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Numéro 10, Décembre 2014 AMOUR, PRATIQUE RÉVOLUTIONNAIRE

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Amour, pratique révolutionnaire est le thème du 10eme numéro de Q-zine.

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Numéro 10, Décembre 2014

AMOUR, PRATIQUE RÉVOLUTIONNAIRE

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ILLUSTRATE ME CUSTOM PORTRAITS

Custom hand-drawn portraits for special celebrations, unique gifts and striking profile pictures

One-of-a-kind illustrations created with love by Asilia’s Lulu Kitololo.

You send us a photo, tell us your vision and we will interpret it in our bold and expressive style.

Also introducing art prints honouring creative women who inspire us, including Frida Kahlo and Miriam Makeba.

www.weareasilia.bigcartel.com

CO-ÉDITION AVEC

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Numéro 10, Décembre 2014 | 3

ILLUSTRATE ME CUSTOM PORTRAITS

Custom hand-drawn portraits for special celebrations, unique gifts and striking profile pictures

One-of-a-kind illustrations created with love by Asilia’s Lulu Kitololo.

You send us a photo, tell us your vision and we will interpret it in our bold and expressive style.

Also introducing art prints honouring creative women who inspire us, including Frida Kahlo and Miriam Makeba.

www.weareasilia.bigcartel.com

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ÉDITONous sommes deux féministes,

voyageuses, créatrices, militantes, sœurs dans la résistance et des amies qui ont eu la chance

de se rencontrer à travers notre travail. Réalisant que nous avions beaucoup de points communs, un jour nous avons commencé à parler de «l’amour», à partager nos réflexions sur ce que cela signifiait dans notre travail, dans nos relations, dans nos communautés et dans tous les espaces que nous fréquentons. Le 14 Février 2012 (le jour de la Saint-Valentin), nous avons décidé d’offrir ces conversations au reste du monde à travers une plate-forme en ligne appelée: “NotreEspaceEs-tAmour” (ourspaceislove.tumblr.com). L’idée était de créer un forum en ligne offrant ce que nous avons décrit comme une «oasis, un point de rencontre et un puits où étancher notre soif poétique, révo-lutionnaire et en quête constante. Notre Espace offre un lieu à toute personne dont l’intention est de créer un espace où toutes les personnes seront respectées, leurs droits reconnus, à travers un espace public et privé, et seront célébrées pour qui elles sont.”

Sur ‘OurSpaceisLove’ nous offrons nos propres définitions de l’amour révolutionnaire qui comprennent:

Quand nous disons ‘Amour’, nous parlons d’un concept au-delà de la notion de romance. Nous parlons de ce sentiment émanant de votre cœur qui cherche à susciter la libération dans tout ce que nous faisons - individuellement et collectivement. Nous parlons de l’acte intentionnel de recevoir des gens dans nos cœurs qui peuvent être différents de nous, juste parce qu’ils sont des êtres humains. Nous parlons de l’amour qui inspire le désir de créer des havres de paix pour des personnes persécutées par la discrimination et la violence. Nous parlons d’un amour qui nous motive à donner, partager, prendre des risques et parler au nom de notre bonheur collectif (pour lesquels, bien sûr, nous avons besoin de la puissance de la transformation structurelle – le pouvoir à travers les gens!)

Nous sommes ravies de collaborer avec Q-zine sur ce numéro spécial qui met l’accent sur l’Amour. En lisant toutes les contributions et en examinant toutes les notions dont les gens songent et agissent avec ‘Amour’, nous nous sommes retrouvées à nouveau – nous a permis de revisiter nos propres conceptions de l’Amour révolutionnaire. Les contribu-tions de ce numéro sont une belle réflexion de la façon dont les gens transgressent, trouvent l’Amour et de la lumière dans les espaces apparemment sombres ... La façon dont les gens s’organisent, créent des communautés centrées autour de l’amour, de la créativité et de la justice. Quel honneur de partager cet espace avec tous/toutes ces contributeurs/trices incroyables - merci d’évoluer dans l’amour!

Avec Amour, Illustration de Karen WatsonAmina et Jessica

Nous avons commencé avec des partages de poésies, la photographie, des citations tirées des

entrevues, de la théorie, des clips vidéo, des ressources culturelles produites par des amiEs et des inconnuES qui ont résonné avec notre

idée de «l’amour révolutionnaire.» L’espace a également agi comme une

source d’inspiration pour notre propre art et expressions artistiques et, comme deux voyageuses/

nomades, nous avons également commencé à poster des photos qui documentaient les expressions de “l’amour dans les rues” dans les villes du monde que nous avons parcourues. Nous avons créé une play-liste de chansons d’amour qui parle de l’amour de soi, l’amour de la communauté, et l’amour dans son sens le plus large comme une force de trans-

formation. Nous avons demandé à nos sœurs, amiEs et aux proches leur définition

et expérience avec l’amour de soi. Nous avons ouvert nos cœurs à l’épanouissement et avec le

but de bâtir une communauté à travers un espace virtuel.

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Couverture: Photo de Andrew Esiebo

OurSpaceIsLove

Blog: ourspaceislove.tumblr.com/Contact: [email protected]

Q-zine

Site Internet: www.q-zine.orgIssuu: www.issuu.com/q-zine

Twitter: @q_zineContact: [email protected]

Rédacteur en chef John McAllister (Botswana)

Rédactrice en chefMariam Armisen (Burkina Faso)

Graphiste

Nye’ Lyn Tho (U.S.A.)

Équipe éditoriale

Abdou Bakah Nana Aichatou (Niger)Alice Vrinat (France/Belgique)

Anthony Sedibo Phaladi (Botswana/Chine)

Brian Doe (U.S.A./Sénégal)Joshep (Maroc/Espagne)

Michael Kémiargola (France)Patrice L. (France)

Philippe Menkoué (Cameroun)Stéphane Simporé (Burkina Faso)

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DANS CE NUMÉRO

ARTICLES HISTOIRES PERSONNELLES

VISITE

OPINION

PHOTOGRAPHIE

REVUE

MUSIQUE

FICTION

Q & R

POÈME

ESSAI

Seyi AdeganjoL’amour, un acte révo-lutionnaire

Khouloud MahdhaouiFemelle ou criminelle

Stéphane SégaraPensées : Je me souviens…

A - Chouf C’est une fille

Afifa AzaRenoncer à L’amour

Mariane Amara Notre guerre

Q-zineShow & Tell

Rania Bennaceur L’amour est sans genre

Jessica Horn Amour et art dans les rues

Andrew Esiebo Portraits des gays du Nigeria

Siphiwe NkosiA l’heure de minuit

JosephUnderground Casablanca

Shishani Vranckx Minorité

Dorothy Attakora Femmes noires et vulnérabilités

Amina et Jessica en conversation

NestHistoires de nos vies

Kalfou DanjéRessentir l’image

Olumide Popoola Un amour ardent

Gayle BellVariation sur un thème de firmament

Kampire Bahana À Kirabo et Grace

Musa Okwonga L’amour Contre l’Homophobie

Rita NketiahCette ville, ce corps

Tatenda Muranda Nous – Poétique

Amanda T. McIntyre Sous le ciel des Antilles

Alexis Teyie La voix s’en va en premier

Jessica Patricia Kichoncho Karuhanga Néant

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CONTRIBUTEURS/TRICES Afifa Aza a grandi à Spanish Town, St. Catherine, en Jamaïque. Elle est co-fondatrice de deux espaces alternatifs pour l’art, l’apprentissage, la culture, la croissance et le dialogue. L’autre est «Di Institut pour le leadership social». Afifa vit entant qu’artiste et créatrice, ancrée dans une spiritu-alité Rastafarienne et Africaine. La musique est son art et elle conçoit des espaces inspirés par la musique.

Alexis Teyie est une Kenyane de 21 ans, étudiante en histoire à l’université de Amherst. Elle écrit de la poésie et de la fiction, et est particulièrement investie dans la question de genre.

A. M.: est née et a grandi à Sousse il y a 22 ans. Elle pour-suit actuellement un diplôme dans la littérature et la civili-sation anglaise. Elle est une écrivaine en herbe qui vise une carrière académique.

Amanda T. Mc Intyre est une écrivaine trinidadienne, diplômée de l’Université des Antilles avec mention honorable en littérature anglaise. Amanda poursuit actuellement une maîtrise en philosophie dans la même discipline. Sa thèse porte sur le théâtre en Trinidad, portant spécifiquement sur les comédies musicales de Derek Walcott. Amanda est l’une des directrices de WOMANTRA; un groupe féministe basé aux Caraïbes, engagé dans la promotion des études féminines, l’activisme et les programmes sociaux. Elle donne également des cours de création littéraire à son domicile à El Dorado. Son contact est [email protected].

Dorothy Attakora- Gyan chevauche plusieurs iden-tités souvent contradictoires. Avec des identités aussi longues que son nom, elle est toujours désireuse de repousser les limites et de perturber les notions de la normativité. Elle termine actuellement son doctorat à l’Institut d’études fémi-nistes et de genre à l’Université d’Ottawa. Elle est investie dans l’étude des processus, des discours et des pratiques de solidarité entre différents réseaux féministes transnationaux, avec un intérêt particulier pour l’organisation des femmes

autour de la souveraineté alimentaire.

Les œuvres de Gayle Bell’s ont été présentés dans plusieurs anthologies. De 2013 à 2014, elle a été co-exposante de My Immovable Truth-A Dallas Lineage put on by MAP (Make Art With Purpose). Elle anime les siennes et l’histoire orale et les performances des artistes GLBTQY. Son contact est [email protected].

Jessica Horn est écrivaine féministe, poétesse et mili-tante des droits des femmes avec des racines dans l’Ouest de l’Ouganda. L’œuvre de sa vie se concentre sur les questions de sexualité, de santé, de violence, et de libérations incarnées/concrètes.

Jessica Karuhanga est une artiste d’origine Ougandaise actuellement résidente sur les territoires de la Haudenosaunee et des Mississaugas du New Credit ou Toronto, au Canada. Sa pratique est un instrument de médiation entre sa multitude de rôles et subjectivités dans une constellation de son identité de personne noire. Elle est profondément investie et intégrée aux fibres et fissures de sa chair hybride. Son esthétique ondule entre le texte, la vidéo, la performance et le dessin.

Joseph dse définit comme un traducteur pour le change-ment social. Originaire de l’Europe, son intérêt pour l’activisme des droits de l’homme, en particulier les questions LGBTI, s’est approfondi après son déménagement au Maroc pendant le printemps arabe. Depuis, il a travaillé en tant que sous-titreur et traducteur de plusieurs projets Artivist et espère que sa contribution aidera les gens à travers le monde à vivre dans l’amour et la liberté. Il vise à mettre en place sa propre maison d’édition pour offrir une plate-forme aux queer à travers le monde dont les voix sont réduites au silence.

Kampire Bahana vit et écrit à Kampala. Ses sources d’inspirations sont sa ville, l’Afrique, la musique, l’art, la résistance, l’amour, les femmes, la culture, la politique et

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toutes ces autres choses qui signifient tout et rien à la fois. Vous pouvez en savoir plus sur son travail sur son blog, vuga.wordpress.com.

Kalfou Danje est poèteSSE, écrivainE, documentariste, voue un culte particulier à Erzulie Dantor et s’applique dans la vie à être où on ne l’attend pas.

Khouloud Mahdhaoui est une lesbienne féministe tunisienne, camérawoman/documentariste de profession, militante audiovisuelle.

Mariane Amara est une activiste lesbienne vivant au Cameroun. Psychologue de formation, elle est passionnée aussi bien par la recherche sur la thématique des identités liées au sexe que par la littérature gay et lesbienne. On peut la suivre sur son blog intitulé fleur-d-afrique-noire.blog4ever.com.

Musa Okwonga est un poète, auteur, journaliste sportif, animateur, musicien, consultant en relations publiques et commentateur sur les affaires courantes, y compris la culture, la politique, le sport, la race, le sexe et la sexualité.

Olumide Popoola est d’origine Nigériane-allemande, auteure, conférencière et interprète basée à Londres. Ses publications comprennent des essais, de la poésie, des histoires courtes, le roman ce n’est pas de la tristesse, ainsi que des compositions en collaboration avec des musiciens. Elle enseigne l’écriture créative et termine actuellement un doctorat en création littéraire. En 2004, elle a remporté le Prix May Ayim dans la catégorie poésie. www.olumidepopoola.com.

Rania Bennaceur, est une Tunisienne de 21-ans, étudiante en anglais, blogueuse et activiste dans le processus de définir ses propres voies.

Oumeyma Miladi (Photo crédit) a débuté sa formation artistique au sein de la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs en 2006, là où elle a acquis les ABC de l’image (photographie et cinéma). Elle a réalisé son premier court métrage en 2007 qui a était sélectionné dans la compétition international du Festival International du Film Amateur de Kélibia (FIFAK). Son parcours académique a permis de nour-rir sa passion pour l’image, le dessin et l’illustration qui sont ses moyens de s’exprimer et de libérer son imagination.

Rita Nketiah est une étudiante qui poursuit son doctorat sur l’immigration inverse de la deuxième généra-tion des GhanéenEs du Canada. Dans son écriture créative, elle couvre des thèmes tels que l’identité des immigrantEs africainEs, la race et la sexualité. Rita écrit principalement des mémoires et des essais. Elle espère retourner au Ghana un jour pour contribuer au mouvement féministe africain et continuer avec son écriture.

Shishani Vranckx est une chanteuse-compositrice-interprète soul née en Namibie d’un père Belge et d’une mère Namibienne. Sa carrière solo a décollé après sa performance au Music Awards Namibien de 2011 qui a attiré l’attention de la nation. Un an plus tard, elle a remporté le prestigieux concours Last Band Standing (Live Band) en Namibie et était en vedette au Festival de Jazz de Windhoek (2012) aux côtés

Merci à toutes et tous de la part de

des musicien-ne-s d’Afrique du Sud, Lira & Selaelo Selato. Le succès de sa musique et leurs messages ont été récompensés surtout à travers sa chanson «minorité» qui a été nominé pour le meilleur Single et Meilleure Musique Vidéo en 2013 aux Music Awards Namibien. Sa musique aborde les ques-tions sociales qui font qu’on la compare à des artistes comme Tracy Champan, Nneka et Bob Marley. Plus récemment, elle a remporté le concours de musique d’Amsterdam pop “Mooie Noten” (2013) parce qu’elle “a des mots forts et quelque chose à dire.”

Seyi Adebanjo est d’origine Nigériane qui poursuit son master dans le multimedia. Le travail de Seyi se situe à l’intersection de l’art, les médias, l’imagination, le rituel et la politique. Seyi a été artiste en résidence à Allgo et est actuel-lement en résidence avec le projet Laundromat. Son projet, Trans Lives Matter! Justice for Islan Nettles a été projeté sur PBS et à 17 festivals à travers le monde. Siphiwe Nkosi est engagée dans la photographie depuis un certain temps. Pour elle, la photographie est le reflet de soi et de la société et elle peut créer des souvenirs durables. Elle a documenté les formes urbaines et rurales de la vie Sud-Africaine, et en 2010, documenté les Sud-AfricainEs pendant la coupe du monde de la FIFA ; projet qui était le point cul-minant de sa carrière. Elle est aussi une cinéaste passionnée, impliquée dans des films expérimentaux.

Stéphane Ségara est un jeune activiste burkinabé qui s’intéresse à utilisation de plusieurs techniques de commu-nication pour asseoir ses actions. L’écrire et l’expression de l’émotion dans les mots sont une forme importante pour lui de s’engager. L’imaginaire et sa vie personnelle lui constituent des sources inéluctables d’inspirations.

Tatenda Muranda est une panafricaniste et mili-tante féministe en costume-cravate. Elle est co-fondatrice de HOLAAfrica! et est actuellement l’une des membres du Conseil d’Administration de FRIDA -Le Fonds des jeunes féministes. IamQueenNzinga.

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Amour, pratique révolutionnaireLa notion de l’amour, comme acte révolutionnaire comme «non-con-traignant », « libérateur », comme

un acte politique et porteur d’infinies possibilités a sans doute transformé la façon dont j’interagis avec les autres et avec moi-même.

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Amour, pratique révolutionnaireAMINA ET JESSICA EN CONVERSATION

Q & R

Qu’est-ce qui t’a amené à penser ou à explorer l’amour comme un con-cept révolutionnaire?

