rencontre entre un(e) abonné(e) et un(e) musicien(ne)… · l’ensemble ochestal de pais avec...
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Interview de Daniel Arrignon, hautbois solo, par Isabelle Cauvin, abonnée.
Monsieur Arrignon, je suis très heureuse de vous rencontrer, pour pouvoir vous poser
quelques questions et vous faire part de mon admiration. Nous suivons, mes parents, mon
fils et moi, l’Orchestre de chambre de Paris depuis 1998. Tant la programmation que
l’accessibilité aux jeunes de l’OCP est extraordinaire.
Ma 1ère question m’est venue suite à la visite de l’exposition de Chagall actuellement à
Paris. Chagall expliquait : « j’ai choisi la peinture, elle m’était aussi essentielle que la
nourriture ». Vous-même, comment exprimeriez-vous votre choix de la musique ? Est-ce
que le choix du hautbois est dû à votre famille ?
Il est dû au hasard. Quand j’étais enfant, mes parents m’ont emmené voir un concert, puis
quelqu’un de ma famille m’a offert un disque de hautbois. Au départ le piano
m’impressionnait mais, enfant, je ne m’étais pas imaginé l’encombrement de cet
instrument ! Moi je voulais un instrument portable et le son du hautbois m’a plu. C’était
avant tout une question de plaisir, comme aujourd’hui. Et puis rapidement c’est devenu
inconcevable de ne pas faire de la musique tous les jours. Je continue quand même de
trouver que le piano est un instrument magique. C’est le côté harmonique qui me plaît dans
le piano.
Donc le hasard fait bien les choses ! Mais pour saisir le hasard il faut savoir l’entendre…
l’oreille musicale est utile pour cela ! (rires)
Tout notre métier est basé sur la sensibilité. Si on est techniquement très performant mais
sans musicalité, sans émotion, c’est inutile. La musique ne peut pas être que mathématique.
Votre réponse est très signifiante de la posture que vous avez au sein de l’orchestre…
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Cette formation c’est du plaisir pour moi. Avant j’étais hautbois solo à l’Opéra de Normandie
et soliste à l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pierre Boulez, puis j’ai postulé à
l’Ensemble orchestral de Paris avec l’envie de jouer son répertoire précis. Il y a du plaisir à
jouer ensemble, même si, comme dans toutes les familles, il y a parfois des tensions. Quand
j’ai commencé à jouer, un ami m’a dit : « tu verras, on ne va pas travailler, on va jouer… ».
C’était vrai, même en répétition on joue. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui permettent
cela ! Dans tous les métiers, c’est quand on commence à se rendre compte qu’on travaille
que c’est inquiétant ! Il y a alors moins de passion…
Le 14 juin 2013, lors du concert Le Barbier de Séville, nous avons très bien entendu le
hautbois. À la fois sonore, doux, facétieux, clair… Dans toute sa tonalité.
J’ai souvent joué cette œuvre et habituellement il y a beaucoup de hautbois. Mais dans la
version que nous avons jouée récemment il y avait très peu de travail pour moi ! Nous avons
joué la 1ère version, dans laquelle il y a plus de flûte et les clarinettes y ont un rôle beaucoup
plus important.
Comment le bec si fin du hautbois peut-il émettre autant de son ?
On envoie de l’air dans l’instrument par l’anche qui est très petite. En soufflant dans les deux
lamelles on crée une vibration. Jouer du hautbois reste moins fatiguant que jouer de la
trompette et physiquement moins contraignant que jouer du violon.
L’hautboïste François Leleux donne l’impression d’être très accessible quand il joue avec
vous…
Ce musicien est une rareté. Il est talentueux, très gentil, accessible… il faut venir l’écouter à
chaque fois qu’il joue !
À partir de quel âge peut-on jouer du hautbois ?
Les lèvres et les dents doivent être morphologiquement en place. Et il faut aussi que les
doigts parviennent jusqu’aux clés. Un enfant ne peut donc pas commencer trop jeune. Je
dirais que vers 9-10 ans c’est bien.
Mon fils, qui a 24 ans, joue de la clarinette depuis l’âge de 5 ans. Mais il n’a pas souhaité
devenir instrumentiste, je ne sais pas pourquoi…
Peut-être à cause de la scène ? Il faut vouloir se montrer, s’exposer. Certains solistes sont
quasiment malades de trac avant de monter sur scène, cela doit être très difficile à vivre.
Quand j’entends certains comédiens parler de leur métier, ils évoquent aussi la différence
entre le plaisir de lire un texte en petit comité et le fait de se sentir bien sur scène. Il faut
pouvoir y être heureux. Ce plaisir ne s‘explique pas. La peur ne doit pas obstruer le bonheur.
L’orchestre est amené à voyager. Pourriez-vous nous faire part d’un souvenir mémorable
survenu au cours d’un de ces déplacements ?
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Ça se passait à Nîmes, dans les Arènes, pour l’un des derniers concerts que j’ai fait avec
Mstislav Rostropovitch. On répétait une œuvre de Haydn alors qu’en même temps les
machinistes installaient la scène en faisant beaucoup de bruit. Quand le 2ème mouvement a
commencé, au bout de quelques secondes seulement, les machinistes ont cessé de
travailler, se sont interrompus pour écouter Rostropovitch. Ça m’a marqué. Rostropovitch
avait réussi à capter leur attention. C’est un des plus beaux souvenirs de ma vie.
Vous avez joué des répertoires variés. Quelle serait néanmoins l’œuvre qui vous touche le
plus profondément ?
J’aime beaucoup Haydn, Mozart et Bach. Il n’y a pas de note inintéressante chez ces
compositeurs. J’ai joué certaines pièces cent fois mais toujours avec le même plaisir. C’est
pour cette raison que j’ai voulu entrer à l’Orchestre de chambre de Paris. Il n’y a rien
d’inutile et jamais de longueur non plus. J’apprécie aussi la musique contemporaine. Ça
change un peu de notre répertoire habituel, ce n’est pas la même façon de jouer. Dans
chaque concert il devrait y avoir une courte pièce actuelle, pour faire entendre autre chose.
