans d’Ajustement Structurels (PAS); et (iii) la troisième période commencée dans les
années 1990 marquée par la remise en question des PAS et des théories qui les fondent et la
réorientation vers la lutte contre la pauvreté comme le premier objectif des politiques de
développement. L’analyse de Prevost (2005, 2007) corrobore avec celle de Pritchett et
Woolcock (2003) qui estiment que les services de base constituent un problème fondamental
des pays en développement depuis les années 1950 et que ce qui est nouveau est le fait que les
solutions qui avaient été apportées sont devenues à chaque fois de nouveaux problèmes : (i)
Une première vague de réponses (années 1950-70) s’est appuyée sur l’importation de structures
administratives de type occidental pour développer les services publics ; (ii) l’échec de ces
28
stratégies a entraîné une seconde vague de solutions (années 1980-90), celle du Consensus de
Washington, basée sur les privatisations ; (iii) les conséquences des plans d’ajustement
structurels et du consensus de Washington ont conduit enfin à une troisième vague de réformes
qui s’appuie sur l’idée d’une complémentarité entre les marchés et un État actif.
Pour illustrer son analyse relative aux politiques de développement de la Banque mondiale,
institution principale de financement des politiques de développement, Prevost (2007) estime
c’est sous l’égide du président James Wolfhenson et Joseph Stiglitz alors économiste en chef à
la Banque Mondiale, que va s’organiser le dépassement du Consensus de Washington, sous la
forme d’un «nouveau paradigme», celui du « Comprehensive Development » ou
« Développement Intégré » (Stiglitz, 1998; Prevost 2007) dont les travaux de refondation se
concrétiseront par l’édition 2000/2001 du Rapport sur le développement dans le monde, «
Attacking Poverty ». Le sommet de Copenhague tout comme celui du G7 à Halifax en 1995 y
ont contribué, sommet au cours duquel les Institutions de Bretton Woods furent invitées à
prendre en compte les différentes dimensions du développement durable (Chavagneux &
Tubiana, 2000). Pour Narayan & Shah (2000), la Banque Mondiale adoptera alors
officiellement une nouvelle approche de la pauvreté, multidimensionnelle, fondée à la fois sur
les apports théoriques d’Amartya Sen et sur les résultats d’enquêtes (Poverty Participatory
Assesments) qui ont permis de faire ressortir des aspects de la pauvreté jusque-là ignorés et en
particulier la vulnérabilité qui caractérise les populations défavorisées. Faire de « la
vulnérabilité et l’exposition au risque » des éléments constitutifs et caractéristiques de la
pauvreté permet d’envisager une nouvelle compréhension des processus de pauvreté et donc
des moyens d’en sortir (Alwang et al., 2001). Cette approche va se développer, au sein de la
Banque Mondiale, à travers la notion d’« empowerment » que la Banque Mondiale qualifie de
« l’expansion de la liberté de choix et d’action » et « l’expansion des ressources et capacités
des pauvres à influencer, contrôler et tenir pour responsable les institutions qui affectent leurs
vies » (Banque mondiale, 2002).
La question de l’« empowerment » va susciter un autre débat et interrogation dans les politiques
de développement, celui sur l’aide publique au développement. L’aide publique au
développement est-elle synonyme de l’empowerment ? L’empowerment va-t-il succéder à
l’aide publique au développement. L’aide est-elle efficace ? Les avis des chercheurs sont
souvent très partagés. Elle a ses partisans, tels que Jeffrey Sachs (2005) qui dans The End of
Poverty soutient l’argument selon lequel, tout en adoptant un large éventail de politiques en
faveur du développement, les pays les plus riches devraient également consacrer 0.7 % de leur
29
produit national brut (PNB) à l’aide, une cible fixée depuis les années soixante par les pays
membres du Comité d’aide au développement (CAD). A l’opposé, des personnes comme
Dambisa Moyo (2009) dans Dead Aid, soutiennent que l’aide crée une culture de la dépendance
en Afrique et alimente la corruption. D’après elle, il faudrait nettement réduire les apports
d’aides, jusqu’à les faire disparaître, ce qui forcerait les gouvernements des pays en
développement à miser davantage sur d’autres formes de financement, notamment la fiscalité
et l’investissement étranger.
Au regard de tout ce qui précède, il va sans dire que la plupart des études ayant traité des
questions de la pauvreté, se focalisent principalement sur l’appréhension des différentes formes
et des instruments de ses mesures mais peu voire pas du tout à l’holisme des mécanismes
d’arrangements institutionnels, socio-politiques, macroéconomiques, et/ou du commerce
international. Aspect qui de notre point de vue serait la source de toutes les formes de pauvreté
et leur accentuation dans les pays du Sud et à une forme d’écart des inégalités au niveau des
pays du Nord. Comme le souligne Banerjee et Duflo (2012), les politiques de développement
destinées à lutter contre la pauvreté semblent souvent incapables d’améliorer leurs conditions
de vie. Cet échec est lié aux failles des théories qui sous-tendent ces programmes et à la
méconnaissance par les experts de la vie des pauvres, décidant à leur place de ce qui est bon
pour eux sans chercher à les consulter. Une constatation qui nous pousse à suggérer des
approches systémiques et éclectique comme meilleurs outils d’appréhension holistique de la
problématique de la pauvreté et de sa prise en charge.
30
3. Au-delà des théories binaires de macroéconomie keynésienne et de la micro-économie
néoclassique : réflexion sur la théorie de la complexité comme outil d’appréhension et de
prise en charge de la pauvreté
L’idée initiale sous-jacente à notre réflexion est de caractériser les différentes formes de
pauvretés et des inégalités sociales entre Nord et Sud et leurs principales sources, notamment
celles inhérentes à la structure des théories et pensées économiques de même que
l’appropriation de ces dernières dans la mise en place des politiques économiques et de
développement par les Etats et les organisations internationales. Et au regard de la littérature,
nous constatons que la plupart des études ayant traité de la pauvreté l’ont fait sans exposer
explicitement le type d’agent économique examiné dans leur cadre d’étude. La typologie des
profils de pauvreté est donnée sans forcément faire ressortir le type d’agent économique
concerné dans l’étude notamment si c’est à l’échelle d’un individu, d’un ménage, d’un territoire,
d’un pays ou d’un continent. Globalement, et à l’exception de quelques rares études qui
analysent la pauvreté monétaire en la corrélant à la pauvreté en conditions de vie (Bourguignon,
2006), nous constatons tout de même que la pauvreté monétaire caractérisée par la mesure du
revenu et du niveau de consommation, a pour cadre d’analyse l’échelle macroéconomique et
celle des pays, la pauvreté en condition de vie examinée à l’échelle d’un ménage et la pauvreté
subjective est étudiée à l’échelle d’un individu. Ce constat n’est pas standard, il s’agit d’une
perception d’après les différents travaux consultés. Cette forme de typologie concerne beaucoup
plus les pays du Nord. Au niveau des pays du Sud, la pauvreté est majoritairement abordée sous
un angle singulier de pauvreté multidimensionnelle avec comme soubassement la discipline
universitaire d’Economie du développement. Vu la complexité du phénomène de la pauvreté et
des inégalités, nous estimons que les cadres d’appréhension de la pauvreté doivent innover en
prenant en compte à la fois les cadres d’analyse microéconomique mais aussi macroéconomique
parce que nous considérons qu’une pauvreté à l’échelle micro peut entraîner une pauvreté à
l’échelle macro et vice-versa. Une pauvreté méso économique à l’échelle industrielle donc
d’entreprises privées peut également entrainer à la fois la pauvreté microéconomique et celle à
l’échelle macroéconomique. Cette dernière forme de pauvreté est moins traitée voire pas du
tout dans la littérature économique à notre connaissance, la mésoéconomie s’inscrivant plus
dans un courant pro libéral.