La source de ma fascination pour les expériences avec la pratique de l’amour comme acte révolu-tionnaire était en fait ma mère. Adolescente, elle me disait “aimer, c’est se libérer, aimer quelqu’un, c’est de le libérer”. Sa politique a

été façonnée par le marxiste, le féminisme, l’anti-apartheid et la décolonisation et par les expériencesparticulières de sa propre vie en grandissant dans une zone rurale de l’Ouganda. Récemment, elle a écrit: “Mon attachement aux valeurs féministes est enraciné dans le profond amour et le respect pour la femme qui m’a élevée et m’a protégée pendant mon enfance. Entant qu’adulte, ce fondement de l’amour et son respect s’est progressivement traduit par un engagement renouvelé en faveur de la cause des femmes et de la politique en général. [1]” Je dois admettre qu’à la lecture de ces mots, j’ai coulé des larmes car je me suis rendue compte que d’une certaine manière, cet héritage est à la base de mon propre engouement pour l’amour révolution-naire, l’héritage d’un amour qui sert les intérêts de la liberté. Donc pour moi, l’amour révolutionnaire est un concept très bien enraciné dans la politique de gauche/postcoloniale, dans le féminisme et, plus profondément, dans l’AmourMère.

Comment cela se traduit-il dans ta vie, tes milieux d’activismes, tes relations, ta façon de concevoir ce monde? La vie?

La notion de l’amour, comme acte révolutionnaire comme «non-contraignant », « libéra-teur », comme un acte politique et porteur d’infinies possibilités

a sans doute transformé la façon dont j’interagis avec les autres et avec moi-même. Elle m’a apprise à penser différemment la signification du « self-care », de ma propre longévité, de comment nous prenons soin des autres, comment nous les con-sidérons comme nos sœurs, frères, amiEs, cama-rades, familles. Elle m’a également aidé à revoir ma compréhension d’être dans une relation AVEC, de comment partager mon intimité de manière à honorer les personnes que j’aime. Je commence par la pratique du « self-care ». Audre Lorde a appelé le « self-care », «un acte d’autopro-tection politique», Toni Cade Bambara l’a nommée quand elle a dit: «Si votre maison est en désordre, vous ne pouvez pas être en ordre», Ntozake Shange nous a rappelé que «se faire plaisir est subversive». Une des choses que j’ai apprises est que le « self-care» est la clé de ma survie et que, si je m’aime vraiment moi-même (d’une manière qui est révo-lutionnaire), alors je pourrais faire de la place pour ceux dont j’ai besoin pour survivre. Concrètement, cela s’est traduit dans ma vie par la création d’un environnement qui me permet d’être créative, saine et forte. Il a signifié m’embrasser entièrement - le meilleur et le pas-si-bon, mon côté féroce et paisi-ble et mes énergies feu et eau. Mon « self-care» de-meure un processus et chaque instant, chaque jour, je fais le travail révolutionnaire de me demander: «de quoi ai-je besoin afin de me sentir en sécurité, sûre et honnête avec qui je suis ?» En termes de mes relations, j’ai appris à aimer les gens avec soin et intention. Les tenir au centre de mon cœur et de faire vraiment le travail nécessaire pour les aimer ... parce que l’amour est un travail! Ce n’est pas que cette chose qui nous étourdisse (même s’il nous donne un sentiment de bien-être et que c’est bon) ... mais c’est un travail difficile! Repenser l’amour de cette manière m’a poussé à comprendre ce que ça signifie Aimer et d’aimer profondément. Cela m’a appris à reconnaître que ma santé physique, émotionnelle et mon bien-être sont liés à ceux de ma communauté et que de m’aimer est également de m’engager à soutenir le

Ilustrations de Asilia

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bien-être de ceux/celles autour de moi ... comme ce que Darnell Moore a décrit comme, “agir en concertation profonde les unEs avec les autres”.

Cela m’a aussi aidé à changer la façon dont je considère l’intimité. Pour moi, l’amour qui se manifeste à travers l’intimité devrait ouvrir des possibilités, il devrait chercher à pousser, et libérer dans le sens le plus agréable. Nous devons être prudentEs cependant, parce qu’à bien des égards, l’amour est aussi lié au pouvoir et nous devons chercher à déconstruire et désapprendre certaines habitudes dangereuses au risque de reproduire les mêmes idéologies et systèmes que nous cherchons à démanteler.

Pourquoi les concepts d’amour révolutionnaire sont importants?

La politique est émotionnelle. L’économie est émotionnelle. L’exclusion est émotionnelle. L’activisme est émotionnel. L’au-tonomie psychique est émotion-

nelle. La libération est émotionnelle. En évoquant, explorant, en pratiquant une politique révolution-naire de l’amour, nous reconnaissons que nos actes ne sont pas seulement de contester les fondements structurels de l’injustice, mais qu’ils se trouvent également dans la transformation de comment nous ressentons nos vécus. Je pense que nous devons également dans notre travail d’activisme, constamment nous nourrir du positif, susciter la joie et créer des ressources d’inspirations qui pourront nourrir notre travail pour des sociétés inclusives, justes et non-violentes. L’amour est cette ressource. Je marche à côté de vous, parce que je me soucie de votre bonheur, je veux votre liberté parce que votre liberté est aussi la mienne. Je suis entièrement d’accord avec toi Amina que le « self-care » est une partie importante de ce dont nous discutons. L’une des femmes que j’admire le plus, une amie visionnaire, Hope Chigudu disait,“est-ce que nous pensons vraiment pouvoir transformer le monde si nos corps et esprits sont brisés”?

Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans les manières dont les contributrices/

teurs ont exploré amour, un acte révolutionnaire dans ce numéro?

Il y a tellement de belles histoires d’amour dans ce numéro. Quel plaisir c’était pour moi de lire toutes ces contributions! Je pense que ce qui m’a le plus touché c’est l’éventail d’exemples que les gens

nous ont offert pour démontrer que l’amour qui est transgressif, audacieux et imaginatif. J’espère que nos lectrices/teurs auront autant de plaisir que nous avons à lire ce numéro!

[1] Caroline Bazarrabusa Horn dans Voice Power and Soul II: Portraits of African Feminists. Accra: AWDF, 2012

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L’AMOUR, UN ACTE RÉVOLUTIONNAIRE

De Seyi Adeganjo, Photos de Seyi Adebanjo et Osaretin Ugiagbe

L’amour est un acte révolutionnaire en ces temps difficiles dans le monde, dans nos cœurs et nos esprits.

Article

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Entant qu’une personne queer, au genre non-conforme d’origine Nigériane, l’art est mon principal outil d’acti-visme, ma source pour prendre la vie, un jour à la fois. L’amour est un acte révolutionnaire en ces temps diffi-ciles dans le monde, dans nos cœurs et nos esprits.

Qui-je-suis et ma vision du monde sont basés sur de nombreux piliers – à travers les conversations univer-selles sur les droits humains, l’homosexualité, l’identité noire et l’Africanité. Et cela, en dehors de la catégorie prescrite de sexe, race, des médias traditionnels/Queer, l’hétéronormativité, la transphobie, xénophobie et la su-prématie blanche et privilégié des mouvements queer dominants.

Un de ces piliers est:

Créer un lien entre la spiritualité et la justice sociale. Honorer et revendiquer les pratiques autochtones de la guérison, de la spiritualité et de l’organisation commu-nautaire. De nous assurer que ces pratiques, qui sont con-sidérées comme des conversations/pratiques spirituelles privées et personnelles sont visibles et constituent des piliers dans nos actions politiques. De nous assurer que nos conversations sur la religion ne sont pas seulement sur les institutions religieuses, mais des conversations politiques sur la spiritualité. Car nos ancêtres et les guérisseurs/guérisseuses, chefs spirituel-le-s étaient/sont tuéEs, persécutéEs pour ces pratiques. Quand nous nous réunissons pour honorer la terre divine, la nature, nos rituels, les membres assassinés de nos communautés, nous nous libérons et renforçons nos forces intérieures

pour le combat.

Sharon Bridgforth disait, “Les esprits nous invitent à val-oriser que plusieurs choses peuvent être vraies en même temps: Que nous formons un tout avec nos corps brisés et nos espoirs. Que nous pouvons exprimer pleinement no-tre chagrin et notre combat. Que, même lorsque nos rêves sont brisés et il n’existe aucune trace de Grâce, nous ne sommes jamais seulEs.”

Trans Lives Matter! Justice for Islan Nettles [La vie des Trans compte! Justice pour Islan Nettles] était une doc-umentation importante et émouvante d’une veillée spi-rituelle de la communauté à l’honneur de la vie de Islan Nettles, une femme transgenre de couleur. Islan était une jeune femme de couleur trans de 21 ans de Harlem, qui aimait la présence de ses sœurs transgenres de cou-leur. Elle avait su infuser son énergie, sa créativité et ses valeurs antiviolence dans son travail d’Assistante Pho-tographe et d’instructrice de mode à Harlem Children’s Zone. Au moment de son meurtre, elle travaillait comme Assistante Styliste à Ay Médicis à Harlem. Le meurtre de Islan était un crime de haine particulièrement choquant car elle a été battue à mort devant un poste de police de Harlem à l’angle de la rue W. 148e St et de Frederick Douglas Boulevard.

J’ai été inspiréE de créer une exposition au Musée des Arts Gays et Lesbiennes Leslie Lohman avec l’appui d’un mentorat Queer/Art parce que nous pouvons faire le deuil et célébrer la vie, nous pouvons aimer, nous libérer sans que cela soit oppressif. Parce que le personnel est

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politique! Parce que les attaques brutales et croissantes qui visent les femmes trans de couleur sont scandaleuses, la victimisation des personnes trans provoque une indig-nation particulièrement poignante. Parce que les meurt-res des personnes queer, trans, au genre non-conforme de couleur est la deuxième vague de lynchage politique. Parce que la guérison et l’action nous donnent de la force et amplifient nos voix.

Il est impératif et urgent de rendre visible les personnes de couleur queer, trans, au genre non-conforme car si les gens continuent à penser que le divin ne les aime pas, comment auront-ils/elles la force de se battre, de s’aimer, de vivre et d’avoir la foi?

Il est important pour chacunE de nous de faire ce travail sur le plan personnel, communautaire ou institutionnel, nous avons besoin de savoir que nous existons, que nous comptons et que nos représentations sont visibles. L’un des moyens qui nous rend visibles est notre expression de genre. La conversation autour du genre peut être dangereuse car elle rend les gens mal à l’aise et provo-que facilement la violence. Soutenir les autres à être vis-ible, à surmonter les traumatismes personnels et insti-tutionnels sont ancrées dans mes actions politiques qui utilisent l’amour comme outil de libération. Ce qui veut dire prendre des risques, me révolter en des injustices, et quand j’ai peur. Avoir le courage de vivre, de soutenir mes communautés de vivre, d’infuser de l’amour autour de moi, de partager la créativité, le succès et la joie qui nous sommes dus, car nous en sommes dignes. La vie des personnes trans, queers, des Africain´s, la mienne, comptent! Le courage et l’amour sont des nécessités pour

vivre nos vies pleinement et libérer nos communautés.

Pour en savoir plus le travail de Seyi

1. Le site de son exposition au Musée des Arts Gays et Lesbi-ennes Leslie Lohman

https://www.leslielohman.org/exhibitions/2014/trans-lives/trans.html

2. Un projet de documentaire sur l’identité queer et trans au Nigeria, Oya

https://www.facebook.com/OyaWestAfrica?ref=hl

3. Projection et Entrétiens à New York

http://cinema.tisch.nyu.edu/object/GRNYU.html

Gender Reel NYU: Festival de film avec projection du docu-mentaire Trans Lives Matter! Justice for Islan Nettles

Dates : Du 7 au 8 février 2015

4. Projection et exposition de Trans Lives Matter! Justice for Islan Nettles Conférence de Philadelphia sur la Santé Trans, du 4 au 6 juin 2015

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NUMÉRO 11DISPONIBLE EN JUIN 2015

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SChère Tessa,

Sous les torrents de cette nuit, je pense qu’il est temps de parler. C’est avec une grande patience délibérée que j’écris cette lettre. Je l’aurais écrite plus tôt, mais le temps m’en a empêché. Le ciel caché der-rière ses couvertures grises a refusé de me donner des conseils et je n’ai pu prendre la décision toute seule. Je n’ai pas pu trouver les mots par moi-même. Je ne pouvais pas t’approcher sans médiation.Lorsque nous nous sommes rencontrées, j’avais sentiles premières gouttes de la saison des pluies. C’était pour moi le moment le plus ultime, délicat et sen-suel de l’année; un temps qui m’a donné la possibil-ité d’aligner mon imagination avec des expériences réelles de toi et commencer la production de ce travail. J’aurais aimé que notre moment dure mais il y’avait trop de pluie. C’était beau mais cela m’a fait réaliser que mon approche était erronée.

Dans le crépuscule de l’année lorsque j’ai vu la saison approchée de sa conclusion naturelle, je t’écris sans au-cun désir sauf pour que tu saches enfin que je t’aime et que je suis désolée. Je t’écris en mémoire de l’époque

où les mots étaient tout ce que je pouvais te donner, l’époque où les seuls engagements que je pouvais faire étaient verbaux alors que ce que tu voulais était le véri-table règne d’un amour grandissant et en dehors d’une histoire mouvementée; et non la saison des pluies de mon imagination.

Je voulais nous créer un espace pour nous abriter, un endroit où nous pourrions glisser et faire l’amour sans interruption; un espace comme un bar nommé «Temps et Lieu» hors de la route Est d’Arima où tous les clients sont des femmes qui toastent à la vie posant leurs lèvres sur les bords humides des verres, enivrées par la désinhibition offerte par ce baiser. Un espace comme une nuit de Matikor qui va à l’infini, sans époux, sans expert encerclant comme un corbeaux at-tendant de foncer pour dévorer le nom de la femme et de régurgiter son cadavre animé dans l’après-vie de mariage; pas de filles perdues à jamais; seulement la plénitude et la vérité et la célébration; la sécurité et la communion bénite des saints qui mangent la chair et boivent le vin du salut trouvé entre les jambes de l’univers divinement féminine ondulant dans l’extase d’un atmosphère saturée avec une énergie voluptueuse-ment femelle. C’était de cette manière que mon esprit

SOUS LE CIEL DES ANTILLES

Fiction

De Amanda T. Mc Intyre & Photos de Steve Hernandez

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distilla mes émotions crues pour produire un amour raffiné pour toi.

Cette pratique de te traduire constamment en images est à la fois erronée et égoïste vu qu’il nous exposait à la forme la plus cruelle de la censure, la réalité. Je n’étais pas prête à faire face à cette vérité et en fin de compte je réalise maintenant que la seule façon par laquelle tu aurais pu t’engager étant toi-même, ta personne que j’ai fragmentée pour plus de commodité artistique; était par antagonisme.

Comment pouvions-nous savoir que cela causerait cet éloignement? Quels étaient les signes? Qu’est-ce qui nous avait faire croire que la pluie tombe du ciel à tra-vers une sorte de dispositif magique?

Une fois je fis un rêve et je m’y suis vue endormie. Je sortis de la chambre en y laissant mon corps et je suis allée faire les plus curieuses des aventures. Soudain je me suis perdue et devins anxieuse lorsque je m’en suis rendue compte. Désespérée, j’essayai de retournerdans ma chambre mais je m’étais réveillée avant d’y

Pardonne mon cœur qui aimait ce processus plus

qu’il ne t’aimait, et je t’en prie pardonne toutes mes affections erronées

encore confinées dans les limites fixées par cette

langue.

arriver. C’est de ce rêve de toi dont je suis en train de réveiller.

Cette lettre est ma tentative d’enquêter sur ma consci- ence de toi toujours pas bien comprise et aussi tenter de résoudre simplement certaines vérités à la fin d’une saison d’amour; la saison des pluies.

Pardonne moi je t’en prie. Pardonne mon esprit pour les métaphores méticuleusement fabriquées qui séparèrent les parties d’une femme dont l’existence était la seule légitimité dont elle eut jamais besoin. Pardonne mon cœur qui aimait ce processus plus qu’il ne t’aimait, et je t’en prie pardonne toutes mes affec-tions erronées encore confinées dans les limites fixées par cette langue.

J’espère de tout cœur que mes paroles te trouvent en bonne santé et je prie qu’avec eux tu reçois ma paix en cette occasion.

Sous le ciel des Antilles,Sirjane

NOTES:

Arima: Arima est un arrondissement dans l’Est de la Trinidad.

Matikor: Dans la pratique de mariage traditionnel hindou longue de trois jours, Matikor est le nom donné à la première journée. Seules les femmes sont autorisées à participer au ras-semblement dans la nuit de matikor. Les femmes âgées instruis-ent la mariée sur les questions sexuelles. L’enseignement se fait à travers l’humour, le jeu de rôle et la danse. C’est un environne-ment sexuellement ouvert dominé par les femmes.

Courbeaux: Un oiseau apparenté aux vautours.

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Quand se noyer ou abandonnerce qui lie les deux

blessures qui tiennent, craignantes Toi, loin de moi ?

