place de l’analgésie spinale dans le traitement de la douleur du cancer

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MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER Place de lanalgésie spinale dans le traitement de la douleur du cancer Spinal analgesia in cancer pain management D. Baylot · J.-M. Pellat Reçu le 15 mars 2013 ; accepté le 25 mars 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé L analgésie spinale représente une technique alter- native pour le soulagement des douleurs de patients atteints de maladie cancéreuse et mal soulagés ou échappant à un traitement médical bien conduit. La décision de mise en place de cette technique dépend du rapport bénéfice/risque, des différents types de molécules utilisables par cette voie et de leur association. Elle est aussi fonction du type de douleur ressentie par le patient et de la voie dadministration. Les grandes indications sont discutées, ainsi que le moment de la prise de décision dans le parcours du patient. Mots clés Analgésie spinale · Intrathécale · Douleur · Cancer Abstract Spinal analgesia represents an alternative technique for the alleviation of pain for cancer patients whose pain is not well-managed or who are not receiving effective medical treat- ment. The decision to use this technique depends on the benefit/ risk ratio, the different types of drugs which can be used with this method and their combination. It also depends on the type of pain experienced by the patient and on the method of admi- nistration. The overall effects are discussed, as well as the best time during the patients progress for the decision to be made. Keywords Spinal analgesia · Intrathecal · Pain · Cancer Introduction Au cours de lévolution de la maladie cancéreuse, la douleur reste la plainte la plus fréquemment rapportée [1]. Ces dou- leurs sont liées soit à lévolution de la maladie, soit aux conséquences dun acte chirurgical, soit aux traitements spécifiques ou séquellaires de ces traitements. L amélioration continue de la prise en charge de la mala- die cancéreuse prolonge la durée de vie des patients et les expose plus fréquemment à une évolution douloureuse deve- nant réfractaire au traitement antalgique bien conduit. On estime à 15 % le nombre des patients présentant une douleur réfractaire impactant la qualité de vie [16]. Dans ces circons- tances se pose lindication dune analgésie centrale. La découverte dans les années 1970 des récepteurs mor- phiniques, suivie quelques années plus tard des morphini- ques endogènes, rendait logique la tentative dadministrer des molécules opioïdes au plus près des structures nerveuses centrales. En 1976, Yaksh et Rudy démontrent lefficacité de la morphine intrathécale (IT) sur un modèle animal [27]. En 1979, Wang et al. rapportent la première série humaine sur huit patients atteints de cancer efficacement soulagés par une injection IT de morphine [26]. Dautres molécules sont actuellement proposées dans cette indication : la clonidine, les anesthésiques locaux, et plus récemment une conotoxine bloqueur directe des canaux calciques : le ziconotide. L analgésie IT sest beaucoup développée ces dernières années, aidée par lamélioration technique des cathéters et la mise au point de pompes implantables. Dans ce dernier domaine, la France est en retard sur les autres pays euro- péens. En 2009, 129 pompes ont été implantées en France, 121 en Belgique et 152 en Suisse (daprès les données de la société Medtronic). L analgésie IT est pourtant devenue une technique de référence, mais plusieurs questions se posent quant à son application. Quel est le rapport bénéfice/risque ? Quelle voie dadministration (IT ou péridurale) utiliser ? Quelles molécules utiliser ? À quel moment de lévolution de la maladie la proposer ? Rapport bénéfice/risque Évaluer la balance bénéfice/risque est un raisonnement indispensable avant toute application dune technique et par- ticulièrement dans le domaine de la douleur. D. Baylot (*) Centre de la douleur, hôpital Nord, CHU de Saint-Étienne, F-42055 Saint-Étienne cedex 02, France e-mail : [email protected] J.-M. Pellat Centre de la douleur, groupement hospitalier mutualiste, 3 bis, rue du Docteur-Hermitte, F-38000 Grenoble, France Douleur analg. (2013) 26:81-85 DOI 10.1007/s11724-013-0330-3

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Page 1: Place de l’analgésie spinale dans le traitement de la douleur du cancer

