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LA LETTRE D’INFORMATION DE LA FONDATION FRANÇAISE POUR LA RECHERCHE SUR L’ÉPILEPSIE - Juin 2015 Q uels liens y a-t-il entre dépression et épilepsie ? Le stress a-t-il une influence sur les crises ? Les antidépresseurs ont- ils un impact sur l’épilepsie, et les antiépileptiques sur la dépression ? Autant de questions que l’on hésite sou- vent à poser mais qui, en fait, sont à la source de désagréments supplémen- taires pour les personnes épileptiques. C’est pourquoi ce nouveau numéro de R&P, en interviewant psychiatres, neuro- épileptologues, mais aussi en donnant la parole aux patients, vise à faire le point sur ces liens entre le stress, la dépression, l’épilepsie et les autres comorbidités psychia- triques auxquelles peuvent être confrontés ceux qui souffrent d’épilepsie. Vous verrez que, de fait, les personnes épilep- tiques souffrent plus de pathologies psychiatriques que la population géné- rale, avec des spécificités pour ces patho- logies lorsqu’elles sont associées à l’épi- lepsie, et une aggravation de la qualité de vie des patients ; aggravation d’autant plus importante que ces pathologies sont sou- vent sous-diagnostiquées. Des traitements adaptés et des thérapies, notamment cognitivo-comportementales, obtiennent des améliorations significatives de la qua- lité de vie. Autre difficulté : les traitements antiépileptiques ont des effets positifs ou négatifs sur les pathologies psychiatriques associées à l’épilepsie, qu’il convient de discerner pour adapter le traitement.Enfin, le stress est le facteur le plus souvent rap- porté comme déclencheur de crise ! Là aussi, on découvre que des thérapies inno- vantes, comme le biofeedback sont effi- caces.Tous ces points démontrent une fois de plus que l’épilepsie est une mala- die du cerveau extrêmement complexe, avec de nombreuses interactions et comorbidités, qui nécessite la connaissance pointue de neurologues spécialisés en épilepsie et une prise en charge globale organisée, que nous n’avons de cesse de demander aux pou- voirs publics. Dans l’actualité, et toujours sur le thème des traitements, la FFRE se devait, après l’affo- lement médiatique sur deux sujets concernant l’épilep- sie (la Dépakine ® et l’impact potentiel du cannabis), de réta- blir les réalités scientifiques et pra- tiques, que vous retrouverez en pages 11 et 12. Avec un regret déjà émis à maintes reprises : que, malgré nos efforts, la majo- rité des médias ne s’intéresse à l’épilepsie que quand ils suspectent quelque chose de sensationnel ! Sur les comorbidités psychiatriques comme sur les effets des différents médicaments, la recherche a besoin d’al- ler beaucoup plus loin. Pour cela, nous avons donc besoin de vos dons, dès maintenant. Soyez en remerciés. Bel été à tous. ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES QUELS LIENS ? Des liens complexes entre épilepsie et pathologies psychiatriques .................... P. 02 « Mes crises d’angoisse m’ont pourri la vie » ............ P. 04 Traitements antiépileptiques : quel impact sur les troubles psychiatriques ? .................. P. 05 Quand les effets secondaires des antiépileptiques deviennent plus handicapants que les crises ..................... P. 07 Stress et épilepsie : les liaisons dangereuses ...... P. 08 Des séances de biofeedback pour aider à gérer le stress ... P. 09 DOSSIER ÉPILEPSIE ET TROUBLES PSYCHIATRIQUES Bernard ESAMBERT, Président Emmanuelle ALLONNEAU-ROUBERTIE, Directrice générale Recherches & Perspectives juin 2015 p. 1 LE POINT Cannabis et épilepsie : prudence, prudence ............ P. 11 Dépakine ® (valproate) et épilepsie : le point........... P. 12 LA RECHERCHE SUR CES THÈMES DOIT ALLER BEAUCOUP PLUS LOIN.

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Page 1: PILEPSIE(S) ET COMORBIDIT S PSYCHIATRIQUES Qvantes, comme le biofeedback sont efÞ-caces.Tous ces points d montrent une fois de plus que lÕ pilepsie est une mala - die du cerveau

LA LETTRE D’INFORMATION DE LA FONDATION FRANÇAISE POUR LA RECHERCHE SUR L’ÉPILEPSIE - Juin 2015

Q uels liens y a-t-il entre dépression et épilepsie ? Le stress a-t-il une influence sur les crises ? Les antidépresseurs ont-ils un impact sur l’épilepsie, et

les antiépileptiques sur la dépression ?Autant de questions que l’on hésite sou-vent à poser mais qui, en fait, sont à la source de désagréments supplémen-taires pour les personnes épileptiques.

C’est pourquoi ce nouveau numéro de R&P, en interviewant psychiatres, neuro- épileptologues, mais aussi en donnant la parole aux patients, vise à faire le point sur ces liens entre le stress, la dépression, l’épilepsie et les autres comorbidités psychia-triques auxquelles peuvent être confrontés ceux qui souffrent d’épilepsie. Vous verrez que, de fait, les personnes épilep-tiques souffrent plus de pathologies psychiatriques que la population géné-rale, avec des spécificités pour ces patho-logies lorsqu’elles sont associées à l’épi-lepsie, et une aggravation de la qualité de vie des patients ; aggravation d’autant plus importante que ces pathologies sont sou-vent sous-diagnostiquées. Des traitements adaptés et des thérapies, notamment cognitivo-comportementales, obtiennent des améliorations significatives de la qua-lité de vie. Autre difficulté : les traitements antiépileptiques ont des effets positifs ou négatifs sur les pathologies psychiatriques associées à l’épilepsie, qu’il convient de

discerner pour adapter le traitement.Enfin, le stress est le facteur le plus souvent rap-porté comme déclencheur de crise ! Là aussi, on découvre que des thérapies inno-vantes, comme le biofeedback sont effi-caces.Tous ces points démontrent une fois de plus que l’épilepsie est une mala-die du cerveau extrêmement complexe, avec de nombreuses interactions et comorbidités, qui nécessite la connaissance pointue de neurologues spécialisés en épilepsie et une prise en charge globale organisée, que nous n’avons de cesse de demander aux pou-voirs publics.