Nous ne croyons pas à l’amour durequi se déguiseblessejuste pour prouver un point

pour les filles noires libres quisont déterminées à vivre

qui essaient de rendre nos désirsirrésistibles aux autres(Audre Lorde)

Nous souffrons et embrassons nos vulnérabilitésEtre une vision vulnérable âprement disputée pourdans un monde sans limite

Endurcie si vous ne pouvez pas sentir il n’y a rien qui amine la guérison encore moins la perfection

Qui a dit que s’ouvrir sera le plus audacieux des actes ? en soi un commencement une fincourageuxardent

aimerQui a dit que la lumière doux présent, résistant à tous les ventsenracinée, s’enfonçant profondément n’est-ce pas la force la plus ardente?

Poème de Olumide Popoola & Peinture de Nathan

Majola (c) 2014

UN AMOUR

ARDENT

Poème

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FEMMES NOIRES ET VULNÉRABILITÉS

Des femmes africaines cultivent des formes nouvelles de résistance dans les cercles activistes

De Dorothy Attakora & Photos de Mateen Khalid

Par une fraîche journée d’automne, emmitouflée dans un pull trop grand, parée de bottes et d’une toque, je suis partie cueillir des pommes avec mes collègues. Le verger était grand et beau.

Il arborait toutes sortes de délicieuses nuances de vert. Comme si les succulents et lumineux oranges, rouges et jaunes des feuilles avaient été cueillis et soigneusement, très stratégiquement accordés aux luxuriantes lignes vertes de pommiers. J’étais entourée par de belles alliées, des féministes qui comme moi ont des corps marqués de façon nuancée, nous plaçant en opposition au regard masculin blanc dominant. J’étais remarquablement con-sciente de la façon dont mon corps était consommé. Les regards francs, les coups d’œil timides, les yeux écar-quillés qui se détournaient en rencontrant les miens. Je pouvais sentir le bourdonnement de curiosité dans les esprits, les questions qui se préparaient, probablement à propos de mes cheveux, de mon corps rond et sombre.

Et pourtant cela se réalisait d’une manière flagrante qui, alors que cela se passait, simultanément, rendait invisible des parties de moi. Lorsque je me sentais exposée, comme si mon corps avait invité les autres à construire une sorte d’échafaudage et à m’y placer au centre, je prenais conscience de toutes les histoires sur moi qui ne sont jamais révélées. Je me demande si mes ancêtres Ashanti et Fanti rétrécissent dans leurs tombes quand on me réduit excessivement à «Noire». Est-il possible que mes identités tribales partagent l’espace avec ma Noirceur? Dans ces moments je me sens toujours ren-voyée à mon « africanité ». Un pinceau seul ne peut pas peindre toutes les nuances qui foisonnent à l’intérieur. Je tiens à rappeler aux gens que je suis plus que la somme de mes parties mais que je me contrôle, réduit, police mes mouvements, et surveille mon corps.

Essai

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Je voulais désespérément partager avec les autres femmes qui m’avaient accompagnée la façon dont je devais travailler sur moi ce jour-là pour me joindre à elles. L’expérience d’être une minorité, de marcher

seule même dans une foule peut être insupportable. Et ce bien que j’aime la nature et le plein air, les souvenirs des expériences de mon enfance dans une petite ville de l’Ontario continuent de m’engourdir par moments, et sans le moindre avertissement. Comment puis-je parta-ger avec ces femmes qu’ayant récemment regardé 12 Years a slave les rangées de pommiers déclenchent de terribles récits d’esclaves comme les livres que j’ai lu en grandissant tels Racines, Amistad, et The Book of Negroes. Tout à coup je me suis trouvée en équilibre précaire : travaillant sur mes déclencheurs, effaçant les expériences négatives de mon passé et m’efforçant désespérément de ne pas céder à mes peurs. Ce fut un niveau de vulnérabilité auquel je ne m’attendais pas et il m’a fallu garder une confiance tacite en mes collègues pour éviter de me dévoiler complètement. L’expérience signifiait que je suis tributaire de leur capacité à ne pas dire ou faire quelque chose qui serait tout aussi déclencheur, mais je ne pouvais le leur communiquer. Ce n’est pas la première fois que je ressens ça. J’ai vécu des moments ineffables similaires en militant au sein des cercles de militants.

Je ne veux convaincre personne que ne pas se défaire d’une chose soit honteux, encouragé ou que l’on doive travailler seul(e) sur ses déclencheurs internes. Je veux éviter cette idée qui exige que les individus portent le fardeau, et je veux certainement éviter de stigmatiser ou même de souscrire aux constructions de santé mentale qui applaudissent le «citoyen modèle» comme celui ne « dilue » ses problèmes dans la sphère publique. En au-cun cas je ne prétends dire que mon « tiens bon » à l’extérieur, tout en naviguant entre toutes ces émotions diverses à l’intérieur, est la meilleure pratique. Cepen-dant, je veux donner un exemple personnel de la façon dont il est difficile de s’engager dans le travail que nous faisons en tant que militantE, même lorsque l’on travaille avec des alliéEs.

En tant que collectif, nous n’étions pas seulement éclectiques et esthétiquement belles, ensemble nous rendions les espaces queer, plus particu-lièrement les vergers de pommiers! Dans le

même temps, j’étais hyper consciente de la façon dont je racialisais également l’espace, et moi seule. J’ai eu amplement l’occasion de partager ce qui se déroulait en moi, cependant je ne trouvais aucun mot, aucun langage pour formuler et partager avec elles ce que je ressentais. J’étais sans expression, prise dans ce que j’appelle un moment indicible, ce que Toni Morrison appelle « ces choses ineffables, tacites ». Il y a un niveau de vulnérabilité lié à l’exposition aux tensions que d’autre ne peuvent identifier. Il y a la crainte venant du conditionnement à croire que vous serez perçue

comme hyper-sensible, irrationnelle, en colère et dans mon cas, l’ingrate migrante africaine (je ne suis jamais vue comme citoyenne canadienne bien que je le sois). Audre Lorde (1984) dit: «Les femmes non-blanchesgrandissent dans une symphonie de colère, d’être réduites au silence, de ne pas être choisies, de savoir que lorsque nous survivons, c’est malgré un monde qui prend pour acquis notre manque d’humanité, et qui hait notre existence, même hormis à son service. Nous, en tant que femmes noires, avons dû apprendre à orches-trer ces furies afin qu’elles ne nous déchirent pas, nous avons dû apprendre à nous mouvoir à travers elles, et à les utiliser comme force et puissance et perspicacité dans nos vies quotidiennes. Celles d’entre nous qui n’ont pas appris cette leçon difficile n’ont pas survécu, et une partie de ma colère est toujours libation pour mes sœurs tombés”. Etant quelqu’une qui étudie la construc-tion de solidarités à travers les différences au sein des réseaux féministes transnationaux, le verger est devenu pour moi un microcosme, dans lequel je suis profondé-ment investie pour comprendre tout cela.

Ce jour d’automne est devenu mon point d’entrée dans la volonté de créer un dialogue autour de la réduction au silence et de la surveillance de soi qui se déroule dans les

milieux féministes, même si elles ne sont pas exprimées. En fin de compte, j’ai finalement partagé mon expéri-ence du verger avec mes collègues. Aucune d’entre elles n’avait connu un tel malaise et n’avait même imaginé que je me démenais contre toutes ces choses pendant le voyage. Pourtant en tant que femmes, à un moment donné nous avons chacune enduré une quelconque tension ce jour-là que nous n’avons pas partagé avec les autres. Là j’ai réalisé que : chacunE a son «verger» où l’on s’assied mal-à-l’aise tout en agissant en tant que militantEs, et ces types d’expériences peuvent être très douloureux.

QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE POUR NOUS EN TANT QUE FEMMES, EN TANT QUE MILITANTES SE RÉUNISSANT POUR DES ACTIVITÉS ? Je crois pro-fondément que ces expériences montrent la façon dont nous cultivons de nouveaux modes de confiance, de vulnérabilité et de résistance en tant que militantes. Je me demande combien d’autres femmes africaines tra-versent ces « choses » internes lors d’une rencontre dans un collectif varié. Moi-même en tant que femme afric-aine, je sais trop bien ce que le monde a été conditionné à penser moi. Je sais que même au sein des mouvements féministes beaucoup de femmes (pas toutes) ont grandi avec les récits humanitaristes de mouches pullulant sur nos ventres gonflés. Je suis consciente que la colonisa-tion, l’impérialisme ont créé un monde où certainEs perçoivent encore consciemment ou inconsciemmentles AfricainEs comme moins que les belles et

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“Les voix des femmes qui continuent à

endurer la réouverture de plaies en s’enga-

geant dans l’activisme ne doivent pas être niées. ”

brillantes personnes que nous sommes. Je sais qu’avec mon parcours dans le monde universitaire comme féministe, « womaniste », j’ai du me résoudre à affirmer mon identité en tant que afro-féministe. CertainEs sont choquéEs de découvrir qu’il existe même une chose comme le féminisme africain, étant donné que nous, les femmes africaines, sommes généralement les sujets des féministes occidentales tentent de « sauver ». Permettez-moi de m’arrêter ici et de dire que je ne veux d’aucune façon homogénéiser toutes les femmes africaines, je ne pense pas non plus que nous tra-versons toutes ces moments indicibles dans nos vies quotidiennes en tant que militantes. Il y a de multiples manières dont nous sommes poussées à cultiver et à redéfinir de nouvelles formes de militance. En outre, il n’y a pas de conceptualisation figée d’une femme afri-caine. Je reconnais que mon utilisation du terme « femmes africaines » limite les possibilités infinies de toutes les nuances qui s’associent pour façonner nos corps et esprits variés. Je sais qu’en adoptant un tel

langage j’invisibilise toutes les parties de nous qui me rendent mal-à-l’aise lorsque je me retrouve exposée. Je crois cependant que le travail communautaire - les activités en collectif et l’activisme - est particulièrement difficile, compliqué par cette chose même dont nous sommes fières, notre identité africaine. Je ne peux pas dire que mon identité en tant que féministe africaine ne me fait pas réfléchir sur les outils dont je dois me doter pour militer, ou que l’amour est mon arme de choix à chaque fois. Il faut de l’amour, non filtré, non-craintif, du genre « supporter la douleur jusqu’au bout » pour demeurer dans cette lutte contre le patriarcat, la miso-gynie et tant d’autres formes d’oppressions viles. Quelles sont les utilisations de mes douleurs passées? Comment puis-je rester tendre dans les moments indicibles? Ces pratiques sont enracinées dans l’amour. L’amour pour mes ancêtres, mon peuple, ma communauté, le travail, l’objectif final, et moi-même. L’amour me soutient dans les moments difficiles où je me sens coincée et incapable de m’exprimer.

Les façons dont nous nageons dans et hors de l’oppre-ssion, la façon dont nous marchons en eau trouble

comme oppresseur. Il n’y a rien de pur ou de rangé dans nos identités, et donc nos interactions les unEs avec les autres ne peuvent non plus être perçues comme telles. Négocier des tensions, formulées ou tacites, ces choses laissées pour compte, non-dites ou inexprimées sont

difficiles (Takemoto, 2001). Ça me rappelle que si une cicatrice peut être guérie, elle nous renvoie néanmoins à la plaie qui la précédait. Il semble y avoir là une réouver-ture permanente de la plaie (Takemoto, 2001). Les voix des femmes qui continuent à endurer la réouverture de plaies en s’engageant dans l’activisme ne doivent pas être niées. Les façons dont nous, les femmes africaines, prenons l’activisme, nous engageons à partir de zéro, est une merveille, un miracle. En négociant les blessures du passé, les traumatismes antérieurs, nous, en tant que femmes africaines, nous engageons dans la construction de solidarités à travers les différences, en cultivant véri-tablement de nouvelles façons de militer pour confiance et vulnérabilité.

DANS SISTERS OF THE YAM (1993), BELL HOOKS PARTAGE COMMENT EN SE DÉPLAÇANT D’OBJETS MA-NIPULÉS À SUJETS AUTO-NOMES, LES FEMMES NOIRES ONT PAR NÉCESSITÉ MENACÉ LE STATU QUO. En s’en-gageant dans un activisme radical fondé dans l’amour, les féministes africaines ont perturbé les idées tradition-nelles sur ce que signifiait s’engager dans l’activisme.Nous ré-imaginons les différentes possibilités de colla-boration malgré les expériences négatives passées et continuons de créer de nouvelles formes de militance. En s’attachant à des pratiques qui ont cherché à (et con-tinuent de) marginaliser les femmes africaines, certaines continuent à utiliser l’amour comme un outil de résistance politique et de survie. Le vrai travail dans lequel nous nous engageons est spirituel, les relations et la dynamique que nous entretenons doivent être fondées sur la spiritualité, dans l’amour.

Selon bell hooks, l’amour est une combinaison de six ingrédients: attention, engagement, con-naissance, responsabilité, respect et confiance. L’amour a une place dans Je dis oui à toutes les

“Je reconnais que mon utilisation du terme

« femmes africaines » limite les possibilités infinies de toutes les

nuances qui s’associent pour façonner nos corps

et esprits variés.”

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émotions chaleureuses dans le travail communautaire, dans l’activisme et la construction de la solidarité, en par-ticulier à travers les différences. Les émotions sont sou-vent écartées de la militance, dévalorisées et annulées. L’amour ne devrait pas être considéré en opposition et en conflit avec la logique et la raison. En effet, il (et son absence) est la raison de notre engagement en beaucoup de choses. Faire, vivre et incarner le féminisme, et se consacrer à créer des solidarités exige plus que ce qui saute aux yeux. Comment pouvons-nous nous avoir des conversations sur la solidarité sans parler de nos relations les unEs avec les autres?

La nature complexe de la construction de solidarités exige que nous interrogions en permanence ce que les autres abandonnent et cherchent à résoudre pour entrer dans de tels espaces. N’est-ce pas la tendresse en action? Si le travail que nous faisons nous oblige à penser qui autorise l’accès à des personnes, quelles histoires ils/elles ont dites, la manière dont ils/elles les ont dites, et quelles histoires sont racontées ou laissées de côté, ne som-mes-nous pas informées sur la façon de prendre soin des autres? Le processus de guérison émotionnelle, tout en naviguant simultanément dans des espaces qui rouvrent nos blessures, exige à tout le moins un engagement, celui

de faire confiance aux autres et nous-mêmes. Les pra-tiques de guérison émotionnelle devraient être liées aux pratiques de résistance politique (Glass, 2007). bellhooks dit que la guérison est « une guérison dans la plénitude, en s’éloignant de la conscience de soi comme brisée, et fracturée et cassée. Pas une guérison à la perfection, mais plutôt une acceptation qui dit que nous sommes, en notre cœur, tout de même essentiellement au milieu de nos défauts et nos blessures ». Les lieux de blessure, où le travail que nous faisons a lieu, les «vergers de pommiers» de nos vies peuvent aussi être des lieux de possibilités.

En tant que femmes africaines nous continuons à nous engager dans l’activisme, même si cela nous blesse. Nous guérissons à travers les déclencheurs et nous ne sommes pas seules

pour le faire. Je suis consciente de toutes les façons dont d’autres corps marginalisés, marqués par la société, résistent également et cultivent activement de nou-velles manières d’utiliser l’amour comme un outil pour militer. Les femmes Indigènes/ Aborigènes / Inuits, les femmes avec des handicaps, à la fois visibles et invisi-bles, les femmes queer, les personnes au genre fluide/ non-binaire s’attachent à créer de nouveaux récits dans des cercles militants. Je tiens à saluer les lesbiennes perçues comme hétéro, les Juives, bi-raciales et Métis perçues comme blanches, et les femmes trans perçues

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comme « alt » et donc pas considérées comme les femmes qu’elles sont ; l’expérience des femmes musul-manes qui sont considérées comme suspectes, et d’autres communautés marginalisées renvoyées aux marges. Je crois profondément que toute femme qui tient dans son cœur une certaine forme de grief en raison de la colonisation, de l’impérialisme, de la société suprématiste blanche, validiste, chrétienne,

capitaliste, hétéro-normative, cis genrée devrait être reconnue pour les nombreuses façons dont nous résistons aux discours qui cherchent à nous effacer. Je vous vois ; je vous reconnais et je suis reconnaissante pour votre solidarité dans la lutte. À touTEs nos alliéEs qui continuent à prendre conscience de leurs préjugés, de leurs privilèges et marchent à nos côtés, merci. Collectivement la nature même de notre exposition et notre maintient dans les milieux militants devrait être documenté, archivé et célébré.

Quand je pense à toutes les façons dont le patriarcat et même le féminisme a essayé de m’exclure, parler en mon nom, racon-ter mes histoires de façon à éprouver ma

vulnérabilité et briser ma confiance, je reste pourtant vigilante à me faire entendre, voir, connaître. De ces différentes manières je cultive de nouvelles formes de confiance et de vulnérabilité en continuant à m’enga-ger. La réconciliation et le pardon rompent avec des façons tacites de vivre un traumatisme. Choisir de me tenir avec mes sœurs, avec d’autres femmes à travers le monde dans leur lutte dit, même au milieu de mon trouble intérieur, je vous vois, je vous reconnais et je suis ici pour vous. Cela dit que je me sens en confiance entre vos mains, étant vulnérable dans notre culture.