Notre préoccupation part du constat et de l’hypothèse générale qu’au niveau des pays
développés, la question de la pauvreté est abordée et appréhendée, grosso modo, par plusieurs
champs de recherche disciplinaire en économie, notamment l’Economie comportementale et
31
l’Economie du bonheur pour ce qui est de la « pauvreté subjective », l’Economie de marché,
l’Economie politique et l’Economie sociale et solidaire pour ce qui est de la « pauvreté en
conditions de vie », et de la Macroéconomie internationale pour ce qui est « la pauvreté
monétaire ». Par contre et d’une manière générale au niveau des pays du Sud, tout porte à croire
que toute problématique/préoccupation de recherche et/ou politiques économiques sur la
question de pauvreté dans ces pays n’est catégorisée et classée que dans le seul champ de
recherche scientifique, universitaire et disciplinaire de l’Economie du développement qui par
ailleurs est appréhendée sous des aspects microéconomiques et instrumentalisée via des indices
composites pour donner une connotation macroéconomique. C’est dire la complexité de la
chose « qu’est la problématique de la pauvreté dans le monde » qui ne peut donc, de notre point
de vue, être appréhendée que par des approches éclectiques et systémiques et non par des
restrictions mathématiques exclusives et modélisations économétriques segmentées.
L’ambition affichée par notre présente réflexion est non seulement d’évoquer l’emprise de
l’économie de marché et son incidence sur les inégalités au niveau des pays du Nord (et
accessoirement sur la pression environnementale) via la théorie du courant néolibéral, mais
aussi et surtout, de mettre en lumière la nécessité de segmenter la discipline de l’« économie
du développement » supposée gérer la pauvreté des pays en développement, en plusieurs
champs économiques disciplinaires susceptibles de traiter et de gérer différents pans de la
pauvreté dans les pays en développement. Chaque dimension de la pauvreté retenue dans les
critères de la pauvreté multidimensionnelle fera alors l’objet d’une discipline économique
particulière. Une telle segmentation des champs économiques des pays du Sud pourrait
s’inspirer de la segmentation des champs économique des pays développés. Ceci doit passer
par une analyse critique de la discipline des sciences économiques enseignées dans les
Universités du Nord versus au Sud de même qu’une épistémologie des courants de pensées
économiques dans les travaux futurs sur l’économie du développement. Nous estimons que les
chercheurs en Economie du développement pourraient alors segmenter cette discipline
universitaire en plusieurs disciplines susceptibles de gérer différents pans de la pauvreté tout en
appréhendant et prenant en considération comment est née cette discipline et son
instrumentalisation et professionnalisation par les institutions en charge de développement
telles la Banque Mondiale et/ou le PNUD pour concevoir les politiques de développement
taillées et exclusives à destination des pays du Sud. Ce qui suppose de s’intéresser aux faits
marquants ayant traité des politiques de développement dans le monde, ceci en empruntant la
théorie de dépendance au sentier.
32
Nous considérons que l’histoire ne peut pas se faire à reculons comme le laissent penser
certaines doctrines hétérodoxes du développement. Elle a vocation à évoluer. Les pays en
développement ne peuvent donc revenir à l’ère précoloniale et sont donc obligés de composer
avec les systèmes économiques importés des pays développés dans un cadre partenarial, qu’ils
soient théoriques, idéologiques et/ou empiriques, en veillant toutefois à les contextualiser pour
les appliquer à leurs réalités respectives, d’où la nécessité de subdiviser de l’Economie du
développement en plusieurs disciplines économiques qui s’occuperaient de chaque dimension
de la pauvreté multidimensionnelle en matière de recherche scientifique et d’enseignement
universitaire. C’est pourquoi nous estimons que notre cadre analyse telle que nous la suggérons,
peut contribuer à remédier un tant soit peu aux défaillances auxquelles fait allusion Boeke
(1953) quand il estime dans ses travaux que « la présence du secteur traditionnel dans
l’économie sous-développée est un acquis et que la pénétration et l’intégration du secteur
moderne ne peut qu’engendrer des défaillances ».
En effet dans la lignée des études et travaux macroéconomiques dominants sur les questions de
la pauvreté dans les pays du Sud, deux profils théoriques se dégagent globalement : (i) le
premier concerne l’utilisation faite des indices composites de la pauvreté tels l’IDH et l’IPH et
l’usage des statistiques descriptives et économétrie qualitatives (estimations via des modèles
Probit, Logit, Tobit, Analyse en composante principale, autres ) et graphiques pour faire des
études comparatives des taux de pauvreté par rapport à un secteur économique, région et/ou
pays donné et pour une échelle de temps donné (Bourguignon, 2015; Porras, 2015) de même
que l’analyse d’élasticité-revenu de la pauvreté par rapport à l’aide publique au développement
(Guillaumont & Wagner 2013). (ii) Le second profil concerne l’utilisation d’un arsenal d’outils
économétriques quantitatives sophistiqués d’évaluation des politiques publiques pour identifier
si oui ou non, il y aurait une corrélation entre la libéralisation financière, la croissance et le taux
de pauvreté.
Une des études qui nous semble la plus illustrative concernant la façon dont le second profil
des études se constitue est celle de Arsetis et Caner (2010). En effet, Arsetis et Caner (2010)
étudient empiriquement la relation entre la libéralisation financière et la pauvreté. A la
différence de la majorité d’études qui mettent plutôt en corrélation la libération financière et la
croissance, les auteurs formulent l’hypothèse selon laquelle si la libéralisation financière
améliore la croissance, elle doit alors systématiquement réduire la pauvreté à travers une
meilleure redistribution des revenus. L’étude empirique est conduite pour la période (1985-
2005) et sur un échantillon de 33 pays exclusivement en développement se situant dans l’Asie
33
de l’est et du sud, L’Europe de l’est, l’Amérique latine, l’Afrique du nord et subsaharienne et
le Proche Orient. Pour mesurer le degré de pauvreté, ils utilisent un premier indicateur qui
représente la proportion de la population vivant avec moins de 1,08$ par jour et un deuxième
qui est le revenu des 20% les plus pauvres du pays, pour vérifier la robustesse de leurs résultats.