Dans l’actualité, et toujours sur le thème des traitements, la

FFRE se devait, après l’affo-lement médiatique sur deux sujets concernant l’épilep-

sie (la Dépakine® et l’impact potentiel du cannabis), de réta-

blir les réalités scientifiques et pra-tiques, que vous retrouverez en pages 11 et 12. Avec un regret déjà émis à maintes reprises : que, malgré nos efforts, la majo-rité des médias ne s’intéresse à l’épilepsie que quand ils suspectent quelque chose de sensationnel !

Sur les comorbidités psychiatriques comme sur les effets des différents médicaments, la recherche a besoin d’al-ler beaucoup plus loin. Pour cela, nous avons donc besoin de vos dons, dès maintenant.Soyez en remerciés. Bel été à tous.

ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES QUELS LIENS ?

Des liens complexes entre

épilepsie et pathologies

psychiatriques .................... P. 02

« Mes crises d’angoisse

m’ont pourri la vie » ............ P. 04

Traitements antiépileptiques :

quel impact sur les troubles

psychiatriques ? .................. P. 05

Quand les effets secondaires

des antiépileptiques deviennent

plus handicapants

que les crises ..................... P. 07

Stress et épilepsie :

les liaisons dangereuses ...... P. 08

Des séances de biofeedback

pour aider à gérer le stress ... P. 09

DOSSIERÉPILEPSIE

ET TROUBLES PSYCHIATRIQUES

Bernard ESAMBERT, Président

Emmanuelle ALLONNEAU- ROUBERTIE, Directrice générale

Recherches & Perspectives juin 2015 p. 1

LE POINT

Cannabis et épilepsie :

prudence, prudence ............ P. 11

Dépakine® (valproate)

et épilepsie : le point ........... P. 12

LA RECHERCHE SUR CES THÈMES DOITALLER BEAUCOUP

PLUS LOIN.

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Recherches & Perspectives juin 2015 p. 2

DOSSIER ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES : QUELS LIENS ?

FFRE. Les personnes épileptiques souffrent-elles davantage de patholo-gies psychiatriques que la population générale ?

Coraline HINGRAY - Oui, quand on est épileptique, le risque est plus grand que dans la population générale de développer une pathologie psychiatrique, telle que la dépression, de l’anxiété ou une psychose (que l’on définit comme un faux rapport à la réalité : avoir des idées délirantes, une interprétation non rationnelle ou des hal-lucinations). Le lien entre l’épilepsie et ces troubles est très fort. Il est aussi bidirec-tionnel : l’un influe sur l’autre.Par exemple, la dépression affecte 60 % des patients épileptiques au moins une fois dans leur vie. Elle est plus fréquente dans les cas d’épilepsie partielle ou phar-macorésistante. L’anxiété touche entre 13 et 30 % des épileptiques, soit 2 fois plus que pour la population générale. De même, le taux de suicide est 5 fois plus élevé chez les personnes épileptiques. Et ce surrisque n’est, a priori, pas dû au trai-tement antiépileptique, comme cela a pu être suspecté précédemment.

en compte les spécificités des patients qui souffrent d’épilepsie, il existe une classifi-cation particulière, suivant leur chronolo-gie par rapport à la crise. Soit les troubles psychiatriques sont inter-ictaux, c’est-à-dire entre les crises, soit il y a un rapport chro-nologique direct à la crise (avant, autour ou après la crise).De plus, la présentation des pathologies psychiatriques est souvent différente, spé-cifique, lorsqu’elles sont liées à une épilep-sie. Dans la dépression par exemple, on note l’existence de troubles de l’humeur inter-ictaux ayant une durée beaucoup plus courte que lors d’une dépression « clas-sique », avec une tendance plus forte à l’ir-ritabilité ou à l’euphorie. Il est utile de traiter ces symptômes, même si leur durée est très courte, car ils sont récidivants.

Pour les troubles anxieux, les personnes épileptiques présentent des spécificités comme la phobie de faire une crise hors de chez soi. Cette peur grignote peu à peu la vie des patients. Ils évitent les supermar-chés, d’aller en ville ou chez des amis. Cela aboutit à une restriction de leurs champs d’activités parfois très importante. Quelque-fois même, les patients n’ont plus de crises mais ne se sont pas débarrassés de la peur de faire une crise à l’extérieur ou devant les gens.Concernant les psychoses, on sait que cer-tains patients entendent des voix ou voient des choses qui n’existent pas, et que cela

DES LIENS COMPLEXES ENTRE ÉPILEPSIE ET PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUESEntretien avec le Dr Coraline HINGRAY, psychiatre

LES MALADIES PSYCHIATRIQUES NUISENT BEAUCOUP À LA QUALITÉ DE VIE DES PATIENTS.

Coraline HINGRAY est psychiatre

et travaille au service de

neurologie du CHU de Nancy.

Elle explique pourquoi il est

important de diagnostiquer les

troubles psychiatriques chez les

personnes souffrant d’épilepsie.

FFRE. À quoi cela est-il dû ?

C. H. - Cela est, pour une petite partie, dû aux conséquences de l’épilepsie sur la qualité de vie des patients : le fait de ne pas pouvoir conduire, d’avoir des dif-ficulté à trouver un emploi, peut entraî-ner une dépression. Mais ce n’est pas la principale raison. Des études épidémiolo-giques et neurobiologiques ont mis en évi-dence des liens complexes autres que ces répercussions. Par exemple, au moment des crises, certaines molécules libérées dans le cerveau favoriseraient la surve-nue de troubles psychiatriques. Certains médicaments contre l’épilepsie favorisent aussi parfois des symptômes psychia-triques. Il est important pour les patients de savoir qu’ils ne sont pas fous ou faibles s’ils souffrent de dépression, d’anxiété ou de psychose. Ces maladies sont le résultat d’un dysfonctionnement de leur cerveau auquel l’épilepsie prédispose. À l’image du pancréas d’un diabétique qui fonc-tionne moins bien, chez les patients épi-leptiques qui souffrent de ces pathologies psychiatriques, certaines zones de leur cerveau fonctionnent trop ou pas assez. Il faut alors les réguler, car les maladies psy-chiatriques nuisent beaucoup à la qualité de vie des patients.