Avec John Nelson, nous jouions aussi souvent des pièces qui bénéficiaient du soutien
« Musiques nouvelles en liberté ». C’est bien de mélanger les genres dans le répertoire, pour
le public et pour les musiciens.
J’ai cru comprendre que vous avez aussi une passion pour le théâtre ?
Je trouve impressionnant de pouvoir mémoriser une pièce et la jouer sur scène, se livrer,
avoir un contact avec le public. C’est une prise de risque énorme. Jouer de la musique c’est
aussi un petit peu se mettre dans la peau d’un personnage. Il faut aussi se raconter une
histoire, car on ne sait pas vraiment dans quel état d’esprit était le compositeur quand il a
écrit l’œuvre. Et puis nous aussi, musiciens, sentons le positif ou le négatif qui émane d’un
public quand on est solistes. L’acteur sent cela immédiatement.
Pour finir, je vous écoute depuis des années, et deux choses m’ont touchées chez vous :
votre façon de tenir votre instrument contre votre cœur quand vous saluez…et votre
capacité à écouter avec attention vos collègues solistes. Vous écoutez profondément ce
qu’il se passe. Comment avez-vous gardé cette fraicheur d’écoute ?
Jouer ensemble c’est comme partager un repas en famille. Vous écoutez les gens parler
autour de la table parce que vous les aimez et parce que vous souhaitez participer à la
conversation. C’est pareil avec l’orchestre. Il faut écouter pour savoir si on est tous en phase
ensemble. On joue à la fois en collectif et en soliste donc il faut toujours écouter. Et puis on
reçoit des très grands solistes, qui ont des jeux exceptionnels, c’est un bonheur de les
écouter. Certaines phrases sont inoubliables, je paierai cher pour jouer de la même façon !
Quant à saluer avec mon instrument sur le cœur… c’est inconscient. Mais c’est vrai que c’est
une partie de moi. Je passe beaucoup de temps avec lui, parfois plus qu’avec ma famille.
C’est un élément très important de ma vie.
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Interview de Sabine Bouthinon, altiste, par Danièle Grenier, abonnée.
Sabine, comment vous-êtes-vous intéressée à la musique ?
Mes parents étaient très mélomanes, ils écoutaient beaucoup de musique : du classique, du
jazz, de la variété… Mon père jouait et joue encore du piano plusieurs heures par jour. J’ai
très vite écouté de l’opéra. Nous allions écouter beaucoup de concerts, et visiter des
expositions aussi. Mes parents souhaitaient m’ouvrir à plein de choses : la musique, la
peinture, le sport… En classe de 6ème j’ai intégré une classe à horaires aménagés pour la
musique. Après la terminale, j’hésitais à entrer en prépa lettres mais un professeur d'alto du
Conservatoire National Supérieur m’a convaincu que j’avais les qualités et le niveau pour
réussir le concours d'entrée. Je lui ai fait confiance, il m’a prise sous son aile, et pendant un
an après le bac j’ai travaillé mon instrument presque 8h par jour tous les jours. J’étais
passionnée et mon professeur était un maître généreux. Vers 20 ans je me suis également
posé la question de tenter le concours du CNSMDP en chant mais c’était trop de travail, et
j’ai préféré me concentrer sur l’alto. Finalement, j’ai intégré l’Orchestre de chambre de Paris
en 1999. Je ne m’imaginais pas entrer dans un autre orchestre que celui-ci. Ici nous ne
sommes que 43 musiciens, donc nous parvenons à individualiser l’orchestre. Je ne voulais
pas être perdue dans un grand effectif. Et puis l’un des altistes de l’orchestre, Bernard
Calmel, avait été mon premier professeur!
Avez-vous joué de l’alto dès le début ou avez-vous commencé par le violon ?
Mon premier amour c’est le chant, je voulais être chanteuse, et l’instrument le plus proche
de ma voix c’est l’alto. Le violon est trop aigu, le violoncelle trop grave. J’ai choisi cet
instrument de façon délibérée, et j'adore toujours autant son timbre, "sa voix". C’est un
professeur de guitare qui me l’avait fait découvrir en m'encourageant vivement à découvrir
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l'univers des cordes mais avec un archet qui chante ! Aujourd’hui j’enseigne l’alto avec
grande joie. À un moment de ma carrière je me suis dit que le temps de la transmission était
venu. Les enfants dans les conservatoires découvrent facilement l’alto à travers des ateliers.
Ils sont nombreux à choisir l’alto, et ce sans passer par le violon au préalable.
Quand on commence l’apprentissage de l’alto, le son est au début assez rebutant…
Cela dépend. C’est comme au ski : si vous suivez les étapes, que vous ne partez pas tout de
suite sur une piste rouge mais avancez progressivement, ça ira ! Ça dérape pas et ne "grince
" pas...
L’alto est un instrument discret, qu’on ne remarque pas immédiatement dans l’orchestre.
Avez-vous parfois le sentiment d’être un peu « coincée » entre les violons et violoncelles ?
J’ai plutôt la sensation d’être un lien entre les violons et violoncelles. L’alto apporte une
couleur unique, particulière. Quand l’orchestre est au complet ce qui compte avant tout
c’est la globalité. L’alto est là pour porter une ligne de violon ou de violoncelle, c’est un
soutien. Et puis dans certaines symphonies de Schuman ou Brahms il y a des thèmes
magnifiques pour l'alto qui mettent particulièrement en valeur son timbre chaleureux,
touchant, parfois mélancolique ou plein de douceur. La Symphonie concertante de Mozart
est une œuvre où l'on perçoit très bien le caractère de l'alto. Quant à la musique de
chambre, elle offre de très belles œuvres pour alto. Il y a tout le répertoire du quatuor à
cordes mais on peut aussi sentir toute la palette sonore de l'alto dans les sonates de Brahms
par exemple.