La mesure de la libéralisation financière adoptée est la variable KAOPEN (Indice de liberté
économique) initiée par Chinn et Ito (2006). A travers une représentation graphique de
KAOPEN et du taux de pauvreté pour l’échantillon de l’Amérique latine, les auteurs trouvent
qu’il n’existe aucune relation apparente entre la libéralisation financière et l’évolution de la
pauvreté. Arsetis et Caner (2010) suivent deux stratégies empiriques : une analyse en coupe
transversale et une analyse en données de panel. Dans la première approche ils utilisent les
moyennes périodiques de toutes les variables de manière à obtenir une seule observation par
pays pour chaque variable. La deuxième approche prend en compte la variation des variables
au cours du temps et à travers les différents pays. Les résultats de la régression des données en
coupe transversale par la méthode des MCO concluent à un effet inverse entre la libéralisation
financière et la pauvreté (le coefficient de la variable KAOPEN prend une valeur négative dans
la plupart des estimations). Cela signifie d’après les auteurs qu’un niveau faible de pauvreté est
associé à un niveau élevé de libéralisation financière mais ce résultat a un faible niveau de
significativité. Ils précisent que les résultats de l’estimation par MCO peuvent être biaisés par
une probable endogénéité entre la pauvreté et l’ouverture du compte de capital. Pour corriger
cette éventuelle endogénéité, ils font intervenir les variables instrumentales (IV) : la déviation
de KAOPEN et l’interaction entre KAOPEN et l’investissement.
Selon les auteurs, ces deux variables instrumentales ont une très forte corrélation avec les
variables endogènes et une faible corrélation avec le terme d’erreur. Les résultats de
l’estimation par les variables instrumentales indiquent que le coefficient de KAOPEN est
presque nul et non significatif dans la plupart des estimations. L’estimation en données de panel
par la méthode des GMM (méthodes des moments généralisés) donne les résultats suivants : le
niveau initial de pauvreté a un signe positif, un niveau élevé de qualité institutionnelle est
associé avec un faible niveau de pauvreté et les estimations sont statistiquement significatives.
La nouveauté de cette estimation par rapport aux précédentes réside dans le fait qu’elle identifie
une relation positive entre la variable KAOPEN et le taux de pauvreté. En d’autres termes, les
pays avec un compte de capital plus libéralisé ont des niveaux de pauvreté plus élevés et le
coefficient est positif et statistiquement très significatif. Pour vérifier la robustesse de leurs
résultats et vérifier s’ils ne sont pas spécifiques à la mesure de pauvreté adoptée, Arsetis et
Caner (2010) utilisent une autre mesure qui est le revenu des 20 % les plus pauvres de la
34
population. Ils répètent les mêmes méthodes économétriques et trouvent les mêmes résultats.
MCO, VI et GMM concluent qu’un niveau de libéralisation important du compte de capital est
associé à un faible niveau de revenu des 20% les plus pauvres de la population. Aussi, pour
vérifier si les résultats ne sont pas influencés par des pays ou des régions spécifiques, ils répètent
les estimations en excluant à chaque fois une région donnée et ils trouvent que les résultats sont
qualitativement les mêmes.
Bien que les travaux d’Arsetis et Caner (2010) apportent des enseignements probants sur
l’impact négatif de la libéralisation financière dans la lutte contre la pauvreté, nous avons choisi
de résumer leurs travaux afin d’illustrer plus globalement comment la plupart des études
mettant en relation les questions financières et le développement se conceptualisent.
Un autre des aspects qui est sous-traité dans la littérature pour conceptualiser, expliquer,
mesurer ou évaluer les causes de la pauvreté est l’absence de prise en compte du système
d’organisation et de fonctionnement du commerce international et l’influence que cela peut
avoir sur l’état de pauvreté des pays du Sud. Les chercheurs s’intéressant au commerce
international et à l’Economie du développement pourraient étudier et évaluer comment la
modélisation des principes et règles du fonctionnement du commerce équitable et son
intégration à une théorie de l’économie internationale plus juste et équitable peut jouer en faveur
de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Autrement, la conceptualisation actuelle
du « commerce équitable » peut s’apparenter à une forme d’« aide privée au développement »
déguisée, corollaire de l’aide publique au développement, cette fois-ci non de la finance
publique internationale des Etats développés, mais plutôt de la finance privée internationale
principalement issue des organisations du commerce équitable et des consommateurs du Nord.
C’est pourquoi nous estimons qu’il serait judicieux de reparcourir le cadre théorique du
commerce international, de la théorie des avantages absolus d’Adam Smith (1776) à la théorie
des avantages comparatifs de David Ricardo (1817) jusqu’aux récents travaux de Paul Krugman
(1984) sur la concurrence oligopolistique et les économies d’échelle, voire les débats sur les
théories d’intégration et de désintégration dans une perspectives d’innovation de l’économie du
développement et d’une gestion efficace de la lutte contre la pauvreté et des inégalités sociales.
Ceci permettra de comprendre comment ces différentes théories ont façonné l’organisation et
le fonctionnement du commerce international et comment l’émergence et l’évolution du
concept de commerce équitable peut avoir une certaine incidence sur la gestion de la
problématique de la pauvreté et des inégalités ; « commerce équitable » entendu ici comme
« échanges internationaux plus justes et équitables » et non comme « pratiques solidaires de
35
consommation des citoyens du Nord des produits labelisés équitables pour soutenir les
producteurs du Sud » tel que conceptualisé jusqu’ici.
La segmentation de l’économie du développement telle que nous la suggérons dans cette
réflexion, ne s’inscrit pas non plus dans une logique de vouloir opposer les sciences exactes aux
sciences sociales dans l’appréhension des événements économiques. Bien que préconisant des
approches empruntant une argumentation critique, nous estimons qu’il ne faudrait pas se limiter
seulement aux outils d’argumentation de la philosophie économique a la manière dont nous le
faisons dans cette réflexion, mais exhorter les chercheurs à aller au-delà et faire appel à certains
modèles économétriques si les besoin des analyses l’exigent, soit en vue de tester
empiriquement leur applicabilité dans une approche critique, soit pour appréhender leurs limites
et/ou les compléter. Une logique de pensée qui justifie l’éclecticisme pour appréhender une
problématique aussi systémique qu’est la pauvreté. Michel Beaud (1987) cité par Amougou
(2010) s’est intéressé à l’analyse des économies dominantes en affirmant que les niveaux
d’analyse « national, international, multinational et mondial sont indissociablement imbriqués,
puisqu’ils se constituent mutuellement » pour montrer que l’économie n’explique pas tout : «
il faut saisir les interdépendances, les interactions, les inter déterminations avec le social, le
politique, les croyances, les religions, les idées, les valeurs, les institutions, le droit ; et pour
cela, la prise en compte des temps et l’éclairage historique sont indispensables » (Beaud, 1987 ;
Amougou, 2010). Un nouveau cadre théorique de réflexion future sur la discipline universitaire
de l’économie du développement tel que nous le préconisons, s’inscrit dans la logique de Beaud
(1987) et Amougou (2010) à la seule différence que nous estimons qu’il ne faudrait pas opposer
l’économie du développement au reste (des autres sciences humaines et sociales) ni le reste des
sciences humaines et sociales à l’économie; mais plutôt ramener autant que possible tout à
l’économie et voir tout dans l’économie en prenant pour instrument d’étude la problématique
de la pauvreté et des inégalités sociales dans les pays du Sud, non pas seulement
microéconomique telle que cela se fait dans la majorité de recherche en économie du
développement jusqu’ ici, mais aussi l’économie du développement incluant les aspects méso
économiques et macroéconomique, un peu aussi à l’exemple de l’analyse de l’encastrement
chez Karl Polanyi (1983) ou de l’Economie plurielle prônée par Matthieu De Nanteuil (2009).