FFRE. Ces troubles présentent-ils des spécificités chez les personnes épileptiques ?

C. H. - Oui. Bien que les classifications inter-nationales des pathologies psychiatriques (comme le DSM-5) n’ont pas encore pris

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DOSSIER

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peut-être dû au traitement antiépileptique. Pourtant, ils n’osent pas en parler à leur médecin, de peur de passer pour des fous. Or, c’est important d’en parler et de prendre en compte ces hallucinations. Elles sont plus courantes qu’on ne le pense.

FFRE. Les pathologies psychiatriques sont-elles correctement diagnostiquées ?

C. H. - Non, les pathologies psychiatriques des patients épileptiques sont sous-diagnosti-quées, insuffisamment traitées et ne sont pas assez prises au sérieux. Bien souvent, on pense qu’il faut d’abord traiter l’épilepsie et que les pathologies psychiatriques s’amélio-reront. Or, il est aussi important de traiter ces troubles, car ils nuisent fortement à la quali-té de vie des patients. Il a été montré qu’en diminuant ces maladies, on diminue aussi les crises. On se rend même compte que gué-rir les pathologies psychiatriques a souvent un impact supérieur sur la qualité de vie des patients que celui de supprimer les crises.

FFRE. Quels sont les traitements indiqués ?

C. H. - Il y a les traitements médicamenteux, comme les inhibiteurs de la recapture de

la sérotonine. À une époque, il a été dit que les antidépresseurs favorisaient les crises. Il est maintenant prouvé que ce n’est pas vrai pour la majorité d’entre eux. Donc, c’est important de traiter certains de ces troubles psychiatriques avec les antidépresseurs.Il est également possible d’avoir recours à des thérapies cognitivo-comportemen-tales. Ces dernières apprennent au patient à gérer ses angoisses. Par exemple, les patients anxieux développent un évitement des situations qui leur font peur (peur de faire une crise hors de chez soi…). Or, plus on évite et plus on renforce la peur. Pendant les séances de thérapie cognitivo- comportementale, on apprend donc aux patients à éviter l’évitement, à s’exposer progressivement à leur peur, pour les dépas-ser et retrouver leur liberté d’agir. Idem lorsqu’on est déprimé, on perd confiance en soi et l’envie de faire des choses. Un cercle vicieux se met en place : la perte de confiance alimente la dépression. Pour aider les patients déprimés, pendant les séances de thérapie cognitivo-comportementale, on encourage et accompagne les patients à reprendre un programme d’activités pour les aider à retrouver l’envie de faire des choses, puis d’y prendre du plaisir. O

Qu’est-ce qu’une crise psychogène non épileptique ?

Les crises psychogènes non épileptiques (CNEP) sont assez méconnues. Elles sont très ressemblantes aux crises épilep-tiques, si bien que la confusion est cou-rante : certaines personnes ne sont en fait pas épileptiques, mais ont des CNEP. Pourtant, ce n’est pas le même phéno-mène électrique qui a lieu : lors de la crise, il n’y a pas de modification de l’en-registrement vidéo-EEG. Les CNEP sont dues à un problème touchant la zone des émotions, située à côté de la zone de la mémoire. On peut schématiquement dire que, pendant les CNEP, l’activité du cer-veau devient maximale dans la zone des émotions, ce qui entraîne une désactiva-tion de la zone qui contrôle les mouve-ments. Ces crises causent des mouve-ments involontaires et parfois des pertes de connaissance. Elles peuvent toucher jusqu’à 20 à 30 % des patients épilep-tiques. On les retrouve aussi chez les per-sonnes qui ont eu de forts traumatismes, comme des abus sexuels. Certains disent ! à tort ! que ce sont de fausses crises, des pseudo-crises.

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DOSSIER ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES : QUELS LIENS ?

FFRE. Depuis combien de temps souf-frez-vous d’épilepsie ?

Hélène T. - Cela fait une quinzaine d’an-nées. Mon épilepsie est arrivée à la suite d’une intervention chirurgicale. Dans les jours qui ont suivi l’opération, j’ai eu 3 crises d’épilepsie. J’ai suivi un traite-ment pendant 2 ans et, n’ayant plus de crises, je l’ai arrêté. Pendant 7 ans, je n’ai eu aucune manifestation de mon épilepsie, jusqu’en 2006, quand j’ai eu ma fille. Elle ne dormait pas et j’étais extrêmement fatiguée. J’ai alors eu une crise. J’ai donc revu mon neurologue, qui m’a fait faire quelques examens. J’ai insisté pour reprendre un traitement, car j’avais peur de faire des crises avec ma fille. C’est là que j’ai commencé à angoisser.

FFRE. Comment se manifestait cette anxiété ?

H. T. - J’avais de très fortes crises d’an-goisse. J’avais peur de mettre en danger

ma fille, d’avoir une crise pendant que je m’occupais d’elle et de la faire tom-ber par exemple. J’évitais de me retrou-ver seule avec elle. J’ai repris mon acti-vité – je m’occupais d’enfants dans un internat la nuit. Et j’ai eu une crise au travail. Cela m’a donné des crises d’angoisse terribles. J’ai tout de même tenu 2 ans, mais j’ai dû changer de tra-vail, car il était incompatible avec mon anxiété.

FFRE. Quitter votre emploi a-t-il eu un effet sur vos angoisses ?

H. T. - Non, malheureusement. Je me suis peu à peu enfermée dans l’an-goisse, sans vraiment m’en rendre compte. Je n’osais pas être seule avec ma fille ni sortir avec elle de peur qu’elle me voie faire une crise. Ça n’est jamais arrivé, mais rien que d’y penser, c’était terrible. Je ne faisais plus rien. Et je me suis séparée du père de ma fille, car cette situation était difficile pour lui aussi. J’ai retrouvé un nouveau com-pagnon peu de temps après, à qui j’ai tout de suite parlé de l’épilepsie. J’ai également retrouvé un emploi, avec des horaires réguliers. Mais mes crises d’angoisses étaient toujours là, je n’étais jamais sereine. Mon neurologue ne pre-nait pas cela très au sérieux. Il m’avait donné un médicament qui n’avait pas trop d’effet sur moi. Lorsque je lui ai dit que mes angoisses me pourrissaient la vie, il m’a conseillé d’aller consulter

un psychiatre. Cela fait maintenant presque 2 ans que je vais la voir. J’avais conscience qu’il fallait que je voie un psy, mais c’était délicat de franchir ce cap et je n’en connaissais pas.