Au XIXè siècle, l'alto avec Hector Berlioz, et aussi Paganini, a suscité de plus en plus l'intérêt
des compositeurs par la singularité et le charme de sa sonorité ambiguë entre le violon et le
violoncelle. Depuis les années 1950, on a véritablement développé la technique de l’alto et
le répertoire pour alto n’a pas cessé de s’agrandir depuis. L’alto c’est l’instrument du XXème
siècle. On a redécouvert le son de l’alto à ce moment-là. Bach, Mozart… adoraient l’alto,
mais c’est au XXè siècle qu’il s’est développé de manière solistique.
Avez-vous testé d’autres instruments ?
Enfant, j’ai fait du violoncelle, de la guitare, puis du chant et bien plus tard des tablas, un
instrument de percussion indien. La musique indienne m'a toujours fascinée par sa
délicatesse et sa complexité. Les tablas sont pour moi des instruments de percussions
tellement mélodiques et variés.
Avez-vous un répertoire favori ?
Je reviens toujours à Bach, surtout quand j’ai besoin de me ressourcer. Durant mes études je
me suis passionnée pour le répertoire baroque et l'interprétation sur instruments anciens.
Désormais je m’intéresse au jazz et aux musiques improvisées. Et on peut tout à fait jouer
du jazz avec l’alto...
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Pourquoi la disposition de l’orchestre sur scène est-elle modifiée d’un concert à l’autre ?
Elle est modifiée en fonction des répertoires et des chefs. Le 17 septembre 2013, nous étions
en effectif inhabituel, donc nous avions une disposition inhabituelle aussi. Le chef, Sir Roger
Norrington, voulait nous avoir près de lui.
Comment voyez-vous votre futur ?
Je suis heureuse de répartir mon temps entre l’orchestre et l’enseignement. J’espère
développer ma connaissance du jazz et créer des ponts entre les musiques actuelles et la
musique classique. La vraie musique est dans tous les styles. Le jazz est comme la musique
classique, c’est une musique qui a ses codes, son histoire, ses styles. Mardi dernier, 17/09,
c’était mon premier concert avec l’Orchestre de chambre de Paris après une année
sabbatique consacrée au jazz. Et je me suis dit : « je fais le plus beau métier du monde ». Car
je prends du plaisir à faire ce que je fais et en plus je donne du plaisir au public.
Sabine merci, je suis très contente d’avoir découvert grâce à vous cet instrument que je
connaissais mal…
C’est comme un pays qu’on ne connaît pas : une fois qu’on rencontre quelqu’un qui y vit, on
découvre et comprend beaucoup mieux le pays… À la prochaine répétition, venez vous
asseoir près des altos, vous percevrez les choses différemment et comprendrez que l’œuvre
n’existe pas sans la vie des altos. Pour ma part, je connaissais mal le basson. Mais Fany
Maselli et moi sommes devenues amies, et j’ai découvert cet instrument. Maintenant nous
jouons souvent ensemble, notamment des œuvres que nous adaptons à nos instruments.
Lorsque nous intervenons auprès des élèves dans le cadre des actions culturelles de
l’orchestre, nous présentons ensemble deux instruments un peu méconnus. Je parle des
cordes, Fany des vents, c’est très complémentaire. Découvrir l'orchestre par deux
instruments un peu moins connus ouvre les oreilles à la richesse de la palette sonore de
l'orchestre.
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Interview de Pascale Blandeyrac, violoniste, par Myriam Esposito, abonnée.
Pascale, quel est votre parcours musical ?
Je suis née à Bordeaux. J’ai intégré le conservatoire de Bordeaux à 10 ans et j’y ai obtenu un
premier prix à 15 ans. Je suis alors venue étudier au CNSM de Paris, pendant 5 ans. J’ai
commencé à travailler en tant que professionnelle à 18 ans, notamment pour des
remplacements à l’Orchestre de Paris et dans divers orchestres de chambre. En 1980, une
place de violoniste s’est libérée à l’Orchestre de chambre de Paris et j’ai réussi le concours.
J’ai été la 2ème femme à intégrer cet orchestre ! Parallèlement j’ai aussi enseigné le violon
pendant de nombreuses années, notamment au conservatoire de Maisons-Alfort. Dans 2
ans, en 2015, je partirai en retraite.
Existe-t-il un événement ou une personne qui aurait déclenché cette passion chez vous ?
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire carrière dans la musique ?
Mon père m’emmenait aux concerts de musique classique quand j’étais petite et il jouait du
violoncelle en amateur. J’étais subjuguée par les sons graves de cet instrument. J’ai donc
voulu jouer du violoncelle mais comme ma sœur jouait du piano ma grand-mère m’a suggéré
de jouer du violon pour que nous puissions composer un trio ! Ma famille m’a donc offert un
violon et j’ai commencé à prendre des cours auprès d’une enseignante que j’admirais
beaucoup, qui m’a tout donné. Ensuite, j’ai travaillé avec Georges Carrère, directeur du
conservatoire de Bordeaux. C’était un passionné, il me faisait tout jouer, même des œuvres
pour lesquelles je n’avais pas le niveau.
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Je n’ai pas de regrets par rapport au violoncelle. L’an dernier j’ai essayé de m’y mettre, sans
professeur. Ce fut une erreur, j’ai vite eu mal au dos. Je prendrai peut-être des cours quand
je serai à la retraite !
Avez-vous un répertoire de prédilection ?
J’ai une préférence pour la musique française. Debussy, Ravel, Fauré… C’est une musique
très évocatrice pour moi. J’y vois des paysages, des atmosphères, c’est très visuel. La
musique française est peu fatigante physiquement et elle est très subtile. J’ai joué certaines
de ces œuvres des centaines de fois mais je ne m’en lasse jamais. J’aime aussi beaucoup la
musique de chambre de Schubert. Et les symphonies de Beethoven, dont l’architecture
m’impressionne toujours.