36
4. Au-delà de la pensée binaire d’individualisme et d’holisme méthodologique : remettre
la pensée complexe dans l’appréhension des phénomènes de la pauvreté et des inégalités
S’apprêter à des tentatives de réponses à toutes les interrogations posées dans la problématique
nécessite de faire des études croisées alliant les thématiques « de la pauvreté et des inégalités
sociales », « de la croissance et du développement économique » et « de la recherche du bien-
être individuel et social » à la fois dans leurs appréhensions philosophiques, épistémologiques,
socio-économiques, économétriques et géographiques. Des thématiques qui doivent être
abordées non seulement dans leur singularité et spécificité, mais aussi et surtout sous l’angle de
la mise en confrontation de courants de pensées qui les sous-tendent, de mêmes que des analyses
transversales des idées dans leurs approches interdisciplinaires et holistiques.
En effet, bien que formulée pour donner l’apparence d’être classée dans la lignée des recherches
en philosophie économique, notre approche de réflexion a pour mérite de poser un diagnostic
sur les questions de la pauvreté et leurs diversités entre Nord et Sud dans leur aspect holistique
et éclectique. Au regard de la revue de littérature en sciences économiques, il convient de
remarquer que nombre de travaux en économie préfèrent choisir de simplifier le réel en posant
des hypothèses restrictives afin d’écarter les détails pour ne conserver que les éléments
communs aux expériences les plus différenciées : c’est la logique d’action du courant dominant
qui procède par des approches hypothético-déductives avec l’homo economicus au centre de
l’analyse. Cas majoritaire des travaux attribués aux sciences sociales « exactes » et adoptant
l’individualisme méthodologique comme approche. D’autres travaux adoptent des approches
inductives en préférant partir du concret, des faits, des observations pour remonter aux
explications générales ; il s’agit de l’approche inductive dont les travaux empruntent l’holisme
méthodologique comme méthode et que l’on retrouve dans les études considérées comme
sciences humaines. Nous pensons que les recherches futures sur les questions de la pauvreté et
des inégalités devraient s’émanciper de cette segmentation méthodologique binaire pour
adopter des approches novatrices qui combinent les deux approches (les approches inductives
et les hypothético-déductives). On aboutira alors à des approches hypothético-inductives. Il
s’agira alors de passer par l’observation des faits via des travaux antérieurs sur la question de
la pauvreté et des inégalités, pour poser des hypothèses desquelles les chercheurs vont
appréhender la question de la pauvreté dans son aspect éclectique et transversal pour remonter
aux explications systémiques et générales. Comme le souligne Farid El Alaoui et Assen Slim
(2006), « l’économie n’est pas une « science dure » régie par des lois universelles ; elle est
37
avant tout une science humaine, mêlant inextricablement aspects positifs (ce qui est) et aspects
normatifs (ce qui devrait être) ; « ce qui est vrai pour l’économie l’est a fortiori pour l’économie
internationale. » L’approche de réflexion telle que nous la suggérons se veut ambitieuse en
empruntant le clivage positif - normatif pour aller au-delà afin d’analyser la complexité des
phénomènes socio-économiques inhérents à la pauvreté et inégalités sociales sous un angle
épistémologique critique.
Bien qu’utilisant l’expression « holistique » pour justifier la manière dont nous abordons ce qui
devrait être, et convaincus qu’une idée novatrice d’un seul individu ou d’un groupe d’individu,
si elle est bien vulgarisée, peut changer le cours de l’histoire d’une théorie, communauté ou fait
social, nous nous refusons donc la pensée binaire qui oppose l’holisme méthodologique attribué
à Emile Durkheim (1988) à l’individualisme méthodologique concédé à Max Weber (1965),
mais invitons à s’inscrire bien plus dans ce que Edgar Morin (2014) qualifie de « pensée
complexe » en usant de la « théorie de la complexité » comme le font déjà l’économie
numérique, les systèmes d’information et/ou l’informatique théorique pour ressourdre les
problèmes complexes des algorithmes ; ce afin d’appréhender la problématique de la pauvreté
et des inégalités. Pour paraphraser l’auteur, « Il ne s'agit pas d'opposer un holisme global en
creux au réductionnisme systématique ; il s'agit plutôt de rattacher le concret des parties à la
totalité, d’articuler les principes d'ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d'autonomie
et de dépendance, qui sont en dialogique (complémentaires, concurrents et antagonistes) » dans
les systèmes de fonctionnement économique. Etant entendu pour nous qu’hypothétiquement, le
phénomène de pauvreté contemporaine s’explique par la théorie de dépendance au sentier dans
les pays en développement alors qu’elle s’explique par la dominance hégémonique du courant
néo-libéral au niveau des pays développés. Pour North (2010), la dépendance au sentier « path
dependence » est « le processus progressif d’évolution institutionnelle par lequel le cadre
institutionnel d’hier fournit l’ensemble des opportunités pour les organisations et les
entrepreneurs individuels (politiques ou économiques) d’aujourd’hui ».
Grâce à plusieurs sources de données de nature secondaires et d’observation des faits, tirées des
travaux de recherches (articles scientifiques, ouvrages), rapports et documents des
organisations économiques et financières, le test des hypothèses tentera, pour chaque aspect de
réflexion sur la thématique de la pauvreté et des inégalités sociales, de répondre à des
préoccupations intégrées et cumulatives de type descriptives, analytiques, critiques, mais aussi
normatives. Nous estimons que ce qui est vrai pour le courant néoclassique dans l’analyse des
variables explicatives via des estimations économétriques pour expliquer une chose ou un
38
événement économique, l’est d’autant plus pour l’économie dite « hétérodoxe » dans le sens où
ce n’est qu’avec une bonne description des variables et dans le cas d’espèce, des formes de
pauvreté et leur complexité, que nous pouvons poser un diagnostic analytique et critique
holistique pour tendre vers des recommandations normatives. Combiner donc des approches
d’estimations économétriques à celles dites « hétérodoxes », peut être un outil puissant
d’appréhension des phénomènes complexes.
Pour oser une tentative d’idée sur l’appréhension future des questions de la pauvreté et des
inégalités, nous préconisons pour le cas des pays du Nord, que les recherches sur la pauvreté et
les inégalités continuent par se focaliser sur la typologie de la pauvreté retenue par l’INSEE et
à laquelle nous avons fait allusion ci-dessus, pour appréhender la question tant dans la façon
dont les professionnels en charge du fonctionnement économique (tels l’INSEE, EuroStat,
OCDE, et l’UE) la conçoivent et dans la manière dont les établissements universitaires
l’appréhendent (instituts, centre de recherches et/ou articles scientifiques) pour l’étoffer avec
les résultats de la recherche internationale conjointement menée par l’Université d’Oxford et
ATD Quart Monde dans six pays représentatifs et coordonnées par Bray et al., (2020).