FFRE. Comment vous a-t-elle pris en charge ?

H. T. - Elle m’a fait raconter mon histoire, m’a donné un traitement à prendre tous les jours et on a entamé une thérapie comportementale. Elle me donnait des missions à faire pour le rendez-vous sui-vant. Au départ, il s’agissait de choses simples, comme aller seule dans un magasin. Petit à petit, les missions sont devenues de plus en plus difficiles. Mes progrès ont été quasiment instantanés. Et depuis 6 mois, je vais parfaitement bien. J’ai réussi à parler de l’épilepsie à ma fille, à sortir seule avec elle, à passer des soirées seules avec elle.J’avais pris des habitudes, comme tou-jours ranger mon bureau avant la pause de midi au cas où j’aurais une crise d’épilepsie et que je ne revienne pas. Aujourd’hui, c’est terminé. Je me rends compte que j’avais organisé ma vie autour de l’épilepsie et de l’angoisse. Mainte-nant, il m’arrive même de passer une journée sans penser à cette maladie. Voir un psychiatre m’a vraiment sauvé. Et mon entourage est épaté des change-ments qui se sont effectués et de me voir revivre. Il est vraiment important de sortir de la spirale qu’est l’angoisse. O

« MES CRISES D’ANGOISSE M’ONT POURRI LA VIE »Témoignage d’Hélène T., épileptique depuis 15 ans

Hélène T. a 37 ans, est mariée

et à une fille de 9 ans. Elle est

travailleur social auprès de

jeunes handicapés moteur. Son

épilepsie a été une source très

forte d’angoisse. Elle raconte...

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DOSSIER

TRAITEMENTS ANTIÉPILEPTIQUES : QUEL IMPACT SUR LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES ?

pour des troubles psychiatriques. De plus, les patients épileptiques peuvent avoir des traitements multiples, avec des mécanismes d’action différents. Certains patients sont donc à risque de développer des effets indésirables psychiatriques ou comportementaux lorsqu’un antiépileptique est introduit, quel qu’il soit. Ce risque existe dès l’initiation du traitement et peut être majoré avec l’augmentation des doses d’antiépileptiques.

FFRE. Comment distinguer les troubles psychiatriques dus au traite-ment contre l’épilepsie de ceux non causés par lui ?

P. D. - L’effet des traitements antiépi-leptiques n’est pas facile à évaluer. Si l’on prend le cas de la dépression, la perte ou le gain significatif de poids, l’insomnie ou l’hypersomnie, l’agitation ou le ralentissement psychomoteur et la fatigue font partie des symptômes qui permettent le diagnostic d’un épi-sode dépressif majeur. Or, ces symp-tômes peuvent aussi être des effets secondaires des antiépileptiques. Ces

effets secondaires ne sont pas tou-jours délétères. Ainsi, certains antié-pileptiques peuvent par exemple sta-biliser l’humeur. La connaissance des effets psychotropes positifs des anti-épileptiques peut parfois guider la prescription du médecin vers tel ou tel médicament chez les patients porteurs de symptômes psychiatriques associés à l’épilepsie.

FFRE. Quels sont les effets secon-daires de ces traitements le plus fré-quemment observés ?

P. D. - On peut distinguer 2 grandes catégories d’effets psychotropes des antiépileptiques : les molécules séda-tives (ayant un mécanisme plutôt GABAergique) et les molécules inci-sives (ayant un mécanisme plutôt anti-glutamatergique). Dans le premier cas, l’antiépileptique a tendance à provo-quer de la fatigue, un ralentissement cognitif, une prise de poids, des effets anxiolytiques ou régulateurs de l’hu-meur. Ces médicaments ont plus sou-vent un effet sédatif et peuvent donc parfois entraîner une somnolence. Au contraire, les molécules incisives ont tendance à être stimulantes, à entraî-ner une perte de poids, à avoir un effet anxiogène et antidépresseur. Bien sûr, entre ces profils « extrêmes », on retrouve des médicaments intermé-diaires ou neutres. En général, ce sont ceux qui agissent sur la membrane

FFRE. Les médicaments antiépilep-tiques sont parfois prescrits en psy-chiatrie. Quels effets peuvent-ils avoir sur les patients épileptiques ?

Philippe DERAMBURE - Les troubles psychiatriques sont très fréquemment associés à l’épilepsie. Les traitements antiépileptiques agissent non seule-ment sur l’épilepsie, mais sont aussi psychotropes, c’est-à-dire capable d’altérer les fonctions mentales. Ils peuvent être indiqués pour traiter les troubles de l’humeur ou les troubles anxieux. Ils peuvent donc avoir des effets secondaires, indésirables ou non, chez les patients traités pour leur épilepsie. On remarque que les effets indésirables psychotropes sont plus fréquents chez les personnes épilep-tiques que chez les patients traités

Entretien avec le Pr Philippe DERAMBURE, neurologue au CHU de Lille

Les traitements antiépileptiques

sont aussi psychotropes*. Ils

peuvent avoir des effets positifs

ou négatifs sur les troubles

psychiatriques associés à

l’épilepsie. Le Pr Philippe

DERAMBURE, chef du service

de neurophysiologie clinique

du CHU de Lille et secrétaire

général de la FFRE, nous éclaire

sur cette question.LES EFFETS SECONDAIRES PSYCHOTROPES DES MÉDICAMENTS ANTIÉPILEPTIQUES NE SONT PAS TOUJOURS DÉLÉTÈRES. CERTAINS PEUVENT, PAR EXEMPLE, STABILISER L’HUMEUR.