Je ressens parfois un peu de frustration par rapport à la masse sonore car la taille de notre
ensemble ne permet pas de jouer les symphonies de Bruckner ou Mahler par exemple. Par
chance, j’ai joué ces grandes symphonies avec d’autres orchestres.
Est-ce stressant ou grisant d’avoir le rôle de 1er violon ?
A l’Orchestre de chambre de Paris, les violonistes ont la chance de changer de place, de
passer du 1er au 2d violon selon les concerts. Ce sont les musiciens qui ont demandé cette
rotation il y a longtemps, pour varier notre travail. Nous jouons donc parfois
l’accompagnement et parfois la mélodie d’une même œuvre. Je travaille davantage les
partitions de 1er violon, car elles sont très exposées et souvent plus difficiles que celles de
second violon.
Comment faîtes-vous pour jouer des programmes aussi différents aussi parfaitement ?
Cela demande-t-il énormément de travail et une parfaite maîtrise du déchiffrage ?
Cela dépend des programmations. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’œuvres contemporaines,
nous attendons d’abord que le violon solo règle les coups d’archets, puis nous obtenons les
partitions environ 10 jours avant un concert et nous les travaillons en amont, à la maison.
Nous répétons tous ensemble environ 5 à 6 fois pour un concert. Jouer la même œuvre avec
des chefs d’orchestres différents, c’est réapprendre à l’interpréter, à lui apporter un autre
tempo, d’autres nuances, une autre couleur. Les symphonies de Haydn par exemple, qu’on a
jouées maintes fois, racontent toujours une nouvelle histoire en fonction du chef. Le
diapason reste par contre quasiment toujours constant, à 442.
Préférez-vous certains chefs ?
Certains chefs sont des « bras », ils font surtout attention à la clarté. D’autres mettent
l’accent sur le discours. Et certains valorisent les deux à la fois ! Parfois les chefs d’orchestre
sont également meilleurs pour certains répertoires que d’autres. Donc oui, chaque musicien
est plus ou moins sensible à tel ou tel chef, c’est très subjectif. Dans le cadre de la
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commission artistique de l’orchestre, nous pouvons donner notre avis sur les chefs avec
lesquels nous jouons, et les avis sont parfois très disparates.
J’assiste régulièrement aux répétitions générales de l’orchestre au théâtre des Champs-
Elysées et j’aperçois parfois le violon solo partir dans la salle pour écouter la répétition. Il
peut donc suggérer des améliorations au chef ?
Deborah Nemtanu, notre violon solo super soliste, va effectivement de temps en temps dans
la salle pour vérifier que l’équilibre fonctionne au théâtre des Champs-Élysées, car
l’acoustique y est différente de notre salle de répétition au Centquatre. Elle peut donner son
avis au chef, être le relais entre les musiciens et celui-ci.
Partez-vous en tournées avec l’orchestre ?
Oui. Nous sommes par exemple partis plusieurs semaines en Amérique latine ou en Asie
avec l’orchestre. Aujourd’hui, à cause de restrictions budgétaires, nous partons moins
souvent en tournées. Les tournées, comme le planning hebdomadaire de l’orchestre,
demandent beaucoup d’organisation dans la vie privée, car nous pouvons travailler le week-
end, le soir, et pendant les vacances scolaires.
Vous avez enseigné la musique. Quel regard portez-vous sur l’éducation musicale
aujourd’hui en France ? Comment, selon vous, peut-on faire aimer la musique classique à
des jeunes qui n’évoluent pas dans ce milieu ?
Au-delà de l’enseignement, les interventions de musiciens en milieu scolaire permettent de
faire découvrir la musique classique à des enfants qui ne la pratiquent pas. L’Orchestre de
chambre de Paris mène beaucoup d’actions éducatives dans les écoles du 19ème
arrondissement et de Bagnolet. Demain par exemple, le 19 novembre, un tutti pédagogique
est organisé dans notre salle de répétition au Centquatre. Nous accueillons des classes, les
enfants sont placés juste à côté de nous, et un médiateur leur explique les œuvres, les
instruments, etc. C’est une très bonne façon de s’initier à la musique.
Quel est votre meilleur souvenir avec l’Orchestre de chambre de Paris ?
Au niveau émotionnel, il s’agit du concert que nous avions donné il y a quelques années à la
prison de Fleury-Mérogis. Nous avions joué une symphonie de Beethoven et à la fin du
concert les prisonniers avaient suspendu une banderole sur laquelle ils avaient écrit
« merci ». C’était très touchant.
L’autre grand souvenir fut notre concert avec Brigitte Engerer, en juin 2012. Elle était très
malade, c’était son dernier concert, et nous étions tous très émus.
Enfin, ce que je retiendrai de ma carrière, c’est la chance d’avoir ressenti autant de plaisir et
d’émotions dans ce métier. C’est ce que nous recherchons tous je pense… Mais la
contrepartie c’est le trac et surtout la vigilance, la concentration permanente et intense que
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réclament les concerts. À l’Orchestre de chambre de Paris nous ne sommes que 43
musiciens, donc tous très exposés !
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Interview d’Henri Roman, basson, par Guillaume Darsin, abonné.
Henri, pouvez-vous me raconter votre premier souvenir musical ?
Cela remonte à mon enfance : à l’époque mon professeur de piano était aveugle. On jouait
donc sur la méthode Rose et sa partition était en braille. C’était très étonnant, il fonctionnait
entièrement à l’oreille, je n’ai jamais plus eu ce type d’enseignement par la suite.
Comment en êtes-vous venu au basson ensuite ?
Une amie, que j’aimais beaucoup, est venue un jour faire une présentation de cet
instrument en classe, et cela m’a plu. J’ai donc étudié au conservatoire mais d’abord sans
instrument ! J’ai tenu un an sans instrument.