MISE AU POINT / UPDATE DOSSIER

Place de l’analgésie spinale dans le traitement de la douleur du cancer

Spinal analgesia in cancer pain management

D. Baylot · J.-M. Pellat

Reçu le 15 mars 2013 ; accepté le 25 mars 2013© Springer-Verlag France 2013

Résumé L’analgésie spinale représente une technique alter-native pour le soulagement des douleurs de patients atteintsde maladie cancéreuse et mal soulagés ou échappant à untraitement médical bien conduit. La décision de mise enplace de cette technique dépend du rapport bénéfice/risque,des différents types de molécules utilisables par cette voie etde leur association. Elle est aussi fonction du type de douleurressentie par le patient et de la voie d’administration. Lesgrandes indications sont discutées, ainsi que le moment dela prise de décision dans le parcours du patient.

Mots clés Analgésie spinale · Intrathécale · Douleur ·Cancer

Abstract Spinal analgesia represents an alternative techniquefor the alleviation of pain for cancer patients whose pain is notwell-managed or who are not receiving effective medical treat-ment. The decision to use this technique depends on the benefit/risk ratio, the different types of drugs which can be used withthis method and their combination. It also depends on the typeof pain experienced by the patient and on the method of admi-nistration. The overall effects are discussed, as well as the besttime during the patient’s progress for the decision to be made.

Keywords Spinal analgesia · Intrathecal · Pain · Cancer

Introduction

Au cours de l’évolution de la maladie cancéreuse, la douleurreste la plainte la plus fréquemment rapportée [1]. Ces dou-leurs sont liées soit à l’évolution de la maladie, soit aux

conséquences d’un acte chirurgical, soit aux traitementsspécifiques ou séquellaires de ces traitements.

L’amélioration continue de la prise en charge de la mala-die cancéreuse prolonge la durée de vie des patients et lesexpose plus fréquemment à une évolution douloureuse deve-nant réfractaire au traitement antalgique bien conduit. Onestime à 15 % le nombre des patients présentant une douleurréfractaire impactant la qualité de vie [16]. Dans ces circons-tances se pose l’indication d’une analgésie centrale.

La découverte dans les années 1970 des récepteurs mor-phiniques, suivie quelques années plus tard des morphini-ques endogènes, rendait logique la tentative d’administrerdes molécules opioïdes au plus près des structures nerveusescentrales. En 1976, Yaksh et Rudy démontrent l’efficacité dela morphine intrathécale (IT) sur un modèle animal [27].En 1979, Wang et al. rapportent la première série humainesur huit patients atteints de cancer efficacement soulagés parune injection IT de morphine [26]. D’autres molécules sontactuellement proposées dans cette indication : la clonidine,les anesthésiques locaux, et plus récemment une conotoxinebloqueur directe des canaux calciques : le ziconotide.

L’analgésie IT s’est beaucoup développée ces dernièresannées, aidée par l’amélioration technique des cathéters etla mise au point de pompes implantables. Dans ce dernierdomaine, la France est en retard sur les autres pays euro-péens. En 2009, 129 pompes ont été implantées en France,121 en Belgique et 152 en Suisse (d’après les données de lasociété Medtronic). L’analgésie IT est pourtant devenue unetechnique de référence, mais plusieurs questions se posentquant à son application. Quel est le rapport bénéfice/risque ?Quelle voie d’administration (IT ou péridurale) utiliser ?Quelles molécules utiliser ? À quel moment de l’évolutionde la maladie la proposer ?

Rapport bénéfice/risque

Évaluer la balance bénéfice/risque est un raisonnementindispensable avant toute application d’une technique et par-ticulièrement dans le domaine de la douleur.

D. Baylot (*)Centre de la douleur, hôpital Nord, CHU de Saint-Étienne,F-42055 Saint-Étienne cedex 02, Francee-mail : [email protected]

J.-M. PellatCentre de la douleur, groupement hospitalier mutualiste,3 bis, rue du Docteur-Hermitte, F-38000 Grenoble, France

Douleur analg. (2013) 26:81-85DOI 10.1007/s11724-013-0330-3

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Efficacité de l’analgésie intrathécale

Sur le plan méthodologique, l’évaluation de l’efficacité d’uneanalgésie spinale n’est pas simple. La constitution d’ungroupe placebo n’est pas éthiquement envisageable. Lesséries publiées sont soit des cohortes de patients, soit desétudes rétrospectives. Il n’y a pas d’étude de méthodologiede haut grade pour apprécier le rapport bénéfice/risque [7].