Du côté des pays du Sud, nous estimons que ce serait un choc exogène pour ces derniers que
de se voir appliquer les politiques économiques de lutte contre la pauvreté et des inégalités des
pays du Nord telles quelles ; compte tenu du caractère leurs économies encore hautement
informelles et non structurées. La typologie de la pauvreté telle que l’a conçu Thierry Amougou
(2005) sur la base de ses résultats issus du terrain au Cameroun nous semble donc une typologie
à prendre au sérieux. Croiser cette forme de typologie conçue par l’auteur à celle de la pauvreté
multidimensionnelle que toutes les institutions et recherches sur les questions du
développement promeuvent, peut nous fournir des résultats probants pour ce qui est des pays
en développement. Nous pensons que la meilleure manière d’appréhender les questions de la
pauvreté et leur complexité ne s’inscrit donc pas dans la transposition décousue de l’abstraction
des « biens premiers » de Rawls ou des « capabilités » de Sen à la réalité par des enquêtes de
terrain au niveau des pays en développement comme l’a fait par exemple Raphaelle Bisiaux
(2011). Il faudrait plutôt s’attaquer aux théories économiques qui sous-tendent la paupérisation
et les inégalités grandissantes dans le monde et des pays en développement en particulier. Ceci
permettra d’apporter une réponse à la première limite évoquée par Banerjee et Duflo (2012)
quant aux causes de l’échec des politiques de luttes contre la pauvreté notamment l’échec lié
aux failles des théories qui sous-tendent les programmes de développement.
39
La prise en compte de la typologie de la pauvreté telle que l’a conçu Thierry Amougou (2005)
sur la base de ses résultats de terrain au Cameroun couplée a la démarche inclusive des pauvres
adoptée par Bray et al.,(2020) dans leur recherches sur les dimensions cachées de la pauvreté,
constitue également des étapes considérables dans la tentative de réponse à la deuxième
préoccupation de Banerjee et Duflo (2012) notamment la méconnaissance par les experts de la
vie des pauvres, en ce sens que cette typologie proposée par Amougou (2005) résulte d’un
travail d’un chercheur engagé et patriote du réel développement des pays du Sud y compris de
son pays d’origine et connaisseur des « réalités socio-économiques par expérience», pour
emprunter l’expression de l’auteur dans ses interventions publiques. Comme le souligne
François Bourguignon (2015), le cas de l’Afrique subsaharienne illustre bien les manquements
et limites de l’analyse économique du développement, des politiques et de l’aide publique au
développement. « Il s’agit d’une région clé dans la lutte contre la pauvreté mondiale : à
quelques exceptions près, la plupart des pays de cette région se situent en bas de l’échelle
internationale des revenus. Ils connaissent encore une croissance démographique très rapide
tandis que leur croissance économique sur les quarante dernières années a été beaucoup plus
faible qu’ailleurs. Cette dernière tendance s’explique en partie par un contexte difficile, marqué
à l’extérieur par une spécialisation forte dans l’exportation de ressources naturelles ou de
produits agricoles primaires, et une taille géographique souvent réduite accentuant leur
vulnérabilité, et, à l’intérieur, une gouvernance souvent déficiente, marquée dans certains cas
par une grande instabilité politique » (Bourguignon, 2015).
Un autre aspect du fonctionnement économique que notre réflexion vient élucider est relatif à
la dominance des pays développés par l’économie de marché et qui justifie l’inégalité sans cesse
galopante entre les plus riches et les plus pauvres, ceci renforce par l’oligopole de l’économie
numérique et financière incontestablement de plus en plus désencastrée de l’économie réelle.
C’est à juste titre que nous formulons les vœux que les recherches futures sur l’Economie
encastrée permettent une réactualisation de la littérature sur l’activité économique afin de mieux
proposer une forme de typologisation de l’activité économique qui tentera de converger le sens
du travail dans l’orientation du bien et service commun et où tout salarié aura une forme de part
sociale bien que figurative dans le capital de l’entreprise (surtout pour les grosses firmes
multinationales). Le taux de rendement du capital humain serait alors supérieur au taux du
rendement du capital financier dans les dividendes et/ou sur bénéfices des entreprises avec des
dispositifs qui permettraient au financement public de servir de garantie pour endiguer le risque
encouru par tout investissement financier privé (comme c’est déjà le cas avec les différentes
40
tentatives de réponses pour relancer l’économie après la crise économique liée au coronavirus).
Tout ceci avec pour objectif de tendre vers une forme de justice sociale.
Les approches de recherches sur la pauvreté et les inégalités telles nous que les pensons, se
veulent non seulement systémiques, mais aussi éclectiques et historiques faisant appel à des
aspects descriptif, analytique, critique et normatif de la vision de la problématique de la
pauvreté et des inégalités sociales. Le regard historique et éclectique permet de reconstituer non
seulement les flux temporels, événementiels et nominatifs (aspect descriptif), nécessaires à la
compréhension des interactions entre acteurs, modèles et théories (aspect analytique) mais
aussi, d’étudier le changement de logique et d’évolution conjoncturelle d’une période à une
autre, d’un acteur à un autre, d’un modèle à un autre, d’un courant de pensée à un autre et d’un
événement économique à un autre (aspect critique), pour tirer des conclusions et
recommandations dans le sens de l’intérêt général (aspect normatif) . Le regard systémique
permet de saisir le lien entre les systèmes économiques des pays du Nord et ceux du Sud, mais
aussi entre la recherche économique scientifique en milieu universitaire (liens dynamiques entre
microéconomie, mésoéconomie, macroéconomie) et les politiques économiques des
organisations internationales, et enfin et surtout de discuter le lien entre les sciences
économiques (au sens de « sciences exactes ») et les sciences sociales et humaines. Des
approches méthodologiques de travail qui se veulent donc emprunter ce qui est considéré
comme méthodologies de recherches en sciences sociales et humaines pour l’appliquer à ce qui
est considéré comme questions économiques dans l’opinion dominante des temps modernes.
41
Conclusion et perspectives
La difficulté majeure de tout travail éclectique et systémique réside dans l’exigence de la
cohérence des idées par essence interdisciplinaires, pour construire une argumentation
rigoureuse et scientifique afin de mieux arrimer la cohérence de l’approche méthodologique à
la robustesse de l’argumentation. Au regard de notre analyse et réflexion, nous pouvons tirer
des conclusions liminaires suivantes qui peuvent par ailleurs servir de champ d’investigation
plus poussée pour des études postérieures :
1. Dans un sens philosophique, l’interprétation de la pauvreté par Sen diverge de celle de Rawls
mais sur le plan de la pensée économique, « capabilités » et « bien premiers » se convergent
dans l’appréhension de la pauvreté avec pour composante, la variable « monétaire » de
Ravallion. La critique adressée à Rawls par Sen sur les biens premiers est inappropriée, puisque
c’est justement cette même équivoque que vient traiter le deuxième principe de Rawls : le
principe de différence. Un autre point de divergence entre Rawls et Sen est lié à la récupération
qui est faite de leurs pensées respectives. La pensée de Sen est récupérée par l’économie du
développement à destination des pays en développement et la pensé de Rawls récupérée par la
science politique à usage des pays développés. Bien qu’ayant trouvé les limites aux principes
de bien premiers de Rawls, Sen n’a apporté de véritable contribution à la pensée de Rawls, sauf
la conceptualisation du terme de « fonctionnements » qui analysé de près, n’est rien d’autre
qu’une transfiguration des « biens premiers » conceptualisés par Rawls. Seul Nussbaum a
répondu à la critique adressée à Rawls par Sen en introduisant le concept de capabilité humaine
et que nous osons qualifier comme « la nature et degré de relation que l’être humain entretient
avec son environnement au vu de ses caractéristiques et potentialités propres et des
caractéristiques de ce dernier ».