J’ai aussi étudié le violon, et aujourd’hui j’apprends à jouer du cor. Sans contrainte ni stress,
juste pour le plaisir.
Et pourquoi avez-vous souhaité devenir musicien professionnel ?
Un peu par esprit de contradiction, car mes parents ne souhaitaient pas que je fasse de la
musique mon métier ! Ma mère travaillait dans l’édition et mon père était professeur de
sport. Jusqu’à 15-16 ans j’étais mauvais musicien, puis je me suis mis à travailler beaucoup
plus et je suis rentré au CNSM de Lyon.
Quelle a été votre carrière avant d’entrer à l’Orchestre de chambre de Paris ?
D’une part, comme je suis diplômé du certificat d’aptitude, j’ai enseigné la musique. Je suis
actuellement toujours professeur de musique au Mans. D’autre part, j’ai joué pour le
Quintette Confluences, créé à Lyon et dédié à la musique de chambre. Et pendant douze ans
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je me suis occupé d’un petit orchestre baroque, que j’avais créé avec des amis, pour jouer
des concertos pour basson ! Tous les étés nous jouions dans des églises en Charente.
Parallèlement, j’ai réussi le concours d’entrée à l’Ensemble orchestral de Paris, un peu par
hasard, notamment pour me prouver que je pouvais y arriver. Dans l’orchestre je me fais
plaisir car je joue, des œuvres variées et de différentes formes, mais l’enseignement
demande plus d’adaptabilité et d’initiative. Les enjeux sont très différents. Je ne me verrais
pas jouer sans enseigner, ni l’inverse.
Actuellement, avez-vous d’autres activités au-delà de l’Orchestre de chambre de Paris et
de l’enseignement ?
Je joue de temps en temps de la musique contemporaine ou de la musique de chambre avec
des petits orchestres amateurs. Cela me permet de jouer en soliste, j’aime beaucoup ça. Je
joue en tant que soliste 5 à 10 concerts par an. J’ai également un petit orchestre avec mes
élèves. Et tous les étés, je joue dans le festival Les Musiques Dels Monts créé par Florent
Pujuila, clarinettiste à l’Orchestre de chambre de Paris. Des musiciens très doués, issus de
tous les genres musicaux, y interviennent. Toutes les formes musicales y sont sollicitées.
C’est mon plaisir de l’année.
Jouez-vous sur basson français ou allemand ?
Je joue sur un basson allemand. Ce n’était pas un choix au départ : c’est le type de basson
qui était enseigné quand je suis entré au conservatoire d’Angoulême. C’était peu courant à
l’époque : il y a 30 ans, en France, on ne jouait que sur basson français. Pour moi ce choix fut
imposé par mon enseignant, qui jouait sur basson allemand. La différence de son entre les
deux instruments est très subtile, à peine audible. En tant que professeur, le CNFPT m’a un
jour reproché de jouer sur basson allemand, et de ne pas défendre le patrimoine français !
C’est la même querelle en Allemagne : on n’y joue que sur clarinette allemande alors que
partout dans le monde on joue sur clarinette française ! Mais on assiste néanmoins à une
uniformisation des instruments, c’est un peu dommage. Le cor à pistons ou le trombone à
pistons ont disparu par exemple.
Quels sont vos compositeurs et œuvres préférés ?
J’aime beaucoup La 9ème symphonie de Chostakovitch, ou La 4ème symphonie de Beethoven.
Avec Beethoven, tous les instruments sont très bien utilisés, contrairement à d’autres
compositeurs, comme Schumann par exemple. Beethoven est le premier à avoir optimisé
toutes les possibilités du basson. J’aime aussi beaucoup la musique contemporaine et les
œuvres qui me permettent de jouer en tant que soliste.
Un jour de concert au Théâtre des Champs-Elysées, vous avez la répétition générale le
matin et le concert le soir. Que faîtes-vous entre temps ?
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L’après-midi je travaille tranquillement le basson, c’est ma journée plaisir. Certains collègues
en profitent pour se reposer, moi je préfère jouer.
Combien de fois l’orchestre répète-t-il avant un concert ?
En général, nous programmons 5 répétitions et une répétition générale avant un concert au
Théâtre des Champs-Élysées.
Quel est votre plus beau souvenir musical ?
Le concert où nous avons joué la 5ème symphonie de Beethoven avec Joseph Swensen, il y a
quelques années. C’est mon meilleur souvenir de direction.
En septembre prochain l’orchestre jouera le Concerto pour deux bassons de Vanhal, un
compositeur tchèque du 18ème siècle. J’ai hâte, ça me stresse un peu mais ce sera un très
bon souvenir également !
Et vos plus belles rencontres musicales ?
Avec certains solistes, il y a des moments où on se dit : « j’ai de la chance d’être là ». C’est le
cas avec Maxim Vengerov, qui est tellement charismatique. Avec Vadim Repin et François
Leleux aussi. Ce sont des gens accessibles, simples, qui savent se remettre en question. Il y a
des artistes avec lesquels c’est toujours plus facile, Fazil Say en fait partie également.
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Interview de Philippe Coutelen, violoniste, par Jean-Claude Bonnefis, abonné.
Philippe, depuis combien de temps faites-vous partie de l’Orchestre de chambre de Paris
et quel a été votre parcours avant d’intégrer cet ensemble ?
Je suis né en Suisse Allemande, à Winterthur, une ville marquée par une tradition musicale
intense, notamment grâce à son orchestre. Beaucoup de grands musiciens ont participé à
cette vie musicale intense : C. Haskil, E. Fischer, G. Anda, H. Scherchen, W.Furtwângler,
F.Fricsay, J.Keilberth, M.André, Armin Jordan H., M.Stader, L.De La Casa, H.Szering,
P.Fournier… Mon père y était clarinettiste solo et j’ai donc côtoyé très tôt certains de ces
artistes, que mon père invitait quelquefois à la maison. Enfant, j’assistais régulièrement aux
répétitions et aux concerts, j’ai été vite fasciné par l’univers orchestral et musical et j’ai
décidé très tôt de devenir violoniste. J’ai fait mes études au Conservatoire de Winterthur
avec de remarquables pédagogues, eux-mêmes élèves de Carl Flesch et solistes de
l’orchestre, puis au CNSM de Paris et avec Léonide Kogan aux académies d’été. À 19 ans je
travaillais dans l’orchestre de l’Opéra de Paris. Puis je suis parti en Russie pendant deux ans.