* Psychotropes : classe de médicaments ayant un impact sur le psychisme en agissant sur l’activité cérébrale (selon les molécules, la ralentissent, stimulent ou modifient)

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DOSSIER ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES : QUELS LIENS ?

des neurones, en particulier, les blo-queurs des canaux sodiques.De plus, il est important de prendre en compte l’interaction entre la molécule antiépileptique et le type d’épilepsie du patient.Les médicaments ayant les effets secondaires psychotropes les moins fréquents sont le lamotrigine (Lamic-tal®) et la prégabaline (Lyrica®). Inver-sement, le lévétiracétam (Keppra®), le topiramate (Epitomax®), le zonisa-mide (Zonegran®) et plus récemment le pérampanel (Fycompa®) sont ceux pour lesquels les effets secondaires psychotropes sont les plus fréquents. Rappelons tout de même que ces effets n’arrivent pas systématiquement.

FFRE. Quels sont ceux qui ont des effets bénéfiques sur les troubles psy-chiatriques associés à l’épilepsie ?

P. D. - Le phénobarbital et les benzo-diazépines sont efficaces pour trai-ter l’insomnie. La gabapentine (Neu-rontin®) est utilisée pour soigner les troubles anxieux. La lamotrigine (Lamictal®) a un effet positif sur la dépression.

FFRE. Existe-t-il des profils de patients plus susceptibles de ressen-tir des effets secondaires de leur trai-tement antiépileptique ?

P. D. - Oui, la présence des effets secondaires psychotropes des antiépi-leptiques est davantage marquée chez les patients ayant des antécédents psy-chiatriques ou de troubles du compor-tement. Une étude montrait que le taux d’effet psychotrope négatif sous antiépileptiques était de 23 % chez les personnes ayant des antécédents psychiatriques, contre 12 % chez ceux qui n’en avaient pas. Le risque

est plus élevé pour les patients ayant des antécédents familiaux psychia-triques, et aussi en fonction de leur personnalité.Certains facteurs liés à l’épilepsie entrent également en jeu, comme la localisation de la région cérébrale à l’origine des crises (notamment l’épi-lepsie temporale) ou la présence de dysfonctionnements de canaux cellulaires.

FFRE. Que dire du lien entre les médicaments antiépileptiques et le risque suicidaire ?

P. D. - La FDA (Food and Drug Admi-nistration) avait, en 2008, lancé une alerte sur le risque de suicide chez les patients prenant des antiépileptiques. Mais la littérature scientifique ne per-met pas de conclure sur l’existence ou non d’un lien entre ces médicaments

et le risque suicidaire. Néanmoins, l’utilisation d’une échelle d’évaluation de la gravité du risque suicidaire est désormais obligatoire dans les essais thérapeutiques de nouvelles molé-cules antiépileptiques, dans le but d’éliminer des traitements potentiel-lement dangereux pour les patients déprimés.

FFRE. Que faire si le traitement antiépileptique provoque des troubles psychiatriques négatifs ?

P. D. - Plusieurs actions sont pos-sibles : diminuer la dose, l’arrêter ou l’associer à la prise d’un antidépres-seur ou d’un anxiolytique par exemple.Il y a aussi des précautions à prendre à l’arrêt d’un traitement qui a des effets psychiatriques positifs sur un patient. L’arrêt doit être progressif. Il est également possible de recourir à un antidépresseur le temps de l’arrêt.D’une manière générale, il faut que les patients qui souffrent de troubles psychiatriques, à cause ou non du traitement antiépileptique, soient cor-rectement suivis, mêmes lorsqu’ils sont libres de crises.� O

La prescription d’antiépileptiques dans d’autres indications :

Les médicaments antiépileptiques ne sont pas restreints aux patients souffrant d’épilepsie. Ils peuvent aussi être prescrits dans le traitement des maladies psychiatriques, des douleurs neuropathiques ou encore de la migraine. Des données récentes ont montré que les prescriptions d’antiépileptiques ont connu un bond entre 2004 et 2007 : + 642 % pour la migraine, + 360 % pour les douleurs neuropathiques et + 200 % en psychiatrie. Pendant cette même période, les prescriptions d’antiépileptiques ont augmenté de 7 % dans l’épilepsie. Malgré tout, cette indication reste prépondérante dans la prescription d’antiépileptiques : 71 % des ordonnances concernent l’épilepsie.Ce sont surtout les molécules de dernière génération qui sont prescrites chez les migraineux. En psychiatrie, le recours aux « anciens » médicaments reste encore fréquent.

LE TAUX D’EFFET PSYCHOTROPE NÉGATIF SOUS ANTIÉPILEPTIQUES EST DE 23 % CHEZ LES PERSONNES AYANT DES ANTÉCÉDENTS PSYCHIATRIQUES, CONTRE 12 % CHEZ CEUX QUI N’EN ONT PAS.

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Recherches & Perspectives juin 2015 p. 7

DOSSIER

Dès que j’ai arrêté définitivement et repris un nouveau traitement, j’ai retrou-vé au bout d’une semaine mon tempé-rament calme habituel.Un autre effet indésirable de cette molécule a été la prise de poids : 5 kilos en 7 ou 8 mois. Ce traitement me don-nait tout le temps faim. Peut-être était-ce pour nourrir cette rage ? Depuis l’ar-rêt, j’ai perdu 3 kilos en 3 semaines.

FFRE. Est-ce la première fois que vous avez souffert d’effets secon-daires indésirables importants ?

P. B. - Non, mon épilepsie étant résis-tante aux traitements, j’ai essayé beaucoup de molécules différentes. Les premiers traitements me provo-quaient des hallucinations auditives, des migraines. Il m’est aussi arrivé de ne pas comprendre ce que disaient

FFRE. Quels étaient les effets secon-daires de l’avant-dernier antiépilep-tique que vous avez pris ?