Ma vulnérabilité et ma confiance en vous, autant que mes capacités intellectuelles, connaissances et passion, me permettent d’être solidaire avec vous. L’attention, l’engagement, la connaissance, les responsabilités, le respect et la confiance, si bell hooks dit vrai, que ces choses constituent l’amour, je vais continuer à les emporter avec moi chaque fois que le devoir le réclamera.

“À touTEs nos alliéEs qui continuent à pren-dre conscience de leurs

préjugés, de leurs privilèges et marchent à

nos côtés, merci. Collectivement la nature même de

notre exposition et notre maintient dans les milieux militants devrait être documenté, archivé

et célébré.”

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La peau de ses vêtements m’a effleuré Son parfum me chuchota dans mon oreille de ChineElle virevolte dans mes rêvesUne musique de jazz en douceurDes rires aussi légers que les miaulements d’un chatonLa journée s’est éclipsée comme un firmament Parfois, je me demande pourquoi je passe Ma nuit solitaire, en rêvant d’une chanson

Celle qui m’observe En léchant ses lèvres à la menthe Je rougis comme si mon corpsEst un secretOublié à la station de cheminDe mes rêveries Parfois, je me demande pourquoi je passe Ma nuit solitaire, en rêvant d’une chanson

Le coucher de soleil qui se transforme en nuit Ailleurs Des urbainesCommencent leur danse d’accouplementJazza Mustaza joue quelque partDe l’amour sous la lune bleue Même la poussière est occupéeA conspirer Parfois, je me demande pourquoi je passe Ma nuit solitaire, en rêvant d’une chanson

De Gayle Bell

VARIATION SUR UN THÈME DE FIRMAMENT

Poème

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FEMELLE OU CRIMINELLE

Je suis née un 03 juin, mes premières inspirations, expirations ont été précédées par mon genre qui à ce moment là est devenu comme ma seule et unique identité. J’étais femelle avant d’être vivante,

j’ai été femelle avant d’avoir un prénom, j’étais un être hu-main de seconde catégorie, j’étais femelle.

Puis j’ai existé, je suis devenue petite fille, sans en adopter les codes, mais personne ne s’en souciait, en culotte ou en robe, camion ou poupée, j’étais au pire une petite fille intelligente et ambitieuse, j’aspirais à devenir mâle, mais ce n’est qu’un rêve d’enfant, d’enfant femelle.

Puis j’ai eu mes règles, un jour révolutionnaire pour mon évolution, je suis passé de fille, à femme. Je n’avais plus droit aux rêves d’enfant, je devais rejoindre mon rang, intégrer mon rôle de femme tunisienne et me fondre dans la masse des vénératrices du phallus le tout puis-sant.

A 14 ans, je suis tombée amoureuse, d’une femme, qui avait elle aussi su garder ses rêves d’enfants, apparem-ment. Il m’était lors, impossible de concevoir mon existence sans la comparaison permanente avec l’autre

genre. J’avais découvert l’amour, mais aussi, la frustra-tion, la haine, la jalousie, la peur, la solitude, ...bref, j’étais devenue adulte.

Aux fils des ans et des amours, j’ai renié ma féminité, me suis battue pour réaliser ce rêve d’enfant, graviter les échelons, mon cœur était mâle, il me fallait devenir homme.

L’ÉQUATION ÉTAIT SIMPLE, POUR AIMER LES FEMMES, IL FAUT ÊTRE HOMME, UN HOMME QUE JE N’ÉTAIS PAS, MAIS QUE PEUT ÊTRE JE POUVAIS DEVENIR. J’AVAIS COMPRIS LE DÉFAUT DE FABRICATION, MIS LE DOIGT DESSUS, IL SUFFISAIT DE QUELQUES PE-TITES RECTIFICATIONS. J’EN ÉTAIS HEUREUSE.

De Khouloud Mahdhaoui

Histoire personnelle

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Il m’a pas fallu longtemps pour recevoir le revers de mon heureux constat, “Tu es née femme et le restera” se sont écriées famille, morale sociale, lois et religion en chœurs.

“Mais comment puis je aimer les femmes alors?” “Tu ne les aimeras plus, c’est les hommes que tu aimeras.”

“Mais comment pourrais-je, ils rotent (comme moi), ils pètent (comme moi), ont des poils partout (un peu moins mais aussi), se grattent tout le temps l’entre jambes (j’y tenais), et n’ont même pas de seins (contrairement à moi)!!”

Ce jour là, j’ai réalisé que j’étais une femme qui aime les femmes, pour ce qu’elles sont dans leurs différences. Mais qu’avant tout, j’étais une femme. J’ai tout de suite rasé ma moustache et arrêté de me gratter l’entre jambe.

Du rêve d’enfant, je me suis vue basculer dans le cauche-mar adulte, celui d’être une femme tunisienne qui aime les femmes, une criminelle.

Une criminelle de l’amour, du désir? Je le serais!

J’ai remis en question tout ce que la société m’a incul-qué, ces cadeaux empoisonnés qui m’aliénaient, tels que le confort de l’héritage culturel, le concept de la famille, la virginité, le patriarcat, la fragilité féminine et la force masculine, le paradis, et même le couscous du dimanche.

Décidément, je les troque volontiers, je veux de l’amour, du sexe et du bon d’ailleurs!

Voilà plusieurs années maintenant que je suis criminelle, j’ai aimé des criminelles, évolué dans des sphères criminelles, me suis lié d’amitié à des criminelles, et enfin, trouvé ma criminelle. Celle dont le sourire dis-sipe tous les doutes et toutes les peurs. Dont le regard, aimant sera ma dernière demeure.

Mais je ne peux m’empêcher, quand au soir je m’endors dans les bras de mon aimée, de penser qu’un enfant qui naîtra aujourd’hui, au bout de presque trente ans et une révolution, sera, comme moi, femelle ou criminelle.

J’ai décidé d’être activiste.

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SHOW & TELL

Les paroles de Alyah Baker, co-propriétaire, transcrites par Q-zine, Photos de Mariam Armisen

UN CONCEPT STORE ET CENTRE CULTUREL AU CŒUR OAKLAND

Le concept de Show & Tell a été façonné par deux visions – le premier étant notre engagement à combiner l’éthique à la responsabilité sociale en ce qui concerne la façon dont nous sélection-

nons les marques pour la boutique, et deuxièmement par notre désir de soutenir l’économie locale et les artistes ici, à Oakland. Donc en quelques mots, le concept de Show & Tell est la responsabilité sociale qui soutient le travail des stylistes locaux.

L’élément social de ce que nous faisons est notre accent sur les groupes/communautés que nous ressentons sont sous-servi, sous-représentés, y compris les commu-nautés queer, les gens de couleurs (POC), les femmes,

et les organisations sans but lucratif travaillant avec les enfants parce que nous reconnaissons également le besoin d’appuyer ces associations.

L’art a également fait partie du concept depuis le début. Notre approche avec art et les artistes avec lesquels nous travaillons est similaire à la façon dont nous faisons la sélection des marchandises

pour la boutique - pour représenter qui nous sommes et ce que nous aimons. Ce qui est génial à Oakland c’est que c’est une ville artistique où les artistes se sentent à l’aise pour renter dans votre boutique et vous dire, “salut, je fais de l’art, serez-vous intéressée à faire sa promotion?”

Visite

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En ce qui concerne le prix des marchandises, nous essayons de garder tout au-dessous de $100 - le niveau de prix moyen est d’environ $30. C’est vrai-ment important pour nous d’offrir des marchandises qui sont accessibles à la grande majorité de la popu-lation de Oakland.

Contacts

Show & Tell1427 Broadway, Oakland, Californie

Heures ouvrables: Lundi et mardi: 12h à 18h Mercredi à vendredi : 12h00 à 19h00 Samedi: 13h00 à 18h00

Tel: (+1) 510-463-4964Site Internet: showandtelloakland.com

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HISTOIRES DE NOS VIES (ET LE CHOIX DE RACONTER NOS PROPRES HISTOIRES) Un entretien avec The NEST par

OurSpaceIsLove & Q-zine Photos de The NEST

Q: Parlez-nous de The NEST, qui sont les personnes qui le constituent et de quand date sa création.

The NEST est une communauté d’artistes et de publics intéressés par une pensée alternative, mais aussi un collectif de production musicale, cinématographique et théâtrale. Il existait en tant qu’espace virtuel bien avant que nous ayons des bureaux à la fin 2012 (nous avons eu 2 ans cette année!), cofondé par George Gachara(producteur exécutif de films) et Jim Chuchu (réalisateur de films). Le noyau de l’équipe de production com-prend 10 créatifs pluridisciplinaires.

Q: Cela change de voir que des Kenyans produisentce film – mais aussi qu’il s’agit de votre propre

communauté queer avec le soutien financier d’une fondation africaine, tellement de premières… Parlez- nous du choix de représenter votre propre communauté sous cet angle. Pourquoi maintenant? Pourquoi ce film?

Nous considérons ce film comme un travail créatif qui vise à s’opposer aux

sentiments anti-homosexuels généra-lisés qui remplissent les media mains-tream. Ces histoires - où les individus LGBTIQ sont diabolisés, victimisés ou réduits à des initiales qui représentent “les populations clés” dans les rapports d’ONG - sont incroyablement déshu-manisantes. Une tactique très com-munément répandue est de présenter les problèmes LGBTIQ comme “importés de l’Occident”, alors que toutes nos expériences vécues et tout ce que nous avons appris dans notre projet de docu-mentation réfutent cette idée. Les per-sonnes LGBTIQ africaines – plus par-ticulièrement kenyanes dans Histoires de nos vies - naissent, vivent, aiment et existent dans les mêmes espaces que tous les autres africains et kenyans.

Nous voulions parler des histoires queer au Kenya qui sont rarement entendues et souvent ignorées. Nous étions aussi conscients que les rassembler et les diffuser par des africains, pour des afri-cains, était essentiel. Après avoir archivé plus de 250 histoires individuelles venant de villes ou de villages partout au Kenya, développé des scripts, et produit plusieurs courts-métrages, nous avions un film. Nous avons eu un chaleureux

Q & R

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succès à la première mondiale lors du Festival de Film International de Toronto, et nous avons présenté le film au Kenya lors d’une évaluation formelle pour valider sa diffusion. Le Comité national d’évaluation des films l’a classé comme “interdit”, interdisant donc sa diffusion publique ou privée, sa vente ou sa distribution dans sa forme actuelle au Kenya.

Depuis, des questions sur les limites imposées à la liberté d’expression et de conscience ont été soulevées, notam-ment par le fait que le mandat du Comité est de “sauve-garder les normes et valeurs nationales”, mais celui du Ministère des Sports, de la Culture et des Arts est de “contribuer au développement national à travers la pro-motion et l’exploitation de la culture diverse du Kenya pour une coexistence pacifique.” Ces deux mandats para-issent en désaccord. Récemment, le Département des services cinématographiques ont lancé des procédures judiciaires contre nous pour avoir tourné le film sans au-torisation.

Parallèlement, nous travaillons sur d’autres créations à partir de ce projet – nous avons rassemblé énormément d’histoires fascinantes, et les 5 court-métrages qui cons-tituent le film n’en reprennent que quelques-unes. Nous sommes incroyablement reconnaissants envers OSIEA, qui a soutenu la collecte et l’archivage de l’histoire origi-

nale, et UHAI-EASHRI qui a supporté la production du film, qui a cru en nous et qui a été fondamental dans cette aventure.

Q: Comment avez-vous choisi les histoiresà inclure dans le film? Comment cela a influencé la mise en scène? Quel a été le choix de montage en général?

Les histoires qui se sont retrouvées dans le film étaient tout simplement super, incroyablement visuelles quand on nous les a racontées, donc leur évolution en film s’est faite naturellement. Nous avons tourné chaque film quand le script était prêt, et nous étions au montage et à la post-production de certaines histoires quand nous en tournions d’autres. L’écriture et le tournage étant réalisés simultanément, nous étions influencés par des évène-ments actuels liés à l’expérience queer tout au long du processus - comme ce qu’il se passait dans les pays voi-sins que sont l’Ouganda et le Nigéria.

Q: Le thème de la publication visent à aborder le sujet de l’amour en tant que pratique révolutionnaire – qu’est-ce que le terme “amour révolutionnaire” signi-

fie pour vous (s’il signifie quelque chose)?

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Q: Quelle est la suite pour The NEST?

Nous travaillons actuellement sur “Visa”, qui est un projet de recherche explorant les rela-

tions complexes qu’ont les africains avec le visa, ce que les africains doivent être, faire et prouver pour obtenir des visas, et ce que les différents visas signifient pour différentes personnes. Nous sommes super contents de travailler là-dessus! Nous sommes également en train de nous engager sur un travail de design et nous audition-nons pour un film sur la mode.

Vous pouvez suivre le projet, Histoires de nos vies sur www.storiesofourlives.org et en savoir plus sur The NEST sur www.becauseartislife.org.

Quel beau sujet pour une publication! J’imagine que pour nous un amour révolutionnaire est un amour bouge-toi-et-fais-quelque chose. L’amour qui rend un peu plus simple le changement des mentalités dans ce qui nous réprime. L’amour qui nous rend plus courageux et plus forts et nous poussent plus près de la vérité. L’amour qui nous aide à voir que les gens sont tous égaux, derrière toutes les politiques et le bruit.

Q: Que souhaitez-vous que l’on retienne de votre film?

En tant que collectif The NEST, nous pensons que les kenyans et les africains - comme tous les êtres humains - ont des identités, des histoires et des aspi-rations multiples et complexes. Nous pensons qu’il est important de représenter ces complexités pour défier les mouvements anti-intellectuels, anti-minorités, extrémis-tes religieux, simplistes, puritains, révisionnistes et con-formistes qui balayent notre pays et notre continent.

Donc - pour nous - ce film est un moyen de se battre ouvertement pour le droit des africains d’avoir différentes opinions, différentes visions du monde, différentes iden-tités et rêves - et pour que toutes ces identités multi-ples coexistent. Nous avons réalisé ce film parce que nous croyons fermement que le combat pour le droit de choisir son identité, le droit d’être complexe et différent et unique, devrait être défendu fièrement et ouvertement.

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Son corps puait la faim. Je pouvais le sentir même lorsqu’elle riait de son rire fragile, c’était là tapis derrière ses dents, le rire sortait pour masquer un hurlement.

Personne ne comprenait ce qui m’avait attiré chez cette étrange inconnue qui était apparue un beau jour dans notre rade. C’était peut-être l’adorable espace entre ses dents, ou la cheville délicate que je fis sauter entre l’Eldoret Express et la piste. Ou alors ses yeux, la façon dont ils descendent près des pom-mettes, coiffés d’ailes sans plume tels les squelettes de deux grues sœurs jumelles. Peut-être était-ce sa manière de croiser les jambes en s’asseyant dessus, comment son corps formait des nœuds en perma-nence. Comment je vivais pour la dénouer.

Certaines nuits je me réveille, convaincue d’avoir trouvé : Bas ! C’est ses cheveux, je crie dans le noir.

C’est cela qui m’a attiré en premier. Ca n’a pu être que cela. Ces boucles impossibles suppliantes d’être enroulées autour de doigts curieux, la manière dont

De Alexis Teyie & Peinture de Roseline Olang Odhiambo

LA VOIX S’EN VA EN PREMIER

Fiction

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elles reprenaient leur forme, peu importe le nombre fois où je les tirais. Qu’il y ait de telles choses sur terre, ah! Les petites boules frisées à l’arrière de son crâne, sa manière de frémir quand je passais la main dessus. La sensation de duvet contre ma joue les matins où nous restions au lit ? Alhamdulillah. Elle n’était pas comme les autres femmes de l’époque. Aucune patience pour les rajouts et les extensions et les nattes Darling et tout le reste. D’ailleurs, cela me donnait des rougeurs. C’est amusant, en considérant cela, que notre première rencontre ait eu lieu dans un salon de coiffure.

C’était l’un de ces vibanda avec un toit de mabati et des murs tordus comme s’ils fondaient sous la chaleur accumulée des six sèche-cheveux rouge fabriqués en

Chine. Mama Jemo’s Hot Stylez, Salon and Kinyozi. Dehors, les murs étaient recouverts d’affiches de campagne de la dernière élection et à l’intérieur, il y avait dessus différentes coupes de cheveux dessinées au fusain. Certains trouvaient qu’il ne faisait pas si chaud dedans, mais c’est parce que Mama Jemo était cool tu vois, elle laissait certains d’entre nous jouer au billard dans la pièce d’à côté, même après le couvre-feu. Parfois elle nous servait un peu de la chang’aa qu’elle récupérait lors de ses petits boulots, on était content d’avoir de l’alcool gratis. On aurait préféré de la Tusker si on avait pu, pour la simple raison que ça nous mettait une cuite, et puis… Tu pouvais te prendre pour un riche pendant un mo-ment… Enfin bon, je préférais les bières locales. Je sentais la chaleur partout en moi et c’était assez comique, nous tous assis autours d’un jerrycan sale, buvant ce sale truc, toussant, rigolant en pensant que la vie n’était pas si mauvaise.