Dans le train pour Moscou, je me souviens, j’ai rencontré Marie-Annick Nicolas, qui
voyageait dans le même compartiment que moi. Elle avait été une enfant prodige, une
formidable violoniste dont D.Oistrakh s’est occupé personnellement quand il était de
passage à Paris. En arrivant en gare de Moscou, nous pensions que l’attaché culturel serait là
pour nous accueillir mais nous nous sommes retrouvés seuls en pleine nuit, sans savoir où
dormir, et nous avons dû emprunter une pièce de 2 kopecks à quelqu’un pour appeler
l’ambassade de France ! À Moscou j’ai travaillé avec Léonide Kogan, puis avec Dmitri
Tziganov, premier violon du quatuor Beethoven, grand ami de Shostakovitch ; un homme
modeste, un musicien rare : pédagogue inspiré, généreux de son temps et de son savoir.
L’atmosphère de travail au Conservatoire Tchaïkovsky y était encore magique mais en même
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temps chaleureuse, même familiale. J’en ai bien-sûr profité pour apprendre le russe. À mon
retour à Paris en 1976, j’ai accepté l’invitation de Jean-Pierre Wallez à intégrer l’Ensemble
Instrumental de France, la première formation qui a précédé l’Ensemble orchestral de Paris.
L’EIF se composait alors de 12 musiciens passionnés et mobilisés. Une vie musicale de rêve à
travers tous les pays, grands festivals, grands hôtels et salles prestigieuses, dont le Carnegie
Hall. C’est à partir de ce noyau que Jean-Pierre Wallez a créé un ensemble plus grand et
permanent : l’Ensemble orchestral de Paris. Jean-Pierre Wallez nous encourageait à avoir
d’autres activités en dehors de l’orchestre, en tant que soliste, chambriste ou en tant
qu’enseignant. Il estimait que la diversité des activités musicales était bénéfique à chacun et
au rayonnement de l’orchestre. Dans les années 1980, quand Roland Bourdin était
administrateur, j’ai contacté Armin Jordan, sur le conseil de mon père. Armin Jordan est
alors venu diriger l’Ensemble orchestral de Paris, puis s’est engagé à faire route commune
pendant sept années. Il aimait bien le profil de l’EOP, cet « orchestre autrement ».
Musicalement, Armin, mettait vite tout le monde d’accord, dévoué tout entier à la musique.
Il y a beaucoup à dire sur cette belle période de l’orchestre. Depuis 1978, je n’ai pas quitté
l’Orchestre de chambre de Paris et parallèlement j’ai joué beaucoup de musique de
chambre, de musique contemporaine en formations diverses, créé plusieurs festivals, dont le
« Carnegie Small » à Paris. Parmi mes coups de cœur, je retiens des concerts avec les chefs
Rudolf Kempé à Lucerne en 1972, Josef Krips, avec Seiji Ozawa, Pierre Boulez, mais aussi la
création avec Astor Piazzola de son concerto pour bandonéon et orchestre de chambre au
Grand Echiquier…
J’ai toujours travaillé mon violon et joué avec mes deux professeurs post-conservatoires ;
Ivry Gitlis et Mark Lubotzki, devenus des amis proches, à qui je voue une admiration et une
affection inaltérées.
En tant qu’abonné depuis 35 ans à l’Orchestre de chambre de Paris, j’ai toujours eu le
sentiment de retrouver dans cet orchestre une grande famille. L’ensemble dégage une
impression de connivence, d’amitié, que je ressens rarement avec d’autres orchestres.
Partagez-vous ce sentiment ?
Nous sommes effectivement une famille musicale…. Nous connaissons, dans ce sens, des
tensions, des divisions, des plaisirs et des joies, mais quand nous jouons nous sommes
toujours unis, soudés, quel que soit le chef et quelle que soit les circonstances. Le plaisir de
faire un beau concert l’emporte toujours sur les possibles humeurs et contrariétés. Les
priorités sont parfaitement claires et prévalent à tout moment. Le public n’a droit qu’au
meilleur de nous-même. Cela s’appelle le professionnalisme…
L’Orchestre de chambre de Paris avait autrefois un directeur musical, remplacé aujourd’hui
par un chef principal. Cette solution convient-elle à l’Orchestre de chambre de Paris selon
vous ?
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Ce qui compte, c’est un chef qui fait autorité plutôt qu’un chef qui fait de l’autorité, un chef
qui mène par la baguette et non à la baguette, un chef qui trouve sa place musicalement,
plutôt que hiérarchiquement. Un chef doit aussi, en plus de ses qualités artistiques, être
cultivé, neutre et humain.
Sans directeur musical, ou chef permanent, ou encore « père de famille », les musiciens
doivent se responsabiliser artistiquement. Le nom d’un chef d’orchestre permanent, intégré
et apprécié, renforce l’image d’un orchestre et permet aussi de fidéliser le public.
J’apprécie toujours que l’Orchestre de chambre de Paris nous introduise à la musique
contemporaine, par petites doses. Est-ce un choix qui émane des musiciens ?