Patrick B. - Ce traitement avait sur moi des effets secondaires très importants. Alors que j’ai plutôt un tempérament calme et « cool », je suis devenu agres-sif, jusqu’à avoir de vraies crises de rage. Au début de la prise de ce médi-cament, ça allait à peu près bien, mais avec le temps et l’augmentation des doses, je suis devenu de plus en plus agressif. Par exemple, en conduisant, lorsqu’une voiture me faisait une queue de poisson, j’allais jusqu’à la suivre et faire peur à son conducteur. Et puis, un jour, j’ai « pété les plombs ». Ma femme et moi avons fini par appeler le médecin pour lui dire qu’il fallait que je change de médicament, car je savais que l’arrêt ne devait pas être brutal. Avec l’aide du médecin, nous avons réduit les doses au maximum afin de ne pas avoir trop de crises et que mon niveau d’agressivité soit « acceptable ».

mes interlocuteurs ou de dire des mots que personne ne comprenait.J’ai pris une association de 2 médi-caments qui ont très bien fonctionné pendant 10 ans et qui n’avaient pas d’effets secondaires. Mais, certaine-ment à cause d’un stress au travail, j’ai eu à nouveau une crise, puis des absences. Et j’ai dû changer de trai-tement. J’ai essayé par la suite une dizaine de médicaments différents, mais ils n’étaient pas assez efficaces sur mes crises.

FFRE. Aujourd’hui, que prenez-vous ?

P. B. - Depuis que j’ai arrêté le traite-ment qui me rendait agressif, je prends une molécule que j’avais essayée au début de mon épilepsie. Pour l’ins-tant, ça va mieux. J’espère que ça va continuer !� O

QUAND LES EFFETS SECONDAIRES DES ANTIÉPILEPTIQUES DEVIENNENT PLUS HANDICAPANTS QUE LES CRISESTémoignage de Patrick B., épileptique depuis 20 ans

Patrick B. a 55 ans et

souffre depuis une vingtaine

d’années d’une épilepsie

pharmacorésistante. Récemment,

un traitement a eu des effets

secondaires indésirables

importants l’ayant obligé à opter

pour un autre médicament.

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Recherches & Perspectives juin 2015 p. 8

DOSSIER ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES : QUELS LIENS ?

STRESS ET ÉPILEPSIE :LES LIAISONS DANGEREUSES

Cela débouche sur des considéra-tions thérapeutiques : si l’on arrive à identifier des facteurs de stress chez les patients, on peut mettre en place des thérapies antistress, comme le biofeedback.

FFRE. En quoi consistent ces théra-pies antistress ?

F. B. - Le biofeedback consiste en l’apprentissage de stratégies de contrôle de certains paramètres phy-siologiques enregistrés. Le proto-cole utilisé dans l’épilepsie par notre équipe consiste en des séances où le sujet apprend à réguler sa conduc-tance cutanée, reflet de sa transpi-ration. Face à un début de crise ou une période à risque, il peut remettre en jeu ses stratégies de biofeedback. Cette méthode est efficace chez la moitié de nos sujets. Et, d’ailleurs, la FFRE a financé, dans le cadre des appels à projets, une partie du matériel nécessaire à ces séances. Concernant les autres types de thé-rapies antistress, peu d’études réel-lement solides existent. Des pro-grammes de mindfulness (une forme de méditation) sont à l’étude.

FFRE. Le stress est-il un facteur de risque de développer une épilepsie ?

F. B. - Nous n’avons pas de données

épidémiologiques pour répondre à cette question. Cependant, le rôle d’un stress important initial comme facteur aggravant/déclenchant d’une épilepsie est plus discuté, mais avan-cé par certaines études, qui montrent que si le stress peut provoquer une épilepsie, il faut pour cela y être dis-posé : avoir des lésions ou des gènes de prédisposition.Il existe des modèles de rats, étudiés à Marseille et à la Pitié-Salpêtrière à Paris, auxquels on fait subir un stress important. On introduit dans une cage un rat intrus, qui va se faire agresser. Il est en situation de défaite sociale, qui entraîne une dépression sévère puis un retour à la normale. Certains rats vont rester toutefois plus vulnérables à des stress ultérieurs modérés et répétés. Ces rats dits « vulnérables » peuvent avoir des signes de dépression et, sou-mis à des agents épileptogènes, déve-loppent plus facilement une épilepsie chronique. Ainsi, des individus particu-lièrement vulnérables au stress peuvent sous certaines conditions développer plus facilement une épilepsie.

FFRE. La dépression joue donc aussi un rôle important dans l’épilepsie ?

F. B. - Le stress, l’épilepsie et la dépres-sion forment un ménage à 3 qui s’auto-entretient. L’objectif thérapeutique est de « frapper » à ces 3 niveaux.� O

FFRE. Le stress est-il un facteur de crise chez les patients épileptiques ?

Fabrice BARTOLOMEI - Le stress, que l’on peut définir comme la pression venant du milieu extérieur et qui per-turbe l’homéostasie du corps, est l’agent le plus souvent rapporté par les patients comme facteur déclencheur de crise, devant le manque de som-meil, la fatigue, ou encore les phéno-mènes hormonaux chez les femmes. Cela est supporté par des données expérimentales. Le stress induit la production d’hormones stéroïdiennes qui ont un effet proépileptogène.On sait que 50 % des patients ayant une épilepsie temporale ont une sensibili-té accrue au stress ou aux émotions. Les résultats de ces études indiquent que, parmi les personnes les plus sensibles au stress, on retrouve une majorité de femmes (70 %).

Entretien avec le Pr Fabrice BARTOLOMEI, neurologue à l’hôpital de la Timone (Marseille)

Nombreuses sont les personnes

épileptiques qui ressentent

le stress comme un facteur

déclenchant des crises. Qu’en

est-il vraiment ? Le point avec

le Pr Fabrice BARTOLOMEI, chef

du service de neurophysiologie

clinique de l’hôpital de la

Timone.

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DOSSIER

santé que la maladie elle-même, qui à l’époque ne me causait que peu d’inconvénients.

FFRE. À quelle occasion avez-vous eu votre première crise convulsive ?

L. V. - Elle a eu lieu 6 ou 7 mois après le diagnostic. Elle est arrivée sous le coup du stress, alors que j’étais en vacances, un peu fatiguée et contrariée. Cette première crise a été impressionnante, car je me suis brûlée avec une cigarette et les pom-piers ont dû intervenir. Ensuite, j’ai été assez épargnée par les crises.Mais, pendant la préparation de ma grossesse, ma situation s’est aggra-vée, j’ai arrêté de prendre ma contra-ception orale et mon traitement a été diminué. J’ai alors eu 2 crises convulsives. Ensuite, après l’accou-chement, avec la fatigue, j’ai à nou-veau eu 2 crises, dont une parce que j’avais des hémorragies à cause d’un stérilet qu’on m’a posé et qui me fati-guaient. L’autre est arrivée au travail et je ne l’ai pas vue venir.