C’est sûrement pour cela que je trainais autant là-bas, même lorsque nous n’ étions plus tous dans les mêmes classes. Pas mal d’entre eux sont partis; différents

endroits, différentes raisons. Les garçons voulaient se faire de l’argent, pouvoir se payer de la Tusker, j’imagine. Les filles elles, elles se faisaient embobinertombaient enceintes, toujours la même histoire (trop de Tusker gratuites, j’imagine). Je restais assise là, tranquille, fumant tout ce que je pouvais me faire offrir. J’écoutais toutes leurs histoires, hochait de la tête, faisant “mmh mmh” quand c’était nécessaire, je m’occupais de leurs affaires quand j’étais certaine que les flics s’étaient fait graisser la pâte pour aller se mettre une cuite. Ça me donnait l’impression d’être occupée, tu sais? C’était plein de vie dehors en face du boucher et du salon de Mama Jemo. Je veux dire, on m’invitait à beaucoup de harambees et autres, collectes de fonds pour un mariage, un diplôme, une naissance, une nouvelle maison, etc. Principale-ment des enterrements, toutefois.

Ce jour là, j’avais récolté quelques shillings pour un repas et la moitié d’une cigarette. Je m’étais dit que j’irai dire bonjour à la tailleuse devant le salon de Mama Jemo. J’avais entendu que son autre gamin s’était fait renverser sur une autoroute. J’étais pas vraiment étonnée qu’elle était revenue si vite après avoir enterré Boi, faut gagner son pain, eh. Au de-meurant, peu de choses sont aussi apaisantes que le bourdonnement serein que font les Singers, cra-chant des vêtements à partir de morceaux de tissusen vrac. Et puis, je crois que j’aimais observer-les femmes dans le salon essayant de deviner les numéros correspondant à leurs cheveux à partir de la nomenclature bizarre au dos de certains calen-driers de 91.

Et là, je la vis.

La plus adorable dhira que j’avais jamais vu sur une femme, comme un saule fait de batik-- tout son visage dans ses yeux, ses yeux noirs et brillants. Elle était terriiiiiible, jo. La première chose qu’elle m’ait dite alors que j’étais hésitante à l’entrée du salon- bien que je trainais ici depuis mes 12 ans, fût, c’est meilleur que la daube de Linnaeus, si ndio?

Ati quoi?

Amène ces frites à l’intérieur, on partage.

Je l’ai fixée, confuse, jusqu’à ce que je me souvienne

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des frites huileuses imbibant le papier journal et chauffant la paume de mes mains. Sans un mot, je me suis avancée et je lui ai tendu un cure-dent et le kachumbari qui allait avec. Je me suis accroupiedans le coin, contre le bac à shampoing, le nez rempli de l’odeur de cheveux brûlants. Bien que cela me démangeait de me rapprocher, je la regardais à la dérobée tandis qu’elle mangeait: piquer frite, examiner, secouer l’excès d’huile, mastiquer, avaler, répéter.

Est-ce que tu vas me demander mon nom ama? Tu nourris les étrangères de tout le bidonville?

Seulement celles qui pensent que les systèmes de classification des cheveux sont meilleurs que la nomenclature par paires.

Elle ria. Vraiment elle ria. Dents, cils, narines et tout le reste.

Je la regardais calée entre les cuisses de la coiffeuse, sur l’un de ces tabourets à trois pieds, le cou exagéré-ment penché tandis que ses cheveux étaient peignés de manière à les rendre présentables. Je ne pus pr-esque plus respirer en regardant la profonde cou-pure derrière son oreille, comme une machine d’un autre monde lui permettant d’écouter les fréquences humaines et tout le reste. Je comptais combien, elle avait de bracelets dorés sur ses poignets, le nombre de fois qu’elle serra et desserra le poing.

Dans tous les comptes-rendus d’évènements trauma-tiques, comme le bombardement de 1998, les gens parlent toujours des choses les plus insignifiantes: de quelle couleur étaient leurs sous-vêtements ce jour-là, quelle chanson était entrain de passer dans le matatu, combien leur a coûté le petit-déjeuner, etc. : Pas de sous-vêtement. Pas dans un matatu mais dans le bar en face du salon, Boomba Train, E-sir. 30 bob pour les frites, 20 pour les 4 œufs durs que j’avais donné à la tailleuse, 50 cents pour une demi-cigarette. Comment dire à une femme dont je ne connais même pas le nom, tu es le rail sinueux, et je suis le train prêt à dérailler ? Comment dire, moi, cette femme là, désormais elle te suivra n’importe où? Et que c’est la seule chose que je pourrais désor-mais dire à qui que ce soit.

Avant que je ne puisse entrouvrir mes lèvres, Mama Frites pencha la tête, We! Unataka saucisse? Ni nya-ma ya ng’ombe haki. Wallahi, moi ces ânes je les laisse pour les saoulards d’à coté. Eheh. Alors…?

Pour ton amie warria ? Je n’ai pas miraa lakini…

Je me retourne à la façon dont elle dit “amie”, Ati?

Mmhm ushas’kia. Moi je suis vieille. Je connais tout ça eh. T’inquiète pas, tu viens de la famille de mon mari. Prends un sambusa et nous ferons comme si c’était le premier jour de notre vie.

L’ étrange fille se dressa d’un coup, une partie de ses cheveux pas encore finie. Comment pourrais-je oublier la façon dont elle déclara, Tantine, à notre tour un peu de voir les choses, si ndio ?

Ça ne m’a jamais paru étrange qu’elle rentra à la maison avec moi, et qu’elle y resta.

Quand j’essaie de me rappeler cette période, ca m’ap-paraît comme une seule longue journée. Chaquechose était si riche, tout était si chargé. Un peu comme si la vie à l’état brute des générations passées coulait filtrée directement sur nous. Le cœur remplipar les vêtements, la musique, les séries télé, la femme, je laissais aux célébrités à la radio touts les débats à propos des droits, des disparus et des livres interdits. Elle, elle restait informée cependant: les immigrants, les plaintes sur la frontière devenant poreuse, les rumeurs de massacres ethniques. Et pourtant, dès que Babyface ou Timberlake passaientou même Awilo, on prétendait ne rien savoir de toutes ces clameurs, de comment ton nom de famille pouvait être un bouclier ou une cible et de toutes les personnes retenant leur souffle. C’était bien que la vie soit livrée en sachets à l’époque, hey: le Fair & Lovely que toutes les femmes utilisaient pour se blanchir; les préservatifs Trust dans toutes les duka après les publicités je una yako; le Royco Mchuzi Mix pour invoquer jusqu’à l’esprit de la viande dans le sukumawiki; et l’alcool sans marque dont on s’imbibait pour s’empêcher de sombrer complètement en soi-même.

Je m’ étais confessée une fois, on dirait que tout ressemble à des oiseaux que je poursuis dans une pièce haute de plafond, essayant de les attraper, essayant de les faire chanter. Il y a des jours, tout ce que je trouve à l’intérieur de mes mains, c’est des plumes orange brillantes.

Elle soupira. Avec tous ces stupides livres de blancs que tu lis. Tu n’étais pas faite pour cette vie là, mami.

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Siste, je ne vaux pas mieux que quiconque ici.

Elle ria et prit une autre taffe.

Certains jours, en particulier lorsqu’il y avait une coupure de courant, nous priions pour qu’il pleuve, cachées sous ces moustiquaires bleues qu’ils donnaient à la clinique, essayant de rapper au rythme des gouttes d’eau s’abattant sur le toit de mabati: Plic.Si.ploc.des.plic.averses.ploc.de.plic.chagrin.ploc.tombaient.plicplicplic.comme.plic.des.ploc.flèches.plic.le.ploc.voyageur.plic.solitaire.ploc.se.plic.parlerait.ploc.à. plic.lui-même.ploc.

On dit que quand on perd quelqu’un, le son de la voix s’en va en premier. Bien que maintenant je sois mariée, je dévore toujours des yeux les femmes qui fument, imaginant leurs voix rocailleuses. Aucune de ces voix n’a jamais eu cette pointe piquante sur la fin qu’avait la sienne, cette menace silencieuse d’un hurlement aigu. Il n’y a qu’une certaine manière de vivre pour abimer la voix comme cela. Certaines nuits quand je n’arrive pas à dormir, je m’étends sur le tapis ; je me repasse son rire dans ma tête. Chaque nuit il varie. La nuit dernière, il était rauque, hési-tant, comme si elle n’était pas sûre que la vie soit aussi marrante qu‘on l’écrit dans les livres. Je me réveille en m’étouffant avec la cendre volcanique rouge en provenance du vieux quartier. Je tâtonne vers le mince poignet, et ressens la brûlure habitu-elle. J’hurle à la lune:

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Prétentieux de ma partDe prédire Un changement dans la direction du ventOu une étincelle dans l’œil d’un Dieu inconnaissableL’amour sera notre refuge, notre Mabati

Ils disent que les gens font des plansEt Dieu ritMais je vais t’aimer comme un Sigiri en saison plu-vieuseComme une tasse de thé chaudComme le vieil arbre MuvuleSous lequel mon grand-pèreA fait la promesse à mon KaakaDe l’aimer éternellement.

Rivières qui rugissaient avant l’époque de nos parentsSont maintenant endiguées pour fournir de l’électricitéAmpoules ont remplacé les lampes-tempêteEt les enfants grandissent en oubliant leur langue mater-nelleNous vivons sans aucune garantie.Peu de gens dans ce mondePeuvent tenir dans leurs mainsUne chose d’aussi certaine et chaude comme le soleil

Très peu de gens, mon amour, peuvent regarder leur vieEt rêver d’être aussi chanceuse.

1 Toit de tôle

2 Poêle à charbon

De Kampire Bahana & Photo de Darlyne Komukama

À KIRABO ET GRACE Poème

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RESSENTIR L’IMAGEUn entretien entre Kalfou Danjé et Chloé, ou GPhOZ, Photographe, musicienne

KALFOU DANJÉ: QU’EST-CE QUI T’AS AMENÉE À LA PHOTO?

GPhOZ: Je pense toujours avoir été mordue d’images. Ne serait ce que dans la vie de tous les jours mon regard se pose continuellement sur des détails qui passent inaperçus normalement mais tout ça me passionne. Le geste particulier d’une personne, une luminosité, un regard, la forme d’un corps... Mais bon, souvent toutes ces envies de capture sont frus-trées par le droit à l’image.

KD: TON APPAREIL EST-IL UN COMPAGNON DE TOUJOURS OU ALORS TU SORS ET T’ORGANISES SPÉCIALEMENT POUR FAIRE DES PHOTOS?

GPhOZ: C’est rare que je prenne en photos des

modèles vivants. Quand c’est le cas, il n’y a pas forcé-ment de lien particulier. Le lien qu’il y a à voir est perceptible en prenant le temps de ressentir l’image. Ceci étant dit je reste la gardienne de ces secrets. Je me souviens de tous les instants, toutes les occasions, des regards et des émotions que j’ai pu ressentir à chaque prise de vue. C’est un journal de souvenirs.

KD: EST-CE QU’UN LIEN PARTICULIER T’UNIT À TES MODÈLES?

GPhOZ: La majeure partie des photos que j’ai faites jusqu’à présent je les ai capturé quand je vivais encore en Martinique. Je me sentais bien inspirée là bas… J’ai du mal avec la lumière d’ici (France). J’ai moins le temps et c’est vrai que mon idéal aurait été de pouvoir saisir tout ce qui attire mon regard mais la loi dit qu’une personne à un droit à l’image et ici

Q & R

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c’est les corps que je voudrais photographier, à l’improviste, mais ce n’est juridiquement pas possible. Mais je ne lâche pas l’affaire.

KD: QU’EST-CE-QUE SIGNIFIE LE GROS PLAN DANS TON TRAVAIL?

GPhOZ: Je n’avais pas fait attention au fait que je fais pas mal de prises en gros plan (rires) du coup je ne sais pas trop quoi dire. Sans doute pour cibler les choses. Pour être sûre que ceux celles qui observent en arrive à une même conclusion. En fait le gros plan montre ma façon de focaliser pendant ces cours instants où mon esprit bug sur ces fameux détails.

KD: TU PEUX NOUS DIRE AUSSI UN MOT SUR CERTAINES DES PHOTOS CHOISIES?

GPhOZ: O580: Cette photo vient d’une série d’autoportrait avec un jeu de miroir.... ça m’est venu en croisant mon regard et un appareil photo entre les mains. L’idée m’a prise. C’était l’occasion d’expri-mer la schizophrénie à laquelle je devais me sou-mette quand je vivais avec mes parents, les troubles qui m’animaient.

1322: Cette main j’aurais dû la saisir.

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La première fois que vous découvrez que les mains se sentent et se font sentir est la première fois que vous tombez en amour. Quand toute votre existence est

perturbée par une touche, lorsque vos frissons tout le corps lors d’une rencontre qui touche par-ticulière, lorsque tous vos futurs souvenirs sont construits sur un particulier vôtre de réunion de la main, vous savez que cela est amour. Indépen-damment de la couleur de la peau, quel que soit le goût de la musique et toutes les confitures que nous avons sur l’esprit de la personne que nous pourrions obtenir avec, et quel que soit le sexe, les salutations et les regards parlés révèle tout. En tant que fille, ma première rencontre avec ce sentiment a été lorsque vous touchez les mains d’une autre fille, quand l’odeur de ses cheveuxet le parfum, quand ses détails imparfaits res-semblaient à la perfection pour moi. Et à ce moment-là tout ce que je pouvais penser est que tout cela sentait normale et confortable, aussi à l’aise et heureux que tous les amateurs puissent paraître, serein comme une brise d’été. Sen-tant ce naturel avec une fille m’a fait croire que, après tout, l’amour n’a pas de sexe. Je n’y ai ja-mais pensé que cela arriverait jusqu’à ce qu’il soit arrivé, et quand il est arrivé il est passé en moi un sentiment de responsabilité et de conscience que les êtres humains ne doivent pas être con-

damnés à sentir tout ce sentiment qu’ils arrivent à vivre aussi longtemps qu’il est agrémenté d’un sens de liberté, de responsabilité et d’honnêteté. Par conséquent, vous n’aurez jamais de honte lorsque l’on constate une relation différente ou un type d’amour différent de l’amour commun. Et une fois que vous arrivez à le sentir, vous ne pourrez pas prétendre ne pas avoir senti et commencé à vous et votre droit à plus de liberté défendre. L’amour a toujours été lié à la liberté, et la liberté est un combat responsable des droits. Mais comment pouvons-nous nous battre pour nos droits?

Écrit à ce sujet, il danse, filmer, chanter, négoci-ation il, salles de réunions, l’échange d’informa-tions, Manifestation, Exprimant dans un milieu conformiste, d’informer et de laisser les gens savent qui vous êtes vraiment, ya toutes sortes ou de la résistance contre le patriarcat, contre mi-sogynie, contre la censure et les différents types d’oppression religieuse et l’hégémonie gouver-nementale et sociale.

Ainsi, l’amour est un lien naturel qui doit être défendu pour toute sa puissance et sa gloire, car il est vrai et authentique, car il est le sentiment suprême qui pourrait lier deux êtres humains, indépendamment de leur sexe. Amour, donc, n’a pas de genre.

L’AMOUR EST SANS

GENREDe Rania Bennaceur

& Photo de Oumeyma Miladi

Opinion

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AMOUR ET ART DANS LES RUES

“Les murs sont les éditeurs des pauvres” - Eduardo Galeano

Par inclinaison, par le choix de vocation militante féministe nomade, ou peut-être même par hasard j’ai fini par être une voyageuse. La vie m’a donnée l’opportunité de visiter 48 pays à ce jour, pour aller plus loin dans la vie, à la découverte de paysages et zones géographiques et recoins de notre humanité.

Quand nous avons commencé le blog OurSpaceisLove, j’ai commencé à prendre des photos d’expressions de l’amour dans les rues lors de mes déplacements à travers le monde, y compris dans des espaces d’activisme ou simplement dans des recoins de rues. Quand vous entraînez vos yeux à voir, à chercher quelque chose, bientôt vous vous rendez compte qu’elle est partout. Cela est certainement vrai pour l’amour. Les gens expriment l’amour partout où ils trouvent un endroit pour inscrire leur souhait, le désir et la joie de faire partie d’un «nous».

Les photos ici ont été prises à Tunis, Beyrouth, Londres, Nairobi, Istanbul, Fort Portal, Friesland et Paris.