2. Les courants de pensées économiques d’analyse des équilibres macroéconomiques et de
l’économie internationale ont engendré l’accumulation des richesses et creusé les inégalités
sociales de par l’histoire. Les variables actuelles de calcul du PIB rendent moins compte de la
réalité du niveau d’activité économique d’un pays. La quantification et prise en compte des
variables liées aux biens et services publics, sociaux et solidaires, rendrait vraisemblable le
niveau de l’activité économique d’un pays. Le changement de lexique « richesse » par « niveau
et nature de l’activité économique » permettrait de concilier les points de vue des partisans de
la croissance et ceux des promoteurs de la décroissance vers le seul objectif commun de la
42
recherche de l’intérêt général. Dans les pays développés, le PIB est tiré par la consommation,
alors que cela est moins le cas dans les pays en développement. L’utilisation segmentée de la
théorie d’individualisme méthodologique versus holisme méthodologique ou des approches
inspirées de la théorie macroéconomique keynésienne versus théorie microéconomique
néoclassique peut être réductrice dans l’appréhension holistique du phénomène de la pauvreté
et des inégalités sociales. Un cadre théorique de la complexité peut être un outil puissant
d’appréhension des phénomènes complexes et systémiques de la pauvreté.
3. Des modèles économiques promouvant le versement des dividendes et bénéfices à tous les
acteurs des chaines de valeurs, des actionnaires aux salariés, avec un taux de rémunération du
capital humain sur les dividendes équivalents ou plus élevés que le taux de rémunération du
capital financier et où l’investissement financier privé serait garanti par le financement public,
réduirait drastiquement le sentiment d’injustice, d’inégalités et de pauvreté au sein des
populations. La typologisation de l’activité économique selon les secteurs public, privé et civil
fait du travailleur du secteur public, un bienfaiteur - protecteur au service de l’intérêt général,
et du travailleur du secteur privé, un chercheur et poursuiveur du profit ; et enfin cette typologie
fait de la société civile, le moralisateur- modérateur de l’action publique et privée. Ceci crée
parfois une forme de conflit et divergence des centres d’intérêt compromettant souvent l’effort
de synergie collective de vision commune de co-construction en matière de recherche de
l’intérêt général de bien -être individuel et social de même que celui de la justice sociale.
4. L’organisation du fonctionnement du commerce international et de la finance internationale
renforcée par l’oligopole des géants du numériques, a accentué l’écart des inégalités entre les
plus riches et les plus pauvres au fil des années au sein des pays, autant dans les pays développés
que ceux moins avancés et conduit à la genèse d’un sentiment populaire d’injustice chez ceux
qui se considèrent pauvres vis-à-vis des riches en matière de pillage des ressources. La pauvreté
perçue par certains individus dans les pays développés est plus un jugement de valeur basé sur
l’écart constaté des inégalités pauvres/riches alors qu’elle constitue un fait réel dans les pays en
développement. Alors que majoritairement relative et liée aux conditions de vie dans les pays
du Nord, la pauvreté est absolue et multidimensionnelle au niveau des pays du Sud. La
formalisation effective du commerce équitable dans le commerce international permettra de
réduire drastiquement ce sentiment. Faire de l’économie du développement le seul instrument
de recherche et politique de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement est
réducteur. Segmenter la pauvreté multidimensionnelle en plusieurs formes de pauvretés et
réfléchir à des instruments de recherches et disciplines économiques universitaires susceptible
43
de traiter de chaque forme de pauvretés, permettra de rendre plus égalitaire et juste la pauvreté
entre les pays du Nord et les pays du Sud. L’utilisation de la sémantique « lutte » ou
« éradication » de la pauvreté peut paraitre utopiste, puis que non réaliste. L’emploi du lexique
« prise en charge de la pauvreté » peut aider à mieux structurer les politiques économiques et
de gestion de bien être individuel et de la justice sociale.
5. Les pays du Sud dotés d’économies essentiellement à caractère primaires, tireront plus
d’avantages comparatifs dans la consolidation et une meilleure structuration et valorisation de
celles-ci que dans la course à l’industrialisation de leurs économies respectives pour le
sentiment de rattraper les pays du Nord, sans compter la pression environnementale
supplémentaire qui résulte de telles politiques. L’institutionnalisation de bonnes politiques
financières et budgétaires avec la levée de la parité fixe des monnaies, la mise en place de
bonnes politiques de gestion de la balance commerciale, l’instauration des politiques
redistributives efficaces et de meilleurs filets sociaux au niveau des pays du Sud à l’instar des
pays du Nord ; tous ceci couplées à une meilleure structuration de l’économie de service et à
des politiques de renforcement des compétences, formations pratiques et insertion du capital
humain, contribuera à doter les économies du Sud d’une identité économique autre que celle du
sous-développée. L’adoption de telles politiques économiques contribueront à substituer la
traditionnelle et historique « lutte contre la pauvreté » via les vastes projets de développement
financés par les aides publiques au développement et dont les limites dans l’éradication de la
pauvreté sont aujourd’hui patentes.
44
Bibliographie
Accardo J., Saint P. T. (2009), « Qu’est-ce qu’être pauvre aujourd’hui en Europe ? L’analyse
du consensus sur les privations », Économie et Statistique, n° 421, INSEE, pp. 3-27.
Aghion P., commander S. (1999), « On the dynamics of inequality in the transition »,
Economics of Transition, Vol. 7, n° 2, pp. 275-298.
Alchian A., Demsetz H. (1972), « The property right paradigm », Journal of Economic History,
n° 33, pp.16-27.
Allegret J.-P., Azzabi S. (2012), Développement financier, croissance de long terme et efftsde
seuil. Panoeconomicus 59, 553–581.
Alkire S., Foster J (2011), « Counting and multidimensional poverty measurement », Journal
of Public Economics, vol. 95, n° (6–7), pp.476‐487.
Alkire S., Santos M.E. (2010), Acute Multidimensional Poverty: A New Index for Developing
Countries, OPHI Working Paper 38, University of Oxford. 139 pages.
Alwang J., Siegel P.B., Canagarajah S. (2001), « Viewing Microinsurance as a Social Risk
Management Instrument », Social Protection Discussion Papers, n°0116, The World Bank,
Whashington D.C.
Amougou T. (2005), « Proposition d’une approche néo-braudélienne et systémique de
l’économie populaire (informelle) en Afrique subsaharienne », Document de travail n°22,
Département des sciences de la population et du développement (Sped), Université catholique
de Louvain.
Amougou T. (2008), « Territorialité politique, territorialité concurrentielle et développement »,
Points de vue du Sud, ALTERNATIVES SUD, VOL. 15-2008 / 39
Amougou T. (2010), Dualisme financier et développement au Cameroun : une approche
néobraudelienne et systémique. Prom. : Wautelet, Jean-Marie ; Cobbaut, Robert. Document de
thèse de doctorat en sciences politiques et sociale, Presses univ.de Louvain, UCL, 484 p.
Amougou T. (2010), « Le nouveau paradigme de la coopération au développement (le NPCD)
: quels enjeux pour le développement des pays partenaires ? » Économie et Solidarités- Vol.