Mercadante et al. ont réalisé une revue récente [16] desarticles publiés ces dix dernières années, complétant un tra-vail de 2002 publié dans Pain. La plupart des séries trouventune amélioration significative des phénomènes douloureux,avec une diminution de la consommation de morphiniquepar voie orale et, pour certains, une diminution des effetssecondaires.

L’étude de Smith et al. [21] est la seule randomisée. Ellecompare, de manière prospective, un groupe de patients trai-tés médicalement par une équipe spécialisée en douleur(en utilisant un algorithme) et un groupe ayant, en plus decette prise en charge, une analgésie IT. Les résultats mon-trent une amélioration des scores de douleurs dans les deuxgroupes avec un gain antalgique supérieur dans le groupe IT(39 versus 52 %). Une amélioration globale des paramètresde toxicité individuelle, avec une différence significative desparamètres « fatigue » et « somnolence » au profit du groupeIT, est rapportée. Pour la première fois, une amélioration dela survie à quatre mois est mise en évidence, mais ce para-mètre n’était pas l’objectif principal de l’étude.

L’équipe d’Angers a publié récemment une série avec ungain antalgique de plus de 50 %, persistant à trois mois [10].

En résumé, il semblerait d’après ces données que l’anal-gésie IT permette d’améliorer la prise en charge de la dou-leur cancéreuse, de diminuer les effets secondaires des antal-giques et d’optimiser la qualité de vie. Un effet positif surl’espérance de vie n’est pas clairement démontré à ce jour.Cependant, on peut penser qu’une meilleure prise en chargede la douleur améliore l’état général et la tolérance aux trai-tements spécifiques de la maladie, avec un effet positif indi-rect sur la survie.

Risques de l’analgésie intrathécale

Différentes complications peuvent survenir soit en lien avecl’administration des molécules, soit avec le matériel.

Complication en lien avec le matériel implanté ou sa miseen place

Concernant le matériel, le risque principal est infectieux,notamment au niveau de la loge sous-cutanée de la pompe,plus rarement du cathéter avec un risque de méningite asso-ciée. Des incidents mécaniques peuvent survenir (fracture,

coudure, débranchement de cathéter), plus rarement deshématomes ou un granulome.

Un dysfonctionnement de la pompe lors d’un examenIRM est possible avec un arrêt du moteur de la pompe pen-dant l’exposition au champ magnétique. En cas d’expositionitérative, un arrêt de la diffusion peut survenir [14].

Une méta-analyse s’est intéressée à colliger les effetssecondaires des cathéters tunnellisés externalisés [2]. Aprèssélection de dix articles regroupant 821 patients, les tauxd’infection rapportés sont les suivants : 1,4 % d’infectionprofonde (0,212 cas pour 1 000 jours de cathéter), 2,3 %d’infection superficielle (0,308 cas pour 1 000 jours de trai-tement). Ces taux sont comparables à ceux retrouvés pourune infusion épidurale [19]. Aucun accident hémorragiquen’a été la cause d’un événement neurologique.

Concernant les pompes implantées, le taux global d’infec-tion est plus élevé, autour de 5 %, mais le risque par unité detemps est plus faible, car la durée d’implantation est beau-coup plus longue [12]. La loge d’implantation est le plussouvent concernée [23].

Les céphalées postimplantation sont fréquentes (54 %dans la série de Dupoiron et al.) [10]. Leur traitement estsymptomatique, et en cas de durée prolongée un blood patchpeut être réalisé.

La formation d’un granulome est une complicationconnue mais rarement rencontrée. Elle est en lien avec uneconcentration trop élevée des produits et/ou une positionventrale du cathéter où l’espace de diffusion est limité. Touteapparition ou modification d’une symptomatologie neurolo-gique médullaire doit attirer l’attention [13].