One Love.

De Jessica Horn

Photographie

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Je me souviens : Je garde encore beaucoup de souvenirs de nous, de notre petite famille. Mais j’ai très peu de moments d’amour en moi, où nous avons partagé cette chaleur familiale, où

nous avons manifesté que nous nous aimions avant que la mort nous fasse perdre nos raisons. Lorsque je replonge dans ces souvenirs, alors que j’avais environ 10 ans, il est très complexe de décrire notre relation familiale.

PENSÉES : JE ME SOUVIENS…

Je me souviens: Nous étions comme cette famille nucléaire traditionnelle locale vivant des principes et des valeurs de vie qui tournaient autour du res-pect du droit d’aînesse, la politesse, l’obéissance absolue aux géniteurs, et sans oublier ramener de bonnes notes scolaires à la maison.

Je me souviens: Nous avions très peu de moments de communion où nous partagions cet amour

Histoire personnelle

De Stéphane Ségara

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entre parents et enfants. Il ne nous était pas permis d’exprimer nos sentiments. D’un accord tacite, nous devions ravaler ces sentiments, nous ne devions pas les extérioriser.

Je me souviens: Ma mère qui était très timide et assez sensible, essayait de donner une chaleur mais très sommaire. Elle avait sa façon à elle d’aimer mais que nous ne comprenions pas toujours, que nous trouvons trop distante. Pendant la période de sa longue maladie, qui l’emportera, je ne savais comment lui exprimer mes peines. Je feignais l’in-différent pas que je n’étais pas soucieux de son état mais par peur que mes sentiments ne soient sévère-ment réprimés. Par moment, lorsque Maman faisait des crises d’évanouissement, je me retirais derrière la maison et je pleurais tout seul, puis je revenais le visage souriant pour ne pas laisser transparaitre un quelconque sentiment.

Je me souviens: Mon père était très rigoureux, voire sévère dans sa manière de faire les choses.

Il ne tolérait aucun écart de comportement. Par conséquent, nous étions très distants de lui et nos relations se limitaient à la simple présentation des notes scolaires. Cependant, son attitude s’atténuera avec la maladie puis le décès de ma mère. Mais je pense qu’il était déjà tard pour nous, ou alors qu’il a eu très peu de temps pour construire «notre amour.»

Je me souviens: Durant la maladie de Maman, je ne lui tenais pas très souvent compagnie pour ne pas toujours m’apitoyer. Un jour, pendant qu’elle était allongée seule sur le canapé du salon, elle m’ appe-la pour venir lui tenir compagnie et me demander de lui raconter une anecdote, ce que je savais bien faire avec mes amis. Elle me connaissait bien ma mère… Par timidité, et par honte de parler de ce que je ressentais en la voyant si amaigrie et affaiblie par la maladie, je n’ai rien pu lui dire, je suis resté là à la regarder. Et c’était notre dernier échange privé jusqu’à son décès quelques semaine plus tard.

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Je me souviens: Ma mère est décédée et c’est mon père qui m’a annoncé son décès. Il m’a in-terdit formellement de laisser transparaitre une quelconque larme, car personne ne devait me

voir pleurer. Je devais rester « exemplaire et coura-geux » aux yeux de ma sœur. Et je n’ai pas pleuré publiquement, je n’ai pas exprimé de douleur pub-liquement même si tous les regards étaient sur moi pendant les obsèques, comme si le monde attendait justement une larme de moi. Je me souviensencore.

Je me souviens: Le jour où nous commémorions le premier anniversaire du décès de ma mère, mon père a piqué une grave crise où il délirait énormé-ment. Il ne s’en remettra jamais et mourra une semaine plus tard. Avec beaucoup de recul, je me rends compte combien mon père était rongé par le décès de ma mère et n’avait jamais fait le deuil au point de se laisser détruire par l’alcool. Il n’a jamais exprimé un quelconque sentiment et ne semblait jamais triste. Il était « courageux et exemplaire ».

Je me souviens: Dans cette culture d’éviter d’expri-mer mes sentiments, aux obsèques de mon père, je n’ai pas pleuré. Personne ne m’interdisait rien, mais je me suis interdit de parler de ma douleur. Mon père est mort lorsque j’avais 12ans.

Je souviens: Il me revient encore qu’en si peu de temps passé ensemble, il ne m’est resté aucun souvenir d’un profond sentiment exprimé au sein de notre famille. Je n’ai pas le souvenir que

l’on s’aimait même si j’ai le sentiment que c’est le cas.Je me souviens : Aujourd’hui encore, j’ai du mal à partager des sentiments, j’ai honte d’avoir des senti-ments, il m’arrive même d’avoir honte d’aimer. Il est vrai que j’ai eu le temps de reconstruire beaucoup de choses, mais il est des expressions qui s’acquièrent très tôt et qui nous suivent tout au long de notre vie. C’est ma certitude. Avec ma sœur, rien ne nous empêche de nous parler de nos sentiments, mais nous n’avons pas ce courage, nous n’avons pas cette belle éducation. J’ai compris alors qu’aimer est une chose, exprimer son amour en est une autre…

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C’EST UNE FILLE

Je ne sais pas vraiment par où commencer... Mais je pense qu’il est préférable que je com-mence avec mes souvenirs des

premières fois que j’ai été attirée par une fille. Je viens d’une famille tunisienne moyenne conservatrice. Ma mère et ma sœur sont voilées et mon frère est un homme religieux. Jusqu’à ce premier frisson quand mon amour de lycée m’a tenu par la taille, je n’avais jamais pensé que je pourrais être une lesbienne.

Personne ne m’ en a jamais parlée.

J’ai eu ma première relation amou-reuse lorsque j’avais 13 ou 14 ans non pas parce que je me sen-tais particulièrement attirée par quelqu’un mais parce que tous mes ami(e)s se mettaient en couple et je pensais qu’il était temps que je leur emboîte le pas. Cela a duré environ deux ans. Je ne m’en souviens pas spécialement, ni des garçons avec lesquels j’étais ; sauf le souvenir de mon premier baiser. Dire que j’étais déçue serait un euphémisme. J’étais dégoutée et avais presque

A de Chouf & Photo de Oumeyma Miladi

vomi sur le chemin de retour. Les choses se sont un peu améliorées après ce premier incident, mais l’intimité (avec les garçons que je fréquentais) n’avait jamais été par-ticulièrement agréable pour moi. Mon corps ne répondait tout sim-plement pas. Maintenant que j’y pense, je trouve étrange que cela ne me dérangeait pas. Mais à l’époque ça ne l’était pas. J’avais une famille instable et étais complètement absorbée par mes études donc je ne m’étais jamais posée la question...

Comme je l’ai dit, cela a duré pen-dant des années ... Tout a changé au cours de ma deuxième année au lycée. C’était pendant cette période que je compris enfin ce que mon corps avait toujours su. Cette année je commençai à remarquer un groupe de filles. Deux d’entre elles ont défié toute ma conception de ce à quoi une fille devrait ressembler. Elles étaient des garçons manqués et désordon-nées, mais je trouvais l’une d’elles extrêmement attirante. Lorsque je posais des questions à leur sujet à

mes ami(e)s, ils me dirent qu’elles étaient un groupe de lesbiennes.

Le mot ne me disait rien du tout. Je l’avais seulement entendu vaguement auparavant et toujo-urs comme quelque chose de sale et immonde. Dans ma famille, le mot n’avait jamais été prononcé. Au sein de mon cercle d’amis de l’époque (qui était aussi conserva-teur que ma famille) le sujet a été rarement soulevé et quand ça l’était, comme tout autre tabou, nous en avions vaguement parlé dans une atmosphère de culpabilité terrible. J’avais presque 16 ans à l’époque. Mais j’avais vécu toutes mes années précédentes dans une coquille.

Histoire personnelle

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Cela m’a rendu prude et frileuse. Bref, revenons à elle...

Dans le but de protéger son identité, je l’appellerais Sara (bien que ce ne soit pas son vrai nom). Je sais que cela semble si typique, mais du moment où je l’ai vue, cette fille ne quitta plus mon esprit. Au début, je ne pouvais même pas me l’avouer. Mais plus j’y pensais, plus je réa-lisais que je voulais désespérément me rapprocher d’elle... Pourtant j’avais peur et elle semblait si inaccessible. Je commençai à écouter de la musique que les filles chan-taient à propos des autres filles. Je commençai à regarderdes films sur les filles qui aiment les filles et en souff-raient et je pleurais à chaudes larmes à chaque fois. J’en-trais littéralement dans un nouveau monde, mais je fais-ais le voyage seule. Personne d’autre ne le savait. Je n’avais personne à qui en parler. Mais avec le temps, j’eu un peu plus de courage. Je la regardai et souris! Je sais que cela semble banal, mais à l’époque, c’était un grand pas pour moi. Et elle sourit en retour.

Elle vint me voir un jour et commença une conversation. Avant cet instant, je n’ai jamais ressenti une confusion si intense. Je du ressembler à une idiote! Mais elle me parla encore... et encore... et je devins plus confortable et plus confiante, et nous devenions proches.

C’était quelques-uns des plus beaux jours de ma vie. Mais aussi certains des plus difficiles. J’ai ri comme un enfant quand nous étions ensem-ble. Mon cœur sautait presque de ma poitrine

lorsqu’elle me disait des choses douces. C’était aussi la période où j’avais commencé à ressentir le fameux «dé-sir sexuel» dont j’avais toujours entendu parler mais que je n’avais jamais ressenti envers aucun de mes ex-petits amis. Elle m’a aidé à m’épanouir comme une fleur. Main-tenant, en regardant en arrière, je peux même dire qu’elle m’a amené à me découvrir. Elle a également été celle qui m’a donné le courage d’explorer les désirs et les besoins de mon corps. Lorsqu’elle m’embrassa pour la première fois, j’avais senti des papillons dans des endroits que je n’avais jamais ressentis auparavant. Et lorsque nous avions fait l’amour pour la première fois (aussi maladroit et juvénile que c’était) j’eus l’impression de flotter sur un nuage.

Rien ne pouvait être comparé au bonheur d’être dans ses bras. Elle était mon premier amour... et comme les ru-meurs autour de moi commençaient à se répandre et que j’avais perdu la plupart de mes amis conservateurs (rien de dramatique. Ils avaient juste arrêté de me demanderde passer du temps avec eux et j’avais compris), elle devint mon monde. C’est alors que la double vie que je mène encore démarra. À la maison, j’étais encore la bonne fille, la bonne sœur. Personne ne soupçonnait rien. Et pour que ça continue ainsi, mentir à ma mère dû devenir une seconde nature pour moi. Ma mère est une ménagère traditionnelle dans la cinquantaine qui a eu une éducation très modeste, se maria tôt, et a passé

toute sa vie à adorer Allah. Savoir ce qu’est devenu sa fille briserait son monde. Et ce n’est pas une exagération. Pen-dant toutes ces années, la pensée qu’elle le découvre était l’un de mes pires craintes. J’ai 22 ans maintenant, et ça me fait encore peur.

Quant à mon histoire d’amour, les problèmes commencèrent au cours de ma dernière année au lycée pendant que je me préparais pour l’examen du baccalauréat. C’était une

année tellement difficile. Je m’endormais presque tous les soirs en pleurant. Lorsque nous nous disputâmes et rompîmes, j’étais complètement seule. La plupart de mes nouveaux ami(e)s étaient les siens à l’origine et donc ils s’étaient rangés de son côté bien que j’étais celle qui eut le cœur brisé. Dans mon désespoir, je voulais juste ter-miner l’année et partir de ma ville natale. Et je l’ai fait.

Je déménageai à la capitale. Ma première année à l’uni-versité n’était rien de ce que j’espérais. J’eus encore de la difficulté à me faire des amis et j’avais peur de m’ouvrir à eux lorsque je m’en faisais. Plus on vieillit, plus faire confiance aux gens devient de plus en plus difficile. Peut-être que c’était parce que je venais de déménager dans un endroit où je ne connaissais personne, ou parce que mon cœur venait juste d’être brisé par la seule personne que j’avais jamais aimé, ou peut-être que je commençais à m’habituer à ma solitude... Le truc c’est que j’eu une dé-pression cette année. J’eus des pensées suicidaires et je réussi à peine à me frayer un chemin à travers. L’espoir que les choses pourraient aller mieux était ce qui m’avait permis de m’ en sortir.

Je commençai un blog cet été. Cela m’a aidé à me faire de nouveaux amis LGBT à l’étranger qui m’aidèrent pendant ma dépression. J’avais également réussi à recommencer à sortir avec d’autres personnes, mais je n’ai rencontré personne de vraiment spécial. Ma deuxième année a l’université, je rencontrai la jeune fille qui allait devenir et est toujours ma meilleur amie. Son surnom est Ray-Ray. Elle est la première amie proche à connaitre mon orientation sexuelle. Nous étions en train de discuter et le sujet sur l’amour homo-érotique fut soulevé. Son atti-tude décontractée et tolérante m’a encouragé à faire un pas en avant. Je lui dis à elle et à mon autre amie qui a également montré une attitude similaire que j’étais bi-curieuse (j’avais trop peur de dire que je suis une les-bienne) et elles l’ont bien pris toutes les deux. C’était si bon de commencer à finalement parler de cette partie profondément cachée de moi mais j’avais toujours peur qu’elles puissent commencer à me traiter différemment. Je le leur ai dit la prochaine fois où je devais sortir avec une fille. Ray-Ray était tellement excitée pour moi et m’a même aidée à me préparer! Ça m’a fait plaisir. Je ne m’étais jamais sentie aussi acceptée auparavant. Je lui dis la vérité (que je suis une lesbienne) lorsque je revins de ma sortie ce jour-là. Elle a souri et m’a dit que c’était okay et qu’elle m’aime et sera toujours là pour moi. Actuelle-

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ment, elle a dit ces mots exactement (nous sommes toutes les deux diplômées en anglais)! Des larmes de joie coulaient sur mon visage pendant que je la serrai dans mes bras pour ce qui semblait être une éterni-té. Son soutien signifiait tout pour moi surtout après tout ce que j’avais vécu, et c’est la raison pour laquelle elle aura toujours une place spéciale dans mon cœur.L’année suivante, nous nous étions fait de nouveaux amis. Avec 3 autres filles, nous étions devenues un groupe d’amies proche qui organisait des fêtes vibrantes (et interdites) dans notre dortoir avec suffisamment d’alcool pour assommer une demi-douzaine d’hommes! Une nuit, nous avions toutes bu un peu et parlions de « l’amour, du sexe et de la magie » (rien avoir avec ce sujet, Ciara res-semblait à une déesse dans cette vidéo!) lorsque je leur dis que je passais le week-end avec quelqu’un; l’une des filles cria: «n’oublie juste pas de prendre un préservatif, d’accord?» et Ray-Ray (ivre comme elle l’était) dit: «elle n’en aura pas besoin». Alors les filles commencèrent à faire des suppositions quant au pourquoi pas. «Il est stérile»! Lança l’une d’elle en riant. «Elle est stérile»! Taquinait l’autre. «Allez dis-nous»! Et c’est à ce moment que c’est arrivé. « C’est une fille»! S’écria Meriam, et elles devinrent toutes silencieuses. Lorsque je dis oui, leurs acclamations

effrénées m’ ont presque assourdie. Je n’avais jamais imaginé que la nouvelle de mon orientation sexuelle ferait sauter un groupe de filles dans tous les sens avec enthousiasme. Maintenant j’ai toujours ce sourire idiot sur le visage à chaque fois que j’y pense. En fait, l’une des filles sauta sur moi en hurlant: «sa-lope! Pourquoi ne nous a tu pas dis avant?». Ce fut une nuit joyeuse pour moi! L’un des plus joyeusesjusqu’à présent! Je pensais que ça deviendrait gênant après, mais non. Cela fait plus d’un an et elles ont même rencontré quelques-unes des filles avec lesquelles je suis sortie et elles ont toujours été très aimantes et encourageantes.

Je me sens bénie de les avoir rencontré. Je le suis vraiment. Même si ma vie amoureuse n’est pas lancée comme je pensais qu’elle le serait à ce moment, leur amitié m’a aidé pendant mes ruptures et la dépres- sion qui s’en suit habituellement. Elles sont toujours prêtes avec un film et un pot de Nutella en attente! Je ne sais pas ce qui serait advenu de moi sans elles. Elles sont mon ancre. Quand l’obscurité de la vie dans l’ombre devient trop étouffante et le fardeau du secret trop lourd pour une jeune fille comme moi, elles sont celles qui parviennent à me guider hors de là. Je ne pourrai jamais oublier leur bonté à mon égard, et je ne pouvais pas être plus reconnaissante.

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TROUVEZ LA DIFFÉRENCE- PORTRAITS DES GAYS DU NIGERIA Photos de Andrew Esiebo,

texte de Q-zine

Photographie

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Cette série de portraits en court du célèbre Photographe Nigérian, Andrew Asiebo, nous invite dans l’espace privé de quelques hommes gays de son pays.