S’inscrire dans le présent c’est aussi exister dans la mémoire collective. C’est important
d’être tourné vers l’avenir et d’habituer le public à être conduit vers des valeurs et courants
artistiques de demain en toute confiance. Lui faire découvrir de nouveaux horizons est une
chance, un devoir et un plaisir pour nous. Personnellement, j’aimerais beaucoup « visiter »
plus souvent le répertoire allemand du XXè siècle, il y a des œuvres, des compositeurs qui
valent le détour. A Winterthur, les œuvres contemporaines étaient souvent jouées deux fois
dans la soirée afin que le public puisse prendre ses repères. Je trouve cela intelligent,
pédagogique.
La technique du joué-dirigé est fréquemment employée à l’Orchestre de chambre de Paris.
En tant que spectateur, elle m’a d’abord gêné puis je m’y suis habitué. Qu’en pensez-vous
vous-même ?
Accompagner un soliste sans chef, avec l’effectif qui est le nôtre, est très agréable tant
qu’on sait où se trouvent les limites de cette pratique. Certains musiciens font ça
admirablement bien. Par contre, les solistes qui goûtent au joué-dirigé occasionnellement
sont souvent moins efficaces, moins convaincants. Même en ayant une bonne formation
générale et du talent, peu d’entre eux ont une formation sérieuse et encore moins acquis
un vrai savoir-faire en direction. Alors souvent on se trouve devant un exemple vivant du
« Principe de Peter » à constater qu’un spécialiste dans un domaine n’est plus un spécialiste
quand il exerce dans une autre spécialité. Un grand instrumentiste n’est donc pas d’office un
grand chef, en cela, chaque domaine est spécifique.
Etes-vous à l’aise avec le fait que l’orchestre joue dans tant de salles différentes ?
C’est un peu notre vocation. Le côté mobile de notre formation, son nombre de musiciens,
permettent une adaptation rapide aux diverses salles et acoustiques. Évidemment, certaines
salles répondent mieux que d’autres à nos souhaits et besoins. C’est là une curiosité de tous
de découvrir une nouvelle salle chaque fois que cela se présente.
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Parfois, au cours d’un concert, je me dis qu’ « un ange passe ». Pendant un instant, tout le
monde est réuni, musiciens et public, et on décolle. Ressentez-vous cela sur scène
également ?
Oui, cela se produit quelques fois, le plus souvent à la fin d’un mouvement lent, quand un
soliste parvient à toucher le public par son discours. Cela crée une sorte d’intimité pure.
Nous sommes parfaitement conscients de ces instants privilégiés, de vrai partage, et de
mystère aussi.
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Interview d’Anna Brugger, altiste, par Thierry Buignet, abonné.
C’est au cours de recherches sur la musique du XVIIIè siècle en bibliothèque de Paris que
Thierry Buignet découvre la brochure de l’Orchestre de chambre de Paris il y a cinq ans.
Abonné depuis à l’orchestre, il rencontre aujourd’hui Anna Brugger, dernière musicienne à
avoir rejoint l’ensemble, titularisée depuis avril dernier.
Anna, vous êtes d’origine allemande je crois. Pouvez-vous me raconter votre parcours ?
J’ai effectivement grandi près du lac de Constance. J’ai commencé à jouer du violon dans la
très bonne école de musique de mon village. Dans ce village, presque tous les enfants se
voyaient proposer de jouer un instrument, c’était normal. Moi je voulais apprendre le
violoncelle, dont j’aimais le son grave, mais je croyais que cet instrument s’appelait le
violon… Donc j’ai demandé à jouer du violon par erreur et j’étais trop timide pour exiger
ensuite de changer d’instrument ! Après le baccalauréat, j’ai fait les études à Salzbourg
pendant 3 ans, après je suis partie un an en Erasmus, à Paris notamment, puis j’ai travaillé à
Munich et Saarbruck et en 2012 je suis arrivée à Stuttgart, où j’ai travaillé pendant un an et
demi dans un orchestre symphonique, avant de venir à Paris.
Quand avez-vous finalement adopté l’alto ?
Vers l’âge de 12-13 ans. Mon premier professeur de violon était altiste et faisait essayer
l’alto à ses élèves. Cet instrument m’a tout de suite plu. J’aime son ton grave et je crois aussi
qu’il correspond mieux à mon tempérament, plus calme, plus réceptif que le violon.
L’alto a-t-il une gamme plus large que le violon ou le violoncelle ?
L’alto est un pont, une passerelle entre violon et violoncelle. Il a les mêmes cordes que le
violoncelle, les mêmes possibilités, mais une octave au-dessus.
En petite formation, comme le quatuor, on retrouve souvent l’alto. Participez-vous
souvent à des concerts en formation chambriste vous-même ?
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J’adore la musique de chambre, j’aurais aimé ne faire que cela et je suis ravie que
l’Orchestre de chambre de Paris m’ait tout de suite proposé de participer à sa
programmation de musique de chambre. Les petites formations permettent d’être plus à
l’écoute des autres musiciens, de réagir davantage. Il faut pour cela trouver les bons
partenaires, dans les quatuors fixes qui visent une carrière, c’est un peu comme dans un
mariage !
À Stuttgart, je jouais dans un quatuor à cordes avec lequel j’essaie encore de travailler de
temps en temps. Nous étudions actuellement des programmes pour l’an prochain.
Pratiquez-vous d’autres activités musicales à côté de la musique classique ? Je suis
personnellement toujours curieux des artistes qui mélangent des mondes musicaux,
comme certains de vos collègues le font avec Les Concerts Salade. Ce mélange de musiques
et d’artistes donne des œuvres très intéressantes.
J’aime beaucoup le jazz, la pop… À l’école, j’ai pu expérimenter l’improvisation aussi. J’adore
écouter de la musique improvisée mais j’ai du mal à en jouer car je n’ai jamais appris à créer.
Savoir improviser réclame beaucoup de travail.
Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Paris ?