Complications liées à l’administration intrathécaleet à l’action centrale des antalgiques

Des effets indésirables, secondaires à l’action des moléculessur le système nerveux central, peuvent survenir. Ceux enlien avec l’administration IT de morphine sont les suivants :

• les nausées et vomissements sont fréquents autour de20 %. Leur physiopathologie est complexe et impliqueune action sur la trigger zone, le système vestibulaire,ainsi qu’un retard à la vidange gastrique ;

• la rétention urinaire est retrouvée dans 42 à 80 % des cas.L’administration IT de morphine rend cet effet indésirableplus fréquent que par voie systémique à dose équiantal-gique. L’incidence chute à 3 % à long terme ;

• la rétention hydrosodée est un effet secondaire peut-êtremoins bien connu (3 à 16 %) avec constitution d’œdèmedes membres inférieurs. Leur physiopathologie est incer-taine et ferait intervenir une stimulation de la sécrétion devasopressine par action des opioïdes sur l’hypophysepostérieure ;

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• les troubles cognitifs ont une incidence de 10 à 14 %pour la morphine IT. Des comas et troubles psychiatriquesgraves peuvent survenir ;

• des troubles de la libido, aménorrhées et irrégularité descycles chez la femme peuvent être constatés et sont liés àun hypogonadisme hypogonadotrope [9] ;

• lors de la mise en route d’une morphinothérapie IT, unsyndrome de sevrage peut survenir (39 % dans la sériede Dupoiron et al.) [10] malgré l’utilisation de ratiosd’équianalgésie validés. Pour cette raison, le sevrage sys-témique doit être progressif et adapté au patient afin d’évi-ter un wash out cérébral trop rapide ;

• enfin, la fréquence du prurit est retrouvée de manière trèsvariable suivant les études de 1 à 15 % ;

• une surmortalité après induction d’une morphinothérapieIT pour des douleurs chroniques non cancéreuses a étémise en évidence à la suite d’une étude menée par le labo-ratoire fabriquant les pompes (mais aussi des stimulateursmédullaires) [5]. L’éditorial accompagnant cet article rap-pelle au lecteur les règles de base pour une surveillancerigoureuse après implantation.

Pour conclure ce chapitre, on peut dire que le rapportbénéfice/risque est favorable à l’administration IT de molé-cules opiacées et adjuvantes, malgré des effets secondairesnon négligeables qui doivent être mis en balance dans ladécision thérapeutique et faire l’objet d’une surveillanceattentive.

Administration par voie intrathécale ou voiepéridurale ?

Concernant les espaces anatomiques et les aspects pratiques,nous renvoyons le lecteur à l’article de Pellat et al. [17].

Le choix entre la voie péridurale et IT dépend principale-ment de la localisation de la douleur et de l’espérance de viedu patient. En fait, la « médecine basée sur les preuves »n’est qu’un élément d’orientation pour le choix entre cestechniques dont les mécanismes d’action et les indicationssont à bien différencier.

En effet, le recours à une analgésie péridurale (par cathé-ter externalisé, ou site d’injection sous-cutanée de type por-tacath) permet d’associer une analgésie spinale directe pardes antalgiques d’action centrale (morphine par exemple)et un bloc métamérique aux anesthésiques locaux qui diffu-sent aux racines émergentes par cette voie. Une espérance devie estimée à moins de trois mois (avec toutes les incertitu-des que cela comporte) et une douleur intense localisée àplusieurs métamères contigus représentent très probable-ment une excellente indication à l’analgésie péridurale, sousréserve que cet espace soit accessible [4]. Le cas échéant, onpréférera l’analgésie IT, également utilisée lorsque l’espé-

rance de vie est estimée supérieure à trois mois. Dans cecas, le matériel sera implanté intégralement (pompe électro-nique de 20 à 40 ml rechargée en antalgiques par voie trans-cutanée et à débit réglable par télémétrie), ce qui permet des’affranchir des contraintes liées à la gestion d’un dispositifde perfusion externe et d’accroître le confort et l’autonomiedes patients.

Une étude comparative un peu ancienne retrouvait untaux d’effets adverses variable dans le temps [6] initialementen faveur de l’analgésie péridurale (8 versus 25 %) avecinversion après la troisième semaine en faveur de l’adminis-tration IT.