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À travers ces portraits, le Photographe étudie “leurs identités sociales et ce que leurs espaces privés nous relèvent. Est-ce que ces espaces reflètent la peur, les identités doubles, leur combat, la liberté ou l’espoir?”

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Ces portraits et les questions qu’ils soulèvent sont d’autant plus importants aujourd’hui que le Nigeria a adopté en début 2014, l’une des lois anti-homosexualité les plus draconiennes dans le monde.

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Pour certaines personnes, Mon amour est quelque peu étrange; Quand il est soulevé, ils commencent à changer de sujet, et Dans certains Etats, il est vu comme une espèce de contagion - Dans ces zones, il reste souterrain;Certains aiment mon amour; ils défilent pour lui: Les citoyens libéraux lui ouvrent la voie: Mais en même temps que certains pays l’embrassent, Des religions et des nations entières semblent avoir honte de lui: Ils ont essayé de le bannir,Le maudissant, Le tuant, Priant pour qu’il reste dans l’armoire, Mais mon amour a débuté dans la boiserie et a fait le parcours - C’est mon amour! Vous ne pouvez pas le piéger dans des labyrinthes! -Rebel est mon amour ; il déjoue les défis; Les généticiens les plus intelligents ne peuvent pas le sonder, Les prêtres ne peuvent pas le vaincre avec une rhétorique venimeuse; Ils feraient mieux de laisser tomber; mon amour est trop compétitif: Il est toujours là, malgré les talibans, le Vatican,Et le rap, le reggae dans leur colère et leur arrogance, Qui font appel contre mon amour avec des allumettes allumées et de la paraffine - Malgré les bagarres et les coups de minuit - Mon amour est toujours là et lutte farouchement, Parce que mon amour se présente à travers n’importe quoi; Mon amour se présente à travers n’importe quoi.

De Musa Okwonga, Photo de Abbie Lucas

L’AMOUR CONTRE L’HOMOPHOBIE

Poème

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A

Je tirai les nœuds, tes petites spirales, du bout de ma langue Entre lesDoigts comme des cloches Balancement de parfums de noir Reconnus par le noir

B

Je rabaisse souvent les couvercles à la poussière de la terre Parce que nos vies n’avaient jamais compté Mais la prochaine fois, je vais essayer de rendre ton regard Avec nostalgie Pour tisser à travers les roseaux fouet a fouet comme si c’étaient des feuilles de nénuphar

C

Pour tous ceux qui ont aimé Ruby Dee, Vous voyez le réglage de l’eau dans la gouttière. Vous demandez à la commission. La peur derrière votre demande n’est pas aussi lourde que mon silence. Le puits est maintenant à sec. Nous passons. Il n’y a que des notes d’encens dans le froid. La brûlure du tapis sur mes genoux pourrait limer des os. Je me souvi-ens d’un plafond. Il y’avait de la lumière ondulante sur une chaussée humide. Je m’occupais du fossé. Tu étais accueillant. Tu parlais doucement à travers une vitre baissée. La fenêtre roule sur une langue. Le caoutchouc roule sur une chaussée humide. Tu me suivais chaleureusement à la maison. Toi, ralentis-sant, dit, “Salut toi. Ne te souviens-tu pas de moi? Nous nous déjà sommes rencontrés”. “Je ne me sou-viens pas de cette première rencontre, mais le men-

NÉANT Fiction

Texte et peintures de Jessica Patricia Kichoncho Karuhanga

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songe qui répondit “Oui” pris facile-ment forme. Je m’occupais du fossé lorsque j’ étais tombé dans le “Oui”. J’étais dans ta voiture. J’ étais dans ta maison. J’étais sur un lit. J’ étais dans ta voiture. Tu me conduisis à la maison.

Dans tous les cas, je sors de mon corps. Je disparais. Je cherche à me retrouver ici avec l’espoir que tu pour-

rais me voir. J’ai désespérément l’es-poir que ton tremblement est plus un réflexe ou un effondrement après ta jouissance. Je pourrais être n’importe quoi. Tu es dense. Tu regardes à tra-vers des images de chair. Je peux sen-tir le creusement de tes pieds dans les déserts. Plus tard je suis dans le parc, j’attends sur un banc, je te vois jouer au ballon avec ta famille. Ta bien -aimée, elle, va toujours me regar-der sévèrement. Dans ses yeux je suis la piqure de gouttes. La frus-tration est la même.

Dans le second cas, je sors de mon corps. Je frotte violemment les taches pour les enlever. Je chie ton poison. Les empreintes de tes pouces sur le bas de mon dos. Je rêve que tu es une abeille. Je bouge pour parler au mé-decin, mais même mon souffle est si-lencieux. Il n’y a que des notes

d’encens dans le froid. Les déclics sont des ondes qui se poursuivent. Quand elle m’embrasse, les vérités qui répon-dent “Oui” prennent forme, mais je gèle. Les déclics sont comme des échos des guerres mythiques quand père parle en langues pendant que minuit descend les rideaux de cascade de sa chambre. C’est ce que j’entends à travers les craquements de la base des portes fermées. Le bavardage saigne à travers les protège-dents.

A mon bien-aimé (d’un jour),

Nos corps se replient l’un dans l’autre et l’un et autour de l’autre. Dans l’acte sexuel et nos étre-

intes, nous serons toujours des fron-tières l’un pour l’autre. Mais je vais quand même écouter les ondulations de tes pierres jetées en l’air. Repose ton oreille sur mon dos. Du sang se transfèrera entre toi et moi à travers des brosses fugaces. Mes lignes tran-sition dans tes lignes. Au sein de nos mains attirantes, nos lignes, et les frissons des poils de nos bras. Je (en-visage, et rêve de) dessine avec mes lèvres des cercles sur ton ventre, sur tes poignets et sur l’intérieur de tes coudes.

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UNDERGROUND CASABLANCA

Malgré des changements de lieu de dernière minute, de jeunes ‘artivistes’ marocains ont célèbré le troisième anniversaire des révoltes du Printemps arabe par une édition spéciale et victorieuse du ‘Festival de Résistances et Alternatives’ (FRA) en février dernier à Casablanca.

Un an apres le declenchement de la contestation sociale dans la plupart des grandes villes du maroc, en 2011, un groupe de jeunes artivistes d’une vingtaine d’annees disposaient des chaises sur un sol carrele en damier pour le premier evenement du festival. un (une?) ami (e) installait une exposition photo sur les manifesta-tions de l’annee precedente – ils avaient essaye dans une douzaine de maisons jusqu’a en trouver une qui

accepte d’imprimer les images.

“Cette nuit-la je suis rentree boulverse (boulversee?). nous avons danse comme si nous avions pu pour la toute premiere fois danser librement, secouant nos tetes sur les tubes de souad massi alors que des zaghrouta (“youyou” selon l’expres-sion française) et des applaudissement intrepides retentissaient tout autour”.

Texte & Photos de Joseph

Revue

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Du 20 au 23 février, la troisième édition du Festival des arts et cultures alternatifs devait initialement se tenir dans l’un des endroits les plus emblématiques de Casablanca, un ensemble de bâtiment anciens au-trefois utilisés comme abattoirs que les associations artistiques et culturelles essayent aujourd’hui de transformer en lieu pour artistes indépendants, un carrefour de mouvements de résistance et un espace pour évènements alternatifs.

Etant donné qu’au Maroc l’offre culturelle s’appuie principalement une culture mainstream financée par l’État, les jeunes “artivistes” et l’ensemble de la jeu-nesse sont impatients de créer un espace où ils puis-sent échanger leurs idées, exposer leurs créations et rencontrer des personnes partageant leurs centres

d’intérêts et leurs mentalités.

Après deux éditions réussies, qui ont accueilli de nombreux participants et visiteurs, et offert des activités culturelles variées comme des projections de films, des ateliers de théâtre, des débats politiques et des concerts, les organisateurs du FRA ont voulu

élaborer leur propre citadelle idéale le temps du fes-tival – une installation calquée sur la trame de la ville traditionnelle et comprenant tous les éléments

“L’idée d’organiser un festival alternatif est née de la volonté

d’activistes politiques de célébrer les révoltes du 20 Février 2011,

lorsque des milliers de marocains se sont rassemblés dans la rue pour demander le changement. Quelques

manifestants impliqués dans ces luttes ont uni leurs forces et ont

ensuite fondé le Mouvement du 20 février. ”

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participant au quotidien des citoyens. Ramenant à la vie le bâtiment abandonné, cette citadelle prévoyait une école, un hôpital, un parlement, un lieu spirituel, un poste de police et un marché, comme décor invitant les participants à construire une société démocratique idéale, et à regarder de manière critique et créative les problématiques sociales du moment et les pratiques institutionnelles.

Cependant, cette brillante idée s’est évanouie rapidement alors que, une semaine avant le festival, les organisateurs recevaient une lettre dans laquelle les autorités interdi-saient l’évènement sauf autorisation officielle.

“Un jour avant le lancement du festival, après une semaine de lutte, nous savions que nous n’obtiendrions pas l’autorisation, donc nous sommes passéEs au plan B, qui consistait à développer le programme dans différents lieux avec l’aide de plusieurs organisations. Finalement, nous nous sommes débrouilléEs pour maintenir notre programme malgré les menaces du Ministère de l’Intérieur” explique un (une?) membre âgé de 22 ans du comité d’organisation du festival et également décorateur (décoratrice?).

L’idée d’organiser un festival alternatif est née de la volonté d’activistes politiques de célébrer les révoltes du 20 Février 2011, lorsque des milliers de marocains se sont rassemblés dans la rue pour demander le change-ment. Quelques manifestants impliqués dans ces luttes ont uni leurs forces et ont ensuite fondé le Mouvement du 20 février.

Deux ans après son émergence, le (la?) plus jeune activiste les a rejoint et a formé des ensembles culturels et artistiques dans différents champs de l’art avec l’objectif partagé de promouvoir la liberté d’expression et les droits humains fondamentaux. Le collectif féministe Femmes Choufouch, l’Union marocaine des Étudiants pour le Changement du Système Éducatif, le groupe de réalisa-tion indépendant Guerilla Cinema, les Végétariens Marocains, ainsi que d’autres artivistes indépendants ont pris part à cette effervescence culturelle et artistique de 4

jours, proposant un programme aussi ambitieux et harmonieux que possible.

Malgré des changements de lieu de dernière minute et des difficultés concernant le budget, “toutes les activités se sont déroulées comme prévu, sans aucune censure”.

“Le public du FRA est majoritairement composé de jeunes. Je pense que le nombre de visiteurs augmente après chaque nouvelle édition. Plus de 200 personnes ont parti-cipé au festival cette année, ce qui est une expérience nou-velle pour nous”.

Le programme du festival comportait des ateliers de théâtre des opprimés, des retransmissions sur des radios indépendantes, des débats sur des mouvements révolu-tionnaires d’autres pays et sur l’identité religieuse, des jeux sur la démocratie, des concerts, des conférences d’histoire, d’économie et de communication, des projections de longs métrages comme “The Land Between” de l’australien David Fedele, un documentaire qui montre la vie clandes-tine des migrants sub-sahariens dans les montagnes du nord du Maroc. Une sélection de courts métrages était diffusée non-stop dans une salle spéciale pendant les quatre jours pour un plaisir et une éducation continue!

“Deux ans après son émer-gence, le (la?) plus jeune

activiste les a rejoint et a formé des ensembles culturels et artistiques dans différents

champs de l’art avec l’objectif partagé de promouvoir la liberté

d’expression et les droits humains fondamentaux.”

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Cette année était de loin la plus internationale de toutes, avec des contributeurs indépen-dants d’Allemagne, de Pales-

tine, d’Espagne, de France et d’Autrichequi ont traversé les frontières pour part-ager leur art et leur expérience. Un débat spécial était organisé par des membres LGBT qui ont abordé les thématiques de santé liée à la sexualité et de santé reproductive, ainsi que les questions de genre en général.

“Les résultats que nous avons eu en terme de programme sont riches et variés. Et le nombre de participants a augmenté, ce qui est une preuve que les gens ont besoin d’un espace pour se rencontrer, partager et s’exprimer”.

“Toutes les activités ont été réussies, mais ce qui m’a vraiment impression-né (e?) a été qu’après les deux éditions précédentes nous sommes finalement arrivéEs à organiser un vrai concert, je

veux dire, avec une véritable scène et de vraies lumières”.

Au-delà de cette passion, le jeune décorateur (la jeune décoratrice?), beaucoup d’autres – des réalisateurs,

des graphistes, des directeurs culturels ou des musiciens – ont contribué à faire de cet évènement un succès retentissant, qui prouve qu’il existe un “nouveauMaroc” qui suit sa propre voix! (qui suit son propre rythme!)

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A L’HEURE DE MINUIT

Photographie

Photos et texte de Siphiwe nkosi

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A L’HEURE DE MINUITPhotos et texte de Siphiwe nkosi

J’ai commencé à documenter le travail du sexe sous l’angle par rapport à la façon dont l’industrie est influencée par la société dans laquelle nous vivons. A travers ce travail, j’ai établi des relations avec plusieurs des femmes travail-leuses du sexe, ce qui m’a permis de réaliser, comme nous tous, qu’elles ont

aussi des rêves et aspirations. Quel que soient les circonstances qui ont conduit ces femmes à pratiquer le travail du sexe, la criminalisation, la stigmatisation et la violence font parti des problèmes auxquels les travailleuses du sexe sont con-frontées au quotidien. Leur condition de travail peut être très dangereuse et beau-coup de femmes doivent se protéger, à la fois des clients et de la police. (Photo de gauche) L’ attente fait partie du jeu, Melissa du Ghana espère gagner assez d’argent pour le week-end. Le business est lent en milieu de semaine.

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Le parc au niveau du 57 rue Joubert Bok est l’endroit idéal si vous avez un goût spécial.

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Viens en gouter beau gosse! Fikzo est venue à Johannesburg en quête d’un gagne-pain pour nourrir ses jeunes enfants. “Une femme doit faire ce qu’elle doit faire, ijob ijob s’bali”, dit-elle.

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“La nuit a été longue ... Tu m’excite mon gars!” Tamara qui accroche un client au centre-ville de Johannesburg.,

Fermez les yeux ! Cristal et Fikzo sont entrain de se préparer pour un striptease, faire quelque chose qui est considérée comme tabou. Le monde ris-

que de s’écrouler si leurs parents découvrent le genre de travail qu’elles font.

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Vite, au boulot! Où le sommeil est un cousin de la mort. Sortez de mon chemin! Brenda se précipite pour attraper un client avant qu’une autre ne l’arrache. Elle doit gagner de quoi payer sa prochaine coiffure et assez pour en envoyer au Mozambique.

Mpho et Funeka n’ont rien gagné dans la journée car elles ont été faire des courses mais la nuit est encore jeune. Pour le moment elles attendent de faire de quoi payer pour la chambre de passe de la nuit.

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Un accord a été conclu, on monte dans la chambre de passe pour une partie de jambes-en-l ’air.

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Blue Sexy: Cristal * de Harare est venue au pays de toutes les opportunités, enthousiaste, à la recherche une vie meilleure. Jozi est une jungle de béton dur, particulièrement pour les travailleuses du sexe. Mais la vie suit son court pour Crystal qui se prépare pour une compétition de striptease dans le centre-ville de Johannesburg.

Naomi du Malawi est en train de faire tout ce qu’il faut pour convaincre les clients de la suivre dans sa chambre d’hôtel. Elle a besoin d’envoyer de l’argent chez elle. Ses parents pensent qu’elle s’en sort bien en Afrique du Sud.

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RENONCER À L’AMOUR “L’amour ne se donne, qu’à lui-même et ne prend que de lui-même.L’amour n’est pas une possession et ne saurait être possédé;Car l’amour suffit à l’amour ....

De Afifa Aza

Lorsque vous aimez, votre discours ne devrait pas être, “Dieu est dans mon cœur», mais plutôt: «Je suis dans le cœur de Dieu.”

Et ne pensez surtout pas que vous pourrez dompter l’amour, car l’amour, s’il vous en trouve digne, vous gui-dera.

L’amour n’a d’autre désir que de s’accomplir. Mais si vous aimez, et la plupart des besoins c’est avoir des désirs, lais-sez ceux-ci être vos désirs ... “ Khalil Gibran

L’un des moments les plus douloureux de ma vie a été ma rupture avec ma partenaire du lycée. C’était misérable. J’ai perdu du poids. Il n’y a rien que j’aurais pu faire pour les maintenir. J’ai vécu une période d’expériences

désabusées. Mon désir était de raviver une sorte d’amour partout où je trouvais une attraction. Pour la plupart, cela se terminait mal. J’ai eu pas mal de ce type de ren-contres sexuelles, probablement les plus aventureuses de mes 20 premières années. Ces souvenirs me font penser à mes parents. Leur histoire d’amour m’ intrigue.