40, no.1-2, p. 63-83 (2010), DOI: 10.7202/1004053ar
Azariadis C. et Stachurski J. (2005), « Poverty Traps» in: Philippe Aghion & Steven Durlauf
(ed.), Handbook of Economic Growth, edition 1, volume 1, chapter 5 Elseviern P 295-384
Arestis P., Caner A. (2010), « Capital account liberalisation and poverty: how close is the
link? » Camb. J. Econ. 34, 295–323.doi:10.1093/cje/bep062
Atkinson A.B. (1970), « On the Measurement of Inequality », Journal of Economic Theory,
Vol. 2, n° 3, pp. 244-263.
Atkinson A. B. (2003), « Multidimensional deprivation: contrasting social welfare ad counting
approaches », Journal of Economic Inequality, vol. 1, pp.51-65.
45
Banerjee A., Duflo E. (2012), Repenser la pauvrèté, Paris, Editions : Le Seuil, Coll. Les livres
du Nouveau Monde.
Banque Mondiale (2000), « Rapport sur le développement 2000/2001 : Combattre la pauvreté
», Rapport n° 22684, 402 pages.
Banque Mondiale (2001), Rapport sur le développement dans le monde 2000-2001, Paris, Eska.
Banque Mondiale (2002), La Qualité de la croissance, Bruxelles, De Boeck Université.
Bentham J. (1789), Introduction to the Principles of Morals and Legislation, London: Adamant
Media Corporation (édition de 2005).
Bentham J. (1829), « Article on Utilitarianism », in J. Bentham, Deontology together with a
Table of the Springs of Action (1817), Oxford: Clarendon Press (édition de 1983), pp. 285-318.
Bertin A. (2007), Pauvreté monétaire, pauvreté non monétaire : une analyse des interactions
appliquée à la Guinée, Thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université
Montesquieu-Bordeaux IV.
Bihr A. et Pfefferkorn R. (2008), Le système des inégalités, Paris, La Découverte.
Bisiaux R. (2011), « Comment définir la pauvreté : Ravallion, Sen ou Rawls ? », L'Economie
politique, 2011/1 n° 49, p. 6-23. DOI: 10.3917/leco.049.0006.
Boeke J. H. (1953), Economics and economic policy on dual societies, New York.
Bourguignon F. (2003), « The Growth Elasticity of Poverty Reduction: Explaining
Heterogeneity across Countries and Time Periods ». Eicher, T. et S. Turnovsky (dir. pub.),
Inequality and Growth. Theory and Policy Implications. The MIT Press, Cambridge, Mass.
Bourguignon F., Ferreira F., Menéndez M. (2003), « Inequality of Outcomes, Inequality of
Opportunities and Intergenerational Education Mobility in Brazil », dans “Inequality and
Economic Development in Brazil, Rapport N.28487-BR, Banque mondiale, Washington, D.C.
Bourguignon F. (2004), « Le triangle pauvreté - croissance - inégalités », Afrique
contemporaine, 2004/3 n° 211, p. 29-56. DOI : 10.3917/afco.211.0029
Bray R., De Laat M., Godinot X., Ugarte A., Walker R. (2020), « Realising poverty in all its
dimensions : A six-country participatory study », World Development Volume 134, October
2020, 105025.
Card, D. (2014). « L’évaluation des politiques actives du marché du travail Quels
enseignements ? », Travail et emploi, vol. 139, no. 3, pp. 15-23.
CADTM (2020), « Sud/Nord, Pays en développement/pays développés : De quoi parle-t-on ? »,
Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (http://cadtm.org/Sud-Nord-Pays-en-
developpement-pays-developpes-De-quoi-parle-t-on)
Chinn M.D., Ito H. (2008), « A New Measure of Financial Openness ». Journal of Comparative
Policy Analysis: Research and Practice 10, 309–322. doi:10.1080/13876980802231123
Clément M. (2006), « Dynamiques de pauvreté en Russie : une analyse en termes d’entrées et
de sorties », Revue d’études comparatives Est-ouest, vol. 37, n° 2, pp. 135-168.
46
Delacampagne C. (2000), La Philosophie Politique aujourd’hui. Idées, débats, enjeux, Paris,
Éd. du Seuil.
Deininger K., L. Squire (1996) « A New Data Set Measuring Income Inequality. » World Bank
Economic Review, 10(3): 565-91.
De Laat M., Bendjaballah A., Consolini-Thiébaud C., Novelli P., (2020), Comprendre les
dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs "Tout est lié, rien n'est figé". International
ATD Fourth World Movement
De Nanteuil M. (2009), « Économie Plurielle et Réencastrement: Solution ou Problème face la
Marchandisation ? » Working Paper N° 5, CriDIS Working Papers, IACCHOS- UCL.
Conférence présentée dans l’atelier "The Third Sector and Sustainable Social Change: New
Frontiers for Research", ISTR 8th International Conference –EMES 2nd European Conference,
Barcelone, 9-12 Juillet 2008.
Des G. (1997), « Sen’s Capability Approach and Nussbaum’s Capability Ethic », Journal of
international Development. 10.1002/(SICI)1099-1328(199703)9:2<281::AID-
JID438>3.0.CO;2-K
Dell F., Verger D. (2006), « Le système des indicateurs de niveau de vie en France : expérience
et enseignements pour la mesure de la pauvreté en Russie », Revue d’études comparatives Est-
ouest, vol. 37, n° 2, pp. 13-31.)
Dollar D., Kraay A. (2002), « Growth Is Good for the Poor ». Journal of Economic Growth,
7(3): 195-225.
Dubois J-L., Lasida E., Lompo K.M. (2009), « La pauvreté : une approche socio -économique
: entretien avec Jean-Luc Dubois ». Transversalités, n°111, pp 35-47.
Dupuy J-P (1989), La Théorie de la Justice : Une machine anti-sacrificielle, in Critique, n°505-
506, p. 466-480.
Festy P., Kortchagina I., Ovtcharova L., & Prokofieva L. (2005), « Conditions de vie et pauvreté
en Russie », Économie et Statistique, n° 383-384385), INSEE, pp. 219-244.
Fontaine L. (2008) « Une histoire de la pauvreté et des stratégies de survie », Regards croisés
sur l’économie, La decouverte, n° 4 | pages 54 à 61
Fuchs V. (1967), « Redefining Poverty and Redistributing Incomes», The Public Interest, Vol.
8, Summer, pp. 88-95.
Guillaumont P., Wagner L. (2013), « L'efficacité de l'aide pour réduire la pauvreté : leçons des
analyses transversales et influence de la vulnérabilité des pays », Revue d'économie du
développement, De Boeck Supérieur, Vol. 21 | pages 115 à 164.
Godin J. (2015), « l’aggravation des inégalités de richesses, entre domination et contestation »,
Alternative Sud, Vol.XXII - 2015, n°3 in L’aggravation des inégalités, Points de vue du Sud,
CETRI – Syllepse
Hardoon D. (2015, P2), « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout »,
Rapport thématique d’Oxfam. Oxfam International. Rapport 19 janvier 2015 (youscribe.com)
47
Hulme D., Sheperd A. (2003), « Conceptualizing Chronic Poverty” » World Development,
Vol. 31, n° 3, pp. 403-423.
Kahneman D., & Tversky A. (2000). Choices, values, and frames. New York: Cambridge
University Press. (Eds.)