FFRE. Dans quelle mesure êtes-vous sensible au stress ?

L. V. - Je pense être plus sensible au stress que la moyenne. Je le suis plus que mon mari, mon frère ou ma sœur par exemple. J’ai tendance à me faire une montagne de choses auxquelles

JE PENSE ÊTRE PLUS SENSIBLE AU STRESS QUE LA MOYENNE. J’AI TENDANCE À ME FAIRE UNE MONTAGNE DE CHOSES AUXQUELLES D’AUTRES N’ACCORDERAIENT PAS AUTANT D’IMPORTANCE.

FFRE. Comment s’est fait le dia-gnostic de votre épilepsie ?

Laure V. - J’avais des absences et des impressions de déjà-vu, que je mettais sur le compte de la fatigue. À cette époque, encore étudiante, je sortais souvent, il m’arrivait de consommer de l’alcool dans des cadres festifs et je fumais des ciga-rettes. Je me suis rendu compte que j’avais un problème le jour où j’ai eu un accrochage en voiture parce que j’étais un peu « dans les vap ». Je suis donc allée consulter un neuro-logue que je connaissais grâce à mon entourage. Quand il m’a dit que je souffrais d’une forme d’épilepsie, ma réaction a été le déni.Peu avant ma première crise convul-sive, j’ai arrêtée de suivre sérieuse-ment mon traitement, car je trouvais qu’il ne fonctionnait pas très bien et parce que j’avais peur qu’il ne pro-voque plus d’effets négatifs sur ma

ils n’accorderaient pas autant d’im-portance. Alors j’essaye d’éviter le stress autant que faire se peut.Pendant une période, mon médecin m’avait prescrit un décontractant, que j’ai vite arrêté. Je préfère éviter d’avoir un autre support que mon caractère pour affronter les situa-tions stressantes.Mon neurologue m’a proposé il y a peu des séances de biofeedback. Au départ, j’étais réticente, mais j’ai lu un article dessus et je me suis aper-çue que c’était encadré par des médecins et que c’est une science dure : c’est ce qui m’a convain-cue de participer. C’est la première fois que je teste une thérapie non médicamenteuse.

FFRE. Comment se déroulent les séances ?

L. V. - Lors de la première séance, qui a duré environ 2 h, j’ai dû passer des tests psychologiques pour mesu-rer mes réactions ou mes jugements dans des situations stressantes.

DES SÉANCES DE BIOFEEDBACKPOUR AIDER À GÉRER LE STRESSTémoignage de Laure V., épileptique depuis 9 ans

Laure V. a 32 ans, est mariée et

mère d’un enfant de 3 ans. Son

épilepsie a été diagnostiquée

à l’âge de 21 ans. Elle raconte

ses tentatives pour atténuer

le stress, facteur important de

déclenchement de crises chez

elle.

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DOSSIER ÉPILEPSIE(S) ET COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES : QUELS LIENS ?

Ensuite, à chaque séance, on a quelques minutes de décontraction, puis on nous met des électrodes au bout des doigts et on a pour exercice de faire sourire « par la pensée » un visage qui apparaît sur un écran. On doit également faire en sorte de rester stable, dans une jauge verte. Pour cela, il faut s’aider de pensées drôles, positives. Il faut avoir recours à des moyens mnémotechniques. On répète cet exercice 2 fois pendant 15 minutes.À la fin de mes 12 séances, je ferai un bilan pour évaluer les progrès faits.

FFRE. Ces séances ont-elles déjà porté leurs fruits ?

L. V. - Pendant les séances, on est

au calme et j’arrive bien à faire les exercices. En revanche, récemment, j’ai été soumise à un stress important et surtout inattendu. Comme j’étais fatiguée, je n’ai pas réussi à appli-quer cette technique pour atténuer le stress. Et j’ai eu une crise.

FFRE. Quels conseils pourriez-vous donner aux autres personnes épilep-tiques sujettes au stress ?

L. V. - Il faut essayer de trouver des avantages à sa maladie. Par exemple, j’ai découvert que j’avais le droit au statut RQTH pour les tra-vailleurs handicapés. C’est ce qui m’a permis de trouver un travail dans une grande entreprise dans ma région. Il faut trouver des avantages à être malade, même si ce n’est pas

toujours facile. Et, à mon sens, mieux vaut ne pas le dire à trop de personnes. Dans mon cas, je ne l’ai dit qu’à mon entou-rage proche : mes parents, mon frère et ma sœur, et mon mari. Et au travail, j’aurais aimé que cela reste secret. Malheureusement, l’une de mes chefs l’a répété à tous. Résul-tat, quelques rares personnes se servent du fait que je suis épileptique pour m’attaquer. Si ce sont ceux qui sèment les ennuis autour d’eux, ça n’en est pas moins blessant. C’est difficile dans le monde du travail et c’est pour cela que j’ai tenu à témoi-gner de façon incognito.Je souhaite bon courage à toutes les personnes qui ont aussi une épilep-sie et j’espère qu’elles trouveront un appui solide dans leur entourage. O

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DOSSIERLE POINT

L a vogue actuelle du cannabis dans l’épilepsie vient d’une histoire cli-nique, américaine, celle d’une

petite fille, Charlotte, porteuse d’un syn-drome de Dravet avec une épilepsie très sévère, qui va être très améliorée par l’ad-ministration d’huile de cannabis préparée par ses parents. Depuis que cette histoire a été médiatisée, certains parents de Dra-vet et d’autres encéphalopathies épilepto-gènes sévères de l’enfant ont administré de la même façon de l’huile de canna-bis, préparée de façon artisanale. Dans ce cas, malheureusement, le contenu en « principes actifs » est imprécis. En effet, le cannabis provient de diverses plantes

CANNABIS ET ÉPILEPSIE : PRUDENCE, PRUDENCEPar le Dr Cécile MARCHAL, neurologue épileptologue à Bordeaux

La FFRE a été plusieurs fois interrogée

sur les effets potentiellement positifs du

cannabis sur l’épilepsie, tandis que les

médias s’emballaient pour cette solution.