Mes parents ont été mari et femme vivant sous le même toit avant ma naissance. Je suis assez mauvaise avec les détails que je ne pourrais pas vous dire combien d’année

de mariage cela fait.

Mon père est un homme ordinaire qui apprécie la sim-plicité. Il embauchait à 7h00 et était de retour à la maison à 17h00. Du lundi au vendredi. Les samedis, nous allions

Histoire personnelle

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à l’église et les dimanches, il dormait, lisait le Gleaner et mangeait et appréciait son repas du dimanche soir. C’est ce dont je me souviens le plus de mon père, qu’il était toujours de retour à la maison. Qu’il ouvrait la porte en disant, “Bonsoir” et si maman était à la table elle répon-dait “Bonsoir”. Nous étions également censés retourner le “Bonsoir”. Ma grand-mère répondait avec un grand “Soir Missa Harris”. Peu après il se débarrassait de sa tenue de travail et allait au sous-sol repasser celle du len-demain. Cette routine était suivie par une douche, juste à temps pour le journal de 19:00. Il était si prévisible ; cela me donnait un sentiment de sécurité. Je savais qu’il serait toujours nous protéger parce qu’il était toujours là. Il nous a aiméEs d’une manière systématique, mais sans intérêt. Mon père est un homme étrange. Il n’est pas rom-antique (au moins pas à ma connaissance) et à le voir avec ma mère, ensemble, je me demandais comment elle pouvait continuer de l’aimer ou pourquoi elle restait avec lui. Je me dis qu’elle doit vraiment l’aimer.

Je me souviens une fois avoir dit à ma sœur, que la raison pour laquelle j’étais amoureuse de mon deuxième partenaire était parce que eux me rappe-laient papa. Je respectais sa façon d’aimer.

J’ai eu plusieurs expériences amoureuses intenses. À travers toutes ces expériences, je pense que ce que j’ai toujours craint le plus, était de m’entendre dire un jour par mon partenaire du moment, “Ça ne marche pas”. Alors, j’ai toujours fait de mon mieux d’être une bonne partenaire, en espérant que cela en voudra toujours la peine d’être avec moi, que cela marchera toujours.

***

Récemment, je me suis rendue compte que les gens n’étaient pas les seules sources d’amour. Il y a environ trois ans de cela, j’avais commencé à poursuivre un de mes rêves que j’ai appelé le SO((U))L HQ. Cela a com-mencé avec deux idées. Une, était que “le produit est l’endroit” et , un désir profond de recréer le sentiment d’un lieu en Jamaïque qui est aussi stimulant, sympa et amical que les espaces de création artistique que j’avais visité à Londres plusieurs années auparavant.

J’ai imaginé le SO((U))L QG comme un espace que je voulais “être” en vogue, et où je voulais que les gens “soient” avec moi. C’est Géorgia qui a donné l’origine du nom «sons de la vie» (Mon concept initial de dj’ing), que par la suite j’ai décidé d’appeler SO((U))L. Le QG était où Géorgia et moi avons travaillé ensemble sur l’idée de construction pour et avec notre communauté. Le QG était l’endroit où j’ai ressentis de la passion, un objectif, l’honnêteté mais aussi la fatigue. J’étais amoureuse de cet endroit – en fait de la chose, de l’idée et le travail. J’ai aimé cet endroit avec tout l’amour que j’avais, et je l’ai ouvert à d’autres avec amour.

Ce n’était qu’il y a deux mois lorsque Géorgia et moi avions des difficultés pour payer le loyer du siège et quand je me préparais à avoir une conversation tant redoutée avec le bailleur des lieux, sachant le risque que nous courrions de perdre l’espace que j’ai réalisé à quel point je l’aimais. L’idée de perdre le QG, la douleur qui a suivi cette réalisation, à la fois dans ma tête que la mon cœur, m’a fait réaliser que j’étais profondément amou-reuse du QG.

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Et «Que s’est-il passé?» Je voudrais leur demander s’ils avaient pensé à renoncer à l’amour. Ont-ils jamais cessé d’aimer leur travail?

Je crois que ‘aimer’ c’est de ne jamais renoncer à l’amour ... Ne jamais abandonner les gens, ne jamais abandon-ner toutes les choses qui rendent la vie belle, même si les temps changent.

Au moment où j’écris ceci, je suis sur le point de perdrequelque chose que j’aime. J’ai déjà perdu beaucoup de choses que j’ai aimées. Je ne trouve plus la bague que j’ai achetée à l’artiste zimbabwéen au marché de Camden à Londres. Ce que je suis sur le point de perdre, mon espace, est quelque chose qui m’ai chère. La semaine dernière, j’ai demandé à mes amiEs sur Facebook s’ils/elles savaient combien de fois Marcus Garvey avait pleu-ré? Je suis sur le point de perdre quelque chose que j’aime, mais je ne renonce pas à l’amour.

C’est cette réalisation qui m’a forcée hors du lit pour créer une campagne de collecte de fonds virtuelle pour garder QG et notre autre espace (Di Institute for Social Leadership-ISL) ou-

verts. J’ai alors réalisé que mon amour pour ces espacessignifiait que je ferais tout pour qu’ils restent ouverts et fonctionnent. Je considère ces espaces comme l’œuvre de ma vie et je me rends compte maintenant que vous devez aimer votre travail. Non seulement “aimer son travail”, mais plus profondément que ça. “Aimez ce en quoi vous croyez. “ Est-ce-que Audre Lorde était amoureuse de son œuvre? Qu’en était-il de Walter Rodney ? Ou de Marcus Garvey?

J’ai 33 ans. Lorsque vous avez 33 et que vous croyez en Audre Lorde, Walter Rodney et Marcus Garvey (et leur amour), et que vous avez assez d’éducation pour com-prendre ‘’la mondialisation’’, ‘’ la théorie de dépendance, ‘’ Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique, ‘’, ‘’la théorie du système mondiale’’; que vous questionnez souvent le passé, les personnes qui avaient une certaine conviction du monde et voulaient vraiment le rendre différent - ont vécu. De nos jours, je me trouve souvent perplexe face à leur absence. Je me retourne souvent vers eux pour m’aider à recoller les morceaux, à comprendre ce monde actuel. Il y a peut-être deux questions que je me retrouve toujours à vouloir leur poser: «Pourquoi?»

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« Aimer et être aimé », une formule banale ? Non, c’est le rêve d’abord inconscient de tout enfant, puis l’aspiration de tout être adulte normalement con-stitué (avec un cœur qui bat, une âme qui désire et un corps qui palpite). C’est mon rêve et mon aspi-ration à moi, ce vers quoi tendent tous mes efforts, et malheureusement aussi, toutes mes inquiétudes. Aimer devrait être un acte anodin de la vie, un re-gard qui se pose sur un autre, un désir qui naît de la rencontre des différences, deux corps désirant qui se cherchent et se trouvent, deux vies associées au même destin. Pourtant, dans mon cas, ce n’est pas si simple. Aimer, c’est un acte militant, un cri vers le monde des gens « normaux », parce que je suis une femme qui aime les femmes.

Nous vivons une période difficile, période de crise économique et de perte de repères. De hurlements d’hyènes af-famées contre un troupeau minoritaire

qui a soif d’exister. Notre milieu traditionnel a failli, incapable de répondre à nos aspirations profondes. La vie moderne (européenne), désirée, mais non encore acquise nous laisse dans cette marge large et

NOTRE GUERRE De Mariane Amara, Photo de Mariam ARmisen

imprécise de l’entre-deux; entre deux mondes que j’aime et que je n’arrive pas à atteindre, entre deux vies que je dois assumer pour survivre. Pour ma fa-mille, je suis une fille indécise, une fille imprécise, non encore casée. Pour mes amis du milieu gay, j’ai les cheveux longs mais je prends les décisions, je m’habille «comme une fille» et me comporte «com-me un gars»; je ne suis ni «mvoye» ni «koujeu.» On voudrait me caser quelque part, pour me donner un sens; m’ assigner une catégorie fourre-tout qui m’étouffe. Tous voudraient que ma vie soit tout de blanc ou de noir parce que l’ambigüité dérange. Peut-être ont-ils raison, mais ils ont également tort parce que je suis une fille ET j’aime les filles.

Aimer en temps de persécution, c’est aller au-delà de soi, c’est prendre le risque de déranger, prendre l’engagement de lutter pour avoir part au gâteau du bonheur.

C’est prendre le risque de faire mal à ceux qui me sont chers parce qu’ils ne me comprennent pas: mon père, ma mère, mes frères et amis tranquille-ment homophobes; tous ceux-là qui pensent que: « l’homosexualité, quand même, ce n’est pas

Histoire personnelle

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bien… ». Ils disent m’aimer, mais haïssent qui je suis. Ils disent m’aimer, mais ils me font la guerre, parce qu’il faut que je change, que je devienne «normal ». Ils me disent chaque jour «par amitié»: «pourquoi tu ne fais même pas un enfant?» Et moi, je voudrais qu’ils soient là quand j’ai besoin d’eux; qu’ils cessent de me voir comme un objet à réparer. Aimer ma vie, c’est accepter de blesser et décevoir ceux que j’aime, parce que je suis une femme qui aime les femmes.

Ma guerre est une lutte acharnée pour être moi-même. Pour émerger du flot de dogmes et de croyances qui m’assaillent et qui m’obligent à m’effacer pour être une fille de mon peuple; dogmes et croyances qui m’obligent à me renier pour être une bonne fille de l’église chrétienne. Ma guerre, c’est d’aimer au-delà des idées reçues, au-delà du Moi social qui m’opprime, c’est aimeren tant que MOI pour amener ceux qui m’ai-ment à m’accepter, MOI, et non l’image édul-corée qu’ils se sont faits des «filles» et qui renie les «filles qui aiment les filles».

Ma guerre, c’est de t’aimer, toi, mon amante, mon amoureuse, et t’amener au-delà de TOI. Toi que devant les miens j’appelle «mon

amie»; et que devant mes amis j’appelle «ma sœur». Toi mon amante, mon amoureuse qui me dis chaque jour que: «les traditions ne per-mettent pas…». Tu m’aimes dans le silence de la nuit, dans l’obscurité et l’ombre. Tu me dis: « Il ne faut pas… » Il ne faut pas blesser ta mère, ton fils, tes amis. Il ne faut pas choquer les gens, il ne faut pas… Mais tu pleures

souvent parce qu’ils ne te comprennent pas. Et moi je n’ai pas les mots pour te consoler parce que finalement, je ne nous comprends pas.

Nous avons à transformer la terre pour faire savoir au monde entier qui nous sommes, parce qu’autre-ment, ils ne nous connaissent pas.

Notre mission c’est de nous surpasser pour aimer doublement : nous aimer nous-mêmes et aimer ceux qui ne nous haïssent. C’est t’amener à m’aimer au-delà de toi et me laisser t’aimer au-delà de moi, nous aimer devant eux comme on s’aime dans le noir. Alors notre guerre ne sera plus de vivre ensemble, mais de leur faire savoir que : « nous sommes ensemble ». Alors tes frères n’auront plus le droit de m’aimer, ni les miens, le droit de te peloter, car ils sauront que tu n’es pas seulement mon amie, mais mon amante, mon amoureuse. Notre guerre c’est arriver à nous tenir la main, marcher ensemble dans les temps de souffrance. Face aux huées et aux coups, lais-ser le monde nous voir telles que nous sommes, lui laisser aussi le temps d’apprendre à nous con-naître. Alors nous ferons un monde nouveau où toi, tu seras TOI, et moi, je serais MOI, et les autres aussi seraient AUTRES. Nous serons des NOUS et des VOUS, tous égaux, mais différents.

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cette ville me rend inquiet j’ai rétrécieJe me suis recroquevillée sur moi même ici, J’ai fait directement face à des démons. j’ai été solitaire.Je me suis assise dans le noir face à moi-même. tripotant les ongles de mes orteils sans prendre de douche pendant des jours.sans cuisiner pendant des semaines je me suis touchée sur les parties internes soufflant et haletantles poings fermés dans des coins remplis de larmes les poings levés cachant des ongles peint en rougebougeant à un rythme de twerkbougeant à un rythme d’azonto j’ai séparé des parties de moi pour les reconstituer de nouveau ensemble entière et saine profondément endormie au lit pendant 18 heures d’affiléeJ’y ai vécu le double de cette durée dans une ville, un pays, un tel monde, les filles brunes couvrent des oreilles pointus.des profiles avec l’air trop Akan. ressemblant trop aux ancêtres. mâchoire complète. pas gracieuse. tête carrée.parfois ce corps s’excuse beaucoup trop pour ce que la Déesse a donné comme cadeau. pour ce que la nature a fait sacréeentière et sainteEt Janelle chante en arrière-plan: pour être victorieux, vous devez trouver la gloire dans les petites choses.

CETTE VILLE,

CE CORPS

De Rita Nketiah & Croquis de

Xonanji

Poème

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MINORITÉ De Shishani Vranckx & Photos de Christie Keulder & Paolo Schneider

VERSE

Vous avez vos règlesQui me disent quoi faire

Mais qui vous contrôle Eh bien, je ne suis pas dupe

J’en fais à ma têteBeaucoup sont morts pour la liberté d’esprit, pour

la véritéSeriez-vous capable d’être un peu différent du

resteAllez, allez, allez

Mettez-vous à l’épreuve

CHOEUR

Toute minorité a une prioritéNous voulons être libres, également

Aimez ou haïssez moi, ou discriminez moiMais vous ne pourrez jamais changer mes senti-

mentsQui êtes-vous pour me dire qui aimer, comment

vivre, ce qu’est la vieOh, comment vous m’opprimer

VERSE

Vous ditesQue je ne suis pas censée être

Etre sur cette terre, que je ne mérite pasDe vivre une vie libre

Eh bien, je sais que j’ai tellement à vous offrir Je ne ressens aucune honte, malgré votre blâme,

mon amour est réelSeriez-vous capable d’être un peu différent du

resteAllez, allez, allez

Mettez-vous à l’épreuve

CHOEUR

Toute minorité a une prioritéNous voulons être également libres

Musique

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Aimez ou haïssez moi, ou discriminez moiMais vous ne pourrez jamais changer mes sentiments

Qui êtes-vous pour me dire qui aimer, comment vivre, ce qu’est la vieOh, comment vous m’opprimez

PAUSE

Nous avons besoin d’une bête noire à blâmerPointez moi du doigt

Je parie que c’est plus facileMais, où réside le réel problème

Il n’est pas où vous croyezMais ouverture d’esprit

Pouvez-vous voir avec votre coeurAu delà de vos préconceptions

Pouvez-vous voir mon âmeAu delà des étiquettesDécouvrir qui je suis

Je me soulève, avec fiertéJe ne me laisserai pas rabaisser

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NOUS - POÉTIQUEDe Tatenda Muranda & Photo de GPhOZ

Poème

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Nous voici, deux êtres frénétiques, Dans ce petit espace que nous appelons chez nous.

Avec son toit en tôle et ces mûrs faits de journaux pour notre confort, Nous réconforte dans notre vie privée,

Nous offre un recoin qui nous donne un sens.Dehors, dans ce monde, il n’y a pas de place pour cette fille et ce garçon

Mais ici, tu es mon roi-reine et je suis ta chevalière.

***Dans ce monde, ils t ‘auraient appelé Modjadji.

Et je t’aurai appelé mon aiméE. Chaque nuit. Mon aiméE avec dévotion.Dans ce monde les gens nous dévisagent au passage.

***Que tu es courageux/se juste en étant toi,

Avec défiance tu occupes les espaces que tu navigues,Avec fierté tu ignores ces regards malveillants,

Tu voles du temps pour nous etJe le sais.

***Ton bandage te lie à ta poitrine,

Un espace ravagé par les blessures d’un corps ambiguëUne personne en court de se définir.

***Je te cacherais pour te protéger

Refuserais de dire sthandwa sami,De ma tombe à la tienne, je te protégerais.

***Dans tes bras je me souviendrai des légendes.

Histoires de ces femmes qui avaient des épouseset ces hommes qui pouvaient donner naissances,

Mais dans ces légendes, il n’y a pas d’histoires sur nous.

***Pendant que tu es là, allongéE dans ce silence froid

Tes mains rugueuses et ta peau de velours plaident pour ma bravoure,Alors que mes larmes et adieux étouffés plaident pour le passé.

On ne peut plus se parler,mon dévouement ne peut se transmettre à travers le temps,

ni mon désir ne peut te ramener à moi.

***Il ne me reste que des images en souvenirs,

odeurs et sourires,Regards et rires coquins,

Un cœur vide dans notre foyer briséEt ce mot “isitabane” me rappelle

Que cette chanson triste,se termine dans une mort injustice.

Et que notre poésie était poétique quand c’était juste nous – poétique.

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