Kerim S.A (2016)., « Mesure de la pauvreté multidimensionnelle selon l’approche par Counting
: application à la Mauritanie », UMR LAMETA, Université de Montpellier, DR n°2016-06
Kraay A. et McKenzie D. (2014), « Do Poverty Traps Exist? Assessing the Evidence». Journal
of Economic Perspectives · vol. 28, no. 3, Summer 2014. (pp. 127-48).
Krugman P. R. (1984), « Monopolistic Competition and International Trade », in H.
Kierzkowski (éd.) Clarendon Press.
Galbraith J.K. (2004), Les mensonges de l’économie. Vérité pour notre temps, Paris, Grasset.
Levy M. et Brouillet A.-S. (2003), « Lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ce qu'en pensent
des intellectuels africains » Une initiative du Réseau IMPACT, Afrique contemporaine, 2003/4
n° 208, p. 7-12. DOI : 10.3917/afco.208.0007.
Marniesse S. et Peccoud R. (2004), « Introduction » Pauvreté, inégalités, croissance Quels
enjeux pour l'aide au développement ? Afrique contemporaine, 2004/3 n° 211, p. 7-27. DOI :
10.3917/afco.211.0007
Mbembe A. (2000), De la post-colonie : essai sur l’imagination politique dans l’Afrique
contemporaine, Paris, Karthala.
Merrien F-X. (2000), « La restructuration des Etats-providence : « sentier de dépendance » ou
tournant néo-libéral ? Une interprétation néo-institutionnaliste ̧ Recherches Sociologiques,
2000/2 - Les nouvelles politiques sociales.
Milanovic B. (2012), « Global income inequality by the numbers: in history and now », Policy
research working paper, n° 6259, Groupe de recherche sur le développement, Banque mondiale. *
Moyo D. (2009), Dead Aid: Why Is Aid Not Working and How There Is a Better Way for Africa,
Allen Lane, London.
Morin E. (1996), « Le besoin d'une pensée complexe », La passions des idées, magazine litt.,
hors-série, déc 1996).
Narayan D., Shah T. (2000), « Connecting the Local to the Global: Voices of the Poor »,
Washington, World Bank.
Nussbaum M. (1995), « Human Capabilities, Female Human Beings ». Pp.61-104 in Nussbaum
& Glover (eds.).
North D. (1981), Structure and Change in Economic History. New York: Norton.
North D. (1990), Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge and
New York : Cambridge University Press.
48
Nozick R., (1947), Anarchie, État et utopie, Basic Books, Etats-Unis, P.334
Peemans J.-P. (2004), « Développement, identités culturelles, villes et territoires : quelques
aspects Nord-Sud », in Declève et Hibo (coord.), Développement territorial et mutations
culturelles, UCL, Louvain-la-Neuve, PUL.
Pigou A.C. (1920), The Economics of Welfare, London: Transaction Publishers.
Piketty T. (2003), « Attitudes vis-à-vis des inégalités de revenu en France : existerait-il un
consensus ? », à paraître dans Comprendre, PUF, EHESS
Pirlot V. (2016), « Fraude fiscale cautionnée dans un contexte d’austérité : la contradiction d’un
système ? » Etude & Analyse Economie, Siréas asbl.
Polanyi K. (1983), La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre
temps, Paris, Gallimard ;
Ponty N. (1998), « Mesurer la pauvreté dans les pays en développement », Economie et
Statistique, n° 308-309-310, INSEE, pp. 53-67.
Pritchett L. and Woolcock M. (2004), « Solutions when the solution is the problem: arraying
the disarray in development », World Development, 32:2, p.191-212.
PREVOST B. (2004), « Droits et lutte contre la pauvreté, où en sont les Institutions de Bretton
Woods ? », Mondes en développement, vol. 32, n°128, p.115-124.
Prévost B. (2005), « Droits et lutte contre la pauvreté, où en sont les Institutions de Bretton
Woods ? », Mondes en développement, à paraître
Prévost B. (2005), « Les fondements philosophiques et idéologiques du nouveau discours sur
le développement », Economies et Sociétés Série Développement n°4, 3/2005, p.477-96
Prévost B.et Palier J. (2007), « Le développement social : nouveau discours et idéologie de la
Banque Mondiale Social Development : New World Bank’s Ideology », Economies appliqué.
Programme des Nations Unies pour le Développement (2000), « Vaincre la pauvreté
humaine ». Rapport du PNUD 2000. 144 pages.
Raffinot M., Venet B. (1998), « Approfondissement financier, libéralisation financière et
croissance : le cas de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) ». XVème
journée internationale d’économie monétaire, Université de Toulouse I, 4 et 5 juin 1998.
Rahnema M. (2003), Quand la misère chasse la pauvreté, Paris : Fayard/Actes Sud.
Ravallion M. (1992), « Poverty comparisons. A guide to concepts and methods », Living
Standards Measurement Study, working paper n° 88, Washington, DC, World Bank, fév.
Ravallion, M. (2001) « Growth, Inequality, and Poverty: Looking Beyond Averages. »
Working Paper No. 2558, Banque mondiale, Washington D.C.
Ravallion M. (2003), « On the Utility Consistency of Poverty Lines ». Policy Research
Working Paper Series n° 3157, The World Bank, 40 p.
49
Rawls J. (1971), A Theory of Justice, Cambridge (MA), Harvard University Press (trad. fr.
Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1987).
Richter S. (2009), « Europe centrale : la transition économique », Politique étrangère, vol. 74
n° 3, pp. 489-502.
Shaw E.S. (1973), Financial Deepening in Economic Development, Oxford University Press,
New York.
Sen, A. (1981), Poverty and Famines: an Essay on Entitlements and Deprivation, Oxford,
Clarendon Press.
Sen A. (1999), Development as Freedom, A. Knopf Inc; trad. Fr. de Michel Bessières, Un
nouveau Modèle Economique : Développement, Justice, Liberté, Paris : Odile Jacob, 2003, 368
p.
Senik C. (2014), Economie du bonheur ; La république des idées, éditions seuil.
Simon H., A. (1987), « Bounded rationality », in: A dictionary of economics, vol. Mac Millan,
London, pp.26-267.
Slim A. (2010), « Les formes de la pauvreté en Europe de l’est : évolution et causes de 1989 à
nos jours », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2010/2 N° 41 | pages 111 à 140
Solow R. (1985), « Economic History and Economics », American Economic Review 75(2),
328-331, p.330
Sumner L.W. (2006), « Utility and capability », Utilitas, Vol. 18, n° 1, pp. 1-19.
Stiglitz J. (1998), « More Instruments and Broader Goals: Moving Towards the Post
Washington Consensus », Wider Annual Lectures, Helsinki, World Institute for Development
Economics Research.
Stiglitz J. (2006), « Un autre monde. Contre le fanatisme de marché », Paris, Fayard
Surel Y. (2003) “John Rawls, Théorie de la Justice, fiche de lecture”. Conférence de Méthode
de Science Politique.
Tonda J. (2005), Le souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo,
Gabon), Paris, Karthala.
Townsend P. (1979), Poverty in the United Kingdom, Harmondsworth, Penguin.
Weber M. (1913), « Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive », ETS
[traduction de Über einige Kategorien der verstehenden Soziologie, dans Logos. Internationale
Zeitschrift für Philosophie der Kultur, IV, 3, Tübingen, Mohr-Siebeck, et repris].