La première fois j’y suis venue dans le cadre d’un programme Erasmus. Puis je suis revenue
par amour… J’ai appris à m’attacher à cette ville, j’aime beaucoup vivre à Paris. Je ne
m’attendais pas à réussir le concours d’entrée à l’Orchestre de chambre de Paris car dans les
orchestres français il y a moins de mixité, de nationalités différentes que dans les orchestres
étrangers. Jouer dans une formation française est une expérience très riche, on sent que la
musique de Bizet, Ravel ou Debussy par exemple a ses origines ici, qu’il est « évident »,
facile, de jouer de la musique française ici. Et puis le jeu musical est plus aéré en France,
moins dense qu’en Allemagne j’ai l’impression.
Appréciez-vous en particulier une période musicale ?
J’aime toutes les périodes mais en ce moment je me concentre surtout sur le baroque.
Parallèlement à mon poste à l’Orchestre de chambre de Paris, j’étudie encore en master à
Zurich, pour m’améliorer, pour continuer à apprendre. Au sein de ce master, j’ai une option
« alto baroque », sur instrument historique avec des cordes nues. Le son de l’alto baroque
est un peu moins fort que sur un instrument moderne, mais il contient plus d’harmoniques
aigues et en général on l’accorde plus bas. L’alto baroque a par exemple une touche plus
large et plus courte et la tension des cordes est plus basse. Il impose une autre approche et
cela me plait beaucoup.
Et vous Monsieur Buignet, quelles sont vos œuvres préférées parmi le répertoire de
l’Orchestre de chambre de Paris ?
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Le Concerto pour clarinette de Mozart, la 5ème Symphonie de Beethoven, ainsi que Jesus
Blood Never Fayled Me Yet de Gavin Bryars. Et puis je rêve d’entendre les Concertos
brandebourgeois de Bach. Il y a dans certains mouvements des Concertos brandebourgeois
un aspect très rock and roll !
Pour le concert de demain au théâtre des Champs-Élysées, le 3 juin, la distribution et la
programmation ont été très tardivement modifiées. Lors de la répétition à laquelle j’ai
assistée aujourd’hui, j’ai eu l’impression que l’orchestre s’est adapté immédiatement au
nouveau chef, au nouveau soliste et à la nouvelle œuvre programmée. Ressentez-vous
également que cette adéquation, ce rapprochement, sont très rapides ?
Ces changements sont plus excitants que perturbants, car c’est au chef de nous transmettre
son interprétation, c’est lui qui forme l’œuvre au final. On lui offre notre façon de jouer mais
c’est à lui de donner une direction, nous devons juste être réactifs et le suivre.
Les œuvres que vous jouerez demain soir sont-elles une découverte pour les musiciens de
l’Orchestre de chambre de Paris ou les ont-ils déjà jouées ? De manière générale,
comment s’adapte-t-on à une œuvre qu’on joue pour la première fois ?
Pour le concert de demain, c’est le soliste qui a choisi l’œuvre qu’il souhaite interpréter avec
l’orchestre. Francesco Piemontesi préfère jouer le Concerto n° 21 de Mozart à la place du
n°19 initialement choisi par Christian Zacharias, mais ce n’est pas un souci pour l’orchestre
car c’est une œuvre très connue, l’Orchestre de chambre de Paris l’a déjà jouée plusieurs
fois. Au début, appréhender et interpréter une œuvre pour la première fois exige beaucoup
de travail. Mais au bout d’un moment arrive le plaisir de rejouer certaines œuvres.
L’Orchestre de chambre de Paris propose régulièrement des pièces de musique
contemporaine au sein d’un programme plus classique. En tant que spectateur, je suis
souvent au début un peu perdu, dérouté, car c’est un autre langage musical. Puis je me
laisse emporter et c’est très agréable. De votre côté, appréciez-vous d’en jouer ?
Oui, c’est important de jouer la musique actuelle, c’est celle de notre temps, c’est notre
musique. À Munich, l’orchestre avec lequel je jouais commandait beaucoup de créations à
des compositeurs vivants. Et à l’Orchestre de chambre de Paris, nous avons le plaisir de
collaborer avec Philippe Manoury. Jouer de la musique contemporaine c’est jouer des pièces
que le temps n’a pas encore « triées » ; en quelque sorte nous sommes les cobayes ! Nous
ne savons pas à l’avance si l’œuvre va nous plaire mais cela fait partie du plaisir de
l’expérience.
Seriez-vous intéressée pour collaborer avec des danseurs ?
J’adore la danse, notamment l’œuvre de Pina Bausch. J’ai commencé des cours de Lindy
Hop, inspiré du swing des années 1930. Cela ressemble à la danse jazz. Pour le corps c’est un
très bon équilibre de pratiquer de la danse après une journée de répétitions d’alto.
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J’aimerais bien créer des liens entre danse et musique mais je manque encore de contacts
sur Paris.
Vous avez très récemment joué avec Deborah Nemtanu à la Philharmonie de Paris lors
d’une journée « portes ouvertes ». Que pensez-vous de ce projet ?
Cela me fait très plaisir d’arriver à Paris au moment même où cette salle va ouvrir ! J’ai
vraiment hâte que la Philharmonie soit inaugurée, c’est un projet très excitant, à la fois pour
la qualité de la salle mais aussi pour attirer d’autres publics. En Allemagne, j’ai l’impression
que le public de la musique classique est encore plus vieillissant qu’en France, notamment à
cause de la démographie en baisse. Il y est donc aussi très difficile de renouveler le public.
J’ai fini ma période d’essai il y a peu de temps mais par la suite j’espère participer aux
actions culturelles que l’Orchestre de chambre de Paris mène auprès des scolaires, pour faire
découvrir la musique dans les classes.
Vous êtes à l’aube de votre carrière. Avez-vous un projet ou un rêve professionnel pour
l’avenir ?
Mon objectif est de jouer de la belle et bonne musique, quel que soit le cadre. Et peut-être
d’enseigner un jour. Je suis heureuse de pouvoir gagner ma vie, assurer mon existence, en
exerçant le métier que j’aime. Avoir décroché ce poste à l’Orchestre de chambre de Paris me
permet de me sentir libre.