L’analgésie IT serait donc à privilégier lorsque l’espé-rance de vie est estimée supérieure à trois mois, en raisond’un rapport bénéfice/risque en sa faveur pour les utilisationsprolongées et parce qu’elle autorise l’utilisation des disposi-tifs implantés. La voie péridurale doit être considérée commeun recours possible en attente d’une solution plus radicale oud’une gestion de fin de vie.

Quelles molécules utiliser ?

La pharmacopée nous propose actuellement plusieurs typesde molécules, soit des bloqueurs des canaux calciques, indi-rects comme les morphiniques ou directs comme le zicono-tide, ou des canaux sodiques comme les anesthésiqueslocaux. D’autres molécules ont été testées, ou sont en coursd’évaluation, mais ne sont pas utilisées en pratique courante.

Morphiniques

L’objectif est de disposer d’une molécule qui diffuse suffi-samment dans les tissus biologiques pour atteindre la ciblereprésentée par la corne postérieure, et qui puisse y restersuffisamment longtemps. Une étude de pharmacocinétiquecomparée des morphiniques montre très nettement la supé-riorité de la morphine, en termes de disponibilité, par rapportaux autres molécules (alfentanyl, sufentanil, fentanyl) [24].Ses propriétés hydrophiles lui confèrent une action spinaleprolongée, alors que des molécules lipophiles, comme le su-fentanil, ont une action essentiellement systémique, car réab-sorbée dans la circulation sanguine. Ces propriétés détermi-nent le rapport d’équianalgésie : voie orale/voie IT de 1/300pour la morphine.

Dans la réactualisation de 2012 du consensus américainsur l’analgésie IT [8], le fentanyl a été réévalué au premierrang des intentions, car ses propriétés pharmacologiquespeuvent permettre un soulagement efficace sur une zonelimitée de métamère. Il est donc possible de l’utiliser àla condition que la zone douloureuse soit limitée et quel’extrémité du cathéter soit placée en regard des métamèresconcernés.

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En pratique la morphine est la molécule de choix.Son efficacité est meilleure sur les douleurs par excès de

nociception que sur les douleurs neuropathiques

Anesthésiques locaux

Leur utilisation par voie IT est habituelle en anesthésiologie.Elle est d’utilisation beaucoup plus récente dans l’analgésiespinale prolongée.

La toxicité à long terme sur les structures nerveuses estdébattue [25]. Leur utilisation en situation de douleur cancé-reuse peut se concevoir en tant qu’adjuvant ou dans le but deréaliser une rachianesthésie pour la fin de la vie.

La molécule la plus étudiée reste la bupivacaïne. La ropi-vacaïne est la plus largement utilisée actuellement. EnFrance, l’absence de forme à haute concentration pose pro-blème pour le remplissage des pompes.

Une trop forte concentration peut être responsable d’unefaiblesse musculaire par action sur les fibres de gros calibre(motrices).

Ainsi, les anesthésiques locaux peuvent être considéréscomme des adjuvants efficaces, notamment sur les douleursneuropathiques.

Ziconotide

Analogue d’une conotoxine extraite d’un escargot de mer(conus magnus), le ziconotide est un bloqueur direct descanaux calciques dont l’administration se fait exclusivementpar voie IT.

Les premières études en cancérologie ont été faites avecune titration rapide sur cinq à dix jours. L’efficacité sur ladouleur a été bonne, 53,1 versus 18,1 % pour le groupe pla-cebo, mais on notait un taux de sortie d’étude élevé en raisond’effets secondaires importants : augmentation du taux decréatine-phosphokinase, troubles mnésiques, céphalées, trou-bles anxieux, dépression, ataxie, nausées [22]. Récemment,deux case report de suicide en lien possible avec cette molé-cule ont été rapportés dans le cadre d’infusion pour une dou-leur chronique non cancéreuse [15].

Il semblerait que la dose initiale d’induction soit en grandepartie responsable des effets psychiatriques redoutés [8].