Il est important de rappeler que l’usage

du cannabis n’est pas légal dans notre

pays. Le Dr Cécile MARCHAL a publié une

mise au point sur le sujet dans les Cahiers

d’ÉpilepsieS, la revue de la LFCE. Elle nous

a aimablement permis d’en faire état ici.

originaires d’Asie centrale, dont trois sous-espèces classées dans la catégo-rie « récréative » (indica, saliva et rude-ralis) qui se différencient par leurs carac-téristiques physiques, taille, feuilles, et leur contenu en principes actifs. Deux composés principaux ont des propriétés psychoactives, le tétrahydrocannabidiol, ou THC, et le cannabidiol, ou CBD. Ces composés sont en concentration variable selon les espèces, mais aussi le mode de culture, de ramassage et de préparation.Sur le plan thérapeutique, une quaran-taine d’études a été publiée sur le THC chez le rongeur, avec différents modèles d’épilepsie. Globalement, 60 % des études montrent un effet anticonvulsi-vant, 30 % ne retrouvent pas d’effet et 10 % un effet proconvulsivant. Le CBD est maintenant produit par un laboratoire (GW pharmaceuticals), permettant d’es-pérer un produit aux propriétés stables et reproductibles, ce qui n’est pas le cas des préparations artisanales. Qu’en est-il cependant des études chez l’Homme ? D’après Allan Hauser (épidémiologiste), il n’y a aucune étude publiée dans cette indication, l’épilepsie, qui soit satisfai-sante sur le plan méthodologique. En effet,

Bon de soutien régulier

Mandat SEPA : Référence unique du mandat

R�Oui, je décide de soutenir régulièrement la Fondation Française pour la Recherche sur l’Épilepsie grâce au prélèvement automatique. Je reste libre d’arrêter mon soutien à tout moment. Je précise ci-contre le montant et l’échéance choisis et je remplis le mandat SEPA.

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NE PAS REMPLIR

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les trois études publiées, dont l’une sous forme d’abstract, portent chacune sur seulement 12 patients, avec dans deux études seulement une randomisation ver-sus placebo. Seul le CBD a été étudié, à la dose de 200 ou 300 mg/j. Deux études sur trois concluent à l’absence d’effica-cité, la troisième signalant 4 patients très améliorés sur 12. La tolérance semble avoir été bonne dans les 3 études. Des études ouvertes plus récentes ont mon-tré une efficacité partielle (Devinsky) mais ont aussi montré que le CBD avait des interactions avec les autres anticonvulsi-vants, en particulier le valproate et le clo-bazam, dont les taux sériques peuvent monter de façon importante, ce qui pour-rait expliquer au moins en partie cette effi-cacité. On manque donc toujours d’un bon essai thérapeutique du CBD dans l’épilep-sie, mais une étude multicentrique versus placebo est en cours dans les épilepsies sévères (syndromes de Dravet et de Len-nox-Gastaut) de l’enfant et de l’adulte. Il paraît raisonnable d’attendre les résultats de cette étude avant de se lancer dans un traitement dont pour l’instant l’efficacité n’est pas démontrée, et dont l’administra-tion n’est pas anodine. O

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Recherches & Perspectives juin 2015 p. 12

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témoignage sur la maladie.

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potentiels du valproate ont été rappe-lés aux prescripteurs par un courrier de l’ANSM*. Il y a très longtemps que les médecins spécialistes de l’épilepsie pré-viennent les patientes de ces risques, mais seulement 5 % des patients traités pour une épilepsie voient un spécialiste de leur maladie dans l’année. Comme le souligne le communiqué de l’ANSM, le valproate est un médicament utile et par-fois le seul médicament efficace dans certaines formes d’épilepsie. Tout arrêt de médicament antiépileptique augmente le risque de récidive de crises parfois trau-matisantes, voire mortelles, et doit donc se faire de façon lente et contrôlée après avoir exposé les risques d’un tel arrêt à la patiente. Particulièrement chez une femme en âge de procréer, toute prescrip-tion, toute modification ou tout arrêt d’un antiépileptique doivent donc être enca-drés de manière spécialisée dès l’an-nonce diagnostique.

DÉPAKINE® (VALPROATE) ET ÉPILEPSIE : LE POINT Par le Pr Philippe DERAMBURE, neurologue épileptologue à Lille et secrétaire général de la FFRE

L’ANSM exige maintenant : « une pres-cription initiale annuelle du valproate réservée aux spécialistes en neurologie, psychiatrie et/ou pédiatrie, selon l’indica-tion. Le renouvellement annuel peut être effectué par tout médecin, dans la limite d’un an, au terme duquel une réévalua-tion du traitement par le spécialiste est requise » (ansm.sante.fr).Ce sujet met une fois de plus en lumière, hélas, le manque de suivi des personnes épileptiques par les spécialistes de l’épi-lepsie, et la nécessité d’une prise en charge globale.C’est aussi pour nous l’occasion de rap-peler que la FFRE avec ses partenaires, la LFCE et les associations de patients, œuvre avec acharnement auprès des pouvoirs publics pour que cette prise en charge s’améliore et fasse l’objet d’un véri-table schéma directeur de l’épilepsie. O

*Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Les médias se sont récemment

emparés d’alertes quant à

l’utilisation d’un antiépileptique,

la Dépakine® ( le composant

incriminé étant le valproate), chez

les femmes enceintes. Le Pr Philippe

DERAMBURE fait le point.

L e valproate est le nom de la molé-cule commercialisée sous le nom de Dépakine® mais aussi Dépa-

mide® et Dépakote® pour d’autres indi-cations que l’épilepsie. Le nom géné-rique est le valproate de sodium. La ligue française contre l’épilepsie (LFCE), qui regroupe les soignants prenant en charge les personnes atteintes d’épilepsie (par-tenaire de la FFRE), confirme les alertes importantes sur l’utilisation du valproate chez les filles, les adolescentes et les femmes en âge de procréer. Les risques