La fenêtre thérapeutique étant étroite, une induction lentesur 21 jours permet de garder l’efficacité antalgique tout endiminuant les effets secondaires [11,18].

En moyenne, l’induction se fait autour de 0,5 à 2,4 μg/javec une incrémentation de 0,007 μg/j par semaine.

Clonidine

Agoniste des récepteurs alpha-2-adrénergiques, elle présentedes propriétés antalgiques et antihyperalgésiantes. Ses effetssédatifs et hypotenseurs seraient moindres par voie IT que par

voie systémique. Elle présente un effet antalgique synergiqueavec les morphiniques. Elle est intéressante en deuxièmeintention, en tant qu’adjuvant pour des douleurs neuropa-thiques prédominantes [8,20].

Indications

Malgré une conduite thérapeutique antalgique adaptée, onestime que 5 à 25 % des patients continuent à ressentir desdouleurs [4].

Dans la série de Burton et al. [4], seuls 2 % des patientssuivis en consultation pour une douleur cancéreuse ont béné-ficié d’une analgésie spinale. D’autres patients présententdes effets secondaires importants aux morphiniques par voiegénérale, incompatibles avec une qualité de vie satisfaisante.Une chimiothérapie agressive peut représenter une indica-tion de morphinothérapie IT pour améliorer sa tolérance etéviter de cumuler ses effets secondaires avec ceux desantalgiques.

L’indication d’analgésie spinale est une décision multidis-ciplinaire. Deux critères doivent être retenus : l’impossibilitéd’obtenir un soulagement efficace par un traitement médicalclassique et la localisation douloureuse compatible avecl’utilisation d’une voie IT [3]. Pour certaines équipes, lestechniques interventionnelles constituent le quatrième palierde l’OMS [1]. Le risque d’une telle conceptualisation est dene recourir à ces techniques qu’en situation d’impasse théra-peutique avec une prise de décision en urgence. Le recours àl’analgésie IT se fait probablement à un stade trop tardif dansl’évolution de la maladie. Il doit intégrer les processus déci-sionnels plus précocement, notamment chez les patientsayant une pathologie multifocale non contrôlée par le traite-ment spécifique.

Deux systèmes sont disponibles : pompe implantable(réservoir de 20 ou 40 ml) ou chambre sous-cutanée. Classi-quement, l’implantation des pompes est recommandéelorsque l’espérance de vie dépasse trois mois, mais il fautprendre en compte le fait que la technique peut allonger ladurée de vie et que, par ailleurs, la prédiction de l’espérancede vie n’est pas aisée.

Concernant le choix des molécules, plusieurs algorithmesont été proposés, en particulier celui de la polyanalgesicconference consensus américaine établi en 2000 (réviséen 2007 et 2012), à partir d’une revue de la littérature etnon spécifique de la douleur cancéreuse. En 2005, Stearnet al. ont élaboré un algorithme dans le domaine de la dou-leur cancéreuse [23]. La première ligne concerne la mor-phine ou l’hydromorphone aux États-Unis. En cas de résultatinsuffisant ou d’effet secondaire, une association molécu-laire (reprenant le concept de l’analgésie multimodale) peutêtre envisagée. L’association avec la clonidine ou un anes-thésique local est recommandée en deuxième intention.

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La réactualisation en 2012 de la polyanalgesic conferenceconsensus place le ziconotide en première intention aumême niveau que la morphine.

En pratique, la morphine est la molécule de premièreintention. Des phénomènes de tolérance peuvent survenir,et l’association avec le ziconotide représente un moyen delimiter l’escalade des doses. Les anesthésiques locaux ainsique la clonidine sont indiqués lorsque la composante neuro-pathique est au premier plan.

La préparation et l’administration des produits doivent sefaire dans des conditions d’asepsie optimales.

Conclusion

L’analgésie spinale est une technique efficace qui améliorela qualité de vie du patient souffrant de cancer. Les progrèstechniques des pompes IT, une meilleure prise en charge parles organismes sociaux de leur financement, une connais-sance approfondie de la pharmacocinétique et pharmacody-namie des molécules devraient permettre de proposer pluslargement et plus précocement cette technique.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir deconflit d’intérêt.

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